Ici la route du Tour de France 1975 (1)
« Penser à juillet de mon enfance et de mon adolescence, c’est aussitôt entendre, venue du poste de radio branché dans la cuisine, la voix de Georges Briquet commentant l’arrivée du Tour de France. Tous les après-midis, vers quatre ou cinq heures, je suivais le feuilleton merveilleux et terrible, davantage « vécu » que récité par cette voix, la même pendant des années. J’attendais fébrilement la révélation du nom des héros, le premier du classement général et le vainqueur de l’étape, dont je découperais la photo le lendemain matin dans Paris-Normandie. Arrivait enfin le grand dimanche, l’attente énervée. De toutes les fenêtres ouvertes du quartier s’échappait la même rumeur tumultueuse. Après, le Tour fini, les jours glissaient, semblables. La radio marchait par habitude, on ne l’écoutait pas. C’était comme si l’été s’était enfui avec les coureurs. D’ailleurs, la nuit venait plus tôt. Il restait une chemise cartonnée contenant des photos et des noms de tous les pays, qui faisaient rêver. Van Est, Darrigade, Geminiani, Kubler, Mahé, Hassenforder, Bahamontès. Des prénoms qui sonnaient étrange et joli, Stan (Ockers), Rudi (Altig), Apo (Lazaridès), ou ancien, Lucien (Teisseire), Roger (Rivière), Bernard (Gauthier), plus tard Raymond (Poulidor), parce que dans les régions rurales françaises où avaient grandi les coureurs, on transmettait le « petit nom » du père ou du grand-père. »
J’avais trop envie, en guise de mise en bouche, de vous offrir ces quelques lignes de l’écrivaine Annie Ernaux … Prix Nobel de littérature, une « payse » elle cauchoise moi brayon, moi aussi je découpais des photos de Jacques (Anquetil) dans Paris-Normandie.
Comme pratiquement chaque été, j’aime conter dans ce blog les Tours de France d’antan, ceux de ma jeunesse voire même de ma prime enfance puisque la célèbre épreuve, en sommeil durant la Seconde Guerre mondiale, eut la bonne idée de renaître quelques mois après mon arrivée sur terre. Comme autrefois dans le grenier du domicile familial, c’est l’occasion de me replonger dans les collections de vieux magazines spécialisés, conservées par mon regretté père ou à défaut, mises à ma disposition par un ami, un ancien enseignant cyclotouriste affirmé qui, en ce mois d’août, participera à l’épreuve Londres-Édimbourg-Londres. Que reste-t-il de ces beaux jours d’été, des photos, vieilles photos de ma jeunesse, un souvenir qui me poursuit sans cesse, que reste-t-il de tout cela, dites-le moi … ?
La nostalgie me gagne un peu plus chaque année, les coureurs couleur sépia et leurs laudateurs fréquentent de plus en plus souvent la rubrique nécrologique, ainsi notamment Émile Idée, Raymond Elena, Robert Varnajo, Lily Bergaud, Raphaël Geminiani, Rik Van Looy, Jean Jourden*, André Foucher, Barry Hoban, et le brillant journaliste Jacques Augendre nous ont quittés ces derniers mois. Dans son premier numéro de la saison 1975, le Miroir du Cyclisme avait justement consacré un article au « paysan cycliste » André Foucher, 41 ans à l’époque. C’était l’exemple même du valeureux et courageux équipier fidèle (de Henry Anglade et Raymond Poulidor notamment) qui fit les beaux jours de l’équipe de l’Ouest sur le Tour de France.
Certaines revues, qui nourrissaient mes billets, avaient cessé de paraître, ainsi à l’heure d’évoquer le Tour de France 1975, je suis orphelin des bihebdomadaires (durant la grande boucle) Miroir des Sports&But et Club et Miroir-Sprint disparus respectivement en 1968 et 1971. Heureusement, demeuraient encore les chroniques savoureuses du vénéré Antoine Blondin et le mythique Miroir du Cyclisme, mensuel publié par les éditions J issues des jeunes résistants communistes, qui d’ailleurs devrait reprendre vie sous l’égide de L’Humanité en ce mois de juin, à quelques jours du départ du Tour 2025.
Vélocipédiquement parlant, 1975 fut pour moi une année considérable : à l’approche de mes 30 printemps, n’ayant plus rien à attendre du Père Noël depuis deux bonnes décennies, je m’offris enfin mon premier vélo de course. Au nom du droit… de ne pas être l’aîné, j’avais hérité de mon frère, neuf ans plus âgé que moi, d’abord de sa petite bicyclette (je devrais dire biclou !) verte de gosse, puis de son vélo adulte de marque Wonder, avec tout de même selle Brooks et dérailleur Huret. Le romancier René Fallet n’avait pas encore écrit à l’époque sa truculente ode au Vélo, incompréhensiblement mon père, avant que je prenne possession de la machine fraternelle, remplaça le guidon aux extrémités courbées vers l’avant et le bas par un guidon plat caractéristique d’une vulgaire bicyclette. De plus, l’engin s’avéra de moins en moins adapté à mon gabarit car, affres de la croissance, j’allais tenir morphologiquement plus du « taureau de Nay » Raymond Mastrotto que de la « puce du Cantal » Lily Bergaud, références que seuls aujourd’hui les archivistes du cyclisme peuvent comprendre.
Bref, il fallut qu’un ami enseignant me présente, à l’occasion du critérium de Garancières-en-Beauce**, à l’époux de sa collègue directrice de la petite école du village, pour que celui-ci, président à l’époque de l’Association des Critériums Professionnels Français, me mette en relation avec les frères jumeaux Roger et Marcel Lejeune, populaires constructeurs de cycles qui équipèrent notamment la célèbre formation professionnelle Pelforth-Sauvage-Lejeune. Heureux comme un gosse au pied du sapin de Noël, je m’étais rendu à l’usine de Maisons-Alfort prendre livraison de mon joujou rutilant. Cet été-là, bien que proche trentenaire, je dus refaire chaque jour l’étape du Tour à travers la campagne de mon Pays de Bray natal !
On peut en sourire aujourd’hui, Miroir du Cyclisme, dernier résistant de la presse dédiée à ce sport, manifeste, dans son numéro d’avant Tour de France 1975, son profond pessimisme sur l’avenir de la mythique épreuve, laissant présager même sa funeste disparition.
Le journal dénonce « le système des équipes dites de marque regroupant des coureurs de différents pays. Supportées financièrement par une firme commerciale désireuse de lancer son produit, elles sont bâties autour d’une ou plusieurs vedettes, voire super-vedettes, le reste de l’équipe n’étant constitué que de coureurs plus ou moins valeureux, uniquement destinés à faire triompher le « patron ». On les appelle en Italie des « gregarii », en France des « domestiques ». Voyez ce qui est arrivé en 1929. Toute firme qui ne peut avoir une vedette publicitairement rentable abandonne le Tour … et souvent le cyclisme. C’est pour briser ces « trusts » du vélo que Henri Desgranges créa en 1930, pour son Tour de France, la formule des « équipes nationales ». Cela sauva le Tour agonisant et lui donna une formidable popularité. Ce qui était vrai en 1929 est redevenu vrai aujourd’hui.
Les équipes nationales, c’est la solution. La formule des équipes de marques, ce fut le départ d’une nouvelle escalade dans la commercialisation effrénée du sport cycliste, qui n’est plus qu’un véhicule publicitaire. Dans tous les cas, le sport souffre de ne pas marquer ses distances avec le commerce.
Le Tour de France, c’était une épreuve mondiale unanimement respectée, où la victoire était la plus désirée par un coureur. Parce qu’il représentait son pays ou sa région, parce qu’il était sélectionné pour cela, parce que le public accordait un immense crédit à cette seule course disputée selon la même formule que toutes les plus grandes compétitions de tous les sports : par équipes nationales sélectionnées par des dirigeants mandatés et selon le seul critère de la valeur.
