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Fête de la Musique, rue de la Main d’Or, Paris XIème

Samedi, pour célébrer l’arrivée de l’été, on fêtait la Musique un peu partout en France et même à travers le monde, tant en un quart de siècle, l’événement a gagné en universalité. Trop souvent absent à ce rendez-vous, le soleil baigne, cette année, la capitale. Je délaisse le génie de la Bastille qui, perché sur sa colonne, écoute un concert de techno, pour entrer dans le faubourg Saint-Antoine et me glisser dans le Passage de la Main d’Or, un de ces étroits boyaux qui menaient aux ateliers d’ébénisterie, orgueil du quartier. Je détourne mon regard du théâtre éponyme dont le propriétaire est plus connu, désormais, pour ses frasques politiques douteuses que son ancienne complicité avec un rédacteur de petites annonces pour blondes à forte poitrine ! Me voici dans la rue de la Main d’Or, au milieu de la chaussée, entre deux bistrots à vin, d’un côté, « Aux petits joueurs » dont l’enseigne « Bois Charbons Vins & Liqueurs » fleure bon les bougnats d’antan ; de l’autre, « A l’Ami Pierre » que je fréquente régulièrement, notamment quand l’humeur me gagne de faire mon marché place d’Aligre.

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Sur la vitrine, l’inscription « à l’ancien rebouteux » rappelle que, dans des temps pas très anciens, le tenancier de l’époque guérissait les maux de ses clients dans l’arrière-salle. A l’intérieur, accrochés aux murs, des expositions temporaires d’artistes peintres, des affiches de féria « Toros en Vic », une citation d’Antoine Blondin, un dessin de Reiser, le décor épicurien est planté.
Ici, on mange de la charcuterie d’Auvergne, un haricot de mouton, du confit de canard, des tripoux, bref, une cuisine de mémé comme l’était Marie-Jo, l’ancienne patronne qui, aujourd’hui, est présente du même côté du comptoir que ses anciens clients qu’elle photographie même. Bien évidemment, bistrot à vin oblige, on y boit bon !

Cette année, la fête débute plus tôt suite aux plaintes de quelques voisins grincheux. A la campagne, on maugrée le chant du coq trop matinal, à Paris, on voit d’un mauvais œil, les noctambules. La programmation, toujours de qualité, allie jeunes musiciens valeureux en quête de reconnaissance et bandas de ferias dont l’immuable Piston Circus.
En 1995, nous acquittâmes volontiers les « Voleurs de poules » qui répandirent « l’odeur des poivrons » (le titre de leur premier album) dans la rue. En leur sein, figurait le futur grand Sanseverino.
Aujourd’hui, à peine arrivé, ça swingue fort et les pieds battent déjà le pavé au rythme de standards américains d’avant-guerre et de compositions originales, joués et souvent chantés avec virtuosité par « Oncle Strongle ».

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Ce sextet (banjo, contrebasse, batterie, trompette, saxophones) définit sa musique comme « un cocktail violemment épicé : un tiers de Bourbon Street, un tiers de Cotton Club, un tiers de Saint-James et une bonne rasade de tabasco ». On la laisse nous enivrer.

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Le site web du groupe nous invite à en reprendre quelques verres: « c’est de l’authentique, de l’apache, du marlou, de l’alligator », j’ajoute plus prosaïquement, c’est virevoltant et plein d’humour ! N’hésitez pas à vous procurer le flacon cd qu’il livre cet été !

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Pour l’instant, le Cheverny est rafraîchissant au comptoir de l’Ami Pierre dont je chasse les joyeux trublions du Piston Circus prêts à rejoindre leurs instruments.
Cette fanfare est née, il y a plus de trente ans, de la rencontre entre des élèves de l’Ecole Centrale (en fait, un seulement d’où le nom Piston sans s), des Beaux Arts, de l’Ecole d’Architecture et de quelques joyeux drilles du sud-ouest (d’où Circus sans doute). Ils présentent leur musique comme « une musique de jeunes par des jeunes mais pour des vieux … ou le contraire » !!!

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Ils ont joué dans le monde entier et … incontournablement, aux férias de Vic-Fézensac ! Ils ont accompagné sur scène Claude Nougaro, notamment dans un sublime concert « Hombre et Lumière » (il existe en DVD, c’est merveilleux !) sur les bords de la Garonne, à Toulouse. Rappelez-vous, L’enfant Phare, Comme une hirondelle, Je suis sous … ce sont eux aux côtés du « souffleur de vers », le regretté Claude.
Ils ont joué encore la valse sautillante de Playtime, au Palais de Chaillot, dans un spectacle de Jérôme Deschamps en hommage à Jacques Tati.
Vous voyez, c’est du très lourd ! Tous les jeudis, ils se retrouvent dans une cave du quartier Charonne pour partager charcuteries de pays, fromages affinés, vins gouleyants avant de répéter les morceaux que ce soir, comme chaque année, ils interprètent, rue de la Main d’Or.
D’ailleurs, c’est ici, lors d’une précédente fête de la Musique, que furent prises certaines photographies qui illustrent leur seul album ; c’est ainsi que j’ai le privilège d’y figurer avec ma petite famille.

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Foin des airs traditionnels des bandas, les Piston revisitent des classiques de la chanson française, les rimes de Nougaro évidemment, « J’aime les épines quand elles riment avec la rose », Gainsbourg et le Poinçonneur des Lilas, Léo Ferré et Jolie môme, Yves Montand et Francis Lemarque avec A Paris ; ils franchissent les frontières et les mers avec Eleanor Rigby des Beatles et le ciel bleu de Mexicoooooo !. Toutes générations confondues, le cercle de danseurs s’est formé autour des cuivres.

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Au bout d’une heure, les Piston cèdent le trottoir à une fanfare amie venue des Pays-Bas, les « Chaupiques de Maastricht », non sans avoir scellé auparavant le traité européen des fanfares en interprétant un morceau en leur compagnie.

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Sous la chaleur étouffante, les Chaupiques jouent stoîques dans leurs blazers blancs tandis que les Piston avaient renoncé à leurs redingotes noires. Ils nous « emmènent jusqu’au bout de la terre » avec Aznavour, sur la place rouge avec la Nathalie de Bécaud, puis ils ramènent en pleine lumière leurs cuivres bataves pour une interprétation lascive d’Amsterdam.

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Longtemps après, ils finiront par capituler malgré moult gobelets de bière … ils déposeront délicatement leurs vestes sur une borne du trottoir !

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Bientôt, sur le trottoir d’en face, Oncle Strongle ressert ses standards du temps de la prohibition.
Dans la nuit festive du faubourg, la musique de soif étanche les assoiffés de musique. Je commande un Chiroubles pour accompagner ma pièce de bœuf du limousin et mon assiette de fromages artisanaux ! Tout à l’heure, les Piston et les Chaupiques prendront place dans l’arrière-salle pour leur « troisième mi-temps ». Musique de bars, musique de tables, musique de rues, musique de places….
Vivement l’année prochaine !

Publié dans:Coups de coeur |on 27 juin, 2008 |3 Commentaires »

Transhumance du Haut Salat (Ariège)

Chaque week-end, dès que les beaux jours arrivent, les petites routes du Couserans connaissent l’affluence avec la transhumance des citadins toulousains vers les granges qu’ils ont rénovées parfois à prix d’or. Mais, durant la première quinzaine de juin, les bouchons sont d’un autre type avec la montée de milliers de brebis vers les estives.
Ce vendredi-là, les aléas de la vie m’ayant obligé à être « ariégeois » à cette époque, je me réjouis de vivre l’événement du pastoralisme qu’est la dernière des transhumances de la saison, celle du Haut Salat.
La transhumance est une des activités les plus anciennes de l’humanité. Du latin trans (de l’autre côté) et humus (la terre, le pays) c’est la migration estivale des troupeaux d’ovins, bovins et équins vers des prairies de qualité supérieure.
La pluie de la Saint Barnabé s’étant tue (voir billet du 19 juin 2008), je quitte la ferme familiale au petit jour pour partir à la rencontre de la « Fanfanshumance » du troupeau de 800 brebis de « Fanfan » Martres, une procession à pied de 60 km et 3 jours, entre le petit village de Belloc près de Betchat jusqu’à l’estive du Mont Rouch à proximité du Port de Salau.

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Aujourd’hui, « Fanfan » effectue sa trente neuvième transhumance. Au début, il partait de nuit, une pile à l’avant, une pile à l’arrière, un peu de ravitaillement et quelques chiens, dans l’indifférence totale de la population. Vers les années 1980, une voiture transportant le ravitaillement, commença à suivre le troupeau, puis d’autres pour signaler le passage des bêtes qui marchaient de nuit hors les heures de grande chaleur et d’intense circulation routière. Malgré tout, les brebis ne s’arrêtaient pas et ne se reposaient donc pas.
Dans les années 1990, « progrès oblige », vint le temps où les bêtes montaient aux estives en camions mais elles stressaient et s’étouffaient pendant le trajet. Bientôt, quelques personnes soucieuses d’un équilibre entre modernité et tradition, relancèrent l’idée de la transhumance à pied avec la création de « Transhumance en Haut Salat » et la réouverture d’un itinéraire traditionnel nord-sud, longeant le torrent du Salat jusqu’aux pâturages de montagne proches de la frontière espagnole.

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Je me poste devant la table d’orientation du Cap Blanc sur la ligne de crête d’où je jouis d’un superbe panorama. Le soleil du matin joue à cache-cache avec les … moutons nuageux (poussés vers l’est par le vent, ils transhument aussi !), offrant une palette variée de verts aux prairies et collines de la vallée du Bas Salat. Parfois, un accroc au rideau de cumulo-nimbus laisse apparaître vers l’ouest, le Pic du Midi de Bigorre. L’instant serait magique s’il n’était pollué par la ronde infernale de deux débroussailleuses nettoyant une aire de pique-nique voisine … heureusement, la nature va vite retrouver son calme.
Au rythme de 3 kilomètres par heure, les brebis devraient passer dans une heure. Ici, ni caravane publicitaire vantant le « Bâton de berger », le « Mouton à cinq pattes » ou « Bergère de France » , ni tournoiement d’hélicoptères au-dessus des têtes … le Tour de France ne passera là que le 16 juillet … un conseil, installez-vous ce jour-là devant votre télévision juste pour admirer les paysages magnifiques traversés, lors de cette étape, par un troupeau autrement vitaminé!
Bientôt, me parviennent des signes avant-coureurs ou … « avant-moutons » ( ?) avec, de plus en plus proche, la « symphonie pastorale » des sonnailles aux cous des brebis. Toutes n’en possèdent pas. Le berger poète vous dira que c’est pour que le vent raconte l’histoire de leur montée pas à pas. En fait, ces cloches en tôle martelée sont accrochées aux brebis les plus élégantes ainsi qu’à celles, chefs du troupeau, pour entraîner leurs congénères.

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Quel bon « Génie des alpages » m’a permis de vivre ce moment de plénitude ? Les puristes vont me rappeler qu’aujourd’hui, nous sommes dans les Pyrénées mais, d’abord, « l’alpage » a acquis un sens plus universel, ensuite, je ne pouvais pas omettre ce clin d’œil aux inénarrables bandes dessinées de F’Murr contant la vie du berger Anathase Percevalve et de son chien lettré, amoureux des calembours, gardant un troupeau constitué d’un bélier macho et de brebis acariâtres dont la principale occupation est le lynchage des étrangers de tout poil (touristes, fonctionnaires, bêtes sauvages) … la fiction est bien plus proche de la réalité qu’on croit.

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Au bout de la ligne droite, une voiture aux feux clignotants annonce leur arrivée. Les brebis sont là, précédées par une rangée de bergers revêtus de gilets lumineux, tenant leur bâton à l’extrémité duquel, chez certains, est fixée la ganche ou « ganchou », un crochet de métal qui permet d’attraper les bêtes par la patte pour les tondre ou les soigner en évitant le désagrément d’une ruade. Les chiens ne tolèrent aucune échappée, le peloton (pardon, le troupeau !) passe groupé. La plupart des 800 brebis de race tarasconnaise, toison écrue marquée de la lettre bleue M (comme Martres) appartiennent au même élevage … juste, quelques moutons noirs qui ne portent pas malheur, au contraire, puisque la légende dit qu’il en fallait toujours dans un troupeau pour conjurer les effets de la foudre … et puis, pourquoi la France ovine du XXI ème siècle ne serait-elle pas aussi, « black, blanc, beur » ! D’autres bergers accompagnés d’amis, voisins et randonneurs ferment le cortège qui s’arrête quelques dizaines de mètres plus loin … heure du casse-croûte oblige.

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Les ovins s’égayent dans les talus, prés et sous-bois environnants, les humains se rassemblent autour de quelques tréteaux et sortent de leurs poches « capucin » ou « laguiole » pour couper au bout du pouce, un morceau de ventrèche et de saucisse grillée. C’est un moment privilégié de convivialité où les éleveurs et bergers peuvent dialoguer avec les gens du pays et les vacanciers sur les métiers du pastoralisme ainsi que leur cohabitation en milieu montagnard.

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Sans endoctrinement, le « pasteur » éveille ses ouailles du jour aux « pégadès », terme d’origine occitane, « empegar » coller, « pego » colle, désignant les blasons populaires et les marques de reconnaissance et de propriété apposés sur les moutons destinés à transhumer.

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Il évoque aussi son « bras droit à quatre pattes », le chien qui l’assiste. Pour le travail, deux races sont prépondérantes, le berger des Pyrénées ou labrit de petite taille et de caractère difficile supplanté de plus en plus par le Border Collie. Originaire des Highlands d’Ecosse, ce petit chien noir et blanc, rapide, tenace, réceptif et docile, est un excellent encercleur et sait trier et isoler les bêtes dans le troupeau. Son seul défaut est de ne pas aboyer, ainsi la garde et la protection du troupeau sont confiées au « Montagne des Pyrénées » dit Patou, de forte corpulence et à la belle fourrure blanche qui, malgré ses airs placides, peut être féroce quand il sent les bêtes menacées.

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Il est temps de reprendre la route vers la cité de Saint-Lizier où le troupeau passera la nuit au pied du Palais des Evêques et du superbe cloître roman inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le lendemain, je fais sonner le réveil aux mâtines pour monter vers d’autres troupeaux plus loin dans la haute vallée du Salat. Heureuse surprise, dans la traversée de Lacourt, la route est barrée pour laisser passer la transhumance de 40 vaches gasconnes qui franchissent le pont pour emprunter la route des tunnels sur la rive droite du Salat, neutralisée à leur intention. Je longe la rive gauche puis dépasse Oust et Seix où quelques bénévoles mettent la dernière main pour les animations et festivités qui accompagnent l’activité pastorale proprement dite.
Je bute bientôt sur un premier troupeau filant bon train qui, à hauteur du Moulin de Lauga, traverse le gave pour rejoindre la cabane d’Areou par le sentier de la vallée d’Estours et le bois de Bibet.

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Au pont de la Taule, à hauteur de la route qui conduit à la station de sports d’hiver de Guzet-Neige, je m’immisce dans le cortège qui mène un troupeau de 1 000 brebis vers l’estive de Pouilh. Décrassage assuré pour les poumons du parisien d’adoption que je suis, avec cette marche dans la vallée encaissée, en bordure du Salat impétueux qui fera bientôt le bonheur des kayakistes. L’allure est soutenue, juste interrompue le temps que le berger ramène dans le droit chemin, les quelques bêtes qui goûtent à l’herbe tendre des talus.

