La valse de Pantin
Parce que l’envie me vient d’écrire un billet sur Pantin, voilà que me trotte dans la tête l’air facétieux et poétique d’un Grello. Non, mon orthographe n’est pas défaillante ; il ne s’agit pas d’une clochette mais du regretté chansonnier, prénommé Jacques, créateur de La Boîte à sel, une célèbre émission hebdomadaire d’actualité satirique au temps héroïque de la télévision de mon papa. Outre ses couplets pamphlétaires, il écrivit notamment un bijou de chanson que Guy Béart mit en musique.
Il fait beau ! Une bonne nouvelle vraie, ça vaut l’coup d’en parler, non ?
« Délaissant avant l´heure son torride bureau
L´ami Gaston chez lui est rentré bien trop tôt
Il fait chaud
Il a trouvé sa femme seule avec un monsieur
A part le drap du d´ssus, ils n´avaient rien sur eux
Il fait chaud
Gaston restait sans voix, sa femme ne disait rien
Alors l´autre type a dit « Y a qu´ comme ça qu´on est bien »
Il fait chaud, il fait chaud
« Vous croyez? » dit Gaston, « Je peux vous l´affirmer »
Gaston s´est dévêtu et tout s´est arrangé
Il fait chaud, on peut pas s´fâcher … »
Georges Brassens qui adorait chanter les autres et, à qui justement Jacques Grello offrit sa première guitare, avait modifié ce passage … licencieux : « Elles (les femmes) sont drôlement pin-up, si j’en trouve une qui me veut, j’m’en vais gâcher ma vie pour elle, une heure ou deux ».
Cet après-midi là, tandis que le soleil est parti faire son tour du monde, moi flânant aux alentours de la Villette, sur le chemin de halage du canal de l’Ourcq, la curiosité me pousse au-delà du « périph ».
Sur l’autre rive, au Cabaret sauvage, Dino fait son crooner et Shirley sa crâneuse ! Bon public, j’adore ce duo dont je vous avais parlé dans une mise en scène désopilante du King Arthur, l’opéra d’Henry Purcell (billet du 19 mars 2011).
Je longe le Zénith de Paris. Auparavant, se dressait là une autre salle de spectacle appelée improprement Hippodrome de Pantin. Il s’agissait d’un cirque permanent, situé à proximité de la station de métro Porte de Pantin, qui accueillit par la suite des spectacles musicaux. Parmi les bêtes de scène qui fréquentèrent ce lieu, on relève James Brown, Johnny Hallyday, Genesis, Roxy Music, le groupe Téléphone, The Clash, Éric Clapton et … dans un inoubliable récital, la longue dame brune Barbara.
Tchao Pantin ! Le clin d’œil est trop tentant même si le film qui valut à Coluche le César du meilleur acteur se déroule en fait à la Goutte d’or, quartier crasseux à l’époque du dix-huitième arrondissement de Paris.
Un humoriste peut en cacher un autre. Pantin, commune à part entière de la Seine-Saint-Denis, banlieue nord-est de la capitale, ne perd pas au change. Ainsi, voici ce qu’écrivait Pierre Desproges, avec son humour plus que grinçant : « Avant de mourir, je voudrais remercier tout particulièrement la municipalité de Pantin, où je suis né, place Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval. Et, comme je suis né gratuitement, je préviens aimablement les corbeaux noirs en casquette de chez Roblot et d’ailleurs que je tiens à mourir également sans verser un kopeck. Ecoutez-moi bien, vampires nécrophages de France : abattre des chênes pour en faire des boîtes, guillotiner les fleurs pour en faire des couronnes, faire semblant d’être triste avec des tronches de faux-culs, bousculer le chagrin des autres en leur exhibant des catalogues cadavériques, gagner sa vie sur la mort de son prochain, c’est un des métiers les moins touchés par le chômage dans notre beau pays. » Fut-il entendu, mort le jour de la Saint Parfait, ses cendres ont été mélangées directement à la terre du cimetière du Père-Lachaise, dans un minuscule jardinet sans croix ni dalle, en face des tombes de Frédéric Chopin et du pianiste de jazz Michel Petrucciani dont il brocardait le handicap physique. Étonnant non ?
