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Bonne année 2014

Retour à Nogent retouched’après « Retour à Nogent », une oeuvre du photographe JeanDenis Robert

Que le temps passe vite ! Avec ces vœux de nouvel an, j’entame la septième année de rédaction de mes billets à l’encre violette. Avec une motivation qui ne s’étiole pas malgré ou à cause, qui sait, de la morosité ambiante.
L’an passé, rappelez-vous, nous avions finalement échappé à la fin du monde annoncée par quelques illuminés réfugiés dans le petit village perché de Bugarach.

Bonne année 2014 dans Almanachhttp://www.dailymotion.com/video/x9ja1p

Á défaut de Prévert pour faire le portrait d’un oiseau qui, de toute manière avec lui, ne serait pas de mauvais augure, j’en appelle à un autre poète qui le chanta beaucoup. En effet, pour m’être promené, il y a quelques jours, dans un square parisien dédié au regretté Marcel Mouloudji, me sont revenus aux oreilles quelques-uns de ses couplets pamphlétaires d’une actualité confondante. Jugez-en !

 

Y a plus d’jeunesse, y a plus d’saison
Y a plus d’printemps, y a plus d’automne, y a plus d’façons
Tout fout l’camp
Y a plus d’enfant
Y a plus d’famille, y a plus d’morale
Y a plus d’civisme
Plus d’religion

Tout fout l’camp
Y plus d’pognon
Y a plus d’pitié
Ya plus d’moisson
Plus d’charité
Y a plus d’joie de vivre
Y a plus d’gaieté
Y a plus d’travail
Y a plus d’santé

Y a plus d’chanson
Y a plus d’chanteur
Y a plus d’bonheur
Y a plus d’boxon
Y a plus d’boxeur

Tout fout l’camp

Y a plus d’français
Y a plus d’rosière
Y a plus d’fontaine
Y a plus d’chalet d’nécessité

Tout fout l’camp

Y a plus d’vrais hommes
Y a plus de drapeau
Y a plus d’Afrique
Y plus d’colonies
Y a plus d’bonniche
Plus d’savoir-faire
Plus d’tradition
Plus qu’des affaires

Á quoi bon
Á quoi bon hurler
Á quoi
Quoi bon gueuler

Á quoi bon
Á quoi bon s’griser
Á quoi bon
Quoi bon s’bomber

Á quoi bon
Á quoi bon s’muter
Á quoi bon
Quoi bon s’faire muter

Á quoi bon
Á quoi bon s’répéter
Le monde n’est plus ce qu’il était

Y a plus d’soleil
Y a plus d’chevaux
Y a plus d’romance
Y a plus d’bon air
Y a plus d’essence

Tout fout l’camp

Y a plus d’Paris
A plus de halles
Plus d’bords de Seine
Plus qu’des autos
Plus qu’des problèmes

Tout fout l’camp

Y a plus d’maison
Plus qu’la télé
Y a plus d’trottin
Plus qu’du lapin

Y a plus d’blés d’or
Y a plus d’louis d’or
Y a plus d’conscience
Y a plus qu’des banques

Y a plus d’bon pain
Y a plus d’bonne viande
Y a plus d’fromage
Y a plus d’poulet
Y a plus d’vrai lait

Tout fout l’camp

Y a plus d’amour
Y a plus d’serment
Plus d’clairs d lune
Plus d’galanterie
Plus que la pilule

Tout fout l’camp

Y a plus d’ferveur
Y a plus qu’du sexe
Y a plus d’fleur bleue
Plus qu’du pince-fesses
Y a plus d’héros
Plus d’héroïne
Y a plus qu’du hasch
Et d’la morphine

Á quoi bon
Á quoi bon hurler
Á quoi
Quoi bon gueuler

Á quoi bon
Á quoi bon s’griser
Á quoi bon
Quoi bon s’bomber

Á quoi bon
Adorer la vie
Á quoi bon
Quoi bon quoi qu’on s’dit

Á quoi bon
Puisque c’est fini
Ou c’est moi p’têt’ moi qui vieillis

Lors de sa création, il y a quarante ans, il me semblait devoir mettre sur le compte de l’humour, ce constat de l’auteur inoubliable de Comme un p’tit coquelicot. Il traduisait une certaine nostalgie à la sortie des « trente glorieuses ». C’était l’époque du premier choc pétrolier qui marquait les premiers signes annonciateurs de la crise que nous affrontons de plein fouet aujourd’hui. Placé dans le contexte actuel, il livre une vérité accablante et effrayante.
Bon, dans son inventaire désabusé, admettons qu’il y a encore assez de chevaux pour mettre dans la viande de bœuf, encore qu’on les recrute parmi les bêtes vouées à des expériences pharmaceutiques …
S’il n’y a plus que des banques qui nous ont privé du triple A, heureusement, la bonne andouillette de Troyes conserve son quintuple A !
Mais à part cela … ou alors, c’est p’têt moi qui vieillis !
Oui, on va dire les choses ainsi, je ne souhaite pas vous saper le moral d’emblée.
Je vais donc prendre exemple sur Philippe Delerm dont je lis justement quelques courtes chroniques d’atmosphère : « Á soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d’été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. C’est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur : une goutte de nostalgie s’infiltre au cœur de chaque sensation pour la rendre plus durable et menacée. Alors rester léger dans les instants, avec les mots … »
Et fredonner quelques vers de Jean Ferrat, un autre grand poète. La chanson fut écrite précisément par Michelle Senlis pour Isabelle Aubret :

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« Le vent dans tes cheveux blonds
Le soleil à l’horizon
Quelques mots d’une chanson
Que c’est beau, c’est beau la vie

Un oiseau qui fait la roue
Sur un arbre déjà roux
Et son cri par dessus tout
Que c’est beau, c’est beau la vie

Tout ce qui tremble et palpite
Tout ce qui lutte et se bat
Tout ce que j’ai cru trop vite
À jamais perdu pour moi

Pouvoir encore regarder
Pouvoir encore écouter
Et surtout pouvoir chanter
Que c’est beau, c’est beau la vie … »

C’est ce dont est sans doute persuadé un de mes lecteurs qui a déposé très récemment sur mon blog un émouvant commentaire au bas d’un billet à propos du pont de Bir-Hakeim (1er avril 2010). Il y a trente ans, un couple l’y empêcha de mettre à exécution son funeste projet.
Comme le chante Juliette Gréco dans son opus concept consacré aux ouvrages d’art enjambant la Seine : « Un pont, ça se traverse et c’est beau ».
Pour vous faire sourire, je vous cite encore un extrait des chroniques de François Morel sur France Inter, rassemblées dans Je veux être futile à la France, une de mes récentes lectures : « Du temps où les années étaient frivoles, les vieux n’avaient pas la maladie d’Alzheimer. Légers et insouciants, ils retombaient en enfance. Et l’on s’amusait la nuit de voir pépère mettre son imperméable sur son pyjama et chercher son vélo pour aller à l’église. Et le jour on rigolait bien quand on regardait pépère vider son tube de dentifrice dans l’aquarium et pisser dans la huche à pain. Aujourd’hui, l’époque est grave, M. Alzheimer n’a plus l’intention d’intégrer les brigades du rire ».
Vous faire partager l’idée que la vie est belle à travers une promenade, une exposition, une lecture, une musique, une rencontre, la « une » d’un journal, constitue inconsciemment le dénominateur commun de mes écrits à l’encre violette, même si … Mais chut !
Préparons-nous donc à rire un an de plus. Bonne et heureuse année 2014 !

Charlie An 2014blog

 

Publié dans:Almanach |on 1 janvier, 2014 |1 Commentaire »

Fête des Mères

Fête des Mères dans Almanach fetemeres2013blog

Bonne fête aux mamans qui viennent en personne me lire, bonne fête aussi à celles de mes lecteurs !
Je vous offre ce dessin de Charb en guise de clin d’œil à notre époque … un peu folle.
J’envisageais cette année d’évoquer enfin le souvenir de ma chère maman partie il y a treize ans. Le temps m’a manqué mais je vous promets un portrait d’elle l’année prochaine. En effet, j’ai eu le courage de fouiller dans quelques archives familiales et j’y ai trouvé des témoignages de certaines de ses anciennes élèves qui, avec plus d’objectivité que moi, brossent le portrait de mon admirable mère. Patience donc, il n’y en a plus pour très longtemps …

« Pendant que je dormais, pendant que je rêvais
Les aiguilles ont tourné, il est trop tard
Mon enfance est si loin, il est déjà demain
Passe passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps … »

La vie ironique a joué, cette semaine, un sale tour à Georges Moustaki. Il aimait la douceur, la tendresse et les femmes même si c’est de son père qu’il avait hérité  sa tête de pâtre grec.
Je conserve le souvenir exquis d’un récital à l’Olympia à la fin des années 1970. Généreux et plein d’énergie, il avait gommé cette image de « mou chantant » qu’on lui collait parfois injustement.
En hommage, je vous offre Votre fille a vingt ans, une chanson tendre et nostalgique qu’il avait écrite pour Serge Reggiani. Il s’adresse à une maman en lui parlant de sa fille qui sera sans doute une mère un jour : « Et ses premiers tourments sont vos premières rides, Madame » !

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« … Et je serai prince de sang
Rêveur ou bien adolescent
Comme il te plaira de choisir
Et nous ferons de chaque jour
Toute une éternité d’amour
Que nous vivrons à en mourir. »

Publié dans:Almanach |on 26 mai, 2013 |Pas de commentaires »

Grand-mères au fil des pages

En ce premier dimanche de mars, on fête les grand-mères. À la différence de la fête des Mères, c’est une tradition récente instituée, il y a vingt-cinq ans, par la marque de café Grand’Mère. Il s’agit donc d’une initiative purement commerciale qui a pour but de « booster » la vente des fleurs et des chocolats, accessoirement de manifester sa tendresse envers ses aïeules.
Je n’ai pas attendu ces circonstances pour évoquer la mémoire de ma chère mémé Léontine. Je lui avais consacré deux billets les 20 janvier et 14 février 2008, vingt ans presque jour pour jour après qu’elle eut soufflé ses cent bougies puis … rendu son dernier soupir.
Elle était unique, au propre comme au figuré, car ce fut le seul grand parent que j’eus la joie de connaître. Son ultime cadeau fut de tenir le cap jusqu’au jour fatidique de son centenaire.
Je pourrais écrire comme Simone de Beauvoir dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée que « je l’aimais bien parce qu’elle était vieille ». Ce serait restrictif car je l’adorais. Mais cela me permet d’effectuer une habile transition pour vous parler de Grand-mères au fil des pages, une délicieuse anthologie de textes littéraires à propos des aïeules.

Grand-mères au fil des pages dans Almanach grandmerescouvertureblog

Renée Bonneau, son auteure (je ne me ferai décidément pas à ces marques modernes du féminin, elle qui fut professeur de lettres classiques non plus peut-être) sait de quoi elle parle puisqu’elle a choyé quatre petits-enfants et deux arrières petits-enfants.
J’ai eu l’occasion déjà de vous présenter un de ses romans, Meurtre au cinéma forain (voir billet du 1er mars 2012). En effet, tout adorable grand-mère qu’elle soit, Renée excelle à nous tricoter quelques savoureuses intrigues policières qui en font, sa modestie dût-elle en souffrir, un petit peu notre Agatha Christie.
Comme quoi, l’habit ou la fonction de grand-mère ne fait ni le moine, ni la nonne … à en croire encore celle du chansonnier Pierre-Jean de Béranger. Nous sommes vers 1820 et ainsi, s’épanche l’aïeule coquine auprès de ses petits-enfants.

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Cela dit, toutes les grand-mères ne sont pas bonnes à jeter aux orties libertines, pas même celle de Béranger d’ailleurs ; par nature, la grand-mère fut jeune fille puis mère, donc aimante et sans doute amante aussi parfois.
Avec tendresse, Renée Bonneau nous emmène à la rencontre des grand-mères de la littérature française et même étrangère, en tant qu’héroïnes de romans ou écrivaines elles-mêmes.
La forme même de l’ouvrage suggère de le feuilleter lentement, épisodiquement, d’en déguster les textes comme les bonbons que suçotaient les grand-mères :
« Bonne-maman avait des joues roses, des cheveux blancs, des boucles d’oreilles en diamant ; elle suçait des pastilles de gomme, dures et rondes comme des boutons de bottine, dont les couleurs transparentes me charmaient ... » (Simone de Beauvoir)
Magiquement, chaque extrait renvoie de près ou de loin à nos propres grand-mères. La mienne, bien que son nom de jeune fille fût Noblesse, était d’une extraction sociale très modeste. Elle ne dégageait aucun apparat avec ses cheveux tenus en chignon par une barrette, ne portait aucun bijou sinon son alliance qu’elle gardait en solitaire depuis que la grande guerre lui avait volé son mari.
Elle avait par contre au fond des poches de son tablier, tout un assortiment de pépites mythiques, les pastilles au suc de pin La Vosgienne, celles à l’anis de l’abbaye de Flavigny sorties d’une boîte en fer montrant un jeune berger et une bergère se contant fleurette sur un banc, celles blanches et octogonales Vichy, bien d’autres encore … Jean Pastilla, confiseur favori de la famille de Médicis, introduit à la Cour d’Henri IV, est passé à la postérité en donnant son nom à tous ces bonbons dont je raffolais.

grd-bonbons-anis-de-flavigny-original dans Portraits de famille

J’enrageais devant l’art consommé et maîtrisé de ma mémé de les suçoter et les laisser fondre pendant des heures alors qu’à l’instar du loup de Charles Perrault, je croquais trop hâtivement, non pas la grand-mère, mais les confiseries. Et marri qu’on ne m’y reprendrait plus, le bec vide, je regardais, non pas les confiseries, mais ma grand-mère qui poursuivait sa patiente succion.
Peut-être, fallait-il comprendre dans cette scène, une métaphore de l’intrépidité de la jeunesse confrontée à la sagesse proverbiale des anciens.
Sans vouloir dénigrer la sincérité des sentiments, la reconnaissance du cœur va de pair avec celle du ventre. Ainsi, Renée Bonneau consacre évidemment une place importante à la grand-mère dans sa cuisine. Je prends même cinq cents grammes à la seule lecture de sa tête de chapitre empruntée encore à Simone de Beauvoir : « Je déjeunais chez eux tous les jeudis ; rissoles, blanquette, île flottante ; bonne-maman me régalait. »
Ma mémé cuisinière s’invitait plus épisodiquement en mon palais, en période de vacances scolaires et aussi au temps des moissons pour lesquelles mon père donnait un coup de main. Chez elle, en entrée, point de chausson aux fruits comme pour la compagne de Sartre, mais un cornet fait d’une tranche de jambon roulée et fourrée d’une macédoine de légumes avec de la « vraie » mayonnaise. En relisant des menus de banquet de l’époque, j’ai constaté qu’il s’agissait d’un véritable plat de fête. Puis, en mets de résistance, l’expression prenait tout son sens, une volaille de sa basse-cour, une poule à la sauce blanche ou un lapin aux pruneaux !
J’ai déjà raconté l’anecdote, en une circonstance, on frisa la pénurie de pruneaux. Ma précision dans le détail est peut-être mal placée, mais ma grand-mère n’a jamais possédé de toilettes dans sa maison. Une cabane au fond du jardin en faisait office pour satisfaire les besoins naturels (c’est presque aussi beau que du Francis Cabrel !).
Ainsi, un soir, alors que je jouais à cache-cache avec mon cousin, je m’étais réfugié dans la chambre de ma grand-mère. La planque devait être bonne puisque le cousin peinait à me trouver. Voilà donc que, tiraillé par une envie pressante, dans l’obscurité, je l’apaisai dans le pot de chambre. Le bruit inhabituel du jet m’incita à allumer la lumière pour découvrir horrifié que … j’urinais dans le récipient où macéraient les pruneaux avant le repas du lendemain ! Que croyez-vous qu’il arrivât ? « C’est rien mon fieu ! Mémé répara les dégâts tandis que mes parents me vouaient aux gémonies ! … Et nous mangeâmes des pruneaux !
Et un demi-siècle plus tard, lorsqu’on me demande quelle recette de lapin je souhaite, je réponds presque invariablement : façon grand-mère !
Je ne peux pas ne pas louer aussi ses sublimes frites taillées largement dans des pommes de terre Bintje ou Belle de Fontenoy qu’elle cultivait elle-même. Plongées je ne sais combien de fois dans l’huile de sa friteuse sur le poêle à charbon Godin de sa cuisine, elles ressortaient dorées, croustillantes et moelleuses à l’intérieur comme une purée. Une merveille dont je n’ai jamais retrouvé le goût !
Dans mon adolescence, et même plus tard, je courais littéralement chez ma grand-mère. Ceint de mon maillot des cycles Lejeune, je pédalais allègrement parfois vers son village picard distant d’une quarantaine de kilomètres pour me rassasier de ce qui était tellement mieux qu’un contrôle de ravitaillement … avant de rentrer le soir, toujours en vélo, repu, au domicile familial ! Les préparations culinaires de ma mémé valaient tellement mieux que les concoctions scientifiques de Lance Armstrong. À sa (dé)charge ( !), je n’ai jamais remporté sept Tours de France, ni même le moindre Tour de Picardie !
On a tous en nous un peu de la cuisine de nos aïeux. Lorsqu’elles égrenaient leurs souvenirs d’enfance, ma maman et sa sœur (qui vient de me quitter), immanquablement, évoquaient les épaisses tartines de beurre, tranchées dans une grosse miche, recouvertes de confiture maison que leur préparait leur grand-mère de la Manche.
Renée Bonneau, outre l’incontournable extrait de la madeleine de tante Léonie tiré de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, nous émoustille les papilles avec quelques morceaux bien choisis. Ainsi, je me délecte des remèdes de la grand-mère du truculent Henri Vincenot dans son tendre roman La Billebaude (il est réédité ces temps-ci) :
« Suivant les saisons, on récoltait aussi l’armoise, racines et feuilles, la pervenche et la feuille de frêne ; les plus courageux d’entre nous s’attaquaient aux racines de brione, énorme sorte de betterave ligneuse .. ; dont on faisait des choses pharamineuses, notamment le vin de brione, au nom si joli que j’en réclamais chaque jour un verre ; on me le refusait car cela soignait l’hydropisie. Ma grand-mère en faisait aussi un certain « oxymel de brione » dont on m’administrait une cuillerée à café toutes les heures lorsque, par hasard, je donnais des signes avant-coureurs de bronchite ... »
Je ne l’ignorais pas puisque ses recettes ont fait l’objet d’un livre, même la sulfureuse George Sand, hors sa liaison tumultueuse avec Alfred de Musset (et quelques autres !), ne rechignait pas, ni derrière ses fourneaux, ni dans son devoir d’aïeule. Ainsi, confie-t-elle à Gustave Flaubert :
« La sacro-sainte littérature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimé quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que quelqu’un …
J’ai souvent entendu dire à des femmes de talent que les travaux de ménage, et ceux de l’aiguille particulièrement, étaient abrutissants, insipides et faisaient partie de l’esclavage auquel on a condamné notre sexe … Leur influence n’est abrutissante que pour celles qui les dédaignent et qui ne savent pas chercher ce qui se trouve dans tout : le bien-faire. »
Renée Bonneau n’oublie pas d’évoquer l’exploitation de l’image de la grand-mère nourricière dans la publicité. Que de promesses pour les enfants (et même pour les plus grands un peu naïfs), suscitent les mots désuets de Bonne Maman et Mamie Nova !
Une petite fille qui m’est chère utilise les mêmes ressorts (certes sans aucune préoccupation commerciale sinon d’emporter la majeure partie de la production) lorsqu’elle colle une étiquette « confiture mamie » sur les pots de mûres qu’elle a ramassées (voir billet du 24 septembre 2008).
Pierre Perret, dans ses bouquins gourmands, n’agit pas autrement quand il décline la recette du « gigot d’agneau tel que le préparait la mémé d’une « borde » dans mon pays natal ». Je vous rassure, c’est du vécu et sacrément bon !
Cela dit, en consommateur adulte, méfions-nous des appellations sécurisantes qui évoquent parfois à tort le savoir-faire et la tradition d’autrefois. On nous balance bien, ces temps-ci, de la viande de cheval comme du bœuf. Même si les médias tentent de nous rassurer en affirmant qu’elle est saine pour la santé, après le scandale de la vache folle, qui sait si bientôt nous ne verrons pas dans la rue des piétons galoper comme dans la dernière ligne droite de Longchamp un jour de tiercé !
Les grand-mères ne sont pas avares non plus de nourritures intellectuelles. Les enfants vaquant à leurs occupations, elles sont souvent la première éducatrice des petits-enfants. Aujourd’hui même, à la demande des enseignants, elles dispensent aux écoliers leurs souvenirs et leur sagesse avec parfois un sens pédagogique qui étonne (ou méduse) les professeurs actuels. Pourquoi donc, est-ce plus facile d’apprendre avec les grand-mères comme attestent deux brefs extraits du livre ?
Ainsi, M. Wermersh dans Perspectives : « Je ne sais pas ce qui se passe avec Madame X… On dirait qu’elle fait passer la grammaire comme la confiture, a remarqué une institutrice après l’intervention d’une grand-mère dans sa classe. »
De même, Nathalie Sarraute rend hommage à la pédagogie de sa grand-mère : « C’est avec elle que j’apprends les leçons les plus rebutantes … avec elle, même celles de géographie ont du charme … Nous rions beaucoup toutes les deux, surtout quand elle me lit des comédies … Le Malade imaginaire ... »
Renée Bonneau en profite pour rendre hommage à ses deux grands-mères comme tout à chacun possède en principe. Quoique bientôt, outre les grand-mères biologiques, il faudra parler de grand-mères de substitution, d’adoption ou de recomposition ! Et le malicieux Henri Vincenot qui maniait l’humour derrière ses imposantes moustaches, évoque ses six grand-mères … pour des raisons qui n’ont rien à voir avec quelque désunion !
Les aïeules de Renée habitaient la même rue que ses parents et se détestaient cordialement. Mais chacune, à sa manière et avec sa sensibilité, participa à l’éducation littéraire, musicale et civique de la petite Renée. Je souris de sa remarque à propos de son livre préféré Les Misérables : « Aucune adaptation cinématographique ne remplacera jamais pour moi la scène du vol des chandeliers ... », moi qui, dans le cadre d’une initiation à l’image au lycée, vantait les mérites respectifs de ladite séquence mise en scène successivement par Raymond Bernard, Jean-Paul Le Chanois et Robert Hossein. Dans le fond, elle a bien raison ; malgré le talent de Fernand Ledoux et Louis Seigner dans le rôle de Monseigneur Bienvenue Myriel, rien n’égale la plume de mon alter Hugo (voir billet du 11 février 2010).
Au fil des pages, nous découvrons que les grand-mères d’antan étaient instruites et excellaient souvent dans l’art de la correspondance. Je ne parle même pas de Madame de Sévigné experte dans l’exercice mais d’aïeules d’extraction modeste nourries à la pédagogie appliquée des valeureux hussards noirs de la République quoi qu’à la lecture encore de La Billebaude … :
« Mes grand-mères et ma mère n’avaient jamais fréquenté l’école des garçons qui était, elle, publique et laïque. Elles n’avaient eu que l’enseignement des sœurs dont l’instituteur disait que c’étaient des ignorantes, des obscurantistes, et qui ne pouvaient donc enseigner que l’ignorance et l’obscurité. Cela n’empêchait pas ma mère d’écrire des lettres merveilleuses sans faute d’orthographe … Elle pouvait aussi réciter la liste de tous les papes depuis saint Pierre … Il fut convenu que ma grand-mère se chargerait de toute la correspondance et elle remplissait alors deux grandes pages d’une écriture élégante … Les quelques lettres que j’ai conservées valent bien le meilleur de la mère de Sévigné, exception faite de quelques impropriétés de termes, qui d’ailleurs ne manquaient pas de saveur ... »
Ma mémé Léontine fréquenta aussi l’école « obscurantiste » des sœurs qu’elle quitta à douze ans, armée d’un bon « socle de connaissances » comme nos technocrates jargonneux de l’éducation se complaisent à dire aujourd’hui. Bien qu’elle ne quittât jamais son village natal, à l’exception de deux escapades à Paris pour cause d’expositions universelles, elle ne manquait pas d’écrire dans une langue impeccable à ses petits-enfants lorsqu’ils séjournèrent à l’étranger.
Renée nous offre aussi quelques descriptions de maisons de grand-mères rassemblées à la suite de cette mémoire d’outre-tombe de Chateaubriand : « Si j’ai vu le bonheur, c’est certainement dans cette maison ». Elle figure d’ailleurs sur une plaque apposée à ladite maison à Plancoët, un petit village des Côtes d’Armor. Humblement, j’avoue que je connaissais comme personnalités de cette commune, non pas Madame de Bédée, mais un certain Désiré Letort. Coureur cycliste de la fin des années 1960, surnommé Désiré de Plancoët, porteur éphémère du maillot jaune du Tour, il fut déchu de son titre de champion de France sur route pour usages de pastilles beaucoup plus nocives que celles suçotées par nos grand-mères ! On possède les références culturelles qu’on mérite, cela fait un peu sketch des Inconnus !
On pénètre dans la demeure domaniale d’une vieille dame portugaise et d’une petite maison de la campagne irlandaise. Je me régale d’Albert Camus chantant Ramona, j’ai fait un rêve merveilleux lors des concerts dominicaux improvisés chez sa grand-mère. J’imagine l’animation qui règne chez la « bonne dame de Nohant » lorsqu’elle invite l’auteur de Madame Bovary au milieu de la marmaille pour les fêtes de Noël : « On saute, on danse, on chante, on crie, on casse la tête à Flaubert … Ce soir, on fait du bruit, on est bête avec délices ».
Chez ma mémé Léontine, hors les grands rassemblements familiaux des fêtes, l’ambiance était beaucoup plus calme. Veuve depuis la grande guerre, elle s’était habituée à la solitude. Même un coucou suisse avait cessé de chanter les heures depuis qu’un soldat allemand avait eu l’odieuse envie de tirer dessus. Elle ne posséda jamais la télévision, ni la radio, sinon une donnée par mon père dont elle ne fit jamais grand cas. Depuis son petit village, elle « connaissait le monde », comme elle le soulignait souvent, à travers la lecture, de la première à la dernière ligne, du quotidien régional Le Courrier Picard. Elle en fut même l’abonné la plus âgée … et la vedette à l’occasion de son centenaire. À la fin de la journée, de l’avoir plié en deux voire en quatre, de l’avoir trituré, tourné, retourné, le journal était devenu un véritable chiffon presque illisible, au grand mécontentement de mon père qui souhaitait résoudre les mots croisés. Rien ne lui échappait, de l’actualité mondiale jusqu’au moindre fait divers dans le bled le plus modeste de la Somme ! Elle possédait même son réseau personnel d’agents de renseignements avec la visite du facteur et des commerçants ambulants en échange d’un petit verre de sa bonne goutte !
Victime comme chacun de la fameuse cristallisation des souvenirs expliquée par Stendhal, je garde en mémoire l’image d’un grand nombre de buffets, placards et tiroirs remplis de boîtes, des petites, des grandes, des rondes, des carrées, d’où, sous mes yeux écarquillés et envieux, ma grand-mère sortait des biscuits divers et variés en provenance de la Ruche Picarde !
Dans ma cuisine, trônent certaines de ces boîtes ainsi que des pots à épices et un moulin à café, véritables reliques d’un temps heureux.

