Archive pour la catégorie 'Recettes et produits'

Fête l’oeuf de Pâques

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« Voici venir Pâques fleuries,
Et devant les confiseries
Les petits vagabonds s’arrêtent, envieux.
Ils lèchent leurs lèvres de rose
Tout en contemplant quelque chose
Qui met de la flamme à leurs yeux.

Leurs regards avides attaquent
Les magnifiques œufs de Pâques
Qui trônent, orgueilleux, dans les grands magasins,
Magnifiques, fermes et lisses,
Et que regardent en coulisse
Les poissons d’avril, leurs voisins … »

Nul doute qu’en ce dimanche pascal, comme dans ce poème de jeunesse de Marcel Pagnol, le visage de nos enfants et petits-enfants s’éclairera quand vous leur offrirez des œufs en chocolat ou mieux encore, quand ils les dénicheront dans le jardin.
Purs produits de la civilisation des Kinder bueno et des Ferrero Rocher, ils méconnaissent vraisemblablement la symbolique attachée à ces gourmandises.

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Depuis des temps ancestraux, l’œuf, symbole universel de la fécondité et d’une nouvelle vie, est associé au printemps et au renouveau de la nature. Il y a cinq mille ans, les Perses offraient déjà des œufs de poule comme porte-bonheur pour fêter cette saison. Les Romains en cassaient le jour du printemps pour purifier l’atmosphère ; c’est ainsi qu’on découvrit des milliers de coquilles lors de l’ouverture des catacombes chrétiennes de la Rome du IIIe siècle. Les Égyptiens les décoraient et les Gaulois les teignaient pour l’arrivée du printemps.
Depuis le 1er concile de Nicée en 325, Pâques, fête religieuse chrétienne commémorant la résurrection de Jésus-Christ, le troisième jour après sa Passion, correspond au premier dimanche qui suit la première lune de printemps, encore lui !… soit entre le 22 mars et le 25 avril. Pour les chrétiens, ce n’est pas fortuit car à l’équinoxe, le soleil éclaire simultanément tous les points de la terre situés sur le même méridien tandis que la pleine lune continue à réfléchir ses rayons pendant la nuit. La lumière de Dieu !
L’équinoxe de printemps est également une date de référence pour de nombreux calendriers.

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L’œuf de Pâques trouverait sa signification chrétienne au IVe siècle avec l’instauration du Carême, temps de pénitence de quarante jours avant Pâques, durant lequel la consommation d’œufs était interdite par l’Église. Pauvre de moi, fan inconditionnel de l’œuf à la coque (voir billet du 6 mars 2008), heureusement que certaines mœurs ecclésiastiques se sont relâchées !
Conséquence des pratiques religieuses très vivaces dans les campagnes, de grandes quantités d’œufs s’accumulaient donc dans les fermes en temps de jeûne. Ils étaient conservés à la cave dans des pots en grés remplis de chaux. Le meilleur moyen de les écouler était de les offrir aux enfants.
Mon père me contait cette coutume encore observée lorsqu’il était enfant … de chœur dans son petit village natal de Picardie. Il parait à l’envol pour Rome des cloches donc silencieuses du jeudi au samedi saint, en faisant tourner le long des rues de Villers-Campsart, une crécelle, la « tortrelle » (de tourterelle), sorte de roue dentée montée sur un manche contre laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible. Ses camarades et lui criaient de loin en loin, selon l’heure, « l’Angélus sonne » ou « Midi sonne » et chantaient le « O Crux ave, spes unica », l’hymne à la croix, devant les calvaires et les chapelles.
Dans chaque ferme, en récompense du service rendu, ils « cueillaient leur pocage » sous forme de pièces en bronze et d’œufs. La bande joyeuse se partageait ensuite plus ou moins équitablement sa collecte, ce qui était source parfois de mémorables batailles d’œufs.
Peut-être alléché par cette tradition, j’émis le vœu d’officier comme enfant de chœur au temps de ma première communion mais mes parents, hussards noirs de la République dans l’âme, y opposèrent un veto formel.
Mon frère conserve comme relique, la fameuse crécelle, parfois nommée aussi « raquette » en Belgique. Imaginer cependant un racket d’oeufs chez nos voisins d’outre-Quiévrain, constituerait pure malveillance étymologique !

