Partant en voyage une dizaine de jours en ce début du mois de mai, notre chère petite fille nous a proposé de profiter de son appartement pour poursuivre nos flâneries bruxelloises.
En échange, elle nous demandait juste de prendre soin de son adorable petite chatte. Connaissait-elle la coutume du Kattenstoet, une parade très populaire qui se déroule à Ypres, tous les trois ans, le deuxième dimanche de mai ? Commémorant un rite carrément cruel qui remonte au Xème siècle, la cité flamande célèbre le lancer de chats depuis le beffroi.
La légende raconte qu’on accueillit des chats pour protéger de la voracité des souris les fameuses draperies qui faisaient la prospérité de la ville. Sauf que les charmants félins se reproduisirent à une vitesse exponentielle. C’est ainsi que le comte de Flandre Baudouin instaura une journée au cours de laquelle les Yprois étaient invités à précipiter dans le vide depuis la tour leurs chats vivants devenus indésirables. J’imagine votre effroi et votre envie soudaine d’aller gonfler les rangs du Parti animaliste (2,2% des voix aux récentes élections européennes).
Je vous rassure, cette révoltante coutume cessa en 1823. Mais les Belges aiment la fête et, de nos jours, pour perpétuer la tradition, est organisé un défilé de chats géants et de chars dédiés au félin. Pour clore cette manifestation qui attire des milliers de touristes, le « fou de la ville » jette des chats … en peluche du haut de la tour du beffroi. En recevoir un sur la tête porterait bonheur.
La jeune fille pouvait partir sereine et Chanel* ronronner paisiblement.
Vendredi 3 mai 2024
En guise de première promenade, enfin nous choisissons de visiter la basilique nationale du Sacré-Cœur de Koekelberg, située dans la périphérie immédiate de la capitale. Enfin, car à l’occasion de nos précédents séjours dans la capitale belge, nous étions régulièrement intrigués par ce monument dont le dôme de couleur verte attire particulièrement l’œil, depuis différents points de vue dans Bruxelles centre. Tellement imposant, il semble proche, pourtant, le compteur de notre taxi affiche, après le franchissement du canal, une distance de quatre kilomètres à vol d’oiseau.
Longtemps, les Bruxellois ont trouvé cet immense édifice disgracieux, raillant même son architecture en forme de pâtisserie … étouffe-chrétien ?
À l’origine du projet, le roi Léopold II, dans le cadre de sa politique d’embellissement de Bruxelles, souhaita la création d’un nouveau quartier relié au centre-ville par un grand boulevard prolongé par un parc (aujourd’hui Parc Elisabeth). Cette vaste artère porta son nom après sa mort mais le passé de ce roi, certes bâtisseur pour certains mais surtout pour beaucoup colonisateur -ses actes de violence et de cruauté au Congo ont entaché l’histoire du Plat Pays- a entraîné en 2020, en plein mouvement « Black Lives Matter », des polémiques mémorielles. Plusieurs de ses statues ont été vandalisées ou déboulonnées et le boulevard, aujourd’hui enfoui, à son nom, a été rebaptisé récemment tunnel Annie Cordy. Une métaphore peut-être de la musique qui adoucirait les mœurs !
En 1880, cinquante ans après l’indépendance du pays, le souverain voulut faire construire, dans la perspective du Parc Elisabeth, un immense Panthéon national qui rappellerait aux générations futures les héros de la Nation Belge. L’argent faisant cruellement défaut à l’époque, Léopold II dut renoncer à son projet. Mais à partir de 1896, la situation des caisses royales s’étant améliorée avec les revenus du domaine congolais, la volonté architecturale du roi le poussa cette fois à faire édifier, au sommet du plateau de Koekelberg, une basilique en lieu et place du Panthéon prévu initialement : « Revenant de Luchon en Belgique, je voulus pour cause de repos scinder mon voyage en deux et m’arrêter à Paris pour quelques jours… J’allai passer une journée à Montmartre dans la Basilique dont j’avais tant entendu parler. Dans l’admiration de l’idée grandiose et patriotique qui avait inspiré ce monument, profondément saisi, je conçus la volonté très arrêtée de promouvoir dans la capitale de la Belgique la construction d’un temple rappelant Montmartre, dans son ensemble en style romain-byzantin, dans un emplacement magnifique dominant Bruxelles, dans le but de consacrer le commencement du XXème siècle et la Belgique catholique au Sacré-Cœur de Jésus. Ma décision était prise en descendant Montmartre, je voulais une basilique du Sacré-Cœur à Bruxelles. »
L’histoire de la basilique est un peu l’inverse de notre Panthéon parisien, place des Grands Hommes, qui était avant la Révolution une église dédiée à Sainte-Geneviève.
La construction de la Basilique de Koekelberg s’étale sur presque un demi-siècle : la première pierre fut posée en octobre 1905, les fondations furent entreprises en 1926, l’édification de l’abside commença en 1930, les travaux du dôme furent interrompus avec la Seconde Guerre mondiale, la grande nef fut achevée en 1951 juste avant la consécration de l’église, la coupole fut terminée en 1969, et le 11 novembre 1970, la cérémonie du 25ème anniversaire d’épiscopat de l’archevêque de Malines-Bruxelles marqua l’achèvement de la construction de la Basilique.
À Bruxelles, on détruit vite, on construit lentement, parfois jamais complètement, il en est ainsi du Palais de Justice, toujours en travaux, juché sur un mont de l’autre côté de la ville.
Chef-d’œuvre de la période « Art Déco », la Basilique serait au niveau de la superficie, la cinquième plus grande église du monde : longue intérieurement de 141 mètres, large de 107 mètres au transept, sa coupole est haute de 93 mètres.
Outre sa fonction religieuse, elle comprend des lieux de réunion, une crypte, un théâtre, une chapelle de semaine, un restaurant, une boutique, un logement de concierge, et aussi deux musées.
C’est tellement vaste qu’on s’y sent un peu perdu en entrant, d’autant plus que le lieu est quasi désert en cette heure médiane. Le chœur est centré et toutes les parties de ce grand vaisseau sont dirigées vers un maître-autel à baldaquin à la croisée du transept, sous la coupole. Des chapelles, au nombre de dix pour les neuf provinces administratives de la Belgique et l’ancien Congo belge, rayonnent aux extrémités des bras du transept. Il s’agit presque d’une église modulable, ainsi l’abside peut être utilisée comme église paroissiale avec son propre autel du Saint-Sacrement et sa sculpture du Sacré-Cœur. Celle-ci est l’œuvre de George Minne dont je découvre l’amitié avec Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature en 1911 et figure de proue du symbolisme belge. Je me souviens d’avoir étudié quelques-uns de ses textes au temps de mon école primaire, peut-être tirés de (sa) Vie des abeilles.
Les bas-côtés de la nef servent de déambulatoire, facilitant la circulation, notamment lors de grandes processions.
La décoration est minimaliste, aussi le regard se porte rapidement vers les nombreux vitraux au style résolument hétéroclite. Les premiers furent installés en 1937, et depuis, une vingtaine d’artistes verriers ont contribué à enrichir la collection qui fait de la basilique un haut-lieu de l’art du vitrail.
Les grandes verrières de la nef et de l’abside traitent de l’Eucharistie et de l’Adoration, ainsi que diverses scènes de la vie de Jésus.