 

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Les gens de Couflens n’appartiennent pas à la France qui se lève tôt … la mine fripée, en robe de chambre ou chemise de nuit, ils regardent de leurs fenêtres, le spectacle pittoresque de ce torrent laineux inondant l’artère principale de leur village.
J’occupe une place privilégiée auprès d’un sympathique berger qui, durant plusieurs kilomètres, va me conter des vraies histoires d’ours propres à effrayer les enfants. Rappelez-vous mon billet du 3 avril 2008, cette fois, j’ai enfin vu l’homme qui a vu l’ours ou presque car l’animal sort de sa tanière et commet ses méfaits la nuit quand l’homme dort dans sa cabane. La nouvelle court dans la confrérie pastorale, deux brebis de la transhumance du week-end précédent ont péri, cette semaine, sous l’attaque d’un des ours importés de Slovénie. Au temps des estives, il n’est pas une semaine sans que La Dépêche du Midi, le quotidien régional, ne relate les assauts prédateurs des ursidés et la colère des éleveurs. Certains, très minoritaires, à mots couverts, avancent la thèse d’un bétail mal soigné et mal gardé, victime surtout de la mouche et des chiens errants. En tout état de cause, ce n’est pas à quelques technocrates parisiens du ministère de l’écologie et du développement (peu) durable (des brebis) de décider unilatéralement de la réintroduction artificielle des vilains « gentils nounours » au pays des montreurs d’ours.

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Quelques randonneurs désespèrent (avec le sourire) d’apercevoir à l’horizon du défilé étroit et tortueux, le hameau de Salau où est prévue une pause casse-croûte. Il est vrai qu’ils ont déjà quinze kilomètres dans leurs jambes de citadins peu entraînés.
Pour leur faire oublier la fatigue, je leur parle des mines de tungstène du cirque d’Anglade, florissantes dans les années 1970, de la magnifique chapelle romane du XII ème siècle, de la catastrophe du 6 novembre 1982. Ce soir d’orage, les eaux du Cougnets viennent grossir le Salat. Sous la puissance des flots, la pile du pont s’incline, déviant ainsi le cours du torrent en furie vers l’église dont la nef et le chœur s’effondrent dans la nuit au grand effroi de la population de mineurs.

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Voilà, le clocher apparaît ; sonnailles et bêlements s’entremêlent pour remercier les touristes de leurs applaudissements, dans la traversée pentue de Salau. Quelques brebis ont sorti leur tonte d’apparat avec une jolie perruque laineuse à l’arrière du crâne. La halte est proche, au-dessus, le soleil éclaire la montagne encore enneigée.

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Je laisse à regret le troupeau et redescend au fond de la vallée. Des bergers landais sur leurs échasses et la banda des Gais Rimontais, animent maintenant les rues de Seix.
A proximité de la porte de Kercabanac qui donna son nom, il y a une trentaine d’années, au roman à succès de Loup Durand (l’aventure de deux jeunes ariégeois voulant conquérir l’Amérique), je retrouve avec plaisir la ‘Fanfanshumance » proche du terme de sa seconde étape. Les randonneurs de la veille, ont pris de l’assurance et assistent les bergers dans le bon cheminement du troupeau. Demain dimanche, vers 13 heures, les brebis prendront leurs quartiers d’été à l’estive du Mont Rouch avant de redescendre en octobre, leur chair goûteuse de la bonne herbe sentant la réglisse. Ce sera l’occasion d’autres réjouissances un brin mélancoliques comme tous les adieux.

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En août, j’ai déjà programmé une visite là-haut dans la montagne. Mon âme d’enfant aime les histoires de loups, d’ours et maintenant encore plus, de moutons et de bergers.

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 24 juin, 2008 |5 Commentaires »

Un métier à ferrer en Couserans

Ce matin-là, les écoliers de La Bastide du Salat, en Ariège, n’en croient pas leurs yeux. En face de leur école, rien que pour eux, ressuscite une scène « d’autrefois le Couserans ». Le métier à ferrer accueille deux bœufs massifs d’environ une tonne, venus en camion du village de Betchat, de l’autre côté des collines boisées. Ils appartiennent à la race « casta », encore appelée « aure » et « saint-girons » du nom de leur berceau d’origine, la vallée d’Aure dans les Hautes-Pyrénées et le bassin de Saint-Girons dans le Couserans. Casta qui vient de « castagne », la châtaigne, désigne la couleur sombre de leur robe. Les vaches de cette race connurent leur âge d’or dans les montagnes d’Ariège, avant la seconde guerre mondiale, lorsqu’elles étaient traites pour la fabrication du célèbre fromage de Bethmale. Depuis 1958, le cheptel est tombé de 30 000 à 300 têtes. Quelques éleveurs tentent de maintenir la survie de la race.

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Heureux et ému, Jean Martres, l’ancien forgeron et maréchal-ferrant du village, n’a pas voulu manquer ce moment et égrène volontiers quelques souvenirs et anecdotes. C’est d’ailleurs, son propre métier à ferrer qu’il céda à la commune à l’heure de la retraite, qui va encore prouver sa robustesse face à l’humeur du bétail.
L’essentiel de son travail consistait en l’entretien du matériel à traction animale et le ferrage des chevaux et bovins qui marchaient sur des chemins empierrés pour rejoindre les champs au temps des labours et tirer les chariots de bois et de céréales moissonnées. Son activité cessa au début des années 1960 avec la mécanisation et le développement des tracteurs.

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Les deux bœufs présents ce jour, ne sont attelés qu’à l’occasion de transport du bois dans des endroits d’accès malaisé, et d’animations lors des fêtes locales pour faire renaître les coutumes anciennes. Bien qu’âgés de six ans et demi, c’est la première fois qu’ils entrent dans le système à ferrer pour subir un nettoyage des sabots.

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Avant d’effectuer l’opération, il s’agit de préparer l’animal afin qu’il devienne inoffensif. En ayant soin de ne pas blesser ses cornes, on lie sa tête au joug à l’avant pour qu’il ne puisse plus avancer ni reculer.

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Puis avec un cric, on le soulève légèrement après lui avoir fixé deux sangles ventrales. Ensuite, on entrave une patte arrière en l’enchaînant à un pilier du métier. Enfin, avec une corde, on soulève la patte à travailler afin de la mettre à la bonne portée du maréchal-ferrant qui, aujourd’hui, se contente de « parer le pied » pour fournir au bœuf, un meilleur confort de locomotion.

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A l’aide du rogne-pied et de la mailloche, il enlève le surplus de corne à la partie inférieure du sabot. On dit qu’il « abaisse la muraille » afin que la bête puisse poser correctement la patte sur le sol.

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Ensuite, avec une râpe, il finit d’égaliser la « sole », qui correspond à la plante du pied.

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Enfin, avec la cisaille, il raccourcit l’ongle trop long. Comme lorsque nous coupons trop court un de nos ongles, survient à l’une des pattes, un saignement plus impressionnant que douloureux à voir l’air paisible du bœuf. Le maréchal-ferrant va répéter les mêmes gestes à huit reprises (deux bœufs à quatre pattes, le compte est bon !).

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Jean Martres, volubile, nous conte l’opération de ferrage qui n’est pas prévue aujourd’hui. Il extrayait d’abord les clous des fers usagés à l’aide de grosses tenailles, les « tricoises ». Ensuite, il procédait au ferrage proprement dit qui s’effectuait, pour une meilleure efficacité, le plus souvent, à chaud autour de 1 000 degrés. Ainsi, le fer était bien ajusté et épousait mieux la corne du sabot. Selon la quantité de travail abattu par l’animal et le type de chemins empruntés, la longévité d’un fer était de trois mois. Ce sont 2 500 fers à bœufs qui étaient posés, chaque année, à l’époque florissante de la profession. Il préparait, à la fin mars, son stock de fers qu’il fabriquait à partir d’une ébauche. Comme pour nos chaussures, il existait différentes pointures de fers ( de 2 à 6) adaptées à la taille des sabots. Le fer à bœuf est complètement différent du fer à cheval bien connu qui trônait souvent aux portes des maisons et sur les cheminées en guise de porte-bonheur. Sur chaque sabot de bœuf, sont cloués deux fers de taille inégale car l’ongle intérieur est plus étroit et petit.

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Le maréchal-ferrant empiétait souvent sur les prérogatives du vétérinaire trop onéreux pour les paysans. Il lui arrivait, avec sa scie à métaux, de raccourcir les cornes trop longues. Lorsqu’il touchait par malheur, la partie vivante de la corne, il stoppait l’hémorragie de sang en cautérisant au fer rougi. Il procédait aussi, avec le trocart, au perçage des panses des animaux qui avaient trop abusé de trèfle ou sainfoin. Il élaborait encore quelque remède de bonne femme à base de miel, vinaigre et sulfate de cuivre pour soigner, avant de les panser, les bêtes blessées par un clou ou un tesson de bouteille.
Il soignait l’œil des bovins quand une « balle « d’avoine jetée de la grange au-dessus dans la mangeoire de l’étable, se logeait dans la cavité orbitale au risque de faire perdre l’usage de la vue à la bête. Avec son doigt recouvert d’un petit bout de tissu de lin enduit d’huile, il épousait sous la paupière, la forme de l’œil et enlevait le corps étranger gênant.
Jean Martres, digne d’un ostéopathe, se souvient même d’avoir guéri des foulures d’une patte avant d’un bovin en lui repliant le membre sur l’épaule !
Hors La Bastide, la majorité des bêtes provenait de Lacave, le village voisin, et des fermes de la Haute-Garonne limitrophe, notamment de Castagnède, His et Touille.
Le nettoyage des sabots et le ferrage s’effectuaient surtout lorsque le mauvais temps empêchait les agriculteurs de travailler dans leurs champs. Il faut donc imaginer l’affluence de paysans et d’animaux dans la cour du forgeron et sur le pré communal ainsi que les conversations animées presque exclusivement en patois.
La matinée s’achève par un moment fleurant délicieusement le terroir durant lequel le propriétaire des bœufs récapitule en langue occitane, les différentes étapes du nettoyage des sabots.

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Dans mon esprit, dansent des images et des sons d’il y a cinquante ans, le crottin des chevaux qui « décorait » le pavé de la rue de la République, artère principale de ma petite ville natale de Normandie, Monsieur Guignant actionnant le soufflet de sa forge rougeoyante, le bruit du marteau sur l’enclume quand il ferrait d’imposants chevaux percherons ou boulonnais.

 

 

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 18 juin, 2008 |12 Commentaires »

Rendez-vous au jardin de l’Hôtel Matignon

Ce dimanche-là, j’ai rendez-vous au jardin de l’Hôtel Matignon, résidence officielle du Premier ministre du gouvernement français, dans le cadre d’une manifestation organisée par le Ministère de la Culture et de la Communication pour mettre à l’honneur les parcs et les jardins publics et privés.

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L’Hôtel Matignon se trouve dans le VIIème arrondissement de Paris, au 57 rue de Varenne, l’ancien « chemin du bois de la Garenne » qui reliait le faubourg Saint-Germain au terrain marécageux que choisit Louis XIV pour construire l’Hôtel des Invalides. Il ne faut pas confondre avec l’avenue Matignon (au Monopoly, rues rouges avec l’avenue Malesherbes et l’avenue Henri Martin !!!) proche de l’Elysée sur l’autre rive de la Seine. En 1719, le maréchal de France Charles-Louis de Montmorency Luxembourg, prince de Tingry, y acquiert un terrain de 2 869 toises (environ 3 hectares) sur lequel il fait aménager un jardin, et passe commande à l’architecte Jean Courtonne pour la construction de l’Hôtel.Les travaux s’avérant trop coûteux, l’hôtel en voie d’achèvement est cédé à Jacques de Matignon, prince de Monaco, ce qui explique son appellation actuelle.Durant deux siècles, il change plusieurs fois de propriétaires, notamment Monsieur de Talleyrand en 1808, Napoléon 1er en 1811, l’Empereur François-Joseph d’Autriche en 1886 qui y installe l’ambassade d’Autriche-Hongrie. L’Etat français en redevient propriétaire en 1922 et le Président de la République Gaston Doumergue décide, en 1935, d’en faire le lieu de vie et d’exercice du Président du Conseil qui prend le nom de Premier Ministre en 1958 avec la Constitution de la Vème République. Pierre Etienne Flandin est le premier à l’investir, un an avant qu’y soient signés entre Léon Blum et les grévistes du printemps 1936, les « accords de Matignon » instituant les congés payés et la semaine de quarante heures.

De son bureau, le Premier Ministre jouit d’une vue remarquable sur l’un des plus beaux jardins de la capitale. Ce quartier possède nombre de ministères, ambassades, hôtels particuliers avec de superbes parcs souvent cachés que révèlent les longues vues en haut de la Tour Eiffel.

Pour cette visite exceptionnelle, l’accès s’effectue par la rue de Babylone artère parallèle à la rue de Varenne. Après une attente d’une demi-heure, nous franchissons … un portique de détection avec fouille des sacs et délestage des poches, sécurité oblige, avant de nous retrouver enfin sous les frondaisons. Par petits groupes, nous suivons un parcours très délimité, accueillis à différents endroits par les jardiniers qui nous proposent leurs commentaires éclairés. Les photographies sont autorisées dans des axes très précis hors la vue de l’hôtel lui-même … j’ai très légèrement enfreint la consigne !

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Près de 3 siècles d’art des jardins sont lisibles dans le plus grand parc privé de Paris qui compte 350 arbres et une centaine d’espèces. Sa réalisation appartient à deux prestigieux architectes du paysage, d’abord Claude Desgot, neveu et collaborateur de Le Nôtre, puis en 1902, Achille Duchêne.

Elle associe habilement la perspective à la française avec des allées rectilignes, la concordance des points de fuite, la volonté de corriger la nature pour y imposer la symétrie, et la plantation à l’anglaise fondée sur la sinuosité avec une végétation plus naturelle prêtant au romantisme.

Première surprise, en bordure de la pelouse, dans un massif, la tombe ancienne d’un … chien sans doute offert par un ambassadeur.

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La seconde provient de pancartes accrochées aux feuillages associant le nom de l’arbre à celui d’un premier ministre. En effet, en 1979, Raymond Barre ayant mis en terre un érable à sucre offert par des écoliers canadiens, a lancé la tradition que chaque Premier ministre plante, à son arrivée, un arbre de son choix dans le parc.

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Tous y ont sacrifié à l’exception de Jacques Chirac pour une raison qui ne nous a pas été précisée. Vu la prédilection pour les pommes qu’on lui accordait aux Guignols de Canal plus, il aurait pu envisager de planter cet arbre fruitier ! Il préférait peut-être laisser une trace dans le palais présidentiel qu’il allait fréquenter quelques années plus tard.

Certains ont opté pour des chênes, de Hongrie pour Pierre Mauroy, des marais pour Laurent Fabius, pédonculé pour Dominique de Villepin, avec des fortunes diverses. Celui de Pierre Mauroy dut être abattu rapidement comme son gouvernement de programme commun avant qu’en 2005, Jean-Pierre Raffarin ne demande d’en replanter un nouveau spécimen. Quant à celui choisi par Laurent Fabius, il apparaît aussi maigrelet que ses chances d’accéder un jour aux plus hautes fonctions de l’Etat.

Paradoxalement, Edith Cresson qui fut l’hôte des lieux le plus éphémère, n’y demeurant que onze mois, porta sa préférence sur le ginkgo biloba, le plus vieil arbre du monde apparu il y a 270 millions d’années, le plus résistant également car c’est le seul qui repoussa sur le sol calciné par la bombe atomique d’Hiroshima en 1945. Il porte parfois le nom d’arbre aux quarante écus, somme payée pour l’introduction de cinq spécimens sur notre territoire. L’inflation existe aussi en ce domaine et des gens le baptisèrent arbre aux mille écus à la vision des feuilles en éventail de couleur or pendant leur floraison en octobre. Est-ce cette teinte qui conquit notre première «Premier ministre femme » laquelle avait affublé les japonais du surnom de « fourmis jaunes » !

