Mardi 7 octobre, fin d’après-midi à Dinard, station balnéaire de l’Ille-et-Vilaine: je foule le long tapis rouge (encore protégé d’un film plastique) qui mène au Palais des Arts et du Festival (PAF) pour retirer mon pass d’accès au Festival du Film Britannique.
Un sésame de plus en plus difficile à obtenir tant cet événement dédié à la production cinématographique d’outre-Manche connaît un succès grandissant au fil des années.
Il fête son vingt-cinquième anniversaire et pour comprendre sa notoriété, il suffit de lire son palmarès. Parmi les films primés, on relève notamment The Full Monty, Billy Elliot, Bloody Sunday, La Jeune fille à la perle, We want sex equality, des œuvres qui firent une carrière internationale par la suite.
Pour ma part, c’est la septième fois que je fréquente les lieux de projection à proximité de la plage de l’Écluse au bout de laquelle un Alfred Hitchcok de bronze, cravate au vent, accueille sur ses épaules, deux de ses célèbres Oiseaux et même, souvent, de vrais goélands en plumes et en os.
La statue fut inaugurée à l’occasion de la vingtième édition du festival, après avoir connu quelques tourments évoqués dans deux de mes anciens billets :
http://encreviolette.unblog.fr/2008/05/18/sueurs-froides-a-dinard/ et http://encreviolette.unblog.fr/2008/07/30/sueurs-froides-a-dinard-epilogue/
Sir Alfred qui ne séjourna pas et ne tourna jamais à Dinard, contrairement à ce que colporte une légende complaisante, fournit sa ventripotente silhouette au Hitchcock d’or, la récompense suprême de la compétition. Relooké par un artiste local, il a subi, cette année, un régime minceur, « une façon de se projeter dans l’avenir en gardant un pied dans le passé » aux dires de la nouvelle mairesse.
En effet, lors des dernières élections municipales, la ville de Dinard a choisi une nouvelle majorité de droite farouchement dissidente de la précédente (également de droite) dont la tête de liste était une des deux chevilles ouvrières du festival. Autant dire que les Dinardais et Dinardaises sont curieux de découvrir et de papoter sur les changements positifs ou négatifs dans l’organisation. Mais cela ne me regarde pas même si mon regard étranger aura pu se forger son propre ressenti.
En cette veille d’ouverture, loin de ces querelles byzantines, je jette un œil à l’affiche qui est offerte avec le catalogue des films à tout festivalier possesseur d’un pass ou d’une accréditation.
Son aspect en noir et blanc fait, paraît-il, référence à la colonie britannique qui, au milieu du dix-neuvième siècle, débarqua à Dinard contribuant à la notoriété de la station balnéaire. Une église anglicane fut même construite à cette époque.
Trait d’humour, une froggy, surnom populaire de « mangeur de grenouille » attribué à nos compatriotes par nos voisins de la perfide Albion, est affublée d’une casquette de la Royal Navy. C’est l’entente cordiale cinématographique.
Mercredi 8 octobre : cette nuit, des trombes d’eau se sont abattues sur la côte d’émeraude. Il pleut, il mouille, c’est la fête aux froggies confrontés à un sacré dilemme : s’encombrent-ils ou pas d’un parapluie ?
Les baleines qui viennent s’échouer dans l’œil du voisin dans les files d’attente, les pépins qui s’égouttent sur les genoux entre les rangées de fauteuils, avec mon fidèle compagnon d’aventures cinéphiliques, nous prenons le risque de braver tête nue vents et grandes marées. Un coefficient de 102 conduit les organisateurs prévoyants à interdire l’entrée à la salle du Balnéum par la digue.
Ce n’est pas notre problème puisque les trois premiers films en compétition que nous choisissons de visionner sont projetés au palais des festivals.
En ouverture à dix heures, ’71 est le premier long-métrage du réalisateur Yann Demange, né à Paris d’une mère française et d’un père algérien avec lesquels il partit à Londres à l’âge de deux ans. C’est dire que The Troubles du conflit nord-irlandais envahirent son inconscient comme un bruit de fond de son enfance.
Le film comme le titre l’indique se déroule en 1971. En pleine guerre civile, Gary, une jeune recrue anglaise, est envoyé sur le front. Belfast vit une situation plus que confuse, divisée entre les loyalistes-unionistes (principalement protestants) et les républicains-nationalistes (principalement catholiques). Lors d’une patrouille dans un quartier en résistance, son unité est coincée dans une embuscade. Gary se retrouve seul en territoire ennemi …
Suite à la séance, certains spectateurs dénigreront le film considérant qu’il n’apporte rien d’original après Bloody Sunday et Hunger (sur la grève de la faim de Bobby Sands), deux œuvres majeures sur la guerre d’Irlande du Nord plébiscitées au festival, il y a quelques années.
La remarque est recevable sauf que le propos de Yann Demange ne se veut pas une thèse politique sur le conflit. Il envisage son film comme un thriller dépassant même le strict contexte irlandais. La course poursuite pourrait se situer en Irak ou en Afghanistan.
On se retrouve au cœur de l’action à travers le point de vue de Gary. On ne nous livre aucune information avant lui, on est avec lui, aussi paumé que lui, et c’est ce qui est prenant : il a dix-huit ans, il débarque sans savoir où il met réellement les pieds, les protestants, les catholiques, l’I.R.A, des infiltrés dans chaque groupuscule, et des infiltrés parmi les infiltrés … Mais comme il est dit à la fin du film, l’armée ne lâche jamais ses hommes !
Comme souvent dans les films britanniques, il y a une brochette d’excellents acteurs, ainsi le héros Jack O’Connell qu’on vit déjà à Dinard comme adolescent dans This is England de Shane Meadows et comme horrible chef de bande dans l’excellent film d’horreur Eden Lake.
Bon public, je glisse mon bulletin « J’ai bien aimé » dans l’urne à la sortie de la salle.
