Du vélo héroïque mais pas que ! Le Circuit des Champs de Bataille 1919 (2)
Avant de commencer la lecture de ce billet, il est indispensable de lire le précédent :
http://encreviolette.unblog.fr/2024/11/11/du-velo-heroique-mais-pas-que-le-circuit-des-champs-de-bataille-1919-1/
Le quotidien sportif L’Auto, pourtant de sensibilité différente, salue l’initiative du Petit Journal. Peut-être, voit-il là un bon test qui, en cas de réussite, le rassurera sur la faisabilité de relancer l’été prochain le Tour de France dont il est le créateur : « Le Circuit des Champs de Bataille de notre excellent confrère le Petit Journal est entré dans sa phase active. Le « great event » n’est plus seulement à l’état de projet. Ses prémisses se déroulent actuellement. Depuis hier, c’est l’exode en masse vers Strasbourg, la capitale de notre chère Alsace reconquise, l’exode des organisateurs, des soigneurs, des routiers engagés. Demain matin, ce sera le premier acte du Circuit, le premier acte d’une pièce sportive à grand spectacle, et qui fait et fera le plus grand honneur au P.J., le créateur et l’organisateur du premier Paris-Brest et retour. Il appartenait vraiment au Petit Journal, après quatre ans et demi de guerre, d’entrer en lice comme autrefois, et de doter le sport cycliste qui lui doit tant déjà, d’une épreuve au nom retentissant et populaire, bien d’actualité, d’une épreuve qui contribuera à le rendre aussi prospère, aussi intéressant qu’avant l’agression boche. »
Sur les 138 coureurs engagés auprès du Petit Journal, 87 seulement sont effectivement présents, place Broglie, à Strasbourg. Il est probable que les absents de dernière minute n’ont pu satisfaire finalement toutes les formalités administratives requises. Les partants se répartissent en 48 Français, 32 Belges, 3 Suisses, 3 Luxembourgeois et 1 Tunisien.
« On se montre le souriant Deruyter, le vieux Parigot Léonard qui en a vu bien d’autres, le Normand Duboc, le gavroche Brocco, le géant belge Dejonghe, l’athlétique Alavoine, le favori Egg aussi énigmatique que d’habitude, Ernest Paul le demi-frère de Faber, Lucien Buysse, Husghem, l’espoir Huret … »
Le représentant du Maghreb, du nom de Ali Neffati, reste dans la mémoire du cyclisme comme étant le premier Africain et le plus jeune coureur à avoir participé au Tour de France, à l’âge de 18 ans, lors de l’édition 1913. Il créa la sensation en portant le fez au lieu de la traditionnelle casquette. Á la fin de la saison 1919, il courut les Six Days de New York en équipe avec le Martiniquais Germain Ibron, surnommé « Germain Le Nègre ». Les organisateurs de cette même épreuve sur piste les refusèrent par contre en 1923 … à cause de leur couleur de peau !
Même si une très large majorité des reportages dans la presse, tout au long de sa carrière, ne se focalisa pas sur l’origine du populaire Ali, il fut cependant quelques commentaires qui ne manquent pas de nous troubler aujourd’hui. Ainsi, ces échos de Casablanca parus dans l’édition du 11 mars 1927 du quotidien sportif L’Auto :
C’était donc ça, le temps béni des colonies cher à Michel Sardou !
Ali, le sympathique champion, citoyen français, ne manquait pas d’humour, ainsi sa facétie cocardière, lors des Six Jours de Paris 1922, rapportée dans le journal L’Auto : « Un co-co-ri-co retentissant ! C’est un coq, un vrai coq, en chair, os et plumes, qui, perché sur la cagna de Neffati-Catudal, salue la société. Deruyter le « cueille » au passage et lui fait faire un tour d’honneur sur son épaule. »
Ce Belge, Charles Deruyter fait partie des quelques favoris candidats à la victoire finale de l’épreuve du Petit Journal, avec ses compatriotes, les deux frères Buysse. L’aîné Marcel est le plus connu à l’époque pour avoir remporté six étapes sur le Tour de France 1913 et le Tour des Flandres 1914. Son frère cadet Lucien gagnera le Tour de France 1926. Un buste en bronze lui rend hommage au sommet du col d’Aubisque, en souvenir de l’étape dantesque Bayonne-Luchon de ce Tour de France, considérée par les historiens du cyclisme comme l’étape la plus extraordinaire de la grande boucle. Vous savez la reconnaissance des Flamands pour leurs champions cyclistes, un imposant monument est également dédié à Lucien Buysse dans son village natal de Wontergem.
Il n’entre pas dans le cercle restreint des favoris mais il me plait de m’attarder sur Séraphin Morel. « Ça fait d’excellents Français » comme chantera Maurice Chevalier durant la guerre d’après ! Né en 1883 dans le petit village vosgien de Granges-sur-Vologne d’une famille de tisserands, on le retrouvait garçon de café à Paris, en 1903. Réformé du fait d’un staphylome oculaire, il ne participa pas à la Première Guerre mondiale. Il évolua surtout sur la piste, s’attachant à battre des records du monde un peu confidentiels, ainsi le 100 mètres départ arrêté. Le 20 octobre 1918, il participa à la grande journée de gala au bénéfice des familles des champions cyclistes morts pour la France, prévue selon le temps au Parc des Princes ou au Veld’Hiv’.
« La foule immense qui se pressait hier (finalement ndlr) au Vélodrome d’Hiver était vibrante et enthousiaste. C’est qu’elle était venue, non pas pour applaudir simplement des favoris, mais aussi et surtout, pour honorer la mémoire des champions morts au service de la Patrie. Elle apportait son obole sacrée aux familles des disparus et elle disait aux veuves, aux mères et aux enfants : « Nous pensons à vos chers morts et, réunis en ce jour de pieux souvenir, nous assistons aux efforts de ceux qui leur survivent. » »
Dans le cadre de cette réunion, un match exhibition fut disputé entre Séraphin Morel à bicyclette et le célèbre boxeur Georges Carpentier, à pied, sur 100 mètres départ arrêté.
Le brave Séraphin l’emporta -Carpentier « suivant très près » précise le journal- dans un temps de 10 secondes et six dixièmes. Le quotidien crut bon de préciser que la distance devait être légèrement inférieure à 100 mètres pour que le boxeur ait pu réaliser un temps inférieur à 11 secondes !
Le coureur vosgien est heureux de s’aligner au départ de Strasbourg, occasion unique de courir dans sa région natale, l’étape de Bar-le-Duc à Belfort passant sur ses terres.
Le plateau des concurrents du Circuit des Champs de Bataille est de qualité, cependant, dans l’ensemble, les plus grands champions de l’époque ne sont pas au départ, préférant participer à des courses moins éprouvantes. C’est le cas d’Henri Pélissier qui, le week-end du départ du Circuit, remporte le « Grand Prix de l’Heure » sur le ciment du Parc des Princes … et le bois du Vel’d’Hiv’. En effet : « D’incertain, le temps devint, vers le milieu de la réunion, franchement mauvais ; la pluie fit son apparition après la deuxième manche du Match des Arrivistes et la direction décida alors de poursuivre la réunion au Vel’ d’Hiv’. Et tout le monde s’en fut vers la rue Nélaton …. »
Lundi 28 avril : en première page, le Petit Journal annonce que le texte des préliminaires de paix sera communiqué vendredi ou samedi aux plénipotentiaires allemands, tandis que Barbe-Bleue est désormais à la prison de la Santé : « Premiers interrogatoires. Landru ergote, se contredit et parfois reste coi. » C’est surprenant comme le journaliste relate avec moult détails les confrontations de l’accusé avec les inspecteurs et le juge d’instruction, à croire qu’il y assiste.