On retrouve les deux « miracles » réalisés par Jésus de Nazareth selon les textes de l’Évangile : la multiplication des pains et la pêche miraculeuse.
À propos de miracles, la Basilique a accueilli, l’an dernier, une relique de Sainte-Thérèse de Lisieux à l’occasion de la célébration des 100 ans de son second miracle concernant la guérison, à la suite d’un pèlerinage dans la ville normande, d’une paroissienne, justement de Koekelberg, atteinte de la tuberculose.
Une vertèbre soi-disant de la jeune sainte normande y fut exposée durant deux semaines.
L’autre miracle ayant contribué à sa canonisation concerne la chanteuse Édith Piaf dont je découvre un pan de son enfance. Fille d’une mère chanteuse de rue et d’un père contorsionniste, la petite Édith se trouva rapidement confiée à sa grand-mère maternelle employée d’une maison close dans le bourg de Bernay, à une trentaine kilomètres de Lisieux. À l’âge de six ans, elle développe une inflammation de la cornée qui la rend aveugle. Les traitements restent vains jusqu’au jour où la grand-mère, en compagnie des « filles de joie » se rendent avec l’enfant à un pèlerinage à Lisieux. Devant la tombe de sainte Thérèse, elles frottent le front de la petite Édith avec de la terre puis implorent celle qui n’est encore que carmélite, dans leurs prières. Quelques jours plus tard, Édith commença à recouvrer la vue. Que l’on reconnaisse le miracle ou pas, cet événement eut des conséquences décisives dans la vie de Piaf. « La Môme » vint régulièrement prier au Carmel de Lisieux et plusieurs de ses immenses succès, comme Mon Dieu, L’hymne à l’amour ou Les trois cloches, témoignent de sa foi profonde.
La basilique est si haute qu’il faut emprunter un ascenseur pour accéder au triforium afin d’admirer le travail de l’artiste d’origine sud-coréenne Kim En Joong. Abstraction et couleurs vives caractérisent ses œuvres.
Les vitraux sont à hauteur du regard, ce qui donne le sentiment de visiter une galerie d’art.
Le clou de l’exposition (si j’ose dire car l’emploi de ce mot est sans doute maladroit quand il s’agit d’une crucifixion) est une photographie, récemment acquise, de l’artiste-plasticien San Damon. Il revendique être le créateur de l’Oniroscopisme, un style issu d’un procédé photographique argentique.
« Quand Jésus devint le Christ », l’allégorie est puissante. C’est l’une des rares représentations de la Crucifixion à l’horizontale. La dominante rose est surprenante.
Nous reprenons l’ascenseur pour accéder, au quatrième niveau, au Musée d’Art Religieux Moderne (MARM) qui a trouvé refuge dans la coupole de la Basilique. Son concept est original : il se concentre sur l’art moderne des XXème et XXIème siècles avec une inspiration particulière de la spiritualité.
À la lecture du petit dépliant qui nous est remis à l’entrée, nous apprenons que parmi les points forts des collections figurent des lithographies originales d’Alfred Manessier et des gravures du Catalan Joan Mirò, deux artistes dont j’ai toujours apprécié les travaux.
L’exposition actuelle Cross-ing Way-s s’attache à la représentation du dernier jour de Jésus en tant qu’homme sur terre en convoquant sur son chemin de croix différentes formes d’art comme la peinture, la sculpture, la photographie et même l’art vivant (si l’on peut dire).
La vision d’un Fouet et d’une Couronne d’épines en métal, pour évoquer la punition, n’est pas la moindre de nos surprises.
Pour clore notre visite, nous réempruntons l’ascenseur pour jouir du Panorama à 360 degrés, depuis un promenoir juste sous le dôme, à 53 mètres de hauteur.
Même si le temps est plutôt couvert, la vue est superbe sur Bruxelles et les Brabants flamand et wallon. Par temps clair, il paraît que l’on voit la cathédrale de Malines : « Ay Marieke, Marieke, il y a longtemps entre les tours de Bruges et Gand… ».
Les sphères de l’Atomium surgissent au-dessus du parc de Laeken. Le fan de foot distingue juste à proximité les projecteurs et le toit des tribunes du stade national du Heysel (aujourd’hui stade Roi Baudouin) tristement connu depuis la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, le 29 mai 1985, entre Liverpool et la Juventus de Turin (avec Platini), et les actes de hooliganisme qui causèrent la mort de 39 personnes (32 Italiens, 4 Belges, 2 Français et 1 Nord-Irlandais). Onze ans plus tard, le Paris-Saint-Germain y remporta la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes, dans une ambiance heureusement beaucoup plus paisible.
Vers le Sud, le Palais raide comme la Justice culmine sur la Place Poelaert.
Entre les tours de la Basilique, s’étale la longue perspective du Parc Elisabeth que nous arpentons à pied à la sortie. Le soleil pointe son nez, il fait presque chaud, prétexte à la consommation d’une bière pression Jupiler, en terrasse, place Eugène Simonis, du nom d’un sculpteur belge décédé à Koekelberg.
Je suis dubitatif devant l’imposante sculpture fontaine qui occupe la place, même la serveuse du café ne peut me renseigner sur sa signification : un dirigeable, un sous-marin, un suppositoire ? Non, une cabosse en référence à la fève du cacaoyer, clin d’œil à un musée du chocolat et une boutique outlet Godiva qui se trouvent non loin de là.
Au retour à l’appartement, nous avons la surprise de croiser cinq canards géants en fibre minérale pataugeant dans le plus grand des deux bassins du Wismet, en face de l’église Sainte-Catherine.
En soirée, nous portons notre choix sur un restaurant italien dont le bouche à oreille dit grand bien, d’ailleurs il est fort conseillé de réserver. A Casa Mia ne paie pas de mine avec sa devanture discrète dans la rue de Flandre, mais l’on s’y sent bien dès que l’on entre : Filippo le patron, authentique Romain, nous accueille chaleureusement faisant la bise à (presque) toutes les clientes. La salle est joyeusement kitsch, un vrai « brol » avec ses tables dépareillées -l’une d’entre elles sert même de présentoir des légumes- et ses murs couverts d’affiches et de photos. Je reconnais Anna Magnani avec son Oscar de la meilleure actrice reçu en 1956 pour son interprétation auprès de Burt Lancaster dans La Rose tatouée.
Cucina della Mamma, la plaque n’est pas mensongère : ici la cuisine est familiale, l’épouse est aux fourneaux, le fils s’occupe des desserts, pendant que la faconde de Filippo, tout droit sorti de Cinecitta, fait merveille en salle. La jeune serveuse, italienne également, est craquante d’amabilité. Ce n’est plus de mon âge de doubler Marcello Mastroianni dans un remake de la scène culte de La Dolce Vita dans la fontaine de Trevi … en la circonstance, le bassin voisin de Sainte-Catherine au milieu des canards !
Je me calme, nous commandons un Aperol Spritz en souvenir de mémorables débuts de soirée sur la Piazza del Campo de Sienne et dans le quartier du Trastevere de Rome.