Les champions sont et doivent rester des champions nationaux. Cette affirmation n’a rien de chauvine ou nationaliste. Les grandes compétitions sportives (Jeux Olympiques, championnat du monde de football, coupe Davis de tennis, etc…) témoignent de l’état sportif d’un pays. Les champions sont des produits d’une culture nationale, de traditions, de méthodes et de recherches propres à un pays. Merckx est le produit du sport cycliste belge comme Pelé porte en lui le génie du football brésilien, comme Robic, Bobet, Anquetil, Poulidor sont des produits d’une méthode française du cyclisme. Il est donc contre nature de voir Merckx représenter une équipe italienne ou le hollandais Schuiten une équipe anglaise. Les champions issus d’une culture nationale doivent représenter leur pays dans la plus grande compétition cycliste du monde. C’est la logique et la meilleure source d’enthousiasme pour tous les publics concernés.
Nous n’hésitons pas à accuser le Tour par équipes de marques d’être une des sources de la décadence du cyclisme français (le dernier vainqueur français, Pingeon, a d’ailleurs gagné en 1967 dans une équipe de France emmenée par Poulidor).
Les coureurs français étaient motivés toute l’année par la perspective de porter le maillot tricolore pendant un mois sur les routes de France, ou même un maillot régional (souvenez-vous des Bretons de l’équipe de l’Ouest !). Aujourd’hui, ils sont le plus souvent, sauf quelques vedettes, au service d’autres leaders français ou étrangers, muselés et privés de toute initiative. »
Pour étayer sa démonstration, l’éditorialiste du Miroir, le lucide Maurice Vidal, puisait un exemple dans le Giro qui venait de s’achever : « Récemment, au Tour d’Italie, Felice Gimondi (vainqueur du Tour de France 1965 ndlr) attendit un jour Fausto Bertoglio (futur vainqueur ndlr) pour le ramener dans le peloton. Gimondi appartient à la « Bianchi », Bertoglio à la « Jolly Ceramica ». Mais ils sont tous deux Italiens et il fallait battre Galdos de la « Kas » mais surtout Espagnol. Et dire qu’on a voulu nous faire croire que la morale sportive était mieux respectée avec les équipes de marques ! »
Déjà, en 1962, à l’occasion du retour des équipes de marques, Maurice Vidal s’exaspérait : « Les négociants en muscles se sont réjouis de sa naissance. Les commerçants de tous poêles, réfrigérateurs, apéritifs ou spaghettis ont carillonné l’avènement. Il est né le divin enfant… Le Tour, même monotone c’était, sur toutes les routes de France, une espèce de monstre sacré. Souhaitons qu’on n’en fasse pas un monstre massacré. »
Perplexe et résigné, Antoine Blondin parlait dans L’Équipe de coureurs « proclamant les vertus d’un apéritif, d’un saucisson ou d’un percolateur » et jugeait que, dans ces nouvelles équipes, « on ne parle plus le même langage, si ce n’est celui de l’intérêt »… Dégât collatéral, en cet été 1962, les téléspectateurs apprirent que le Tour ne serait pas diffusé en raison d’un désaccord entre la presse régionale et la télévision sur la question de la publicité clandestine, non désirée par le gouvernement. C’est ainsi qu’en remplacement, fut créée l’émission Intervilles qui connut une extraordinaire popularité.
Dans La fabuleuse histoire du Tour de France, Pierre Chany racontait : « Après toute une série d’offensives et de savantes manœuvres, le front des équipes nationales dans le Tour fut enfoncé par la division blindée des équipes de marques à l’automne 1961 (…) Le cyclisme assistait, mi- confiant, mi- inquiet, à un changement radical de société. »
Au bas de son réquisitoire, le Miroir de juin 1975 éditait même un bulletin de participation à un grand référendum avec comme question : « Êtes-vous favorable à un retour de la formule des « équipes nationales et régionales » pour le Tour de France en 1976 ? »
Plusieurs milliers de lecteurs envoyèrent leur vote au journal et le retour aux équipes nationales rallia les suffrages avec un score « soviétique »… ce qui en soit n’était pas surprenant dans une revue dans la mouvance communiste.
En question subsidiaire, il avait été demandé aux lecteurs abonnés de sélectionner les 10 coureurs qu’ils auraient aimé voir figurer dans une équipe de France. Les heureux élus furent par ordre décroissant de suffrages : Jean-Pierre Danguillaume, Bernard Thévenet, Raymond Poulidor, Alain Santy, Raymond Delisle, Jacques Esclassan, Cyrille Guimard, Mariano Martinez, Régis Ovion et Georges Talbourdet. Jacques Anquetil, déjà sélectionneur de l’équipe nationale des championnats du monde, était plébiscité pour être le directeur technique.
Pour ma part, impuissant face au libéralisme outrancier et ce combat aujourd’hui d’arrière-garde, je retiendrai un argument strictement esthétique. Dans mes souvenirs d’enfant, lorsque j’avais la chance de « voir passer le Tour » ou quand je jouais avec mes « petits coureurs » en plomb, il n’y avait rien de plus beau que le ruban multicolore constitué par le peloton ondulant sur la chaussée ou le sable. D’un simple coup d’œil, je reconnaissais les Belges à leur maillot bleu nattier ceinture noire, jaune, rouge (comme il était mentionné dans la liste des engagés), les Italiens et leur tenue verte ceinture blanche et rouge, les Suisses en rouge à croix blanche, sans parler des équipes régionales (ah le maillot blanc à parements rouges des coureurs de l’Ouest, bretons et normands …encore qu’une année, ils reçurent en renfort l’Alsacien Hassenforder !). Mon œil exercé reconstituait même la chromatique lors de la projection cinématographique des actualités en noir et blanc ou la lecture des magazines sépias.
L’équipe régionale du Sud-Est lors du Tour 1958: maillot bleu azur ceintures or
Aujourd’hui, la laideur, le mauvais goût et même l’illisibilité prédominent dans les combinaisons bariolées des hommes sandwiches du grand cirque de juillet !
En tout cas, s’il est un maillot resté populaire auprès du public, c’est le maillot blanc à pois rouges distinguant sinon le meilleur grimpeur du Tour, du moins le coureur en tête du classement du Grand Prix de la montagne. Il fut créé justement lors de l’édition du Tour 1975 selon le souhait du sponsor parrainant ce classement, le Chocolat Poulain, qui réclamait une « meilleure exposition ». Son design est un hommage de Félix Lévitan, codirecteur de la course, à la tenue portée par le coureur Henri Lemoine surnommé « P’tits pois » dans les années 1930.
Joyeux, clownesque avec son faux air de casaque de jockey, ce maillot devient quelque peu ridicule lorsqu’il est porté par un cyclo bedonnant ahanant dans l’ascension d’un col. Quel mauvais esprit !