Six heures du matin, c’est enfin le grand départ, place Broglie, à Strasbourg, non loin de l’endroit où Rouget de Lisle entonna pour la première fois La Marseillaise. Ultime élan lyrique et patriotique en faveur des courageux champions :
« Quand pendant quatre ans et demi, on a fait la guerre contre les Boches, on en a vu d’autres. Or, la plupart des coureurs du Circuit des Champs de Bataille sont d’anciens combattants : ils vont revoir les théâtres de leurs exploits de héros, ils vont aussi revoir les désastres de nos régions du Nord et de l’Est, ils vont peut-être revoir les tranchées dans lesquelles ils ont maintenu l’ennemi et ils vont encore retrouver les mauvaises routes du front, car il ne faut pas le cacher, ni au public, ni aux concurrents, les routes sont mauvaises, très mauvaises ; mais plus les difficultés sont énormes et plus la victoire sera belle, c’est ainsi qu’en ont jugé les commissaires de l’épreuve, nos amis, lorsque, saisis par le commissaire général de l’organisation, notre collaborateur Alphonse Steinès, de maintenir ou de ne pas maintenir la neutralisation primitivement décidée par nous, de la partie du parcours située entre Reims, Vouziers et Verdun, ils ont résolu de supprimer toute neutralisation. »
Il n’est pas toujours évident de suivre le déroulement de l’épreuve, le journal organisateur étant un quotidien du soir, le récit des étapes nous parvient souvent en décalage.
« Sur la place Broglie, les banderoles du départ et du contrôle flottent joyeusement : la belle place, au centre de la ville, est pavoisée en l’honneur du Circuit, malheureusement, le temps se gâte, il pleut, il grêle et il fait froid »
L’Auto relate : « Jean Alavoine signe le premier la feuille de contrôle que tenait notre vieil ami Alphonse Steinès. Egg, Deruyter, Buysse, Brocco, Léonard , suivirent de près le crack de la Bianchi et ce fut ensuite le défilé au milieu d’une affluence de plus en plus considérable. »
En début d’étape, les coureurs doivent traverser les champs de bataille de la guerre franco-prussienne de 1870-71, et notamment Reischoffen. Je me souviens qu’au temps de ma jeunesse scolaire, le professeur d’histoire évoquait l’épisode de la charge héroïque des cuirassiers de Reischoffen. Les valeureux routiers passent par la Lorraine avec leurs gros vélos, traversent Metz, ville natale du poète Verlaine -où le général de Maudhuy gouverneur a accordé jour de congé aux troupes de la garnison-, franchissent la Moselle à Thionville, avant d’entrer à Remerschen dans le Grand-Duché du Luxembourg.
« Depuis 1914, lors de l’arrivée du Tour de Belgique de notre excellent confrère la « Dernière Heure » de Bruxelles, jamais épreuve sportive n’avait remporté un succès semblable à celui que vient de mettre à son actif le Petit Journal, avec son Circuit des Champs de Bataille. Le mauvais temps n’empêcha point la foule d’envahir de bonne heure l’avenue Marie-Thérèse où le P.J. avait installé d’impeccable façon ce contrôle d’arrivée de la première étape de sa magnifique épreuve. » Que de congratulations !
« L’attente fut longue. La pluie, la grêle, la neige retardèrent considérablement nos vaillants routiers qui furent l’objet d’une enthousiaste réception. »
« Le mauvais temps a régné en souverain maître durant toute la première étape. Malgré cela, une énorme foule se pressait sur le parcours et ne cessa d’applaudir nos vaillants routiers, qui firent montre eu égard aux difficultés de l’étape, une énergie à toute épreuve.
Le vent dans le nez, la pluie, la grêle se mirent de la partie. Les routes, déjà mauvaises, le furent bien plus encore du fait de la boue. C’est avec un retard considérable sur l’horaire que dans tous les contrôles, défilèrent les concurrents…
Jusqu’à Metz, le peloton demeura compact. Puis les crevaisons, les chutes, divers incidents s’en mêlèrent, et à Thionville (221 km du départ), Van Hevel, Matthys et Egg, démarrant à tour de rôle, désagrégèrent le peloton. Egg disparut un moment du fait d’une crevaison, puis une chute de la faute d’un chien le handicapa sérieusement. Van Hevel et Matthys, rattrapés par Lucien Buysse et Verstraeten, menèrent un train sévère dans le but de lâcher le Suisse Egg irrémédiablement. Malheureusement pour eux … ils se trompèrent de route à la frontière luxembourgeoise, et quand ils purent reprendre le bon itinéraire, Egg était passé depuis longtemps.
Le leader de la marque Bianchi poussa comme un sourd jusqu’à l’arrivée et se montra très étonné d’être vainqueur, car il pensait, à juste raison, que ses camarades du peloton de tête, qu’il avait été obligé d’abandonner à cause de sa chute, le précédaient au classement. »
Pour bien comprendre les incidents qui émaillèrent le déroulement de l’étape, il faut savoir, d’une part, que le parcours n’était pas interdit à la circulation (très faible probablement), d’autre part, que l’itinéraire était signalé par des affichettes bleues au nom du Petit Journal qui disparaissaient parfois sous les gravats au gré de la météo.
Le Petit Journal insiste sur « l’admiration que mérite l’effort de ces vaillants qui dépasse l’imagination, cela semble appartenir à quelque conte de légende … il importe de ne point classer trop rigoureusement ces hommes d’après leurs places, mais les regarder tous comme de véritables prodiges. »
Parallèlement à la course, l’actualité internationale et nationale continue à occuper la première page du quotidien. Á Versailles, en vue du futur traité, la Société Des Nations est constituée en séance plénière : le comité exécutif est formé des États-Unis, l’Empire britannique, la France, l’Italie, le Japon et quatre États à désigner. Non loin de là, on s’interroge si des femmes, dont les corps ont été repêchés dans un étang de la forêt de Rambouillet, ne seraient pas des victimes du sinistre Landru.
Mardi 29 avril, les coureurs du Circuit des Champs de Bataille profitent du repos qui leur est accordé entre chaque étape : « Nos vaillants routiers, durement éprouvés au cours de la première étape par la pluie, le vent, la grêle, voire même la neige, ont fait ce matin la grasse matinée. Nous en avons cependant rencontré qui, entre deux averses de neige, visitaient la pittoresque ville et s’extasiaient sur la beauté réelle du ravin où l’Alzette coule, capricieuse et jolie. En résumé, chacun se ressent quand même de la dure journée d’hier, même les as. Je dois cependant reconnaître qu’ils furent nombreux au vin d’honneur qui leur fut offert à 11 heures à l’Hôtel de Ville. La municipalité leur fit, ainsi qu’aux organisateurs du Circuit, une chaleureuse réception. Le discours du maire fut haché d’applaudissements. Après le déjeuner, les coureurs se livrèrent à l’habituel envoi de cartes postales aux parents et aux amis, puis ils ne tardèrent pas à aller prendre un repos réparateur. »
Le déroulement de la deuxième étape, menant les 71 rescapés de Luxembourg à Bruxelles, n’est relaté que dans l’édition du 2 mai, fête du Travail oblige.