Desproges faisait souvent référence à Vaquette de Gribeauval dans ses chroniques se targuant d’être la seule personne à connaître cet ingénieur militaire du dix-huitième siècle qui réforma l’artillerie de campagne française.
Pour poursuivre dans la rubrique nécrologie, des personnes illustres ont choisi de se reposer pour l’éternité au cimetière de Pantin. Sans doute, leur présence se justifie par le fait que la nécropole, la plus grande de France avec ses 107 hectares, dépend administrativement de la ville de Paris.
À ma grande surprise, s’y trouve la sépulture du poète Jacques Audiberti cher à Claude Nougaro, un autre souffleur de vers. Je serais plutôt allé me recueillir du côté d’Antibes, rue du Saint Esprit.
Il me plait de rendre hommage également à Jean-Pierre Melville, l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma français. On lui doit treize films admirables dont quelques chefs-d’œuvre comme Léon Morin prêtre, Le Doulos, Le Samouraï, Le Cercle rouge, Le Deuxième souffle, L’Armée des ombres. Immense ! Dans l’au-delà, peut-être devise-t-il de Jean-Paul Belmondo héros boxeur de L’aîné des Ferchaux, avec Alphonse Halimi, ancien champion du monde des poids coq, son voisin dans le carré israélite. Je me souviens d’avoir écouté à la radio avec mon papa, dans ma prime jeunesse, son combat pour le sacre, au Vel’ d’Hiv’, contre Mario d’Agata, un italien sourd-muet.
Le sympathique Alphonse avec son accent pied noir inspira largement Guy Bedos pour son célèbre sketch M’sieur Ramirez. Mémorable fut aussi sa déclaration emphatique après sa victoire à Londres contre un boxeur britannique pour le titre de champion d’Europe : « J’ai vengé Jeanne d’Arc » ! Sacré Alphonse, un sportif attachant dont la fin de vue fut douloureuse.
Plus conforme à l’idée de ce qu’on se fait de Pantin, ancienne ville ouvrière, si vous arpentez les allées du cimetière, vous trouverez aussi les tombes de Damia et Fréhel, chanteuses réalistes extrêmement populaires entre les deux guerres. Marguerite Boulc’h dite Fréhel immortalisa La java bleue qu’on danse (encore de nos jours) les yeux dans les yeux, c’est en fait une valse. Quant à Damia, celle qu’on surnomma la « tragédienne de la chanson », elle a fermé les volets de sa guinguette :
Bien que pur produit de la génération yéyé, ces refrains ont traversé mon enfance tant je les entendis fredonner par mes aïeux. Pour les brocarder effrontément mais affectueusement, il me prenait même parfois de les leur chanter avec cette gouaille caractéristique de l’époque : « Les joyeux triolets de l’accordéon fusent … » Comme un clin d’œil au temps disparu de l’enceinte édifiée sous Louis-Philippe par Adolphe Thiers, dont de rares vestiges sont encore visibles non loin de là, voici encore quelques couplets de la Chanson des Fortifs, un autre succès nostalgique de Fréhel :
« « Le poète en guenille la nuit
Les rodeurs et les filles
Des chansons d’Aristide Bruant
Les héros populaires
Les refrains d’avant guerre
Sont bien loin de nous maintenant
Tout cela disparaît dans la nuit
Et l’on se demande aujourd’hui
Que sont devenues les fortifications
Et les p’tits bistrots des barrières
C’était l’décor de toutes les chansons
Des jolies chansons de naguère
Où sont donc Julot
Nini, Casque d’or
Et P’tit Louis l’costaud
Si célèbre alors
Que sont devenues les fortifications
Et tous les héros des chansons … »
En effet, qu’est devenu le P’tit Boscot évoqué par Berthe Sylva ? Un gamin de Paris semblable à celui qui offrait des roses blanches à sa jolie maman …
« …C´est aujourd´hui dimanche et jour de fête