Á l’occasion du Tour 1975, les organisateurs ont décidé de supprimer les bonifications. Jacques Augendre, qui nous a quittés récemment, quelques semaines avant de fêter ses cent ans, s’en félicitait : « Nous applaudissons sans réserve à la suppression des bonifications qui n’ont fait qu’introduire l’arbitraire dans une épreuve exigeant la rigueur. On a parlé des vertus des bonifications. Elles nous paraissent très discutables car rien – et surtout pas le souci d’avantager certains coureurs- ne justifie de déplacer pour quelques-uns l’aiguille du chronomètre. Désormais, on s’en tiendra dans le Tour de France aux temps réels. »
Comme pour chaque édition, le parcours est disséqué par les observateurs, il y a déjà bien longtemps que le Tour de France n’effectue plus le tour de la France. Ainsi encore Jacques Augendre : « Même si Jacques Goddet et Félix Lévitan s’en défendent, il apparaît que le Tour de France est toujours conçu pour ou contre quelqu’un, soit parce que le profil sert les intérêts d’une certaine catégorie de coureurs, soit parce que les organisateurs cherchent à provoquer une course plus ouverte en réduisant artificiellement la marge qui sépare le super-favori de ses principaux challengers. Tenant compte de ces éléments, les représentants du Faubourg Montmartre (siège du journal L’Équipe ndlr) ont mis l’accent sur le caractère relativement équilibré. Cette année, le Tour a choisi le mauvais sens, comme toujours, lorsqu’il tourne vers l’ouest. Il devra traverser la quasi-totalité des plaines qui s’étendent, nous le savons depuis l’école communale (est-ce encore vrai ? ndlr), à gauche d’une ligne Givet-Bayonne On aurait pu réduire ce long préambule. La route d’Amiens au Mans ne passe pas obligatoirement par Versailles et l’on pouvait aller en droite ligne de Bordeaux à Pau. Aucune considération d’ordre stratégique ne justifie le détour par Fleurance et Auch. Seule la nécessité pour les organisateurs de trouver des points de chute rentables, c’est-à-dire des subventions, explique ces détours superflus sur le plan sportif. Le Tour se présente comme un Tour des stations de sports d’hiver qui a prévu des points de chute à Saint-Lary, Super-Lioran, Pra-Loup, Serre-Chevalier, Morzine-Avoriaz et Chatel…
Le fait de pénétrer à l’intérieur de l’hexagone afin de varier les difficultés et la contrainte de respecter la distance de 4000 kilomètres imposée par l’Union Cycliste Internationale, obligent les organisateurs à des neutralisations relativement nombreuses. Ainsi, les concurrents seront transbordés de Bordeaux à Langon, de Super-Lioran à Aurillac, de Chatel à Thonon-les-Bains, de Chalon-sur-Saône à Pouilly-en-Auxois et … de Clermont-Ferrand à Nice…. Cependant, le procédé qui consiste à affréter un Airbus ou une Super-Caravelle pour transporter le peloton du Puy-de-Dôme à la Côte d’Azur n’est pas tellement apprécié du grand public et si les organisateurs ont expérimenté en la circonstance une solution pratique, ils seront peut-être bien inspirés de ne pas la renouveler trop souvent. »
Il y a un demi-siècle, certains commençaient à penser écologie, sans la nommer. En tout cas, je serai curieux de lire dans le prochain nouveau Miroir la vision de ses journalistes sur le tracé du Tour de 2025.
Autre curiosité, ce Tour de France 1975 s’achèvera pour la première fois sur les Champs-Élysées. Après la destruction de la piste du Parc des Princes, depuis 1968, l’arrivée finale était jugée à la vieille Cipale*** du bois de Vincennes. « Le Tour de France aux Champs, c’est bien son tour et c’est une belle façon d’animer Paris en juillet, aussi bien qu’avec les chars de combat ou les avions de Marcel Dassault. »
Comme avant chaque édition, on spécule sur les favoris de l’épreuve. Il est toujours intéressant d’observer la couverture des magazines spécialisés.
Le roi Eddy Merckx a déjà remporté cinq fois le Tour de France sur cinq participations. Il tente donc un exceptionnel pari : s’emparer avec un sixième succès du record absolu de victoires, surpassant ainsi « mon champion » Jacques Anquetil, unique coureur à l’époque à avoir remporté la plus grande course du monde à cinq reprises. Mes lecteurs passionnés de cyclisme les plus assidus, sachant mon admiration immodérée pour mon compatriote normand, auront compris que je voyais d’un mauvais œil le défi relevé par Merckx le Cannibale, par ailleurs champion du monde en titre.
Pourtant, Anquetil lui-même en avait pris son parti, à en croire Pierre Chany, considéré comme l’un des techniciens du cyclisme les plus avisés. D’ailleurs, Anquetil eut ce bon mot à l’arrivée d’une étape d’un de ses Tours de France victorieux : « Ne me demandez de vous raconter ma course, il y a plus compétent que moi pour le faire. Et moi-même, j’attends de lire le lendemain l’article de Pierre Chany dans L’Équipe pour savoir ce que j’ai fait, pourquoi et comment je l’ai fait. »
Voici donc ce qu’écrivait le remarquable journaliste quelques jours avant le départ en Belgique de la grande boucle 1975 : « « Quand ce Tour de France aura pris fin, je serai devenu un brillant second » a dit l’ancien champion révélant ainsi un humour qui lui fut parfois discuté, et s’inscrivant dans la ligne de ceux qui envisagent aujourd’hui une sixième victoire d’Eddy Merckx. Le Normand ne vit pas avec son passé, il ne perd pas l’appétit à l’idée que son record -cinq victoires dont quatre à la suite- sera menacé demain. Il estime seulement que le champion du monde, athlète de grand talent et baroudeur exceptionnel, correspond plus que d’autres aux nécessités du moment. L’heure de la succession n’aurait donc pas encore sonné. Selon Anquetil, Merckx un soupçon inférieur aux meilleurs spécialistes dans la haute montagne, compensera cette faiblesse relative par une présence quotidienne active, par ses hardiesses et par son efficacité contre la montre. Il usera de sa puissance et de son extraordinaire faculté de récupération pour mater des adversaires dont il a depuis longtemps situé les limites.
Cette opinion de Jacques Anquetil était partagée par la majorité des observateurs, il y a un peu moins de deux mois, après que le Bruxellois eût réalisé son fameux triplé : Milan-San Remo, Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège. On lui opposait alors Joop Zoetemelk qui joue l’essentiel de sa saison sur le Tour, Luis Ocaña qui rêve de battre un jour le Belge « à la régulière » dans cette épreuve, et l’on espérait que Thévenet, Poulidor, Fuente reviendraient à temps ce qu’ils furent naguère…
Seulement, il s’est produit depuis la première semaine de mai, qui marqua l’apogée de Merckx, un événement de nature à troubler les esprits. Nous ne faisons point allusion ici à l’extravagant sabordage du Tour de Romandie qui condamna les meilleurs et offrit la victoire au valeureux Galdos, mais aux deux étapes de montagne du récent circuit du « Dauphiné Libéré ». Au terme de cette épreuve, la critique était perplexe, de même Eddy Merckx et Luis Ocaña. En revanche, les supporters français exultaient, qui venaient d’assister à une formidable démonstration de Bernard Thévenet dans les cols de la Chartreuse, et à la performance à tous égards encourageante de deux « anciens » Raymond Delisle et Raymond Poulidor.
Le Charolais qui avait abandonné le Tour dans le col du Lautaret, l’an passé, victime des séquelles d’un zona, avait semé ses compagnons dans le col du Granier, et il s’était présenté à Grenoble, terme de sa chevauchée solitaire, près de cinq minutes devant Lucien Van Impe, plus de dix minutes avant Merckx et plus d’un quart d’heure avant Luis Ocaña. D’autres avaient subi un échec plus cinglant encore, tels Agostinho, Mariano Martinez et Freddy Maertens, lequel venait pourtant de gagner six fois en six jours. Une débandade comme on n’en voit peu, vraiment, et des visages singulièrement allongés à Grenoble…
Certes, d’autres événements ont suivi qui ont quelque peu réconforté les battus et corrigé certaines impressions, mais il est des taches tenaces qui ne disparaissent pas à la première pulvérisation de trichlorétylène, elles ont tendance à ressurgir quelques jours plus tard…
Attention : nous ne disons pas que Merckx et Ocaña seront battus, mais il semble bien que l’affrontement entre ces deux anciens « Maillots jaunes » et leurs adversaires sera plus rude, et sans doute plus serré, qu’il ne le fut jamais. Les marges de sécurité sont désormais réduites et ceux qui avaient tendance à renoncer un peu rapidement naguère commencent à retrousser la babine… » Puisse Chany avoir raison ! pensais-je à l’époque.
Raymond Poulidor, pour la première fois probablement, n’est pas cité parmi les favoris, le poids des ans sans doute. Dans sa quarantième année, il participe à son treizième Tour de France sans avoir vraiment espoir de revêtir enfin le maillot jaune, ne serait-ce qu’une journée. Durant sa carrière, il aura eu la malchance d’être opposé à Anquetil puis Merckx, deux phénomènes du cyclisme. En forme d’hommage, le Miroir lui consacre une courte bande dessinée.