« Paris sans cafés, sans théâtres, sans cinémas, sans voitures, omnibus, ni tramways, un Paris aux boutiques closes et dont presque tous les organismes étaient pour quelques heures endormis, tel fut pour la plus grande partie de la journée d’hier le spectacle que donna la ville qui, d’ordinaire, est si débordante de vie. Le muguet même manqua pour ce 1er mai et le soleil obéissant, lui aussi, à la consigne, s’était fait remplacer pour ajouter à la tristesse, par une pluie morose. Les Parisiens, qui ont de tout temps entendu parler de l’ennui des dimanches de Londres, avaient accepté avec leur philosophie ordinaire l’expérience qu’on annonçait d’un premier mai complètement chômé. »
Malgré l’interdiction par le gouvernement, une manifestation s’est formée vers 16 heures, des drapeaux rouges ont été brandis. « Il y a eu des bagarres et l’une d’elles, aux environs de la gare de l’Est, a été grave. Des coups de révolver ont été tirés sur des agents, des grilles enlevées au pied des arbres ont servi de projectiles. Un jeune homme, dans la foule, a payé de sa vie sa curiosité. » Dramatique ou grandiose, les journaux d’opinion n’ont pas la même analyse de cette Fête du Travail.
Á Gambais, on ne chôme pas, on creuse : des ossements et du sang ont été trouvés dans la villa de Landru.
La deuxième étape du Circuit mène les coureurs de Luxembourg à Bruxelles, à travers les Ardennes belges, sur un parcours empruntant sensiblement celui de la grande classique Liège-Bastogne-Liège surnommée la Doyenne à juste raison, puisque créée en 1892.
« Oser le Circuit cycliste des Champs de Bataille, lancer sur de frêles machines une centaine de concurrents sur les routes défoncées du front, c’était bien, d’aucuns déclarèrent même que c’était pure témérité ! Il semble cependant que ce n’était pas assez encore pour donner la mesure de ces coureurs, de ces prédicateurs de l’idée sportive. La nature veut ajouter à la difficulté d’un parcours tel que nulle course jamais n’en vit de pareil, et la nature invente pour ces vaillants des surprises dignes des enfers.
Ce matin, à 4 heures, dans le demi-jour d’un ciel chargé de nuages, un vent terrible soufflait, encore glacial, il gelait les mares de neige fondues. Roulés en des couvertures, les mains bleuies de froid, les contrôleurs officiels, eux-mêmes, doutaient du nombre de partants. Les pronostiqueurs adoptaient un chiffre : soixante. Erreur ! Tous les arrivés de l’avant-veille prirent le départ. Alors, le vent, battu, céda la place à la neige. Elle tomba en flocons si serrés qu’il faut encore se demander comment notre caravane de camions Atlas put trouver sa route et arriver à Bruxelles avec une ponctualité de railway. Avec la neige, obstacle terrible, les concurrents se jouèrent encore du froid horrible, de la pluie cinglante, de la boue gluante des chemins, de la traîtrise glissante des pavés belges. Ils vont, ils glissent. Les kilomètres sont escamotés, les côtes écrasées sous leurs cycles. On est reconnaissant à la foule des ovations qu’elle fait à ces triomphateurs de l’impossible. C’est chose inouïe, cette foule invraisemblable, d’un bout à l’autre des villes, des villages, des bourgades, des nombreux hameaux, elle forme une haie double, triple, quadruple, on ne sait plus… »
« Le parcours se prêtait à une bataille sévère. La traversée de l’Ardenne belge, avec ses côtes nombreuses et d’un pourcentage appréciable, devait fatalement inciter les grimpeurs à tenter de prendre l’avantage. Et c’est ainsi que l’excellent champion de J.B. Louvet, Dejonghe, put affirmer magnifiquement des aptitudes que ceux qui le connaissaient savaient de tout premier ordre…
« … Á 4 heures, on reçoit des nouvelles des coureurs. Ils sont passés à Liège vers midi et Lucien Buysse était en tête avec 11 minutes d’avance sur le second … Après avoir été lâché par le crack de la Bianchi, Lucien Buysse, frère du terrible Marcel, Dejonghe revient sur le fugitif et, prenant à son tour le meilleur, c’est en solitaire qu’il termina la course au milieu des acclamations d’une foule considérable. Nos compliments à Dejonghe, compliments aussi à notre vieil ami J.B. Louvet. C’est une rentrée sensationnelle que le constructeur de Puteaux vient d’effectuer. »
Certain reportage, en langue anglaise, relate que le coureur belge Charles Deruyter termina à la neuvième place, à quarante-quatre minutes du vainqueur, recouvert d’un long manteau de fourrure qu’une âme charitable lui avait prêté pour le protéger du froid. Le règlement stipulait pourtant que les coureurs ne devaient accepter aucune aide de qui que ce soit.
« Quant à Egg, qui s’annonçait comme grand favori après son beau succès de Strasbourg-Luxembourg, la malchance s’acharna sur lui. Un « pédard » l’accrocha, le fit tomber. Dans la chute, il mit son vélo poinçonné hors de service. La rage au cœur, le vaillant champion suisse dut abandonner. »
J’avoue être allé chercher dans le dictionnaire la définition de « pédard ». Étymologiquement, il s’agit de l’aphérèse de vélocipédard, qualifiant un cycliste amateur, souvent imprudent, entourant les compétitions professionnelles et gênant parfois les coureurs par son comportement. Qui sait si le mot ne pourrait pas revenir à la mode, les incidents entre automobilistes et cyclistes se multipliant dans la circulation urbaine.
Lendemain de 1er mai qui a fait deux morts à Paris : 90 manifestants traduits en Conseil de guerre ! Les fouilles se poursuivent dans la villa de Landru à Gambais : « Des odeurs de chairs grillées ! Encore des dents … Encore du sang ! »
Samedi 3 mai 1919, les coureurs vont de Bruxelles à Amiens (323 km), une étape qui « restera dans les annales du Sport comme un fait mémorable, digne de passer dans la légende » ! L’homme propose et … les éléments disposent.
En première page de L’Auto : « Il est tout près de 23 heures ! Du fond de la nuit noire, dans le scintillement des lumières du Café de l’Est, où se trouve installé le contrôle d’arrivée de la troisième étape du Circuit des Champs de Bataille et où attendent encore de nombreux sportmen alarmés d’un invraisemblable retard dans les horaires prévus, surgit tout à coup un innommable paquet de boue, transi de froid, véritable loque humaine, qui gémit, qui pleure, qui se lamente et clame en peu de mots les souffrances qu’il vient d’endurer. C’est Deruyter (celui au manteau de fourrure ! ndlr), méconnaissable autant que fourbu, mais qui vient d’inscrire à son palmarès une course qui comptera certainement parmi les plus fantastiques qu’on ait jamais connues. Et il suffit de voir le brave et courageux garçon pour se rendre compte de l’effroyable calvaire qu’il vient de gravir, dix-huit heures et demie durant.
La foule demeurée stoïque à son poste sous toutes les rafales, depuis 14 heures, l’ovationne longuement. Comprend-elle bien pourquoi tous les sportmen doivent admirer sans réserve, non seulement Deruyter, le vainqueur de l’étape infernale, mais aussi tous ceux qui, avec lui, figurent aujourd’hui au classement général ?
Ils acceptèrent toutes les complications et sortirent victorieux de toutes les difficultés. Au début, c’est entre eux qu’ils luttèrent sur l’horrible pavé d’Alost et de Gand. Puis, et comme s’il n’était point suffisant pour la gloire de l’étape qu’ils s’en prissent uniquement l’un à l’autre, les éléments déchaînés s’en mêlèrent.