Inutile de chercher des pizzas sur la grande ardoise (modifiée chaque jour) que nous photographions avec notre smartphone, il n’y en a pas. Je me laisse tenter par les linguine Giulia : poulpe, vongole (palourdes), scampi (langoustines), pesto alla genovese. Ma compagne porte son choix sur les linguine carciofi : artichauts frais, huile d’olive, ricotta salée. Plein de saveurs, un régal !
C’est un vrai péché de gourmandise, nous nous rangeons à l’injonction du patron qui nous conseille de prendre en dessert, un tiramisu pour deux confectionné par son fils.
Et si besoin était de digérer cette merveille de légèreté, Filippo arrive avec une bouteille de limoncello de sa propre fabrication.
Nous reviendrons, c’est certain, à l’occasion d’un prochain séjour.
Samedi 4 mai 2024 :
Ce matin, Bruxelles est encore un peu en Italie. Nous choisissons de faire quelques emplettes alimentaires en prévision de notre retour à l’enseigne Oil&Vinegar, non loin de la Grand-Place.
Sous l’œil inquisiteur d’un personnage magrittien, je m’attarde devant la multitude de vinaigres « à la tireuse » : vinaigre à la fleur de sureau et citron vert, vinaigre balsamique d’oignon rouge, vinaigre de lard aux dattes, vinaigre de vin aux herbes de la Méditerranée, de marc de champagne, de pastèque, de pamplemousse et agrumes, et bien d’autres encore.
Nous faisons provision d’huiles, tapenades et bruschettas, promesses de savoureux assaisonnements et salades.
Sur le chemin du retour, incorrigibles hédonistes, nous nous laissons tenter par la vitrine alléchante d’une excellente charcuterie.
Mais, ce midi, cela devient un rituel à chacun de nos séjours, nous avons choisi de nous rendre à la Mer du Nord, comprenez de nous installer, en face de l’église Sainte-Catherine à l’une des tables debout de la poissonnerie Noordzee, un spot de plus en plus prisé par les Bruxellois et les touristes.
Mode d’emploi : on choisit à l’intérieur, en la circonstance une soupe de poisson et une friture d’éperlans, et quelques minutes plus tard, on entend son nom crié à la cantonade, l’on fait signe et un serveur vous apporte votre commande.
Ce dimanche 23 juin, le parvis de l’église sera encombré de longues tablées avec nappe blanche pour célébrer l’été et l’arrivée des maatjes, les « copains » en néerlandais, à savoir les premiers harengs de la saison. J’en salive rien que de l’imaginer, avec un filet de vinaigre de chez Oil&Vinegar et quelques pommes de terre grenaille.
Dimanche 5 mai 2024 :
Un franc soleil nous incite à une promenade au Parc du Cinquantenaire, ainsi baptisé parce qu’il fut ouvert en 1880 pour célébrer le jubilé des 50 ans de la révolution de 1830 et de l’indépendance belge. C’est le roi Léopold II –vous le connaissez mieux depuis notre visite à la basilique de Koekelberg- qui en fut l’inspirateur dans son ambition de doter Bruxelles de parcs et de monuments prestigieux dignes d’une capitale.
Le site est constitué d’un ensemble de jardins à la française desquels se détachent dans une perspective rectiligne les Arcades du Cinquantenaire, malheureusement un peu polluées, ce matin, par le démontage d’un événementiel.
Bâtir à Bruxelles prend souvent du temps. Ainsi, à l’origine, les arcades étaient essentiellement en bois, la pierre étant d’un coût dissuasif. Pour parvenir à financer son projet, Léopold II utilisa des prête-noms comme donateurs fictifs ainsi que l’argent qu’il tirait du caoutchouc du Congo belge. Un représentant socialiste, en pleine Chambre parlementaire, qualifia le monument d’ « arcades des mains coupées ».
Au sommet de l’arc de triomphe, dans un esprit d’exaltation, se dresse une allégorie du Brabant, la province à laquelle appartient Bruxelles, brandissant le drapeau national, sur un char tiré par quatre chevaux. Les autres provinces de la Belgique sont représentées par des statues au pied des colonnes.
De chaque côté, dans le prolongement des arcades, se trouvent plusieurs musées : musée de l’Armée, musée de l’Aviation, musées royaux d’Art et d’Histoire et musée de l’Automobile. Nous visitons ce dernier, le seul à être ouvert en ce début de matinée dominicale.
Construite pour l’exposition universelle de 1897, faite de verre et de fer forgé, la halle lumineuse, baptisée désormais Autoworld, abrite depuis 1986 l’extraordinaire collection de Ghislain Mahy, un Gantois qui consacra toute sa vie à sauver de la démolition et donc de leur disparition des centaines de voitures qu’il dénichait, restaurait, rachetait et conservait.
Parallèlement à la collection permanente, sont organisées régulièrement des expositions temporaires, ainsi depuis la veille, Autoworld célèbre le 60ème anniversaire de l’iconique Ford Mustang, avec son cheval au galop comme logo.
Un cabriolet rutilant de 2017 accueille le visiteur devant la billetterie.
Ma culture cinéphilique est prise en défaut, je découvre que la Mustang fit sa première apparition mondiale au cinéma dans … Le Gendarme de Saint-Tropez. Son volant entre les mains inexpertes de Louis De Funès, je n’en reviens pas, quand on sait ce qu’il advint de la 2 CV de Bourvil dans Le Corniaud : « Bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien … ! »
Je me souviens par contre de l’extraordinaire course-poursuite dans les rues de San Francisco engagée par l’inspecteur de police Frank Bullitt incarné par Steve McQueen.
« Un homme, une femme » et une Mustang, à l’heure où Anouk Aimée tire sa révérence, comment ne pas évoquer Jean-Louis Trintignant dessinant des arabesques sur le sable de Deauville au volant de sa Ford Mustang carrosserie couleur Wimbledon White et son fameux « 184 » peint sur la portière.
En 1968, Serge Gainsbourg, toujours opportuniste, confirmait le mythe de cette voiture devenue légende :
« On s’fait des langues
En Ford Mustang
Et bang !
On embrasse
Les platanes
« Mus » à gauche
« Tang » à droite
Et à gauche, à droite … »
Légende aussi, dans la version d’origine, la voix féminine serait celle d’une choriste mais certains pensent qu’il s’agirait de Brigitte Bardot. Plus tard, Jane Birkin l’enregistra.
On débute la visite par le coin des « tacots » des « environs des belles années mille-neuf-cent-dix lorsque le monde découvrait l’automobile » comme le chantait Charles Trenet.
Qualificatif péjoratif tant ces modèles présentés ont un charme fou, vénérons-les, d’ailleurs, bien avant qu’Autoworld soit créé, le bâtiment accueillit de 1902 à 1934, les premiers Salons Automobiles et du Cycle.
La Renault AX de 1909 préfigure le modèle AG avec un châssis plus long qui devint célèbre comme « Taxi de la Marne », réquisitionné par le Général Gallieni pour un transfert rapide des troupes françaises vers le front durant la Première Guerre mondiale.
La Rolls-Royce Silver Ghost de 1911, une des plus belles voitures de luxe de son époque, est prête à recevoir une carrosserie « sur mesure » selon les goûts de son propriétaire.