moulincafeblog

La maison n’était chauffée que par le poêle de la cuisine. Cela tient-il d’un certain masochisme, je conserve le souvenir délectable, lors des nuits glaciales d’hiver, de la douce chaleur diffusée sous les draps par une brique préalablement placée dans le four puis enveloppée dans des feuilles de papier.
Simone de Beauvoir, enfant, étouffait dans le cossu appartement germanopratin : « Sur les murs, pas un vide : des tapisseries, des assiettes de faïence, des tableaux aux couleurs fumeuses ; une dinde morte gisait au milieu d’un mas de choux verts ; les guéridons étaient recouverts de velours, de peluche, de guipures ... »
Renée Bonneau n’oublie évidemment pas la première grand-mère littéraire qu’il soit donné aux enfants de rencontrer, la mère-grand du Petit Chaperon rouge avec sa maison terrifiante, mal gardée et sa formule en guise de mot de passe : Tire la chevillette, et la bobinette cherra !
Et je reconnais bien là le professeur de lettres précisant avec humour : « exemple canonique des grammaires pour rappeler le futur du verbe choir qui sans elle aurait aujourd’hui … chu dans l’oubli ». Me permettrais-je d’ajouter qu’aujourd’hui toujours, dans le marasme scolaire ambiant, le correcteur accorderait peut-être quelques points, malgré tout, à l’élève qui répondrait chérir en écho à la tendresse qu’il manifeste à la grand-mère !
Presque en guise de conclusion, j’ai envie de vous citer ce passage tiré de La maison sans racines d’Andrée Chedid, la grand-mère du chanteur M. Elle a d’ailleurs écrit certaines de ses chansons. Dans ce roman, une jeune iranienne éprouve l’envie de recourir aux photographies pour fixer le souvenir de son aïeule : « Nouza sommeille sur le divan. Je la contemple, comme si c’était ma petite fille. Les peignes d’écaille ont glissé de ses cheveux à peine gris, leur désordre auréole son visage détendu. Ses rides se dissipent. Ses épaules arrondies, son cou de gazelle s’offrent à la nuit. Je voudrais la photographier, la garder, ainsi, pour toujours. Mes yeux n’y suffiront pas. Ni ma mémoire … »
Moi-même j’ai souvent photographié ma mémé Léontine et je l’ai même enregistrée au magnétophone, vous l’entendiez dans sa biographie.

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Ainsi, ma grand-mère demeure présente dans mon salon. Car un jour, les chères aïeules s’en vont. L’événement parfois incompris aux yeux des enfants est prétexte à quelques pages très émouvantes. :
« Il me semble la revoir encore : une belle vieille, très grande, toujours toute vêtue de noir. Quand on me dit qu’elle était morte, quand les prêtres l’emmenèrent, je m’en souviens bien, mon cœur d’enfant fut déchiré ; c’est alors que je compris avec horreur ce qu’est la mort ... » (Giosué Carducci, Lettre à Lina)
Ainsi aussi, Victor Hugo, dans ses Odes et Ballades, décrit deux petits enfants à genoux devant leur grand-mère défunte :

« Dors-tu ? réveille-toi, mère de notre mère,
D’ordinaire en dormant ta bouche remuait
Car ton sommeil ressemble à ta prière.
Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre ;
Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.
Pourquoi coucher ton front plus bas que de coutume ?
Quel mal avons-nous fait pour ne plus nous chérir ? … »

Pire encore que la mort, peut-être, est la déchéance physique, le « naufrage de la mémoire » ; encore que Pierre Loti en fait un récit presque amusé :
« Vers ses quatre-vingts ans … l’enfance sénile avait tout à coup terrassé son intelligence, je ne l’ai donc connue qu’ainsi, les idées perdues, l’âme absente. Elle s’arrêtait longuement devant certaine glace, pour causer, sur le ton le plus aimable, avec son propre reflet qu’elle appelait ma « bonne voisine » ... »
Renée Bonneau évoque la mort de ses propres grand-mères qui partirent de façon aussi opposées qu’elles avaient vécu : l’une fut renversée accidentellement par un camion, l’autre connut une interminable déchéance. Sa conclusion est profondément touchante : « J’en ai moins voulu depuis au camion qui, tuant net ma grand-mère, lui épargna l’indifférence, l’abandon et la laisse intacte dans mon souvenir ».
Je prends conscience que ma mémé Léontine me gâta jusqu’à l’article de la mort. Elle s’alita, certes, les deux dernières années de sa vie mais conserva toute sa lucidité intellectuelle et son optimisme. Elle fit l’effort de se relever une dernière fois à l’occasion de son centenaire … avant de nous dire adieu trois semaines plus tard.

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René Bonneau nous redonne le sourire, la lumière même, celle incomparable de la Toscane, avec sa visite au cimetière du petit village de Bolgheri. Là, se trouve l’une des rares statues de grand-mère au monde, celle de Nonna Lucia, l’aïeule du poète italien Giosué Carducci.

« Que veux-tu donc que nous disions au cimetière
Où ta grand-mère dort sous terre ?
Et les cyprès s’enfuient et semblent un noir cortège
Qui, en toute hâte, s’en va en grondant.
Alors du haut de la colline, depuis le cimetière,
Descendant par la verte allée des cyprès,
Haute, majestueuse, vêtue de noir,
Il me paraît revoir Grand-mère Luccia … »

Si je dois revoir la Toscane, j’irai à Bolgheri.
Comme la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, les grand-mères ne sont plus ce que furent celles de mes générations. Elles avaient des prénoms au charme suranné, Zulma, Zénobie, Églantine, Alphonsine, Victorine, Ernestine ou encore, à leur image, Rose et Clémence.
Celles d’aujourd’hui sont mutantes. La cinquantaine sportive, elles s’habillent en Desigual, se teignent les cheveux, s’inscrivent au club de marche, suivent des cours d’université populaire, chattent sur internet. Cependant, elles sont encore attentives à leurs petits-enfants, surveillent leurs devoirs, les emmènent quelquefois au musée, plus souvent au Mac Do, les conduisent au sport ou leurs ateliers artistiques. Dans des familles moins aisées, on retrouve sans doute quelques comportements anciens.
Allez, je me branche une dernière fois sur radio France Bleue région Picardie ! Ma merveilleuse grand-mère avait réussi le tour de force, lorsque j’étais en vacances chez elle, de rendre agréable le pensum de la messe du dimanche. Ce n’était pourtant pas une sinécure : douze kilomètres à pied, aller-retour, par des sentiers herbeux et même la traversée très pentue d’un bois. Ce qui aurait pu constituer un chemin de croix devenait un vrai chemin de passion dont chaque station était vouée au culte des fleurs sauvages des talus aux propriétés vantées par ma grand-mère. Un sacré remède à la crise de foi !
Vous avez deviné les qualités de l’ouvrage de mamie Bonneau (avec tout mon respect). La lecture de ses morceaux choisis sur nos vénérables aïeules vous plongera immanquablement dans vos propres souvenirs de mamie, mémé, mané, maminou etc…. Bien que d’édition déjà ancienne, on peut toujours le commander, j’ai vérifié, au moins sur le site de la FNAC.
Emmanuelle Riva, une rayonnante octogénaire, a reçu, ces derniers jours, le César de la meilleure interprétation pour un film qui s’appelle Amour. Beau clin d’œil pour nos aînées ! Bonne fête les grand-mères!
Vous savez combien j’aime Allain Leprest. En cadeau, je vous offre les savoureuses paroles de sa chanson Le dico de grand-mère:

« Dans la chambre de grand-mère
Y avait un gros dictionnaire
Où couraient des kangourous
Des républiques et des poux
Et, comme dans ses pages roses,
On parlait pas de la chose
Je m’en payais une tranche
En reluquant ses feuilles blanches

J’y lisais des mots cochons
« Con », « cul », « bite » et « cornichon »
A la page six cent vingt
Y avait même écrit « vagin »
C’étaient des mots sans photos
Avec en prime l’écho
« Pavillon », « éléphant », « fleur »
Les mots disaient leur couleur

Le soir, en tournant ses pages
L’oreille dans son coquillage
J’écoutais des bruits de mer
Dans le dico de grand-mère
Des Papous, des coloquintes
Des rois, des ornithorynques
Le Tibet et le charbon,
Sa couverture sentait bon

Y avait pas encore écrit
Ni le prénom d’ l’Algérie
Ni même celui de Sarclo
Ni SIDA dans le dico
Quelque part, au verbe « aimer »
C’était un peu écorné
Entre « écume » et « écureuil »
J’y ai vu un trèfle à deux feuilles

Un soir, dans le vieux Larousse
Sous les moustaches de Proust
J’ai trouvé un p’tit billet
Tout jauni, tout gribouillé
C’était plein d’ fautes d’autographe
Y avait trois « f » à « girafe »
Pas d’apostrophe à « je t’aime »
Mais elle l’a aimé quand même…
Mon grand-père« 

Publié dans:Almanach, Portraits de famille |on 1 mars, 2013 |2 Commentaires »

Bonne Année 2013

Bonne Année 2013 dans Almanach bonne-anneeblog-2013

d’après photographie VR KC n°39 (l’équilibriste) de Jean-Denis Robert

Ouf ! La fin du monde n’a donc pas eu lieu. Bugarach, modeste commune de l’Aude où il fallait se réfugier pour échapper à l’apocalypse, ridiculement protégée par la mise en place d’un cordon de forces de l’ordre, n’a reçu la visite que de rares excentriques et de quelques équipes de journalistes.
Ces derniers, d’ailleurs, auraient dû affiner leurs investigations et vérifier leurs sources car les oracles mayas n’avaient nullement prédit la fin du monde mais seulement l’achèvement d’un cycle de leur calendrier. Le prochain étant prévu dans 5 125 ans, je vous donne rendez-vous pour une ultime cérémonie des vœux en l’an 7 137 !

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Mes frayeurs à peine dissipées, le quotidien régional de Midi-Pyrénées nous promet d’ores et déjà l’inquiétante collision d’un astéroïde avec notre planète vers avril 2036, d’une puissance équivalente à cinq bombes atomiques. Comme le dessinait Reiser, on vit vraiment une époque formidable !
En tout cas, maintenant que le bon peuple est rassuré, ce sont les postiers, pompiers et éboueurs qui vont  pouvoir effectuer leurs traditionnelles distributions de calendriers.

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Cela dit, il y aura bien quelque rabat-joie pour nous saper le moral déjà friable en dénigrant le nouveau millésime.
Les incidences du nombre 13 dans des domaines temporels, religieux, historiques ou mathématiques expliquent son caractère mystérieux et de nombreuses superstitions. 13 est, en effet, parfois vecteur de maléfices alors que douze était considéré comme un nombre parfait, ainsi, les douze dieux Olympiens (rien à voir avec les footballeurs de Marseille !) de l’Antiquité grecque, les signes du Zodiaque et les chevaliers de la Table Ronde. Sans parler, en cette période d’agapes, des huîtres et des escargots qui sont vendus par douzaines.
Ajouter 1 à douze, c’est briser le cycle et semer le désordre. Il est des immeubles sans treizième étage, des hôtels sans chambre 13 et des avions sans fauteuil 13. Beaucoup de services hospitaliers ne possèdent pas de lit n°13. Des joueurs de football superstitieux refusent de porter le nombre 13 au dos de leur maillot. Par contre, au pays de Bugarach, vers les Corbières, on préfère jouer avec un ballon ovale à treize plutôt qu’à quinze. La treizième carte du tarot représente le squelette de la mort en train de faucher.
Se retrouver 13 convives à table annoncerait la disparition ou la trahison d’un des invités, depuis qu’un dénommé Judas eut partagé le dernier repas de Jésus avec les douze apôtres. La croyance vise même le plus jeune de l’assemblée, ce qui, statistiquement, m’épargne presque de tout danger. Cette peur du nombre treize se nomme la triskaïdékaphobie.
Pour atténuer votre morosité, je vous propose également l’expression treize à la douzaine qui est la bienvenue en cette période de crise. Elle remonterait aux environs de 1750 lorsque les commerçants, moins pingres qu’aujourd’hui, n’hésitaient pas à rajouter gratuitement une treizième marchandise à la douzaine achetée. Au marché, mon aimable crémier sacrifie à la tradition quand je lui prends une douzaine d’œufs. Le hic, c’est que le treizième offert en supplément, emballé dans du papier journal, s’est souvent cassé au fond du  cabas. Cela m’apprendra à vouloir mettre tous mes œufs dans le même panier !
Chez nos voisins de la perfide Albion, la douzaine du boulanger remonte au treizième siècle lorsque le roi Henri III d’Angleterre régit par un édit le commerce du pain et de la bière. Pour lutter contre la fraude des commerçants qui tendaient à fausser les mesures au détriment de leurs clients, les boulangers se virent imposer d’ajouter une unité à toute douzaine vendue.
Sans avoir à formuler de vœux en leur faveur, l’année s’annonce sous de meilleurs auspices pour mes richissimes lecteurs. En effet, le Conseil Constitutionnel les dispense finalement d’une imposition  sur leurs revenus à 75 %. Je vous accorde qu’on doit les compter … sur les doigts d’un manchot !
Plus sérieusement, mes états d’âme à l’encre violette ont drainé plus de cent mille visites au cours de l’année passée. Ces chiffres m’encouragent donc à poursuivre la rédaction de ce blog. J’espère que je ne serai pas en désespérance d’inspiration comme se lamente Stéphane Mallarmé dans son magnifique poème Brise Marine relu récemment :

« La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots! »

Comme l’an dernier, j’ai ouvert ce billet avec une photographie de Jean-Denis Robert puisée dans sa série VR KC. Quelque chose me dit que j’aurai une belle surprise à vous offrir dans le courant du premier trimestre. Cette fois, il n’y a pas de cristal cassé (quoique cela porte bonheur) mais un verre en équilibre précaire. Allez, tous mes vœux pour que vos rêves ne se brisent pas.
Bonne année 2013 !

Publié dans:Almanach |on 1 janvier, 2013 |4 Commentaires »

Un dessert de Toussaint: le pâté de poires de Fisée*

Souvenirs, souvenirs ! Dans ma jeunesse, à la fin des années cinquante, le chanteur Sacha Distel conseillait de rester célibataire plutôt que de croquer des pommes, des poires et … des scoubidoubi-ou Ah !
Malgré tout, un demi-siècle plus tard, je sacrifie toujours à une tradition culinaire de mon Pays de Bray natal : la dégustation du pâté de poires de Fisée qui est à la Toussaint, ce que la bûche est à Noël.
Je profite que j’ouaiche me recueillir sur la tombe de mes chers parents pour dénicher le pâtissier, de plus en plus rare, qui confectionne encore ce dessert simple mais délicieux. Cette coutume épicurienne constitue aussi à sa façon un tendre hommage à ma maman qui adorait ce gâteau aux senteurs d’automne.

Un dessert de Toussaint: le pâté de poires de Fisée* dans Almanach poirefiseeblog2

Selon les pâtisseries et les ouvrages consultés, la variété de poire concernée est orthographiée de manière différente : Fisée, Fisé, Fizé, Fizet, Phisée voire même Frisée. Plus qu’une illustration de la dégradation du niveau scolaire, c’est l’exemple même d’une tradition transmise oralement.
À la page 82 du Dictionnaire du patois du Pays de Bray rédigé par l’abbé Jean-Eugène Decorde en 1852, et dans le Glossaire de la vallée d’Yères d’Achille Delboulle, paru en 1886, on relève FISÉE : poire dont on fait des confitures.
Jean Vacandard, un instituteur de Melleville dans le canton d’Eu, rapporte la forme fizé, tandis que non loin de là, à Guerville, Serge Dehédin fournit une variante frisée.
En fait, comme A.G. de Fresnay l’écrit dans son livre Le Patois Normand en usage dans le Pays de Caux, et particulièrement dans l’arrondissement de Dieppe, en date de 1881, Fisée est la forme dialectale normande de Fusée.
Digression presque aussi savoureuse que le pâté de poires, j’ai découvert par hasard dans le même recueil pour la définition de « Fion : Tournure élégante donnée à certaines choses – Le coup de fion, dernière main de l’artiste à son œuvre – Le chic contemporain a souvent la même signification, et quelques-uns ont le chic pour donner le coup de fion » !!! Le linguiste normand du dix-neuvième siècle ne manquait pas d’humour.
Pour les spécialistes en pomologie, la Poire de Fisée serait la Fusée d’Automne, une variété ancienne, originaire de Haute-Saxe, mentionnée en France pour la première fois, en 1628, dans le Catalogue des arbres cultivez dans le verger, rédigé par Le Lectier, procureur du roi à Orléans.
Elle doit son nom à sa forme oblongue rappelant le fuseau, petit instrument en bois renflé au milieu et se terminant en pointe, utilisé autrefois lorsqu’on filait la laine. N’y voyez donc pas, comme on peut le lire parfois, une vague analogie avec une fusée ; il y avait des poires de Fisée bien avant le roman d’anticipation (à l’époque) de Jules Verne, le film de Méliès Le Voyage dans la Lune, et les bandes dessinées de Tintin, Objectif Lune et On a marché sur la lune !
Le Lectier la nomme aussi poire d’Estouppe pour sa ressemblance avec l’estoupin qui servait à nettoyer et bourrer les canons (les vrais de guerre, pas ceux de cidre !).
À la fin du dix-neuvième siècle, la Société Pomologique de France la retient encore sous les noms de Certeau d’Automne ou Rouge de Monteuil, Petit Certeau, Bellissime d’Automne et Vermillon. Rien qu’à les énumérer, on a envie d’en croquer … à tort peut-être !
Les paysans du Pays de Bray distinguent deux sortes de poires de Fisée, la blanche, rare, et la rouge, bien meilleure, celle qui nous intéresse.

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Elle est toute petite, sa taille n’excédant pas sept centimètres. Sa peau légèrement rude la rend difficile à peler. D’une teinte jaune verdâtre pointillée de gris, elle se nuance de rose du coté exposé au soleil. Sa chair blanche, très ferme et amère la rend difficilement mangeable « au couteau ». Y’avoit plus d’épluchures que d’manger ! Aussi, n’est-elle donc consommée que cuite sous forme de confitures, de fruits confits et de tartes.
Elle parvient à maturité au mois d’octobre, mais elle ne se conserve médiocrement que jusqu’à la mi-novembre, ce qui explique pourquoi nous ne pouvons déguster le pâté de poires de Fisée que durant la semaine de la Toussaint.
Cette tradition est mentionnée dans l’Almanach de la mémoire et des coutumes de Normandie à la date du 1er novembre : En Seine-Maritime, les paysans préparaient un pâté aux poires consommé ce jour-là.
Pour être plus précis encore, cette tradition ne concernait presque exclusivement que le nord du département. Ainsi, Dieudonné Dergny, historien régional du dix-neuvième siècle relate : « Dans les communes de l’Yères et de l’Eaulne et dans celles sises sur les plateaux intermédiaires à ces vallées, comme dans quelques-unes du Pays de Bray, chacun faisait son possible pour avoir un pâté de poires, le jour de la Toussaint. Il n’est pas de petit ménage qui n’ait le sien. »
Pour mes lecteurs peu au fait de la géographie normande, il leur suffit de tirer grossièrement sur une carte deux droites perpendiculaires à la Manche à partir des villes de Dieppe et du Tréport jusqu’à la hauteur de Neufchâtel-en-Bray (et son fromage de renom), pour croquer le « rectangle d’or » du pâté de poires de Fisée.
Juste à l’ouest de cheu nous, sur le plateau du Pays de Caux, sont confectionnés les douillons ou bourdelots, de délicieux chaussons aux pommes auxquels on substitue parfois des poires de « coq ». Es tro bon également !
Ce n’est pas le tout, mais en ce jeudi de Toussaint, j’arpente la Grande Rue de Dieppe pour me procurer le trésor pâtissier digne de son nom. Car il faut se méfier des appellations mensongères et des ersatz.
Tout fout l’camp ma bonne dame ! L’approvisionnement en poires de Fisée, de plus en plus rares dans les vergers, est problématique, d’autant plus qu’il existe des années à poires comme des années à pommes et à … hannetons (voir billet du 2 novembre 2012). Même si des pépiniéristes locaux proposent de jeunes poiriers de Fisée rouge. Les moins puristes des boulangers pâtissiers confectionnent le pâté avec des variétés de poires plus courantes qu’ils vont jusqu’à faire rougir avec du vin. D’autres, peut-être pour ne pas à passer par ces états d’âme, ont choisi de baisser le rideau de leur boutique en cette semaine.

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Voilà, j’ai trouvé. L’ardoise en vitrine me rassure un peu sur l’authenticité du produit, même si, le pâté offre plus l’aspect d’une tarte.
Autrefois, dans les fermes, la recette traditionnelle consistait à couvrir toute une nuit les poires épluchées, épépinées et coupées en quartiers, avec du sucre, dans un poêlon en terre ou une bassine en cuivre. Le lendemain, on ajoutait un filet de vinaigre et « eune piote pointe ed’girofle ». On faisait cuire à feu très doux durant deux ou trois heures à découvert puis encore deux heures le récipient recouvert jusqu’à ce que les poires prennent magiquement une couleur bien rouge tout en conservant leur consistance.
Parallèlement, la cuisinière préparait une pâte qu’elle laissait lever … sous l’édredon ou l’oreiller, le temps d’aller à la messe qui était longue en ce temps-là !
Elle étalait ensuite les deux tiers de sa pâte levée dans le fond d’une tourtière, la garnissait des poires égouttées, et surmontait le tout d’une seconde abaisse qu’elle soudait aux bords de la première. Puis, à l’aide d’un pinceau, elle dorait la pâte en la badigeonnant d’un jaune d’œuf délayé dans de l’eau ou du lait, ou avec le jus de cuisson des poires. Éventuellement, avec la pointe du couteau, elle décorait la couche supérieure d’un motif, le plus souvent une poire (mais jamais un scoubidou !).
Il ne restait plus qu’à cuire les pâtés dans le four à pain que possédaient beaucoup de fermes à l’époque, ou à défaut dans le four banal du village ou dans celui du boulanger.
Aujourd’hui, vous savez bien qu’on n’a plus le temps de rien ; certains trempent les poires dans du vin rouge (pour en accélérer la cuisson) ou dans du cidre du pays, d’autres les étalent en compote, d’autres encore apportent leur touche personnelle en ajoutant du miel ou de la vanille, tous ou presque préfèrent la confection d’une pâte feuilletée.