La pluie, l’horrible pluie qui transforma en marécages le peu qui reste des chemins de l’ancien no man’s land glorieux s’étendant de Dixmude et des bords de l’Yser jusqu’au-delà de Menin.
Le froid, un froid glacial, mortel, désespérant à travers ces contrées dévastées où il semble que l’on n’en ressortira point si l’on doit s’y arrêter.
Puis, le vent du sud, soufflant en rafales, clouant nos routiers sur place, et nécessitant de leur part une incroyable et incessante dépense physique. » Ecoutez-le craquer le futur Plat Pays de Jacques Brel !
« Enfin, et, comme au milieu de toutes ces péripéties, nos vaillants routiers avaient perdu un temps énorme sur l’horaire : la nuit, et une nuit toute spéciale, noire, terrible sous l’averse, épouvantable et même tragique puisqu’elle survint juste au moment de la traversée de ce nouvel enfer de Dante où reposent nos cités assassinées, mais qui feront que jamais nous ne pardonnerons à l’immonde boche : Bapaume, Alluiet, Pozières, Thipval, Albert ... »
L’hebdo sportif Sporting consacre un article très réaliste à cet enfer du (sic) Dante :
« Ceux qui, comme moi, ont suivi le Circuit, en garderont un impérissable souvenir. Ils garderont la nette vision de la traversée du « no man’s land », Cambrai, Amiens ; dans ces régions désertiques où, de temps en temps, un vague poteau se dresse sur le bord du chemin, et sur lequel on a inscrit un nom/ Courcelettes, Frémicourt, autrefois florissants villages et dont il ne reste rien, rien…
Ils reverront Deruyter, tout seul depuis Menin, couvert de boue, luttant contre le vent qui le clouait sur place, cahoté par le dur pavé qui va de Cambrai à Albert.
Ils n’oublieront pas notre arrivée en pleine nuit au contrôle de Bapaume et sa vieille baraque en bois :ah ! cette baraque, je la revois, la petite table dans un coin, le poêle qui ronfle, le tonneau sur lequel est fichée une bougie clignotante, seul lampadaire de la maison ; et dans ce décor pittoresque, l’arrivée de Vanlerberghe, Anseuw et Verstraeten qui, dans leur patois flandrien, s’exclament et vocifèrent, celle de Duboc, en excellent état, qui déclare en sifflotant un bol de bouillon qu’il a effectué une séance d’entraînement. Je revois les mines apitoyées, les regards étonnés des tommies qu’un camp voisin belge héberge et qui pensent : quels êtres sont donc ces hommes !... »
Seuls quatre coureurs effectuèrent le parcours en moins de 24 heures. « Tous les autres s’arrêtèrent en route, attendirent le jour qui dans les ruines de squelettiques villages, qui dans les sapes qui abritèrent ceux de la grande épopée. »
J’eus connaissance de ces paysages d’apocalypse à travers les récits de mon père qui, du haut de ses huit ans, accompagna ma grand-mère, après la signature de l’Armistice, sur les lieux de la terrible bataille de la Somme. Ce n’étaient que champs labourés de tranchées, jonchés de casques, d’armes brisées, de véhicules militaires désarticulés. Ils en revinrent avec des valises pleines de douilles d’obus de canons qui, une fois astiquées, gravées et ciselées, ornèrent meubles et cheminées. J’avais consacré un ancien billet* à la visite que j’avais faite sur ces lieux de mémoire.
Comme presque chaque jour, l’enquête sur le monstre de Gambais fait la une du Petit Journal : « Landru brûlait les os et jetait les chairs aux brochets ! Un médecin l’a vu lancer un ballot dans les étangs. Les fiancées apportaient le charbon qui devait les consommer. »
Avant de conter les péripéties de la 4ème étape Amiens-Paris, le quotidien L’Auto informe que « la terrible troisième étape compte aujourd’hui deux arrivants de plus : Leroy qui s’est classé 29ème en 38 heures et 56 minutes, et Pain qui a pris la 30ème et dernière place dans le même temps ».
Malgré l’heure matinale et une pluie fine et froide, une foule sympathique est encore présente aux abords du contrôle de départ d’Amiens. Á 6 heures précises, ce sont vingt-huit coureurs qui s’élancent au signal du starter, en direction de Péronne et Saint-Quentin, avant de bifurquer vers Soissons puis revenir vers l’Oise. Deux non partants seulement : le Belge Aloys Verstraeten et Alphonse Sarath de Boulogne-sur-Seine qui ne verra donc pas sa banlieue.
La course se décante véritablement après le contrôle de Pontoise. Et dans la côte du Cœur-Volant, au fort pourcentage de 11%, Deruyter, héros de l’étape précédente et premier au classement général, et les deux Français Paul Duboc et Jean Alavoine restent seuls en présence.
« Soudain, Deruyter, plus puissant que jamais, démarre comme un furieux. D’un seul coup, il décolle ses adversaires. Au sommet de la rude rampe, c’est 400 mètres qu’il possédait sur Alavoine, lequel précédait Duboc de 200 mètres environ. Il n’eut plus alors qu’à se laisser vivre jusqu’au poteau final, et à recueillir, de Rocquencourt au Parc des Princes, les enthousiastes acclamations d’une foule fantastique. C’est entouré d’une nuée de cyclistes (encore des pédards ! ndlr) que Deruyter atteignit la porte d’Auteuil où se fit l’apothéose. »
Á en croire le quotidien organisateur, il semble que ce fut la liesse en région parisienne : « Sur toute la fin du parcours, c’est une foule innombrable qui attendait les coureurs, de Saint-Germain au Vélodrome, une triple rangée de spectateurs commentait fiévreusement les nouvelles que les automobilistes apportaient. La fameuse côte du Cœur-Volant, après l’abreuvoir de Marly, était noire de monde, lorsque les premiers coureurs furent signalés. C’est d’abord le populaire Deruyter qui grimpe vaillamment, puis vient le rouennais Duboc, puis Alavoine qui recueille une ovation peu ordinaire. Á Rocquencourt, à Vaucresson, à Garches, à Saint-Cloud, l’hommage de la foule à nos routiers est grandiose. Enfin, au Vélodrome du Parc des Princes, dans l’immense arène, plus de 20 000 spectateurs attendaient et lorsque Deruyter apparut, ce fut une tempête d’acclamations. Les applaudissements se prolongèrent tout le temps que l’excellent champion fit son tour de piste. Ensuite, ce fut Duboc, puis Alavoine, puis les arrivées se succédèrent à des intervalles assez rapprochés. Il en fut ainsi jusqu’à 7 heures du soir, heure à laquelle le contrôle fut transporté au Petit Journal. »
Par ailleurs, le Petit Journal pavoise encore en tirant une forme de bilan à mi-épreuve : « Les philosophes qui prétendent que les jours se suivent et se ressemblent, mentent. Mentent encore les ennemis du sport qui affirment l’identité des luttes du muscle.