Ses prédécesseurs socialistes eurent un comportement « atlantiste « prononcé, Pierre Bérégovoy plantant un tulipier de Virginie tandis que le Copalme d’Amérique de Michel Rocard fait l’admiration des visiteurs par son envergure et ses feuillages or et pourpre à l’automne.

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Lionel Jospin se montra très « nationaliste » en préconisant la plantation d’un orme de Lutèce tandis que Edouard Balladur porta son choix sur un érable argenté … seize ans après avoir écrit « L’Arbre de Mai », les vingt jours qui ont fait trembler la France, au printemps 1968 alors qu’il était jeune conseiller aux affaire sociales du Premier ministre Georges Pompidou.

Culture politique et culture forestière forment un curieux ménage.

Alain Juppé et François Fillon font bande à part, du moins géographiquement, en ayant souhaité comme emplacement de plantation, le sud du parc, à proximité du Pavillon de musique.

Le maire actuel de Bordeaux a été séduit par le Cercidiphyllum Japonicum appelé vulgairement arbre caramel parce que ses feuilles, lorsqu’elles tombent, dégagent une odeur de caramel ou de sucre brûlé.

Dernier en date, en décembre 2007, François Fillon a enrichi le jardin d’une espèce asiatique, le cornouiller des pagodes dont les branches poussent en étages successifs rappelant les toits des pagodes comme celle qui abrite un cinéma à quelques dizaines de mètres de là, rue de Babylone.

Ces arbres ajoutent une dimension exotique au parc, particulièrement à l’époque de « l’été indien ».

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Nous nous retrouvons bientôt au pied du perron de la façade arrière de l’hôtel où nous attend le conservateur. Au grand étonnement et scepticisme des promeneurs, il affirme péremptoirement que le Premier ministre n’a jamais l’occasion de vivre heureux au pied de ses arbres tant son rythme de travail infernal lui interdit toute fréquentation du parc. La presse avait pourtant fait écho de la réunion des parlementaires de la majorité présidentielle et des membres du gouvernement autour de François Fillon pour sonner la mobilisation avant les élections législatives de juin 2007 ! J’ai souvenir aussi de photographies de Raymond Barre et Laurent Fabius lors de réceptions dans les jardins … bref !

Dommage également que le Premier ministre préfère les allées du bois de Boulogne pour effectuer ses joggings en compagnie du Président de la République.

Je m’arrête quelques instants devant un banc de pierre ombragé propice à la rêverie et … à la recherche de solutions aux conflits sociaux !

 

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J’ai une pensée pour les « jardiniers d’art » affectés aux parcs et jardins appartenant à l’Etat. Leurs tâches variées, nécessitent des connaissances profondes dans des domaines très divers comme l’horticulture, l’hydraulique, l’étude des sols, la chimie, la mécanique.

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Parvenus devant la majestueuse allée bordée de tilleuls, l’un d’eux nous explique la notion de perspective accélérée et les procédés pour raccourcir visuellement la perspective et rassurer la fatigue du promeneur ou au contraire, la prolonger pour donner l’impression d’une fuite infinie. Ici, entre notre point d’observation et le bout de l’allée, l’écartement des deux rangées d’arbres diminue de deux mètres ; d’autre part, l’intervalle entre chaque tilleul se rétrécit à mesure que l’on avance.

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Nous empruntons la contre-allée de droite, celle de gauche est surveillée par deux gardiens de la paix interdisant ainsi l’approche du jeune cornouiller des pagodes aux feuilles crème et du … boulingrin !

La promenade s’achève. La petite fille qui m’accompagne, prend l’initiative de signer le livre d’or, de sa jolie écriture : « Merci pour cette merveilleuse visite, j’ai appris beaucoup de choses. »

Cette dédicace consensuelle née de la fraîcheur enfantine conclut ce « rendez-vous aux jardins ».

A la sortie, derrière notre passage, une femme de ménage passe l’aspirateur pour nettoyer le pavé de la boue laissée par les semelles de nos chaussures !

Dans la rue de Babylone, la file d’attente s’est allongée sur le trottoir. Je fredonne :

« Auprès de mon arbre

Je vivais heureux

J’aurais jamais dû

M’éloigner de mon arbre

Auprès de mon arbre

Je vivais heureux

J’aurais jamais dû

Le quitter des yeux.

Le surnom d’infâme

Me va comme un gant

D’avecques ma femme

J’ai foutu le camp

Parce que depuis tant d’années

C’était pas une sinécure

De lui voir tout l’temps le nez

Au milieu de la figure.

Je bats la campagne

Pour dénicher la

Nouvelle compagne

Valant celle-là … »

Toute ressemblance avec un grand personnage de l’Etat (par son rang !) n’ayant jamais habité l’Hôtel Matignon, appartient au talent visionnaire de Georges Brassens auteur de ce refrain.

 

 

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 11 juin, 2008 |1 Commentaire »

Land art en Yvelines, les « Environnementales »

Dans son « Dictionnaire des idées reçues », à l’article « nature », Gustave Flaubert écrit : « Que c’est beau, la nature ! A dire à chaque fois que l’on se trouve à la campagne. »
Aujourd’hui, je suis à la campagne, dans le parc paysager de Jouy-en-Josas, tout près de Versailles. L’Ecole de l’Environnement et du Cadre de Vie (TECOMAH) y organise les « Environnementales », une exposition d’art contemporain à ciel ouvert.
J’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir de « land art » dans un billet daté du 9 mars 2008 à propos d’une action artistique insolite dans une prairie ariégeoise. Cette fois, c’est une dizaine de créateurs d’art contemporain de renommée internationale qui interviennent dans et avec la nature, assistés techniquement par les étudiants de l’établissement horticole.
A première vue, leurs initiatives peuvent sembler incongrues tant l’histoire de la planète place la nature au début de tout, avant tout. Pourtant, n’est-il pas plus juste de penser que l’Homme a participé à sa construction … autant qu’à sa destruction d’ailleurs, ce qui suscite aujourd’hui de vives inquiétudes environnementales.
Par d’autres chemins, les artistes rejoignent les laboureurs, les cantonniers, les jardiniers, les promeneurs, les ingénieurs, le vent, la pluie, la sécheresse, tous ces agents qui agissent consciemment ou inconsciemment sur l’espace naturel. Acceptons donc les traces que les plasticiens inscrivent dans le paysage, souvent avec un certain bonheur.
Le fléchage pour localiser les œuvres, laisse à désirer mais, contre mauvaise fortune bon cœur, cela concourt très vite à un délicieux vagabondage au tour de l’étang et sous les frondaisons du parc.
Facilement repérable de loin, surgit de sous les arbres, dressée sur un petit tertre, la proposition de l’artiste ardéchoise Marie Denis, « Le Bonzaï II », un immense pot orange contenant un remarquable pin centenaire. L’artiste amène le spectateur à éprouver la difficulté enfantine pour maîtriser la proportion et l’échelle des choses. Elle a conçu un pot de fleur de quatre mètres cinquante de haut et quatre de diamètre, en harmonie avec son hôte, un résineux de vingt mètres.

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Comme beaucoup d’artistes oeuvrant dans le paysage, pour réaliser son projet, elle a fait appel au savoir faire des techniciens de certaines corporations, en la circonstance, un serrurier d’art pour élaborer la structure métallique et un osiériste pour concevoir le tressage du pot. En m’approchant, je constate que l’effet vannerie est obtenu par le tressage de trois mille mètres de tuyaux d’arrosage comme un clin d’œil à l’outil de l’arroseur, élément incontournable au bon entretien des jardins.

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Longeant les courts de tennis où des étudiants échangent quelques balles, je pars à la rencontre de « Toupie et cage », œuvre de Serge Bottagisio et Agnès Decoux, un couple qui vit et travaille dans le Gers. Avec un peu de difficulté, je parviens à la dénicher dans un endroit délaissé du parc, le genre d’espace où on abandonne les objets encombrants et hors d’usage. Ces deux sculpteurs, m’apprend le dossier de presse, s’inspirent dans leurs projets, de formes primaires comme les sphères, les cylindres, les carrés, les rectangles ; ici, ce sont deux cônes en béton et terre cuite, basculés sur un lit de paille, comme deux fossiles.

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Taillés à la hache et travaillés de manière circulaire, gris et ridés comme une peau de pachyderme, ils procurent des sensations contraires entre lourdeur et grâce, entre le rugueux du corps de la toupie et sa face polie, entre la densité de la toupie et la fragilité du squelette de la cage voisine. La lumière matinale joue avec bonheur sur les différentes surfaces en gommant ou valorisant leur relief. Les deux formes quasi primitives ne sont pas sans rappeler par le mystère qu’elles dégagent, les statues néolithiques de Filitosa en Corse et les mégalithes de l’île de Pâques.

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Je me rapproche de l’étang où un paisible pêcheur se débat avec une carpe de taille respectable. Avant de la rejeter à l’eau, il la délivre de l’hameçon et la présente devant l’objectif de mon appareil photo … poisson entre deux eaux, nature morte éphémère.

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Le soleil généreux laisse à penser que je n’entendrai pas aujourd’hui, la « Conversation par jours de pluie : deux fontaines » imaginée par Gilles Bruni. Non loin d’une petite cascade au gazouillis rafraîchissant, l’artiste s’est glissé dans le paysage, créant un curieux dialogue entre deux fontaines, d’un côté, la bouche béante d’une buse de rejet des eaux pluviales, de l’autre, installée le long du toit d’un hangar de rangement de canoës, une gouttière déversant un filet d’eau dans une barque en guise de bassin. Une poule d’eau effarouchée semble signifier, « circulez, il n’y a rien à voir », il ne pleut pas ! Malgré leur mutisme, je médite quelques instants devant cette fable des fontaines, à l’ombre des saules pleureurs d’où jaillissent des iris des marais éclatants. Elle met en scène la grande « gueule » (terme ancien des fontainiers) du déversoir et la fine bouche de la gouttière. Le canoë est détourné de sa fonction primitive.

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J’arpente maintenant les berges de l’étang. Sur l’autre rive, la teinte orange fluo du pot au bonzaï, utilisée par les cantonniers comme couleur signalétique, détourne encore mon regard et vibre en reflets dans la pièce d’eau.

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Bientôt dans une petite combe en contre bas de la route qui sinue dans le parc, apparaît sur la page verte du paysage, un signe familier de vos claviers d’ordinateur. L’anglais Ian Baxter& a déposé un talus plaqué de gazon en forme d’esperluette comme celle qui se trouve à la fin de son nom d’artiste. Cet élément typographique qui a pour habitude de relier, associer, fait lien entre art et nature. Malheureusement, l’absence de point de vue suffisamment élevé, nuit à la clarté de la lecture. Dommage, j’aimais l’idée de cette écriture végétale rapportée à l’échelle du paysage.

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Là-bas, suspendue au-dessus de l’eau de l’étang, une enseigne rouge et deux mots : « ici/là », dispositif conçu par l’artiste australienne Christine O’Loughlin. En fait, ces mots sont à l’envers et c’est leur reflet dans l’eau qui restitue le bon sens de la lecture. Au gré de la surface changeante du plan d’eau, selon l’humeur de la brise légère, les mots immatériels disparaissent « pas ici/pas là » et réapparaissent.
J’entre dans un sous-bois où Dimitri Xenakis a tendu des fils de nylon de troncs en troncs décrivant une curieuse géométrie dans l’espace forestier. Selon les moments, ils captent une lumière irisée révélant la toile tissée par d’improbables insectes. Un écureuil, peut-être interloqué, saute de branche en branche.

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Je passe devant quelques installations qui m’interpellent moins et m’approche du « coin de mauvaises graines » cultivé par Isabelle Tournoud. Dans une serre, des silhouettes d’enfants surgissent d’un champ de coquelicots.

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Deux élèves de bac pro sont affairés à arroser le tapis végétal. Ils participent à la vie de l’œuvre, à son évolution. Les coquelicots faneront, d’autres fleuriront d’ici la fin de l’exposition. A observer de plus près les mannequins, ne subsistent que les vêtements composés avec des graines de pavots. La narration traverse le travail de l’artiste. On imagine une bagarre récente entre ces chenapans, ces « mauvaises graines » . J’aime cette démarche de jouer sur la subtilité de la langue.

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La promenade s’achève. « Que c’est beau la nature ! » aussi lorsqu’elle porte les stigmates des actions des ‘land artistes ». A porter à la réflexion de nombre d’urbanistes coupables de défigurer le paysage.

« Les Environnementales », 5ème Biennale d’art contemporain « dans » et « avec » la nature. Tous les jours sauf lundi, 10h-18h, jusqu’au 11 juillet, Parc paysager de TECOMAH, chemin de l’Orme-Rond, 78 Jouy-en-Josas.

Publié dans:Coups de coeur |on 1 juin, 2008 |Pas de commentaires »

Le stade de Colombes

Ce jour-là, de retour d’un déjeuner avec un ami, je navigue dans la banlieue nord-ouest de Paris, pour rejoindre l’A86, lorsque surgit un long hangar dans l’échancrure ménagée entre les tours d’une cité. Pas de doute, un immense logo rouge sur le côté d’une tribune me le confirme, c’est le stade de Colombes, l’unique stade olympique de France pour quelques décennies encore, puisque Londres a été préféré à Paris pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2012.

Le stade de Colombes dans Coups de coeur colombes25exterieurblogcopie

Je m’arrête devant une entrée ouverte. Je replonge subitement dans ma jeunesse. À droite, un pavillon en meulière dont on rénove la toiture, à gauche un parking goudronné … Je me souviens de ce terrain alors en mâchefer où mon père garait sa Peugeot 203, où descendaient d’un car, le minuscule Gachassin, les immenses Dauga et Spanghero, prêts à affronter les diables All Blacks. C’était un temps sans casquettes, sans capuches ni oreillettes où les regards de nos idoles croisaient encore le nôtre. Jo Maso et sa « gueule d’ange » me signa le programme du match.
Devant le secrétariat du stade, un homme très affable, sensiblement de mon âge, m’accueille. Naît de suite une étonnante conversation d’anciens combattants des tribunes :
-J’ai eu envie de revivre quelques souvenirs d’il y a cinquante ans. Mon père me portait sur ses épaules, le match France-Hongrie avec Puskas, Kocsis …
- La France qui égalise deux partout et …
-Deux secondes trop tard, l’arbitre avait sifflé la fin de la rencontre
-J’y étais ! … et ce France-Belgique, 6 à 3 pour la France et …
- Cisowski qui marque cinq buts !
Nous y étions aussi ! Nos yeux s’illuminent … j’ai gagné un précieux sésame :
-Passez par là si vous désirez faire des photos !
Je m’engage dans un vomitoire, un de ces passages situés, à l’origine, sous les gradins des théâtres romains, pour faciliter la sortie des spectateurs. Il est baptisé « piste Joseph Maigrot » en hommage à un valeureux entraîneur d’athlétisme et des courses de sprint. Je sors mon « Blondin de chevet », vous commencez à connaître :
« Les quatre hommes vont se diriger vers la chambre d’appel, Bambuck est le dernier à l’échafaud. Maigrot a encore quelques pas de recul, plus éminence grise que jamais, véritable père Joseph. À soixante-six ans hors cadre, il ne peut se résoudre à quitter son œuvre et on tolèrerait mal qu’il ne continue pas à l’accompagner. Ce retraité, qui ressemble davantage à un cacique qu’à un pontife, n’est désormais payé de ses peines que par les médailles, cette monnaie des papes. À un âge où sa famille pourrait le revendiquer, il endosse le survêtement de l’équipe de France comme un costume de bal et son épouse, qui est poète, le comprend. Elle comprend les heures interminables à corriger un geste, à redresser un tort. Elle comprend ce mari dont le pouls se met à battre à 120 pour affaire d’un dixième de seconde. Elle comprend qu’il porte à l’occasion les sacs de ces jeunes gens et de ces jeunes filles dont il est en même temps l’éleveur et l’entraîneur. »
Voilà, je débouche en pleine lumière et frappe à la porte de la fameuse chambre d’appel, aujourd’hui en tartan, autrefois en cendrée, où les coureurs de 100 mètres et de 110 mètres haies creusaient avec une cuillère des starting-blocks de fortune.