le p´tit Boscot se promène à pas lents
une fleuriste il hésite s´arrête
et fait le choix d´un bouquet d´œillets blancs
puis il s´en va portant sa blanche gerbe
mais il rencontre un groupe d´ouvriers
tiens dit l´un d´eux le Boscot il est superbe
mais ma parole il va se marier
« hé! présente-nous donc ta gosse
elle doit avoir aussi une bosse
un œil de verre un faux menton
donne donc ces fleurs, espèce d´avorton »
Dans ses grands yeux tout remplis de souffrance
on voit perler des larmes de dépit
et brusquement le p´tit Boscot s´élance
pour s´emparer des fleurs qu´on lui ravit
pâle et tremblant d´un geste de colère
il ressaisit deux œillets tout meurtris
et les cachant sous sa veste légère
d´un pas pressé tristement il s´enfuit
Il n´est pas bon quand il est en colère
suivons-le donc nous allons rire un brin
le p´tit Bosco les mène hors la barrière
sans s´inquiéter il poursuit son chemin
voici Pantin et son vieux cimetière
le p´tit Bosco pénètre lentement
les ouvriers gênés suivent derrière
saisis soudain d´un noir pressentiment
« là devant une croix de pierre
le p´tit Boscot est en prière
on voit sur l´humble monument
ces mots » à ma chère maman »
Dans ses grands yeux tout remplis de détresse
on voit perler des larmes de douleur
pieusement le p´tit Bosco se baisse
pour déposer ses deux modestes fleurs
d´un geste ému retirant leurs casquettes
les ouvriers s´approchent doucement
pardon petit vois-tu nous étions bêtes
reprends tes fleurs pour ta chère maman. »
Il y a une vie, la nuit tombée, au cimetière de Pantin à en croire la chanson sacrilège de Pierre Perret :
» Ils se sont rencontrés au cimetière de Pantin
Sur le coup de minuit ils se sont fait coucou
Elle, elle piquait des fleurs sur la tombe des voisins
Lui, déterrait les morts pour piquer leurs bijoux
À leur sortie de prison dans un élan tacite
Ils firent de grands projets, c’est ainsi qu’ tous les soirs
Il lui passait le rouleau contre la cellulite
Pendant qu’elle, en échange, elle lui enlevait ses points noirs…«
Un autre héros de chanson cher à Renaud crèche là pour toujours :
« Pauv’Dédé aujourd’hui est au cimetière d’Pantin.
Sur sa tombe on a peint deux band’s blanches, c’est super
Sa bagnole crève douc’ment tout au fond du jardin
D’un pavillon d’banlieue près d’la ligne de ch’min d’fer.
Les poules ont fait leur nid sur les sièges éventrés,
La rouille a tout bouffé, la peinture et les chromes,
Le pare-brise et les phares dégommés par les mômes,
Il reste bientôt plus rien d’la pauv’ tire à Dédé. »
Les murs de soutènement du boulevard périphérique favorisent quelques squats glauques et graffités, déserts en ce début d’après-midi. On y récupèrerait presque des débris de l’épave désossée de la tire à Dédé. L’espace de quelques mètres, j’ai l’impression de traverser une « zone » oppressante qui sépare la capitale de la banlieue. Est-ce pour me donner du courage, Serge Reggiani chante dans ma tête Paris ma rose :
« Où est passée Paris la rouge?
La Commune des sans-souliers?
S´est perdue vers Aubervilliers
Ou vers Nanterre l´embourbée
Paris la rouge … »
C’est la question que je me pose tandis que devant moi, surgissent les anciens Grands Moulins de Pantin.
J’ai toujours été intrigué par cette imposante architecture industrielle en brique blonde du Nord, que l’on repère loin à l’horizon depuis les points hauts de Paris, Montmartre et les parcs de Belleville et des Buttes Chaumont.
Le poète beauceron Gaston Couté n’a certes pas rimé sur les moulins sans ailes de Pantin et pour cause, et Michel Legrand n’a pas trouvé là non plus l’inspiration pour les moulins de son cœur.