Les premières étapes de la terrible bataille, qui se joue sur les routes désormais fameuses, se sont, il est vrai, bornées à une lutte âpre, sévère, tragique, de l’homme contre les éléments. Chaque concurrent devait, isolément, lutter contre le froid, la pluie, la faim, la boue, l’ouragan. Sa victoire dépendait de sa force propre, de ses muscles, et cela était grand de toute la grandeur qu’il y a à ce qu’un homme puisse triompher de la faiblesse humaine. Aujourd’hui, cependant, un autre élément d’intérêt est venu s’ajouter à la simple lutte physique. L’intelligence a réglé les phases du combat. La volonté, la décision, le jugement ont décidé de la victoire, au moins autant que la puissance musculaire. Hier, il fallait applaudir Deruyter d’avoir « pu » gagner l’étape, aujourd’hui il faut saluer en lui l’homme qui a « su » organiser, vouloir, réussir sa victoire. La tête est venue seconder les jambes. L’athlète a la victoire complète… N’allez pas croire cependant que le temps fut favorable. Pluie matin et soir. Vent froid. Routes défoncées. Rien n’a manqué des ordinaires difficultés de cette épreuve qui datera par sa sévérité dans l’histoire des sports.
Deruyter avait tout prévu. Au départ, il annonçait sa course ! Et ce n’était point vantardise. Deruyter savait où et comment il triompherait.
Á cela, qu’ajouter ? La description de la foule ? de la cohue qui stationnait au long des routes ? de la mer humaine qui déferla au Parc des Princes, emplissant à le combler l’immense vélodrome ? Á quoi bon ? Le Circuit des Champs de Bataille a eu ses détracteurs, ceux que son audace épouvantait, ceux que son règlement frappait de jalousie. Aujourd’hui, le succès de l’épreuve impose silence aux médisants. Et ce serait puérilité de préciser nous-mêmes la fierté que nous ressentons à avoir organisé, à avoir voulu cette victoire du Sport ! »
Les coureurs Guénot et Morel auraient été vus, entre Soissons et Senlis, dans une automobile, ils en seraient descendus à Mont-l’Évêque, 1 kilomètre avant Senlis. Une enquête est ouverte à ce sujet. Coquin de Séraphin !
Paris vaut bien une messe … et deux jours de repos pour nos coursiers.
Le Petit Journal constate : « Hier, premier jour de repos parisien, il s’est passé un fait extraordinaire et fantastique : il n’a ni neigé, ni plu, ni fait une tempête effroyable ! Assurément, ce serait à croire que les puissances célestes se sont trompées et qu’elles se sont imaginé que le Circuit des Champs de Bataille était définitivement achevé ! »
On peut lire dans L’Auto : « Les vaillants rescapés ont pris et goûté un repos bien mérité. D’aucuns, les heureux, ceux-là, comme Deruyter, Duboc, Hurel, Guénot, ont pu, grâce à la bonne soupe familiale, réparer les forces perdues dans un rude labeur. Mais les autres ne sont pas plus à plaindre en somme, car « Panam », c’est « Panam ! » et la grande Ville Lumière eut pour eux d’invincibles attirances. Ils la parcoururent en tous sens toute la matinée, firent un tour de métro qui les enthousiasma, puis déjeunèrent tranquillement en attendant l’heure d’assister à la réception que le Petit Journal organisait en leur honneur en sa magnifique Salle des Fêtes… Vint l’heure solennelle du champagne. Alors Abel Henry rédacteur en chef du Petit Journal, prit la parole et en un speech court mais concis et vivement applaudi, toasta aux rescapés du Circuit ( étaient présents entre autres, Deruyter, Duboc, Alavoine, Egg, Ali Neffati), célébra leur énergie, leur vaillance et leur volonté. » La vie parisienne a du bon !
« Les rescapés de la grande course du Petit Journal ont, après quarante-huit heures d’un repos réparateur, repris cette nuit leur rude calvaire…
Á minuit et demi, l’appel se fit devant le Petit Journal à l’endroit même où, il y a vingt-huit ans, le même P.J. lançait les précurseurs Terront, Jiel-Laval, Corre, sur le premier Paris-Brest et retour. La vie n’est qu’un éternel recommencement… Nous avons suivi le cortège jusqu’au bout du boulevard Voltaire. Il défila dans Paris, admiré et applaudi par de nombreux sportmen. Il avait pris, lorsque nous le quittâmes, une singulière importance. Des cyclistes de toutes nuances et de toutes catégories s’étaient joints à lui. Nous le laissâmes s’enfoncer dans la nuit du cours de Vincennes, non sans quelque regret … Et tandis que scintillaient au loin les phares des automobiles et que d’innombrables lampions piquaient de points lumineux jaunes, verts, rouges, le fond noir de la banlieue parisienne, nous adressions une fois encore aux glorieux rescapés nos vœux les plus sincères. » Quelle communion avec le public ! Vous imaginez si nous pouvions, sans jouer les « pédards », rouler, pendant quelques kilomètres, en compagnie de Pogaçar, Van der Poel et Alaphilippe ?
« Ils roulent, à l’heure actuelle, les braves gars, en direction de Bar-le-Duc, point terminus de la 5ème étape qu’ils vont gagner à force d’énergie et de vaillance, par les champs dévastés, mais glorieux, de la Marne, par Reims la mutilée, honte éternelle du boche, par les contreforts du Cornillet, du Téton et du Casque, par les bords de la Suippe, par Vouziers, par Grandpré et l’Argonne où la jeune armée américaine accrut les lauriers de Saint-Mihiel, et par -saluons tous et découvrons-nous- Verdun. Au total, 330 kilomètres à couvrir !
Je connais ces routes : dans ma jeunesse, afin d’éviter la Nationale 4 encombrée de camions, mon père les empruntait pour retrouver mon regretté frère à Strasbourg. En chemin, nous avions droit aux commentaires éclairés du professeur d’histoire et géographie : la Champagne « pouilleuse », les fameuses cuestas de l’Est du Bassin Parisien dont il nous faisait dessiner les coupes, en cours.
Á Vouziers, le groupe de tête, comprenant encore dix coureurs, passa tout de même trois heures après l’horaire prévu. L’un d’eux, André Huret, épuisé, s’y endormit sur sa bicyclette et tomba à terre. Dans son sommeil, rêvait-il que, dans cette commune ardennaise, deux ans plus tard, naîtrait … un cycliste breton, Jean Robic, un autre dur à cuire qui n’aurait sans doute pas déparé le peloton du Circuit des Champs de Bataille. Huret retrouva vite ses esprits et, après avoir ouvert une entreprise de mécanique générale spécialisée dans les pièces de bicyclette, il mit au point, dix ans plus tard, un procédé permettant de faire passer la chaîne d’un vélo d’un pignon à un autre, à savoir un dérailleur dont la réputation fit encore le bonheur des champions après la Seconde Guerre mondiale.
« Disputée sur un parcours difficile, mais par un temps merveilleux, cette cinquième étape n’a point présenté les effroyables difficultés des étapes précédentes et notamment l’étape calvaire Bruxelles-Amiens…Elle s’est terminée par la victoire de Jean Alavoine. L’ancien champion de France a retrouvé sous les chauds rayons d’un soleil enfin « démobilisé », toute sa souplesse d’antan. Souple, vite, bon grimpeur « aggricheur » comme l’était le Jean Alavoine des Tours de France d’avant-guerre. Disons que nul plus que nous n’est heureux de ce brillant retour à la vie … sportive du brave Jean. Avec lui, ont été à l’honneur, hier, en la sportive cité de Bar-le-Duc où naquit ce bienfaiteur de l’humanité qui a nom Michaux, l’inventeur de la Pédale, deux vaillants routiers belges dont nous ne saurions trop vanter les qualités d’endurance et de courage : Hector Heusghem et Desmedt. »
Une joie française avec la victoire du « Gars Jean » Alavoine, mais aussi une déception avec l’abandon de Paul Duboc, deuxième au classement général. Le Rouennais, après avoir signé la feuille de contrôle au Petit Journal, a mis pied à terre au bois de Vincennes, avant même le départ réel de Noisy-le-Grand, souffrant trop de douleurs dorsales.