Le temps de dévorer rapidement un sandwich américain au thon au bar lounge du PAF, et me voilà déjà de retour dans la file d’attente, aux marches du palais, et sous le soleil, pour la projection à 14 heures de Lilting ou la délicatesse, premier long métrage de Hong Khaou, un réalisateur d’origine cambodgienne qui a vécu au Vietnam avant de s’installer à Londres. Lilting est un mot anglais presque intraduisible en français au risque de vider l’atmosphère qu’il décrit d’une partie de son sens. Il est choisi justement peut-être à bon escient car c’est sur le problème de la langue, de la traduction, de la communication, de la difficulté et de la frustration de ne pas pouvoir se parler et se comprendre, que repose ce film très intimiste. Que de barrières si l’on y ajoute de surcroît l’écart générationnel et les différences culturelles !
http://www.dailymotion.com/video/x266xcj
Junn, une mère sino-cambodgienne, magnifiquement interprétée par Pei-Pei Cheng, avait choisi l’immigration en Angleterre avec son mari pour offrir une vie meilleure à leur fils Kai.
Devenue veuve, dans l’impossibilité de vivre seule, son fils, à contrecœur, l’installe dans une maison de retraite de bonne qualité. Parmi les pensionnaires, il y a même un vieux beau célibataire rigolo et entreprenant qui en pince pour elle. Avide de bisous, il en vient même à envisager la prise de petites pastilles bleues ; j’ai adoré l’image, « le pic du Fuji-Yama joue l’Arlésienne » (!).
Tout bascule lorsque Kai décède accidentellement. Junn se cloître dans son deuil. C’est alors que le jeune Richard, interprété par le beau Ben Wishaw (aux dires des spectatrices), entre en scène. Compagnon de Kai, il se rapproche de sa mère Junn, la seule personne qui comptait vraiment aux yeux de Kai. Pour tenter de communiquer avec elle, partager ensemble leur deuil, et probablement lui avouer son coming out, il engage une jeune et jolie traductrice qui va dépasser ses strictes attributions. Il apparaît même que les personnages se comprennent moins bien à partir du moment où saute la barrière de la langue : « Pouvez-vous lui demander quelle est sa couleur préférée ? » suggère Allan le soupirant de Junn.
Avec le recul de quelques jours, je reconnais au film plus de subtilité, de maîtrise et de profondeur que je n’en avais perçues à la projection. Par petites touches, sans être manichéen, ni démonstratif, le réalisateur nous offre un film d’amours (pluriel employé sciemment) sensible, grave et léger, une réflexion sur le deuil également.
Bref, un film beaucoup plus DÉLICAT que l’horrible papier à motifs fleuris des murs de la maison de retraite sur lequel le film s’ouvre dans un long travelling ! Je glisse dans l’urne le bulletin I like it a lot, traduction au dos « J’aime bien ». Il plaira aussi sans doute aux septuagénaires dinardaises compte tenu des autres films en compétition …
Elles ne savent pas encore ce que leur réserve, à la séance suivante dans la même salle, Catch me Daddy, premier long métrage du réalisateur Daniel Wolfe, projeté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes.
Un jeune couple d’amoureux vit dans une caravane dans un camping des Moors, un parc naturel du Yorkshire au nord de l’Angleterre. Elle, Laila, fille aux yeux d’or, appartient à une famille pakistanaise et travaille un peu dans un salon de coiffure. Lui, Aaron, est un blanc anglais à l’accent incompréhensible qui occupe son temps à boire des stouts et fumer des trucs euphorisants. Ils ne font rien de vraiment répréhensible, s’amusent surtout et dansent souvent sur des airs de Patti Smith. Ils se cachent du père de Laila qui refuse le mode de vie occidental de sa fille. Pour y mettre fin, il envoie son fils aîné à sa recherche, accompagné d’hommes de main « Pakis » et de deux chasseurs de primes anglais.
On est dans le réalisme social cher au cinéma britannique même si l’histoire digne d’un western, est traitée comme un thriller dans une Angleterre glauque, une campagne triste, des terrains vagues, des murs de briques et des fast food pakistanais, le décor constituant un personnage important et nécessaire du film. Le scénario est inspiré d’un article de presse relatant un crime d’honneur dans la communauté pakistanaise.
Ce suspense se déroule la nuit, au mieux à la lueur blafarde de néons, et connaît un dénouement inattendu et dramatique que je ne vous dévoile pas ici.
Quitte à subir les foudres des « dinardaises septuagénaires » horrifiées (!), j’assume mon bulletin J’ai bien aimé.
Et qu’on me laisse tranquillement déguster ma pression de l’abbaye d’Affligem sur les coussins de la terrasse du bar la Fonda, à quelques pas de la salle Bouttet où je prévois d’assister, à 19 heures 30, à la projection de The Goob, quatrième film de la sélection officielle.
Présenté au dernier festival de Venise, The Goob du réalisateur Guy Myhill se déroule en été, en pleine vague de chaleur, à l’Est de l’Angleterre, dans la campagne du comté de Norfolk, dévastée elle aussi par la crise et la violence.
Dans la scène d’ouverture, cérémonial de fin d’année scolaire, Goob Taylor, adolescent de 16 ans, est dépouillé de son uniforme de lycéen dans le bus qui le ramène dans sa famille pour les vacances d’été. « Tire-toi de ce trou à rat » lui conseille le chauffeur à la descente du car. La morale du film est déjà énoncée. On ne pourra qu’y adhérer tant l’atmosphère est nauséabonde.
La mère célibataire de Goob qui tient une modeste cafeteria s’est entichée comme compagnon, de Womack, un cultivateur de potirons et coureur de stock-car, mais surtout une véritable ordure superbement interprétée par Sean Harris. Limite psychopathe, non satisfait de ses ébats avec sa femme, il se lie en secret avec la fille et fantasme sur ses employées saisonnières. Exerçant une véritable tyrannie, il tente d’éliminer tous ceux qui peuvent constituer une entrave dans sa chasse, jusqu’à faire surveiller, jour et nuit, ses champs de courges depuis un abri de fortune à demi enterré.
Goob, fasciné par le charme d’Eva la belle saisonnière, se met à rêver d’une vie meilleure mais l’emprise du chef de meute s’exercera avec cruauté.