Le jeudi 26 juin, ce sont 14 équipes de 10 coureurs qui se présentent pour un prologue de 6,250 kilomètres contre la montre dans les rues de Charleroi.
J’imagine l’éditorialiste du Miroir s’insurgeant à la lecture de la liste des concurrents. L’équipe Mercier de Poulidor a troqué son légendaire maillot violine pour celui bleu de la compagnie d’assurances Gan. Pour relater les chevauchées en montagne de Fuente, Galdos et Ocaña, il va falloir s’habituer aux sponsors ibériques Kas (limonade et sodas) et Super Ser (électro-ménager). Francesco Moser, un des favoris du prologue, roule pour Filotex, industriel italien du câble. Le « vicomte » Jean de Gribaldy s’est associé à la célèbre marque de glaces Miko.
Certaines marques de cycles ou accessoires figurent parfois encore accolées à des sponsors extra-sportifs. Ainsi Merckx et ses neuf coéquipiers belges courent pour l’équipe … italienne au maillot havane Molteni (fabricant de charcuterie industrielle)-Campagnolo (mythique fabricant de dérailleur). Les marques de cycles Bianchi avec à sa tête Felice Gimondi sous le maillot bleu céleste immortalisé par Fausto Coppi, et Gitane emmenée par le grimpeur Lucien Van Impe respectent une certaine éthique en s’associant aussi à Campagnolo. Le « tout Campa » cher aux amoureux du design rital est encore à la mode. Bernard Thévenet porte les espoirs français sous son maillot blanc à damiers noirs des cycles Peugeot. Quant à l’écurie Jobo-Sablière-Wolber constituée uniquement de coureurs français, elle joue un peu le rôle des anciennes équipes régionales si sympathiques aux yeux du public.
« Voici donc cent quarante coursiers, égrenés un par un au fil d’un prologue extrêmement tortueux, qui ont pu se considérer, chacun de son côté durant une petite dizaine de minutes, comme un vainqueur en puissance, bercer un rêve élyséen et imaginer que l’Arc de Triomphe les attendrait dans trois semaines. Ce qui est merveilleux, au départ d’une compétition de cette envergure, c’est qu’on ne puisse pas sensiblement (je ne dis pas raisonnablement) distinguer les vainqueurs des vaincus… Allons, par la grâce d’un seul, pour les 140 c’est parti comme en 14. La fleur au Moser. » (Antoine Blondin)
Pour deux secondes, le roi Eddy n’est pas prophète en son pays et Francesco Moser troque son maillot de champion d’Italie contre la casaque jaune que portait Merckx en raison de sa victoire lors de l’édition précédente. Le tout nouveau champion de France Régis Ovion, ancien champion du monde amateurs et vainqueur du Tour de l’Avenir 1971, obtient une méritoire neuvième place devançant d’une seconde son leader Thévenet. Gimondi concède 27 secondes, Poulidor 33, quant à Luis Ocaña, il termine à la 47ème place accusant déjà un retard de 45 secondes.
Images d’amateur avant et pendant le prologue contre la montre à Charleroi !
La première étape est divisée en deux tronçons, de Charleroi à Molenbeek en matinée, et de Molenbeek à Roubaix l’après-midi.
En passant en tête, au sommet de la côte de Bomérée, au kilomètre 8, le hollandais Joop Zoetemelk entre dans l’histoire du Tour comme premier coureur à enfiler le nouveau maillot blanc à pois rouges. La course se décante au 70ème kilomètre dans la côte d’Alsemberg non répertoriée pour le Grand Prix de la montagne : Merckx le bruxellois, qui connaît bien la région, attaque emmenant dans son sillage le maillot jaune Moser, les hollandais Zoetemelk, Priem et Knetemann, et ses compatriotes Pollentier, De Witte, Van Impe et Rottiers. Á l’arrivée à Molenbeek, devant la manufacture de tabac de la Boule d’Or, sponsor du Tour, le champion des Pays-Bas Cees Priem s’impose au sprint devant Merckx. Moser conserve son paletot jaune. Quelques favoris parmi lesquels Thévenet, Gimondi et Ocaña ont été piégés et concèdent 53 secondes.
La demi-étape de l’après-midi comporte le franchissement du célèbre mur de Grammont avant d’entrer en France près de Wattrelos. La lutte est encore farouche et la bonne échappée, lancée par Moser au km 78, compte, outre le maillot jaune intenable, 13 coureurs dont Merckx évidemment, Gimondi, Zoetemelk, Poulidor et Thévenet. Malchanceux, Zoetemelk, victime d’une crevaison, saute sur le vélo de Knetemann mais ne reviendra jamais sur les fuyards. Sur la piste du vélodrome de Roubaix, le Belge Rik Van Linden devance Moser d’un quart de roue. Zoetemelk, relégué dans le peloton des battus parmi lesquels Ocaña et Van Impe, perd 1 minute et 22 secondes.
Antoine Blondin apparaît déjà en verve, mêlant cyclisme et histoire : « En une seule journée, nous aurons connu l’étape des échevins et celle des écheveaux. Les premiers pullulent à travers le Brabant et les Flandres sous forme de personnages rubiconds et joviaux gaillardement imprégnés des bières les plus dignes, les seconds sont figurés par ces groupuscules d’intérêts enchevêtrés en lesquels se scinde à la moindre occasion le peloton initial particulièrement ardent, et qu’il faut débrouiller, chacun s’acharnant à la déroute de l’autre, tant il est vrai qu’on achève bien l’écheveau.
Lorsque, à la fin du XVème siècle, Jean de Roubaix fit concéder à la cité à laquelle il empruntait son nom un « privilège de la fabrique » qui la destinait à devenir l’une des capitales mondiales de l’industrie textile, il savait bien ce qu’il faisait. Non seulement plus de deux cents usines empanachent aujourd’hui la ville, mais encore, par voie de conséquence, dirait-on, la région tout entière semble se prêter parfaitement à ces grandes lessives qui préparent les beaux draps entrouverts sous les roues de l’adversaire cycliste pour mieux l’envelopper.
Ainsi avons-nous vu, en matinée et en soirée, une demi-douzaine de prétendants à la victoire finale se débattre à tour de rôle dans le lacis torpide du piège où ils s’étaient fait prendre et, moins heureux que l’indigène roubaisien, s’avérer pour leur part incapables de mener à bien la moindre filature.
Tout pourtant ne fut pas que ruines et deuils, voracité et violence, dans ce vendredi « des longs couteaux » intensément orchestré par Eddy Merckx et Francesco Moser. Nous garderons dans un coin, plutôt radieux, de la mémoire l’image de deux jeunes gens partageant une tasse de café et des sourires muets, à l’issue d’un buffet campagnard ménagé entre les deux demi-étapes. C’était à Molenbeek, dans les faubourgs de Bruxelles. L’un, Knudsen, venait de Norvège, l’autre, Rodriguez, de Colombie, et l’exil se lisait dans leurs regards, mêlé d’une certaine stupeur à constater que leurs deux trajectoires eussent trouvé le moyen de se recouper dans cette banlieue usinière.
Knut Knudsen, le Nordique, a connu un destin savoureux. Coiffé de chaume, ex lui-même pur produit de la ferme, il habitait dans un splendide isolement à plus d’un millier de kilomètres du plus proche vélodrome quand sa vocation se dessina. Pour ne pas perdre tout-à-fait une main-d’œuvre aussi précieuse, son père installa dans une grange un tapis roulant à véhiculer le grain dont il réglait lui-même la vitesse. Sauf à disparaître sous quelque meule, le fils, qui pédalait sur place, était obligé d’accélérer pour soutenir le rythme. Après des mois de ce régime, Knudsen était champion olympique puis champion du monde de poursuite. Hier, il dut assez vainement faire appel à cette double qualité.