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Devant moi, quelques éléments un peu mités d’un stade mythique. Flash-back sur ce centenaire ! C’est en effet en 1907 que le journal parisien Le Matin achète l’hippodrome appartenant à la Société des Courses de Colombes pour le transformer en un stade pouvant accueillir des compétitions de football, de rugby et d’athlétisme. L’enceinte devient le « Stade du Matin ». Le Racing Club de France loue les installations à partir de 1920 et joue un rôle prépondérant dans le choix controversé du site de Colombes pour y construire le stade où se dérouleront les Jeux Olympiques d’été de 1924. Parmi les autres projets, il faut souligner celui porté par le maire de Lyon Edouard Herriot qui justifie le style grec de l’architecture du stade de Gerland dont certains détails demeurent dans l’enceinte actuelle.
C’est Louis Faure-Dujarric, capitaine de l’équipe de rugby du Racing et également architecte, qui est choisi pour signer les travaux. La construction achevée en 1923, utilisant des matériaux modernes à l’époque (béton armé et armatures métalliques) répond à la volonté de réduire les coûts tout en offrant une excellente visibilité aux spectateurs et satisfaisant aux normes de sécurité … on en sourit aujourd’hui ! Sans atteindre la capacité « étalon » de cent mille places des grands stades à travers le monde, Colombes offre vingt mille places assises dans des tribunes couvertes et quarante-quatre mille debout dans les virages. De plus, il est équipé des moyens de transmission modernes (de l’époque, toujours), téléphone, télégraphe et le haut-parleur qui « constitua une des révolutions techniques, permettant au public d’entendre avec une audition parfaite, le Président de la République Gaston Doumergue déclarant l’ouverture des Jeux de la VIIIe olympiade de l’ère moderne ainsi que Géo André prêtant le serment olympique au nom de tous les athlètes ». Notons que le cérémonial de la flamme olympique qui fait tant couler d’encre actuellement, n’existe pas et n’apparaît qu’en 1928, aux Jeux d’Amsterdam.

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Cet après-midi, il faut effectuer un sacré effort d’imagination pour retrouver, tel que le décrit l’écrivain Marcel Berger, « le stade de Colombes, tout neuf, bleu et or, avec ses allures extérieures de palais arabe puis, quand on prenait place, sous ses ailes d’avion géant emportant le monde vers les templa serena du décamètre et du chrono … »

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De ce temps-là, de la période de ma jeunesse plus tard, il ne reste que la tribune d’honneur ayant fait une cure de jouvence avec la pose de sièges à dossiers aux couleurs pimpantes ciel et blanc du club actuel résidant, et quelques vestiges de tribunes populaires interdites d’accès.
L’autre tribune principale, en face des travées présidentielles, nommée « tribune marathon » fut rasée, il y a une dizaine d’années. Elle s’appelait peut-être ainsi du fait que s’y intégrait la porte dite de Marathon par laquelle débouchaient les athlètes lors du défilé d’ouverture des Jeux.

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Le stade fut rebaptisé en 1928 en hommage à Yves du Manoir, quelques mois après l’accident d’avion fatal à ce polytechnicien, joueur de rugby du Racing Club de France et demi d’ouverture du XV de France à vingt ans. Il donna également son nom au challenge Yves du Manoir, une prestigieuse compétition de rugby fondée sur la simple beauté du jeu. Dans les années 1960, le Stade Montois emmené par les frères Boniface, remporta plusieurs fois ce trophée très convoité.
Sur le bord de la piste, me reviennent en mémoire des souvenirs en couleurs d’un temps en noir et blanc … comme l’unique chaîne de télévision de l’époque. Nichée dans les poutrelles métalliques du toit de la tribune, subsiste encore la cabine où s’installaient les deux caméras destinées aux retransmissions … on était loin de l’armada de matériel de Canal + . C’est en 1952 que fut télévisée la première rencontre dans son intégralité, à l’occasion de la finale de la Coupe de France de football entre Nice et Bordeaux.

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Je me souviens quelques années plus tard d’un tour d’honneur sur la cendrée de l’équipe de Sedan victorieuse avec Zacharie Noah, le père de Yannick, et … Dudule, un sanglier des Ardennes, mascotte du club.
Dans les années 1950-60, les compétitions officielles de football étaient quasi-inexistantes en dehors des Coupes du Monde. La France disputait à Colombes trois ou quatre matches amicaux par saison qui jouissaient d’un grand prestige. Les rencontres se déroulaient le dimanche après-midi à quinze heures, en plus du traditionnel France-Belgique du 11 novembre. Comme c’était la coutume en ce temps-là, on « s’habillait en dimanche » ; les quelques femmes qui fréquentaient alors les arènes sportives, maugréaient contre les arêtes des bancs de béton qui émaillaient leurs bas !
Se procurer un billet n’était pas chose aisée. Dans le meilleur des cas, mon père obtenait des places en tribune. C’était toujours un petit coup de cœur, en haut des escaliers d’accès, de découvrir la belle pelouse verte investie par une fanfare militaire aux marches entraînantes. Parfois, une légère déception nous gagnait … Des grilles ou des piliers de fer nous masquaient quelques endroits stratégiques du terrain. D’autres fois, nous devions nous satisfaire de billets non numérotés dans les « populaires » des virages. Il fallait donc arriver très tôt pour accéder aux gradins supérieurs qui offraient une meilleure visibilité.

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Je m’attarde avec un brin d’émotion devant les deux quarts de virages qui demeurent encore aujourd’hui, délabrés, mangés par les mauvaises herbes, interdits à l’accès. Je repère, à quelques mètres près, l’endroit d’où je suivis tant bien que mal, un certain France-U.R.S.S. J’ai du mal à concevoir que ce jour-là, 62 145 spectateurs s’entassèrent dans le stade … le drame de Furiani ne surviendrait que quelques décennies plus tard !
Cependant, l’ambiance était festive, gouailleuse. Nul besoin de séparer les supporters … il faut dire qu’en la circonstance, on ne risquait guère de voir des sympathisants soviétiques franchir le rideau de fer ! Nulle fouille … les canettes de bière étaient permises et constituaient même un moyen de fortune à quelques astucieux juchés dessus pour pallier au manque de dénivelé des gradins et améliorer leur point de vue…
Je devais tout de même y voir, je me souviens encore, ô sacrilège, des Français jouant avec des bas cerclés rouge et blanc pour les distinguer de leurs adversaires, télévision en noir et blanc oblige.
La puissance financière des équipementiers ne polluait pas les maillots, de bandes et logos en tout genre. C’était le temps des maillots vierges de toute publicité, le col en pointe avec des boutons, qu’on ne pouvait pas acheter en supermarchés, et que gardait comme une relique, chaque joueur sélectionné.
Je traverse la piste d’athlétisme et me retrouve devant la rivière tarie que franchissaient les concurrents du 3.000 mètres steeple.

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Je me dirige vers l’ancienne sortie du long tunnel qui, sous la pelouse, menait des vestiaires. La main courante qui la borde, n’existait pas antan. Dans ses mémoires, André Boniface évoque son premier match du tournoi des cinq nations en 1954 :
La descente sous le tunnel qui conduit au terrain, m’angoissa un peu, c’était très mal éclairé, l’eau suintait sur les murs, le sol était inégal. J’avais la hantise de glisser et de me blesser. Après avoir gravi sept ou huit marches, on arrive à ciel ouvert derrière les poteaux et on est cerné par cinquante mille personnes. C’est une impression forte qui sublime. »
Enfant, j’étais fasciné par l’arrivée des joueurs, véritables taupes qui surgissaient de terre ou dieux du stade apparaissant en pleine lumière. Par mimétisme, dans le collège que dirigeait ma maman, j’avais fait la sortie de mes vestiaires, d’un escalier qui montait vers la cour, théâtre de mes dribbles et shoots.
L’eau y suinte à un point tel que le long souterrain est inondé et condamné par une grille.

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Je me place derrière les poteaux de rugby, dans l’en-but qui resta inviolé en 1960 (0-0, score rarissime en rugby !) lors d’un match héroïque contre les Springboks d’Afrique du Sud. Je pense encore à André Boniface évoquant « ce stade non fermé, aux virages bas, ouvert vers le ciel, vers l’infini, où l’on s’en va inscrire des essais de mille mètres ( !) » … vers les coteaux de Sannois et d’Argenteuil qu’on distingue vers l’Ouest.

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Ce stade appartient à la légende du sport et une mine d’événements s’y attachent.
En 1924, lors de l’olympiade, c’est l’exploit du coureur de fond finlandais Paavo Nurmi qui rafle cinq médailles d’or. On le surnommait « l’homme à la montre » car, à la fin de chaque tour de piste, il levait sa montre jusqu’aux yeux pour contrôler ses temps de passage et régler son allure.
En 1938, c’est la Coupe du Monde de football. Cinquante ans avant celle remportée par les « Bleus » non loin de là à Saint-Denis, c’est le trophée brandi par le capitaine italien Meazza avec le salut fasciste mussolinien qui déclenche des jets de pommes de terre et de boulets de charbon dans les tribunes populaires.
Ce sont les finales de la Coupe de France de football, et les rencontres de rugby du « tournoi des 5 nations » jusqu’en 1972 et la réouverture du nouveau Parc des Princes.
C’est en 1969, un match d’appui de Coupe d’Europe des clubs entre l’Ajax d’Amsterdam et Benfica de Lisbonne devant 63 638 spectateurs payants, record absolu d’affluence toutes compétitions confondues.
Ce sont de nombreux records d’athlétisme et le dernier saut en hauteur de Valeri Brumel.
C’est en 1972, un championnat du monde de boxe entre Jean-Claude Bouttier et Carlos Monzon.
C’est dans d’autres domaines, un concert de Bob Dylan en juin 1981, plusieurs rassemblements pour les messes en plein air des Témoins de Jéovah et … à la veille de la seconde guerre mondiale, l’utilisation du stade comme camp d’internement d’opposants allemands et autrichiens, juifs pour la plupart, qui seront livrés aux nazis par la police de Vichy.

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Je ressors de la pelouse et arpente quelques instants les coursives sous les tribunes. Je repère sur la porte d’un modeste local, l’inscription à la craie « Ecole de Perche, Mr Perrin ». Celui qui révéla quelques uns des meilleurs sauteurs à la perche mondiaux, continue à entraîner dans l’ombre, de nombreux jeunes.
Presque en face, discret derrière un petit mur de béton, se cache le terrain annexe Lucien Choine, la pelouse est impeccable, la tribune désuète est touchante par sa vétusté. Il n’était pas rare de croiser les joueurs, dans leur beau survêtement, se faufilant dans la foule pour aller s’y échauffer avant la rencontre. En effet, le terrain d’honneur était, à l’époque, occupé par un match de lever de rideau entre équipes de jeunes puis la représentation de la musique militaire qui interprèterait bientôt les hymnes.

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C’est là également que se déroulait le matin de la finale de la Coupe de France, le concours du jeune footballeur dont les lauréats étaient présentés au public l’après-midi ; parmi ceux-ci, Jean-Michel Larqué en 1964, Raymond Kopa ne finissant que second en 1949 derrière un certain … Jean Saupin !!!
La visite parvient à son terme. Durant une heure, j’ai retrouvé des rêves d’enfance comme en connaissent aujourd’hui, malheureusement contre monnaie sonnante et trébuchante, les visiteurs du Stade de France et de la place de Zidane dans le vestiaire le jour de la finale victorieuse de 1998.
Quel avenir sera réservé à Colombes ? L’ensemble du site de 24 hectares a été racheté par le Conseil Général des Hauts-de-Seine au Racing Club de France. Dans des conflits d’intérêts, plusieurs projets s’opposent.
En ce moment, les rugbymen du « Racing-Métro 92 » y évoluent en route peut-être pour une remontée dans l’élite du « Top 14 ».
« Quoiqu’il arrive, nous voulons garder l’histoire du stade » déclare le nouveau maire de Colombes … Puisse-t-il avoir raison !
« Magiques comme les phonolithes, les stades restituent sans cesse tout ce que les champions et leurs supporteurs leur ont donné … Les bruits, les parfums, les couleurs des maillots reviennent en mémoire. »colombes3blog1.jpg



Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 6 mai, 2008 |21 Commentaires »

Etre supporter du PSG … ou d’ailleurs

 

Le coup de coeur du jour ressemble à un coup de gueule.

Nul citoyen français, même étranger à la chose sportive, ne peut ignorer « l’affaire » de la banderole ignoble déployée par quelques dizaines d’énergumènes à l’encontre des Ch’tis lors de la finale de la Coupe de la Ligue de football tant le battage médiatique, depuis deux semaines, a été poussé à son paroxysme.