La présence d’un premier moulin dit Stanislas, du nom de son créateur Abel Stanislas Leblanc minotier briard, est attestée dès 1882. La fin du XIXe siècle voit les grandes minoteries industrielles supplanter les moulins artisanaux. La proximité du canal de l’Ourcq et du réseau ferroviaire de l’Est favorise l’installation de ces nouvelles infrastructures destinées à alimenter la capitale en farine à partir de la plaine céréalière de la Brie. Ainsi, le moulin peut facilement recevoir et expédier les blés et la farine par wagon et péniche.
Consécutivement à une restructuration (déjà à l’époque), la société de Strasbourg-Port du Rhin devient actionnaire majoritaire, fonde en 1921 la société des Grands Moulins de Pantin-Paris et choisit un architecte alsacien Eugène Haug pour en concevoir l’agrandissement et la reconstruction. Ainsi s’explique l’architecture d’inspiration régionale alsacienne avec son beffroi et les toitures à pans brisés.
Endommagés en 1944 par l’explosion d’une péniche minée, le moulin, les silos et la chaufferie sont alors restaurés dans le respect du style initial par l’architecte Jean Bailly qui construit de nouveaux éléments comme la semoulerie.
Les Grands Moulins de Pantin compteront plus de 400 cents salariés. Mais la baisse de la consommation du pain, la concurrence des farines étrangères vont amorcer leur déclin.
En 1994, le céréalier Soufflet, conjointement avec les grands moulins de Corbeil, reprend le site. En 2001, il ferme définitivement la meunerie.
Meunier (Immobilier) tu dors ? Non, il y a du blé à se faire ! Cette filiale du groupe BNP Paribas rachète le bâtiment et décide de sa transformation en bureaux.
Après plusieurs années de travaux de réhabilitation, plus de 3000 salariés de BNP Paribas Securities Services emménagent à partir de la fin 2009.
BNP Paribas la banque d’un monde qui change ! Le slogan illustre bien la reconversion industrielle vers des activités tertiaires, du moins dans son aspect architectural.
Bernard Reichen, l’architecte en charge du chantier, a remodelé le site avec pas mal de goût, en combinant le verre moderne et la brique de l’ancienne minoterie qui a retrouvé son élégante couleur jaune crème. Il ne s’agissait pas de faire un musée de la meunerie mais de caser 25 000 m2 de bureaux : pour ainsi dire, une valse des Pantin d’autrefois et d’aujourd’hui.
En errant autour des bâtiments hautement sécurisés (on ne rentre plus comme dans un moulin !), j’essaie de repérer quelques éléments lisibles du passé. Le transbordeur, sorte de tapis roulant qui acheminait blé et farine, plonge toujours vers le canal. Désormais, il a vocation d’accueillir des expositions.
L’énorme chaudière américaine de Babcock & Wilcox installée en 1925 est conservée dans un des bâtiments de verre et aluminium, à l’abri des regards des curieux.
Pour franchir le canal, j’emprunte le quai du nouveau tramway. « Ce n’est pas une femme, c’est une apparition ». Ainsi Antoine Doinel parlait de Fabienne Tabard alias Delphine Seyrig dans Baisers volés de Truffaut. C’est une agréable surprise d’entrer dans Pantin par une rue dédiée à la militante féministe et à la comédienne à « la voix de violoncelle ».
Au bord de canaux plus romantiques que celui de l’Ourcq, elle obtint, à la Mostra de Venise, la coupe Volpi de la meilleure actrice pour son interprétation dans Muriel.
À quelques mètres des anciens moulins, se dresse une grande cheminée blanche, l’ultime vestige d’une autre friche industrielle, l’ancienne blanchisserie Elis. Panaches et volutes de vapeur d’eau ne se découperont plus dans le ciel de Pantin.
Pendant plusieurs siècles, les lavandières parisiennes lavèrent le linge des habitants de la capitale sur les rives de la Seine. En 1623, le premier lavoir flottant fut établi à Paris, à bord d’un bateau amarré sur le fleuve.