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Au XIIe siècle, les gens de condition modeste commencent à s’offrir le jour de Pâques, des œufs bénis à l’église.
Bientôt, les nobles adaptent cette coutume en s’adressant à des artisans, peintres, graveurs, pour décorer les œufs. Louis XIV distribue à ses courtisans des œufs peints à la feuille d’or.
À la fin du XIXe siècle, le joaillier russe Pierre-Karl Fabergé crée sa célèbre collection d’œufs pour le compte des tsars Alexandre III et Nicolas II.

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Un véritable art de la décoration d’œufs en bois ou pierre polie, subsiste toujours, particulièrement dans les pays de l’Est.
La tradition des œufs en chocolat est finalement récente. En France, ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’on commence à vider un œuf frais pour le remplir de chocolat puis à créer des moules pour fabriquer les œufs dans des tailles variées.
Aujourd’hui, cloches, poules et lapins posent auprès des oeufs dans les vitrines parfois très esthétiques des confiseurs. Hors des considérations commerciales évidentes, ces sujets possèdent une valeur symbolique fondée sur des croyances et des pratiques religieuses ou païennes.

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La tradition des cloches de Pâques naît au VIIe siècle lorsque l’Église interdit de les sonner en signe de deuil pour commémorer la période entre la mort du Christ et sa résurrection. Cessent de tinter également les clochettes d’autel agitées par les enfants de chœur. Durant ce temps de l’événement fondateur de la religion chrétienne, les cloches de métal sont remplacées par divers instruments en bois tels la crécelle de ma grand-mère, le martelet, le claquoir, le batelet, l’écalette.
Les cloches retrouvent toute leur vigueur et carillonnent à pleine volée le dimanche de Pâques pour se réjouir que Jésus soit ressuscité.
L’Église récupère en fait des rites païens très anciens à l’occasion desquels on faisait beaucoup de bruit pour marquer l’accouchement printanier de la nature.
Dans la légende contée aux enfants, les aïeux racontent que les cloches sont muettes parce qu’elles sont parties à Rome recevoir la bénédiction du Pape. Elles en reviennent joyeuses le matin de Pâques, munies d’ailes et de rubans ou transportées dans un char, et surtout, cachant sous leur grande jupe de fonte, quantité d’œufs qu’elles disséminent durant leur vol dans les jardins.
Selon les régions, le motif du voyage romain diffère un peu. En Lorraine, on affirme qu’elles vont déjeuner avec le Pape, en Isère, elles iraient se confesser. J’avoue qu’il y a pourtant mieux à faire un « week-end à Rome, tous les deux sans personne afin de coincer la bulle dans ta bulle, vacances ritales » façon Etienne Daho !

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Suivant les pays, les cloches n’ont pas le monopole des transports d’œufs. Au Tyrol, on préfère la poule comme messagère tandis que les Suisses font confiance au coucou malgré sa mauvaise réputation de placer ses œufs dans le nid des autres … existerait-il aussi des paradis fiscaux chez les volatiles ? En Westphalie, on charge le renard de cette mission bien qu’il ne soit pas toujours très amène avec les poules.

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Dans les pays germaniques et nordiques, c’est le lièvre qui, pour une fois, part à point, pour livrer les oeufs à temps. Il symbolise la fécondité (4 à 8 portées par an), la prolifération et l’abondance. C’était l’animal emblématique d’Ostara, la déesse de la fertilité et du printemps chez les Saxons. « Easter » qui signifie Pâques en anglais, tire son nom de cette déesse.
Vers le XVe siècle, le lapin blanc apparaît associé avec les œufs pour honorer le printemps en Alsace et en Allemagne (l’Osterhas).