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Au-delà du caractère odieux et misérable de cet acte éminemment condamnable, il faut bien constater la profonde faux cuterie du monde politico-médiatique et des instances sportives.
En effet, le fait est loin d’être exceptionnel et beaucoup de messages aussi insultants ont fleuri dans les stades français sans qu’ils aient été stigmatisés, ni même parfois signalés.
Ainsi, lors d’un derby récent, les « supporters » lyonnais commirent à l’égard de leurs « rivaux » stéphanois, quelques calicots tels que « Stéphanois ordures consanguines » (tiens aussi !) et « Les Gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines » !
Dans une tribune bordelaise, on a pu lire aussi « Parisiens, l’hiver vous polluez nos montagnes, l’été vous polluez nos plages, aujourd’hui vous polluez notre stade, dégagez ! »
La liste des slogans à caractère injurieux et raciste proférés dans les stades, pourrait être fort longue et écornerait probablement quasiment tous les clubs de football professionnels.
Alors, au nom de quelle bonne conscience se révolte t-on cette fois-ci tandis que la dérive est ancienne ? L’hypocrisie demeure au sein même de l’issue à donner à l’affaire présente tant les autorités sportives et politiques sont ennuyées sur les sanctions à prendre. En effet, enlever des points dans le championnat au club parisien reviendrait à signifier sa descente en division inférieure. A l’époque du « foot business », il serait très dommageable d’un point de vue économique, qu’il n’y ait aucun club de la capitale dans l’élite. Très récemment, les clubs de Metz et Bastia ont été condamnés pour des faits racistes avec beaucoup plus de célérité et moins de compassion. Rappelez-vous Jean de La Fontaine et « Les animaux malades de la peste », « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ! …
Loin de moi ici, l’intention de faire une exégèse sur les dérives du sport spectacle, des chercheurs en sociologie du sport le font avec beaucoup plus de talent.
L’amoureux du sport, école de la vie parfois, que je suis, se contentera d’évoquer quelques anecdotes qui ont jalonné cinquante ans de fréquentation des enceintes sportives.
Le Petit Larousse définit le « supporter » comme « partisan d’une équipe qu’il encourage exclusivement ». Je suis tombé sur le web, sur une définition humoristique et caricaturale en écho aux débordements actuels : « personnage dodu, niais et ivrogne, se manifestant dans les rangs du public lors de compétitions de football, en en perturbant le déroulement par des vociférations, des jets de bouteilles et de pétards » et l’on pourrait ajouter la confection de banderoles grossières !
Je vous en livre une autre que j’ai envie d’endosser: « supporter : encourager, soutenir (verbe)/amateur, passionné (substantif) ». C’est dans cet esprit que mon père m’emmena, dès l’âge de cinq ans, sur les gradins du stade des Bruyères de Rouen, aujourd’hui baptisé stade Robert Diochon. Il ne se départait pas de sa mission d’éducateur au quotidien et m’inculqua le respect envers les deux équipes et les arbitres. Mes seules manifestations étaient des « Allez Rouen » d’encouragement pour ceux qu’on surnommait les « Diables Rouges » et des applaudissements pour les actions enthousiasmantes des vingt deux joueurs.
C’était un temps où les matches se déroulaient le dimanche après-midi à 15 heures.
Nous avions une sympathie particulière pour les joueurs du F.C.R (Football Club de Rouen) qui portaient les couleurs du club phare de notre région normande (avec le Havre Athletic Club) et qui nous étaient familiers puisque évoluant régulièrement sous nos yeux. Le football n’envahissait pas « les étranges lucarnes » comme aujourd’hui. Aucun match de championnat n’était télévisé.
C’est dire la curiosité que suscitait la venue de « l’équipe visiteuse ». Mes yeux d’enfant s’écarquillaient quand apparaissaient, en chair et en os, sur la pelouse, ceux dont nous ne connaissions les faits et gestes qu’à travers les commentaires épiques des reporters de radio et la lecture des revues hebdomadaires comme France-Football en noir et blanc, et Miroir Sprint de couleur bistre.
Les joueurs ne s’échauffaient pas sur le terrain. Soudain, émergeant du tunnel à ras de la pelouse, apparaissaient en pleine lumière (pas toujours en Normandie, je reconnais !) ces maillots mythiques vierges de toute publicité : celui cerclé ciel et blanc du Racing Club de Paris, le rouge à manches blanches avec un liseré tricolore du Stade de Reims, le bleu marine à scapulaire (j’aimais ce terme synonyme de chevron) blanc des Girondins de Bordeaux.
Comment ne pas applaudir le chatoyant jeu « à la rémoise » des Kopa, Fontaine, Piantoni ? Pourquoi aurions-nous dû accompagner chaque dégagement du gardien de but visiteur d’une insulte ? En ce temps là d’ailleurs, le Stade de Reims, ambassadeur du football français dans les compétitions internationales, était ovationné sur tous les terrains de l’hexagone et jouait ses matches de Coupe d’Europe à Paris, dans un Parc des Princes acquis à sa cause. Imaginez un instant que l’Olympique de Marseille joue à Paris …
Je considérais comme un privilège et un honneur que ces « artistes du ballon rond » viennent jusqu’à nous. Nous étions ravis quand le petit poucet rouennais terrassait l’ogre d’en face et, lorsque le conte se terminait mal, nous repartions tout de même heureux avec plein d’images dans la tête.
Certes, le tableau n’était pas compètement idyllique. Il n’était pas rare qu’à la suite d’une décision arbitrale néfaste à l’équipe rouennaise, des noms d’oiseaux (c’était le terme pudibond) déferlent des tribunes .. jamais, je ne m’y associais ! … Et puis, j’ai le souvenir d’une anecdote qui trotte dans ma tête depuis près de cinquante ans. Une fois, nous nous retrouvâmes dans la tribune auprès d’un collègue enseignant de mon père. Patientant avant le coup d’envoi, ils devisaient sérieusement tous les deux sur je ne sais quel sujet de pédagogie … survint le premier coup de sifflet de l’arbitre en défaveur des couleurs rouennaises qui, en écho, déclencha la première salve d’insultes de la part de ce professeur. Il en fut ainsi tout le long de la rencontre, les seuls retours au calme étant celui de la mi-temps et immédiatement après le coup de sifflet final en quittant les travées du stade … ce voisin intempestif pensait peut-être déjà à la séquence d’instruction civique du lendemain matin !
L’enfance puis l’adolescence passèrent sans que je me départisse de mon flegme ( vous avez remarqué qu’il est toujours britannique) et de mon fair-play (il n’est britannique que lorsque les anglais gagnent !).
Coïncidence, à l’aube des années 1970, le club du Paris-Saint-Germain naquit après des années de disette de football dans la capitale suite à la disparition du Racing, tandis que mon activité professionnelle m’amena en Ile-de-France. Le projet me séduisit puisqu’il était initié par une bande d’amoureux du jeu offensif parmi lesquels Just Fontaine, un des membres de la grande époque rémoise (qui m’avait fait rêver enfant) et de l’épopée de la Coupe du Monde en Suède. Ainsi, durant la saison de la montée en première division, je rejoignis régulièrement le vétuste stade du Camp des Loges. Ma place de prédilection était contre la main courante à un mètre derrière le but. L’ambiance était bon enfant, champêtre même… « Une certaine idée du football » pour reprendre, le leitmotiv du Miroir du Football, un mensuel de l’époque, d’essence communiste.
L’année suivante, le PSG prit possession du Parc des Princes, nouvellement reconstruit. Le jeu prévalait sur l’enjeu. Malgré cela (ou à cause de !), la récompense fut une demi finale de Coupe de France à Reims contre Lens, déjà ! A cette occasion, avec deux amis, nous décidâmes d’aller « supporter notre équipe » à bord d’une automobile dépourvue de tout signe distinctif de notre sympathie pour elle (pas même un fanion au rétroviseur !). Vers Château-Thierry, un véhicule bruyant parvint à notre hauteur avec à son bord, quelques passagers aux couleurs « sang et or » se rendant manifestement au même endroit que nous, pour des raisons « opposées ». Malencontreusement, mon ami, assis sur la banquette arrière, intrépide ou inconscient, saisit une écharpe bleue et rouge et l’agita à la vitre transformant, sous la vindicte nordiste, une manifestation pacifique en un gymkhana dangereux et ordurier. Je compris, ce jour-là, le danger que pouvait revêtir d’avoir un penchant pour une équipe.
Nous arrivâmes bientôt à la fin des « seventies ». La télévision avait la fièvre verte, le mercredi soir. Toute la France encourageait les « Verts » à l’occasion des rencontres européennes. Mis en condition par les commentaires de Thierry Roland, investis d’une mission de « douzième homme », les spectateurs transformaient le stade en chaudron de manière à effrayer l’équipe adverse.
Le « foot fric » se développait et le PSG s’engluait dans une sombre affaire de double billetterie. Cependant, l’amoureux du jeu trouvait encore son compte en voyant évoluer des artistes à l’esprit irréprochable, Rocheteau un ex-« ange vert », Dahleb, Susic, plus tard, le brésilien Raï.
Comme le public devenait de plus en plus nombreux, la location des places devenait de plus en plus délicate. Ainsi, de fidèle spectateur, je devins abonné avec sur ma carte, la mention « supporter du PSG ».
Côté jardin, sur le plan du spectacle offert, durant trente ans, il y eut des moments enthousiasmants dans des ambiances festives, avec en point d’orgue, au début des années 1990, la venue des plus grands clubs européens, Barcelone, le Réal Madrid, le Milan A.C, le Bayern de Munich, la Juventus de Turin avec à sa tête, Platini stupidement sifflé car appartenant au camp opposé !

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Côté tribunes, ce fut de moins en moins réjouissant. Au début, je fréquentais le virage Boulogne niveau bas, une tribune familiale, tranquille. Son confort se dégrada avec le jet d’objets divers parfois dangereux provenant de l’étage supérieur. Nous nous installâmes alors au niveau haut du même virage. Le climat s’y détériora avec la répétition d’exactions de plus en plus violentes à caractère raciste ; aussi, nous nous réfugiâmes dans le virage opposé d’Auteuil. C’était encore une travée populaire, sans animosité, où l’on pouvait s’asseoir en compagnie de sympathisants de l’équipe adverse. Puis, des « corps constitués » de supporters parfois antagonistes, s’en emparèrent progressivement rendant l’atmosphère irrespirable. Il fut temps de nous replier vers la tribune K, l’un des derniers havres populaires à peu près tranquilles.
L’entrée dans le stade devint également de moins en moins conviviale avec la mise en place de fouilles et palpations faisant d’un débonnaire spectateur, un délinquant potentiel. Les bouteilles d’eau furent orphelines de leurs bouchons. Il fallut même se résigner à se tremper les soirs de pluie car l’accès avec un parapluie fut prohibé. Il y avait bien la possibilité de le confier à une consigne mais vous imaginez les problèmes pour le récupérer, à la sortie, parmi un millier de pépins !
Une fois, je crus vivre un instant de magie dans les yeux brillants de bonheur d’un petit maghrébin à qui j’avais offert un billet que je possédais en trop. Je déchantais rapidement … éconduit par un guichetier qui le soupçonnait d’avoir dérobé l’heureux sésame, l’enfant revint me voir attristé ! Cela s’arrangea.
Il m’arriva d’effectuer quelques déplacements en « supporter libre » car il était hors de question de m’associer aux convois organisés tant la logistique qui les régissait, me semblait détestable et incongru dans un cadre sportif. Pour être parvenu tôt aux abords du stade de Caen, je fus effaré du dispositif de sécurité mis en place digne du transfert d’un grand criminel au Palais de justice.
Une horde de motards et de véhicules de gendarmerie avaient « accueilli » les cars de supporters au péage de Dozulé à une quinzaine de kilomètres, puis accompagné, toutes sirènes hurlantes, au milieu d’une circulation arrêtée, jusqu’au stade vide. Les cars pénétrèrent dans l’enceinte et vinrent stationner au pied d’un escalier. Encadrés par des CRS et des « stewards » , les supporters prirent alors place dans la tribune qui leur était réservée, complètement protégée d’un filet anti-projectile !
Cinquante ans plus tard, un mal insidieux avait rongé la passion qu’avait inoculée un père au petit enfant des Bruyères et de Colombes. Depuis 2005, je n’hante plus les travées du Parc des Princes !
Deux anecdotes encore. La première date de l’époque où je pratiquais dans un modeste club normand amateur. Notre dernier match de la saison nous emmena rejouer une rencontre interrompue par un épais brouillard comme il en existe parfois dans la vallée de l’Eure alors que le score était de 7 à 2 en notre faveur. « L’enjeu était capital » puisque nous étions seconds à un point du leader, un club voisin de trois kilomètres de l’adversaire du jour, lui-même lanterne rouge. Vous me suivez ?
Il n’y eut sans doute pas d’enveloppe enterrée dans un jardin, au pire quelques bouteilles de champagne en prime, en tout cas, les joueurs d’en face métamorphosés, nous tenaient en échec à quelques minutes de la fin … lorsque l’arbitre nous accorda un penalty flagrant qui nous permit d’accéder à la division supérieure.
Il fallut extraire l’arbitre cadenassé dans son vestiaire aux airs de « cabane au fond du jardin ». Un « supporter » surexcité avait mis le feu à quelques fétus de paille placés au pied de la guérite en bois. La connerie n’est pas d’aujourd’hui !
Le second témoignage procède du canular. Il fut un temps où les relations entre les instances dirigeantes du football et la télévision, n’étaient pas aussi harmonieuses qu’aujourd’hui, au point d’interdire toute retransmission sur les écrans. Trois farceurs entreprirent de confectionner une banderole revendiquant plus de football à la télévision, et de la suspendre dans une tribune du Parc, ce qui ne manquait pas de cocasserie puisque nous étions des habitués inconditionnels des tribunes et que cette mesure ne nous nuisait aucunement. Notre initiative totalement individuelle eut les honneurs de nombreux journaux qui, à l’appui de la photographie, développèrent dans leurs colonnes, tout un argumentaire autour de la frustration du monde sportif dans sa grande majorité.

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Pour conclure mes tribulations de supporter par un rayon de soleil, j’emprunterai quelques couplets pleins d’humour à la gloire du rugby, sport de convivialité (pour combien de temps encore ?), entonnés dans ma jeunesse par les Frères Jacques :

Quand l’équipe de Perpignan
S’en va jouer à Montauban
Ils engrossent évidemment
Quelques filles de Montauban
Mais quand l’équipe de Montauban
S’en va jouer à Perpignan
Ben ils engrossent c’est évident
Quelques filles de Perpignan

Les fils des filles de Perpignan
Faits par les joueurs de Montauban
Font du rugby quand ils sont grands
Dans l’équipe de Perpignan
Mais les fils des filles de Montauban
Faits par ceusses de Perpignan
Ben ils font du rugby quand ils sont grands
Dans l’équipe de Montauban

Et c’est pour ça que quand Perpignan
S’en va jouer à Montauban
Et Montauban à Perpignan
Et Perpignan et Montauban
Ben se demandent si Perpignan
Ne joue pas contre Perpignan
Et Montauban contre Montauban

Honneur aux forts
C’est la loi du sport
Allez vas-y mon petit
C’est ça le rugby.

Voilà une vision du sport pacifiste et festive.

Publié dans:Coups de coeur |on 11 avril, 2008 |1 Commentaire »

Marc GIAI-MINIET peintre emboîteur

Une demeure au charme suranné, la façade mangée par la vigne vierge à la belle saison … nous sommes dans l’ancien village de Trappes, autrefois cité ouvrière des Yvelines, aujourd’hui banlieue à la réputation sulfureuse.
Ce matin, je rends visite à Marc Giai-Miniet, artiste peintre emboîteur. Il m’accueille, la mine joviale comme à son habitude, derrière la porte basse encastrée dans un porche de guingois. Dans la courette aux couleurs pimpantes sous le soleil d’hiver, j’accomplis les quelques pas qui mènent à l’atelier dont l’entrée est gardée par la sculpture grandeur nature d’une femme nue enceinte. L’artiste vit ici dans sa maison natale depuis un peu plus d’un demi-siècle.

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J’ai fait sa connaissance il y a près d’une dizaine d’années lors de la réalisation d’un film sur une étonnante action plastique autour des grenouilles dont je vous entretiendrai dans un billet futur. J’étais venu contempler son batracien rose appareillé d’un masque à gaz. J’eus envie quelques années plus tard, à travers un portrait vidéo, de mettre à jour ce qu’est l’artiste dans son quotidien, son environnement, dans son acte de création, bref tout ce qu’on ignore souvent en amont de l’accrochage des œuvres aux cimaises des galeries d’exposition. Ainsi sont nées une admiration pour son travail et une amitié.
Le seuil du vaste atelier franchi, le charme opère immédiatement. La lumière douce à travers la verrière révèle toiles et boîtes, achevées ou non, qui encombrent de manière anarchique cette caverne d’un Ali Baba plasticien, véritable boîte elle-même tant chaque recoin, chaque étage, chaque mur racontent des histoires et l’histoire de l’artiste. Sur un long établi, s’enchevêtrent bondieuseries, appeaux et multiples objets dérisoires et hétéroclites dont on retrouvera trace peut-être un jour dans l’une des œuvres. L’artiste aime à dire avec humour qu’à travers son amour de la chine et de l’accumulation, il constitue une collection de « Giai-Miniet » comme Picasso faisait une collection de lui-même !

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Aux murs, sont punaisées images et photographies, les ghats de Bénarès, l’observatoire de Jaîpur, des momies et des tombes égyptiennes, des cheminées d’usines en ruines, Yves Montand dans L’aveu, autant d’échos du réel au travail de l’artiste. Les nombreux tiroirs d’un curieux meuble d’imprimeur regorgent de petits portefeuilles d’aquarelles et esquisses à l’encre.