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Le pâté que j’ai acheté était très bon même s’il ressemblait plus à une galette des Rois dont la frangipane aurait été remplacée par une compote de poires. Une moitié tiédie au four, l’autre froide, je me suis régalé en pensant à ma tendre maman. Un peu dans l’esprit des Indiens du Mexique qui, à l’occasion d’el Dìa de los Muertos, vont pique-niquer et chanter au cimetière auprès de leurs chers disparus.

Pour celles et ceux dont j’aurais aiguisé l’appétit, voici une recette trouvée sur la toile que je vous livre avec l’accord de la valeureuse pâtissière, rendez-vous y : http://clquipopotte.wordpress.com/2011/11/13/401/
Pour 3 (qui en ont mangé plus d’une fois !) :
– 2 rouleaux de pâte feuilletée
– Un peu plus d’1 kg de Poires de Fisée ( Il faut aller en Normandie les chercher !!!!)
– 60 gr de sucre
– 1 gousse de vanille
– 10 cl de vin rouge
– 1 clou de girofle
– 1 jaune d’oeuf
La veille, éplucher les poires et les couper en quatre.
Mettre les poires dans un saladier , ajouter le sucre , le vin , le clou de girofle et la gousse de vanille fendue en deux. Remuer , couvrir et laisser reposer une nuit .
Le lendemain, mettre les poires reposées à cuire sur feu doux 20 à 25 minutes , surveiller et remuer régulièrement .
Continuer la cuisson jusqu’a évaporation totale du jus , faire attention à ne pas tout réduire en compote et vérifier que rien n’attache au fond de la casserole.
Enlever du feu, laisser refroidir, enlever la gousse de vanille et le clou de girofle.
Dérouler le premier cercle de pâte feuilletée, déposer les morceaux de poires de Fisée.
Recouvrir avec le second cercle de pâte feuilletée.
Souder les deux cercles avec un fond d’eau.
Peinturlurer à l’œuf.
Enfourner une vingtaine de minutes, surveiller …
Quand le pâté est bien doré, le sortir du four.
Déguster tiède.
Hum ! À en juger le résultat, ça donne envie de se mettre devant le fourneau. Reste cependant à trouver les fameuses … poires de Fisée !

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* Pour écrire ce billet, j’ai largement puisé dans le tome V de Promenade géographique, historique, touristique en Pays de Bray, une collection dont mon père Michel COFFIN est l’auteur (voir billets des 13 décembre 2007, 9 janvier 2008 et 14 février 2008). Le chapitre consacré au pâté de poires de Fisée est l’œuvre de Monsieur Ghislain GAUDEFROY et de son fils Lionel.

Publié dans:Almanach, Recettes et produits |on 8 novembre, 2012 |14 Commentaires »

Le 22 Septembre, aujourd’hui, je ne m’en fous pas!

Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je ne m’en fous pas !
En ce jour, veille d’automne, « l’équinoxe funeste », il me plait de rendre hommage une fois encore à l’ami Georges Brassens à travers une de ses magnifiques chansons.
En l’impasse Florimond, dans le quatorzième arrondissement de Paris, un bas-relief en bronze, œuvre du chanteur Renaud, apposé le « 22 septembre » 1994, rappelle que « le poète, musicien et chanteur vécut ici » avec pour épitaphe, « Et que t’emporte entre les dents, un flocon des neiges d’antan … » (voir billet du 26 décembre 2007)

Le 22 Septembre, aujourd'hui, je ne m'en fous pas! dans Almanach BasreliefFlorimontblog

Pour souligner son obsession, le poète utilise l’épiphore, une figure de style consistant en la répétition d’un même groupe de mots ou de la même idée, dans chaque strophe, en l’occurrence ici, dans le troisième et le dernier vers.
Ne soyez pas tristes surtout ! Ce n’est qu’une chanson, même si, déchirante, elle exprime la nostalgie d’un bonheur passé et … l’indifférence nouvelle. Alors, accompagnez Prévert et ses escargots pour enterrer les feuilles !
Et pour ceux qui auraient tout de même l’âme en peine, je leur redonne le sourire en rappelant que le 22 septembre 1792, suite à la bataille de Valmy, fut le premier jour de la République (voir billet du 1er juillet 2010 Va mal, Valmy, Va bien !).

 » Un vingt-deux septembre au diable, vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous…
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières:
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous.

On ne reverra plus au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous…
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles:
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d’ailes,
Je montais jusqu’au ciel pour suivre l’hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous…
Le complexe d’Icare à présent m’abandonne,
L’hirondelle en partant ne fera plus l’automne:
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous.

Pieusement noué d’un bout de vos dentelles,
J’avais, sur ma fenêtre, un bouquet d’immortelles
Que j’arrosais de pleurs en souvenir de vous…
Je m’en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent:
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous.

Désormais, le petit bout de coeur qui me reste
Ne traversera plus l’équinoxe funeste
En battant la breloque en souvenir de vous…
Il a craché sa flamme et ses cendres s’éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes:
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous.

Et c’est triste de n’être plus triste sans vous « 

https://www.dailymotion.com/video/x1wrio

Publié dans:Almanach, Poésie de jadis et maintenant |on 22 septembre, 2012 |Pas de commentaires »

Bonne fête aux mamans … et aux papas !

Comme chaque année, j’offre mon bouquet de mots à toutes les mamans du monde.
Une fois encore, j’ai renoncé à vous parler de la mienne. Douze ans après son départ, c’est toujours trop sensible. Le jour viendra, peut-être …
Cette fois, je fais d’jeun en vous proposant les clips et les textes de représentants de la nouvelle génération. Ils sont originaires de Paris et de la banlieue, issus de familles ordinaires, « normales » pour employer un mot à la mode présidentielle, quoique … la vie n’a sans doute pas toujours été tendre avec eux.
Sexion d’Assaut est un groupe de rappeurs. Je ne suis pas spécialement fan du genre, mais une chère petite fille s’est tellement trémoussée sur le clip de Avant qu’elle parte, que le message qu’il véhicule a fini par m’interpeller et m’émouvoir : Dites-leur que vous les aimez avant qu’elles partent !

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« Insensé, insensible, tu l’aimes mais pourtant tu la fuis
Insensé, insensible, tu l’aimes mais pourtant tu la fuis

Pardonne-moi pour tes insomnies à répétition
Pardonne-moi pour les files d’attente, tes clashs à l’inspection
Pardonne-moi pour les garde-à-vue, les perquisitions
Pardonne-moi d’être parti si tôt d’être devenu musicien
Toutes les fois où j’ai oublié de répondre à tes messages
Toutes les fois où je devais venir te voir entre deux trois dates
Toutes les fois où j’ai dû te mentir pour éviter que tu me frappes
Toutes ces fois, je n’ai jamais douté de ta bonne foi

Ta mère est une fleur rare que t’abreuves par ton amour
L’en priver c’est la tuer donc n’abrège pas son compte à rebours
Dis-lui que tu l’aimes que tu regrettes ta manière d’être conflictuel
Elle a du mal à s’évader car tes grands frères ont pris du ferme
Est-ce mes rides qui m’empêchent de lui sourire
Je veux pas rester en vie jusqu’à la voir mourir
Tes larmes piquaient mes plaies, j’aimerais te contenter
À jamais je maudis ce jour où on t’enterre

Et même quand tout le monde est contre toi
Elle reste ta meilleure amie
T’aimerais lui dire ce qu’elle représente pour toi
Avant qu’elle ne perde la vie
Mais tu n’oses pas, tu n’oses pas, tu n’oses pas lui dire
Mais tu n’oses pas, tu n’oses pas, tu n’oses pas lui dire

Je suis sûr qu’elle aimerait juste entendre un maman je t’aime
À la place des cris du daron qui menace de te jeter
Je suis sûr qu’elle craque au bout d’une semaine passée sans toi
Et que ton absence lui ferait plus mal qu’une chute du haut de son toit
Je suis sûr qu’elle aimerait que tu la prennes dans tes bras
Exactement comme elle le faisait durant tes 12 premiers mois
Je suis sûr que l’amour t’a rendu myope
Au lieu de le porter à ta mère tu le portes à une idiote

Des heures au phone avec ta meuf afin de mieux vous rapprocher
Quand ta mère t’appelle tu veux vite raccrocher
Devant tes potes tu lui tiens tête tu veux lui donner des leçons
Mais t’oublies que cette tête elle l’a tenue quand elle te donnait le sein
Crois-moi sur paroles on peut remplacer des poumons mais sûrement pas une daronne
T’as habité en elle, t’as habité sous son toit
C’est la seule personne qui prie pour quitter ce monde avant toi
Au commissariat pour elle, t’étais jamais coupable
Mais pour moi tu l’es car t’es bronzé alors qu’elle est toute pâle
À par elle personne supporte ton égoïsme permanent
T’es pas le nombril du monde mais t’es celui de ta maman

Je ne suis jamais parti
Je n’ai jamais changé
Si ce n’est ma voix et ma taille
Oh Maman
C’est moi
Je veux que tu valides ma fiancée
Réconforte-moi comme quand je tombais
Maman où t’es passé oh
Regarde-moi

Simplement te serrer dans mes bras
Te serrer très fort te dire je t’aime une dernière fois
Repose en paix
Pour nous t’as donné corps et âme
Si j’ai plus d’encre tant pis je continuerai avec mes larmes
Aujourd’hui Maman n’est plus là
Je suis tombé de haut mais je pourrai pas tomber plus bas
Poto fais pas l’enfant de la DASS
Si t’en as une fais lui plaisir dis-lui que tu l’aimes avant qu’elle parte

À tous ceux qui ont encore une mère
Même si la mort n’arrête pas l’amour
Dîtes-leur que vous les aimez
Avant qu’elles partent »

La vie de François Marsaud semblait plus paisible jusqu’à ce que …
Né en Seine-Saint-Denis d’une mère bibliothécaire et d’un père haut fonctionnaire territorial, il se destinait au professorat d’Éducation Physique lorsqu’en 1997, animateur de colonie de vacances, il se déplace des vertèbres en plongeant dans une piscine dont le niveau d’eau est trop bas. Après une longue rééducation, il retrouve à peu près l’usage de ses jambes, insuffisamment cependant pour s’engager dans la carrière souhaitée.
En référence à ce handicap, il prend le nom de scène de Grand Corps Malade et popularise bientôt le genre musical du slam.
Sa belle voix grave met en valeur ses textes ciselés, véritables petits bijoux honorant toute la richesse de la langue française.
Dégustez Pères et mères ! Au-delà de l’hommage à ses parents, il s’adresse aussi pêle-mêle à tous les pères et mères  dans un subtil inventaire. No comment ! Sublime !

Grand Corps Malade – Pères et Mères ( Kenfowsen… par Kenfowsen[/dailymotion]

« Depuis la nuit des temps, l’histoire des pères et des mères prospère
Sans sommaire et sans faire d’impairs, j’énumère pêle-mêle, Pères Mères

Il y a des pères détestables et des mères héroïques
Il a des pères exemplaires et des merdiques
Il y a les mères un peu pères et les pères mamans
Il y a les pères intérimaires et les permanents
Il y a les pères imaginaires et les pères fictions
Et puis les pères qui coopèrent à la perfection
Il y les pères sévères et les mercenaires
Les mères qui interdisent et les permissions
Y’a des pères nuls et des mères extra, or dix mères ne valent pas un père
Même si dix pères sans mère sont du-per (perdu) c’est clair
Y’a des pères et des beaux-pères comme des compères qui coopèrent
Oubliant les commères et les langues de vipère
Il y a les « re-mères » qui cherchent des repères
Refusant les pépères amorphes
Mais les pauvres se récupèrent les experts(ex-pères) du divorce
Il y a les pères outre-mer qui foutent les glandes à ma mère
Les pères primaires, les perfides, les personnels qui ont le mal de mère
Ceux qui laissent les mères vexent et les perplexes
Moi mon père et ma mère sont carrément hors pair
Et au milieu de ce récit
Je prends quelques secondes je tempère
Pour dire à mon père et à ma mère merci

Il y une mère candide et un père aimable
Il y une mère rigide et imperméable
Il y a des pères absent et des mères usées
Il y a des mères présentes et des perfusés
Il y a des mères choyées et des mères aimées
Il y a des pères fuyants et des périmés
Il y a la mère intéressée et la mère vile
L’argent du père en péril face à la mercantile
Il y a les pensions alimentaires, les « pères crédit »
Des pères du week-end et des mercredi
Y’a des pères hyper-forts et des mères qui positivent
Ou les coups de blues qui perforent les mères sans perspectives
Mais si les persécutés, le père sait quitter
Et si la mère pleure c’est l’enfant qui perd
Mais si la mère tue l’amertume la magie s’éveille
Et au final qu’elle soit jeune ou vieille la mère veille (merveille)
Moi mon père et ma mère sont carrément hors pair
Et au milieu de ce récit
Je prends quelques secondes je tempère
Pour dire à mon père et à ma mère merci

Il y a les mères qui désespèrent à cause des amourettes
Perpétuellement à la recherche d’un homme à perpète
Il y a la mère célibataire persuadée de n’être personne
Et qui attend que dans ses chimères que derrière la porte un père sonne
Il y a les mères soumises et les pères pulsions
Il y a les mères battues et les percussions
Il y a les mères en galère à cause des pervers, des perturbés
Alors il y a la mère qui s’casse si elle est perspicace
En revanche, si le père et la mère s’acoquine et vont se faire mettre si je peux me permettre
La tension est à dix milles ampères
Car quand le père est en mère et que la mère obtempère
C’est la hausse du mercure car le père percute et la mère permute
Le père tend sa perche et la mère se rit de cette performance,
De ce perforant impertinent
Telles sont les péripéties du père dur face à l’effet mère (l’éphémère)
Moi mon père et ma mère sont carrément hors pair
Et à la fin de ce récit
Je prends quelques secondes je tempère
Pour dire à mon père et à ma mère « Merci » ! »

Bonne fête aux daronnes et darons ! À propos, laissez à vos rejetons l’illusion de croire qu’ils inventent leur propre langage.
Tant qu’ils ont le dos tourné, je vous souffle ces deux phrases :
« Six externes qu’ont mis les bouts dès la fin avril, et quatre pensionnaires, leurs darons sont venus les reprendre » … « Il me parlait souvent de sa daronne, mais jamais il me la montrait ».
Elles sont tirées de Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline !

Publié dans:Almanach |on 3 juin, 2012 |Pas de commentaires »

Rameaux au cimetière Montmartre

En cette période des Rameaux, nombreux sont ceux qui se recueillent sur la tombe de leurs chers disparus. Habitué à cette coutume par mes parents depuis ma plus tendre enfance, je ne saurais y déroger sous peine, dans mon esprit, de manquer de respect à mes aïeux. C’est ainsi même s’il existe bien d’autres façons de penser à eux et d’honorer leur mémoire.
Au-delà de mes états d’âme, sans que je sois guidé par quelque penchant morbide, j’aime la fréquentation de certains cimetières notamment parisiens. Ainsi, dans un billet en date du 12 novembre 2008, je vous entraînais  dans une promenade en musique au cimetière du Père-Lachaise, à l’est de la capitale.
Cette fois, je vous invite à me suivre, au pied de la célèbre butte, dans les allées du cimetière de Montmartre, la troisième plus grande nécropole de Paris avec ses 11 hectares et 22 000 sépultures, installé depuis 1825 à l’emplacement d’anciennes carrières de gypse. À quelques pas de la place Clichy, sa tranquillité n’est même pas troublée par la circulation trépidante sur le pont de Caulaincourt qui le traverse en surplomb. On y accède par la courte impasse Rachel du prénom de la tragédienne Élisabeth Rachel Félix adulée au dix-neuvième siècle pour ses interprétations des héroïnes de Corneille et de Racine.
Les cimetières, véritables théâtres à ciel ouvert, nous rappellent ou nous apprennent bien souvent des choses. Ils font revivre la grande histoire et en inspirent plein de petites, au fil des allées, au gré des monuments, des ornements ou des épitaphes.
Umberto Eco choisit Le cimetière (juif) de Prague comme point de départ de son dernier ouvrage, une combinaison brillante de journal intime et de roman feuilleton du dix-neuvième siècle. À travers son héros Simone Simonini, un personnage fictif et odieux, il mélange avec jubilation le vrai et le faux, les faits, les rumeurs et les légendes.
Après la parution d’un de ses précédents romans, Le pendule de Foucault, il paraît qu’une affluence inhabituelle de touristes fanatiques d’ésotérisme et d’occultisme, en quête d’un début de preuve du complot, troubla la quiétude de la tombe du célèbre physicien inhumé justement au cimetière de Montmartre.

DSC_2346.JPG Léon Foucault

Curieusement, les géniales découvertes de Léon Foucault inscrites sur la pierre, l’invention du gyroscope, le calcul de la vitesse de la lumière et la démonstration de la rotation de la terre, s’effacent peu à peu avec l’usure du temps, alors qu’elles continuent indéfiniment à déterminer la vie.
Un chat détale dans mes pieds. Claude Nougaro chanta les amours d’un coq et d’une pendule. Je ne possède pas son talent pour vous conter ceux d’un matou et d’un pendule. À défaut, je vous livre un extrait de la chronique de Cavanna dans le Charlie Hebdo acheté quelques minutes plus tôt dans un kiosque de la place Clichy. Il y évoque justement son goût pour les mappemondes :
« Un globe terrestre peut vous immobiliser des jours entiers, vous emmener à l’autre bout du monde –  » le bout du monde » … Le langage courant n’a pas encore admis la rotondité de la Terre, c’est charmant – vous faire oublier la contingence …
Achetez-vous, faîtes-vous offrir un globe terrestre, un avec le relief bien dessiné, les creux des océans, tout ça, mais plutôt discret sur l’aspect politique. Que les montagnes, les déserts, les effondrements soient bien marqués, mais que surtout les États ne soient pas coloriés de couleurs tranchées, les frontières, ça va ça vient, et ça fausse le jugement.
Un globe, c’est une formidable machine à rêver. Si l’on est porté au rêve éveillé. C’est aussi une projection extrêmement précise de ce qu’il y a de plus réel sur la Terre : la Terre elle-même. Et puis, ça tourne. Sur son axe de travers. Car elle est de travers, la Terre, n’essayez pas de la relever, c’est sa position habituelle. Rien que ça, cette inclinaison, ça vous met en scène le phénomène des saisons ... »
Quant aux ésotéristes de pacotille, ils ont migré depuis, vers l’église Saint-Sulpice, après la lecture du Da Vinci code. Et pour qui veut gagner des millions, malheureusement, il vaut mieux connaître Jean-Pierre plutôt que Léon. ! Ainsi tourne la terre …
« Faire des concessions ? Oui, c’est un point de vue… mais sur un cimetière », voici une excellente entrée en matière pour ma déambulation dans le labyrinthe des tombes. Elle appartient à Sacha Guitry dont, justement, la stèle se dresse en face de la guérite du gardien.

 Rameaux au cimetière Montmartre dans Almanach Sacha-Guitryblog

Comédien et dramaturge, metteur en scène de théâtre, réalisateur et scénariste de cinéma, il était friand de bons mots qui contribuèrent aussi à sa popularité. Malgré la réputation de misogyne qu’il cultivait, il se maria cinq fois uniquement avec des actrices.
Il ironisait sur la libido débordante de la seconde, Yvonne Printemps qu’il avait épousée avec comme témoins Sarah Bernhardt, Georges Feydeau et Tristan Bernard : « Quand tu mourras, on pourra inscrire sur ta tombe : À Yvonne, enfin froide ». Ce à quoi, se moquant de ses performances d’alcôve, elle aurait répliqué : « Et sur la tienne : À Sacha, enfin raide ! » Au début de sa carrière, Sacha Guitry l’avait choisie pour jouer Marie Duplessis – ça ne vous dit rien ? – dans la pièce Deburau qu’il avait créée au théâtre du Vaudeville, le bien nommé. Plus tard, elle devint la compagne de Pierre Fresnay jusqu’à sa mort. Au côté de celui-ci, elle interpréta au cinéma le rôle de Marguerite Gautier, ça ne vous dit toujours rien ?
Quant à Sacha Guitry, à cinquante ans, il épousa en troisième noce une jeune femme de vingt-deux ans sa cadette : « J’ai le double de son âge, il est donc juste qu’elle soit ma moitié ».
Comme si ce n’était déjà pas assez compliqué comme cela, lorsque plus tard, il adapta au cinéma sa pièce Deburau, il confia cette fois le rôle de Marie Duplessis à sa cinquième femme, Lana Marconi. Vous ne voulez toujours pas gagner des millions … ?
Sous l’Occupation, Sacha Guitry réalisa Le Destin fabuleux de Désirée Clary, le premier amour de Napoléon qui l’abandonna pour Joséphine de Beauharnais. Je vous cite ce film relativement mineur pour évoquer une autre jeune fille au destin remarquable, Amélie Poulain, bien sûr, qui dégustait ses crèmes brûlées au café des Deux Moulins, rue Lepic, à quelques mètres du mur d’enceinte du cimetière.
Pour l’instant, tandis que je photographie sa sépulture, me vient en mémoire encore un dernier bon mot de Sacha Guitry : « Sentant venir la mort, le photographe a dit entre ses dents : Attention…Ne bougeons plus ! »
De la même manière qu’au Père-Lachaise, si vous suivez un flot anormal de jeunes (et de moins jeunes), vous vous retrouvez devant la tombe de Jim Morrison, mythique soliste de The Doors, ici, en emboîtant le pas de la gent féminine, en tout bien tout honneur, vous parvenez à la sépulture très fleurie de Yolande Gigliotti dite Dalida.
C’est tout près de là, dans son domicile de la rue d’Orchampt, que la reine du disco choisit d’en finir avec ses tourments, une nuit de mai 1987. Née au Caire de parents italiens, reine de beauté dont un titre de miss Egypte, sa statue avec un grand soleil lui servant d’auréole, rappelle celles des divinités égyptiennes.

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Est-ce un effet d’optique sous le grand portique de marbre, la sculpture, pourtant à la taille exacte de l’artiste, semble petite.