À la fin du XIXe siècle, Théophile Leducq, un ingénieux chef d’entreprise, eut l’idée de fournir de grands établissements comme des hôpitaux, hôtels, restaurants, bouchers, coiffeurs, en linge et vêtements de travail, ainsi que d’en assurer l’entretien. Après s’être installé quelque temps rue de Flandre à Paris, il implanta son usine à Pantin, en bordure du canal de l’Ourcq. Une nappe phréatique peu profonde facilitait l’approvisionnement en eau chaude et douce. D’autre part, il bénéficiait de la proximité de plusieurs entreprises de matériel pour blanchisserie, savonniers, fabricants de lessive et d’eau de Javel.
Où est passé Pantin la rouge ? La blanchisserie Elis a migré à un peu plus d’un kilomètre de là.
À Pantin, il n’y a pas que le vendredi que tout est permis. Comme le fameux décor penché de l’émission d’Arthur, un élément cubique d’un immeuble en verre a basculé par l’imagination de son architecte.
Quelques pas plus loin, c’est la récréation à l’école maternelle de la Marine. Ce clin d’œil à la géographie locale évite toutes les susceptibilités d’opinions qui naissent lorsqu’il s’agit de baptiser une rue ou un établissement public. Quoique quelque esprit tordu y trouvera une possible confusion avec une passionaria d’extrême-droite. Heureux moussaillons qui, en sortant de l’école, peuvent faire le tour de la terre en bateau à voiles avec le soleil.
En face, Brunello, restaurant bobo, succède peut-être à un « doux caboulot plein de populo » cher à Francis Carco et Juliette Gréco.
Le Centre National de la Danse s’est installé à deux pas. On y pratique sans doute plus des formes modernes de chorégraphie que les valses musette des guinguettes d’antan.
Á proximité de la passerelle suivante, des fresques déclinant en plusieurs langues le mot solidarité couvrent les murs de la Maison des Associations, des Alternatives et de la Formation. Ici, la lutte contre l’exclusion n’est pas une vaine expression. L’association rassemble notamment un centre de formation contre l’illettrisme, un restaurant, une coopérative de distribution, un atelier de théâtre, un journal … Il fait beau aussi dans les cœurs à Pantin.
Au fronton d’un bâtiment ancien, je remarque qu’on y fabrique des coupes ; des médailles et des trophées. Bon prétexte pour vous dire que la Grande Guerre minait encore le pays quand l’Olympique de Pantin remporta la première Coupe de France en battant le Football Club de Lyon trois buts à zéro. L’événement se déroula, le 5 mai 1918, devant 2 000 spectateurs enthousiastes, au stade de la Légion Saint-Michel, rue Olivier de Serres, dans le XVe arrondissement de Paris.
Une gazette de l’époque rapporte que les joueurs banlieusards, tout de blanc vêtus, levèrent fièrement le trophée de 3,200 kg d’argent posé sur un socle marbré des Pyrénées, réalisé par l’orfèvre Chobillon.
Le club, fusionnant peu après avec le Sporting Club de Vaugirard, devint l’Olympique de Paris et fut encore finaliste de la Coupe de France en 1919 et 1921. Il jouait alors au stade Bergeyre, du nom d’un joueur de rugby mort durant la première guerre mondiale, construit boulevard Simon Bolivar près des Buttes
Plusieurs matches de football des Jeux Olympiques de 1924 s’y disputèrent. En 1923, Paul Souchon le décrivit ainsi dans son recueil Les Chants du stade : « C’est un plateau de gazon, / Une île claire et tranquille / Que vient battre à l’horizon / Le flux de l’immense ville » … qui aiguisa bientôt l’appétit des promoteurs immobiliers. Cette aire sportive fut démolie en 1926 pour laisser place à un lotissement d’habitations, l’actuelle butte Bergeyre.
Où est passée Pantin la rouge, l’ouvrière, l’ancienne cité communiste ? Voici qu’elle fait de l’œil désormais au monde du luxe. Hermès, la marque de l’emblématique carré de soie, ainsi que Chanel, la maison au double C, s’y implantent avec une certaine discrétion.
Pour être précis, le célèbre couturier était pantinois depuis longtemps à travers sa filiale Bourjois … avec un J comme Joie, comme le scandait Charles Trenet dans une réclame radiophonique. L’intention de ce slogan était, en empêchant la confusion, d’élargir sa clientèle au-delà des « bourges ».