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Le regard accroche vite les peintures monumentales balisant votre chemin dans l’atelier, certaines sur bois ont même été découpées constituant de véritables tryptiques. Le décor est minimaliste et froid, sans profondeur spatiale, des tuyaux, des éléments du bain, cuvettes et baignoires, des armoires remplies de lourds dossiers, des tours. On remarque souvent des petits détails sphériques agissant comme des yeux, des loupes ou des trompes l’œil.
Y évoluent de manière récurrente, d’inquiétants personnages sans bras, emprisonnés dans une sorte de carapace, harnachés de masques à gaz ou décérébrés, ainsi que des petites formes larvaires rappelant les momies égyptiennes. « Tout tourne autour de l’homme, qu’est-ce qui fait qu’on est un homme, suffit-il d’avoir une apparence humaine pour être un homme ? » … Le peintre met en exergue l’immobilisme de l’homme et son impuissance à agir dans le monde. On est dans une constante « métamorphose de l’homme entre animalité et spiritualité ».

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Le « ballet existentiel, dramatique et pessimiste » voire morbide, évoqué par les tableaux, pourrait décourager le profane. Tout le génie de l’artiste, non dénué d’humour, est de nous familiariser avec ces « êtres étranges en attente d’une possible résurrection » comme si derrière la pollution mentale de cette société, percent quelques lueurs d’espoir. Je vous rassure, la toile qui trône dans mon domicile, me procure beaucoup plus de délectation artistique que cauchemar !
De plus en plus, ajoutant une corde à son arc créatif, Marc Giai-Miniet prolonge son travail de peintre par la confection de boîtes auxquelles est consacrée sa dernière exposition « Petits théâtres muets ».
Réminiscence possible de son désir d’adolescent de faire du théâtre ou d’être décorateur de théâtre, les boîtes apportent un éclairage indissociable de sa peinture. D’ailleurs au début de leur invention, on y retrouve les thèmes récurrents avec des petites figurines en forme de momies et de larves, découpées dans du carton, une cervelle, parfois, accrochée au bout de leur trompe. Au fil du temps, les boîtes se sont agrandies et les personnages ont laissé, peu à peu, la place au spirituel et aux outils du savoir de l’homme.

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une boîte et quelques détails

Chaque boîte est un espace clos, frontal, sans perspective, avec plusieurs strates présentées en coupe. Dans la partie supérieure, le « ciel » de la boîte, le blanc synonyme de pureté spirituelle domine avec de grandes bibliothèques où s’empilent des milliers de livres, les ouvrages du savoir, parfois aussi sans doute, ceux du savoir faire le mal. On descend vers le matériel aux étages inférieurs via des escaliers, des tuyaux, des coursives, des couloirs de la mort peut-être. On traverse des salles d’attente, d’interrogatoire, des laboratoires inquiétants, des cellules. Tout devient noir, glauque, angoissant vers des égouts, des fours, des quais de partance. L’artiste exprime « la métaphore douloureuse de la vie des hommes à la fois esprit et matière ».

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À l’inverse des alchimistes qui transformaient le plomb en or et dont il aime beaucoup les ouvrages, Marc fait évoluer son univers du blanc au noir, du brillant au noirci, au rouillé.
Autant les toiles sont peu chargées en formes et appréhendées globalement, autant les boîtes fourmillent de détails qui retiennent l’attention pendant de longues minutes. Elles racontent multiples histoires et proposent au spectateur d’en imaginer d’autres.
Au-delà du propos créatif, il faut saluer la prodigieuse minutie technique du travail de l’artiste. On peut compter par exemple, dans un espace de 20 à 30 centimètres, les centaines de minuscules morceaux de carton découpés, peints, collés pour figurer les rayons des bibliothèques.
On retrouve sans doute des bribes de l’enfance de l’artiste qui se souvient du garage de son père, encombré d ‘objets divers, aux murs noirs et graisseux. On pense aussi aux « années indicibles de notre histoire » et aux camps de concentration qui ont hanté l’esprit des générations d’entre les deux guerres et du « baby boom ».

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une autre boîte et des détails

Je m’attarde, admiratif, devant une nouvelle boîte jamais exposée : dans un hangar en briques, se dresse un peloton de momies telles l’armée de statues des soldats enterrés du premier empereur de Chine.

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Ultime privilège, l’artiste me soumet ce qui sera, peut-être une prochaine orientation de son travail. Il déballe quelques photographies fruits de l’assemblage par ordinateur de nombreux clichés de boîtes. Parmi la multiplicité d’histoires qui naissent avec ce procédé, je savoure l‘humour d’un détail dans lequel une assemblée de Giai-Miniet dans des postures variées semblent attendre le verdict d’un grand oral qui les conduira vers on ne sait quel futur très incertain.

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Midi est proche … Cette promenade dans la création s’achève par un excellent verre de Pouilly fumé.
En effet, même s’il manifeste dans son travail, une certaine fascination pour des choses effrayantes, Marc Giai-Miniet est aussi un bon vivant, amoureux de la vie qui a choisi l’art pour conjurer ses peurs et l’aider à guérir.
Qui sait si tout ne commença pas lorsqu’un instituteur de Trappes, Monsieur Mounier, emmena le petit élève Giai-Miniet à une exposition de reproductions de Rembrandt et lui expliqua le combat de l’artiste jusqu’à sa mort pour défendre ses idées.
Qui sait si parmi les écoliers qui ont le bonheur, parfois, de visiter l’atelier, ne naîtra pas une autre petite graine artistique.
En attendant, , n’hésitez surtout pas à courir à la galerie la plus proche de votre domicile où expose Marc Gai-Miniet peintre emboîteur.

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Expositions à venir : du 21 juin au 14 septembre 2008 à la Maison Elsa Triolet-Louis Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines (78)

du 4 au 25 avril 2008 dans le Cloître des Archives Départementales du Rhône à Lyon (boîtes et créations numériques) et  du 5 au 26 avril à la Galerie Françoise Souchaud 35 rue Burdeau 69001 Lyon (peinture)

 

 

 

Publié dans:Coups de coeur |on 20 mars, 2008 |1 Commentaire »

Land Art en Couserans

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Une petite route dans la vallée du bas Salat en Ariège, les giboulées de mars s’en donnent à cœur joie … Soudain, au milieu d’une prairie, quelques touches fluorescentes dans la grisaille ambiante, attirent mon regard.
Intrigué, je m’approche : trois chevaux en noir et blanc cessent de paître et m’accompagnent à la découverte de cette esquisse d’art dans le paysage couserannais.

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Le Land Art est une forme d’art contemporain née à la fin des années soixante avec pour ambition première, d’échapper aux conventions classiques des galeries et des musées avec leurs heures d’ouverture et leurs tickets d’entrée. L’artiste du land art érige son œuvre à partir de ce qu’il trouve sur le terrain. Il installe l’art dans la nature et le laisse en proie aux caprices de la nature. Par essence, l’action est éphémère, vouée à plus ou moins longue échéance à la disparition sous l’effet des éléments naturels.
La performance de l’artiste américain Christo, en 1985, emballant le Pont Neuf à Paris, demeure mémorable. Il entoura aussi les îles de Floride, de gigantesques nénuphars en tissu rose. Jean Verame peignit en bleu les montagnes du Tibesti. Sur le mode du clin d’œil, il y a quelques années, un artiste enjoliva de couleurs psychédéliques, « l’enfer du Nord » pavé de mauvaises intentions pour les cyclistes de Paris-Roubaix.

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Ici, l’espace investi est modeste : un pré, une remise qui abrite quelques engins agricoles, un pan de mur vestige d’une grange délabrée, des balles cylindriques de paille dans leurs housses en plastique.
L’artiste en herbe ou dans l’herbe (!), a eu recours à des couleurs flashantes qui ne sont pas sans rappeler celles du célèbre portrait de Marilyn Monroe par Andy Warhol, le maître du pop art. Une charrette d’un rose acidulé et un cheval blanc (non peint, je vous rassure) attendent pour nous emmener dans une brève promenade plastique. La ruine en pierres fait écho à la palissade en planches par une forme animale scindée en deux. Quelques cailloux au sol semblent être éclaboussés par la peinture dégoulinante du mur. Plus loin, deux balles d’un fourrage victime d’une mutation transgénique, irradient sur le vert tendre de l’herbage. Sous la grange, une improbable pluie de météorites, menthe, citron et grenadine, a été rassemblée auprès de trois bidons révélant par contagion, les mêmes symptômes colorimétriques.

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Sont-ce les cow-boys et les motards en Harley Davidson qui se concentrent, chaque été, à quelques centaines de mètres de là, à l’occasion d’un festival country, qui ont importé l’esprit du Land Art dans le paysage ariégeois, loin des espaces de l’Ouest américain où naquit ce mouvement artistique de l’éphémère ? Est-ce un modeste hommage pour le quarantième anniversaire de Mai 1968 et les délires psychédéliques de l’époque ? Est-ce le fruit de l’imagination d’une personne désirant, par métaphore, donner un peu de couleurs à la campagne qui se meurt ? Peu importe, à vrai dire … Comme le regretté Pierre Desproges le faisait dire à son « docteur Cyclopède » : « Etonnant, non ? »

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Publié dans:Coups de coeur |on 9 mars, 2008 |14 Commentaires »

Une vie de chien, celle de Maya des champs

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Maya, adorable canichette noire, entra dans la ferme familiale d’Ariège, il y a une douzaine d’années. Elle y fut placée suite à une incompatibilité d’humeur avec son précédent maître dans une maison voisine du village. Elle lui en garda d’ailleurs « un chien de sa chienne » comme on dit dans le langage des hommes et il était curieux de les voir s’observer en « chiens de faïence » lorsqu’ils se croisaient.
L’acclimatation à sa vie de néo-rurale ne fut pas immédiate. Elle succédait à plusieurs générations de chiens mâles besogneux, d’origine bâtarde, dont la fonction principale était de garder les troupeaux de vaches et prévenir la venue de visiteurs étrangers. Avec l’arrivée de Maya, nous découvrîmes, bien avant que le terme ne soit à la mode, une crise de civilisation qui allait induire une politique de rupture des habitudes canines dans la ferme. Après les chiens de terroir, place au chien de boudoir !
Joueuse, elle s’invitait aux divertissements des enfants. De son allure légère et sautillante, elle bondissait avec promptitude confisquant dans sa gueule, la balle de tennis ou un ballon de plage dégonflé. Parfois, mystifiée par une feinte de corps, elle tourneboulait et revenait penaude, sa toison frisée couverte de feuilles mortes ou d’herbe fraîchement coupée, prête à reconquérir ce que de « clairvoyants » inspecteurs de l’Education Nationale nomment de manière fumeuse le « référentiel bondissant ».
Certes, ses pitreries et facéties, dignes d’un chien de cirque, réjouissaient les petits et les grands comme nous en villégiature. Ses propriétaires affairés aux tâches agricoles les goûtaient moins.Tout était prétexte pour la vive demoiselle à faire la ferme buissonnière et à sautiller dans les pieds de ses maîtres tandis qu’ils soignaient les animaux de basse-cour ou entretenaient le potager. Curieuse, elle furetait partout et revenait souvent dans un piteux état de l’étable et des granges. De constitution fragile, son comportement virevoltant lui coûta quelques luxations des membres en sautant de chaises et chariots. Cependant, son affection débordante finissait par effacer ses élans turbulents.
Avec le temps, Maya s’assagit. Par la volonté de ses maîtres, elle renonça à une descendance. Elle circonscrit son territoire à la cour de la ferme et ses dépendances ainsi qu’au jardin ne s’aventurant que rarement et prudemment au-delà. Elle accepta d’effectuer un service minimum de surveillance en aboyant sans agressivité à l’égard des visiteurs étrangers du genre humain, de manière beaucoup plus vindicative envers ses congénères canins. Je fus toujours intrigué par son flair et sa perspicacité lors de nos retrouvailles à l’occasion des congés scolaires. À l’approche de notre arrivée, même lorsque nous changions de véhicule, elle filait en éclaireur au nez de nos parents. Nous l’apercevions bientôt virer à vive allure au coin de la grange et entamer une sarabande de petits sauts de joie autour de l’auto avant de se dresser sur ses pattes arrière à l’ouverture de la portière. Pour elle, c’était aussi le temps heureux des vacances.

Ce que femme veut … Maya l’obtint. Elle fut le premier chien à entrer dans la maison et le premier animal à y dormir la nuit. Respectant le droit d’ancienneté, elle consentit dans un premier temps, une cohabitation cordiale avec le chat gris Mistigri pourtant un peu bougon. À la mort de celui-ci, elle fit de la cuisine sa propriété privée étendant même son territoire au salon. Lovée dans son panier doudoune, elle appréciait la chaleur du feu de la cheminée en hiver, et la fraîcheur de la pièce aux heures brûlantes de l’été. À l’extérieur, elle avait une prédilection pour l’auvent de la porte d’entrée qui constituait un excellent poste de surveillance des allées et venues de sa maîtresse avec, en toile de fond, le verger, le jardin et la plaine. Quand un fauteuil était libre, elle aimait y grimper pour accompagner la sieste de l’un d’entre nous. Souvent, quand je lisais, elle s’approchait, se dressait sur ses pattes arrière, posait un de ses membres antérieurs sur l’accoudoir et de l’autre, grattait avec insistance mon bras, suppliant une caresse câline. Devant son regard attendrissant, je ne pouvais qu’acquiescer. L’heure du lever était aussi l’occasion de me manifester son affection. Quand elle entendait craquer les marches de l’escalier, elle venait se poster derrière la porte et dès l’ouverture, me souhaitait la bienvenue en se frottant de longues secondes contre moi. Elle appréciait les retransmissions télévisées des matches du Stade toulousain et du XV de France sur les genoux d’un voisin qui lui était cher !

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Hors son repas du soir constitué des excellents restes des nôtres, Maya était une adepte forcenée du grignotage. Elle consacrait l’essentiel de ses errances à dénicher quelque pitance supplémentaire. Elle connaissait tous les placards et tiroirs remplis de friandises et se précipitait dès qu’elle nous voyait s’y diriger. Les enfants devaient redoubler de vigilance car elle bondissait et engloutissait dans l’instant, tout biscuit qui leur échappait des mains.
Lors de nos repas, elle frétillait quand survenait le moment de trancher la tome de fromage de montagne. Elle venait à mes pieds attendant que je lui offre les épaisses croûtes. Le cérémonial était si bien rôdé qu’il m’est arrivé chez moi, par un réflexe pavlovien, de me débarrasser des croûtes auprès d’une chienne virtuelle !
Vous avez deviné que, par sa gentillesse et sa fantaisie, Maya trouva toute sa place dans la ferme et le cœur de ses maîtres. Ils la pleurent depuis le 28 janvier 2008. Elle repose dans la terre de la ferme qu’elle gratta souvent.
Ainsi s’achève une vie de chienne qui fut le contraire d’une chienne de vie !

Publié dans:Coups de coeur, Portraits de famille |on 6 février, 2008 |Pas de commentaires »

Heureux qui comme Ulysse

Je vous ai déjà entretenu (voir 9 décembre 2007) de mon petit clairon dont la délicieuse musique rend, souvent, maigres mes matinées du week-end.
Ce dimanche-ci, il choisit de me réveiller en me susurrant à l’oreille, « Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage ». Sortant de ma somnolence, j’utilise quelques beaux restes de ma classe de quatrième pour prolonger le sonnet de Du Bellay:

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison ,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge.

L’enfant, intriguée, me demande si je connais l’histoire du cheval. Rassemblant mes souvenirs scolaires de la mythologie grecque, j’entreprends de lui conter brièvement cet épisode chanté par Homère dans l’Odyssée, où le roi d’Ithaque, par ce qu’il est convenu d’appeler une ruse de guerre au sens propre, imagine avec Epéios, la construction d’un cheval géant en bois creux pour déjouer la vigilance des soldats troyens.
La petite fille, circonspecte devant mes savants propos, se met à fredonner :

Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage.
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé
Après maintes traversées
Le pays des vertes années.