Je découvre que si la Belgique ne peut plus aujourd’hui s’enorgueillir de marques nationales, elle fut à la pointe de l’industrie automobile lorsque le monde se prit de passion pour cette nouvelle invention. Forte de son industrie sidérurgique dominante, elle compta jusqu’à 158 marques de voitures : Nagant, Germain, FN, Excelsior, Imperia, Minerva n’évoquent rien au baby boomer que je suis. La toute dernière 100% belge, une Imperia, fut assemblée en 1958.
La Minerva exposée a la particularité d’être une voiture à double carrosserie : « coupé de ville » pour l’hiver, et « torpédo » pour l’été. Vu le prix du châssis, c’était pour le client une façon d’optimaliser l’investissement.
Je me souviens par contre, outre que la Belgique organise toujours un Grand Prix de Formule 1 sur le circuit de Spa-Francorchamps, elle posséda deux pilotes de légende avec Olivier Gendebien et Jacky Ickx. Humour belge, Jacky Ickx remporta la première de ses six victoires aux 24 Heures du Mans, en 1969, année érotique (selon Gainsbourg), tandis qu’un américain réalisait la prophétie de Tintin, autre personnage belge de légende, en marchant sur la Lune.
Je fais vibrer la fibre patriotique devant deux modèles Bugatti de 1928. Cette année-là, les pilotes, au volant des bolides de l’usine alsacienne de Molsheim, remportèrent 23 courses (sur 28 disputées) dont 11 Grands Prix et la Targa Florio, la mythique épreuve italienne.
J’eus l’occasion de voir tourner ces voitures, il y a quelques années, sur l’autodrome de Montlhéry, lors d’un Vintage Revival**, une manifestation bisannuelle rassemblant voitures de sport et de course d’avant 1940.
En 1926, deux géants allemands de l’automobile Daimler et Benz décidèrent d’unir leurs forces. Ainsi, naquit la Mercedes-Benz avec comme logo, la cultissime étoile à 3 branches inscrites dans une sphère, censée représenter la puissance de la marque dans les domaines terrestre, maritime et aérien.
Me lancine dans la tête la chanson de Janis Joplin avec en préambule, de sa voix éraillée : « J’aimerais faire une chanson d’une grande importance sociale et politique »
« Oh Lord, won’t you buy me a Mercedes Benz ?
Oh Seigneur, tu n’voudrais pas m’acheter une Mercedes-Benz ?
My friends all drive Porsches, I must make amends,
Mes amis roulent tous en Porsche, Je dois réparer cette erreur.
Worked hard all my lifetime, no help from my friends,
J’ai travaillé dur toute ma vie, sans aide de mes amis,
So oh Lord, won’t you buy me a Mercedes Benz ?
Alors Seigneur, tu n’voudrais pas m’acheter une Mercedes-Benz ? »
Plusieurs décennies plus tard, un célèbre publiciste clamait que « si à 50 ans on n’a pas une (montre) Rolex, on a raté sa vie » !
Mais ce qui marqua mon enfance, ce sont les images impressionnantes de l’accident de la Mercedes 300SL pilotée par Pierre Levegh, lors des 24 Heures du Mans 1955. Le bolide, après avoir heurté la voiture d’un autre concurrent, décolla, rebondit sur un muret avant de finir sa course folle dans les tribunes. 78 personnes, dont Pierre Levegh, périrent dans cette tragédie. L’écurie Mercedes-Benz ne reviendra au Mans que peu avant l’an 2 000.
Souvenirs d’enfance : mon père était un « Peugeotiste » inconditionnel. Je me rappelle nos départs en vacances, une joie indicible :
« Nationale Sept
Il faut la prendre qu’on aille à Rome à Sète
Que l’on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C’est une route qui fait recette
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d’Paris un p’tit faubourg d’Valence
Et la banlieue d’Saint-Paul de Vence
Le ciel d’été
Remplit nos cœur de sa lucidité
Chasse les aigreurs et les acidités
Qui font l’malheur des grandes cités … »
C’est troublant comme ces automobiles me renvoient à des chansons.
C’est encore le cas pour la Cadillac rose. One two three four !
Pink Cadillac est une chanson écrite et interprétée par Bruce Springsteen, publiée en 1984 en face B de Dancing in the Dark, le plus grand succès du Boss.
« …Tu te demandes peut-être pourquoi je t’aime
You may wonder how come I love you
Quand tu m’énerves comme tu le fais
When you get on my nerves like you do
Eh bien, viens par ici et embrasse-moi
Well come on over here and hug me
Bébé, je vais révéler les faits
Baby I’ll spill the facts
Eh bien, chérie, ce n’est pas ton argent
Well honey it ain’t your money
Parce que bébé, j’en ai plein
‘Cause baby I got plenty of that
Je t’aime pour ta Cadillac rose
I love you for your pink Cadillac
Sièges en velours écrasé
Crushed velvet seats
Rouler à l’arrière
Riding in the back
Croisière dans la rue
Cruising down the street
Saluant les filles
Waving to the girls
Se sentir hors de vue
Feeling out of sight
Dépenser tout mon argent
Spending all my money
Un samedi soir
On a Saturday night
Chérie, je me demande juste ce que tu fais là derrière
Honey I just wonder what you do there in back
De ta Cadillac rose
Of your pink Cadillac
Cadillac rose
Pink Cadillac
Eh bien, maintenant, retournons dans la Bible
Well now way back in the Bible
Les tentations arrivent toujours
Temptations always come along … »
« On dit qu’Ève a tenté Adam avec une pomme, je sais que c’était sa Cadillac rose ! »
Vous aurez probablement compris la métaphore sexuelle, la Pink Cadillac signifiant en argot américain la partie la plus intime de l’anatomie féminine.
Ce matin, je me souviens aussi de la Cadillac rose de Coluche qu’il laissait en double file dans la rue des Trois Portes quand il rendait visite à ses amis iconoclastes de Charlie-Hebdo, à l’occasion de sa campagne présidentielle en 1980.
Encore quelques pas et je tombe sur une autre automobile mythique, une Citroën Traction Avant de 1934.
Chaque été, dans mon petit village d’adoption, en Ariège, à l’occasion d’une concentration, une cinquantaine de modèles investissent le Pré Commun.
L’histoire de cette auto est liée dans la mémoire collective des plus anciens à l’Occupation, tour à tour voiture de la Gestapo et icône de la Résistance. Ce fut également le véhicule préféré des gangsters, une célèbre bande de malfaiteurs dans les années d’après-guerre, parmi lesquels Pierrot le Fou, fut surnommée le « gang des Traction Avant »..
La conception du modèle exposé était vraiment révolutionnaire réunissant une considérable somme d’innovations : voiture monocoque, moteur 4 cylindres à soupapes en tête, freins hydrauliques, suspension par barres de torsion et amortisseurs, et bien sûr la « traction avant » dont il prit le nom.
Il n’y avait pas de marche pied à franchir, pour la première fois on ne « montait » pas dans sa voiture !
La construction de ce modèle se prolongea jusqu’en 1957.
En Italie, même dans le domaine automobile, on est biberonné à l’art, à l’esthétique et à la sculpture dès le berceau. L’Aztec, concept de spider 2 places, illustre « l’Italdesign » dont les plus beaux fleurons furent la Lamborghini Miura, la De Tomaso Mangusta, la Lancia Medusa, la Maserati Medici et, dans un esprit de voitures de masse, les Fiat Uno et Punto.
L’Aztec étonne avec son double volant !