Une usine à vapeur fut construite à Pantin en 1891, non loin des abattoirs de la Villette qui fournissaient les graisses et suifs pour la fabrication des produits de beauté. Ça vous donne toujours envie de vous maquiller chères lectrices ?
Aucun signe extérieur de richesse et de la marque, Chanel a installé son laboratoire de recherche et développement des cosmétiques et parfums dans un immeuble, à son image, d’architecture classique et élégante. Je serais curieux de connaître le sentiment de ses salariés qui ont migré depuis Neuilly et Sophia Antipolis sur la Côte d’Azur.
Choc de deux mondes, en face, sur l’autre berge du canal, les graffeurs s’en donnent à cœur joie en bombant les façades d’un ancien bâtiment des douanes et de réserve de grains, bientôt réhabilité. En 2015, BETC, la première agence française de publicité, y fera entrer ses designers, graphistes et directeurs artistiques.
E la nave va, pour quelques mois encore, l’immense vaisseau peinturluré offre un faux air de décor fellinien.
Est-ce Desproges qui déteint sur moi, je me surprends à photographier deux blacks devant les nouveaux locaux de la blanchisserie Elis.
Je m’enfonce quelques minutes dans le vieux Pantin pour retrouver quelques vestiges de l’intense activité industrielle d’autrefois. Non loin de l’église, subsiste un pavillon de l’ancienne manufacture des tabacs créée en 1876, transformé en maison du tourisme.
Ici, à la fin du dix-neuvième siècle, les ouvrières fabriquaient les cigares « favoritos », « milares » et « londrecitos ».
Le temps me manque pour me rendre à l’emplacement des anciens ateliers de l’entreprise mythique Motobécane qui naquit à Pantin en 1924, à l’initiative de Charles Benoît et Abel Bardin. En sortit, à l’époque, un modèle à fourche pendulaire équipé d’un moteur deux temps bicylindre de 175 cm3 à transmission par courroie. En 1926, fut créée la marque Motoconfort (à la dénomination plus flatteuse que la populaire bécane), avec la sortie de la première moto de grosse cylindrée, la MC1 de 308 cm3. En 1929, débuta la production des BMA, bicyclettes à moteur auxiliaire, une idée qu’on soupçonna d’avoir reprise à son compte le champion cycliste suisse Fabien Cancellara lors d’un récent Paris-Roubaix !
Aujourd’hui, des galeries d’art guignent le lieu pour l’architecture des halles métalliques surmontées de toitures en sheds et lanterneaux.
Progressivement, Pantin accomplit sa mutation et réhabilite ses friches industrielles.
Sur le chemin du retour, je m’éloigne du canal pour replonger dans le passé de Pantin la sombre. Cap vers la rue Cartier-Bresson … comment a-t-on pu donner à cette artère assez sordide en bordure du quai de l’ancienne gare de marchandises, le nom de l’illustre photographe ? Renseignement pris, c’est en fait, un hommage à ses aïeux qui, en 1925, installèrent une manufacture de coton à Pantin. Le fil de base, produit par les usines Thiriez, y était traité, teinté et mis en bobines.
Voici comment Henri parlait de son père : « Mon père respectait infiniment ses salariés. Il restait attentif. Jamais, il n’aurait licencié un ouvrier. Il ne disait jamais qu’il était dans les affaires mais qu’il dirigeait une affaire. Nuance ! Il ne raisonnait pas en capitaliste, il ne croyait pas dans le capital. La preuve, c’est que, plus tard, il n’a pas su manœuvrer, faire comme les industriels du Nord qui s’alliaient dans la finance et trouvaient les bons associés… C’est comme ça que l’entreprise a périclité. » Des propos qui semblent surréalistes aujourd’hui.
Je ne peux malheureusement accéder au quai aux Bestiaux ainsi nommé parce qu’on y débarquait au dix-neuvième siècle, les bœufs, veaux, moutons et porcs destinés aux proches abattoirs de la Villette.