« Moi, je vis d’amour et de danse
Je vis comme si j’étais en vacances
Je vis comme si j’étais éternelle …
Laissez-moi danser laissez-moi
Laissez-moi danser chanter en liberté tout l’été
Laissez-moi danser laissez-moi
Aller jusqu’au bout du rêve ... »

Ciao bambina ! Après Dalida, Sanson, excusez ce jeu de mots indigne sinon des Inconnus et de leur célèbre sketch Télé-magouilles. Drôle de raccourci, c’en est un au vrai sens du terme, puisqu’il s’agit là d’une famille de bourreaux dont la tombe désuète est l’une des plus visitées du cimetière. Curiosité morbide à laquelle j’échappe de justesse car je ne l’ai pas repérée.
Plus qu’une famille, les Sanson constituent une véritable dynastie de bourreaux normands (des « pays » que je ne revendique pas !) qui exercèrent leurs basses besognes à Paris de 1688 à 1847.
Charles, le premier de sept générations, commence assez mal sa carrière puisque, alors qu’il devient aide-bourreau de son beau-père, le procès-verbal d’une exécution effectuée à Rouen mentionne : « Ayant à « rompre » un condamné, l’exécuteur des hautes œuvres ayant forcé son gendre, nouvellement marié, à porter un coup de barre au patient, ledit gendre tomba en pâmoison et fut couvert de huées par la foule. »
Son fils prénommé également Charles, préside en 1721 à l’exécution du célèbre bandit Cartouche qui nous semble pourtant bien sympathique à l’écran.
Le petit-fils Charles Jean-Baptiste ne laisse pas un souvenir impérissable (!) bien que lui soit confiée la charge d’exécuteur de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris. Il épouse une fille du bourreau de Sens et petite-fille du bourreau d’Étampes. Qui sait s’ils ne seraient pas condamnés aujourd’hui pour délit d’initiés.
L’arrière petit-fils Charles-Henri fait des débuts prometteurs en procédant dès l’âge de dix-huit ans à l’exécution de Damiens, célèbre pour sa tentative de régicide sur Louis XV et pour être la dernière personne à avoir été écartelée légalement en France, sous l’Ancien Régime. Quoiqu’il y ait à redire sur la qualité du travail … En effet, les bourreaux, sans réelle pratique de ce genre de torture, attachent quatre chevaux rétifs conduits par des cavaliers enivrés et omettent de couper d’abord les tendons des membres pour faciliter l’arrachement. Le supplice, en place de Grève, dure deux heures et quart, et la mort de Damiens ne survient seulement qu’à la tombée de la nuit, à l’enlèvement du bras droit, le dernier membre. Vraiment gore !
Charles-Henri administre la peine capitale durant plus de quarante ans et exécute de sa propre main environ trois mille personnes. Parmi celles-ci, les plus illustres sont le chevalier de La Barre (réhabilité bien tardivement le 25 Brumaire an II et dont la statue se dresse près du Sacré-Cœur), le roi Louis XVI, le 21 janvier 1793, laissant le soin à son fils de décapiter Marie-Antoinette. Par la suite, il mène à la guillotine Danton, Robespierre, Saint-Just, Camille Desmoulins, Lavoisier et Charlotte Corday coupable d’avoir poignardé Marat dans sa baignoire.
Gabriel, le plus jeune fils de Charles-Henri, prend la relève mais il meurt prématurément des suites d’une chute d’un échafaudage … en voulant présenter une tête tranchée à la foule. Quel destin crapuleux !
S’il en est un qui sait parler du couple biblique Samson et Dalila à l’origine de mon pitoyable calembour, c’est bien Alfred de Vigny dans un superbe poème :

« Le désert est muet, la tente est solitaire.
Quel Pasteur courageux la dressa sur la terre
Du sable et des lions? – La nuit n’a pas calmé
La fournaise du jour dont l’air est enflammé.
Un vent léger s’élève à l’horizon et ride
Les flots de la poussière ainsi qu’un lac limpide.
Le lin blanc de la tente est bercé mollement ;
L’œuf d’autruche allumé veille paisiblement,
Des voyageurs voilés intérieure étoile,
Et jette longuement deux ombres sur la toile.

L’une est grande et superbe, et l’autre est à ses pieds :
C’est Dalila, l’esclave, et ses bras sont liés
Aux genoux réunis du maître jeune et grave
Dont la force divine obéit à l’esclave.
Comme un doux léopard elle est souple, et répand
Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant.
Ses grands yeux, entr’ouverts comme s’ouvre l’amande,
Sont brûlants du plaisir que son regard demande,
Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs.
Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs,
Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle,
Ses flancs plus élancés que ceux de la gazelle,
Pressés de bracelets, d’anneaux, de boucles d’or,
Sont bruns ; et, comme il sied aux filles de Hatsor,
Ses deux seins, tout chargés d’amulettes anciennes,
Sont chastement pressés d’étoffes syriennes ... »

Vignyblog

Il repose dans un coin si retiré du cimetière que j’ai failli ne pas trouver sa tombe blottie entre plusieurs chapelles.
J’hésite, chères lectrices, à vous livrer un autre passage de La colère de Samson :

« Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu
Se livre sur la Terre, en présence de Dieu,
Entre la bonté d’Homme et la ruse de Femme.
Car la Femme est un être impur de corps et d’âme« .

Sa vision négative de la femme n’empêcha pas le sieur Alfred d’avoir de nombreuses amantes.
Théophile Gautier déclarait à son propos : « Peu d’écrivains ont réalisé comme Alfred de Vigny, l’idéal qu’on se forme du poète … la proportion exquise de la forme et de l’idée », qualifiant même l’ange Éloa, de « poème le plus beau, le plus parfait peut-être de la langue française ».

« Eloa s’écartant de ce divin spectacle,
Loin de leur foule et loin du brillant Tabernacle,
Cherchait quelque nuage où dans l’obscurité
Elle pourrait du moins rêver en liberté…
Les Vierges quelquefois, pour connaître sa peine,
Formant une prière inattendue et vaine,
L’entouraient, et prenant ces soins qui font souffrir,
Demandaient quels trésors il lui fallait offrir,
Et de quel prix serait son éternelle vie,
Si le bonheur du Ciel flattait peu son envie;
Et pourquoi son regard ne cherchait pas enfin
Les regards d’un Archange ou ceux d’un Séraphin.
Eloa répondait une seule parole:
« Aucun d’eux n’a besoin de celle qui console;
On dit qu’il en est un… » Mais, détournant leurs pas,
Les Vierges s’enfuyaient et ne le nommaient pas. »

Je moucharde, le un en question, c’est Lucifer !
« Vous êtes mon lion superbe et généreux » ! Théophile en gilet rouge et Alfred étaient côte à côte, le 25 février 1830, pour la première représentation à la Comédie Française de la pièce de Victor Hugo qui déclencha la fameuse bataille d’Hernani. J’ai évoqué cette passe d’armes littéraire dans mon billet Mon alter Hugo à moi du 11 février 2010. Vivent les Romantiques !
Ils ne sont séparés dans la mort que par trois allées.

DSC_2350.JPG Théophile GautierDSC_2349.JPG Théophile Gautier


« … Passons, car c’est la loi ; nul ne peut s’y soustraire ;
Tout penche ; et ce grand siècle avec tous ses rayons
Entre en cette ombre immense où, pâles, nous fuyons.
Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
Les chevaux de la Mort se mettent à hennir,
Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir ;
Ce siècle altier qui sut dompter le vent contraire
Expire … – O Gautier, toi, leur égal et leur frère,
Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset.
L’onde antique est tarie où l’on rajeunissait ;
Comme il n’est plus de Styx il n’est plus de Jouvence.
Le dur faucheur avec sa large lame avance
Pensif et pas à pas vers le reste du blé ;
C’est mon tour ; et la nuit emplit mon œil troublé
Qui, devinant, hélas, l’avenir des colombes,
Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes. »

Ainsi, de Guernesey, Victor Hugo salue (l’écrivain) au seuil sévère du tombeau.
Le monument est constitué d’une sculpture de Calliope, muse de la poésie épique et de la grande l’éloquence, tenant palme et lyre, accoudée à un bouclier sur lequel est gravée l’effigie de Théophile.
À l’œuvre chargée et noircie par la pollution, je préfère les mots pétris par Gautier dans un poème justement intitulé L’art extrait de son recueil Émaux et Camées :

« Oui, l’oeuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.

Fi du rythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !

Statuaire, repousse
L’argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l’esprit :

Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;

Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S’accuse
Le trait fier et charmant ;

D’une main délicate
Poursuis dans un filon
D’agate
Le profil d’Apollon.

Peintre, fuis l’aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l’émailleur.

Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;

Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.

Tout passe. – L’art robuste
Seul a l’éternité.
Le buste
Survit à la cité.

Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.

Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.

Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant ! »

On peut comprendre que Baudelaire lui ait dédié ses Fleurs du Mal : « Au poète impeccable ».
De nos jours, la popularité de Théophile Gautier se concentre presque uniquement sur ses romans Le capitaine Fracasse et à un degré moindre, la sulfureuse Mademoiselle de Maupin qui se travestit pour mieux connaître les hommes.
Pourtant, outre ses romans et ses poèmes, ses critiques littéraires et ses récits de voyage étaient fort appréciés.
Sur la pierre, comme une invitation aux visiteurs, sont gravées deux strophes tirées, l’une de La Comédie de la Mort :

« Priez Dieu pour son âme et par des fleurs nouvelles
Remplacez en pleurant les pâles immortelles
Et les bouquets anciens »

L’autre, de son poème Dernière Feuille :

« L’oiseau s’en va la feuille tombe
L’amour s’éteint car c’est l’hiver
Petit oiseau viens sur ma tombe
Chanter quand l’arbre sera vert »

C’est pour bientôt Théophile, le printemps arrive. Chanter et même danser car j’ai découvert que, grand admirateur de la danseuse italienne Carlotta Grisi, il eut l’idée de faire de Giselle, un ballet romantique après avoir lu la légende des Willis, une nouvelle du poète allemand Heinrich Heine, inhumé également au cimetière Montmartre. Il en élabora le livret ce qui justifie que je traverse l’allée Cordier pour me recueillir, non loin de là, devant la stèle de la danseuse étoile Ludmila Tcherina. En effet, dans les années 1950, elle interpréta le rôle de Giselle à la Scala de Milan avec à la baguette, le chef d’orchestre Toscanini, ainsi qu’au théâtre Bolchoï de Moscou.

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Il était un temps déjà lointain où l’on pouvait admirer à la télévision ses entrechats dans des émissions populaires en début de soirée. Je me souviens d’elle composant une très belle Antinéa dans L’Atlantide ou encore une Salomé revue par Maurice Béjart . Aujourd’hui, audimat oblige, on préfère voir en « prime time » M. Pokora et Philippe Candeloro danser avec les stars …
Ludmila délaissa ses chaussons de ballerine pour entamer une carrière cinématographique. Ainsi, tiens donc, elle interpréta aussi Marguerite Gautier, non ce n’est pas la femme de Théophile, encore moins la femme de Nestor, ni même la femme d’Hector ! Vous n’avez toujours pas trouvé ?
Dans la seconde partie de sa vie, Ludmila poursuivit avec un indéniable talent sa quête artistique dans la sculpture et la peinture. Une de ses œuvres, Europe à cœur, fut choisie comme symbole de l’Europe unie et trône sur le parvis du Parlement européen à Strasbourg. Une réplique en résine surmonte sa tombe.

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DSC_2343.JPG Escalier cimetière

« Un pied sur le trottoir
Et l’autre qui brise une vitre
Ça forme un angle bizarre
Je trouve ça plutôt chic
Nijinski ... »

Je ne me livre certes pas à telle acrobatie dans l’allée Samson, mais ce couplet d’une vieille chanson de Daniel Darc me revient en tête tandis que je me dirige vers la tombe du légendaire danseur russe. Vaslav Nijinski m’attend, méditant assis sur sa propre stèle. Pour la circonstance, il a revêtu son costume de Petrouchka, le célèbre ballet créé en 1911 au théâtre du Châtelet sur une musique d’Igor Stravinsky.

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Peut-être, cet après-midi, pense-t-il au Spectre de la Rose, un poème de son proche voisin dans l’éternité, Théophile Gautier, encore lui, dont il s’inspira pour un ballet :

« ... Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
À ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j’arrive du paradis.

Mon destin fut digne d’envie :
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Écrivit : Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser. »

Le ballet adapté de ce poème marqua une véritable révolution dans la chorégraphie de couple en donnant au danseur autant d’importance que la ballerine.
Sa création avant-gardiste de L’après-midi d’un faune avec l’évocation d’un orgasme fit scandale en son temps : « Un faune inconvenant, avec de vils mouvements de bestialité érotique et des gestes de lourde impudeur ».
La limite entre le génie et la folie est parfois fragile. Nijinski erra entre asiles et hôpitaux durant plus de trente ans, soit la moitié de sa vie. Mais il demeure le maître (de ballet) étalon pour ce qui est de la grâce et de la virtuosité.
Dans la famille Bourreau, je cherche maintenant un bourreau des cœurs ! Je le trouve à la division 21 avec le cinéaste François Truffaut, le réalisateur de L’homme qui aimait les femmes et de La femme d’à-côté. En la circonstance, Dominique Laffin, la personne qui repose dans le caveau voisin, était une fort jolie actrice décédée prématurément à l’âge de trente-trois ans. Sa filmographie cependant riche montre son goût marqué pour un cinéma d’auteur. Elle tourna, excusez du peu, avec Claude Miller, Marco Ferreri, Jacques Doillon, Christine Pascal, Catherine Breillat, Robert Enrico et Claude Sautet. Elle est la maman de la femme politique Clémentine Autain, et son compagnon le chanteur Yvan Dautin sembla, au début des années 1970, un digne héritier de Boby Lapointe. Je m’amusais de son succès fétiche La méduse :

« La méduse de la plage de Saint-Malo
Fait du vélo sur la plage à Saint-Malo
Les coquillages et les crustacés
En ont assez de se faire écraser

Sous les rayons d’un vélo majuscule
Et d’une méduse qui vous tentacule
Ouille, ouille, ouille !
C’est là qu’il faut pas s’en méli-mélo les pinceaux
Dans la chaîne de vélo… »

Mais retour à « l’homme qui aimait les femmes » : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant équilibre et harmonie. » Il fut amoureux de quasiment toutes les actrices vedettes de ses films. Ainsi notamment, avant de se désister au dernier moment, Truffaut demanda la main de Claude Jade, celle qu’il surnomma « la petite fiancée du cinéma français » et qu’il fit jouer dans Baisers volés, Domicile conjugal et L’amour en fuite, des titres très signifiants. Il acheva sa vie en compagnie de Fanny Ardant, la vedette de La femme d’à côté, dont il eut une fille. Qui ne se souvient pas aussi de Jeanne Moreau dans Jules et Jim, Isabelle Adjani dans L’histoire d’Adèle H, de Catherine Deneuve dans Le dernier métro et La sirène du Mississipi, de sa sœur Françoise Dorléc dans La peau douce, de Nathalie Baye et Jacqueline Bisset dans La nuit américaine, de Marie-France Pisier et de Bernadette Lafont. Que des beaux lots, aurait dit Serge Gainsbarre !!!
Mais plus que le séducteur compulsif, il faut se souvenir que ce gamin turbulent de Pigalle où il fit Les 400 coups dans son adolescence appartient au groupe de critiques des Cahiers du Cinéma qui créèrent la Nouvelle Vague à la fin des années 1950.
J’ai évoqué récemment (billet du 1er mars 2012 Silence, on tourne ! … et on lit !) l’autre enfant terrible de ce mouvement cinématographique, Jean-Luc Godard, à travers sa relation amoureuse avec Anne Wiazemsky, la petite-fille de François Mauriac. Comme Anquetil et Poulidor à la même époque, Truffaut et Godard, c’était une histoire française, un divorce à la française aussi, qui marqua ma jeunesse. Choisir entre les deux relève de la philosophie et de l’esthétisme. Certains affirment même aujourd’hui par une jolie pirouette : « Ils sont morts tous les deux, mais il y en a un qui ne le sait pas » !
Beaucoup de leurs films figurent dans ma vidéothèque et le Hitchcock/Truffaut ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock constitue un de mes livres de chevet depuis fort longtemps.
Pour tous ces souvenirs, ma présence quelques instants devant le marbre noir et nu de la tombe me procure peut-être la plus forte émotion de ma promenade.

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Un peu plus tard, je m’arrête devant la tombe d’Henri-Georges Clouzot, réalisateur représentatif d’un certain cinéma classique dit « de qualité française », celui que rejetaient justement les tenants de la Nouvelle Vague. Tant qu’il ne s’agit que d’art en général et du septième en particulier, les combats idéologiques sont riches encore que …
Clouzot peut s’enorgueillir d’être le seul cinéaste avec Michelangelo Antonioni et Robert Altman, à avoir raflé les récompenses suprêmes des trois plus grands festivals européens, le Lion d’or de la Mostra de Venise, la Palme d’or de Cannes et l’Ours d’or de Berlin.
Fidèles téléspectateurs des ciné-clubs, vous avez vu et même revu les grands classiques que sont L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le salaire de la peur, Les Diaboliques et La Vérité.
Malgré le plan fourni par un des gardiens du cimetière, j’ai quelque difficulté à repérer, non loin de là, la tombe de Louis Jouvet, l’inspecteur Antoine du Quai des Orfèvres. Une dame s’affairant devant un caveau familial ignore même que l’immense acteur et metteur en scène de théâtre repose à quelques pas d’elle dans l’anonymat sous une pierre très banale et quasi abandonnée.

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Grandeur puis décadence dans la mort qu’il connut au cours d’une répétition de la pièce La Puissance et la Gloire de Graham Greene dans son théâtre de l’Athénée.
Louis Jouvet est heureusement bien vivant dans le cœur de ses admirateurs. Qui n’a pas entendu au moins une fois ses plus fameuses répliques de sa diction syncopée ! Rappelez-vous le docteur Knock : « Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? … Est-ce que ça ne vous gratouille pas bien davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ? » Et aussi, le cher cousin dans Drôle de drame : « Moi, j’ai dit bizarre, bizarre ? Comme c’est étrange … Moi, j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! » Ou encore avec Arletty dans Hôtel du Nord : « J’ai besoin de changer d’atmosphère et mon atmosphère, c’est toi ... »
Moi aussi, je change d’atmosphère avec en contrebas, la tombe de Jean-Claude Brialy. Il appartient à cette génération d’acteurs issue de la Nouvelle Vague. Sa notoriété naquit avec trois films de Claude Chabrol, Le beau Serge, Les Cousins et Les Godelureaux. Son image de beau jeune premier, comme on disait à l’époque, charmeur et vif d’esprit lui valut beaucoup de succès. Il faisait partie de ces grands seconds rôles qui, pour des raisons économiques et médiatiques, ont presque disparu dans le cinéma français d’aujourd’hui.

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Il s’exerça aussi à la réalisation et j’ai un tendre souvenir pour Églantine, une comédie autobiographique au charme suranné dans laquelle il évoquait son enfance auprès d’une adorable grand-mère.
N’ayant jamais oublié les cours du conservatoire d’art dramatique de sa jeunesse, il mena parallèlement au cinéma, une carrière de comédien et de directeur de théâtre.
Cultivant une image de dandy mondain, il aimait citer les répliques les plus savoureuses du cinéma et les pensées les plus drôles des acteurs, dont il fit deux anthologies. Il ne pouvait donc pas trouver meilleure voisine dans le sarcophage à côté, qu’Alphonsine Plessis, célèbre courtisane qui tenait salon au dix-neuvième siècle.

DSC_2364.JPG La dame aux camélias

Ils se connaissent même fort bien car Jean-Claude réalisa lui aussi pour la télévision, la vie de Marguerite Gautier précisément inspirée de celle d’Alphonsine. Encore elle ?
Pour ceux d’entre vous, chers lecteurs, que je commence à agacer, il est temps que je me dirige vers le gisant de ce bâtard d’Alexandre Dumas fils de son père, l’auteur des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo, et de sa voisine de palier, Catherine Laure Labey.

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Très marqué par son enfance douloureuse en pension et son illégitimité, il régla ses comptes dans deux pièces de théâtre, Le fils naturel et Un père prodigue.
Mais le roman de sa vie, c’est d’avoir écrit l’histoire d’amour d’une courtisane atteinte de phtisie, Marguerite Gautier, avec un jeune bourgeois, Armand Duval.
« N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter. » Alors donc, Alexandre s’est inspiré de ses propres relations avec sa maîtresse Marie Duplessis.
Vous avez enfin trouvé ? Oui, Alphonsine Plessis, Marie Duplessis son pseudonyme, et Marguerite Gautier, c’est la même Dame aux camélias.
Le roman a été adapté de nombreuses fois au cinéma et au théâtre et a même inspiré à Verdi son opéra La Traviata. Il attribue à Marguerite, la dame aux camélias, le nom de Violette Valery. Une histoire de fleurs !
De Sarah Bernhardt à Isabelle Huppert en passant par Greta Garbo, les plus grandes actrices ont incarné la célèbre courtisane qui ne sortait jamais sans un bouquet de camélias à la main.
Au portrait qu’en brosse Alexandre, elle était d’une beauté fatale : « Dans un ovale d’une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d’un arc si pur qu’il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu’ils s’abaissaient, jetaient de l’ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel … ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s’ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches ... »
On comprend que le pianiste compositeur hongrois Franz Liszt, amant du modèle original, ait pu déclarer : « Lorsque je pense à la pauvre Marie Duplessis, la corde mystérieuse d’une élégie antique résonne dans mon cœur. »
Émile Zola était-il jaloux, toujours est-il qu’il accusa (il accusait beaucoup !) Alexandre Dumas fils d’être « un écrivain extrêmement surfait, de style médiocre et de conception rapetissée par les plus étranges théories. J’estime que la postérité lui sera dure ». Un jugement qui dut faire se retourner Alexandre dans sa tombe. De là à penser que la tombe de Zola n’est plus qu’un cénotaphe à l’entrée du cimetière par crainte de représailles posthumes …

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Vous savez bien que les cendres d’Émile Zola décédé dans des conditions suspectes (voir billet du 1er mars 2012) furent transférées au Panthéon en 1908 suite à une décision prise par la Chambre des députés à la suite d’un long débat dont voici quelques joutes oratoires :
« M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant ouverture au ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, sur l’exercice 1908, d’un crédit extraordinaire de 35 000 fr. pour la translation des cendres d’Émile Zola au Panthéon.
La parole est à M. Maurice Barrès dans la discussion générale.
M. Maurice Barrès. Messieurs, on nous demande 35 000 francs pour porter Zola au Panthéon. Je crois que nous n’aurons jamais une meilleure occasion de faire des économies. (Exclamations à l’extrême gauche et à gauche. – Applaudissements et rires à droite.)
Je demande au Parlement de vouloir bien me laisser exposer mes raisons. Je sais que c’est une question irritante ; mais enfin c’est le droit et l’honneur de chacun de nous d’apporter ici avec netteté ses opinions. Ma position n’est pas incertaine : je ne suis pas dreyfusard et j’ai défendu à cette tribune le général Mercier. Toutefois je n’ai pas l’idée de passionner la question. Je laisserai de côté l’affaire Dreyfus ; je m’occuperai simplement de Zola, de ses œuvres et de l’ensemble de ses mérites. (Applaudissements à droite. – Rumeurs à l’extrême gauche.)
M. Antide Boyer. Ce que vous dites là n’est pas généreux !
M. Allemane. Il a failli être votre collègue à l’Académie.
M. Normand. C’est un écrivain français qui parle contre un autre.
M. Maurice Barrès. C’est entendu, vous avez triomphé dans cette affaire… À l’extrême gauche. C’est la justice et la vérité qui ont triomphé !
M. Gauthier (de Clagny). Ne vous passionnez pas ! Dreyfus ne peut plus rien pour vous ! (Très bien ! très bien ! à droite. – Rumeurs à gauche.)
M. Maurice Barrès. … et, comme il arrive à la suite de toutes les victoires, il vous plaît d’organiser de grandes cérémonies populaires, des jeux, des fêtes, des cérémonies ostentatoires.
M. Allemane. Et la marche de l’armée !
M. Maurice Barrès. Cela s’est fait après Austerlitz, après Iéna, après Solférino. Vous êtes dans une tradition. Mais je vous prie de considérer que vous ne pouvez pas être simplement des partisans qui se réjouissent de leur succès ; vous êtes aussi des hommes politiques et, en portant Émile Zola au Panthéon, vous accomplirez un acte qui a des conséquences politiques et sociales que nous devons examiner ensemble. (Bruit à l’extrême gauche.)
M. Allemane. On en a porté d’autres au Panthéon !
M. Maurice Barrès. L’homme que vous allez canoniser (Exclamations à l’extrême gauche. – Applaudissements et rires sur divers bancs au centre et à droite) a consacré sa carrière à peindre dans de vastes fresques les diverses classes de notre nation. Il a décrit, dans la Terre, le paysan : dans l’Assommoir, l’ouvrier ; dans le Bonheur des dames, l’employé de magasin ; dans Pot-Bouille, le bourgeois, et, dans la Débâcle, le soldat.
Ces vastes panoramas, exécutés en trompe-l’oeil, ont la prétention de nous donner la vérité ; ils sont au contraire, par abus du pittoresque, mensongers et calomnieux. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.) Quel mal ils nous ont fait hors de France ! Il faut avoir passé à l’étranger pour connaître la difficulté qu’éprouvent nos amis à défendre la réputation de nos moeurs. (Très bien ! très bien ! à droite.) L’œuvre de Zola a servi dans le monde entier à méconnaître les vertus de notre société et il est très dangereux que, par la solennelle manifestation que vous préparez, vous sembliez mettre votre signature, votre signature officielle, nationale, au bas de ces calomnies. (Très bien ! très bien ! à droite.) Il faut faire attention que vous semblez, en glorifiant Zola, dire publiquement et très haut : « Gloire à Zola ! Nous reconnaissons nos électeurs dans la série de ses canailles. » (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre. – Vives interruptions à gauche.) »
Un peu de tenue messieurs, nous sommes dans un cimetière !
Le magnétisme qui électrisait les amants de la dame aux camélias n’a aucun rapport avec celui qui traverse le bonhomme d’Ampère ! Encore que pour établir la fameuse règle, on l’oblige à se coucher sur le conducteur, les yeux dirigés vers une aiguille aimant(é)e tandis que le courant le parcourt des pieds vers la tête ! En plus, le pauvre homme pour nourrir sa f.e.m (force électromagnétique) et ses gauss est obligé de faire pousser des racines carrées dans un champ magnétique !!!