Instant d’émotion devant une Porsche 550 Spyder : née en 1953, c’est la première Porsche spécifiquement créée pour la compétition. Mais ce modèle est surtout connu pour être la voiture dans laquelle la star hollywoodienne James Dean trouva la mort en 1955.
Une zone est consacrée aux voitures de sport F1, GT et rallye. On entre ici dans l’univers des circuits.
Plus original encore, fiction et réalité se mêlent dans le coin réservé à Michel Vaillant, la série de bande dessinée créée par Jean Graton, en 1957, dans le journal de Tintin, sur le thème du sport automobile. Ainsi, de véritables « Vaillante » ont vu le jour.
Il y aurait encore tant à voir tellement est riche l’histoire de l’automobile. Je regrette par exemple de ne pouvoir visiter l’exposition célébrant 125 ans de Fiat et 75 ans d’Abarth, qui se tiendra de juillet à septembre. La Dolce Vita en voiture !
Il est 13 heures. Nous nous dirigeons vers la Bagnole Brasserie attenante au musée. Je choisis dans le « menu qui en a sous le capot » (!) un honnête fish and frites avec sa sauce tartare.
Nous envisageons, cet après-midi, de visiter la cathédrale de Bruxelles Saints-Michel-et-Gudule. Pour cela, nous empruntons le métro à la sortie du Parc du Cinquantenaire. C’est l’occasion de saluer l’amabilité du Bruxellois. En effet, les marches pour rejoindre le quai sont barrées, et je répugne à utiliser l’escalier roulant qui défile à trop grande vitesse. Un autochtone, avec son fils, voyant mon désarroi, m’invite à le suivre pour descendre par un ascenseur. Il nous indiquera même bientôt la station la plus proche de la cathédrale. Je n’ose pas imaginer pareille sollicitude dans notre capitale.
Dédiée aux saints patrons de la ville de Bruxelles, saint Michel et sainte Gudule, la construction de cet édifice religieux, alors collégiale, fut entreprise au début du XIIIème siècle sous l’impulsion de Henri Ier, duc de Brabant. Presque 300 ans furent nécessaires pour la mener à son terme sous le règne de l’empereur Charles-Quint. Son architecture présente les caractéristiques du style gothique brabançon. C’est récemment, en 1962, que la collégiale prit enfin le titre de cathédrale.
À l’intérieur, une douce lumière de printemps vient tamiser les piliers encadrant la nef. Chacun d’eux est surmonté d’un chapiteau à feuille de choux supportant la statue d’un des douze apôtres.
Une magnifique chaire baroque datant de 1699 représente Adam et Ève chassés du jardin d’Eden après avoir cueilli le fruit défendu. En son sommet, la Vierge et l’Enfant transperçant le serpent symbolisent la Rédemption.
Dans le transept nord, un splendide vitrail, œuvre du maître-verrier anversois Jean Haeck, en 1537, représente Charles-Quint et son épouse Isabelle de Portugal en adoration devient le Saint-Sacrement. La délicatesse des bleus n’est pas sans rappeler certains vitraux de la cathédrale de Chartres.
Plusieurs vitraux relatent l’épisode du « massacre de Bruxelles », une persécution antisémite qui se serait produite en mai 1370 suite à une prétendue profanation d’hosties à la synagogue lors du Vendredi saint. La légende dit que du sang miraculeusement gicla des hosties immédiatement après que des Juifs les eurent transpercées à coups de couteau.
La dévotion locale pour le Sacrement du Miracle perdura jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est qu’après le drame de l’Holocauste et sous l’influence de la modernité qu’une attitude plus critique apparut par rapport au miracle médiéval.
Une plaque a été pieusement et discrètement inaugurée, en 1977, dans une chapelle de la cathédrale : « En 1968, dans l’esprit du deuxième concile du Vatican, les autorités diocésaines de l’archevêché de Malines-Bruxelles, après avoir pris connaissance des recherches historiques sur le sujet, ont attiré l’attention sur le caractère tendancieux des accusations et sur la présentation légendaire du miracle ».
Dans ma déambulation, je tombe sur Sainte Gudule co-patronne de la ville de Bruxelles.
Cette cathédrale joue un rôle de premier plan dans le pays pour les grandes cérémonies religieuses et les sacrements de la famille royale. Baudouin et Fabiola s’y marièrent en 1959 ainsi que le prince Albert et la dolce Paola.
Nous nous recueillons encore quelques instants en profitant d’un mini concert donné par une chorale de jeunes filles.
Nous redescendons à pied vers le quartier bas de Sainte-Catherine. Heure heureuse, ultime arrêt avant le retour à l’appartement, à la Camionnette Rouge : après le grégorien, ambiance latino !
Lundi 6 mai 2024 :
Lors d’un précédent séjour, nous avions visité le Belgian Beer World, le musée moderne de la bière belge, tout nouvellement installé dans l’ancienne Bourse de Bruxelles.
Ce matin, nous choisissons de nous intéresser, cette fois, à la bière artisanale en nous rendant à Anderlecht, banlieue toute proche de Bruxelles, à la brasserie Cantillon, une entreprise familiale, fondée en 1900, qui est restée totalement indépendante. En utilisant toujours du matériel datant du XIXème siècle, son enseigne, avec le logo du joyeux buveur partant à la renverse sur sa chaise, est indissociable d’un style de bière, presque mystérieux : le LAMBIC.
Un livret complet d’explication nous est offert au départ de la visite libre. Nous pouvons donc déambuler à notre rythme dans les différentes salles, sans déranger puisque les opérations de brassage proprement dites s’effectuent de la fin octobre à début avril, pour des raisons météorologiques.
La philosophie du brassage, le temps de production, le goût, tout ici diffère des productions de bières modernes et industrielles.
Derrière le nom de lambic, se cache une bière de tradition issue d’un savoir-faire ancestral dont on retrouve les premières traces de production dans les années 1550, dans la vallée de la Senne, précisément dans la localité de Lembeek (étymologie possible du nom lambic).
Les matières premières sont broyées dans un concasseur visible au premier étage : 30 à 40% de froment, 65% d’orge malté, avec un peu (ou pas) de houblon dit suranné (vieilli environ 3 ans) pour son amertume. La mouture obtenue est recueillie dans une trémie au-dessus de la cuve-matière. C’est là que les 1300 kg de mouture sont mélangés avec de l’eau chaude et brassés au moyen d’un mélangeur central. En deux heures, le mélange d’eau et de grains va passer de 45°C à 72°C et parvenir à la saccharification, c’est-à-dire la transformation des amidons des grains en sucres fermentescibles.
Instant d’émotion, au grenier, par une petite fenêtre, nous jetons un œil à ce qui est présenté comme un véritable sanctuaire par le brasseur : une cuve en cuivre rouge de très faible profondeur mais de très grande surface, sans une seule soudure, un vrai travail d’orfèvre.
C’est la forme de ce bac qui favorise le refroidissement et le contact avec l’air : idéalement, le moût doit atteindre une température de 18 à 20°C, cette opération naturelle se déroule la nuit et en saison froide. Des volets de part et d’autre de la cuve peuvent être actionnés afin d’augmenter ou diminuer la ventilation.