La mort fut souvent au bout des voies. Dès 1870, la gare fut réquisitionnée pour les soldats en partance pour le front.
Pire encore, elle possède le triste privilège d’avoir acheminé le 15 août 1944 le dernier convoi de déportés français à destination des camps de Buchenwald et de Ravensbrück. Ce jour-là, ce sont près de trois mille personnes qui s’entassèrent par centaine dans des wagons à bestiaux « hommes 40, chevaux en long 8 ».
Métaphoriquement, le quai aux Bestiaux de Pantin n’avait jamais aussi honteusement porté son nom.
Drancy, Le Bourget, Bobigny, Romainville et Pantin, la Seine-Saint-Denis fut la plaque tournante de l’abominable crime commis contre l’humanité (voir billet du 12 mai 2013 Un dimanche entre Drancy et Bobigny … avant Auschwitz).
« … Dans ce monde truqué de quelle drôle de guerre
Tout ceux qui font le front le bradait à l’arrière
Nous n’avions que dix ans et dans nos gibecières
Une histoire de France qui tombait en poussière
On nous a fait courir, traverser des rivières
Sur des ponts d’Avignon qui dansaient à l’envers
Ça tirait par devant, ça poussait par derrière
Les plus pressés n’étaient pas les moins militaires
On nous a fait chanter pour un ordre nouveau
D’étranges Marseillaises de petite vertu
Qui usaient de la France comme d’un rince cul
Et s’envoyaient en l’air aux portes des ghettos
Et je me souviens, la petite juive
On lui a dit viens
Elle était jolie
Elle a fait sa valise
Un baiser de la main
Elle s’appelait Lise
Il n’en reste rien … »
Je me souviens de Maurice Fanon. Fils d’une mère institutrice dans un bourg beauceron (non loin des moulins chers à Gaston Couté) et d’un père vendeur de fournitures scolaires, professeur d’Anglais au lycée Buffon, il écrivit, dans les années 1960, de superbes chansons. Sa petite juive était à l’époque l’une des rares chansons, avec Nuit et Brouillard de Jean Ferrat, à évoquer l’antisémitisme et la déportation, et pour cette raison trop boycottée par la radio et la télévision. On entend par contre encore relativement souvent sur les ondes L’écharpe, ce souvenir de soie qu’il portait à son cou en souvenir de sa femme Pia Colombo.
C’est de circonstance, surgit aussi de ma mémoire, un autre personnage de ses refrains, Jean-Marie de Pantin, tourneur à Saint-Denis.
« Je vais vous le montrer mon pas de Calais » ! Cela me rappelle Coluche, j’y reviens, et son sketch du Belge apercevant le panneau Pas-de-Calais sur le bord de la route : « Ils exagèrent, une fois … ils l’auraient dit, je n’serais pas venu ! »
Plus sérieusement, savez-vous qu’outre sa signification territoriale comme département (avec deux traits d’union), le pas de Calais possède aussi une valeur maritime. Il s’agit du passage entre la France et l’Angleterre, qui devient chez nos voisins anglais the Strait of Dover, le détroit ou pas de Douvres. Marquant la limite entre la Manche et la Mer du Nord, il s’appelait « pas Piquart » (de Picardie) au XIVe siècle.
Je dis bientôt au revoir à Pantin sans avoir croisé qui je rêvais. Non pas Jean-Marie mais Jacques de Pantin, Jacques Higelin qui a élu domicile ici, depuis quelques années, dans un beau repaire (le nom de son dernier opus et d’une rue de Pantin), un ancien relais de poste.
Je repasse sous le périphérique Seul :
« … J’adore me balader seul dans des châteaux hanté par des poètes
Le corps secoué de frissons en leur chantant tout ce qui me passe par la tête … »
En la circonstance, c’est un château de l’industrie des années 20 hanté aujourd’hui par des gens sûrement moins poètes mais qui continuent à faire du blé au sens argotique du mot.
On dirait du Trenet, l’autre fou chantant :
« … Je chante sur mon chemin.
Je chante, je vais de ferme en château.
Je chante pour du pain, je chante pour de l’eau … »