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En Australie, depuis quelques années, on remplace le lapin par le bilby de Pâques afin de sensibiliser les enfants et dégager des fonds pour la sauvegarde de ce petit marsupial du désert.
La présence d’une « friture » de poissons dans les œufs de Pâques trouve son origine dans la pêche miraculeuse effectuée par Jésus dans les eaux mortes du lac de Tibériade. Beaucoup plus fort que Blaireau, le braconnier campé par Louis De Funès dans Ni vu ni connu, le savoureux film d’Yves Robert !
L’imagination poétique des écoliers d’un cours préparatoire suggère qu’un matin de dimanche de Pâques, un des œufs lâchés par les cloches, roula dans l’herbe et tomba dans l’eau. Une maman poisson avala ce bel œuf multicolore, décoré de cœurs, de traits et de ronds. Dans son ventre, l’œuf se transforma en de nombreux petits œufs de toute beauté. Lorsque la maman pondit dans l’eau, les œufs libérèrent beaucoup de petits poissons brillants et décorés.
Les grands enfants que nous demeurons ne boudent pas la tradition pascale ; ainsi dans le Sud Ouest, on ne casse pas les œufs sans faire l’omelette du lundi de Pâques.
Dans la ferme familiale d’Ariège, rite jusqu’alors immuable, au dessert, la maîtresse de maison apportait sur la table, l’onctueuse omelette ployée déjà délicieuse en temps normal. On plongeait alors la pièce dans l’obscurité et tandis qu’elle saupoudrait de sucre l’omelette, le regretté patriarche répandait généreusement l’eau de vie de prune maison et craquait l’allumette pour flamber. Instant enivrant de regarder les flammes danser dans des effluves de caramel, avant la dégustation ! Voilà une autre madeleine de Proust !
Toujours en Ariège, à Mazères, les chevaliers de la confrérie « mondiale » de l’omelette pascale confectionnent une omelette de plus de dix mille œufs dans une poêle géante de plusieurs centaines de kilos.
L’omelette est aussi prétexte aux pique-niques en plein air, le lundi de Pâques. Ainsi, une année, je surpris ma nièce et quelques unes de ses amies, sacrifiant à la tradition sur un versant enneigé en surplomb de l’étang de l’Hers, dans les Pyrénées ariégeoises.
Même si les considérations liturgiques ont pris un sérieux coup dans l’aile (de poule), les œufs de Pâques feront encore la joie des petits, ce week-end. Comme il n’a jamais été bon de mettre tous ses œufs dans le même panier et qu’on ne les gagne pas sans rien faire, la tradition de les dissimuler dans le jardin, revient à la mode. Mais attention, notez bien sur un papier toutes les cachettes, cela vous évitera de dénicher un œuf oublié quand vous débarrasserez le potager de ses mauvaises herbes !

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Publié dans:Almanach, Recettes et produits |on 10 avril, 2009 |1 Commentaire »

La bûche de Noël comme chez nous

Déguster la bûche de Noël préparée dans la ferme familiale d’Ariège, est un plaisir attendu qui émoustille les papilles.
Réminiscence des souvenirs de l’enfance et de la cuisine de nos grand-mères, elle constitue un petit bonheur à la manière de la madeleine chère à Marcel Proust. Etrange coïncidence, ces deux pâtisseries se succèdent dans le vieux carnet aux pages jaunies où la maîtresse de maison consigne ses recettes.

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Dans notre époque « bling bling », il est certes des bûches aux textures et aux arômes plus sophistiqués ou au design plus tapageur, mais celle dont je vous parle, possède la simplicité et l’authenticité des plats paysans de cette « terre courage » occitane.
La tradition du gâteau roulé de Noël remonte au XIXe siècle et si j’en crois un récent article paru dans le quotidien La Dépêche du Midi, il aurait été inventé, en 1879, par Antoine Charadot, un pâtissier de la rue de Buci à Paris.
En fait, cette spécialité culinaire reproduit un rite beaucoup plus ancien lié à diverses célébrations du solstice d’hiver telles les feux de joie des celtes. En effet, depuis au moins le XIIe siècle, il était de coutume d’allumer dans l’âtre, lors de la veillée de Noël, une vraie bûche dont la flamme serait un hommage au soleil.