Ampereblog

Le mathématicien et physicien André-Marie Ampère, enterré ici avec son fils Jean-Jacques Antoine, inventa le premier télégraphe électrique, le galvanomètre et avec Arago, l’électroaimant. Lorsque, au sens propre, vous pétez un plomb et changez un fusible, vous employez son nom qui constitue l’unité internationale de l’intensité du courant électrique.
Comme au Père-Lachaise, le cimetière Montmartre est prétexte à une balade musicale. Il y en a même pour tous les goûts : après celle de la reine du disco avec Dalida, la tombe de Michel Berger, « l’homme qui jouait du piano debout », et de sa fille Pauline qu’il eut avec France Gall, est sans doute la plus fleurie. Beaucoup de ses chansons ainsi que les succès de la comédie musicale Starmania passent très régulièrement sur les ondes.

Michel-Bergerblog

À quelques pas, en descendant l’avenue Travot, quelques mots écrits sur une guitare : « Quelques vents lunaires t’ont emporté gratter sur une étoile … » en hommage à Fred Chichin, le musicien et interprète du duo pop-rock Les Rita Mitsouko.

« …Ta chère odeur a disparu
Bien que mon âme l’ait retenue
Bien que mon âme ait ton parfum
Et tu me tiens

Si tu n’étais pas mort
Je serais avec toi
On marcherait dehors
Et puis on rentrerait

Si tu étais vivant
On serait bien ensemble
On irait de l’avant
C’est beau comme on s’aimerait

Au fond de moi
Oui, c’est bien toi
Encore toi
Qui me fait rire

Là ! Ton regard
Est dans mes yeux
Oui c’est ta flamme
Et je suis deux »

Récemment, Catherine Ringer, en souvenir de son compagnon, a posé ces superbes mots sur le thème du troisième mouvement de la cinquième symphonie de Mahler, celui-là même qu’on entend dans le film Mort à Venise de Luchino Visconti.
Mort à Montmartre, cela aurait pu être le titre d’une étude du musicien Fernando Sor dont la sculpture en pierre surgit dans la courbe de l’allée.

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Triste Sor(t) que celui réservé à ce guitariste et compositeur espagnol : il appartient à cette première vague de réfugiés espagnols qui s’exilèrent en France en 1813 suite à la défaite du roi d’Espagne Joseph Napoléon, le frère aîné de Napoléon Bonaparte.
Sa Méthode pour la guitare connut une grande popularité et, à l’inverse de certains recommandant l’usage des ongles pour obtenir un jeu rapide, il prônait l’utilisation de la pulpe des doigts.
La fin de sa vie fut douloureuse avec de cruels deuils familiaux. Il fut enterré anonymement ici en 1839 et ce n’est qu’un siècle plus tard que sa tombe fut identifiée et qu’une statue fut érigée.
Plus récemment, Fernando Sor fut parfois un peu négligé artistiquement par le grand public qui retenait surtout le nom de l’interprète privilégié de sa musique, Narciso Yepes, un autre grand guitariste espagnol. À tel point même que la célèbre romance du film Jeux interdits a été longtemps attribuée à Yepes jusqu’à ce que la découverte d’un manuscrit en accorde la probable paternité à Sor.
Pour l’anecdote, certains se souviennent peut-être que l’humoriste Raymond Devos nous livrait ses déboires conjugaux dans son sketch « J’ai des doutes » tout en grattant sur sa guitare la cinquième étude de Sor.
Après la mélancolie ibérique, la Gaîté parisienne avec Jacques Offenbach !

Offenbachblog

Encore qu’on entretienne souvent la confusion en l’associant abusivement au Moulin Rouge et au French Cancan ! Offenbach est mort neuf ans avant l’ouverture du célèbre cabaret tout proche de là, et on dansait déjà le cancan alors qu’il n’était encore qu’un gamin.
Cela dit, aux grandes heures du Moulin Rouge, à la fin du dix-neuvième siècle, à l’époque de la Goulue et de Valentin le Désossé, on dansait sur la musique d’Offenbach, en particulier sur le fameux Galop infernal d’Orphée aux enfers.
On désignait au dix-huitième siècle comme opéra bouffon, un genre d’opéra traitant d’un sujet comique. C’est Offenbach qui créa l’appellation d’opéra bouffe lorsqu’il prit la direction du théâtre des Bouffes-Parisiens en 1855.
N’y voyez donc aucun lien avec quelconque nourriture même si, coïncidence, fut présentée pour la première fois en 1859 dans ce même théâtre … L’Omelette à la Follembuche, une opérette en un acte, écrite par Eugène Labiche et Marc Michel sur une musique de Léo Delibes dont je découvre maintenant la chapelle.

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« Flic, flac, floc, battons-là de taille l’omelette à la folle embûche, chantons tous en bloc plume de paon ! crête de coq ! œil de perdrix ! bec de perruche !... »
Son ballet Coppelia ou la fille aux yeux d’émail, et son opéra Lakmé connaissent toujours autant de succès, cent cinquante après. J’y ajoute son opéra bouffe La cour du roi Pétaud vu la confusion et le désordre qui règnent en cette période préélectorale !
Vous souvenez-vous de Jean Barniaud dit Jean Daurand ? Ceux de ma génération sûrement, du moins sous le pseudonyme de son plus grand rôle d’acteur. C’était au temps de la seule chaîne en noir et blanc de l’ORTF. Je fais le malin car le marbre révèle son image.

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« Bon Dieu ! Mais c’est bien sûr ! » c’est l’inspecteur Dupuy, le fidèle adjoint du commissaire Bourrel alias Raymond Souplex dans l’émission policière Les Cinq Dernières minutes. J’ai encore en tête Arsenic blues, le morceau à la trompette du générique. Écoutez-en quelques secondes :

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Ça me donne la chair de poule, non pas par peur, mais pour l’émotion nostalgique qui s’en dégage.
Jean Daurand faisait partie de ces seconds rôles évoqués plus haut. Dans sa longue filmographie, le plus marquant est sans doute l’inspecteur Picard de Quai des Orfèvres aux côtés de Louis Jouvet, Suzy Delair, Bernard Blier, Charles Dullin, Jeanne Fusier-Gir, Pierre Larquey, Raymond Bussières, Robert Dalban, Annette Poivre … Quelle distribution !
Le facteur (d’instruments) sonne toujours deux fois !

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Une plaque sur le mur d’une chapelle me révèle que le saxophone tient son nom de son inventeur Adolphe Sax, un belge né à Dinant en 1814 qui s’installa à Paris, rue Saint-Georges, dans le IXème arrondissement. Il y ouvrit une fabrique d’instruments de musique.
La petite histoire raconte que le vacarme des cuivres dans l’atelier insupportait tellement les frères Goncourt, voisins d’immeuble, qu’ils émigrèrent dans un autre quartier. Ils se sont retrouvés ici dans la tranquillité de la nécropole.
Déjà, Sax apporta des modifications importantes concernant notamment la clarinette basse puis des améliorations sur les bugles à touches popularisés sous le nom de cors de Sax ou saxhorn.
Cela fit alors le bonheur des ensembles militaires et, aujourd’hui, des fanfares et bandas.
Je pense à l’entraînante Pasarella de Nino Rota dans la sublime parade à la fin du film Huit et demi de Fellini. Vive les clowns ! Vive le cirque, « un rond de paradis dans un monde dur et dément » comme disait Annie Fratellini, la première femme à jouer l’auguste. Elle repose un peu plus bas.

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C’est l’occasion de saluer son mari Pierre Étaix, toujours vivant, un clown, cinéaste, dessinateur, magicien, gagman, dans la lignée des plus grands, Buster Keaton, Charlie Chaplin et Jacques Tati.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le saxo sans jamais oser le demander ! Adolphe Sax dépose son brevet d’invention du futur saxophone en 1846 en précisant ses intentions de créer « un instrument à vent qui par le caractère de sa voix pût se rapprocher des instruments à cordes, mais qui possédât plus de force et d’intensité que ces derniers ».
Fécond, il conçoit une famille nombreuse, soprano, alto, ténor et baryton … Sous le charme, Hector Berlioz compose Chant sacré pour sextuor à vent, la toute première œuvre avec saxophone : « Monsieur Sax a créé un délicieux instrument de cuivre, à bec de clarinette, dont le timbre est nouveau, qui se prête aux nuances les plus fines, aux plus vaporeux effets de la demi-teinte, comme aux majestueux accents du style religieux ». Il paraît que lors de la création de cet hymne, Adolphe lui-même assurait la partie de saxo avec un prototype dont certaines clefs ne tenaient qu’avec des ficelles.
Le saxophone va définitivement connaître la consécration en entrant dans l’histoire du jazz au début du vingtième siècle. Avec notamment, Coleman Hawkins, Lester Young, Charlie Parker, Sonny Rollins, John Coltrane, Ornette Coleman, l’instrument d’un obscur belge acquiert une dimension planétaire. Comme un symbole, il revient d’outre-atlantique en 1928 avec Un américain à Paris, l’œuvre symphonique de George Gershwin. Le compositeur américain lui accorde aussi une place de choix dans sa Rhapsody in Blue dont Woody Allen reprend l’air célèbre en ouvrant son film sur les plans de la ville de Manhattan.
J’ai une pensée encore pour Clarence Clemons, le si charismatique saxophoniste du E Street Band, l’orchestre de Bruce Springsteen. Bien que décédé l’été dernier, il sera omniprésent dans tous les cœurs des fans du Boss lors de son concert à Bercy en juillet prochain. J’y serai !
En remontant la contre-allée, le long du mur d’enceinte, je doute quelques secondes que sous la modeste chapelle de la famille de Gas, repose le peintre des danseuses, des modistes, des champs de courses et des cafés, Edgar Degas, l’un des maîtres de l’impressionnisme, même si on lui accorde une place à la marge du mouvement. C’est bien son portrait pourtant qui est gravé sur la porte du monument.

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Quel contraste entre la confidentialité de l’endroit et les files d’attente devant le musée d’Orsay pour le « porter aux nus » ou plutôt ses femmes déshabillées car elles se dévêtent pour des occupations banales comme se laver ou se coiffer!
Sans établir un lien de parenté picturale avec les artistes du dimanche qui exposent leurs toiles sur la place du Tertre, Degas est un vrai peintre de Montmartre. Il vécut dans le quartier entre Pigalle et Blanche. Paul Valéry qui lui rendait parfois visite à son atelier rue Victor Massé, écrivit : « Il m’admettait dans une pièce longue, sous les toits, à large baie vitrée (de vitres peu lavées), où la lumière et la poussière étaient heureuses. Là, s’entassaient le tub, la baignoire de zinc terne, les peignoirs sans fraîcheur, la danseuse de cire au tutu de vraie gaze, dans sa cage de verre et les chevalets chargées de créatures du fusain, camuses torses, le peigne au poing, autour de leur épaisse chevelure roidie par l’autre main … Il avait pendu aux murs les oeuvres qu’il préférait, de lui-même ou d’autrui: un grand et très beau Corot, des crayons d’Ingres et une certaine étude de danseuse qui excitait chaque fois mon envie. »
Fils d’une grande famille noble de banquiers, aisée et cultivée, il n’avait pas besoin de vendre ses tableaux pour vivre.
Ma curiosité gourmande m’incite maintenant à chercher la tombe du bien mal nommé Marie-Antoine Carême. Dans mon billet du 27 décembre 2011 À s‘en lécher les babines avec Mistress Chef, j’avais déjà évoqué cette grande figure de la cuisine française. La pierre en atteste, diverses associations de cuisiniers de Paris, de restaurateurs, sommeliers et pâtissiers de la Seine assurent la conservation de la sépulture du « roi des chefs et chef des rois ».

DSC_2332.JPG Marie-Antoine Carême

Passionné d’architecture, il s’en inspirait pour donner à ses pièces montées et ses buffets, des formes de temples, pyramides ou ruines antiques.
Cuisinant au charbon de bois, j’ai lu qu’il était mort en 1848 pour avoir inhalé durant des années de grandes quantités de fumées toxiques.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages culinaires de référence dont, notamment, L’Art de la cuisine au XIXe siècle ou traité élémentaire des bouillons en gras et en maigre, des essences, fumets, des potages français et étrangers, grosses pièces de poisson, des grandes et petites sauces, des ragoûts et des garnitures, grosse pièces de boucherie, de jambon, de volaille et de gibier, suivi des dissertations culinaires et gastronomiques utiles au progrès de cet art.
Ça me met l’eau à la bouche. Que diriez-vous d’un petit gratin dauphinois ? Comprenez, rendre visite à deux hommes illustres du département de l’Isère, Hector Berlioz et Henri Beyle dit Stendhal.

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Cela dit, il semblerait que les deux « pays » se faisaient une véritable conduite de Grenoble ! Ainsi, Berlioz, qui a aperçu Stendhal à Rome, en parle dans ses Mémoires :
« Et ce petit homme, au ventre arrondi, au sourire malicieux qui veut avoir l’air grave ?
– C’est un homme d’esprit, qui écrit sur le arts d’imagination, c’est le consul de Civita-Vecchia, qui s’est cru obligé par la fashion de quitter son poste sur la Méditerranée, pour venir se balancer en calèche autour de la place de Navone ; il médite en ce moment quelque nouveau chapitre pour son roman Le Rouge et le Noir ».
Leur désaccord se cristallisa (Stendhal cristallisait beaucoup !) notamment sur Rossini. Tandis que Stendhal le louait dans sa Vie de Rossini, Berlioz menait une guerre active contre le culte du compositeur italien. Ils auraient pu se réconcilier autour d’une table car Rossini, longtemps inhumé au Père-Lachaise avant d’être transféré à Florence, était un gastronome émérite et donnait à ses pages culinaires, le nom de certains de ses opéras, ainsi les bouchées de la Pie voleuse et la tarte Guillaume Tell. Par contre, le tournedos ne lui appartiendrait pas.
Je joue les médiateurs : 1830, c’est l’année de la bataille d’Hernani, de la création de La Symphonie Fantastique et de la sortie du Rouge et le Noir. Vivent les Romantiques (bis) !
L’heure de la fermeture du cimetière approche. Je presse le pas, le temps encore de rencontrer quelques grandes figures du théâtre français.

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Des auteurs d’abord avec Eugène Labiche et Georges Feydeau, il ne manque que Courteline pour réunir les trois maîtres du vaudeville, toujours à la mode un siècle plus tard. Des pièces de Feydeau comme Le dindon, Occupe-toi d’Amélie, Mais n’te promène donc pas toute nue, La dame de chez Maxim’s, sont jouées régulièrement. Le Fil à la patte est mise en scène actuellement à la Comédie Française par Jérôme Deschamps, le créateur de la savoureuse famille des Deschiens. Le regard féroce que portait là Feydeau sur une société essentiellement mue par l’argent et la finance, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Le voyage de M. Perrichon et Un chapeau de paille d’Italie, deux des 174 œuvres écrites par son aîné Eugène Labiche, connaissent toujours du succès. « Les hommes ne s’attachent point à nous en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu’ils nous rendent ». Lui aussi, il sut décrire le rôle de l’argent sous le Second Empire et le règne d’un autre « petit Napo » ! On lui mégote parfois son talent en lui reprochant de s’être entouré de collaborateurs pour écrire la presque totalité de ses pièces.
Des acteurs ensuite avec Jacques Charon et Pierre Dux ! J’ai eu le bonheur de les voir en chair et en os sur scène.
Je garde un souvenir ébloui de Pierre Dux et Ludmila Mikaël dans La trilogie de la villégiature de Goldoni, mise en scène par Giorgio Strehler, au théâtre de l’Odéon ! Cinq heures, oui cinq heures, de pur bonheur !
Mes parents m’emmenèrent à la Comédie Française avec les autres élèves du collège qu’ils dirigeaient, assister aux Fourberies de Scapin avec une mise en scène de Jacques Charon. En ce temps-là, en voyage scolaire, on ne visitait pas Disneyland !
Je me rappelle aussi des grandes heures de la télévision et les nombreuses prestations vaudevillesques de Jacques Charon dans Au théâtre ce soir.
Je ne saurais achever ma promenade sans évoquer la statuaire de quelques monuments hors normes du cimetière. Ainsi, la copie en bronze du Moïse de Michel Ange sculpté pour le monument funéraire de Jules II à Rome, qui surmonte ici le caveau en marbre de Daniel Iffla.

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Je l’ignorais, mais ce monsieur qui prit par décret impérial le patronyme d’Osiris, fut un grand financier et mécène du dix-neuvième siècle. Et à bien y regarder, même en ces temps de crise, il mériterait à titre exceptionnel, s’il était encore de ce monde, d’échapper à l’imposition à 75 % qu’un des candidats à l’élection présidentielle prévoit d’appliquer aux très grandes fortunes.
En effet, on peut le considérer, précurseur de Coluche, comme le fondateur des premiers restos du cœur car il légua deux millions de francs à la ville de Bordeaux pour créer, ce sont ses mots, « un asile de jour installé sur un bateau où seront reçus des ouvriers âgés et indigents des deux sexes, sans distinction de culte ».
Déshéritant ses nièces dont l’une fricotait avec Claude Debussy, il versa la fortune qui leur était destinée à l’Institut Pasteur.
Passionné par Napoléon Ier, il acheta au domaine de la Malmaison, « la maison de campagne » de Joséphine de Beauharnais et de Bonaparte, puis la restaura et l’offrit à l’État français.
D’origine juive, il subventionna l’édification de plusieurs synagogues.
Il offrit à la ville de Lausanne une statue de Guillaume Tell ainsi qu’à Nancy, la statue équestre de Jeanne d’Arc, réplique de celle de la place des Pyramides à Paris, réalisée par le même sculpteur Emmanuel Frémiet. Pour un problème de taille, Frémiet remplaça le cheval de Paris par celui de Lorraine. Même s’il est délicat de parler de point de détail, il est tout de même savoureux que le Front National ait choisi comme symbole de ralliement pour ses manifestations, une sculpture offerte par un Juif marocain !

JeanBauchetblog

Une autre sculpture imposante attire immédiatement le regard, juste derrière la tombe de Michel Berger. Avec son faux air de penseur de Rodin, l’homme nu qui surmonte le caveau de marbre noir représente, beaucoup plus grand que nature, Jean Bauchet. J’ai connu ce monsieur qui commença comme danseur acrobate avant de faire fortune dans les jeux et les revues. En effet, pendant une vingtaine d’années, il assura avec son épouse la direction du, très renommé alors, casino de Forges-les-Eaux, ma ville natale. C’est ainsi que gamin, je pus croiser à une centaine de mètres de la maison familiale, quelques vedettes accros du jeu comme Omar Shariff, mais aussi notre Johnny pas encore national, main dans la main, avec sa petite fiancée Sylvie Vartan sous la protection de Carlos ! Les yéyés n’étaient pas là pour le concours national des Voix d’or qu’avait pérennisé Jean Bauchet. Plus anecdotiquement, ils allaient incognito manger une omelette (de Follembûche ?) dans un modeste bistrot du coin.
Pour le remercier de son action dans l’essor touristique de la station thermale, la municipalité reconnaissante a donné le nom de Jean Bauchet à son espace culturel.
Parmi ses nombreuses activités, il fut aussi directeur du Casino de Paris et propriétaire du Moulin Rouge, le célèbre cabaret contigu au cimetière, où Louise Weber dite La Goulue avait donné au French Cancan ses lettres de noblesse.

La-Goulueblog

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Après trois heures d’errance, de retour au rond-point à l’entrée du cimetière, je m’intéresse encore aux sépultures de deux journalistes.
D’abord, je fais le tour du gisant de Godefroy Cavaignac, un valeureux journaliste républicain. L’œuvre en bronze est de François Rude, le sculpteur de la fameuse Marseillaise de l’Arc de Triomphe.

Godefroy-Cavaignacblog

En 1830, après les Trois Glorieuses et l’avènement de la Monarchie de Juillet, il rentre comme journaliste au nouveau quotidien Le National.
En 1831, accusé d’avoir fomenté des troubles à Paris lors du procès des ministres de Charles X, il clame au tribunal : « Je le déclare sans affectation comme sans crainte, de cœur et de conviction : Je suis républicain ». Acquitté avec ses coaccusés, il est porté en triomphe par plus de trois mille manifestants.
Il appartient à l’ex-Société (secrète) des Droits de l’Homme, naguère secrète, qui se consacre à entretenir une agitation aussi républicaine que permanente contre la Monarchie de Juillet. Avec notamment, les deux frères Arago, Louis Blanc, Victor Schoelcher, Ledru Rollin, Blanqui, il organise la nuit rouge du 15 avril 1834 au cours de laquelle les habitants d’un immeuble de la rue Transnonain (rue Beaubourg aujourd’hui), d’où est parti un coup de feu, sont massacrés au canon par l’armée. Le caricaturiste Honoré Daumier rapporte dans une célèbre lithographie cette sanglante bavure commandée notamment par Thomas-Robert Bugeaud, celui-là même dont la casquette inspira une chanson très populaire.
Avec 163 autres conjurés, Cavaignac est arrêté et, sans aucun jugement, transféré à la prison de Sainte Pélagie réservée aux politiques. Quelques mois plus tard, Armand Barbès et Godefroy Cavaignac organisent de l’intérieur même de la prison, leur évasion » avec 26 autres détenus de cette geôle parisienne pourtant réputée inviolable !
Mort en 1855, une foule énorme assiste à ses grandioses funérailles nationales organisées par ses amis républicains.

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De l’autre côté du rond-point, en face du gisant de Cavaignac, se dresse fièrement le buste d’une autre grande plume, Victor Henri de Rochefort Luçay.
Après avoir semé sa zone dans le journal satyrique Charivari, il entre au Figaro où il perd sa particule, devenant ainsi Henri Rochefort, puis sa liberté avec une détention à l’île d’Yeu à cause de ses critiques mal perçues par le Second empire !
Son esprit rebelle prend toute sa mesure en mai 68 (1868, je précise !) avec la naissance de son petit livre rouge La Lanterne.

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Resté célèbre, son éditorial dans le premier numéro de l’hebdomadaire débutait ainsi : « La France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement… ». Près de cent cinquante ans plus tard, l’inflation est colossale en ce domaine !
Ses lecteurs, même sous le manteau, se régale de ses aphorismes, ainsi encore celui-ci : « Il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs des peuples : ceux qui s’intéressent à la laine et ceux qui s’intéressent aux gigots. Aucun ne s’intéresse aux moutons ».
Ses articles traitent avec talent de la colonisation, du racisme, de la pauvreté, de la corruption des élites, ce qui démontre, au passage, que pas grand-chose n’a changé sous le soleil du vingt unième siècle.
Censuré, attaqué en justice et sévèrement condamné, Rochefort s’exile en Belgique auprès de Victor Hugo, autre ennemi de Napoléon-le-Petit, où il poursuit sa critique acerbe de l’Empire
De retour, il est élu aux élections législatives de novembre 1869 et crée La Marseillaise, un nouveau quotidien auquel collaborent Jules Vallès et Victor Noir. J’ai évoqué le « destin sulfureux » de ce dernier dans un billet du 28 janvier 2009.
Le 12 janvier 1870, Henri Rochefort met en titre de son éditorial encadré de noir « ASSASSINAT commis par le Prince Pierre-Napoléon Bonaparte sur le citoyen Victor Noir » puis poursuit : « J’ai eu la faiblesse de croire qu’un Bonaparte pouvait être autre chose qu’un assassin ! J’ai osé imaginer qu’un duel loyal était possible dans une famille où le meurtre et le guet-apens sont de tradition et d’usage … et aujourd’hui nous pleurons notre pauvre et cher ami Victor Noir, assassiné par le bandit Pierre-Napoléon Bonaparte. Voilà dix-huit ans que la France est entre les mains ensanglantées de ces coupe-jarrets, qui non contents de mitrailler les Républicains dans les rues, les attirent dans des pièges immondes pour les égorger à domicile. Peuple français, décidément, est-ce que tu ne trouves pas qu’en voilà assez ? » Cet appel à la révolte et à l’émeute est bien plus incendiaire que les petits mots à fleurets mouchetés dont s’offusquent nos candidats à la présidentielle.
Conséquence de ce brûlot, Rochefort est déchu de son immunité parlementaire, puis mis au cachot également à Sainte-Pélagie.
Après la capitulation de Napoléon III à Sedan, et la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Rochefort est libéré le jour même et porté en triomphe jusqu’à l’Hôtel de ville où siège le gouvernement provisoire.
La suite est moins glorieuse. Son attitude équivoque sous la Commune lui vaut d’être livré aux Versaillais et condamné à la déportation à Fort Boyard puis en Nouvelle-Calédonie.
Son retour du bagne en 1880 suscite l’enthousiasme et il reprend son activité de polémiste au journal L’Intransigeant. Il le devient pourtant de moins en moins et sombre progressivement dans des dérives droitières et même extrême droitières en se rapprochant du général Boulanger et en adhérant à la Ligue des Patriotes. Lors de la célèbre affaire, il laisse libre cours à son antisémitisme et mène campagne auprès des antidreyfusards.
On comprend qu’Émile Zola, son voisin d’en face pour l’éternité, ait été soulagé idéologiquement qu’on le sorte du cimetière Montmartre pour l’envoyer au Panthéon !