Chez Martin Rodriguez, dit Cochise, le pittoresque est plutôt réfugié dans la personne même. Sa figure ovale et olivâtre respire précisément la civilisation précolombienne. Ce n’est pas un cas, c’est inca. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il a relativement échappé au naufrage des ressortissants d’influence ibérique. Car Ocaña en perpétuelle difficulté depuis le départ, Agostinho absent de tous les wagons, les autres invisibles, et pour couronner l’ensemble, Fuente, présumé le meilleur grimpeur, résolument éliminé dans le plat pays qui n’est pas le sien, c’est bel et bien la revanche séculaire des Flandres sur les envahisseurs espagnols. »
Samedi 28 juin, malgré la courte distance (121 kilomètres) qui sépare Amiens de Roubaix, la course apparaît bien fade après les sévères échauffourées de la veille. Malgré tout, l’étape est courue à plus de 46 km/h de moyenne, en raison d’un fort vent qui souffle en direction de la capitale picarde.
Peu avant la mi-course, au sommet de la côte de Petit-Vimy, la seule répertoriée pour le classement de la montagne, Lucien Van Impe, en passant en seconde position derrière l’espagnol Torres, chipe à Zoetemelk son maillot à pois.
Gérard Moneyron, le titi parisien de l’équipe belge Carpenter-Flandria, part seul à 11 kilomètres de l’arrivée. Peut-être, prend-il à cœur son nouveau rôle d’acteur. En effet, est-ce en raison de sa gouaille, le cinéaste Jacques Ertaud a choisi de centrer sur lui son documentaire Autour du Tour**** avec des commentaires d’Antoine Blondin.
Malheureusement, le sympathique Gérard est rejoint à 1 kilomètre du circuit d’arrivée tracé autour du parc de la Hotoie, là-même où se disputait dans les années 1950, un très populaire critérium d’après Tour de France.
Perret, homonyme de l’architecte qui édifia la célèbre tour du centre-ville, tente de partir dans la ligne opposée, puis Santambrogio se dégage à 600 mètres de la banderole. L’Italien croit avoir gagné (on le voit levant les bras sur l’extrait vidéo ci-dessous) mais il reste en fait un tour de circuit à effectuer. Finalement, Ronald De Witte, de la même formation que Moneyron, règle au sprint un peloton compact. « De Witte fait, bien fait », comme aurait pu écrire Blondin !
Aujourd’hui, l’eau de la source Perrier ne peut plus prétendre être 100% naturelle !
Est-ce parce qu’il a « sauté » cette étape, peut-être pour la simple raison que le quotidien qui l’emploie ne paraît pas le dimanche, Antoine nous livre, entre Amiens et Versailles une chronique royale, truffée de calembours, qu’il intitule « Trois mousquetaires triés sur le valet ou comment au retour de la campagne des Flandres, Athos, Aramis et d’Artagnan laissèrent la bride à leurs valets et comment, finalement, ces vacances se convertirent en congés payants » : « Par un beau dimanche de juin, les cloches de la cathédrale d’Amiens sonnaient à toute volée sur le plus fabuleux rassemblement de combattants qu’on eût connu depuis les années de grâce 1960. « Arrêtez, arrêtez, clochers » s’écriait le bon peuple massé sur le bord des routes, en écarquillant les yeux de la Noël. Mais le cortège allait, semant le beffroi sur son passage. C’est qu’il lui fallait être le soir même à Versailles, distant de quarante lieues, et que le côté course ne pouvait être négligé sans détriment pour le côté jardin, surtout lorsqu’il s’agit d’un jardin comme Le Nôtre, tel qu’il n’en existe pas deux.
En remontant la file, déployée sous des banderoles à sa gloire, on trouvait d’abord les pages à la page des cadets de Wolber qui servent dans l’effronterie, reconnaissables à leur Jobo de dentelles. Puis venaient des seigneurs accrédités au plus haut : les De Witte, les De Schoenmeacker, les d’Anguillaume, j’en passe et De Meyer. On reconnaissait enfin, à leur grande allure, bien que celle-ci fut faible, les deux fameux chevaliers, Poulidor de l’ordre de Léopold et Merckx de la Légion d’honneur (chacun porte sa croix). Pour cette présentation de la petite reine à la Cour, fallait-il précisément porter sa décoration sur le maillot ? Les deux compères en discutaient plaisamment. Á la fin, Poulidor : « T’occupe pas du château de la gamine (il s’agissait de la petite reine)), laisse flotter le ruban. » Ce mot historique, répandu sur la caravane, fit écho à une autre parole prononcée par un troisième larron, nommé Moser, qui avait déclaré un peu auparavant : « Nous n’amènerons pas les grimpeurs en carrosse au pied des Pyrénées ». Ainsi, comme on savait également par la bouche du grand roi qu’il n’y avait plus de Pyrénées, n’y avait-il pas, non plus, de carrosse. Autrement dit : les carrosses étaient cuits, il en restait suffisamment pour qu’un précieux radical, penché à la portière, pût admirer la galanterie des bordures essaimées le long d’un chemin où les éventails se déployaient.
On fit collation à Chaumont, de cuisses de chapons, de tartelettes comme deux ronds de Flandres et de salamis de flocons d’avoine, arrosés de quelques bidons de vin d’Espagne. Fût-ce ce dernier adjuvant ? Toujours est-il que Don Ocaña, ambassadeur en France de toutes les Castilles, poussa sa monture en avant pour devancer la troupe et courir au pavois. La vérité nous oblige à dire qu’il ne faisait en cela qu’obéir à l’injonction que lui avait secrètement soufflée la petite reine (en castillan : l’infante) : « Ne me faites pas la moue, faites la guerre. »
Poulidor, qui possède le courage et la taciturne expérience d’Athos, Merckx, que son ambition et sa droiture apparentent à d’Artagnan, auxquels s’était joint Moser, que sa fraternité avec un abbé peut assimiler à Aramis, ne l’entendirent pas de cette oreille. Tout serait rentré dans la norme langoureuse et fastueuse de cette journée si, sur le champ, Misac, qu’on avait vu le matin même porter une demi-douzaine de gibernes de victuailles à l’intention de Poulidor, Spruyt, que Merckx se propose de décorer du cordon du Saint-et-Spruyt, et Ritter, dont Moser lui-même a dit qu’il présentait un « Ritter de qualité » n’avaient pris sur eux de foncer les premiers vers le château. On sait que le dimanche est le jour de sortie des gens de maison. Allions-nous assister au triomphe de Grimaud, de Planchet, de Bazin sur leurs maîtres ?…. On sait que l’entreprise ne fut pas couronnée de succès, mais que, pour la morale, ce fut un quatrième domestique qui l’emporta, en la personne de Karel Rottiers, qui portait aussi la casaque de Merckx (comme un Eddy cardinal). Comme on s’en étonnait auprès de son capitaine : « Eh quoi fit celui-ci, n’avez-vous pas reconnu Mousqueton ? Porthos n’était pas là, il me l’a prêté. « Mon Karel » comme disait un cadet de Gascogne du nom de Mastrotto, le quartier des coureurs lui ouvrira, ce soir, un quartier de noblesse ». À quand le thé des hommes à Notre-Dame ? À quand d’autres princesses? Et pour commencer, Henriette du Mans…»
Laissant échapper sa verve, la plume de l’Antoine n’est jamais aussi étincelante que lorsqu’il s’agit d’écrire à propos d’une étape monotone.
Finalement, sur le circuit de l’avenue de Paris, face au château de Versailles, le Belge Karel Rottiers, qui a démarré à 1200 mètres de la ligne, l’emporte résistant dans l’ordre à Moser (qui reste en jaune), Esclassan, Van Linden (qui devient maillot vert), Godefroot et Merckx.