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Le tronc ou la souche, coupés avant le lever du soleil, devaient être suffisamment grands et durs pour se consumer, sinon du 24 décembre à l’Epiphanie, du moins le temps de la veillée dans l’attente de la naissance du divin enfant. Censés garantir une bonne récolte pour l’année suivante, ils étaient choisis, de préférence, dans un bois d’arbre fruitier, symbole de fertilité, comme le cerisier, le noyer, le châtaignier ou l’olivier. Selon les provinces françaises, cette bûche se nomme aussi suche en Bourgogne tronche en Franche-Comté, tréfou dans le Loir-et-Cher, kef Nedeleg en Bretagne, calignaou (bois d’olivier) en Provence.
Tout un cérémonial accompagnait son installation. Décorée de feuillages et de rubans, elle était portée à deux jusqu’à la cheminée puis bénie par le chef de famille, parfois avec de l’huile ou de l’eau-de-vie, souvent avec une branche de buis ou de laurier conservée précieusement depuis les Rameaux. Le rite de l’allumage fluctuait selon les régions et les superstitions. Souvent, il incombait au plus vieux et au plus jeune de la famille. En Provence, auparavant, au seuil de la porte, l’aïeul et le cadet buvaient trois fois du vin en offrande. En Saône-et-Loire, la combustion était surveillée pendant la messe de minuit, par un homme armé d’un fusil pour éviter l’extinction due à un démon malveillant, synonyme d’un futur grand malheur. Dans cette France ancienne fortement rurale, les croyances étaient vivaces. Dans des régions viticoles, on arrosait régulièrement la bûche de sel pour chasser les sorcières, et de vin cuit pour assurer une bonne vendange. Ailleurs, il ne fallait s’occuper du bois qu’avec les mains, aucun instrument ne devant le toucher, ou placer dans l’âtre, autant de bûches que le foyer possèdait d’habitants. Beaucoup d’étincelles embrasant la cheminée promettaient une excellente moisson, l’été suivant, ou un mariage dans la maisonnée ; si la lumière du feu projetait des silhouettes sur le mur, c’était le mauvais présage du décès d’un membre de la famille dans l’année. On conservait les cendres pour se protéger des orages, guérir de certaines maladies ou fertiliser les terres. On promenait aussi la bûche dans le jardin pour éloigner les insectes. Imagine-t-on, de nos jours, dans notre France quoique encore obscurantiste d’une autre manière, deviner à travers la combustion de son insert, l’évolution de la crise économique qui nous secoue ou la résorption du chômage ? Les embûches ne vinrent pas des sorcières éloignées mais de la fée électricité et de la disparition des grandes cheminées remplacées par des poêles en fonte, qui portèrent atteinte à la coutume des bûches brûlées. Dans un premier temps, on imagina un succédané en déposant un modeste tronçon de bois décoré de bougies et de verdure, au centre de la table de Noël. Puis la tradition fut perpétuée avec le délicieux dessert à base de crème au beurre dont la forme rappelle la bûche des âtres d’antan. Ce n’est pas la seule pâtisserie liée au cycle de Noël. Ainsi, en Alsace, le kouglof ou kugelhopf, préparé dans un moule spécial en poterie de Soufflenheim ou Betschdorf, est une brioche qui tire son origine d’une légende prétendant qu’elle fut confectionnée par les Rois Mages pour remercier de son hospitalité, un pâtissier de Ribeauvillé du nom de Kugel.
En Provence, on sacrifie à la fin du souper de Noël, à la tradition des treize desserts, treize comme Jésus et les douze apôtres, « douze assiettes de friandises à base des produits du jardin et du potager et une treizième beaucoup plus belle, remplie de dattes ».
Chez nous, la bûche se prépare la veille de Noël. Bien avant qu’on se lève, la cuisinière enfourne sa pâte génoise puis après cuisson, la laisse reposer, enroulée dans un linge humide. Plus tard, la famille alléchée, assiste à la confection de la crème au beurre parfumée au café ou au chocolat (cette année, c’est café !). A voir leurs yeux écarquillés, certains attendent avec impatience que soit étalée complètement la crème sur la pâte, pour curer le récipient avec le doigt. Encore quelques dessins avec la fourchette pour figurer le lignage du bois et l’objet de toutes les convoitises rejoint le réfrigérateur jusqu’au lendemain.
Quelques instants avant de l’apporter sur la table, la cuisinière orne son œuvre, osons écrire son chef d’œuvre, de quelques attributs, un sapin, une scie, un lutin et sa hache, des baies de houx. Je vous laisse deviner la suite avec un verre de vin moelleux, en l’occurrence, un Pacherenc du Vic-Bilh, vendanges de novembre !