Je pressens le quiproquo et me revient alors à la mémoire ce refrain chanté par Georges Brassens dans le générique de ce qui fut le dernier film de Fernandel. Autre odyssée, autre cheval ! L’acteur provençal y interprète un palefrenier ramenant le vieux cheval Ulysse qu’il soignait, vers les terres de liberté de Camargue, loin des arènes d’Arles et du funeste destin de cheval de picador qui lui était promis.

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Georges Brassens n’est ni auteur ni compositeur de cette chanson même si on semble y reconnaître sa verve. Les paroles sont, en fait, d’ Henri Colpi, réalisateur du film et vieil ami sétois du poète, et la musique composée par Georges Delerue. Brassens, en d’autres circonstances, prouva qu’il pouvait exceller dans ce genre en créant le superbe hymne à l’amitié « Les copains d’abord » pour le film d’Yves Robert, adaptation de l’œuvre de Marcel Aymé.
Il est vain de comparer le poème universel qui a traversé bientôt 5 siècles, à ce qui ne prétend être qu’une modeste quoique attachante musique de film ; cependant, le cousinage est indéniable.
On y retrouve l’idée de voyage initiatique qui n’a de sens que s’il s’accompagne d’un retour au pays. Comme dit le proverbe, « Les voyages forment la jeunesse ». Chez Du Bellay, les deux héros grecs Ulysse et Jason rentrent chez eux après un « beau voyage » pourtant parsemé d’embûches. Dans la chanson qui joue sur la confusion des noms, c’est le cheval Ulysse qui quitte le Lubéron où il accomplit son apprentissage de bête de somme, pour retrouver la Camargue de « ses vertes années ». Est-ce une coquille recopiée à l’excès, nombreuses versions du texte évoquent « le pays des vertes allées » ce qui n’est pas en soi un contre sens. Cependant, tendez l’oreille, Brassens chante bien « années » !
La louange et la nostalgie de la terre natale sont aussi présentes. Du Bellay privilégie la « douceur angevine » à « l’air marin » des rivages ioniens. En écho, dans son dernier couplet, Brassens aspire à retrouver l’air de la Camargue, « battue de soleil et de vent, perdue au milieu des étangs ».

Plus tard, ce matin-là, la petite fille, chevaucha son vtt dans les allées forestières voisines en chantant à tue-tête, cette ode émouvante à la liberté :

Par un joli matin d’été,
Quand le soleil vous chante au cœur,
Qu’elle est belle la liberté,
La liberté !
Quand c’en est fini des malheurs,
Quand un ami sèche vos pleurs,
Qu’elle est belle la liberté,
La liberté.

Que Joachim Du Bellay ne soit pas jaloux ! Quatre cent cinquante ans plus tard, son sonnet connaît actuellement le succès sur les ondes grâce au jeune chanteur Ridan qui nous en offre une touchante adaptation.

Publié dans:Coups de coeur |on 25 janvier, 2008 |3 Commentaires »

Les Noëls de mon enfance

À quelques heures de la plus belle nuit de l’année pour les enfants, pas pour tous malheureusement, il me revient à la mémoire quelques Noëls de ma prime jeunesse.
Avant cette fameuse nuit, il y avait des jours et des jours où pour le bambin bon écolier mais turbulent que j’étais, pesait la menace que l’homme à la barbe blanche ne passât point par notre maison.
Malgré tout, dès le début décembre, nous procédions à l’installation du sapin, un vrai avec les aiguilles qui tombent, dans la salle à manger, au rez-de-chaussée du logement, une pièce utilisée que dans les « grandes occasions », réceptions et fêtes.
Ce n’était pas chose aisée pour mes petits doigts de confectionner avec du fil, des attaches pour les boules multicolores. J’en laissais toujours échapper deux ou trois qui allaient se fracasser sur le plancher. La pose de la guirlande électrique revenait à mon père. Les petites ampoules, en forme de bougies, fonctionnaient lors de la vérification avant la décoration mais souvent, le circuit était coupé une fois la guirlande déroulée sur les branches. Il s’agissait alors de revisser une à une les lampes sans provoquer la chute de nouvelles boules. Puis ma maman me confiait le sachet de coton hydrophile pour apporter la touche finale et simuler, avec quelques mèches, des flocons de neige.

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La veille des vacances, se déroulait, à la salle des fêtes, « L’Arbre de Noël » des écoles … publiques, ce n’était pas qu’une simple nuance à l’époque. Au cours de cet après-midi-là, quelques classes chantaient des refrains de circonstance, un prestidigitateur et deux clowns calmaient notre impatience avec des tours de magie et pitreries. Il était temps alors que le Père Noël apparaisse, par la porte à gauche de la scène, dans la liesse générale … enfin presque ! En effet, je n’étais pas des plus hardis et ne débordais pas d’un enthousiasme démesuré lorsqu’il parvenait à ma rangée pour nous serrer la main et nous offrir un jouet et des friandises. Près de 50 ans plus tard, lors du déménagement du grenier de la maison familiale, dans une valise en carton, j’ai retrouvé la houppelande, le bonnet, la barbe blanche et la canne de ce Père Noël. Ma mère, en tant que responsable de l’association de l’Arbre de Noël, habilla pendant plusieurs décennies, les Pères Noël du canton. Aujourd’hui, la tradition subsiste et ce sont des barbes blanches ariégeoises qui s’affublent de ces atours. Les choses sérieuses approchaient et j’attendais avec impatience et un brin d’anxiété les « vrais » cadeaux, ceux dont j’avais dressé la liste confiée naïvement à mes parents. Je m’interrogeais devant cet épais mystère : comment l’homme à l’habit rouge acheminait mes présents par la cheminée étroite, condamnée depuis longtemps, de plus sans se salir ? J’ai bien essayé de soulever vainement le tablier… il me restait comme extrémité de guetter l’arrivée du cher homme dont pourtant, je m’écartais quand je le croisais dans les magasins et les rues. Ainsi, je participais aux agapes du réveillon en famille aussi tard que mes yeux le supportaient … mais c’était encore trop tôt ! Au matin, je descendais l’escalier fébrilement, je tournais lentement la poignée de la porte et glissais doucement la tête … IL était passé et avait même déposé aussi une boîte de pâtes de fruits et des oranges.
Lors du vide grenier évoqué plus haut, j’ai remis la main sur quelques cadeaux qui ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable, notamment deux jeux de fléchettes, un chamboule tout et un tir aux pigeons. Je me suis étonné d’avoir souhaité ce type de jeu vu mon peu de goût pour le maniement des armes.
Je n’ai pas souvenir d’avoir reçu beaucoup de jouets ; je me satisfaisais de ceux de mon frère, mon aîné de près d’une décennie, tels son train électrique, ses coureurs cyclistes en plomb et son meccano.
Par contre, deux Noëls demeurent particulièrement mémorables. Ils étaient liés à ma passion prononcée pour le sport que m’avait inoculée mon père.
Ainsi, j’avais commandé une panoplie complète de footballeur … avec une casquette. À l’époque, les rencontres se déroulaient en diurne et les gardiens de but pour lesquels j’avais une prédilection, se coiffaient souvent de cet accessoire pour ne pas être aveuglés par le soleil. Il n’y eut pas de casquette dans la hotte du Père Noël mais comme je fus heureux avec mon petit maillot rouge et mon short bleu et… peut-être plus comblé qu’un minot, aujourd’hui à l’époque du « merchandising » et des produits dérivés,, enfilant la réplique exacte du maillot de son joueur ou de son club préféré !
Deux ou trois hivers plus tard, je fus gâté avec un poste de radio à transistor en bakélite marron. J’étais fier de mon appareil à la pointe de la technologie tandis que mon père peinait à trouver une station sur sa TSF à galène. J’allais pouvoir écouter dans ma chambre, les radiodiffusions des matches de foot du dimanche après-midi, les exploits de mon idole Jacques Anquetil sur les routes du Tour de France et bientôt, en rentrant de l’école, entre 17 et 19 heures, la mythique émission d’Europe 1, « Salut les Copains ». Durant les congés scolaires de Noël, j’étrennais, bien sûr, mes cadeaux mais me semble-t-il, les hivers étaient plus rigoureux et enneigés que maintenant. Aussi, les deux grandes cours de l’école où j’habitais, offraient un terrain idéal pour les glissades et la fabrication de bonhommes de neige. Quelle vilaine invention pour les enfants, le salage ! Résonne dans mes souvenirs, le craquement de la neige compacte, lorsque je mettais en application le fameux « effet boule de neige » pour élaborer le corps et la tête. Des boulets de charbon en guise d’yeux, une carotte pour le nez, un vieux balai, donnaient vie à mon bonhomme qui allait trôner plus ou moins longtemps selon la rigueur de l’hiver. Les doigts gelés, les moufles trempées, le nez rougi, je rentrais avaler le délicieux bol de chocolat préparé par ma maman. Bientôt, l’an neuf naissait. Il était temps de reprendre le chemin de l’école, des étoiles plein la tête. Auparavant, avec mon papa, j’accomplissais une dernière formalité : nous allions replanter le sapin. Plusieurs décennies, l’un d’eux se dressa majestueusement à l’entrée de l’école avant que la tempête de 1999 ne l’emportât.

Publié dans:Coups de coeur |on 23 décembre, 2007 |4 Commentaires »

« Magic » SPRINGSTEEN à Bercy

Ce lundi 17 décembre, Bruce Springsteen a rendez-vous avec Paris pour présenter en concert son nouvel album « Magic ». Au vu des plaques minéralogiques des automobiles garées dans les parkings de Bercy (plus de la moitié des départements recensés), il serait plus juste de dire qu’il a convoqué ses fans de tout l’hexagone.
Deux heures avant le début du concert, une longue file de spectateurs emmitouflés brave la nuit polaire.Dans les cafés avoisinants, les chopes de bière s’entrechoquent tandis que les enceintes crachent de vieux succès de la vedette du soir. L’ambiance rappelle l’atmosphère festive du précédent album hommage à Pete Seeger . Tous attendent fébrilement les retrouvailles du « Boss », 58 ans, avec son groupe mythique, le E Street Band, 4 ans après son concert d’anthologie au Stade de France. J’y étais : ce soir-là, des trombes d’eau noyaient la pelouse. Pour conjurer le sort, Bruce improvisa en reprenant en ouverture, ‘Who’ll stop the rain’ du Creedence Clearwater Revival et que croyez-vous qu’il arrivât ?… le dieu vivant du rock fit cesser la pluie.

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20h 15, la salle comble réclame son idole en reprenant le fameux « oooh oooh » de Badlands. Moins ponctuelle qu’autrefois, elle se glisse sur la scène, dans l’obscurité, 25 minutes plus tard tandis qu’un limonaire scintille de mille feux en livrant quelques flonflons surannés revisités rock. Une semaine avant, c’est Noêl à Bercy … Bruce apparaît en pleine lumière et dans son délicieux français phonétique, interpelle son public : « Vous croyez au père Noël » ? Au oui unanime, il répond par quelques accords, guitare à la verticale au-dessus de la tête, et embraye pied au plancher avec ‘Radio Nowhere’, titre inaugural de son nouvel album, référence aux bons vieux rocks qu’il écoutait à la radio dans sa jeunesse.

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Clip officiel

Le concert est commencé depuis 30 secondes que déjà la foule est debout … il faut se faire une raison, deuil des 89 euros déboursés … pour une place assise. Ce soir, le « boss » déchaîné a décidé de ne laisser aucun répit à ses fans et enchaîne les morceaux sans pause. Troisième titre et 15 000 bras levés scandent les It’s alright de ‘Lonesome Day’. Une tonitruante entame à l’harmonica laisse entrevoir ‘The River’ déclenchant l’enthousiasme … mais le maître des lieux, d’un long « chutttt » susurré, obtient le silence et de sa voix si prenante dans les morceaux intimistes, nous livre l’émouvant ‘Gypsy biker ‘ enchaînant avec ‘Magic’ titre éponyme du dernier opus.
En 2h 15 et 24 chansons, Springsteen va conserver son titre mis en jeu d’extraordinaire bête de scène avec la complicité étincelante de ses musiciens de « la rue E » … hummm, les riffs de saxo de Clarence Clemons ! Il a une pensée pour Danny Federici qui soigne un mélanome ainsi que son épouse-choriste Patty Scialfa demeurée au New Jersey pour garder les enfants. Il évoque en quelques mots les années de désolation de l’administration Bush ce qui ne manque pas de cocasserie à l’heure où nos gouvernants prônent un esprit atlantiste mais c’est essentiellement à travers ses chansons qu’il parle de tous les laissés pour compte de l’Amérique.
Moment d’anthologie et d’intense émotion lorsqu’il accompagne à l’harmonica, le public de Bercy plongé dans la pénombre, chantant intégralement ‘The River’. Cela le sidère toujours d’entendre son auditoire français reprendre ses couplets en anglais. En remerciement, lui le pape du rock bénit l’assemblée avec son harmonica puis bientôt lui offre les grands succès de toujours, ‘Badlands’, ‘Born to run’, ‘Dancing in the dark’. La salle ivre de bonheur chante, danse, lève les bras dans cette communion dont il a le secret.
Apothéose, la soirée s’achève avec le festif ‘American Land’ au son de l’accordéon et des violons country. Le « Boss » épuisé et heureux harangue une dernière fois ses fans : « Vous croyez au Père Noël ? » … ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Alors, les musiciens se saisissent des bonnets de Père Noêl qui voltigent sur scène, Bruce se coiffe d’un stetson de cow-boy rouge à hermine blanche et pour un final « Magic », tous entonnent ‘Santa Claus is coming to town’.

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Les 20 000 spectateurs de Bercy ont eu leur cadeau avant l’heure. Le soldat Springsteen, la main collée à la tempe, salue militairement son public aux anges, droit dans les yeux et lui lance en guise d’au revoir, « At the summertime ».
J’ai déjà les billets pour le 27 juin 2008 au Parc des Princes, une enceinte à la dimension de ce géant du rock.

 

Publié dans:Coups de coeur |on 19 décembre, 2007 |4 Commentaires »

Pagny (dé)chante Brel

Ce qui aurait pu être un coup de gueule mérite finalement sa place dans mes coups de cœur.
Les tentatives de certains chanteurs de se réapproprier le répertoire de leurs glorieux aînés, le temps d’un cd et de quelques concerts, sont rarement couronnées de succès. Dans cet exercice périlleux, récemment, , « Higelin enchanta Trénet » avec beaucoup de bonheur. La filiation évidente de ces deux fous chantants, était gage de réussite.
En revanche, cher Florent, « vous n’aurez pas ma liberté de penser » que reprendre onze chansons du « Grand Jacques » était un écueil plus redoutable à franchir que le Cap Horn voisin de votre Patagonie d’adoption. L’accueil mitigé, réservé à l’album, malgré une promotion d’enfer, semble confirmer mes doutes. Le magazine Marianne parle même de « saccage et de reprise de brèle » !!! Cependant, je me réjouis si cela incite les jeunes générations à une féconde plongée dans l’univers de l’immense poète qui repose aux Marquises. C’est aussi l’occasion de faire renaître les émotions inoubliables que me procura Brel durant les « sixties ». En effet, étonnamment, il connaït son état de grâce tandis que la vague yéyé déferle et que Johnny met son public au bord de l’émeute à grands coups de twists endiablés et de fauteuils cassés. Au commencement, Brel interpella mon âme d’enfant par quelques refrains populaires comme « La valse à 1000 temps » et « les fla-les fla-les flamandes qui dansent sans frémir aux dimanches sonnants faisant la fierté de leurs parents, du bedeau et de son Eminence » … j’avoue que je ne comprenais pas encore tout ! Le vrai choc survint en 1962, lorsque Brel sortit son « disque blanc » quelques années avant que les Beatles ne l’imitent. Je me souviens de cette grande pochette immaculée, c’était son « premier vinyl microsillon 30 cm », sur laquelle étaient écrits, laconiquement, les titres des chansons … mais quelles chansons !