Le leader de l’épreuve, Charles Deruyter, a concédé 9 minutes au quatuor de tête qui a disputé le sprint. À cela, vient s’ajouter un quart d’heure de pénalité pour avoir été trop aidé par le Français René Guénot, dont les relais ne semblaient pas justifiés par l’organisation ! Cela ne met cependant pas en péril sa première place au classement général. Le Vannetais Robert Asse 20ème et Louis Ellner d’Épernay 21ème sont arrivés à Bar-le-Duc à 9h 25 du matin suivant, après avoir couché dans une tranchée.
Il semblerait que cette étape – « que des esprits timorés ou chagrins » s’accordaient à considérer comme particulièrement difficile en raison du mauvais état des routes voire leur disparition- ait été franchie par les coureurs avec une relative facilité. La poussière soulevée, de nuit, sur les routes crayeuses de Champagne, donna à la course un petit air des Strade Bianche de Toscane !
En première page de l’édition du 8 mai du quotidien sportif L’Auto, le bien nommé en la circonstance, un titre m’interpelle : « Le Code de la Route va-t-il enfin voir le jour ? » … « Le 1er juin 1909, un décret donnait le jour à une commission destinée à préparer un projet de Code de la Route. Après quelques années de travail, ledit projet commençait à se cristalliser en une forme définitive, quand la guerre survint et tout entra en léthargie… » Le futur projet ne prévoit aucune limitation de vitesse pour les voitures de tourisme. Des dispositions spéciales concernent les véhicules à moteur : il faut avoir dix-huit ans au minimum pour obtenir le permis de conduire, vingt s’il s’agit de conduire des voitures affectées aux transports en commun. Pour l’éclairage, deux lanternes sont obligatoires pour les voitures, de plus, obligation pour les véhicules susceptibles de dépasser la vitesse de 18 km/h d’avoir une source lumineuse capable d’éclairer à 50 mètres. Les signaux avertisseurs sont la trompe à note grave pour les automobiles, à note aiguë pour les motocycles, le timbre pour les cyclistes. En conclusion, l’article est optimiste pour l’adoption de toutes les mesures … seule la question de la circulation à gauche appelle une discussion importante !
Ce même 8 mai, le Petit Journal, quotidien généraliste, relègue en pages intérieures ses comptes rendus sur l’épreuve cycliste qu’il organise, pour consacrer ses « six colonnes à la une » aux préparatifs du Traité de Versailles : « La journée d’hier, mercredi 7 mai, demeurera à jamais historique. Le traité de paix élaboré par les représentants des puissances alliées a été remis aux Allemands, dans le sobre local du Trianon-Palace-Hôtel de Versailles, qui connut des heures également historiques et émouvantes quand le Conseil supérieur interallié s’y concertait pour la victoire. La séance d’hier fut la consécration solennelle de cette victoire du droit outragé et vengé… »
En page 4, on apprend que ce jour, s’ouvre le procès des faux Rodin, et « découverte capitale » dans l’affaire Landru : « une tête de tibia et d’autres os incrustés dans des escarbilles, des taches de sang humain sur le plancher ».
Les crimes de Barbe-Bleue reviennent le lendemain en première page avec en titre, « Un cadavre sur l’étang Neuf » : « Forêt de Rambouillet, 8 mai, une opération des plus importantes a marqué la journée d’hier à Gambais. Un matin du 14 juillet 1918, Mesdames Delaize, Conjais et Mauguin étaient occupées à cueillir du muguet pour le compte de M. Paul Fouget, distillateur pour produits pharmaceutiques à Houdan. Le hasard de leur occupation les avait menées à proximité de l’étang Neuf, lorsque, tout à coup, l’attention de Mme Mauguin fut attirée par un objet qui, en pleine eau, flottait à demi submergé. Elle appela ses compagnes et elles regardèrent attentivement. Un sac noir, ficelé en trois endroits, pouvant avoir plus d’un mètre de long, se tenait immobile parmi les nénuphars. Elles distinguèrent très bien la partie qui se trouvait à fleur d’eau et qui affectait très nettement la forme d’une tête et de deux épaules. L’une des femmes fit à haute voix la réflexion suivante : « On dirait un macchabée ! »… »
Cela me fait penser qu’à la fin des années 1970, l’on retrouva, dans un de ces étangs nombreux en forêt de Rambouillet, le corps de Robert Boulin, ministre du Travail en exercice. L’enquête conclut à un suicide, mais, un demi-siècle plus tard, cette thèse est de plus en plus contestée au profit d’un assassinat…
Le parcours de la sixième étape n’a rien de commun avec ceux que les coureurs ont effectués jusqu’ici : de la Meuse à Belfort, plus de cités dévastées, ni de routes détruites, mais en revanche, un obstacle topographique d’importance, le Ballon d’Alsace que les vaillants champions doivent escalader au moment où il est à peine dégagé des neiges qui l’obstruent six mois de l’année. Le Ballon d’Alsace n’est pas un inconnu pour les coureurs puisqu’il fut le premier col proposé aux coureurs du Tour de France, lors de l’édition 1905. Une stèle au sommet rend hommage aujourd’hui à René Pottier, le « premier roi de la montagne », qui remporta le Tour de France l’année suivante, avant de se pendre, quelques mois plus tard dans les locaux du service de course de son équipe Peugeot, possiblement par chagrin d’amour.
Le cyclisme de grand-papa était héroïque mais aussi romantique.
Quoi qu’il en soit, le Petit Journal conclut : « Nous saurons ce soir si la nature aura raison de nos 21 rescapés, de leur courage et de leur vaillante énergie que les obstacles causés par la dévastation boche n’ont pu abattre ? »
Ils l’aperçurent entre Lunéville et Saint-Dié, peut-être que la colline de Sion magnifiée par Maurice Barrès, « un lieu où souffle l’esprit », les inspira avant d’attaquer le sommet vosgien.
Il apparaît finalement que ce sont les automobiles qui ont souffert : « Les voitures automobiles suivant l’épreuve arrivent vers 2h 45 au bas du Ballon d’Alsace que les coureurs auront à franchir quelles que soient les difficultés, et nous gravissons allègrement la montagne fameuse. Deux cents mètres avant le sommet, la neige, qui est tombée en si grande abondance ces dernières semaines, dépasse un mètre de hauteur. Comme nous avions prévu le cas, nous nous étions assurés de pelles et de pioches, ramassées ça et là en traversant le bois Le Prêtre (théâtre de combats sanglants en 1914-15 ndlr), et nous nous mettons courageusement à l’ouvrage, mettant bas pardessus et vestons. Nous passons une heure durant à faire les cantonniers, afin de frayer à nos autos un chemin praticable. Après une heure d’efforts, nous abandonnons la partie, non sans avoir déplacé de nombreux mètres cubes de neige inutilement. Avant de rebrousser chemin, nous attendons le passage des concurrents qui s’est effectué comme suit : Heusghem en tête, Deruyter et Vanlerberghe ensemble à 3 minutes, Alavoine à 5 minutes … Ce que les voitures automobiles n’ont pu accomplir, les frêles bicyclettes l’ont fait en se jouant. »
Dans son éditorial, le journaliste salue l’exploit d’Hector Heusghem : « Un homme, un seul, a goûté dans toute la plénitude du triomphe de sa victoire et de ses muscles, la joie d’arriver dans un isolement de victoire au sommet du terrible ballon d’Alsace. Heusghem nous dira-t-il jamais quelle fièvre lui empourpra le front quand il se vit, ayant distancé tous ses concurrents, à la limite des neiges qui devaient, une heure plus tard, arrêter sans exception toutes les voitures officielles ».