Je retrouve dans The Goob, des accents stylistiques de The Selfish Giant de Clio Barnard, le Hitchcock d’or l’année dernière. Comme dans une épreuve de stock-car, beaucoup d’éléments narratifs réalistes et poétiques s’entrechoquent. On espèrerait que Goob trouve sa charmante princesse dans les citrouilles mais, plus que des rêves, il vit au milieu des raves autour des feux de camp sur une bande son aussi country qu’électronique.
J’ai (encore) bien aimé ! Voilà qui conclut agréablement ma première journée de festival.
Pour cause de changement de propriétaire au Café Anglais, je me réfugie À l’abri des flots pour savourer une délicieuse choucroute de la mer arrosée d’un muscadet sur lie bien frais. Les bonnes habitudes ne se perdent pas d’une année sur l’autre !
La journée de jeudi débute comme elle s’est achevée la veille : autour d’une bonne table, à la salle Bouttet ! Ça tombe bien car le petit déjeuner a été frugal, la machine à café ayant rendu l’âme.
Le « pitch » de The Trip to Italy, film hors compétition en avant-première, de Michael Winterbottom est alléchant : Deux hommes, six repas dans six endroits différents pour une balade en mini Cooper à travers l’Italie, du Piémont à Capri, en passant par la Riviera Ligure, la Toscane, Rome et Amalfi.
Trois ans après qu’il leur eut demandé (dans The Trip) d’explorer la région des lacs et les Dales (vallons) du Yorkshire pour y évaluer les meilleures tables, Winterbottom récidive en envoyant cette fois les comédiens britanniques Rob Brydon et Steve Cogan faire un reportage sur de grands restaurants de la botte, pour le compte du journal The Observer.
A mobile feast of food ! Dont on ne peut apprécier les subtiles saveurs que si on aime voir les films dans leur version originale. En effet, les deux acteurs jouent leur propre rôle, en particulier Rod Brydon, populaire au Royaume-Uni pour ses imitations dont il nous régale à longueur de repas, de Michael Caine à Al Pacino en passant par Hugh Grant, Marlon Brando ou Roger Moore.
Entre un coniglio arrosto (lapin rôti, une recette typique de Lombardie) et un polpo alla griglia (poulpes grillés), les deux compères évoquent fréquemment le souvenir de Lord Byron et du poète Percy Shelley mort noyé au large de La Spezia. Le corps de Shelley fut incinéré à la manière antique, en présence de Byron, sur la plage de Viareggio, puis ses cendres déposées dans le cimetière protestant de Rome.
Le voyage est truffé de références culturelles mais aussi de purs moments burlesques, comme à Pompéi, lorsque Rob Brydon s’adresse avec une voix d’outre-tombe au squelette d’une des victimes de la célèbre éruption du Vésuve : « J’aime vos sandales » !
Je me laisse conduire, le seul léger suspense étant de savoir si au final, les deux chroniqueurs rejoindront leurs familles ou leurs petites amies de fortune rencontrées à Sorrente ou aux Cinque Terre dans le golfe des Poètes.
The Trip to Italy n’est sûrement pas un grand film mais un divertissement jubilatoire. Quitte à mourir à Naples, que ce soit de rire !
Rassasié, je sors de la salle Bouttet pour … aussitôt me glisser dans la file d’attente de la séance suivante. À ce propos, parmi les bons points de la nouvelle organisation, il faut souligner l’heureuse initiative d’ouvrir les portes des salles plus tôt. C’est tellement plus agréable de patienter assis à l’intérieur.
11h 45 ! C’est l’heure de la projection de Frank du réalisateur irlandais Léonard Abrahamson qui a déjà connu précédemment de beaux succès avec Adam & Paul et Garage.
Pour tout vous avouer, nous avons hésité à le voir à cause d’une désinformation d’un quotidien le classant dans le genre film d’animation. Mais en bons festivaliers qui se respectent, ce n’est quand même pas raisonnable de faire l’impasse sur une des œuvres en compétition. Bien nous en a pris !
Dès que Frank commence, j’ai envie de maudire le journaliste de pacotille qui a failli nous en priver. Sans doute, a-t-il été abusé par le personnage principal éponyme affublé d’une tête géante en carton, mais quand même … !
Abrahamson s’est inspiré très librement de l’histoire de Frank Sidebottom, un musicien punk de Manchester du groupe The Freshies, dans les années 80. Mais autant celui-ci était un personnage fictif utilisant cet accessoire en concert pour des effets comiques, autant, là, Frank, du moins dans la fiction du film, est un vrai « musico » qui s’est fabriqué un masque en papier mâché dont il ne se sépare jamais.
Et pour interpréter ce rôle, le réalisateur a fait appel à l’immense acteur Michael Fassbender, celui-là même qui jouait Bobby Sands dans le superbe Hunger. Épargné des fastidieuses séances de maquillage, l’invisible Fassbender ne se dissimule cependant pas derrière son masque et, par sa voix et sa gestuelle, il transmet beaucoup d’émotion au spectateur.
Frank est un film sur la musique mais pas un film musical. Le récit avance, en fait, à travers le personnage de Jon, un jeune garçon qui nourrit l’ambition d’échapper à une vie banale par la musique sans en avoir le talent. Le rôle est tenu par Domhnall Gleeson, beaucoup plus convaincant ici que dans About Time, une comédie mielleuse, présentée l’an dernier, dans laquelle il avait le pouvoir d’interférer sur les évènements de sa propre existence (malheureusement pour lui, ce n’est pas le cas cette fois !).
Dans un jour de chance, du moins le croit-il, Jon a l’opportunité d’entrer comme claviériste dans ce groupe d’artistes excentriques au nom imprononçable, les Soronprfbs, avec à sa tête (de cartoon !) Frank : une étrange bande d’allumés, marginaux, fragiles qui se mettent au vert dans une campagne glaciale pour composer leur futur album. Parmi eux, l’énigmatique Clara, (la remarquable actrice Maggie Gyllenhall), une sorte de Yoko Ono de Frank dont elle est très proche, joueuse de thérémin, un instrument possèdant la particularité de produire de la musique électronique sans qu’on le touche, voit d’un mauvais œil les rêves américains de célébrité de Jon et sa stratégie pour y parvenir.
La tension dramatique se nourrit des contradictions artistiques de Frank et commerciales de Jon. Cela nous donne un film différent, imprévisible, surréaliste, absurde parfois, une comédie émouvante et triste par instants, une réflexion sur la créativité et sa reconnaissance.