C’est là que s’opère un véritable miracle, la fermentation spontanée. Le moût est fécondé par une multitude de levures sauvages, que l’on ne trouve que dans l’air bruxellois et plus précisément dans la vallée de la Senne (!!!), et spécifiques à la pièce où se déroule le phénomène.
Une fois le moût ensemencé, il sera placé dans de grandes barriques en bois de chêne ou de châtaignier pendant une, voire plusieurs années. Après quelques jours, débute la fermentation dite spontanée, fruit de la réaction des levures sauvages et des sucres du moût.
J’ai relevé au-dessus du bar une citation de Paul Morand, extraite de son livre L’Homme pressé, résumant la philosophie de la maison : « Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui ».
Les liens unissant la brasserie et la nature sont très étroits. Ainsi, je découvre dans le livret que les araignées, très présentes dans les bâtiments, veillent à l’équilibre biologique de la brasserie en se chargeant de l’élimination des insectes néfastes. Sale temps pour les arachnophobes !
À partir des lambics, sont déclinées différentes variétés de bière. Les gueuzes naissent du mélange de lambics de un, deux et trois ans d’âge. Les faros sont des lambics auxquels on ajoute du sucre candi, et parfois du caramel. Il est de tradition aussi de mélanger des fruits régionaux au lambic. En été, 150 kilos de fruits, cerises acides (« krieken »), framboises et raisins sont mélangés à 500 litres de lambic de deux ans d’âge. Le plus populaire des lambics fruités est la Kriek pour laquelle on laisse maturer le lambic sur un lit de cerises de Schaerbeek.
La visite s’achève évidemment par une dégustation au caveau. C’est toute une éducation du palais à faire, nous sommes décontenancés par la complexité des saveurs, notamment l’acidité et l’amertume, ce qui n’altère en rien le plaisir de la visite.
Pour ma défense, je pense ne convaincre personne en citant Victor Hugo, de retour de Belgique : « Si l’on me demande : Avez-vous bu de bonne bière dans votre voyage de Belgique ? je répondrai : Oui, en France. J’ai bu d’excellente bière en effet à l’hôtel Dessin, à Calais. En Belgique, toute leur bière, bière blanche de Louvain, bière brune de Bruxelles, a un arrière-goût odieux. Les anglais la trouvent trop houblonnée. Va pour houblonnée, mais c’est mauvais. Quant à leur vin (aux belges), il sent la violette. Il y entre plus d’iris que de raisin. C’étaient, en vérité, de détestables boissons. Je me réfugiais de l’une dans l’autre, mais, à tout prendre, j’aimais encore mieux de la bière blanche que du vin bleu. ». C’est complètement hors-sujet mais le coquin de Victor écrivait aussi : « Par contre en Belgique, il y a un lupanar fameux » !
Quelques visiteurs, hommes et femmes, semblent apprécier la subtilité des variétés proposées à la carte en prolongeant la dégustation sans trop de modération.
Le Rosé de Gambrinus est une kriek où les cerises sont remplacées par des framboises, la Vigneronne est un assemblage de lambic et raisins blancs muscat, la Fou’foune associe lambic et abricots « Bergeron », l’Iris est composé uniquement de malt, la Mamouche consiste en une macération de fleurs de sureau fraîches dans un lambic, il est même une cuvée Saint-Gilloise spécialement élaborée pour le club de football historique de Bruxelles.
À la sortie, je fournis à ma compagne quelque explication « alambiquée » pour lui faire avaler le programme de l’après-midi !
Mais de cela, je vous ai déjà entretenu dans un billet spécial :
http://encreviolette.unblog.fr/2024/06/09/entrez-dans-le-ronde-van-vlaanderen-tour-des-flandres/
Mardi 7 mai 2024 :
Afin de digérer les pavés de la veille (!), nous choisissons de passer une journée tranquille, essentiellement, à l’appartement. C’est la petite Chanel qui est contente.
Pour déjeuner, nous essayons une nouvelle adresse, quai aux Briques, en bordure du bassin de Sainte-Catherine où barbotent encore des canards géants.
Le Bij den Boer, « Chez le paysan en flamand », est le type même du bistrot bruxellois, avec son zinc, ses vieilles boiseries, ses miroirs biseautés marqués par le temps, ses tableaux, ses maquettes de bateaux, et apparemment ses habitués. Situé en plein cœur du Wismet (ancien marché aux poissons), il met en avant ses spécialités maritimes.
Dans le menu du jour, j’opte pour la soupe de poisson, honnête, un dos de cabillaud excellemment saisi, et un riz au lait qui n’égale pas celui que faisait ma chère grand-mère.
Nous ressortons avec un sentiment mitigé, un peu contrariés d’avoir dû débusquer sur la note, la facturation de deux menus à 36 euros au lieu de 24. Que penser …
Pour apaiser notre mauvaise humeur, rien de tel que déguster un bon chocolat belge. Nous prenons notre automobile, attention aux rames de tram (!), direction Vlezenbeek où est implantée la boutique d’usine (outlet store pour faire branché) Neuhaus, à proximité de la fabrique.
Je vous ai déjà raconté l’histoire de Jean Neuhaus, un pharmacien suisse qui s’installa en Belgique en 1857. À l’origine, il vendait des « confiseries pharmaceutiques », des bonbons contre la toux, des réglisses contre les maux d’estomac, des guimauves, qu’il eut l’idée d’enrober d’une couche d’un délicieux chocolat belge pour combler ses clients. En 1912, son petit-fils développa le concept en remplaçant carrément les médicaments par des douceurs. Le premier chocolat fourré était né qu’il baptisa praline. La boutique chic continue de prospérer dans la prestigieuse Galerie de la Reine, non loin de la Grand-Place.
L’ambiance est totalement différente à Vlezenbeek : on se croirait un jour de soldes dans un centre commercial, les visiteurs tournent autour des présentoirs et plongent leur main dans les boîtes ouvertes pour assouvir à volonté leur penchant pour les fameuses pralines. La goinfrerie n’est pas loin chez certains clients, je n’ose imaginer les futures crises de foie !
Le prix est incomparable, et plutôt que mégoter sur un ballotin classique, on peut acheter un carton entier d’un kilo de pralines, et si vous en prenez deux, un troisième est offert.
Certes, le conditionnement est moins luxueux, chaque boîte ne compte souvent qu’un type de chocolat, mais vous avez de quoi faire plaisir à vos amis à votre retour au pays.
Mercredi 8 mai 2024:
Ce matin, je me rends au marché place Sainte-Catherine, je me souviens de m’être procuré de savoureux fromages belges à l’étal d’Ignace (c’est un joli nom !) Sepulchre.
C’est presque une mise en bouche que de balayer du regard la vitrine du camion. Tout est bio ou presque ! L’humour belge est présent, je découvre le Carrémember et le Picoleur !
Je me laisse tenter par un Herve piquant (que je connaissais déjà), une tommette de Mamé vï bleu et un Pleine Lune qui serait baptisé ainsi parce que son producteur l’aurait goûté pour la première fois une nuit de … pleine lune.
Ce midi, nous mangeons sur le pouce, non loin de là, au Fritkot Chouke, l’excellente friterie de la rue du Vieux Marché aux Grains. Les délicieuses frites fraîches sont cuites dans la graisse de bœuf.