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Des centaines de fois, alors, j’ai posé délicatement le saphir sur le disque pour espérer prendre avec Madeleine, le tram trente-trois pour aller manger des frites chez Eugène, pour déambuler sur l’impériale de l’omnibus dans les rues de Bruxelles, au temps du cinéma muet, pour ânonner les déclinaisons latines de Rosa, pour attendre avec Zangra que l’ennemi vienne au fort de Belonzio qui domine la plaine, cela me donna plus tard, l’envie de lire « Le désert des Tartares » dont cette chanson s’inspire. J’ai ri de l’insolence de « ces jeunes peigne-culs qui montraient leur derrière aux bourgeois sortant de l’hôtel des Trois Faisans ». Imaginez que dans le contexte de cette époque « gaullienne », cette chanson était bannie des ondes et de l’unique chaîne de télévision.
Et puis, il y avait ce que je considère encore comme son chef d’œuvre (choix très subjectif, il en composa tellement), « Le plat pays » qui est le sien. Ce poème sur la Flandre, apparaissait tellement abouti, dans la lignée d’Emile Verhaeren et Maurice Maeterlinck très prisés dans les récitations de mon enfance , que certains pensèrent qu’il ne pouvait être l’œuvre d’un chanteur de variétés et que Brel, plagieur scélérat avait dû sortir des oubliettes, le manuscrit d’un anonyme.
Quarante ans plus tard, en vidant le grenier de la maison familiale, je suis tombé sur un numéro de « Réalités » de septembre 1961, mensuel culturel que mes parents lisaient régulièrement. Jacques Brel y commente son ode à la Flandre qui n’est alors encore qu’un texte sans musique. « Ni limité, ni protégé, ouvert au pas des hommes, au galop des marées, prisonnier d’un ciel sans joie, voué à la mélancolie, mon pays s’est construit des rêves d’évasion. Lassé d’atteindre sans entrave un horizon sans surprise, bravant le déroulement monotone du temps et de l’espace, de ses mains audacieuses il a bâti les sommets que la nature lui refusait, dompté le cours des fleuves et l’élan de la mer. Etrangers sans étonnement, quand vous verrez glisser les cargos au-dessus des champs, jaillir les flèches de pierre et les remparts des digues, pourrez-vous mesurer sans angoisse la fragilité de cette victoire, imaginer sans tristesse la défaillance imprévisible qui rendra au néant le fruit de cette obstination ? »

Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent de l’Est écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien.

Saisi par ces images dignes des maîtres de la peinture flamande, je découvre « Marieke » créée 3 ans auparavant puis suis conquis par « Mon père disait » quelques années plus tard. Aujourd’hui, je me surprends lorsque je flâne entre les tours de Bruges à Gand, de glisser un cd dans le lecteur de mon automobile pour associer le son du poète aux images qui défilent.
Second séisme dans mon cœur de fan, en 1966 je crois, lors d ‘un récital au cinéma L’Omnia de Rouen organisé par les élèves de l’Ecole de Commerce de la ville. Depuis, nombre d’images d’archives vous ont restitué l’atmosphère de ses concerts. Dès son apparition sur scène, l’homme a de la prestance, son mètre quatre vingt affûté dans un costume sombre. Débute alors un véritable combat de boxe en une vingtaine de chansons qu’il enchaîne au galop sans se soucier des applaudissements du public, jusqu’à épuisement. De sa voix chaude et puissante, il vous envoie chaque vers en pleine figure. Il porte chaque chanson en jouant des bras et des jambes. Déjà le futur acteur transparaît derrière notamment les effets comiques dont il affuble les bigotes qui « cimetièrent à petits pas. La salle s’esclaffe devant ce niais qui rapporte ses bonbons en proférant un « paix au Vietnam » et le « suivant » du suivi au conseil de révision. Il prolonge certaines de ses chansons comme des sketches tant il les surjoue. Aux rires succèdent les larmes qui se mélangent à sa sueur lorsqu’il entame « Ne me quitte pas » et décrit « Les vieux » dont nos parents prennent un jour les traits. Reste gravée en ma mémoire, cette main soudain décharnée qui « tremble un peu de voir vieillir la pendule d’argent qui ronronne au salon, qui dit oui, qui dit non, qui dit je vous attends ». En transes, il interprète Jef et Amsterdam. Transpirant à grosses gouttes, il s’essuie le visage, dos au public, avec de larges mouchoirs blancs sortis de son veston. Puis, c’est le retour au calme où sobrement accompagné de quelques accords de sa guitare, il chante son plat pays et offre en partage « quand on n’a que l’amour ». Il me semble que ce concert date d’hier tant les images et les sons demeurent ancrés profondément en moi. Vous imaginez que par la suite, j’attendais fébrilement chacun de ses nouveaux opus. Au début des années 1990, à l’occasion de mon départ de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Versailles, on m’offrit l’intégrale en cd de l’œuvre de l’immense poète pour remplacer mes disques vinyl usés d’avoir été trop écoutés. J’oubliais, en 1969, j’eus encore le bonheur d’admirer Brel, au théâtre des Champs Elysées à Paris, dans son interprétation de Don Quichotte, l’Homme de la Mancha. Amaigri, presque décharné, barbu grisonnant, il nous arrachait les larmes dans sa Quête pour l’inaccessible étoile … et pour cause, vous ne l’avez pas atteinte cher Florent Pagny !

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Publié dans:Coups de coeur |on 16 décembre, 2007 |4 Commentaires »

Thank you very much Monsieur Trenet

Chez moi, souvent très tôt le samedi, un clairon retentit sous les traits d’une adorable petite fille de 9 ans. Elle me sort de mes songes pour que j’entre dans ses rêves. Je me prépare donc rapidement pour prendre, le coeur léger, le chemin d’une école enchantée… juste un couloir à suivre pour me retrouver devant la porte de la classe de CM2 de Madame Stéphanie Claude … c’est le nom de scène qu’a choisi cette jeune star de la pédagogie. Ma maîtresse apparaît plus sévère qu’elle ne l’est à la ville, et m’invite, après que je l’eus saluée, politesse oblige, à rejoindre ma place, en l’occurrence, un lit ancien à barreaux. Mes camarades, douces comme des peluches, s’appellent Ours brun, Petit Ours blanc, Mickey, Grenouille, Arlequin, Bambi, des jumeaux Chatons, parfois se joint à nous Coccinelle, gente insecte du voyage. Après avoir sacrifié aux traditionnels appels de présence et de cantine, Madame Claude nous présente avec clarté les activités de la matinée. Cette semaine, le programme est cool: arts plastiques et musique. Nous commençons donc par dessiner et découper araignées, souris et serpents, toutes ces petites bêtes propres à effrayer une mamie lorsqu’elle se glissera sous les draps. Vient ensuite le moment de la musique et ô surprise, faisant foin des tubes martelés sur les ondes, l’enseignante en herbe nous invite à découvrir trois chansons d’un même auteur compositeur qui appartient à l’anthologie de la chanson du siècle passé, celui qu’on surnommait le « fou chantant », Charles Trenet. Je m’aventure à lever le doigt pour signaler que je dispose du CD « chez moi ». Je suis autorisé immédiatement à sortir de la classe pour ramener le précieux document. A mon retour, la maîtresse, fervente adepte des moyens audiovisuels d’information et de communication, nous demande d’écouter attentivement avec pour consigne de noter et commenter les paroles de « Je chante », « Y a d’la joie » et « Le jardin extraordinaire ». Alors, sortant de mon jeu de rôle, j’ècarquille les yeux sous le charme de cet enfant du 21ème siècle, qui « longtemps, longtemps, longtemps après que le poète a disparu » reprend ses refrains avec jubilation et « quand elle est à court d’idées, fait la la la la la la ». Se met en scène toute la magie de l’univers de Trénet qui, derrière ses vers parfois considérés comme mineurs, est le chantre de la jeunesse, de l’insouciance, du bonheur, de la joie de vivre. Le rythme d’il y a cinquante ans ne lui semblant pas encore assez endiablé, la jeune maîtresse en accélère le swing. Elle se promène avec fantaisie dans les allées de ce jardin surréaliste. Les élèves peluches se dandinent et reprennent en choeur :

C’est un jardin extraordinaire
Il y a les canards qui parlent anglais,
Je leur donne du pain, ils remuent leur derrière
En me disant « Thank you very much Monsieur Trenet.

Vous ne me croyez pas? … « Il suffit pour ça d’un peu d’imagination! »

 

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Publié dans:Coups de coeur |on 9 décembre, 2007 |6 Commentaires »

Traces de Vies

 

Etant, désormais, rayé des cadres actifs de la nation (c’est l’appellation officielle de mon statut de retraité), chaque année en novembre, je rallie Clermont-Ferrand pour vivre une semaine en immersion dans le film documentaire de création…
Animée par une petite équipe de salariés et de quelques bénévoles, dynamiques, chaleureux et militants, Traces de Vies, tel est le nom de ces rencontres cinématographiques, atteindra sa majorité en 2008..
Ce festival, après avoir débuté modestement dans le bourg médiéval de Vic-le-Comte, a vu sa notoriété croître au fil des ans au point de conquérir aujourd’hui la capitale régionale arverne et établir son quartier général autour de la Maison de la Culture.

 

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Il est sympathique et réconfortant d’y voir affluer un public de tous âges (et notamment, un grand nombre de lycéens très attentifs), toutes classes sociales et toutes cultures professionnelles à la découverte de quelques œuvres majeures du cinéma documentaire et d’une sélection de films récents en compagnie souvent des réalisateurs présents dans la salle.
La cuvée 2007 a été particulièrement gouleyante et j’ai pu m’enivrer de plus de 30 produits du cru (je parle ici de films bien sûr et non des savoureux et trop méconnus Côtes d’Auvergne qui nous furent proposés de découvrir à l’issue de la cérémonie d’ouverture).
Il n’est pas mon propos, ici, de jouer les critiques de cinéma, ni de « refaire » le palmarès, en l’occurrence, il emporta l’adhésion quasi-unanime du public. Je souhaite juste susciter l’envie de voir des documentaires, ces courts et moyens-métrages que l’on projetait, dans mon enfance, en première partie du « grand film », avant les actualités et les esquimaux proposés à l’entracte par l’ouvreuse, et que les chaînes de télévision, aujourd’hui, incluent dans leurs programmes, souvent (trop) tard dans la nuit, pour justifier leurs quotas culturels !
A travers « Jardins et cultures, la nature interprétée » un des thèmes retenus par l’organisation., nous voyageons des jardins ouvriers de Brest et les querelles inénarrables de voisinage pour la hauteur d’une haie ou d’un alignement de poireaux, jusqu’ à un jardin de la Creuse et son propriétaire humaniste, « le plus possible près de la nature, le moins possible contre », en passant par «Un enclos », un jardin de curé au centre pénitentiaire de Rennes où les femmes prisonnières se sentent libres au moins intérieurement.
En écho au récent « Grenelle de l’environnement », « Une pêche d’ enfer » et « L’assiette sale » dénoncent de manière très pédagogique, le pillage maritime au large du Sénégal, l’exploitation honteuse de saisonniers étrangers dans les Bouches-du-Rhône ainsi que les mystères de la grande distribution.
L’autre axe majeur de la programmation fut la question de la transmission, cette passation entre les individus, entre les générations, qu’elle soit politique avec la générosité exaltante des ouvriers francs-comtois dans « Les LIP, l’imagination au pouvoir », ou qu’elle soit drame humain avec le cri du fermier de « Combalimon » pour que continue à vivre son exploitation et le deuil du père dans l’onirique « Scènes de chasse au sanglier ».
Mon coup de cœur est allé à « Où sont nos amoureuses » de Robin Hunzinger mais je ne fais preuve d’aucune originalité tant ce film a rallié tous les suffrages et ému aux larmes l’ensemble du public.
L’éclatante Emma et la chétive Thérèse nouent une amitié dévorante à l’Ecole normale Supérieure de Fontenay à la fin des années 1920. Nommées professeurs, l’une en Lozère, l’autre en Creuse, elles vont entretenir une correspondance assidue. Eprises d’une folle indépendance, Emma et Thérèse sortent des chemins balisés de l’époque pour partager une profonde amitié amoureuse dont on ne connaîtra pas les interdits. Elles visitent l’ Espagne républicaine et envisagent d’adopter un enfant. Emma finit par succomber à l’amour, prend un amant puis se marie et s’installe en Alsace annexée par l’Allemagne nazie. Les chemins des petites amoureuses se séparent définitivement en 1940. Tandis qu’ Emma vit auprès de son mari qui arbore l’insigne nazi, Thérèse rejoint l’armée de l’ombre et va devenir chef du réseau de la Résistance autour de Fougères. Arrêtée par la Gestapo, elle meurt en 1943, préférant se pendre que de parler sous la torture. Emma est morte en 1987 laissant derrière elle, une boîte remplie de lettres et négatifs qu’a investis son petit-fils, le réalisateur Robin Hunzinger pour transmettre l’histoire de son aïeule qui s’inscrit dans l’Histoire.
Les images en couleurs, sur les lieux de l’époque, en écho aux documents d’archives, illustrent magnifiquement les sentiments des deux jeunes femmes. La voix off pleine de pudeur décline l’essentiel des lettres et du journal d’Emma.
Ainsi, un ami breton qui m’accompagnait, a découvert pourquoi un collège de Fougères est baptisé Thérèse Pierre, véritable personnage de roman qui demeure discrète dans la postérité comme elle le fut dans ses engagements.
Hasard de la programmation, victime peut-être aussi, à la suite de cet émouvant documentaire, fut projeté « Le temps d’un film ». Il s’agit d’une étourdissante réflexion sur la création d’un film, loin des fastidieux making-off qui fleurissent dans les bonus de dvd. La réalisatrice égrène les possibles de son scénario et de son casting en nous entraînant à Venise, Paris et Saint-Louis du Sénégal. Avec virtuosité, elle surprend les spectateurs, encore sous le choc des amoureuses, à taper des pieds sur les voix et les rythmes de Tom Waits, Francesco Pini, Cheikh Lô, Maylis Guiard-Schmid, Madou Diabaté et la fanfare principale des Forces Armées Sénégalaises.
Tous ces artistes passent à la trappe du casting à cause d’un détail : quand on pétrit le pain, il faut libérer la pâte de ses bulles d’air par un travail méticuleux.. comme l’est la création d’un film. C’est jubilatoire !
Je pourrais encore vous faire saliver avec plein d’images et de sons mais vous avez compris… allez au cinéma, voyez des documentaires, c’est la vie ! … et dès que vous le pourrez,filez, en novembre au pays des Arvernes sur les Traces de Vies.
Site de « Traces de Vies » : tdv.itsra.net

 

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Une fois étanchée leur soif d’images, les cinéphiles aiment aussi se restaurer. Je ne saurais trop leur recommander, à deux pas de la Maison de la Culture et de Traces de Vies, sur la place des Salins, « Le petit Creusois », un chaleureux bistrot à l’ancienne tel que les aimait Doisneau où de sympathiques gérants vous proposent des repas dits « ouvriers » d’excellente facture (publicité totalement gratuite).

 

Publié dans:Coups de coeur |on 5 décembre, 2007 |1 Commentaire »
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valentin10 |
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