Les Soronprfbs connaissent une gloire inattendue sur internet, via you tube et les tweets. Jusqu’à ce que le film bascule dans le drame et le fantastique. Qu’advient-il de Frank percuté par une camionnette sous les yeux de Jon ? Pas de corps mystérieusement volatilisé, juste la grosse tête brisée comme une piñata mexicaine !
La fin est sublime et poignante : nous découvrons le vrai visage et la vraie personnalité de Frank Michael Fassbender chantant magnifiquement I love you all !
Je vous aime tous et moi, je t’adore Frank. Voilà, pour l’instant, mon grand coup de cœur pour le Hitchcock d’or !
L’air obsédant en tête, je coupe ma faim de terrien avec un sandwich américain à la terrasse de la brasserie du Cancaven, puis direction la salle du Balnéum accessible, aujourd’hui, par la digue ; il fait si beau sur Dinard !
À l’écran, en avant-première, Panic, en présence du réalisateur Sean Spencer dont c’est le premier long-métrage, et des acteurs principaux David Gyasi et Pippa Nixon.
Dans Fenêtre sur cour, le Sir Alfred du bout de la plage, maître du suspense, mettait en scène James Stewart, bloqué dans un fauteuil roulant, passant son temps à observer dans une petite cour les appartements voisins.
Dans Panic, Deeley, journaliste tourmenté de musique, épie avec ses jumelles, les blocs d’immeubles du quartier londonien de Tottenham, en face de chez lui, et en particulier, les faits et gestes de Kem, une jolie asiatique.
Jusqu’au soir où Amy (Pippa Nixon), sa partenaire sexuelle occasionnelle, assiste depuis l’appartement au kidnapping de Kem suite à une violente dispute. Deeley doit alors surmonter sa panique pour retrouver Kem.
Un héros noir, une action qui se déroule presque exclusivement de nuit, Panic est un polar noir plaisamment ficelé qui vaut par la montée des tensions, un excellent jeu des acteurs et un beau traitement de l’image.
Je retiens qu’à la fin, Deeley supplie Amy de poursuivre leurs rencontres épisodiques et même plus. La réalité dépasse (peut-être) parfois la fiction, je n’ai pas cessé de croiser David Gyasi et Pippa Nixon dans les salles obscures et dans les rues de Dinard …
Vite, nous remontons vers le Palais des Arts et du Festival car c’est soirée de gala avec l’ouverture officielle du festival en présence du jury, et les bonnes places sont chères même si l’entrée nous est promise avec l’obtention du pass.
Rare fausse note de l’organisation, ça commence comme la séquence hilarante du quai de gare dans le film de Jacques Tati, Les vacances de Monsieur Hulot. Après qu’un agent de sécurité nous ait mal aiguillés dans les files d’attente contiguës pour le PAF et le Balnéum, une hôtesse nous sort de la file pour rentrer directement par les marches du palais avant que nous soyons obligés de rebrousser chemin et rejoindre la file d’attente primitive. Au final, après cette succession d’ordres et contre-ordres, nous nous retrouvons aux places inconfortables du balcon surchauffé, ce que nous voulions surtout éviter.
Heureusement, madame la mairesse, dans un anglais très correct, et mademoiselle Catherine Deneuve, présidente du jury, ont la bonne idée de faire court pour la cérémonie d’ouverture.
L’inconfort des fauteuils me gâche l’éventuel plaisir que pourrait me procurer Sunshine on Leith, la comédie musicale de Dexter Fletcher choisie comme film d’ouverture, sans doute un clin d’œil à la présidente du jury qui, il y a un demi-siècle, connut un vif succès avec le film chanté Les parapluies de Cherbourg. Dommage car Peter Mullan, comme à son habitude, crève l’écran.
Moins prosaïquement, pour justifier son mécontentement, mon compagnon des salles obscures évoque sa nostalgie des comédies musicales avec Fred Astaire et Ginger Rogers ; je ne le savais pas aussi âgé !
En cette heure de sortie tardive, il n’y a pas légion de restaurants encore ouverts! Boudu, sauvés, à l’Abri des flots, nous nous régalons d’une douzaine d’huîtres et d’un Irish coffee !
Retiens la nuit pour nous deux jusqu´à la fin du monde … Désolé Catherine, je ne chanterai pas ce soir la sérénade sous les fenêtres du Grand Hôtel Barrière comme Johnny dans Les Parisiennes, un de vos premiers films.
Vendredi 10 octobre, troisième jour de festival ! Tandis que je me dirige vers le cinéma Les Alizés, je vous offre le début de Ode to the Westwind, le célèbre poème de Percy Bysshe Shelley sur les traces duquel nous voyagions hier en Italie :
« Sauvage Vent d’Ouest, haleine de l’Automne,
Toi, de la présence invisible duquel les feuilles mortes
S’enfuient comme des spectres chassés par un enchanteur,
Jaunes, noires, blêmes et d’un rouge de fièvre,
Multitude frappée de pestilence: Ô toi,
Qui emportes à leur sombre couche d’hiver
Les semences ailées qui gisent refroidies,
Chacune pareille à un cadavre dans sa tombe, jusqu’à ce que
Ta sœur d’azur, déesse du Printemps fasse retentir
Sa trompe sur la terre qui rêve, et emplisse
(Chassant aux prés de l’air les bourgeons, son troupeau,)
De teintes et de senteur vivantes la plaine et les monts:
Sauvage Esprit, dont l’élan emplit l’espace;
Destructeur et sauveur, oh, écoute moi! … »
Avant que ne soit projeté The Riot Club, dernier film en lice pour le Hitchcock d’or, sa scénariste Laura Wade annonce lors de sa présentation que, la veille, le parti europhobe UKIP a vu, à la faveur d’une élection partielle, son premier député accéder à la Chambre des Communes. Onde de choc à Westminster !
Elle précise que les personnages du film sont purement fictifs. Cependant, à la sortie de sa pièce de théâtre dont le film est adapté, certains ne manquèrent pas d’établir quelques comparaisons avec le Bullingdon Club, autre cercle d’étudiants d’Oxford auquel appartinrent notamment le Premier ministre David Cameron et Boris Johnson, l’actuel maire de Londres.