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Le téléphone sonne … une nièce, au travail en ce jour de fête, supplie de lui garder une part ! Elle envisage d’effectuer la recette pour le jour de l’an. Comme ma compagne a, depuis longtemps, assimilé les leçons culinaires de sa maman, la coutume de la bûche de Noël n’est pas prête de se consumer dans la famille.

 


 

Publié dans:Almanach, Coups de coeur, Recettes et produits |on 29 décembre, 2008 |2 Commentaires »

Le Millas d’Ariège

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Lorsqu’on choisit de partager sa vie pour le meilleur et le pire, avec la fille d’agriculteurs ariégeois, le meilleur frise l’excellence dans le domaine culinaire.
C’est ainsi que, pour emprunter à la langue « rappeuse », mes papilles adorent « danser le millas », ce savoureux dessert fait à la ferme familiale.
J’ai, peut-être, trouvé là tardivement ma madeleine, à l’instar de Marcel Proust qui écrit dans « Du côté de chez Swann » : « à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. II m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel ».
J’aime ces recettes de cuisine paysanne qui exhalent le parfum de l’authenticité et qui racontent souvent une géographie économique et sociale à l’échelle d’une région, d’un village voire même d’une ferme. En effet, sans doute moins aujourd’hui, elles sont « faites entièrement maison » à partir des produits de la ferme. Rien ne se perd et tout, à un moment ou un autre, est utilisé pour nourrir humains et bétail.
Dans son remarquable ouvrage « La vie humaine dans les Pyrénées Ariégeoises », Michel Chevalier, professeur à la Sorbonne, écrit qu’à la fin des années 1940, on a tendance à se cacher pour faire le « milhà » car cela « fait pauvre » !
Les temps ont changé et l’on assiste, heureusement, sur les tables bourgeoises et dans les restaurants, à la réhabilitation de ces « plats de pauvres » à la richesse insoupçonnée. Un certain « parisianisme » leur attribue parfois le nom de « plats canailles ».

Jadis substitut du pain, le millas est devenu un dessert qui réjouit les palais d’une assemblée festive ou les vaillants travailleurs de la ferme pendant quelques jours, souvent pour marquer la fin du gavage des canards et oies (en novembre ou décembre) et la cérémonie du cochon (en janvier ou février).
En voici les ingrédients :

- 3 kg de farine de maïs
- 1 kg de farine de blé
- 3 kg de sucre en poudre
- 500 gr de beurre
- 10 litres de lait
- 6 litres d’eau
- 1 litre de rhum
- 1 gros flacon de vanille
- du sel