Rottiers, le jeune équipier (22 ans) du roi Eddy chez les « Molteni », déclarera plus tard : « Moi, dans cette équipe, j’étais comme un enfant de chœur qui sert la messe au pape. »
Le regretté chantre auvergnat Jean-Louis Murat, afficha sa passion pour le cyclisme, en écrivant, outre un éloge au champion espagnol Bahamontès, une chanson intitulée Les Molteni : « Rattrapé par les Molteni/Je m’enfonce seul dans ma nuit… »
J’étais désormais Versaillais pour des raisons professionnelles. Ainsi, lundi 30 juin, je suis au départ de l’étape Versailles-Le Mans, plus précisément en vallée de Chevreuse, dans la côte de Port-Royal, à proximité des ruines de l’abbaye où Blaise Pascal médita quelque temps. C’est l’occasion de vous parler de Guillaume Martin-Guyonnet, actuel coureur normand, titulaire d’un master de philosophie, et auteur du jubilant livre « Socrate à vélo, le Tour de France des philosophes »*****. Il y imaginait Socrate, Aristote, Nietzsche, Heidegger, Pascal et autres penseurs, à vélo, préparant le Tour de France.
Lucien Van Impe passe en tête au sommet de la côte, avec seul état d’âme de consolider son maillot à pois rouges.
Une grève des syndicats du Livre a obligé les organisateurs à modifier légèrement le parcours prévu. J’aime à penser que c’est dans leur recherche du temps perdu, qu’ils font passer les coureurs par Illiers-Combray, bourg où Marcel Proust passait ses vacances d’enfance dans la maison de Tante Léonie.
On relève de nombreuses tentatives d’échappée, mais aucune qui ne mérite une quelconque attention. Ce n’est déjà plus le temps où « le régional de l’étape » avait un bon de sortie. Dommage pour le Sarthois Joël Hauvieux, de l’équipe Jobo-Wolber, qui doit juste se contenter de passer en tête dans son village natal de Brette-les-Pins. Dans ma jeunesse normande, je vis plusieurs fois courir ce valeureux champion. Il épingla le convoité Maillot des Jeunes organisé par le quotidien régional Paris-Normandie, au palmarès duquel figurent notamment Jacques Anquetil, Gérard Saint, Jean Jourden et Philippe Bouvatier.
Presque naturellement, l’étape s’achève par un sprint sur le circuit Bugatti des 24 heures du Mans. Le Tarnais Jacques Esclassan, de l’équipe Peugeot, l’emporte d’extrême justesse devant le maillot vert Van Linden. Les deux coureurs s’accrochent d’ailleurs dès la ligne franchie, entraînant la chute du Belge. Esclassan confie avec humour aux journalistes : « Avec un maillot à damiers au Mans, je ne pouvais que gagner ! »
Sur l’itinéraire officiel des organisateurs, il est mentionné que la 5ème étape qui part de Sablé-sur-Sarthe s’achève à … Merlin-Plage ! Et que le lendemain, est disputée une étape contre la montre sur le circuit de Merlin-Plage ! De quoi faire « chouanner » Maurice Vidal et les maires des cités vendéennes de Saint-Hilaire-de-Riez, Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Saint-Jean-de-Monts complètement rendues anonymes derrière ce nom de Merlin-Plage, une commune qui n’existe sur une aucune carte de France Vidal-La Blache. Énorme coup de pub de la part de Guy Merlin pour promouvoir le complexe immobilier qu’il vient de bâtir en bord de mer.
Coluche le railla dans un de ses sketches : « Alors moi, j’ai acheté une maison Merlin. Voyez ?… Maison Merlin, cage à lapin. Bon !… J’ai pris un crédit personnalisé à long terme. Parce que chez Merlin, c’est le crédit qu’est cher, c’est pas la maison, hein ! Parce que quand on voit la maison, on se dit : – C’est pas vrai ? Ça a pas coûté ce prix-là ! – Non, non. C’est le crédit qu’est cher. »
Antoine Blondin ne manque pas d’ironiser sur « les murs de Merlin »: « Hier, la grève était à l’honneur, aujourd’hui, c’est le sable. Hier, nous n’avons pas paru, les deux jours que voici, entre Merlin-Est et Merlin-Ouest, nous paraîtrons sur quatre plages et sur cinq collines à la dune. »
La course entre Sablé-sur-Sarthe et Merlin-Plage est assez terne, Blondin la résume bien avec sa chronique intitulée « Le sable et le roupillon » : « Les coureurs qui laissaient derrière eux le circuit du Mans promis aux bolides de ce que l’existence précède l’essence (comme le disait le philosophe local Jean-Paul Sartre), appliquèrent au pied de la pédale l’objurgation de Giscard : « Partez en vacances tranquilles. Pourquoi la politique du Tour de France serait-elle tendue et véhémente ? » Les voilà bien les allocutions familiales.
Ainsi l’allure se maintint-elle longtemps dans une honnête Mayenne sous un soleil d’étain où se fondaient le bleu uniforme du ciel et les verts contrastés du bocage. Á proportion qu’on s’éloignait du circuit Bugatti et qu’on s’enfonçait dans le pays de Charette (général d’une armée royaliste de la guerre de Vendée ndlr), il s’avérait que les paroles de la chanson fameuse : « Nos messieurs sont partis… » n’étaient pas de circonstance, à tout le moins que nos messieurs ne chassaient pas grand-chose, ni la perdrix républicaine nie le sanglier de la combativité. La parole était à la torpeur et l’on parlait peu en dormant. Et puis, comme une autre chanson veut que le sommeil, ou le soleil, ait rendez-vous avec la lune et que Joaquin Agostinho, Portugais ensablé, s’évertuait à montrer l’oreille avec obstination, la compétition, brûlante, intenable soudain, s’acheva en lisière de l’Océan sur des charbons ardents. On ne s’étonna pas que l’ait emporté finalement un Hollandais, habitué par vocation à évoluer sur un territoire disputé à la mer. »
On assiste à un sprint massif. Merckx attaque aux 300 mètres. Il est débordé par Van Linden le long des balustrades et par Théo Smit, sur la gauche, qui l’emporte nettement. Francesco Moser garde son maillot jaune. J’ignore ce que Smit fit de l’appartement d’une valeur de 100 000 francs que Guy Merlin offrait au vainqueur.
Ce qui est certain, c’est que « Théo Smit, comme son second Van Linden furent bientôt appelés à s’exécuter dans une éprouvette tendue par le caprice d’un personnage fabuleux. Des concurrents arrêtés à leurs stands pour faire le vide, on en rirait au Mans. En fait de chicanes, celle-ci était de taille et sans échappatoire cette fois. Le potentat captivant les attendait au tournant. Ce « tyranneau de virage », nous tairons son nom. Toutefois, comme il a fait de la hantise des stimulants tabous (au nombre de 199) son cheval de bataille, nous l’appellerons : Amphétamine Dada. Tout ce qu’on sait de ce redoutable bocalomane, qui se barricade volontiers dans une caravane, c’est qu’il exige que de hautes personnalités, des directeurs sportifs par exemple, lui amènent eux-mêmes leurs ressortissants ; non certes en chemise et la corde au cou, mais le cuissard entrebâillé, selon un rituel de l’attribut. Il ne les relâche que contre de sérieux prélèvements. »
Lors de cette édition 1975, le docteur Jean-Pierre de Mondenard officiait pour la troisième et dernière fois comme médecin du Tour de France. Suite à une interview sur France-Inter où il déclarait que le dopage était omniprésent dans le Tour, il fut vertement réprimandé puis bientôt remercié par le coorganisateur Félix Lévitan : « Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire ». Auteur de plusieurs ouvrages sur la médecine du sport, cyclotouriste pratiquant, il continue, à plus de 80 ans, de dénoncer dans un blog très documenté les dérives du dopage sportif.