The Riot Club est un cercle très secret de dix étudiants de la prestigieuse université d’Oxford. Réservé à l’élite de la nation, il fait de la débauche et de l’excès son modèle depuis près de trois siècles. Deux étudiants en première année, Miles, interprété par Max Irons, fils de Jeremy, et Alistair ne reculent devant rien pour avoir l’honneur d’en faire partie. Pour Alistair, cela ne devrait guère poser de problème, un de ses ancêtres ayant déjà été président du club.
Dans la première moitié du film, l’intrigue se noue lentement dans les décors gothiques et victoriens des collèges. Le jeune Miles qui prépare un bachelor d’Histoire s’amourache de Lauren, une jeune fille d’extraction sociale très modeste bénéficiant d’une bourse d’études. Il retrouve aussi Hugo qui a fréquenté la même école secondaire que lui. À l’époque, Hugo était la tête de turc de ses camarades, mais depuis son entrée à Oxford, il s’est forgé une stature d’étudiant brillant en langues anciennes, dandy du classicisme. Déjà membre du Riot Club, il se donne pour mission d’y introduire Miles à son tour.
La peinture de cette jeunesse « chic tory », élitiste, prétentieuse, intrigante, imbue d’elle-même au point d’être parfois imbuvable, possède autant d’intérêt que l’intrigue même du film.
Scène amusante lorsque Hugo se faisant braquer devant un distributeur de billets, corrige prétentieusement ses agresseurs : « on ne dit pas numéro de code mais juste code, numéro et code c’est la même chose » ! Cela lui vaut une belle rouste.
Le propos bascule soudain en une violente métaphore sur cette caste de jeunes esprits « bien élevés » à queue de pie, à l’occasion du dîner « débecquetant » d’intronisation de Miles dans une auberge de campagne. Cette façon hédoniste de « carper leur diem », c’est leur expression, dégénère peu à peu dans la beuverie, la débauche, le vandalisme pour s’achever dans l’horreur avec le tabassage quasi à mort de l’aubergiste … tout cela dans l’impunité presque totale. L’argent résout tous les problèmes. « I’m sick to fucking death of poor people » avoue l’un de ces jeunes gens privilégiés et insolents.
La morale du film est son immoralité : les tout-puissants qui se retrouveront tôt ou tard aux plus hautes fonctions de la société, peuvent se comporter impunément de la manière la plus indécente et révoltante possible. Les jeunes gens du Riot Club, ancrés dans leurs certitudes, savent qu’à part quelques soubresauts, leurs familles ont dirigé le pays depuis des générations, et continueront de le faire.
Bien évidemment, certains spectateurs trouveront la charge outrancière. Avant la projection, la scénariste avait prévenu qu’en Grande-Bretagne, une certaine intelligentsia de droite qualifie son film de pure paranoïa de gauche, tandis que l’autre camp estime qu’il est au contraire en-dessous de la vérité. Le vrai Bullingdon club connut parmi ses épisodes les plus notables la destruction de nombreuses vitres, portes et réverbères au cours d’une même soirée, ainsi que le saccage de bars. David Cameron et Boris Johnson ont regretté depuis leurs actions passées au sein du club.
Il y a dans The Riot Club, interprété remarquablement par une brochette de jeunes acteurs anglais, la force des brûlots politiques et sociaux d’Yves Boisset, la fantaisie et l’humour de Ridicule, le film de Patrice Leconte qui narrait les antichambres de la Cour de Versailles.
Voici mon second coup de cœur du festival. La gravité du message véhiculé, je dirai même son actualité, me conduit à le préférer de justesse au si sympathique Frank pour la récompense suprême.
Les contraintes horaires de la programmation bousculent nos habitudes et, exceptionnellement, nous prenons le temps de déjeuner à la Croisette (on n’est pourtant pas à Cannes !) d’une salade de raie et d’un filet de Saint-Pierre avec une pomme au four.
15 heures, salle Bouttet, cours de mathématiques avec la projection en avant-première de X+Y, le premier long-métrage de Morgan Matthews.
Lors de sa présentation, nous avons le plaisir de retrouver sur la scène le jeune héros du film Asa Butterfield qui interprétait le Hugo Cabret de Martin Scorcese.
Nathan, le personnage qu’il interprète, est présenté en ouverture du film comme un enfant proche de l’autisme. Son père, le seul lien affectif qu’il avait tissé, meurt dans un accident de voiture. Nathan ne peut pas ou ne veut pas partager une connexion semblable avec sa mère, la remarquable Sally Hawkins, qui épuise pourtant des trésors d’attention et de patience.
Heureusement, grâce à un enseignant, ancien prodige en la matière, interprété par l’excellent Rafe Spall (le fils de … vous verrez plus tard), l’adolescent Nathan va s’ouvrir lentement au monde par le biais de celui des mathématiques.
Le jeune prodige atteint un tel niveau qu’il est présélectionné pour défendre les couleurs du Royaume-Uni aux Olympiades de Mathématiques. Sous la tutelle excentrique du formidable Eddie Marsan, il est envoyé à Taipei pour une épreuve préliminaire avec les petits génies asiatiques … C’est l’occasion d’y découvrir les émois amoureux avec la jeune et jolie Zhang Mei, membre de l’équipe chinoise.
Il se trouve que j’avais découvert, la semaine précédente, ce type de compétition avec l’interview à Canal + ; d’Artur Avila, franco-brésilien, le plus jeune directeur de recherche du CNRS, médaille d’or des Olympiades à seize ans et récent lauréat de la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel de mathématiques.
X+Y est une thérapie réjouissante pour Nathan et une agréable comédie douce-amère qui nous emmène dans l’univers poétique des équations, théorèmes et modèles aléatoires avec la probabilité de connaître un succès commercial.
18 heures ! Ce soir, régime sandwich … encore que la brasserie Le Cancaven ne puisse nous proposer qu’une omelette. En ce qui me concerne, elle sera aux champignons.