Il s’agit des proportions pour le grand chaudron en cuivre de la ferme familiale.
Vous les adapterez à votre table sachant que vouloir suivre scrupuleusement les quantités prescrites dans une recette mène souvent à quelque surprise ou déception.
J’apporte mon grain de … maïs en vous recommandant absolument la farine de maïs jaune. Je conserve un souvenir amer, au vrai sens du terme, d’un millas à base de maïs blanc, acheté, un jour de pénurie, au pourtant très pittoresque marché de Samatan dans le Gers.
Il y a encore quelques années, le maïs et le blé de la ferme étaient apportés au moulin de Cazavet, un village voisin, pour y moudre une farine très fine propre à la confection du millas. De même, le lait cru provenait de quelques vaches gasconnes traites dans l’étable attenante au corps d’habitation.
Du temps où plusieurs générations vivaient sous le même toit, la cuisson s’effectuait sur le feu de bois crépitant dans la grande cheminée, élément fréquent des cuisines ariégeoises.
On commence par mettre dans le chaudron, le lait et le gros sel, et porter à ébullition en ajoutant progressivement l’eau pour « rendre le lait plus sage ».
Dès que le lait bout, on délaye la farine de maïs en la versant, poignée par poignée, en pluie. Des bras vigoureux sont nécessaires car Il s’agit de remuer énergiquement pour éviter la formation de grumeaux.
On s’aide, à cet effet, de la « todelha », la toudeille, un long bâton avec des ergots qui a été fabriqué avec une cime de buis dont les branches terminales, 5 en général, ont été coupées à une dizaine de centimètres. On s’en procure facilement, aujourd’hui, chez les quincailliers du Couserans. A Saint-Girons, la maison Savignac est une mine d’or pour les touristes à la recherche de ce type d’objets du terroir tels aussi, les « cassoles » pour les haricots et les parapluies de bergers.
Au bout d’une bonne demi-heure, il est temps d’ajouter, toujours en pluie, la farine de blé, en continuant toujours de remuer pour éviter que la pâte « se prenne » au fond du chaudron.
Compte tenu de la grandeur du chaudron, la cuisson voisine les deux heures. A une demi heure de la fin, on ajoute les morceaux de beurre, le sucre, la vanille ainsi que le rhum. L’eau de vie de prunes de la ferme fait aussi l‘affaire.
Le millas est cuit quand la toudeille tient droite dans la préparation.
Survient alors la seconde étape très spectaculaire de la recette qui réclame, cette fois-ci, le fameux choc thermique tant redouté dans la cuisson de l’œuf à la coque (voir billet du 6 mars 2008).
Auparavant, dans la cour de la ferme, on installe une longue planche sur deux tréteaux qu’on recouvre d’un drap tamisé de farine de maïs. On déverse alors le millas brûlant qui se solidifie au contact de l’air froid (c’est l’hiver, rappelez-vous !) en une couche d’un centimètre et demi, puis on laisse refroidir.

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Quand vient le temps de la dégustation, vous en découpez quelques rectangles, c’est ainsi qu’il vous est vendu sur les marchés, que vous faites dorer à la poêle. Vous saupoudrez de sucre et … hum !, accompagné d’un verre de jurançon moelleux ou de Pacherenc de Vic Bilh, c’est « le petit Jésus en culotte de velours » !
Certains parfument le chaudron d’eau de fleur d’oranger, d’autres, une fois le millas frit, le dégustent avec du miel ou des confitures, ou le flambent. Il existe autant de recettes que de fermières, ce qui est prétexte à maintes joutes oratoires lors de repas de mamies.

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Des esprits chagrins craindront peut-être les poussées de cholestérol envisageables avec cette recette. Je leur opposerai, en guise de clin d’œil, un des dialogues truculents entre Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort, tiré de « Calmos », le film trop méconnu de Bertrand Blier : « Quand les produits sont naturels, il n’y a pas de contre-indication » !
Et puis … « danser le millas », s’il ne faut pas en abuser, il ne faut surtout pas s’en priver trois ou quatre fois par an.