DSC_2335.JPG Anatole garde-champêtre

Avis à la population de mes lecteurs ! Je ne voulais pas partir d’ici sans évoquer un vrai Montmartrois, un personnage haut en couleurs, Anatole l’ancien garde-champêtre de la commune libre du vieux Montmartre. Je me souviens de lui en uniforme avec son bicorne et son tambour sillonnant les rues de la butte ou ouvrant les défilés des petits Poulbots

Anatole garde-champêtre de Montmartre

Et pour finir ma promenade sur un autre clin d’œil, je fredonne le dernier couplet de la joyeuse ballade des cimetières de Georges Brassens :

« … Ainsi chantait, la mort dans l’âme
Un jeune homm’ de bonne tenue
En train de ranimer la flamme
Du soldat qui lui était connu
Or, il advint qu’le ciel eut marr’ de
L’entendre parler d’ses caveaux
Et Dieu fit signe à la camarde
De l’expédier rue Froidevaux…
Mais les croqu’-morts, qui étaient de Chartres
Funeste erreur de livraison
Menèr’nt sa dépouille à Montmartre
De l’autr’ côté de sa maison. »

Voyez que les morts nous apprennent encore plein de choses lorsqu’on prend le temps de leur rendre visite !
Ce n’est pas tout à fait fini, une petite dernière pour la route ! En sortant, au coin de la place de Clichy, je tombe nez à nez avec une pomme. Non pas celle que le berger Pâris, fils de Priam offrit à Aphrodite, mais la sculpture que le maire de Paris (pas Chirac grand amateur de ce fruit mais Bertrand Delanoë !) a fait ériger en hommage au philosophe Charles Fourier.

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Il n’y a pas que les hommes de droite qui aiment les pommes, Fourier donc, grande figure du socialisme utopique, s’inspira de l’histoire de quatre d’entre elles pour échafauder sa théorie sur le progrès de l’humanité. La pomme cueillie par Ève dans le jardin d’Eden et qu’Adam croqua malgré la recommandation de Dieu, une désobéissance qu’on paye depuis plus de deux mille ans ; la pomme de la discorde offerte par Pâris à Aphrodite et qui entraîna la guerre de Troie ; celle qu’Isaac Newton reçut sur la tête, ne perdant pas ses facultés pour autant, puisqu’il en déduisit la loi de la gravitation universelle ; et enfin, celle que Fourier lui-même vit être payée quatorze sous par un client dans un grand restaurant parisien, alors que le matin même, à Rouen, il en avait acheté une pour le centième de cette somme.
« Je fus si frappé, dit-il, de cette différence de prix entre pays de même température, que je commence à soupçonner un désordre fondamental dans le mécanisme industriel ». Cet écart de prix absolument injustifié lui « révéla la malfaisance des intermédiaires, la féodalité mercantile, l’ampleur de l’imposture commerciale et… le principe de l’attraction des passions humaines qui relient les messages véhiculés par les différentes pommes ». Il condamnait ainsi toute société fondée sur l’échange tarifé et la concurrence.
Vous conservez peut-être un vague souvenir de sa conception du phalanstère, une sorte d’hôtel coopératif pouvant accueillir quatre cents familles au milieu d’un domaine de quatre cents hectares où l’on cultiverait des fleurs et des fruits … dont des pommes évidemment.
À Guise, dans l’Aisne, au cours du dix-neuvième siècle, Jean-Baptiste Godin s’inspira de ce modèle pour créer un familistère, rien à voir avec l’enseigne de distribution qui prenait sa marge sur la vente des pommes !!!
Sur la pierre de la modeste tombe de Fourier, est gravée une de ses pensées, presque en guise de doctrine : « La série distribue les harmonies / Les attractions sont proportionnelles aux destinées. »

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Lisez ce court passage de ses œuvres : « Nations civilisées, vous allez faire un pas de géant dans « la carrière » sociale. En passant immédiatement à l’Harmonie universelle, vous échappez à vingt révolutions qui pouvaient ensanglanter le globe pendant vingt siècles encore, jusqu’à ce que la Théorie des Destinées eût été découverte. Vous ferez un saut de deux mille ans dans la carrière sociale ; sachez en faire un semblable dans la carrière des préjugés. Repoussez les idées de médiocrité, de désirs modérés que vous souffle l’impuissante philosophie. »
Et aussi, cette phrase tirée de sa Théorie des quatre mouvements et des destinées générales : « Ce n’est pas avec de la modération qu’on fait de grandes choses. »
Qu’attend-on? En ce temps d’une campagne électorale sans imagination, quel candidat peut nous donner envie d’une cinquième pomme ? Rêver à l’impossible rêve …
Le destin posthume de Charles Fourier est loin d’être fabuleux. Au-delà de sa tombe dans l’oubli du cimetière Montmartre, sa statue en bronze trônait au commencement du boulevard de Clichy jusqu’à ce qu’en 1942, elle soit déboulonnée et fondue sur ordre des nazis sous l’Occupation. En 1960, un conseiller municipal suggéra de faire disparaître le socle vide en mentionnant odieusement : « Ce serait en effet, la bonne manière de parachever leur travail » ! Finalement, un demi-siècle plus tard, une grosse pomme a été scellée.
Je vous laisse méditer. Moi, un peu fourbu, je passe devant le Moulin Rouge. Ne me demandez pas de faire le grand écart !

Graffitiblog

Publié dans:Almanach |on 1 avril, 2012 |3 Commentaires »

Revoir un Printemps en 2012 ?

J’ai l’habitude de célébrer le printemps lorsqu’il pointe son nez.
Pour ne pas y déroger, j’ai choisi cette année le groupe IAM avec sa chanson (?), du moins son texte, Revoir un printemps. Cela vous surprend, peut-être, que je trempe des mots de rappeurs dans mon encre violette. Ce n’est finalement pas plus incongru que de lire un sonnet de Ronsard sur une tablette numérique. Et puis surtout, l’école de la République a raison d’être fière quand certains de ses élèves issus de l’immigration sont aussi créatifs
Mon choix n’est pas innocent en ces saisons où la notion d’identité française est à géométrie variable et où l’on parle (peut-être) hâtivement de printemps arabe. IAM est un groupe de rap, originaire de Marseille, dont les membres ont notamment comme pseudonymes, Akhenaton, du nom du dixième pharaon de la dix-huitième dynastie, Imhotep, « celui qui vient en paix », personnage historique de l’Égypte antique, et Khephren, une des trois pyramides de Gizeh.
Revoir un printemps est sorti en 2003, après donc le tragique 11 septembre 2001 et le très indigeste 21 avril 2002 ! C’est toujours d’actualité à une quarantaine de jours d’une nouvelle échéance électorale nationale.
C’est cadeau, chers lecteurs, parents et grands-parents de bouts de choux. Le clip est agréable et pour ceux que les accents et les gesticulations des rappeurs agaceraient, je joins les paroles. Cela change, excusez-moi, de l’éclosion des narcisses et du gazouillis des petits oiseaux. Revoir un printemps en 2012 ? C’est mal engagé après la tragédie de Toulouse.

http://www.dailymotion.com/video/xkma1

« Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée.

Revoir le rayon d’lumière, transpercer les nuages,
Après la pluie, la chaleur étouffante assécher la tuile
Revoir encore une fois, l’croissant lunaire embraser la nuit
Embrasser mes anges, quand l’soleil s’noie
Faire du sommeil une terre vierge, converser dehors sous les
Cierges, revoir son sourire au lever quand j’émerge, sur
Au-delà des turpitudes, des dures habitudes de l’hiver
Peut-être mon enveloppe de môme, abrite un coeur d’Gulliver
Revoir les trésors naturels de l’univers, douce ballerine
L’hirondelle fonde son nid dans mes songes, sublime galerie
À ciel ouvert, les djouns rampent à couvert, nous à l’air libre
Mais les pierres horribles, cachent souvent des gemmes superbes
Sous le couvercle
Revoir la terre s’ouvrir, dévoiler la mer
Solitaire dans la chambre, sous la lumière qu’les volets lacèrent
Impatient de l’attendre, c’printemps en décembre, en laissant
Ces mots dans les cendres, de ces années amères

Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée

La patience est un arbre, dont la racine est amère et l’fruit doux
J’aimerais revoir mes premiers pas, mes premiers rendez vous
Quand j’pensais, qu’la vie, pouvait rien nous offrir, à part des sous
Maintenant j’sais qu’ça s’résume pas à ça, et qu’c'est un tout,
L’tout est d’savoir, voir, penser, avancer, foncer
On sait qu’le temps, dans c’monde n’est pas notre allié
J’aimerais revoir, l’instant unique, qu’a fait d’moi un père
Un homme, un mari, on m’aurait dit ça avant, j’aurais pas t’nu l’pari
Normal dans mon cœur, y avait la tempête, les pressions et l’orage
Et pas beaucoup d’monde qui pouvait supporter cette rage
J’aimerais revoir, ces pages, où on apprenait la vie, sans dérapage
L’partage d’l'évolution, à qui j’rends hommage, loin des typhons
J’aimerais revoir, l’premier sourire, d’mon fiston, mon cœur
D’puis c’jour là, j’me sens fier, c’beau gosse, c’est ma grandeur
Un printemps éternel, une source intarissable, plein d’couleurs
C’est l’jardin d’Eden, qui m’protège d’mes douleurs,

Revoir l’époque où y avait qu’des pelés sur le goudron s’arrachant
Autant de printemps répondant à l’appel d’un air innocent
Moins pressé d’aller à l’école pour les cours que pour les potes
S’y trouvant revoir les parties de bille sous le préau se faisant avec acharnement
Tendre moment jalousement gardé comme tous
Avènement d’une jeune pousse que l’on couvre d’amour…..
Pour que rien ne salisse mille fleurs jaillissent
Dès que son sourire m’éclabousse ça m’électrise cette
Racine va devenir chêne massif sève de métisse
Annonçant le renouveau le retour de mes printemps
À travers les siens et construire les siens pour que un jour
Il puisse les revivre à son tour
Comme volant à mon secours ces graines fleurissent
Dans ma tête quand la grisaille
Persiste mur d’images refoulant mes tempêtes
(Voir un printemps superbe à nouveau fleurir)

Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée »

 

Publié dans:Almanach |on 20 mars, 2012 |2 Commentaires »

Bonne année 2012 !

Bonne année 2012

d’après VR KC n°6 de Jean-Denis Robert

C’est parti pour l’ultime année avant la fin du monde à moins que vous ne décidiez de déménager à Bugarach, modeste village de la haute vallée de l’Aude, un des rares lieux prétendument épargnés par l’apocalypse prévue le 21 décembre 2012. C’est du moins, en référence au calendrier maya, la prophétie annoncée par quelques agités du bocal, surprenant effet ésotérique dû, peut-être, à une consommation abusive de blanquette de Limoux, la spécialité locale. Faut-il voir là, non loin de Montségur, une illustration de la cathar(e)sis ?! En tout cas, en ce temps de crise, il y a quelques méridionaux du coin qui ne perdent pas le nord, espérant vendre à des pigeons new age des lopins de terre et des granges délabrées au triple des prix pratiqués.
En France, le Jour de l’An ne fut pas toujours célébré le 1er janvier. S’il avait imaginé de téléporter ses passagers de l’an avant 1564, Michael Crichton, auteur du Parc Jurassique et des Prisonniers du Temps, maître du techno roman à suspense, aurait dû envisager différentes époques ou des éditions régionales pour son probable best-seller. En effet, aux VIe et VIIe siècles, dans de nombreuses provinces, la nouvelle année était célébrée le 1er mars. Sous Charlemagne, l’an neuf commençait à Noël, jour de son sacre à Rome et de la Nativité de Jésus. Du temps des rois Capétiens, l’année débutait à Pâques.
Sous Charles IX dont le triste règne est surtout marqué par le massacre de la Saint- Barthélémy, c’était déjà un peu la chienlit et selon les diocèses, l’année commençait à Noël à Lyon, le 25 mars à Vienne en Isère, à Pâques ailleurs. Jacobin avant l’heure, Charles IX fixa le début de l’année au 1er janvier par l’article 39 de l’édit de Roussillon (Isère) du 9 août 1564 :
« Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privé, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier. Donné à Roussillon, le neufiesme lour d’aoust, l’an de grace mil cinq cens soixante-quatre. Et de notre règne de quatriesme. Ainsi signé le Roy en son Conseil »
Prise de la Bastille oblige, le calendrier républicain ou calendrier révolutionnaire français apparut le 22 septembre 1792, premier jour de l’an IV de l’ère de la liberté. Avouons que Vendémiaire, le mois des vendanges, était une bonne période pour trinquer !
Mais cela ne dura pas et, le 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805), Napoléon abrogea le calendrier républicain et instaura le retour au calendrier grégorien à partir du 1er janvier 1806. Encore heureux que notre petit Napo à nous n’ait pas eu l’idée de signer un nouveau sénatus-consulte la nuit du 6 mai 2007 au Fouquet’s !
Finalement, nous réinventons l’eau tiède et rendons à Jules César ce qui lui appartient puisque vers 46 avant notre ère, il avait décidé que le jour de l’An serait le 1er janvier dédié à Janus dieu païen des portes, des passages et des commencements. Faut-il trouver là une explication aux étrennes versées au personnel de maison, aux gardiens et aux concierges ?
En ce changement d’année, dans la Rome antique, on s’échangeait des pièces et des médailles, une tradition qui perdure dans les étrennes remises aux enfants. Avant que le pâté Hénaff et le mousseux ne succèdent, pour cause de crise, au foie gras et au champagne lors des réveillons des ex pays développés, il est encore quelques habitudes festives dans les pays de la vieille Europe.
Ainsi, à Rome et à Naples, le soir du 31 décembre, la tradition veut qu’on jette par la fenêtre de vieux objets, symboles de l’année terminée, aux risques et périls des passants en goguette en cette nuit de la saint Sylvestre, et au désespoir des éboueurs. Les Italiens ont coutume aussi de manger des plats à base de graines comme les lentilles, supposés apporter richesse et abondance. Ayant sacrifié à la tradition chez des amis, j’ai plutôt constaté une baisse de ma retraite.
En Belgique, dans la province de Liège, on a l’habitude de manger de la choucroute en famille, avec une pièce sous l’assiette ou dans la main ou dans la poche pour avoir de l’argent pendant toute l’année. Coluche aurait dit que c’était bien une idée de Belges et qu’il aurait mieux valu qu’ils placent leur euro dans un coffre suisse !
En Russie, on boit du champagne sous les 12 coups de minuit et après le 12ème coup, on ouvre la porte ou la fenêtre pour que le nouvel an entre dans la maison. Brrrr, pourtant ça caille là-bas à cette époque, pas étonnant que la Place Rouge soit vide !
Nos voisins ibériques mangent un grain de raisin à chacun des douze coups de minuit et les femmes s’offrent des sous-vêtements rouges en gage de prospérité … à moins que cela soit pour aiguiser la libido de leur « petit taureau », celui que Nougaro fait entrer dans la reine des abeilles !
Pour rester dans l’esprit de la tauromachie, qu’une corrida de la Saint Sylvestre se déroulât, chaque année, à Sao Paulo, me rendait perplexe quand j’étais gamin. Mon père m’expliqua que cela n’avait rien à voir avec les manifestations taurines, et consistait en une célèbre course à pied disputée dans les rues de la cité brésilienne.

 

Bonne année 2012 ! dans Almanach affichejourdefete19493copie1

 

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À revoir mes souhaits de bonne année depuis la création de mon blog, je constate que, de manière prémonitoire, ils possédaient malheureusement une bonne dose de perspicacité. En 2008, année bissextile, j’espérais 366 jours de fête, en 2009, la pente fut raide pas seulement pour les vététistes, en 2010, la bécane du facteur cher à Jacques Tati était en piteux état, quant à l’année 2011, j’aspirais déjà à la suivante … Pas sûr cependant qu’il faille en faire un fromage, suivez mon regard vers la gauche … de l’échiquier politique !
En tout cas, s’il est un endroit où je ne me sens pas trop mal, c’est ici sur mon blog, encore qu’il affronte quelques coups de vent depuis quelques semaines avec la « modernisation » de la plate-forme du serveur d’hébergement. Veuillez m’excuser de trouver porte close de temps en temps. Je sais que vous me pardonnez puisque, très prochainement, le cap des 300 000 visites sera atteint ; un encouragement à poursuivre l’aventure.
Vous aurez remarqué que mon vieux bouquin, aux pages racornies, a rendu l’âme, pour la satisfaction de nombreux touristes d’Atol les opticiens, et à la grande déception de quelques passéistes. Je comprends d’ailleurs ces derniers et qui sait, il suffit de presque rien, juste un clic, si je ne le sortirai pas de son étagère à l’occasion. Les plus attentifs d’entre vous auront peut-être également noté que certains articles sont orphelins de leurs illustrations en images. Elles se sont égarées lors de la grande migration technologique! Tout n’est pas perdu et, en attendant que les administrateurs du serveur remédient au problème, vous pouvez toujours lire les billets dans leur intégralité en passant par les archives mensuelles et en les déroulant avec le curseur. Ah là là, où est passé le temps quand, à l’aide d’un coupe-papier, nous séparions les pages encore attachées du livre neuf…!
Pour commencer l’année 2012 sur une note optimiste, j’ai ouvert ce billet avec une photographie de Jean-Denis Robert, une de mes belles rencontres humaines et artistiques  vécues en 2011. Trinquons avec enthousiasme, le verre blanc brisé, ça porte bonheur !

Publié dans:Almanach |on 1 janvier, 2012 |2 Commentaires »

Joyeux Noël … tout de même!

Joyeux Noël ... tout de même! dans Almanach sapinblog

Les années précédentes, j’ai évoqué les Noëls de mon enfance, les marchés en Alsace, la savoureuse bûche au café ou au chocolat de la table familiale. Cette fois, je choisis de fêter Noël de manière plus irrévérencieuse mais néanmoins poétique.
Pour parodier Anne Roumanoff et ses propos de « radio bistrot », on ne nous dit pas tout sur « la plus belle nuit de l’année ». Étiez-vous au courant seulement que les sapins, fort mécontents de leurs conditions de vie, ont décidé de montrer de quel bois ils se chauffent ?

« C’est la grève des sapins
Des aiguilles des pommes de pin
Ils veulent tous être palmiers
Cerisiers ou bananiers
(citronnier abricotier)
Devenir arbres fruitiers
(jujubier ou grenadier)
– Les sapins sont fatigués
À la fin de chaque année
Toutes ces guirlandes à porter
Ça leur donne le dos courbé
Les sapins sont enrhumés
De vivre près des cheminées
Sans air pur sans horizon
Enfermés dans des maisons
-Les sapins en ont assez
De faire de l’ombre l’été
Sans être remerciés
Et l’hiver d’être coupés
Les sapins font grise mine
Et attrapent des angines
Qu’ils soignent avec du parfum
À la sève de sapin!
-Les sapins ont déclaré
Que pour la nouvelle année
Ils se mettront en congé
La forêt sera fermée
Les sapins s’en vont au vert
Les sapins quittent l’hiver
Pour aller se faire bronzer
Au chaud sous les cocotiers! »

Décidément, la fracture sociale est profonde. La réalité rejoint parfois la fiction chantée aux enfants par Dominique Dimey, digne fille de son père que je vous présenterai plus loin. En effet, je fais partie des sept « imbéciles » du conseil syndical de ma résidence, selon les termes d’un des copropriétaires, qui ont voté récemment le remplacement d’un pin coupable de nuisances par un tulipier de Virginie. En somme, pour faire bref, un remake de Massacre à la tronçonneuse par Yann Arthus-Bertrand dans l’esprit du Gendarme de Saint-Tropez !
Pour le regretté Pierre Desproges, Noël est le nom donné par les chrétiens à l’ensemble des festivités commémoratives de l’anniversaire de la naissance de Jésus-Christ, célèbre illusionniste palestinien de la première année du premier siècle pendant lui-même.
Quant à la messe de minuit, c’est une messe comme les autres, sauf qu’elle a lieu à vingt-deux heures, et que la nature exceptionnellement joviale de l’événement fêté apporte à la liturgie traditionnelle un je-ne-sais-quoi de guilleret qu’on ne retrouve pas dans la messe des morts.
A la fin de l’office, il n’est pas rare que le prêtre larmoie sur la misère du monde, le non-respect des cessez-le-feu et la détresse des enfants affamés, singulièrement intolérable en cette nuit de l’Enfant…
Le réveillon : c’est le moment familial où la fête de Noël prend tout son sens. Il s’agit de saluer l’événement du Christ en ingurgitant, à dose limite avant éclatement, suffisamment de victuailles hypercaloriques pour épuiser en un soir le budget mensuel d’un ménage moyen.
D’après les chiffres de l’UNICEF, l’équivalent en riz complet de l’ensemble foie gras-pâté en croûte-bûche au beurre englouti par chaque chrétien au cours du réveillon permettrait de sauver de la faim pendant un an un enfant du Tiers Monde sur le point de crever le ventre caverneux, le squelette à fleur de peau, et le regard innommable de ses yeux brûlants levé vers rien sans que Dieu s’en émeuve, occupé qu’Il est à compter les siens éructant dans la graisse de Noël et flatulant dans la soie floue de leurs caleçons communs, sans que leur cœur jamais ne s’ouvre que pour roter (Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis).
Si en cette nuit de Noël, j’allais retrouver la Closerie des Lilas, le « bistrot préféré » de Renaud :

« Mon bistrot préféré, quelque part dans les cieux
M’accueille quelquefois aux jardins du Bon Dieu
C’est un bistrot tranquille où il m’arrive de boire
En compagnie de ceux qui peuplent ma mémoire
Les jours de vague à l’âme ou les soirs de déprime
Près de quelques artistes amoureux de la rime
Je vide deux trois verres en parlant de peinture
D’amour, de chansonnettes et de littérature
Il y a là, bien sûr, des poètes, le Prince
Tirant sur sa bouffarde, l’ami Georges Brassens
Il y a Brel aussi et Léo l’anarchiste
Je revis, avec eux une célèbre affiche
Trenet vient nous chanter une Folle Complainte
Cependant que Verlaine et Rimbaud, à l’absinthe
Se ruinent doucement en évoquant Villon
Qui rôde près du bar et des mauvais garçons …
… Il y a Boris Vian, Maupassant et Bruant
Écoutant les histoires d’un Coluche hilarant
Je m’assois avec eux pour quelques libations
Entouré de Desproges et Reiser et Tonton …
… Gainsbourg est au piano, jouant sa Javanaise
Et nous chante l’amour qu’il appelle la baise
Dewaere est là aussi dans un coin, et il trinque
Avec Bernard Dimey, avec Bobby Lapointe ... »

Bernard Dimey, le papa de Dominique, poète et chansonnier trop méconnu, à la barbe de Père Noël, ayant soif d’absolu (et de bons verres), aurait aimé, outre voir Syracuse, l’île de Pâques et Kairouan, croire au superbe paradis de son enfance. Écoutez comment il voit la nuit de Noël :

C est Noël par Bernard Dimey

cliquer sur le titre pour écouter

« C’est Noël ce soir, eh Marie
Va falloir que tu fass’le p’tit
Il est pas loin d’onze heures et d’mie
Ne t’endors pas sur le rôti
Le christianisme, l’faut s’le faire
Dans une demi-heure, c’est parti
Et comme c’est toi qui s’ras sa mère
Faut tout d’mêm’que tu fass’le p’tit !
Si j’avais su qu’tu soyes un’sainte
Dès l’premier jour moi j’s’rais parti
Mais maint’nant ça y est, t’es enceinte
C’que t’as d’mieux à faire, c’est le p’tit !
Je sais bien, la paille est pas sèche
L’bourricot a l’air abruti
L’bœuf aussi… tu parles d’un’crèche
N’empêch’qu’il faut qu’tu fass’le p’tit
Y a d’jà les bergers qui rappliquent
Faut pas les laisser v’nir pour rien
C’est pas grave, mais ça s’rait pas chic
C’est des bergers, c’est pas des chiens !
Ça t’gêne que les bestiaux te r’gardent
I’n’voient presque rien, il fait nuit
Mais à présent faut plus qu’tu tardes
Faut t’démerder de l’faire, ce p’tit
Si tu accouches après les fêtes
Ça s’ra fini, ça s’ra foutu
Tu n’en fais jamais qu’à ta tête
Marie, je n’te l’répèterai plus
Tu t’conduis comme un’vraie pucelle
Ecoute un pt’it peu c’que j’te dis
Tu vas gâcher la nuit d’Noël
Si tu fais pas tout d’suit’le p’tit
Enfin ça y est, t’es raisonnable
Te tracass’ pas, tout s’pass’ra bien
Dès qu’t’as fini, moi j’passe à table
J’bouff’rai tout seul, y’a presque rien
C’est pas marrant mais faut qu’ça s’fasse
Encore un p’tit coup c’est gagnant
Ça y est,v’la l’auréole qui passe
Il est né, le divin enfant. »

Une autre plume de talent qui a sa petite idée sur la nuit de Noël, c’est celle de Cavanna, heureusement bien vivant même si sa lune de miel de Parkinson l’exaspère. Voici le début de sa dernière chronique dans Charlie Hebdo (21 décembre 2011) :
« – Ces trois-là, c’est qui ? demanda pas content, le petit Jésus.
– J’ai pas bien compris, dit Joseph. Il paraît que ce seraient des espèces de rois, mais des rois sans royaume. Ils voyagent à dos de chameau, d’éléphant ou d’autruche, allant d’un pays à l’autre dire la bonne aventure. Des rois mages, qu’on les appelle.
– Des mendigots, dit le petit Jésus. La bonne aventure, je la connais. C’est moi qui la fais. Avec papa, bien sûr. On est associés dans ce coup-là.
– Ils apportent des cadeaux, dit le Saint-Esprit. J’estimerais discourtois qu’on refusât de les recevoir.
– Faudrait savoir. Je me sacrifie, je descends sur cette chose ronde légèrement aplatie aux pôles –ce qui ne la rend pas plus marrante-, pour y ramener la piété et les bonnes manières parmi le menu peuple, et voilà, la première rencontre qui m’échoit est avec des rois. Rois pouilleux, peut-être, mais montés sur des chameaux, des crocodiles, des baleines ou je ne sais quelles montures de prestige … Et qu’est-ce qu’ils ont à tenir leurs bras tendus en avant avec dessus des plats en or ou en doré pleins de ces choses qu’on s’offre entre riches, c’est sûr.
– Ce sont des présents qu’ils viennent déposer à tes pieds, mon bébé, dit la Sainte Vierge. Ils te rendent hommage. Ton père –non, pas toi, Joseph- leur a envoyé une étoile spéciale qui les a guidés jusqu’ici depuis le bout du monde.
Le petit Jésus soupira :
– Ah, celui-là ! C’est plus fort que lui, faut qu’il se vante. Nous voilà maintenant avec une cour, que dis-je, trois cours royales, même si ce sont des rois fauchés, chassés par une révolution et traînant les hôtels de luxe avec le fric volé à leurs peuples qu’ils avaient mis de côté à l’étranger. C’est collant, ces rapaces ... »
Joyeux Noël tout de même … avant que nous soyons les dindons de la farce de la mondialisation !