À la terrasse, nous profitons d’une animation musicale de rue avec le groupe Pao Bran. Kilt, cornemuse, bombarde, percussion et accordéon, les quatre musiciens nous offrent quelques hits celtiques, Tri martolod, Le loup, le renard et la belette, encore qu’à l’origine, cette comptine soit bourguignonne.
Tandis que nous nous dirigeons vers le cinéma Les Alizés, un vacarme nous interpelle. Un début de remake des Oiseaux d’Hitchcock : un goéland affamé nettoie à grands bruits de bec les restes dans nos assiettes. Presque effrayant !
Nous avons rendez-vous avec Calvary, film irlandais en avant-première de John Michael McDonagh. Je devrais dire plutôt avec Brendan Gleeson, le père de Domhanll l’un des acteurs de Frank, tant il envahit encore l’écran, deux ans après sa magistrale prestation du policier violent de L’Irlandais du même réalisateur.
Cette fois, il campe le rôle d’un prêtre bonhomme, qui apprend, lors d’une confession, qu’il sera assassiné le dimanche suivant pour expier les péchés de l’Église. Plus précisément, le meurtrier en puissance aurait été violé dans son enfance par un membre du clergé.
Bien évidemment, le Père James connaît tous ses paroissiens et ne peut ignorer la voix au confessionnal. Le réalisateur, par un subtil mélange de voix en régie son, brouille les pistes pour le spectateur. Ainsi naît un petit meurtre à la manière d’Agatha Christie.
Au-delà du thriller psychologique, Calvary offre une enquête morale et théologique sur la rédemption, l’abus, la repentance. On y perçoit quelques références au Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson et aux féroces chroniques provinciales de Claude Chabrol.
Je suis aussi sous le charme des paysages sublimes du comté irlandais de Sligo et notamment l’extraordinaire relief tabulaire de Ben Bulben, chers au poète dramaturge et prix Nobel WB Yeats. Pour le coup, je réserverais bien un billet sur Aer Lingus pour de prochaines vacances !
Bref, Calvary est un beau film à voir par les athées comme par les croyants.
22h 45, Bloodlust ! Soif de sang ! Le festival renoue avec sa séance de film d’horreur. La Feuille du festival nous allèche : « les rosbifs sont de nouveau accros à la viande rouge ». Je ne suis pas fan du genre mais j’avoue avoir vu par le passé à Dinard d’excellents films comme l’hilarant Severance, Eden Lake et Black Death.
Au menu, ce soir, Hyena ! Le réalisateur Gerard Johnson et l’acteur principal Peter Ferdinando sont là pour présenter le film.
Michael, chef ripou d’une brigade des stups londonienne doit flirter en permanence avec l’illégalité pour affronter les réseaux albanais et turcs en plein essor, ce qui va lui valoir d’être traqué lui-même par l’IGS.
Gangs turcs, trafic de drogue et prostitution dans les quartiers mal famés de la capitale anglaise sont au programme, notre déception également. À part une séquence où les voyous turcs étalent leur savoir-faire en matière de dépeçage et de découpe charcutière humaine, Hyena ne respecte en rien les codes du film d’horreur. Il s’agit simplement d’un honnête thriller, façon Braquo, la série de Canal +, avec Ferdinando en sosie de Jean-Hugues Anglade.
Une chose est certaine, je ne ferai pas de cauchemar cette nuit.
Samedi 11 octobre ! Dinard n’a jamais mieux porté le surnom de Nice du Nord dont l’a affublé l’azuréenne Sophie Duez, membre du jury.
Je profite de la matinée pour arpenter la plage de l’Écluse. À défaut d’y croiser un loup, j’y rencontre le Renard, nom du vieux gréement réplique historique du dernier bateau corsaire armé par Surcouf, et deux « belettes » drapées dans leur sortie de bain.
Ce midi, c’est la diète pour le ventre et le gavage pour l’esprit : trois projections consécutives dans la même salle des Alizés.
En hors-d’œuvre, Keeping Rosy, le premier long-métrage de fiction de Steve Reeves. Un spectateur de la séance précédente, fier de sa blague, lance à la cantonade : « Je ne vous raconte pas la chute » ! Moi non plus, alors!
Charlotte n’a aucunement la fibre maternelle, les premières images du film l’ont montrée crispée et pâle quand on lui demande au bureau de tenir un bébé dans ses bras.
C’est une femme uniquement préoccupée par sa carrière. Son seul but est de devenir actionnaire de l’agence de publicité à laquelle elle se consacre corps et âme. Mais après avoir découvert que, trahie par ses collègues, sa promotion lui passe sous le nez, elle rentre à son domicile et passe sa frustration et sa colère sur sa femme de ménage. Avec des conséquences tragiques ahurissantes … Être une femme libérée, ce n’est pas si facile !
Charlotte a, cette fois, sur les bras, un cadavre à faire disparaître dans une rivière et une adorable petite Rosy à garder. Elle cède à la panique quand elle découvre que les caméras de vidéosurveillance de son immeuble ont sans doute enregistré ce qui s’est passé. À vouloir récupérer les bandes, elle introduit dans l’intrigue un garde de sécurité psychopathe qui va profiter de la situation en la faisant chanter.
À part quelques scènes d’extérieur nécessaires pour faire progresser l’histoire, Keeping Rosy est un huis clos psychologique qui se déroule essentiellement dans le nouveau gratte-ciel high tech de l’Est de Londres où Charlotte vit seule.
Ce thriller se regarde agréablement comme un film du dimanche soir à la télévision. Le scénario, au-delà de l’aspect policier, ouvre pourtant sur beaucoup de thèmes trop superficiellement traités. Il faut cependant souligner la remarquable performance de Maxine Peake dans son rôle de Charlotte.et son obligation de devenir une maman de substitution. Et verser une larme de tendresse pour l’innocente petite Rosy qui se retrouve involontairement au cœur du drame.
Place maintenant à Snow in Paradise, autre avant-première et premier long métrage d’Andrew Hulme, l’adaptation fictionnelle de ce qui est un peu arrivé à un des acteurs du film!