Publié dans:Recettes et produits |on 26 mars, 2008 |11 Commentaires »

L’ oeuf à la coque

Je devine votre sourire moqueur. Vous devez penser que « je fais l’œuf » en inaugurant cette nouvelle rubrique « recettes et produits » avec la recette de l’œuf à la coque. A moins que ceux qui me sont proches pensent qu’avec réalisme, je joue dans la division à hauteur de mes talents culinaires !
Pour justifier ce choix, en préambule, je ne résiste pas à vous citer quelques lignes du philosophe hédoniste Michel Onfray extraites de son traité « La Raison gourmande ». Voici ce qu’il écrivit en réponse à la question qui lui était posée sur ses plus belles émotions culinaires : « Mon meilleur souvenir gastronomique, c’est une fraise dans le jardin de mon père. La journée avait été chaude, un été. Les fraises étaient gorgées de cette chaleur qui brûle les fruits jusqu’au cœur où ils sont tièdes. Les feuilles ne suffisaient pas à faire une ombre qui les protège assez. J’ai détaché l’une d’entre elles. Mon père m’a invité à la passer sous l’eau, selon son expression, pour la nettoyer et la rafraîchir. Le filet descendu du robinet était glacial, procédant des sources qui dormaient sous les jardins. Lorsque je mis la fraise en bouche, elle était fraîche sur sa surface et chaude en son âme, peau douce presque froide, chair tempérée. Ecrasée sous mon palais, elle se fit liquide qui inonda ma langue, mes joues, puis descendit au fond de ma gorge. J’ai fermé les yeux … L’espace d’un instant -une éternité- je fus cette fraise, une pure et simple saveur répandue dans l’univers et contenue dans ma chair d’enfant. De son aile, le bonheur m’avait frôlé avant de partir ailleurs. »
La fraise du philosophe pourrait bien signifier pour moi l’œuf cuit dans sa coque qui a enchanté mon palais dans mon enfance, sans doute moins souvent aujourd’hui.
Le choix de l’œuf est primordial. Ma compagne élevée à l’école de la ferme familiale m’interdit la consommation à la coque de tout œuf de poule non digne de ce nom, c’est-à-dire celui qu’on « cueille », panier à la main, dans le poulailler ou au fond de la grange tel qu’il me plaisait de le faire autrefois chez la « mémé Léontine » qui vous est familière désormais. A défaut, vous vous en procurez une demi-douzaine auprès des quelques fermières qui viennent encore vendre leurs produits au marché hebdomadaire. Sont donc exclus tous les œufs proposés dans les supermarchés sous le vocable de « frais » et « extrafrais » (ponte de 8 jours !!!) même avec la mention « issus de volailles élevées en plein air » ou « pondus sur la paille comme autrefois et ramassés à la main ». Quel pléonasme bien peu savoureux ! J’ai toujours connu les poules s’égayant dans la nature dès l’ouverture du poulailler au risque de voler dans les plumes au passage d’une automobile, à la quête des graines lancées à la volée par la fermière et poussées par le vent, avant de rejoindre leur logis à une heure précoce selon l’expression consacrée (se coucher comme les poules !).
Je vous rassure, bien que sa basse-cour rôdât autour du tas de fumier dans la cour de sa ferme, aucun cas de salmonellose ne fut relevé lors des cent ans que vécut ma grand-mère. Je serai plus sceptique sur la valeur diététique des œufs en poudre reconstitués proposés aujourd’hui à nos chères têtes blondes dans les cantines.
« L’œuf miré » sera gardé au frais au chai ou à la cave, mais en aucun cas dans le réfrigérateur sous peine de connaître quelque désagrément dont je vous entretiendrai bientôt.
Auparavant, il me faut évoquer l’ustensile indispensable, le petit godet creux dit coquetier servant à manger l’œuf à la coque. Il est apparu sous sa forme actuelle sous le règne de Louis XV et on en recense 4 types principaux : le coquetier à pied plus ou moins haut, celui avec une soucoupe attenante dit à « ramasse coque », le « diabolo » double avec des bouts de diamètres différents, enfin le coquetier à « formes » représentant des animaux, des personnages ou autres. Foin des tristes coquetiers en plastique, j’avoue un faible pour les coquetiers en faïence décorée ainsi qu’un diabolo en argent gravé à mes initiales qui me fut offert à mon baptême avec une timbale et un rond de serviette. Certaines personnes dites « coquetiphiles » en font un objet de collection ou « coquetiphilie ». Au 19ème siècle, sur les stands de tir, les forains offraient aux gagnants, des coquetiers en verre grossier donnant ainsi naissance à l’expression « gagner le coquetier » souvent déformée par erreur en « gagner le cocotier ».