Noël Charlie-Hebdoblog

SinéNooëlblog

 




Publié dans:Almanach |on 24 décembre, 2011 |1 Commentaire »

Bonne fête aux mamans!

Ce dimanche, c’est la fête des mamans, de toutes les mamans, de ma maman. C’est mot pour mot, l’ouverture de mon billet de l’an dernier, dans les mêmes circonstances. Je m’étais promis, à l’époque, d’évoquer cette année, ma maman qui est partie au paradis, il y a déjà une décennie. Je doute que le paradis existe mais  … des fois qu’il existerait, je suis sûr qu’elle s’y trouve.
J’ai longuement parlé ici de mon papa, mais je ne vous entretiendrai pas encore de ma maman. Je voudrais tant que ce soit le plus beau billet à l’encre violette, je souhaiterais y faire passer tant de choses … et c’est tellement douloureux ! Promis, l’an prochain …
Alors donc, je fête encore les mamans en chansons. « On a tellement besoin de chansons quand il paraît qu’on a vingt ans » fredonnait mélancoliquement Jacques Brel. Et même aussi, lorsqu’on en a trois fois plus !
Et d’abord, j’en appelle justement au Grand Jacques avec un microsillon 45 tours (comme on disait en ce temps-là) paru en 1963.

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Quatre titres dont Les bigotes, un succès immédiat, et Quand maman reviendra, une chanson qui restera très confidentielle et n’apparaîtra sur aucun disque 30 cm. Pas sûr que Jacques l’ait chantée en concert ! Pas certain non plus qu’il la considéra comme une œuvre majeure à le voir nous raconter (avec une légère mise en scène) comment naît une chanson, en l’occurrence celle-ci.

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« Je n’ai pas réussi ce que je désirais réaliser à l’origine. J’ai voulu jouer au prolétaire et je ne le suis pas. J’ai voulu me glisser dans la peau d’un gars de vingt ans et je ne les ai plus. Chaque fois que je triche avec moi-même je vais droit à l’échec et, au fond, c’est bien fait pour moi. Voilà comment on rate une chanson. »
Et pourtant, cette chanson de la désespérance me toucha aussitôt. Un brin masochiste sans doute, je l’écoutais en boucle. Elle me prenait aux tripes même si je n’eus pas, enfant, à souffrir de l’absence d’êtres chers, et en particulier d’une maman.

« Quand ma maman reviendra
C’est mon papa qui sera content
Quand elle reviendra maman
Qui c’est qui sera content c’est moi
Elle reviendra comme chaque fois
A cheval sur un chagrin d’amour
Et pour mieux fêter son retour
Toute la sainte famille sera là
Et elle me rechantera les chansons
Les chansons que j’aimais tellement
On a tellement besoin de chansons
Quand il paraît qu’on a vingt ans

Quand mon frère il reviendra
C’est mon papa qui sera content
Quand il reviendra le Fernand
Qui c’est qui sera content c’est moi
Il reviendra de sa prison
Toujours à cheval sur ses principes
Il reviendra et toute l’équipe
L’accueillera sur le perron
Et il me racontera les histoires
Les histoires que j’aimais tellement
On a tellement besoin d’histoires
Quand il paraît qu’on a vingt ans

Quand ma soeur elle reviendra
C’est mon papa qui sera content
Quand reviendra la fille de maman
Qui c’est qui sera content c’est moi
Elle nous reviendra de Paris
Sur le cheval d’un prince charmant
Elle reviendra et toute la famille
L’accueillera en pleurant
Et elle me redonnera son sourire
Son sourire que j’aimais tellement
On a tellement besoin de sourires
Quand il paraît qu’on a vingt ans

Quand mon papa reviendra
C’est mon papa qui sera content
Quand il reviendra en gueulant
Qui c’est qui sera content: c’est moi
Il reviendra du bistrot du coin
À cheval sur une idée noire
Il reviendra que quand il sera noir
Que quand il en aura besoin
Et il me redonnera des soucis
Des soucis que j’aime pas tellement
Mais il paraît qu’il faut des soucis
Quand il paraît qu’on a vingt ans

Si ma maman revenait
Qu’est-ce qui serait content papa
Si ma maman revenait
Qui c’est qui serait content c’est moi. »

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Les poissons, eux, ne semblent pas connaître de tels problèmes existentiels. Peut-être, nagent-ils dans leurs larmes, en tout cas, on ne les voit jamais pleurer. Et pour cause, leur maman est très gentille, à en croire Boby Lapointe, ce putain de moine et de Piscénois (habitant de Pézenas) comme disait Brassens. Pire même, selon le pote Renaud, ce sont encore les humains qui se plaignent que la mer est dégueulasse, les poissons baisent dedans !

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« Si l’on ne voit pas pleurer les poissons
Qui sont dans l’eau profonde
C’est que jamais quand ils sont polissons
Leur maman ne les gronde

Quand ils s’oublient à faire pipi au lit
Ou bien sur leurs chaussettes
Ou à cracher comme des pas polis
Elle reste muette

La maman des poissons elle est bien gentille !

Elle ne leur fait jamais la vie
Ne leur fait jamais de tartine
Ils mangent quand ils ont envie
Et quand ça a dîné ça r’dîne

La maman des poissons elle a l’oeil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l’aime bien avec du citron

La maman des poissons elle est bien gentille !

S’ils veulent prendre un petit vers
Elle les approuve de deux ouïes
Leur montrant comment sans ennuis
On les décroche de leur patère

La maman des poissons elle a l’oeil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l’aime bien avec du citron

La maman des poissons elle est bien gentille !

S’ils veulent être maquereaux
C’est pas elle qui les empêche
De s’faire des raies bleues sur le dos
Dans un banc à peinture fraîche

La maman des poissons elle a l’oeil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l’aime bien avec du citron

La maman des poissons elle est bien gentille !

J’en connais un qui s’est marié
A une grande raie publique
Il dit quand elle lui fait la nique
« Ah! qu’est-ce que tu me fais, ma raie ! »

La maman des poissons elle a l’oeil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l’aime bien avec du citron

Si l’on ne voit pas pleurer les poissons
Qui sont dans l’eau profonde
C’est que jamais quand ils sont polissons
Leur maman ne les gronde

Quand ils s’oublient à faire pipi au lit
Ou bien sur leurs chaussettes
Ou à cracher comme des pas polis
Elle reste muette

La maman des poissons elle est bien gentille ! »

Cette chanson tendre et hilarante réjouit les petits de 7 ans envieux de cette maman qui ne gronde jamais, ainsi que les grands de 77 qui découvrent de nouveaux calembours, à chaque écoute.
Elle est souvent enseignée à l’école primaire, plus ou moins intégralement. Car sous leur faux air de comptine, certains vers du regretté Boby sous-entendent quelque situation scabreuse. J’imagine l’embarras de la maîtresse si un élève malicieux (il y en a toujours au moins un près du radiateur !) lui demande ce qu’est faire la nique à une raie publique ! Ou encore la mine circonspecte de la maman si son rejeton, au retour de l’école, sollicite quelques éclaircissements sur ce couplet qui est finalement une sombre histoire de maquereau !
J’ai bien une autre explication avec notre petit monarque qui baise joyeusement la République tandis que son ex-futur successeur fait des galipettes avec une femme de ménage … !
Chanson à pleurer, chanson pour rire, entre tristesse et tendresse, entre drame et légèreté, c’est mon modeste hommage aux mamans, reines de ce dimanche … et de tous les autres jours. L’amour pour celles qui nous ont donné la vie est le plus beau cadeau que nous puissions leur offrir.

Publié dans:Almanach |on 29 mai, 2011 |2 Commentaires »

Le Printemps à Paris

C’est le printemps, c’est aussi la guerre en Libye car il faut bien appeler ainsi l’opération de la coalition « visant à faire appliquer la résolution 1973 de l’ONU ». En la circonstance, on l’a baptisée d’un nom poétique : « Aube de l’Odyssée ». Elle est chargée d’anéantir les forces du dictateur Kadhafi qui bombardent ignominieusement la population civile. Pour être dans l’ambiance, de ma banlieue francilienne, je vous propose le Chant de guerre parisien, un des poèmes qui accompagnent la lettre dite Seconde lettre du voyant envoyée par Arthur Rimbaud à son ami Paul Demeny.
C’est le printemps de la Commune de Paris, une tentative de démocratie citoyenne. Le 17 mars 1871, Adolphe Thiers envoie sa troupe récupérer les 227 canons entreposés à Belleville et Montmartre que les Parisiens considèrent comme leur propriété, les ayant payés par la souscription lors de la guerre contre la Prusse. Mais Thiers manquant de chevaux, devant le soulèvement des Fédérés, renonce et se retire avec son gouvernement à Versailles Rappelez-vous des « Versaillais », par le hasard d’un concours d’entrée dans l’Éducation Nationale, j’en fus un cent ans plus tard, beaucoup plus pacifiste et dans l’autre camp ! Goûtez à la poésie sublime d’un autre Arthur que celui de mon précédent billet. Elle est encore d’actualité. Il y parlait déjà de pétrole, ces bombes incendiaires avec lesquelles les (Z)Eros, Thiers et Picard, son ministre de l’Intérieur, faisaient des tableaux impressionnistes rouge sang (les Corots) en couchant sur le pavé les Communards héliotropes (plantes qui suivent le soleil comme le tournesol). « Familiers du Grand Truc » … Dans les années 1960, le général de Gaulle qualifia l’ONU de « grand machin » !!!

Chant de guerre parisien

Le Printemps est évident, car
Du coeur des Propriétés vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes !
Ô Mai ! quels délirants culs-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont shako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougies,
Et des yoles qui n’ont jam, jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d’héliotropes ;
Au pétrole ils font des Corots :
Voici hannetonner leurs tropes…
Ils sont familiers du Grand Truc !…
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc,
Et ses reniflements à poivre !
La grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle…
Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
Arthur Rimbaud

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Bonne Année 2011

Bonne Année 2011 dans Almanach couverturecharliehebdoblog

Charlie Hebdo du 29 décembre 2010

« Je ne prendrai pas de calendrier cette année, car j’ai été très mécontent de celui de l’année dernière ! » Ce trait d’humour d’Alphonse Allais pourrait être le prolongement de la couverture du dernier Charlie Hebdo de 2010. Il est vrai que l’année qui vient de s’achever ne fut pas souvent enthousiasmante : les cendres du volcan islandais Eyjafjallajökull éparpillées dans l’espace aérien, la mine d’infos sur la guerre en Irak fournie par Wilileaks, les 250 000 victimes du séisme de Haïti, la plateforme de forage Deepwater Horizon provoquant la catastrophe la plus noire de l’histoire des États-Unis, la tempête Xynthia ravageant les côtes vendéennes, les coulées de boues rouges en Hongrie, la Russie en flammes, la Grèce en crise, la France qui travaille dans la rue à défendre ses retraites, le feuilleton de l’affaire Bettencourt, le grand « footoir » de la Coupe du Monde de football, le grand merdier des jours de neige ou sans carburant … sans parler des tracasseries administratives exercées à l’égard des Roms. Avec nos Hortefeux et Besson, craignons qu’« un jour, on aura besoin d’un visa pour passer du 31 décembre au 1er janvier » comme disait le romancier et pamphlétaire Jacques Sternberg ! Et puis, ne sentez-vous pas qu’on fait fi de 2011 pour accéder vite à 2012, année d’une grande échéance électorale ? Loin de cette cuisine politicienne, des otages attendent dans leurs geôles.
Vivons-la pleinement tout de même cette nouvelle année, sait-on jamais ! Pour ne pas la commencer idiot, en guise d’étrennes, je vous offre celles écrites par Arthur Rimbaud. Je vous les propose in extenso car lorsque je l’appris à l’école primaire, ce poème était amputé de sa substance profonde. On nous cache tout, on nous dit rien, vous le savez bien ; nous ne récitions que la seconde moitié de la troisième strophe (en vert dans le texte) privée de sa pitié sociale.
« Les Étrennes des Orphelins » est un poème composé de cinq strophes d’alexandrins à rimes plates qui évoquent le sort de deux petits enfants venant de perdre leur mère et livrés à eux-mêmes « en la maison glacée ».

Les Étrennes des Orphelins
I
La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève…
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant…
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure…
Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique et son globe de verre…
- Puis, la chambre est glacée…on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil :
L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose…
- Il n’est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D’exciter une flamme à la cendre arrachée,
D’amonceler sur eux la laine de l’édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n’a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?…
- Le rêve maternel, c’est le tiède tapis,
C’est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !…
- Et là, – c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère…
III
Votre coeur l’a compris : – ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! – et le père est bien loin !…
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pensée
S’éveille, par degrés, un souvenir riant…
C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux…
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher…
On entrait !… Puis alors les souhaits… en chemise,
Les baisers répétés, et la gaieté permise !
IV
Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d’autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer…
- L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire…
Sans clefs !… c’était étrange !… on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure…
- La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui :
Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ;
Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : « Quand donc reviendra notre mère ? »
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
- Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose…
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d’eux se pose…
Ils se croient endormis dans un paradis rose…
Au foyer plein d’éclairs chante gaiement le feu…
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s’éveille et de rayons s’enivre…
La terre, demie-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil…
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil :
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire…
On dirait qu’une fée a passé dans cela !…
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris… Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose…
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : « A NOTRE MERE ! »

Arthur Rimbaud

Au début, « la chambre est pleine d’ombre » mais à la fin, « on dirait qu’une fée a passé dans cela ! » Alors rêvons nous aussi qu’une fée se penche sur l’année 2011 pour la faire belle et heureuse !
Encre violette entame sa quatrième année puisque vous lui êtes fidèles chers lecteurs. Excusez si elle est (un peu) moins présente courant janvier, d’autres aventures l’accaparent, en l’occurrence le montage d’un film de souvenirs d’un maréchal-ferrant. Elle vous en parlera probablement un jour.

Publié dans:Almanach |on 3 janvier, 2011 |1 Commentaire »

Tant crie-t-on Joyeux Noël qu’il vient

Tant crie-t-on Joyeux Noël qu'il vient dans Almanach noelblog

Charlie-Hebdo du 22 décembre 2010

Ballade des proverbes
Tant gratte chèvre que mal gît,
Tant va le pot à l’eau qu’il brise,
Tant chauffe-on le fer qu’il rougit,
Tant le maille-on qu’il se débrise,
Tant vaut l’homme comme on le prise,
Tant s’élogne-il qu’il n’en souvient,
Tant mauvais est qu’on le déprise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant parle-on qu’on se contredit,
Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
Tant promet-on qu’on s’en dédit,
Tant prie-on que chose est acquise,
Tant plus est chère et plus est quise,
Tant la quiert-on qu’on y parvient,
Tant plus commune et moins requise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant aime-on chien qu’on le nourrit,
Tant court chanson qu’elle est apprise,
Tant garde-on fruit qu’il se pourrit,
Tant bat-on place qu’elle est prise,
Tant tarde-on que faut l’entreprise,
Tant se hâte-on que mal advient,
Tant embrasse-on que chet la prise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant raille-on que plus on n’en rit,
Tant dépent-on qu’on n’a chemise,
Tant est-on franc que tout y frit,
Tant vaut « Tiens ! » que chose promise,
Tant aime-on Dieu qu’on fuit l’Eglise,
Tant donne-on qu’emprunter convient,
Tant tourne vent qu’il chet en bise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Prince, tant vit fol qu’il s’avise,
Tant va-il qu’après il revient,
Tant le mate-on qu’il se ravise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

François Villon

« il chet », du verbe « cheoir » = tomber

De François Villon à Wilileaks, qu’on le veuille ou non, Noël vient ! Tombé en disgrâce auprès de Charles d’Orléans, le grand poète écrivit en 1458 la Ballade des proverbes ainsi que sa Ballade des menus propos dans l’espoir de regagner ses faveurs. Vainement !
Puisque vous me lisez, je garde vos faveurs ! Mon menu propos de ce jour particulier n’a pour but que de teinter d’humour et de poésie mes souhaits de joyeux Noël !

Publié dans:Almanach |on 25 décembre, 2010 |1 Commentaire »

La Madeleine de Brel

Vous vous souvenez peut-être des « vieilles photos de ma jeunesse » dénichées par une lectrice belge au marché aux puces de Bruxelles (billets des 1er et 15 octobre 2009). Tandis que Bruxelles « brusselait » encore un peu pour moi, quand ma chineuse m’invita à un petit tour de transport en commun (en tout bien tout honneur, je le répète !) je crus un instant qu’elle m’emmenait à bord du tram 33 sur un air de Brel. J’échouai en fait à la station de métro Merckx devant un vélo ; celui sur lequel du temps où il s’appelait Eddy, il fut une heure, une heure seulement, rien qu’une heure durant, beau, beau et con à la fois … celui sur lequel l’immense champion belge battit le record de l’heure à Mexico.
Il y a un an, j’attendais donc Madeleine qui n’arriva pas. Mais comme son illustre soupirant, d’un optimisme (trop ?) débordant, j’espérais qu’un soir… Et aujourd’hui, mon envoyée spéciale outre-Quiévrain (je place judicieusement cette expression qui m’est chère !) exauce mon vœu en m’adressant quelques photographies. En ce jour anniversaire de la mort du grand Jacques, le tram 33 reprend du service, rien que pour vous … enfin presque !
À la périphérie de Bruxelles-ville, gare de Watermael-Boitsfort, Watermaal-Bosvoorde en flamand ; « je trouve que la Belgique vaut mieux qu’une querelle linguistique » déclarait Brel ! L’actualité confirme que nul n’est prophète en son pays.

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Attention, mesdames et messieurs les voyageurs pour l’univers de la chanson Madeleine, au départ ! Je presse le pas dans l’ancienne rue du Tram rebaptisée rue de Visé quand soudain un « carillon de bleus comme ceux au fond des yeux des hommes du nord » sonne dans la grisaille des façades. Je me frotte les yeux, vision véritablement surréaliste, je ne peux pas mieux dire!

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Le fameux tram 33 chanté par Brel, entre en gare de Watermael qui figure dans un certain nombre de tableaux de Delvaux. Celui-ci, fasciné par les trains de son enfance, vécut très longtemps dans la commune. Authentique poète, il peuple ses décors du réel, de petites filles ingénues, de longues femmes lumineuses, de messieurs austères en redingote et même de personnages de Jules Verne. On en retrouve ici sur le quai et suspendus dans l’azur parsemé de nuages, un thème récurrent chez Magritte, autre immense peintre venu en voisin et ami, accompagné de son célèbre personnage au chapeau melon. En observant attentivement, on devine encore une citation de Jean-Michel Folon et sa Fontaine aux oiseaux, une sculpture installée sur un étang de Watermael-Boitsfort. Il est même jusqu’à la figurine du feu rouge qui clignote de jubilation devant l’hommage à cette brochette d’illustres artistes. Brel qui appréciait beaucoup Delvaux et Magritte, composait à l’occasion avec le fantastique. Rappelez-vous « J’étais bien plus heureux avant, quand j’étais ch’val » ou « Je suis un soir d’été », sans oublier cette magistrale ode à la voile où il fait d’un bateau, une cathédrale « débondieurisée » :

« …Prenez une cathédrale
Hissez le petit pavois
Et faites chanter les voiles
Mais ne vous réveillez pas
Prenez une cathédrale
De Picardie ou d’Artois
Partez pêcher les étoiles
Mais ne vous réveillez pas
Cette cathédrale est en pierre
Traînez-la à travers bois
Jusqu’où vient fleurir la mer… »

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fresquetramblog3.jpg

Bon ! C’est bien joli tout ça mais pour parodier justement Magritte, ceci n’est pas la gare de Watermael, même peinte de la manière la plus réaliste qui soit, mais une représentation de la gare de Watermael ! La vraie n’est pas loin, j’y arrive :

garewatermaelblog.jpg

Déception, il n’y a pas de tram 33 ! Non pas qu’il y ait grève (comme toutes les semaines, chez nous !) mais la ligne fut remplacée, le 13 octobre 1960, par des autobus avant d’être définitivement supprimée huit ans plus tard. Il n’existait donc déjà plus lorsque sortit en 1962, le disque microsillon vinyle 30 centimètres dans sa pochette blanche, comprenant quelques uns des plus grands succès de Jacques Brel : Le plat pays, Bruxelles, Les bourgeois, Zangra, Rosa et donc Madeleine.

pochettebrelblog.jpg

Qu’à cela ne tienne, je veux la rencontrer et je saute dans le premier omnibus avec des femmes en crinoline et des messieurs en gibus ! Tandis que le wagon s’ébranle, dehors un graffiti m’interpelle :

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Madeleine, c’est l’histoire d’un gars qui … passe par tous les états d’âme. Ce jeune homme attend son amourette avec un bouquet de lilas pour sortir manger des frites et aller voir un film ensemble. Elle l’aime, il en est sûr, même si ses cousins disent tous qu’elle est trop bien pour lui. La pluie commence à tomber sur lui, les restos se ferment et il se rend compte finalement qu’elle ne viendra pas. L’espoir ne l’abandonne cependant pas: si elle ne vient pas aujourd’hui, peut-être qu’elle viendra demain! Même Brel n’a jamais pu en cerner le caractère profond : « Après avoir interprété plus de mille fois Madeleine, je ne sais pas encore si son héros doit être tenu pour un exemple de courage et de résolution ou, au contraire, pour un symbole de bêtise et de faiblesse » !