Heusghem parvint, en solitaire, sur le quai Vauban à Belfort après 13 heures et 18 minutes de course. Certains coureurs ne franchirent la ligne d’arrivée que le lendemain matin vers 6 heures.
Amis de la culture, bonjour ! En page 2 de son édition du 10 mai 1919, à la colonne voisine du reportage de l’étape de Belfort, le Petit Journal annonce l’inauguration, par le président de la République Raymond Poincaré, de l’exposition au Louvre des tableaux du portraitiste pastelliste La Tour (ne pas confondre avec Georges), provenant du musée de Saint-Quentin. On ignorait le sort réservé, pendant la guerre, à cette collection, orgueil de Saint-Quentin. Les Allemands, au moment de leur recul en 1917, alors que la cité de l’Aisne se trouvait sous le feu de nos artilleurs, l’avaient-ils sauvée ou détruite ? En fait, ils avaient transporté les tableaux à Maubeuge (un soir de clair de lune ?) et en firent même une exposition. Au moment de la débâcle, ils songèrent à mettre les précieux portraits à l’abri dans des caisses.
Info ou intox : Shakespeare n’a peut-être jamais existé ! To be or not to be, that is the question.
Du côté de Gambais, puzzle macabre : « On reconstitue des fragments appartenant à cinq corps » !
11 mai, c’est la quille pour les admirables coursiers du Circuit des Champs de Bataille. « Pour la dernière fois, nos vaillants seront aux prises. Partant de Belfort, d’héroïque mémoire, ils recevront mission de passer de l’autre côté des Vosges et d’aller porter la bonne parole sportive en la plaine d’Alsace et en ses laborieuses et si belles cités, Mulhouse, Colmar, Schlestatdt (Sélestat en patois alsacien ndlr). La tâche ne sera pas rude cette fois, et c’est plutôt une splendide marche à l’étoile que nos vaillants rescapés de la formidable randonnée du Petit Journal vont effectuer. » Qui plus est, une fois n’est pas coutume, nul besoin de se lever aux aurores, le départ de Belfort est donné à 10 heures, devant la Grande Taverne.
En première page, le quotidien L’Auto présente, sous forme d’un grand point d’interrogation, les portraits des favoris à la victoire finale. Il n’y a pourtant plus guère de suspense, sauf accident, la première place ne peut plus échapper au belge Charles Deruyter tant son avance est considérable. D’autant plus qu’après le contrôle de Sélestat, Deruyter, plein de panache, disloque le peloton jusqu’alors compact, et s’échappe avec le nancéien Charles Kippert qu’il devance au sprint à Strasbourg.
Si j’en crois l’itinéraire publié dans le Petit Journal, l’arrivée avait lieu dans la banlieue strasbourgeoise à Graffenstaden, Colmar Strasse (rue de Colmar), des contrôleurs cyclistes menant ensuite les coureurs au stade Tivoli où une dernière signature fut exigée. Une musique militaire prêtait son concours à cette ultime manifestation.
« Les cloches d’Alléluia ont sonné haut et clair la résurrection du sport et la gloire de l’industrie française. »
Page 3 du Petit Journal, une dépêche en provenance de Zurich me glace. En titre : « Les boches anthropophages ». « Deux cents enfants de Berlin et des environs sont portés comme disparus, affirme un fonctionnaire de police criminelle. On n’a retrouvé aucune trace de ces pauvres créatures et il est à craindre que la chair de ces malheureuses victimes n’ait été employée à fabriquer du saucisson. L’affiche qu’on peut lire sur les murs de la capitale prussienne accuse certaines sectes juives d’avoir commis ces crimes épouvantables pour des raisons rituelles. Le « Berliner Tageblatt » se plaint énergiquement de ce que le gouvernement allemand n’intervienne pas pour empêcher cette propagande antisémite dangereuse qui incite à un pogrom contre les juifs. Mais le fait n’en existe pas moins de la disparition mystérieuse d’un grand nombre d’enfants et les charcutiers d’outre-Rhin sont assez barbares pour servir de telles « délicatesses » à leurs clients. » Rassurez-moi, on signe bien le traité de Paix à Versailles, le mois prochain ?
Dans la colonne voisine, on constate que le futur traité ne fait pas perdre l’appétit et donne soif aux plénipotentiaires allemands déjà présents à Versailles : « La Germanie est toujours pour eux « uber alles » ; Tous les soirs, toutes les nuits, jusqu’à deux heures, ce sont des chants, de la lumière, des rires dans toutes les chambres des hôtels affectés aux délégués. « On travaille dur » disent-ils, mais il est à croire que ce labeur est bien pénible, et demande des réconfortants, car la nuit précédente, dans un des trois hôtels, la note supplémentaire -payée bien entendu par les Boches- s’élevait à 1.600 francs, rien qu’en fine et en champagne. »
Après le passage de la course à Paris, les reportages du Petit Journal furent plus laconiques. L’actualité brûlante du Traité de Versailles pouvait l’expliquer. Peut-être aussi, la popularité de l’épreuve étant désormais acquise, le lyrisme devenait moins nécessaire de la part des journalistes du quotidien organisateur. On peut lire tout de même en guise d’éditorial, au lendemain de l’arrivée finale : « Une victoire du sport, tout d’abord, car, sportivement, nous n’hésitons pas à écrire qu’il n’y eut jamais course aussi dure, aussi passionnante ; aussi régulière et pure. Une victoire pour notre journal ensuite, car, au lendemain de la guerre, nous voulions prouver de façon évidente, à toute la jeunesse, combien nous tenions à devenir pour elle un organe vivant, jeune, alerte, sachant organiser les plus grandes manifestations. Une victoire enfin et surtout pour la race, car la race en des journées comme celles-ci, essaie ses énergies, en prend connaissance, s’enthousiasme pour l’effort toujours utile. »
Cette exaltation de la « race » nous révolterait à juste raison aujourd’hui. Il faut la replacer dans le contexte, à l’époque, de haine exacerbée que le pays nourrissait envers l’ennemi allemand.
Contrairement à ce que promettait, à mots couverts tout de même, le Petit Journal, le Circuit des Champs de Bataille ne fut organisé qu’une fois. Dans un mouvement semblable de cyclisme de commémoration, le journal Sporting, sous le patronage du quotidien L’Auto, organisa, les 10 et 11 novembre 1919, un Grand Prix de l’Armistice sur un parcours de 520 kilomètres entre Strasbourg et Paris en passant par Metz. Le vainqueur, une connaissance en la personne du « Gars Jean » Alavoine fut conduit par le journaliste Frantz Reichel (un trophée à son nom récompense le champion de France des moins de 21 ans en rugby à XV, et un monument lui rend hommage à côté du stade Jean Bouin à Paris) auprès du « représentant autorisé du président du Conseil, ministre de la guerre Georges Clémenceau », afin qu’il reçoive le pli adressé symboliquement par les Alsaciens-Lorrains.