Quant à Antoine Blondin, son talent littéraire cachait une certaine complaisance : « Étant entendu que nous rêvons d’archanges à roulettes, dont la blancheur ne risquerait pas de se ternir au contrôle et qui nous donneraient une estimation flatteuse du cheptel humain, j’émets l’opinion personnelle qu’il y a, malgré tout, une certaine grandeur chez des êtres qui sont allés chercher dans on ne sait quel purgatoire le meilleur d’eux-mêmes. On a certes envie de leur dire qu’il ne fallait pas faire ça, mais on peut demeurer secrètement ému qu’ils l’aient fait. Leurs regards chavirés nous sont comme une offrande. Nous pensons que demain dispersera ces nuages. Du moins se seront-ils une fois offerts aux acclamations et aux outrages pour que tourne le somptueux manège, ce concours permanent où ils se veulent élus. »
Mercredi 2 juillet, c’est l’épreuve de vérité à savoir que l’étape se dispute contre la montre sur le circuit dit de Merlin-Plage long de 16 kilomètres avec départ à Saint-Hilaire-de-Riez et arrivée allée des Mouettes… à Merlin 2, via la route de la Corniche Vendéenne.
Blondin, jamais avare de bons mots, « rend son sablier » : « Les minutes, les secondes, ces instants précieux dans la vie d’un être humain, dont nous échappent le plus généralement le prix et le poids qui expriment sous une forme inexorable la vie quotidienne de chacun d’entre nous, cette hâte à se hâter ou à se débiner, ce bonheur de musarder, cette joie de survivre, non de se survivre, mais de vivre plus, de vivre enfin, sur la course contre la montre nous l’offre avec une prodigalité exemplaire. Elle nous a délivré hier, en la personne d’Eddy Merckx, un être qui semble savoir où il va… »
« Le Cannibale », dont certains annonçaient le déclin en raison de sa moindre domination, s’est réveillé et a remis les montres à l’heure. Le champion du monde l’emporte à plus de 49 km/h de moyenne, reléguant son second, l’étonnant Français Yves Hézard à 27 secondes, le maillot jaune Moser à 33 secondes, Ocaña à 53 secondes, Gimondi à 1 minute et 14 secondes. Bernard Thévenet, pourtant victime d’une crevaison, termine à une excellente 6ème place à 52 secondes.
Voici, à nouveau, Merckx, le quintuple vainqueur du Tour, avec le maillot jaune.
Á l’occasion de ce Tour 1975, la chaîne TF1 parraine un prix original récompensant le coureur le plus souvent apparu sur l’écran lors des retransmissions. En ce jour d’effort solitaire, Blondin consacre un paragraphe au coureur le plus combatif : « En vérité, la première victime de cette épreuve de vérité nous semble être Jean-Claude Misac, qui, parmi d’autres talents, s’est fait une valeureuse spécialité d’apparaître le premier sur les écrans de télévision quand sonnent les fanfares de l’Eurovision. Admirable combattant, les armes haut levées, nous l’avons vu aujourd’hui relégué dans l’anonymat d’un peloton de figurants. Á force de passer devant « l’étrange lucarne » comme disait François Mauriac, on finit par passer par la fenêtre. Ce n’est pas la moindre des leçons que l’on puisse tirer au bord de la route, où elles pullulent, pour leur plus grande gloire. »
Antoine semble bien assoupi sur la route d’Angoulême, terme de la septième étape (un abus de Pineau des Charentes ?) : « Á chaque jour suffit sa peine. Celle que nous avons traversée hier, malgré les splendeurs irisées du ciel des Charentes, était particulièrement morne, et l’étape, pour reprendre l’expression d’un chroniqueur fameux, s’avéra « longue, plate et mortelle comme l’épée de Charlemagne ».
Le vent soufflant de trois-quarts face favorise pourtant la formation de bordures. Ainsi, le peloton se fractionne et se retrouvent en tête 22 coureurs parmi lesquels la plupart des favoris, Merckx, Zoetemelk, Ocaña, Moser, Van Impe, Gimondi et Thévenet. Par contre, Poulidor, Van Springel et Galdos se sont faits piéger. L’entente n’est pas cordiale dans le groupe d’échappée et finalement, Poulidor et ses compagnons recollent du côté de Saint-Sauveur-d’Aunis. Dès lors, l’allure faiblit considérablement.
Certains, parmi lesquels quelques « Jobo », se disent que cette passe d’armes en a fatigué plus d’un et tentent d’en profiter… vainement. C’est finalement un peloton groupé qui se présente à Angoulême, au pied de la côte d’arrivée. Danguillaume démarre trop tôt au dernier kilomètre et c’est le maillot blanc Francesco Moser qui lance le sprint aux 300 mètres et l’emporte largement au sprint devant les Belges Van Linden, Merckx et Godefroot.
Des cassures se sont produites dans ce sprint en côte, ainsi Ocaña et Hézard accusent un retard de 17 secondes. Merckx, bien sûr, conserve le maillot jaune.
Vendredi 4 juillet, il n’y a rien à attendre de particulier de l’étape qui mène les coureurs d’Angoulême à Bordeaux, si ce n’est comme d’habitude un sprint spectaculaire sur la piste rose du Parc Lescure. On l’ignore à l’époque, il s’agira là du dernier sprint disputé sur ce vélodrome mythique, quatre ans avant l’ultime incursion du Tour pour un contre la montre par équipes. La piste est aujourd’hui détruite et la pelouse voit évoluer désormais les rugbymen de l’Union Bordeaux-Bègles, tout récemment champions d’Europe.
Est-ce parce que la victoire ici a souvent souri aux coureurs hollandais, cela donne des idées à Den Hertog repris à 8 kilomètres du but. Dès lors, toutes les attaques sont neutralisées par les équipiers des sprinters. Dans l’emballage final, le Britannique Barry Hoban la joue finement et déborde tout le monde dans la dernière ligne droite. « Bordeaux Barry » ! Les journalistes abusèrent de ce bon mot pour louer le sympathique coureur, déjà victorieux sur l’anneau girondin en 1969 et deux fois deuxième, et la prestigieuse course malheureusement aujourd’hui disparue.
Barry Hoban nous a quittés en ce mois d’avril dernier à l’âge de 85 ans. Il remporta huit étapes dans le Tour de France, la première survenant, le 14 juillet 1967, au lendemain de la mort sur le Mont Ventoux de son compatriote et coéquipier Tom Simpson. En cette circonstance, avec la bénédiction du peloton, il fut autorisé à franchir la ligne d’arrivée en tête en hommage à son ami défunt dont il épousa la veuve quelques années plus tard.
Samedi 5 juillet, la neuvième étape est scindée en deux tronçons, en matinée une course en ligne entre Langon et Fleurance (131 km) et l’après-midi, une épreuve contre la montre de 37,5 km entre Fleurance et Auch.
Une première demi-étape monotone, une de plus … résument les journalistes. On assiste à un sprint massif dans la petite cité gersoise dont le maire est Maurice Mességué, surnommé le « pape des plantes » pour avoir contribué à développer l’utilisation des plantes médicinales. Il revendiquait avoir soigné plusieurs grands de ce monde tels Winston Churchill, Mistinguett, Jean Cocteau, le futur pape Jean XXIII et … Raymond Poulidor qui affirma lui devoir sa « seconde jeunesse » après 1971.
Comme lors de l’arrivée au Mans, le Castrais Jacques Esclassan et le maillot vert Van Linden s’accrochent. Tassé par le sprinter de la Bianchi au ras des barrières, le coureur de l’équipe Peugeot touche avec sa pédale la patte d’appui d’une de ces barrières et chute lourdement. Victime d’une fracture de la clavicule, le Tour est terminé pour lui.
Déjà vainqueur à Merlin-Plage, le Hollandais de l’équipe Frisol, Théo Smit, l’emporte facilement.
Antoine Blondin montre à sa façon qu’on peut être premier (en littérature sportive) dans un état second, pour reprendre a contrario son jeu de mots sur l’usage de produits stimulants (ou enivrants) : « De Langon à Fleurance et de Fleurance à Auch, à travers un paysage doucement tourmenté de ceps et de pampres, nous avons vu se presser à l’infini, malgré la parcimonie des agglomérations, un concours de populations à nul autre pareil. Les colonies de vacances, les seules qui pratiquement nous restent, se libéraient en gerbes d’enthousiasme -les voilà bien les transports d’enfants- et, pour leur faire pendant, les vignerons posaient la hotte, le roulier dételait ses chevaux, le moissonneur planquait ses engins au détour des chemins creux pour ne pas perturber la magnificence des horizons. Le Tour de France ne rencontrait plus de tracteurs ni de détracteurs.