Vous allez finir par conclure que nous ne pensons qu’à manger. Vous avez presque raison, cet après-midi, nous décidons de nous nourrir … culturellement au Bozar (Palais des Beaux-Arts) avec une exposition consacrée à James Ensor.
En 2024, James Ensor Maestro est l’une des expositions commémorant le 75ème anniversaire de la mort du célèbre artiste ostendais, qui n’était pas qu’un peintre mais aussi un écrivain, un amateur de musique et un compositeur.
Grâce à la collaboration de collectionneurs privés, plus de 150 œuvres ont été rassemblées. Première émotion, l’exposition s’ouvre sur une tapisserie monumentale, réplique exacte du chef-d’œuvre de l’artiste : « L’entrée du Christ à Bruxelles en 1889 ».
Jubilatoire : le Christ assis sur un âne est perdu au milieu d’une foule bigarrée composée de masques grotesques et de squelettes rigolards. La kermesse bat son plein. En haut du tableau, tel un bandeau, une banderole déployée Vive la sociale donne à la scène de liesse un air de marche de protestation. Discrètement, dans un coin de cette composition iconoclaste, est brandie une pancarte « Vive Jésus ».
Les masques et les squelettes sont des sujets éminemment « ensoriens ». Marionnettes de chiffon, elles évoquent les divertissements populaires, le carnaval d’Ostende, l’univers fantastique du magasin de souvenirs, de masques et de coquillages que tenait sa mère près de la grande plage de la Mer du Nord.
Ensor se remémorait sa naissance à l’occasion d’un discours : « Je suis né à Ostende, le 13 avril 1860, un vendredi, jour de Vénus. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l’aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d’écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courait sur mes nacres, s’oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses… »
Dans « L’appel de la sirène », c’est peut-être cette Vénus qui tend les bras à Ensor lui-même, petit homme chétif et timide dans son maillot de bain rayé. Sirène, c’est ainsi aussi qu’Ensor appela sa maîtresse Augusta Boogaerts.
Aux yeux d’Ensor, « La mangeuse d’huîtres », peinte en 1882, était une de ses meilleures œuvres. Il l’envoya au Salon d’Anvers mais le jury refusa de l’exposer. Le poète Émile Verhaeren en personne prit la défense des « vigoureuses et audacieuses toiles de ce jeune artiste dont tous ceux qui n’ont pas l’œil bouché par les préjugés et de parti pris apprécient l’étoffe et le talent ». Tardive réhabilitation, de nos jours, en temps normal, le tableau rayonne sur les cimaises du Musée des Beaux-Arts d’Anvers. Mieux ou plus qu’un portrait de celle qui est sans doute Mitche la sœur cadette de l’artiste, il s’agit d’une nature-morte.
L’artiste au fort caractère déclarait déjà à sa sortie de l’Académie de Bruxelles : « Je sors en 1880 de cette boîte à myopes, déjà saturé d’antiques, abreuvé et repu, sabré de compliments décochés par mes professeurs mal embouchés. » Au cours de ses années d’académie, il témoigna cependant un grand intérêt pour les maîtres anciens, Bruegel, Rubens, Rembrandt, Turner, Watteau.
En chemin dans l’exposition, on a la possibilité de se munir d’un casque pour écouter son Discours aux Masques loyaux et autres, tenu au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1929, à l’occasion du vernissage d’une rétrospective de son œuvre. Son langage joue sur les sons de la même manière qu’il joue avec les matières dans ses tableaux.
L’artiste est bourru mais aussi délicat. Preuve en est ses ballerines dont les tutus se muent en marguerites.
Ensor l’Ostendais : il était difficile d’échapper au moins à une de ses marines de la Mer du Nord. Une séquence tremblante dans un lumineux noir et blanc, projetée sur un écran géant, nous le montre rentrant à son domicile.
L’exposition touche à sa fin, je ne me résigne pas à Ensor-tir ! Je me réjouis encore de quelques toiles.
Il ne me semblait pas pourtant que l’on fêtât le 8 mai en Belgique, mais en redescendant du Mont des Arts, les rues sont envahies par les piétons.
Sur la place éponyme, la statue de Charles Buls, bourgmestre de Bruxelles de 1881 à 1889 et grand défenseur des arts bruxellois, est l’objet de multiples selfies. Même les chiens posent pour la photo avec leur congénère !
À quelques pas de là, deux artistes de rue se transforment en statues vivantes.
Jeudi 9 mai 2024 :
En ce jeudi d’Ascension, jour de la fameuse procession du Saint-Sang à Bruges, ce sera un « jour sans » pour nous.
Nous avions l’intention, peut-être inconsciemment inspirés par Ensor, son plus illustre artiste, de passer la journée à Ostende.
Les Bruxellois ont-ils eu la même idée, à une cinquantaine kilomètres du littoral, nous sommes complètement bloqués sur l’autoroute. Itinéraire bis voire ter conseillés, rien n’y fait, nous sommes définitivement englués et décidons donc de rejoindre la capitale et reporter notre projet au lendemain. Le pire, nous le retrouverons dans notre boîte à lettres, une quinzaine de jours plus tard, sous la forme d’une contravention de la police belge pour dépassement de vitesse, 56 km/h au lieu des 50 autorisés !
Nous profitons finalement, pour bronzer, de la terrasse ensoleillée du Chicago, sympathique restaurant italien tout proche de notre appartement. Pour m’en être précédemment régalées, je commande d’excellentes lasagnes.
Vendredi 10 mai 2024 :
Cette fois, espérons que ce sera la bonne, nous persistons à vouloir « pousser à la Côte », comme disent les Bruxellois.
Ouf, bonjour Ostende ! Une heure plus tard, nous voici devant le Casino Kursaal. C’est presque un anniversaire, il y a soixante ans, le 16 mai 1964, Jacques Brel s’y produisait en concert, suivi le lendemain par … Françoise Hardy. Moi, j’aimais le music-hall.
« Dikke Mathilde » est revenue, maudite Mathilde ! C’est ainsi que les Ostendais surnomment cette célèbre sculpture féminine aux formes plantureuses qui a repris place, après restauration, dans la perspective du Casino. Baptisée « De Zee » (la Mer), son géniteur voulait représenter une mer opulente, généreuse et sensuelle. À sa création, elle se trouvait dans une niche sur le front de mer à côté du casino, mais avait été déplacée au début des années 1960 à cause des protestations de certains autochtones puritains.
Non loin de là, une autre sirène, plus gironde que celle d’Ensor, se prélasse au soleil légèrement frisquet du matin.
Ostende fut, au tournant du 20ème siècle, la reine des plages belges. La famille royale s’en était entichée, imitée bientôt par la bourgeoisie aisée. Tous ceux qui avaient un nom ou une renommée venaient y montrer leur statut social. Ostende devint une sorte de Monte-Carlo à la flamande dont témoignent encore quelques hôtels particuliers et la longue colonnade des Galeries royales.
« Colonnade au crépuscule » gouache de Léon Spilliaert 1920
Aujourd’hui, Ostende a perdu son charme « Belle Époque » : les riches demeures aristocratiques ont laissé la place à d’imposants immeubles modernes et la clientèle de la station balnéaire est devenue beaucoup plus populaire.
Cependant, l’immense front de mer et sa plage de sable, encore déserte en cette matinée, demeure une curiosité. Comme tout le monde, et comme James Ensor autrefois, nous arpentons la promenade.