Dès le surlendemain de l’arrivée à Strasbourg, le Circuit des Champs de Bataille, tant annoncé à cor et à cri tout au long des mois qui précédèrent son départ, disparut complètement des colonnes du Petit Journal. Seul, Alphonse Steinès s’autorisa un petit billet d’autosatisfaction dans l’hebdo Sporting : « Ouf ! Enfin, ça y est ! Vous permettez, cher lecteur, que je pousse un soupir de soulagement … Le Circuit des Champs de Bataille vient de se terminer par une journée triomphale, à travers l’Alsace reconquise. Qui n’a pas vu, senti et entendu l’enthousiasme des derniers jours du circuit, n’a rien vu. Ce fut quasiment du délire. Toujours, j’aurai devant les yeux la foule durant la traversée de Mulhouse. Toute la ville était là acclamant les coureurs, acclamant les officiels, acclamant la France. Évaluer le public est impossible. Y avait-il cinq cent mille ou y avait-il un million de personnes sur l’itinéraire de la dernière et courte étape ? Les deux chiffres peuvent être exacts. En vérité, ce fut un succès véritable. Je suis un peu gêné pour dire cela à nos lecteurs parce qu’ils savent que ce Circuit des Champs de Bataille fut un peu mon circuit. Je l’ai conçu d’abord, puis le « Petit Journal » me donna, par l’intermédiaire de mon vieil et fidèle ami Marcel Allain, les moyens de le réaliser… »
Bien évidemment, le Petit Journal, avec la grande question « Les Allemands signeront-ils ? », consacra désormais l’essentiel de ses pages au Traité de Versailles qui sera ratifié le 28 juin 1919 dans la Galerie des Glaces du château.
Le feuilleton Landru se poursuivit. Dans son édition du 1er juillet 1919, le Petit Journal informe que des professeurs du Museum, en présence d’enquêteurs, ont fait brûler dans la cuisinière de Gambais une tête de mouton et un gigot, et ont constaté que le tirage est excellent et que la graisse de viande assure une bonne combustion. Á me dégoûter à jamais du haricot de mouton que pourtant j’adore ! J’imagine que vous pensez que je galèje. Lisez :
L’affaire devint une attraction mondaine. Aux élections législatives de novembre 1919 qui débouchèrent sur la fameuse Chambre « bleu horizon », le nom de Landru aurait figuré sur près de 4 000 bulletins de vote.
Le procès s’ouvrit le 7 novembre 1921 devant la cour d’assises de Seine-et-Oise, à Versailles. La presse bien sûr mais aussi le « showbiz » (Mistinguett, Maurice Chevalier, Raimu), comme on ne disait pas à l’époque, se bousculaient pour entrevoir le « vilain barbu ». La romancière Colette couvrait le procès pour le quotidien « Le Matin » : « Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondable qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. A-t-il tué ? N’a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l’interminable acte d’accusation, débité sur un ton de messe triste, qui fond le courage de tous les auditeurs. »
Tout au long du procès, Landru clama haut et fort qu’il était certes un escroc, mais pas un assassin, encore moins un fou. Condamné à mort le 30 novembre 1921, il fut guillotiné à l’aube du 25 février 1922, devant la prison Saint-Pierre de Versailles, le public venu en nombre tenu à distance par la maréchaussée. À son avocat qui, au pied de l’échafaud, lui demanda si finalement il avouait avoir assassiné ces femmes, Landru aurait répondu : « Cela, maître, c’est mon petit bagage… ».
La villa de Gambais, après avoir été pillée, fut vendue à un restaurateur, à l’humour macabre, qui baptisa son établissement « Au grillon du foyer. » Elle fut ensuite cédée à des particuliers. Il y a encore peu de temps, elle était proposée à la vente par une agence.
Un siècle plus tard, dans le cadre des récentes Journées Européennes du patrimoine 2024, le public a pu pénétrer dans le tribunal de Versailles, là même où Landru avait été jugé et exécuté, pour revivre à travers une reconstitution théâtrale fidèle, le procès du célèbre tueur en série. Face au succès rencontré, la compagnie organise une tournée dans plusieurs villes de France. 14 jurés, choisis dans le public, sont amenés à livrer leur verdict. La peine de mort a été abolie en 1981.
Au chapitre cyclisme, le quotidien L’Auto, parallèlement à la fin du Circuit des Champs de Bataille, promeut le « derby de la route » Bordeaux-Paris qu’il organise. Cette mythique épreuve, surnommée ‘la course qui tue » en raison de sa difficulté, disparut du calendrier professionnel en 1988. Cet automne, de courageux organisateurs, qui souhaitaient la ressusciter sous l’appellation Bergerac-Chatellerault-Rungis, ont finalement renoncé n’ayant pu attirer qu’une quinzaine de « vaillants ». L’époque n’est plus à la légende.
Le Tour de France, organisé également par le journal L’Auto, renaît le 29 juin 1919. Pour célébrer le rattachement à la France de l’Alsace-Lorraine, le Tour fait pour la première fois étape à Strasbourg. Henri Desgrange, fondateur de l’épreuve, écrit dans son journal L’Auto, la veille du départ : « Ce matin, un soleil radieux incendiait le ciel. En bas dans notre cour, des « Tour de France » renouaient la chaîne des traditions interrompues par les sales Boches … Strasbourg ! Metz ! Et ce n’est pas un rêve ! Nous allons là-bas, chez nous. Nous verrons de Belfort à Haguenau toute la ligne bleue des Vosges qu’avant la guerre nous contemplions à notre droite. Nous allons longer le Rhin. [...] Avec Strasbourg et Metz, nos ambitions sont repues ; le Tour de France est complet. »
Ma curiosité m’a poussé à feuilleter la presse au-delà des éventuels commentaires réservés au Circuit des Champs de Bataille.
Ô surprise, dans son édition du 19 mai 1919, L’Humanité consacrait sa première page exclusivement aux femmes, comme quoi le combat en faveur du féminisme n’est pas récent.
Il faudra encore attendre un quart de siècle pour qu’elles obtiennent le droit de vote.
Á la même une du « journal socialiste » (comme il se présentait), l’écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915, émettait son sentiment quasi confidentiellement.
J’appartiens aux dernières générations d’écoliers qui mordillaient leur porte-plume lors des dictées tirées de son roman-fleuve Jean-Christophe.
Á la fin des années 80, dans un débat houleux mené par Jacques Chancel, le champion de France Marc Madiot et le maillot jaune du Tour de France Laurent Fignon déclaraient à Jeannie Longo, en des termes presque grossiers, leur aversion pour le cyclisme féminin. Heureusement, les mentalités ont bien évolué depuis.
Dans son édition du 6 juillet 1919, le Petit Journal relate « l’installation » du maréchal Pétain, le « sauveur de Verdun », à l’Académie des Sciences morales et politiques. « Un nouveau Turenne… »
Ainsi allait la vie … !
En août 2019, pour commémorer le centenaire de la course, un « Circuit héroïque des Champs de Bataille » fut organisé, sous forme cyclotouristique, à l’initiative de deux associations belges de Flandre orientale. Le parcours d’origine fut respecté autant que faire se pouvait avec le réseau routier actuel, en passant par les mêmes points de contrôle, avec le même règlement de course et une autonomie quasi identique à celle exigée pour les vaillants de 1919. La différence principale était que le départ et l’arrivée se faisaient à Oosteeklo, ville flamande siège des associations organisatrices située à 9 kilomètres du parcours d’origine.
* http://encreviolette.unblog.fr/2014/04/17/le-sabre-et-le-goupillon-a-la-mode-picarde/