Le titre peut paraître énigmatique mais la neige c’est la dope. Dave est un petit délinquant qui mène sa vie, dans l’East End de Londres, entre drogue et violence. On s’attend à un thriller de plus avec images sombres, caméra portée, dans un monde underground. Mais lorsque son petit business entraîne la mort de son meilleur ami Tariq, Dave est rongé pour la première fois de sa vie par la honte et le remords. À vouloir faire la paix avec sa conscience, Dave veut sans doute tendre vers l’inaccessible « paradise » mais son passé de criminel revient le mettre à l’épreuve. Les fameuses rules (règles) du crime organisé, quand on y plonge, on n’en sort plus.
C’est l’occasion de découvrir un Londres gangréné par la drogue, avec ceux qui la sniffent et ceux qui la dealent, entre bobos et prolétaires.
Il y a un petit côté Prophète de Jacques Audiard. Tout en respectant les codes du film de gangster, le réalisateur nous entraîne bientôt dans une course poursuite effrénée vers la paix et la rédemption.
Ô surprise, par les temps qui courent, ce lieu de purification de l’âme, c’est la mosquée ! Comme écrit l’un des critiques : « Pour une fois que les Musulmans ne sont pas présentés comme des terroristes ! ». Il n’y a que les Britanniques qui savent faire des films pareils.
Bravo ! Nous sortons promptement aux premières images du générique pour nous replacer illico dans la file d’attente de l’unique séance (simultanément dans deux salles) de l’avant-première évènement : Mr. Turner de Mike Leigh, présenté en compétition au dernier festival de Cannes, et pour lequel Timothy Spall (le père de !) a reçu le prix d’interprétation masculine.
À notre grand étonnement mais aussi satisfaction, nous nous retrouvons dans la première dizaine de candidats spectateurs sur les marches du cinéma. Cela change des queues interminables lors des grandes expositions parisiennes au Grand Palais.
Finalement, les non cinéphiles auront préféré aux toiles du maître, le défilé, sur le tapis rouge du palais des arts et du festival, des membres du jury qui, dans quelques minutes, proclamera le Hitchcock d’or. C’est plus people !
En prêtant l’oreille dans la file d’attente, nous avons la primeur des palmarès du public. C’est drôle, irritant aussi parfois ! Bien évidemment, mes, désormais célèbres, septuagénaires demoiselles de Dinard (il est une tradition au cinéma d’appeler demoiselle les actrices quels que soient leur âge et situation maritale) éliminent d’emblée Catch me Daddy ! J’ai le bonheur de tuer l’heure d’attente avec un aimable monsieur plébiscitant comme moi The Riot Club et Frank. Mais tout cela n’est que souhaits vains, le jury est souverain.
Allez, c’est parti pour deux heures trente de pur enchantement ! Un panoramique sur les polders de Hollande, la silhouette à contre-jour d’un homme ventripotent en haut-de-forme dessinant l’esquisse d’un moulin à vent au lever du jour. Ainsi commence Mr. Turner, biopic évoquant les dernières années de la vie du peintre britannique Joseph Mallord William Turner (1775-1851).
Plongée dans l’Angleterre de la jeune reine Victoria et de la révolution industrielle : le chemin de fer bouleverse la campagne, le Téméraire le vieux navire à voile de guerre est remorqué par un bateau crachant du feu et de la suie.
Mike Leigh s’attache au souci du détail aussi vrai que possible, à commencer dans les décors et paysages. La salle d’exposition contiguë à la maison de Turner, et son atelier délabré et empoussiéré (il coule même des gouttières !), sont reconstitués de manière fidèle d’après archives. Quelques séquences sont aussi tournées au manoir de Petworth House dans le Sussex qui abrite toujours une vingtaine d’huiles sur toile du maître. Quelle beauté encore, le petit port, sur la côte Est du Kent, de Margate, la « première ville anglaise éclairée au lever du soleil », dont Turner aimait la mer, le ciel, la lumière et … sa logeuse madame Booth !
Pour brosser le portrait psychologique et artistique de Turner, le réalisateur juxtapose, comme par petites touches impressionnistes, une succession de scènes aussi esthétiques que ses tableaux. L’art dans l’art !
Ainsi, la séquence au salon annuel de la Royal Academy est hilarante avec Turner fustigeant ses collègues et ridiculisant son rival Constable par l’ajout d’une pointe de rouge vif en plein milieu d’une marine. Elle possède aussi valeur documentaire sur les accrochages des expositions de l’époque avec des tableaux suspendus à touche-touche jusqu’au plafond.
On assiste à l’épisode où Turner se fait attacher à la hune d’un bateau en pleine tourmente pour peindre sa célèbre Tempête de neige.
Omniprésent, rares sont les scènes où il n’apparaît pas, il y a Turner évidemment, je devrais presque dire Timothy Spall tant il compose le personnage de l’artiste de manière géniale. Laid, rugueux, bourru, lourdingue, bref brut de décoffrage, émettant continuellement des grognements comme pour se protéger d’autrui, il possède, dès qu’il s’agit de peinture, une formidable légéreté et une extraordinaire capacité à saisir la beauté du monde, celles-là même qui en font un précurseur de l’impressionnisme.
Encore un moment de grâce lorsqu’il essaie de chanter une aria de Purcell : il le fait si maladroitement mais avec tellement de sensibilité.
C’est déjà fini ? Deux heures trente d’une merveilleuse émotion artistique où cinéma et peinture se mêlent pour notre plus grand bonheur.
Ce soir, il ne me faudrait pas grand-chose pour envisager une visite à Londres au musée Tate Britain qui honore le maître jusqu’en janvier à travers l’exposition Late Turner, painting set free, « les dernières années de Turner, peinture libérée ».
Quant à vous, chers lecteurs, retenez la date du 2 décembre 2014, jour de sortie de Mr. Turner sur nos écrans !
Les yeux encore éblouis par tant de beauté, l’affichage, à la sortie, du palmarès du 25ème festival du cinéma britannique de Dinard me semble dérisoire.
Nous le commentons cependant devant un filet de bœuf sauce poivre à la pizzeria Castor Bellux.
Le Hitchcock d’or est décerné à The Goob de Guy Mihill, ce n’est pas un scandale.
Le prix du Public, attribué selon l’ensemble des votes des spectateurs sans doute émus par le personnage de Gary, revient à ’71 de Yann Demange.
Catch me Daddy rafle les deux prix du scénario et de l’Image. Pan sur le bec des vieilles « demoiselles de Dinard » !