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Dans l’univers ferroviaire de son célèbre tableau Solitude, Paul Delvaux peint une élégante jeune femme blonde. Ce pourrait être Marieke ou Frida voire même La Fanette, mais en aucune façon Madeleine car elle était brune. Elle a existé réellement. Espagnole, elle fréquenta, au début des années 1950, poètes et artistes à Saint-Germain des Prés tandis qu’elle travaillait comme modèle pour les coiffeurs parisiens selon certains, posait nue pour des peintres selon d’autres. C’est là qu’elle rencontra bientôt un type au mauvais caractère qui venait de quitter la cartonnerie Vanneste et Brel (il s’ennuyait chez Ces gens-là) pour chercher la reconnaissance artistique dans la capitale. Il « accordéonna » pourtant plus tard :

« … J’irai pas à Paris
D’ailleurs j’ai horreur
De tous les flons flons
De la valse musette
Et de l’accordéon … »

Bref, un soir, la vraie Madeleine lui tendit un lapin des plus classiques, prétexte ordinaire à une chanson extraordinaire !
S’il fut chanté, le tram 33 fut aussi dessiné par Georges Rémi dit Hergé, le créateur de Tintin, dont les parents vécurent à une époque … rue du Tram à Watermael. Ainsi, dans une de ses aventures parues dans le Petit Vingtième, son héros Flupke, tellement absorbé par la lecture de son magazine favori, traverse sans se soucier du tram, créant un début de panique dans la circulation.

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Le temps passe vite ; terminus square Henri Rey à Anderlecht, tout le monde descend ! Première surprise : un panneau didactique présente le vrai tram 33 tel que, sans doute, Brel le connut et l’emprunta, à cet endroit précis.

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J’effectue quelques pas dans la rue Jacques Manne voisine. Là, au numéro 5, non loin de la cartonnerie, Brel vécut sa jeunesse avec ses parents de 1942 à 1951.

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Retour au square, le cœur battant, Madeleine va arriver ! J’entre dans le jardin, elle est là, ponctuelle au rendez-vous. Vous ne me croyez pas ? Regardez !

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L’intégralité des paroles de Madeleine sculptées dans une pierre gris bleu, défilent le long des murets.
Profonde émotion ! Quand elle sortit, c’était sa chanson d’entrée en scène. À la fin de sa carrière, elle achevait son récital. Il ne cédait jamais à la tradition du rappel qu’il jugeait démagogique. Qui sait donc si Madeleine n’est pas la dernière chanson que Brel interpréta sur scène, le 16 mai 1967, dans une modeste salle de Roubaix.
J’ai une petite faim, tiens si j’allais manger des frites chez Eugène ? C’est tout près entre la rue Jacques Manne et la cartonnerie familiale rue Verheyden. Au square des Vétérans coloniaux, se trouve effectivement encore une friterie ou « friture » comme on dit parfois en « brusseleer » mais signe des temps, Chez Eugène est devenue Chez le Grec ! De plus, elle n’est pas située au même emplacement.
Brel ne fut pas toujours aussi scrupuleux avec les lieux énoncés dans ses chansons. Ainsi, au temps où Bruxelles brusselait, les hommes et les femmes en crinoline ne pouvaient chanter sous les lampions de la place Sainte-Justine puisqu’au contraire des places de Broukère et Sainte-Catherine, elle n’a jamais existé sinon dans la licence poétique de l’auteur ! Ce à quoi, celui-ci répondait avec humour :  » il n’y a jamais eu de port, non plus, à Amsterdam » !

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De retour en Espagne, son pays d’origine, Madeleine Zeffa Biver, plus « tellement jolie, tellement tout ça », atteinte d’une sclérose en plaques, mit fin à son calvaire, il y a trois ans.

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Entre fiction et réalité, entre tristesse et espoir, Madeleine possède quelques ressorts comiques à travers sa syntaxe et son rythme sautillant, du moins le pensais-je dans mon adolescence taquine en chantant mon affection à un oncle très cher (voir billet Mon Oncle et … mon oncle du 19 mai 2009) : « Tonton c’est mon horizon,c’est mon Amérique à moi, même qu’il est trop bien pour moi … » !!! En d’autres circonstances, j’avais déjà commis un pastiche de La valse à mille temps :

« Un tonton à quarante ans
C’est beaucoup moins dansant
C’est beaucoup moins dansant
Mais tout aussi charmant
Qu’un tonton à trente ans
Un tonton à quarante ans
Un tonton à vingt ans
C’est beaucoup plus troublant … »

Suite peut-être à l’hilarante adaptation bovine par Jean Poiret :

« …Une vache à mille francs.
Une vache à mille francs,
F’rait l’filet à cent francs,
L’rumsteck à soixante francs,
Le gîte à quarante francs,
L’aloyau à trente francs,
La culotte à vingt francs.
Un’ culotte à vingt francs,
F’rait la côte à quinze francs,
La poitrine à douze francs,
La bavette à dix francs,
Le collier à huit francs,
Le jarret à quatre francs.
Un jarret à quatre francs,
Ce s’rait intéressant
Et plus avantageux
Pour faire un pot-au-feu
Qu’un jarret à mille francs… »

Ça ne fonctionne plus depuis la mise en circulation de l’euro !
Tu vois, cher Jacques, que comme tu le souhaitais, on rit et on danse le jour où on t’a mis dans l’trou !

« Ami remplis mon verre
Encore un et je vas
Encore un et je vais
Non je ne pleure pas
Je chante et je suis gai
Buvons à la santé …

De ma sympathique lectrice qui a permis cette promenade avec Madeleine … et heureux anniversaire puisque le destin l’a fait naître un 9 octobre ! Autre coïncidence troublante, elle vécut sans le savoir quand elle était maske (gamine en brusseleer !) rue Esseghem à Jette, à quelques mètres de l’ancienne maison et atelier de René Magritte ! Surréaliste, non ?»

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Publié dans:Almanach, Poésie de jadis et maintenant |on 9 octobre, 2010 |1 Commentaire »

Dans les yeux des mamans

Ce dimanche, c’est la fête des mamans, de toutes les mamans, de ma maman. Elle sera là dans mon cœur comme elle l’est quotidiennement depuis qu’elle m’a laissé sur le bord de la vie il y a maintenant dix ans.
J’ai évoqué longuement l’origine de cette tradition dans mon billet Fête des Mères et Collier de nouilles du 25 mai 2008. Dans un autre article du 6 juin 2009, j’avais marqué l’événement en vous proposant une sublime chanson de l’artiste berbère Idir en hommage aux mamans d’Algérie et, plus universellement à toutes les mamans du monde.
Cette fois, je vous offre un trésor de tendresse œuvre d’Arnold Charles Ernest Hintjens dit Arno. De son compatriote Brel dont il reprit magistralement Le Bon Dieu, il a la puissance vocale et le verbe haut, de Gainsbourg dont il adapta avec bonheur Elisa, il possède la dégaine titubante et provocatrice. Mais c’est d’abord et avant tout Arno, un artiste à part entière avec sa gueule burinée par une vie sans concessions, sa voix éraillée de crooner, son accent flamand. Il semble rude, il est infiniment tendre.
Quand on l’écoute chanter avec ses yeux de vieux chien fatigué, ceux de sa mère, il nous bouleverse. Quelques larmes perlent à nos paupières mais comme cette émotion est bienfaisante. Une magnifique déclaration d’amour, un(e) vague à l’âme qui déferle et vient se briser sur le cœur, un brise-larmes au bord de la mer du Nord comme disait le père de Jacques Brel ! Comme à Ostende chez Arno …
Tendrement à toi chère maman.

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Publié dans:Almanach |on 28 mai, 2010 |1 Commentaire »

Carillonnez cloches de muguet

Cloches naïves du muguet,
Carillonnez ! Car voici Mai !
Sous une averse de lumière,
Les arbres chantent au verger,
Et les graines du potager
Sortent en riant de la terre.
Carillonnez ! Car voici Mai !
Cloches naïves du muguet !
Les yeux brillants, l’âme légère,
Les fillettes s’en vont au bois
Rejoindre les fées qui, déjà,
Dansent en rond sur la bruyère.
Carillonnez ! Car voici Mai !
Cloches naïves du muguet !
Maurice Carême (1899-1978)

Je vous ai déjà longuement entretenu du muguet et de sa symbolique dans mon billet du 30 avril 2008. Cependant 1er mai oblige, chères lectrices, je vous offre outre ce poème qui fleurit un cahier de récitations de mon enfance, un brin de muguet photographié il y a trois jours dans le potager familial. Il est plus sincère que celui qui pousse dans les serres et plus parfumé mille fois.

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Publié dans:Almanach |on 1 mai, 2010 |Pas de commentaires »

Le Bouton d’or

« A la Saint Théodore, Fleurit le bouton d’or », « A la Sainte Odette, si le temps s’y prête, boutons d’or en goguette ». Jour de célébration de Théodore Trichinas moine de Constantinople aux IVème et Vème siècles et d’Odette, une jolie femme qui se coupa le nez et entra chez les religieuses de Prémontrée afin d’éviter tous les prétendants attirés par sa beauté, le 20 avril est donc bienvenu pour vous conter fleurette. Dans le calendrier républicain, c’était le jour de la rose pour inaugurer le mois de Floréal. Mais cultivant le paradoxe quand il s’agit de botanique, je préfère vous entretenir d’une mauvaise graine. C’est sans doute le réflexe d’un ancien enseignant un tantinet pédagogue cherchant quelques circonstances atténuantes avant de juger une délinquante malgré tout bien sympathique qui ensoleille les talus et les prés au grand désespoir des agriculteurs.

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« … Et nous recommencions nos jeux, cueillant par gerbe
Les fleurs, tous les bouquets qui réjouissent l’herbe,
Le lys à Dieu pareil,
Surtout à ces fleurs de flamme et d’or qu’on voit, si belles,
Luire à terre en avril comme des étincelles
Qui tombent du soleil ! »

Dans ce poème des Voix intérieures, Victor Hugo en appelle au bouton d’or pour évoquer l’enfance lumineuse dans le « vert paradis » des Feuillantines. C’est là dans le jardin abandonné de l’ancien couvent près du Panthéon que Victor joua avec ses frères et les enfants de la famille Foucher dont Adèle sa future épouse :

« J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère ?
Trois maîtres : – un jardin, un vieux prêtre et ma mère.
Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards curieux,
Semé de fleurs s’ouvrant ainsi que les paupières,
Et d’insectes vermeils qui couraient sur les pierres ;
Plein de bourdonnements et de confuses voix ;
Au milieu, presque un champ, dans le fond, presque un bois.
Le prêtre, tout nourri de Tacite et d’Homère,
Etait un doux vieillard. Ma mère – était ma mère !
Ainsi je grandissais sous ce triple rayon… »
Quel jardin enchanteur cela devait être pour que l’écrivain confie plus tard : « J’ai passé mon enfance à plat ventre sur les livres » ! Les Feuillantines réapparurent dans Les Misérables sous la forme de la maison et du jardin de la rue Plumet.

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Le bouton d’or inspire également son ami Théophile Gautier, fervent combattant en gilet rouge lors de la fameuse bataille d’Hernani (voir billet Mon alter Hugo du 11 février 2010) :
« L’aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes ;
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaye au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle… »
Je ne choisis pas les plus mauvais avocats pour défendre la cause de cette autre fleur du mal vouée à la vindicte agricole. Pire encore que pour ses consœurs le coquelicot et le bleuet que j’ai louées dans d’autres leçons de choses, les savants botanistes guère affables à son égard, l’affublent du nom péjoratif de renoncule âcre. Dans son malheur, elle n’est pas la plus mal lotie car parmi les centaines d’espèces qui composent la famille des Renonculacées, on recense une Ranunculus sceleratus ou renoncule scélérate proche des étangs et une Ranunculus sulphureus ou renoncule sulfureuse. Il vaudrait mieux parfois en perdre son latin en l’occurrence rana ou petite grenouille en raison de la ressemblance avec un têtard et de la présence de certaines variétés aquatiques dans des endroits marécageux peuplés de batraciens, et acris pour son goût piquant.

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Charles Baudelaire dont on ne peut douter de l’érudition en Fleurs du Mal, a recours à la renoncule dans son poème Une martyre :
 

« … Sur la table de nuit, comme une renoncule,
Repose ; et vide de pensées
Un regard vague et blanc comme le crépuscule
S’échappe des yeux révulsés… »

Des rimes guère épanouissantes !
Une fois n’est pas coutume, il vaut mieux être vulgaire que savant en botanique ; alors les renoncules se parent de sobriquets savoureux attribués peut-être par quelques paysans poètes : pied de corbin ou pied-de-coq pour la renoncule bulbeuse, bassinet-des-champs pour la renoncule des champs, grenouillette pour la renoncule aquatique, flammette ou petite douve pour la Ranunculus flammula, pâquette ou fleur-du-vendredi saint pour l’anémone Sylvie, coquelourde (pour son usage homéopathique comme calmant de la coqueluche) ou herbe-du-vent pour l’anémone pulsatille (de pulsatus, battue par le vent), l’herbe-aux-gueux pour la clématite vigne-blanche, fleur de l’impatience, gobet du diable probablement à cause de ses propriétés toxiques. Elles n’apparaissent cependant dans aucun dicton car à la Saint Théodule, ne fleurit pas la renoncule mais la petite férule, une plante ombellifère !

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Il y a donc aussi le bouton d’or qui ne concerne en fait que quelques espèces de renoncules, outre la renoncule âcre : la Ranunculus arvensis ou renoncule des champs, la Ranunculus repens ou renoncule rampante dans les jachères, la Ranunculus bulbosus ou renoncule bulbeuse en lisière de bois, la Ranunculus gramineus ou renoncule à feuilles de graminées, éventuellement la Ranunculus auricomus ou renoncule tête d’or. La renoncule des jardins qu’on se procure chez les fleuristes est la Ranunculus asiaticus ramenée sans doute par les croisés de Saint Louis après leurs combats en terre sainte. Quant aux tapis de fleurs jaunes que vous découvrez parfois en forêt, ne vous méprenez pas, ce sont des Ranunculus ficaria dites ficaires ou fausses renoncules bien qu’elles en soient des vraies !
Le bouton d’or compte pour du beurre chez nos voisins anglo-saxons ; les britanniques l’appellent buttercup (coupe de beurre) et les allemands butterblume (fleur de beurre) car lorsqu’on le place sur la peau, il laisse une trace jaune qui évoque le produit de la baratte.
En des temps plus obscurantistes, dans les campagnes, plusieurs de ses usages avaient trait justement au beurre. Si l’on mangeait le premier bouton d’or aperçu au printemps, le beurre serait bon toute l’année ; il était recommandé aussi pour avoir un beurre bien jaune de déposer dans le pot à lait les trois premières renoncules trouvées. Si en touchant le menton de la fermière avec un bouton d’or, cela laissait des traces jaunes, elle réussirait son beurre cette année-là.
Etait-ce la cause ou la conséquence que dans le langage des fleurs, le bouton d’or signifiât la franchise, on en semait parfois devant le domicile des maris trompés.
Comme remède de bonne femme, on frottait des fleurs de bouton d’or écrasées pour faire disparaître les cors au pied. On employait aussi le suc de la feuille contre les verrues.
Il semble qu’on lui reconnut aussi quelque vertu antimilitariste car les futurs pioupious désirant échapper à la conscription, s’appliquaient des compresses de renoncule âcre qui provoquaient des ulcérations dangereuses et persistantes. C’est peut-être à cause de plaies analogues après frottement de clématite fraîche, autre renonculacée, par des mendiants pour attiser la pitié des passants, qu’est né le surnom d’herbe-aux-gueux. Le mendiant fleuri que rencontre Edmond Rostand au cours de ses Musardises ne ressemble en rien à ces pauvres hères :

« Il n’est pas du pays. D’où peut-il être ?… d’où ?
On ne sait pas. C’est un mystérieux bonhomme.
Sur le bord du chemin parfois il fait un somme.
Il porte un vieux chapeau qui paraît être, comme
Ceux que portent les champignons, en amadou.
Eut-il un nom ? Lequel ? On l’ignore. On le nomme
Le Mendiant Fleuri. C’est tout.
Il a cette folie, il a cette jolie
Folie : il se fleurit. Il se déguise en Mai…
Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux
Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières ;
A ses poches il a des touffes printanières
Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières.
Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux,
Des boutons d’or. Au lieu des pailles coutumières,
Il a du thym dans ses sabots… »

Malgré tous les trésors d’imagination des poètes, le joli bouton d’or est indésirable et rétrospectivement, je prends conscience des risques que j’encourais lorsque, gamin, séduit par sa coupe à cinq pétales d’un jaune éclatant, j’en cueillais des brassées pour offrir à ma maman. Pourtant la littérature enfantine en a fait avec le coquelicot et le lys noir trois petites fées. La plante contient de la ranunculine qui, quand on la manipule trop, se dégrade en protoanémonine pouvant provoquer un eczéma. De même, du fait de la présence de principes actifs âcres, l’ingestion entraîne des brûlures de la gorge, des inflammations des appareils digestif et urinaire. L’absorption de quelques grammes des fruits ou akènes peut être mortelle. Heureusement, la nature est bien faite et la saveur âcre rebute le bétail à en paître. La renoncule une fois séchée perd beaucoup de sa toxicité notamment dans le foin.
On peut donc être irritant voire ulcérant tout en étant sympathique ! Il est donc préférable de juste manger des yeux les « bassins d’or » qui inondent les prairies à la fin du printemps comme on tente de distinguer le paletot bouton d’or du leader dans le peloton serpentant sur les routes du Tour de France :
Dans les descentes c’est la grande émotion,
Et là-haut dans les cols le froid qui pince,
Oui mais au bout quelle sensation
Quand on entend l’ovation
Du Parc des Princes.
Dans l’aube fraîche où rien ne bouge
Cent corps brûlés de soleil
Dorment d’un profond sommeil ;
Et tous même la lanterne rouge
Rêvent qu’à Paris
La foule se lève dans un cri :
Il a le maillot, il a le maillot !
Le maillot bouton d’or, le maillot jaune !
Il a le maillot, la foule crie « bravo » !
Et chante sur les des lampions
« Voici l’champion » !
Marcel Amont qui chanta aussi les bleuets d’azur dans les doux blés mûrs, fit un succès de son maillot bouton d’or au temps des luttes épiques entre Anquetil et Poulidor. Bouton d’or et Poulidor, la rime eut été évidente ; malheureusement, le champion limousin connut la gloire sans maillot jaune. Jean-Pierre Genet, un de ses plus fidèles équipiers, fut plus heureux en revêtant la toison d’or durant une étape en 1968. Pour cet exploit et pour avoir également porté plusieurs jours le maillot jaune de la Course de la Paix, une célèbre épreuve amateur disputée autrefois dans les pays de l’Est, Genet, du nom d’une fleur jaune stimulatrice cardiaque (intéressant pour un cycliste !), hérita jusqu’à la fin de sa carrière, du sobriquet de Bouton d’or ! Et moi, une fois encore, j’ai pu glisser mon petit couplet vélocipédique.
La Goulue, célèbre danseuse du Moulin Rouge avec Valentin le désossé, immortalisée par Toulouse-Lautrec sur nombre d’affiches et cartes postales encore populaires à Montmartre, surnommait Bouton d’or son fils chéri. Sa mort prématurée la plongea dans la déchéance.

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Le bouton d’or, ce mal aimé, vaut bien une messe ; savourez donc religieusement ces quelques vers tirés d’une des Chansons des rues et des bois de Victor Hugo :

« …Les clochettes sonnaient la messe.
Tout ce petit temple béni
Faisait à l’âme une promesse
Que garantissait l’infini.
J’entendais, en strophes discrètes,
Monter, sous un frais corridor,
Le Te Deum des pâquerettes,
Et l’hosanna des boutons d’or.
Les mille feuilles que l’air froisse
Formaient le mur tremblant et doux.
Et je reconnus ma paroisse ;
Et j’y vis mon rêve à genoux.
J’y vis près de l’autel, derrière
Les résédas et les jasmins,
Les songes faisant leur prière,
L’espérance joignant les mains… »

Et comme décidément l’ami Théophile Gauthier n’est jamais bien loin, voyez son Premier sourire de printemps :
 

« Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d’or… »

Laissons donc la place aux romantiques le temps du printemps. D’ailleurs, le bétail, moins bête que nous, l’a bien compris depuis longtemps en contournant et délaissant le bouton d’or à cause de son amertume, pour le plus grand plaisir de nos yeux.

Publié dans:Almanach, Leçons de choses |on 19 avril, 2010 |Pas de commentaires »

Engageons le printemps avec Jean Ferrat!

Je célèbre ici régulièrement l’arrivée du printemps. L’hiver fut-il si neigeux et glacial pour que mon inspiration en hibernation n’eût rien envisagé cette année ?
Et puis, la lumière m’est venue d’un poète qui s’est éteint la semaine dernière. Comme je le redoutais, le concert d’éloges audiovisuels a fait relâche dès le lendemain des obsèques de Jean Ferrat. Ironiquement, l’expression anglaise prime time employée pour désigner les émissions de télévision de début de soirée, tire son origine du latin primus tempus. À défaut d’en être encore la vedette, c’est donc l’occasion de ne pas « enterrer » trop vite l’ami Jean.
Au-delà de la renaissance de la nature, le printemps fut souvent la saison de l’éclosion des idées et des révoltes. Rappelez-vous la Révolution des Œillets et des évènements d’avril 1974 qui entraînèrent la chute de la dictature salazariste au Portugal, le Printemps de Prague et la tentative d’un « socialisme à visage humain » par le réformateur Alexander Dubcëk, les mères de la plaza de Mayo de Buenos-Aires qui, depuis avril 1977, défilent chaque semaine en mémoire de leurs enfants disparus sous la dictature des généraux.
En mars 1969, Jean Ferrat s’inspira de mai 1968 pour écrire sa vision du printemps de manière engagée comme il sait si bien le faire :


« Au printemps de quoi rêvais-tu?
Vieux monde clos comme une orange,
Faites que quelque chose change,
Et l’on croisait des inconnus
Riant aux anges
Au printemps de quoi rêvais-tu?

 

Au printemps de quoi riais-tu?
Jeune homme bleu de l’innocence,
Tout a couleur de l’espérance,
Que l’on se batte dans la rue
Ou qu’on y danse,
Au printemps de quoi riais-tu?

 

Au printemps de quoi rêvais-tu?
Poing levé des vieilles batailles,
Et qui sait pour quelles semailles,
Quand la grève épousant la rue
Bat la muraille,
Au printemps de quoi rêvais-tu?

 

Au printemps de quoi doutais-tu?
Mon amour que rien ne rassure
Il est victoire qui ne dure,
Que le temps d’un Ave, pas plus
Ou d’un parjure,
Au printemps de quoi doutais-tu?

 

Au printemps de quoi rêves-tu?
D’une autre fin à la romance,
Au bout du temps qui se balance,
Un chant à peine interrompu
D’autres s’élancent,
Au printemps de quoi rêves-tu?

 

D’un printemps ininterrompu «
Sa chanson fut bien évidemment censurée à la télévision ! Elle résonne dans nos consciences le jour du printemps et à la veille d’une élection.

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Comme il n’y a pas de printemps sans fleurs, écoutez aussi La petite fleur qui tombe qu’il sema avec Henri Gougaud :
« La petite fleur qui tombe
Pourrait faire un bruit de bombe
Ecoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté

 

Les deux pieds dans Paris le front dans l’avenir
La main tendue à qui voulait bien la tenir
Je fus heureux je vous le jure
Les chansons crépitaient à chaque coin de rue
Et moi frappé au cœur d’une rose perdue
J’en garde encore une blessure

 

La petite fleur qui tombe
Pourrait faire un bruit de bombe
Ecoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté

 

Aujourd’hui que l’hiver a séparé nos mains
Je vais obstinément sur le même chemin
Entre la rage et la tendresse
Dans Paris aux murs gris jusqu’au-dessus des toits
Une petite fleur me dit rappelle-toi
Ne me laisse pas en détresse

 

La petite fleur qui tombe
Pourrait faire un bruit de bombe
Ecoutez écoutez
La petite fleur profane
Celle qui jamais ne fane
Place de la Liberté »

Que ce bouquet de rimes aide à égayer notre printemps tout neuf !

Publié dans:Almanach |on 20 mars, 2010 |Pas de commentaires »
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