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Il est temps de « se faire cuire un œuf » et de porter à ébullition dans une casserole, une quantité d’eau suffisante pour recouvrir les œufs sans cependant déborder et attirer les foudres de la maîtresse de maison qui a les yeux de Chimène pour ses plaques en vitrocéramique (cela sent le vécu !). Souvenir des leçons de choses de votre école primaire, l’eau bout à 100 degrés ou à très peu de choses près selon l’altitude et la pression atmosphérique dans votre cuisine. Vous consacrez le temps d’attente pour les bouillonnements souhaités, à la confection des indispensables « mouillettes », de longues lanières découpées dans un gros pain de campagne.
Le moment est venu de plonger l’œuf dans l’eau avec précaution, en évitant les chocs en particulier le choc thermique. En effet, comme le bain dans une mer trop fraîche, est déconseillé au « gentil membre du club Med » à la peau rouge écrevisse et repu d’un buffet gargantuesque, l’eau bouillante est néfaste à l’œuf trop froid sorti à l’instant du frigo, rappelez-vous, je vous avais mis en garde plus haut. Quelle déception sinon, de voir, à son entrée dans l’eau, se lézarder la coquille laissant apparaître quelques filaments blancs !
Le temps de cuisson est de 180 secondes précises que vous contrôlez à l’aide de votre montre Rolex tendance ou de votre compte-minutes en forme de tomate, selon que vous appartenez ou pas à « la France qui travaille plus pour gagner plus ». En ce qui me concerne, plus traditionnel, j’adorais, enfant, voir s’écouler la partie supérieure du sablier. Durant ces trois minutes, se déroule le phénomène de coagulation par laquelle un liquide organique devient une masse solide. Préférant la poésie plutôt que remplir d’équations le tableau noir, je vous dirai seulement que toute la subtilité d’une bonne cuisson provient de ce que les protéines du blanc de l’œuf coagulent à une chaleur de 57 degrés Celsius bien avant donc celles du jaune qui se solidifieront à partir de 65° C.
Le moment suprême est arrivé, enfin presque car … se profile la délicate opération de découper à l’aide d’un couteau, un petit chapeau dans la partie la plus pointue de l’œuf qui vous brûle les mains, en évitant de faire couler le jaune et de fendiller de part en part la coquille.
Tout en mangeant le blanc du chapeau, on saupoudre la surface du jaune, d’une pincée de sel que l’on délaye doucement avec la pointe du couteau.
Le festin commence. On essuie le couteau enduit de jaune sur la première mouillette que l’on trempe alors dans l’œuf en prenant soin que le jaune ne déborde pas et ne s’écoule le long de la coquille. « Il ne faut pas gâcher », ce serait trop dommage. Tandis que la mouillette enchante votre palais, c’est un régal des yeux de plonger la suivante et de la ressortir habillée de sa robe d’autant plus orange que la poule se sera nourrie des excellents grains de maïs du sud-ouest (pas transgénique, cela va de soi !).
Vous pouvez prolonger le succulent ballet des mouillettes avec la dégustation d’un second œuf… en tout cas, chez moi, c’est la dose. Un pur bonheur !

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Publié dans:Recettes et produits |on 6 mars, 2008 |8 Commentaires »
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