Le prix Coup de cœur revient à Lilting, ou la délicatesse. Ce film sensible ne pouvait pas repartir bredouille.
Frank obtient une mention spéciale du jury. C’est la moindre des choses.
Enfin, tant pis pour ma pomme de normand, mon premier choix, The Ryot Club, est la seule œuvre en compétition non récompensée. Sa scandaleuse immoralité aurait-elle occulté le vrai message qu’elle véhicule ?
Il en est ainsi de tous les festivals, la subjectivité est de mise, c’est la règle du jeu. Mais que signifie la remarque de Hussam Hindi, le directeur artistique du festival quand il souhaite un « jury plus musclé » pour la prochaine édition ?
Il est 23h 15 : c’est le moment de terminer en beauté ces quatre jours dédiés au cinéma britannique avec la projection de Still Life, au titre de circonstance en français Une belle fin !
Le réalisateur Uberto Pasolini ne possède aucun lien de parenté avec Pier Paolo, l’auteur de Théorème. Par contre, c’est le neveu de Luchino Visconti. Pas mal non plus !
Son film a été présenté à la 70ème Mostra de Venise où il a obtenu le prix du meilleur réalisateur section Horizons. Il est inspiré d’un fait divers lu dans un quotidien.
John May, interprété par Eddie Marsan, est un modeste employé communal de la banlieue de Londres dont le travail consiste à retrouver d’éventuels membres de la famille, voire des amis proches, des personnes décédées dans le plus profond isolement. Solitaire, méticuleux jusqu’à l’obsession, il ne referme les dossiers que lorsque toutes les pistes possibles ont été explorées. Il organise alors les obsèques de ses « clients » de toutes confessions, écrit leur éloge funèbre, choisit une musique appropriée d’après quelques disques, objets et photographies glanés, et accompagne généralement seul avec le prêtre le cercueil jusqu’à sa mise en terre.
Jusqu’au jour où, au nom de la sacrosainte rentabilité, sa hiérarchie lui signifie une compression d’effectifs et sa mise à la retraite. John demande alors juste un délai de quelques jours pour résoudre sa dernière affaire : aller sur les traces de Billy Stoke, mort dans la solitude et l’alcoolisme, mais dont le passé paraît assez riche pour réussir un « gros coup ».
C’est à cette quête qu’Uberto Pasolini nous propose d’assister dans un film en aucune manière morbide et déprimant, mais au contraire rythmé, sans temps mort (si je puis me permettre).
John May est poignant et admirable dans son engagement et son amour envers son semblable. Tout en déjeunant de sa sempiternelle boîte de thon, il feuillette des albums de famille, vieilles photos de la jeunesse de Billy Stoke. Lorsqu’il visite l’appartement, le réalisateur s’attarde sur des objets et des meubles avec des plans fixes qui sont moins des natures mortes que des vies figées.
La fin de l’histoire pourrait être (trop) belle car John May retrouve quelques personnes susceptibles d’assister aux funérailles de Billy Stoke, et parmi elles, sa possible future âme sœur. Mais John meurt accidentellement.
La fin du film est fantastique (au vrai sens du mot) lorsque tous les défunts dont il s’est occupé, se réunissent au cimetière autour de sa sépulture. Magnifique séquence !
Eddie Marsan, souvent cantonné dans des seconds rôles comme dans la série Ray Donovan actuellement sur Canal, effectue là une prestation remarquable dans un registre minimaliste parfaitement adapté au rôle.
Ma voisine essuie furtivement quelques larmes avant que les lumières ne se rallument.
Une belle fin de festival !
Enfin presque ! Car comme certains acteurs cabots ajournent toujours leurs adieux, en ce dimanche 12 octobre, nous prolongeons en matinée notre festival avec l’ultime projection de God help the girl, un film musical de l’écossais Stuart Murdoch, leader dans la vie du groupe Belle and Sebastian.
Eve, une adolescente anorexique s’évade de l’hôpital psychiatrique pour se rendre à Glasgow et s’adonner à la musique. À l’issue d’un concert, elle rencontre James, un jeune homme romantique maître nageur qui donne des cours de guitare à Cassie, une fille des quartiers chics. Tous les trois entreprennent bientôt de monter leur propre groupe.
Eve écrit des chansons pour surmonter ses problèmes émotionnels en rêvant de les entendre un jour à la radio. James pense, lui, que l’artiste n’a besoin que d’une chanson de génie qui s’installe pour toujours dans le cœur des gens.
Dans le rôle d’Eve, Emily Browning, un faux air d’Anna Karina, avec une voix très agréable, susurre quelques airs des albums du vrai groupe du réalisateur. Cela nous donne un film gentillet, un peu naïf, qui pourra plaire aux ados. En comparaison, la comédie musicale d’ouverture Sunshine on Leith était plus enlevée et solide dans son propos. Allez, dites-le, plus pour ma génération ?
Ne comptez pas sur moi pour fredonner quelques unes de ces chansonnettes, il pleut déjà assez. En effet, des trombes d’eau s’abattent sur Dinard, ce midi, et bien sûr, j’ai laissé le pépin dans l’auto.
On s’abrite Côté mer, c’est le nom de la crêperie, devant une galette de sarrasin aux noix de saint Jacques.
La côte d’émeraude pleure son Festival du Film Britannique. Un bon cru avec beaucoup de films de bonne facture et un chef-d’œuvre, Mr. Turner, mais lui, hors ses tableaux, était déjà passé à la postérité à Cannes.
Rendez-vous dans un an ! En attendant, rien ne vous empêche d’aller voir quelques-uns des films de cette année, en version originale bien sûr
Je vous suggère de télécharger, sur le site KOBO de la Fnac, le polar de Renée Bonneau Meurtres chez Sir Alfred dans sa version numérique (2,99 €).
Lors du Festival du Film Britannique de Dinard, un assassin fait chaque jour une nouvelle victime parmi les participants au Festival. Heureusement, j’y ai échappé !
http://recherche.fnac.com/SearchResult/ResultList.aspx?SCat=22!1&Search=Meurtres+chez+Sir+Alfred&sft=1&sa=0&submitbtn=OK