D’ailleurs, l’artiste ostendais est présent ce matin à travers une affiche qui annonce une exposition locale à l’occasion du 75ème anniversaire de sa mort. On n’Ensor pas de ces commémorations à travers la Flandre !
Il est vrai que, comme sur beaucoup de littoraux septentrionaux, la lumière et les ciels changeants ont inspiré les artistes.
Un autre enfant du pays, contemporain d’Ensor, Léon Spilliaert (1881-1946), illustrateur de Maeterlinck et Verhaeren, peignit sur Ostende des toiles oniriques et mélancoliques. « A Ostende, quand le soleil tombe sur la mer, en une heure, tu peux voir quatre peintures de Spilliaert » affirmait poétiquement le chanteur Arno.
En scrutant l’horizon, d’un bleu intense aujourd’hui, je pense aussi à ce cher Arno, originaire également d’Ostende, dont les cendres furent éparpillées au large. Les filles du bord de mer étaient plus chouettes encore quand il les chantait avec sa voix brassée par le houblon. Quel bazar !
« Je me souviens du bord de mer
Avec ces filles au teint si clair
Elles avaient l’âme hospitalière
C’était pas fait pour me déplaire
Naïves autant qu’elles étaient belles
On pouvait lire dans leurs prunelles
Qu’elles voulaient pratiquer le sport
Pour garder une belle ligne de corps … »
Le monument aux Marins rend hommage aux nombreux pêcheurs ostendais qui, au fil des siècles, ont péri en mer. Brel vient me chuchoter :
« Une Ostendaise
Pleure sur sa chaise
Le chat soupèse
Son poids d’amour
Dans le silence
Son chagrin danse
Et les vieux pensent
Chacun son tour
A la cuisine
Quelques voisines
Parlent de Chine
Et d’un retour
A Singapour
Une Javanaise
Devient belle-sœur
De l’Ostendaise
Il y a deux sortes de temps
Y a le temps qui attend
Et le temps qui espère
Il y a deux sortes de gens
Il y a les vivants
Et ceux qui sont en mer … »
Après une déambulation à travers les ruelles à l’arrière du front de mer, nous nous dirigeons vers le port avant que la foule ne commence à envahir brasseries et restaurants. Je pense aux deux squelettes d’Ensor se disputant un hareng-saur (Art-Ensor?). Il peignit cette toile en guise de réponse à certains critiques d’art négatifs.
Chez Amandine, nous portons notre choix sur de goûteuses moules à l’ostendaise (comme de bien entendu) accompagnées évidemment d’excellentes frites.
En guise de promenade digestive, nous retrouvons le front de mer. Les baigneurs sont rares, les goélands s’approchent des premiers candidats à la bronzette pour trouver quelque pitance.
Je repense à cette histoire de hareng. C’est aussi à cause d’une querelle ridicule à propos d’un hareng que la relation amoureuse entre Verlaine et Rimbaud, à Londres, se brisa. Ulcéré, Verlaine embarqua à Douvres pour Ostende. C’est au cours de cette traversée que Verlaine écrivit sa dernière Romance sans paroles :
« Elle voulut aller sur les flots de la mer,
Et comme un vent bénin soufflait une embellie,
Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous voilà marchant par le chemin amer.
Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c’étaient des rayons d’or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le déroulement des vagues, ô délice !
Des oiseaux blancs volaient alentour mollement
Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches
Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement.
Elle se retourna, doucement inquiète
De ne nous croire pas pleinement rassurés,
Mais nous voyant joyeux d’être ses préférés,
Elle reprit sa route et portait haut sa tête. »
Douvres-Ostende, à bord de la «Comtesse-de-Flandre», 4 avril 1873
Sur le chemin du retour, je ne résiste pas à vous faire partager quelques lignes de En voyage de Victor Hugo. Il est souvent ronchon le « Totor » quand il parle à Adèle de la cuisine belge. Heureusement, il y a les filles du bord de mer !
« J’arrive d’Ostende. Il n’y a rien à Ostende, pas même des huîtres. C’est-à-dire, il y a la mer, et je suis un ingrat de parler d’Ostende comme je fais. Je suis d’autant plus ingrat que j’ai été à Ostende l’objet de toutes sortes de faveurs spéciales de la part de la mer et de la part du ciel. D’abord, comme j’entrais à Ostende, il avait plu toute la matinée, la pluie a brusquement cessé, les nuages se sont envolés, le soleil s’est mis à sécher la grève en diligence, et j’ai pu me promener deux bonnes heures au bord de la mer à la marée descendante. — Hélas ! pas un pauvre coquillage, mon Toto ! Rien que le sable le plus doux et le plus fin du monde.
Je suis charmé d’avoir vu les dunes. C’est moins beau que les granits de Bretagne et que les falaises de Normandie, mais c’est fort beau encore. La mer ici n’est plus furieuse, elle est triste. C’est une autre espèce de grandeur. Le soir, les dunes font à l’horizon une silhouette tourmentée et pourtant sévère. C’est, à côté des vagues éternellement remuées, une barrière éternelle de vagues immobiles.
C’est en se promenant sur les dunes qu’on sent bien l’harmonie profonde qui lie jusque dans la forme la terre à l’océan ; l’océan est une plaine, en effet, et la terre est une mer. Les collines et les vallons ondulent comme des vagues, et les chaînes de montagnes sont des tempêtes pétrifiées …
… Je t’ai dit qu’on dînait mal au Lion d’Or. Si vous voulez manger du veau, allez dans les ports de mer. Pas de poisson à Ostende, pas de crevettes, surtout pas d’huîtres, bien entendu. Au demeurant les huîtres d’Ostende ne sont que des huîtres anglaises qu’on apporte à Ostende pour les y engraisser, comme on porte à Marennes les huîtres de Cancale. À Ostende il n’y a pas de bancs d’huîtres, il n’y a que des parcs.
Vers midi, comme il faisait beau, on se baignait quand j’étais sur la levée. Les hommes et les femmes se baignaient pêle-mêle, les hommes en caleçon, les femmes en peignoir. Ce peignoir est une simple chemise d’étoffe de laine fort légère qui descend jusqu’à la cheville, mais qui, mouillée, est fort collante, et que la vague relève souvent. Il y avait une jeune femme qui était fort belle ainsi, trop belle peut-être. Par moments c’était comme une de ces statues antiques de bronze avec une tunique à petits plis. Ainsi entourée d’écume, cette belle créature était tout à fait mythologique. »
En soirée, pour marquer la fin de notre séjour à Bruxelles, nous n’hésitons pas. Nous retournons, dans la rue de Flandre bien moins fréquentée que sur le tableau d’Ensor, A Casa Mia.
Au menu, comme d’habitude (!), la bise du patron pour ma compagne, l’Aperol Spritz, le tiramisu pour deux du fils du patron, le limoncello du patron omniprésent. En plat du jour, des linguine alle vonghole (palourdes) … à l’huile d’olive sur les conseils de la serveuse toujours aussi charmante. Ne vous y précipitez pas en août, la famiglia retourne au pays !
* http://encreviolette.unblog.fr/2019/05/06/chanel-une-adorable-petite-chatte/
** http://encreviolette.unblog.fr/2021/12/30/tu-te-prends-pour-fangio/