Aux petites heures de samedi, les commanderies vineuses du Langonnais en tenue de gala moyenâgeuse se prirent à introniser à tour de bras avec un discernement parfois discutable. Qu’un chevalier du taste-vin comme Raymond Poulidor ait émargé à l’ordre, il n’y a là rien que de très naturel. Mais que la présence dans les parages d’un connaisseur comme votre serviteur ait été aussi parfaitement négligée, il y a des coups de pied aux crus qui se perdent. Ah ! les vignobles individus ! L’affaire est grave, et il serait temps que les caves se rebiffent.
Toutefois, par un de ces retournements de péripéties savoureux, tel que la grande épreuve en est prodigue, nous allions faire, dans l’enceinte de l’hôtel de France à Auch, toujours supérieurement animé par André Daguin, l’objet d’une distinction autrement honorifique en nous trouvant confirmé dans notre titre de « maître aqueux ». Eh oui, les choses vont ainsi : nous avons été faits compagnons de la goutte d’eau. Que notre ami René Mauriès (grand journaliste du quotidien La Dépêche du Midi ndlr) et le comte de Bournazel, descendant de l’homme au dolman rouge et grand maître de la confrérie du bontemps, sauternes, barsac nous pardonnent. Nous n’en rougissons pas, bien au contraire. D’autant plus que la cérémonie se déroulait au cours de ces cinq-à-ceps ensoleillés où la conjuration du bourguignon (lire : le soleil) et de l’armagnac distille des instants veloutés.
Et d’autant plus également que nous avons bien pris garde de ne pas négliger les bons de commande prodigués par les propriétaires récoltants de la ligne de départ à la ligne d’arrivée, et que c’est par douze bouteilles que le précieux nectar nous rejoindra un de ces quatre matins dans je ne sais quel fourgon. Certes, il y aura des coups de pied aux fûts qui ne se perdront pas… » Chers lecteurs, si vous avez la curiosité de visionner le documentaire Autour du Tour (extrait à 53 minutes et 17 secondes), vous vous réjouirez d’un épisode désopilant survenu lors de cette étape contre la montre en Armagnac. Est-ce parce que Gérard Moneyron, le héros du film, ne fut retenu dans l’équipe Flandria que quelques heures avant le départ de Charleroi, toujours est-il que sa direction technique n’ayant pas prévu de plaque à son nom, fixa une pancarte « Réserve » sur la calandre de la voiture suiveuse. C’est ainsi que de nombreux spectateurs crièrent « Allez Réserve ! » au passage du sympathique coureur parisien.
Hors ses libations, il est juste de dire que l’Antoine revient, en fin de chronique à l’essentiel : « c’est-à-dire à l’attente fervente d’Eddy Merckx, à son passage lumineux dans le splendide isolement du « contre la montre », à son sillage agité d’envols et de regrets. Nous vîmes même, par quel étrange réflexe, une petite paysanne, pudiquement dissimulée derrière quelques feuilles de vigne, se signer lorsqu’il apparut. Cette consécration célébrait en somme les retrouvailles furtives de la bergère et du Prince Sarment. »
Sur un parcours accidenté en plein cœur de l’Armagnac, et malgré une crevaison, Merckx semble asseoir sa domination en remportant sa 34ème victoire d’étape sur le Tour de France.
Felice Gimondi, quatrième à 44 secondes, a bien résisté. Ocaña et Moser concèdent un peu plus d’1 minute. Poulidor, onzième, perd 2 minutes et 6 secondes.
La belle surprise vient de Bernard Thévenet qui, bien que victime aussi d’une crevaison, oppose une farouche résistance au champion belge en prenant la seconde place à 9 petites secondes. « Nanar », comme le public français commence à l’encourager, pointe à la troisième place du classement général, juste derrière Moser. C’est de bon augure avant les Pyrénées que les coureurs vont aborder après une journée de repos.
Les photographes ne pouvaient pas rater ça : ils profitent de cette trêve pour demander au champion français, aussi impétueux que le mousquetaire, de poser avec ses équipiers au pied de la statue de d’Artagnan, l’enfant du pays.
Lundi 7 juillet, la dixième étape Auch-Pau, comme l’écrit Blondin, plus qu’une espèce de ragoût (le hochepot), dégage un certain fumet de religiosité : « Les choses avaient commencé à l’heure des messes basses dans la superbe cathédrale d’Auch dont les stalles et le chapitre curieusement ouvragés méritent le détour. Là, recueillis et disséminés aux hasards de la nef, on pouvait distinguer dans la pénombre des silhouettes de coureurs que la lueur des vitraux estampillait comme d’une auréole. Le parfum de l’embrocation le cédait à celui de l’encens, l’autel se substituait à l’hôtel et jusqu’aux plus grands, tel Moser, un cierge à la main, les coureurs ne se refusaient pas de chercher fortune autour du chanoine. Ainsi du jeune et charmant Ferdinand Julien, abîmé dans une méditation profonde, qu’on pouvait voir marmonner dans sa casquette une prière venue de l’enfance, sans doute pour solliciter ces jours d’indulgence plénière qui sont les bonifications du bon Dieu.
C’est qu’avec le col du Soulor nous abordions la première tranche de haute montagne et que, élévation pour élévation, celle de l’âme avait son mot à dire. Il va de soi qu’il est dans la nature de l’entreprise qu’un contingent comme le nôtre ne puisse pas mettre tous ses vœux dans le même panier. Les concurrents, tout au long de la journée, bercèrent des aspirations disparates et connurent des destins contrastés.
Nous détacherons le martyre du pauvre Bernard Labourdette, pleurant en selle à proportion de son poignet, atteint d’une fracture présumée du scaphoïde avant même la ligne de départ. Que le citoyen de Lurbe-Saint-Christau soit parvenu à terminer cette étape qu’il remporta naguère en régional accompli tient du miracle. Peut-être le voisinage de Lourdes y est-il pour quelque chose. Pour lui, grimpeur naturel, la montée fut une montée au calvaire. Sant-Médard, Saint-Élix, Saint-Michel, Saint-Frai, Saint-Abit… ce n’était plus du parcours, c’était une litanie. Elle résonnait également dans la carcasse affaiblie du bienheureux Poulidor qu’on retrouve à la 6ème place du classement général malgré un fort début de bronchite qui relèguerait sous la couette n’importe quel jeune homme normalement constitué. Apparu au contrôle dans la peau fébrile d’un quadragénaire quinteux, décramponné dans l’ascension, il trouva des ressources exemplaires pour revenir se mêler au groupe de tête et se raccrocher aux bronches. Un grand coup d’auréole à notre Poupou, patron des artisans du vélo. Pour lui aussi, pour lui surtout, le travail c’est la sainteté. »
Moins lyriquement, la course est calme jusqu’aux premières rampes du col de Soulor où, en raison du train soutenu assuré par le normand Delisle et De Schoenmacker, l’équipier de Merckx, une élimination par l’arrière s’opère. Van Impe consolide son maillot à pois en passant en tête du Soulor, la première « vraie » ascension de ce Tour. Dans la descente, on assiste à un regroupement et c’est un groupe de 21 coureurs, comprenant tous les favoris, qui passe non loin de Bétharram, aujourd’hui tristement célèbre, puis traverse le village de Mastrotto, ancien coureur attachant que Christian Laborde présentait ainsi : « Je me souviens de Mastrotto, Raymond Mastrotto ! Mon père m’en parlait, le soir dans la cuisine, en tricot de peau, après le jardin. Avec la lame du couteau, il rassemblait les miettes craquantes de pain qui traînaient sur la toile cirée, les portait à sa bouche, un coup de Menjucq, et hop ça partait : « Mastrotto, on l’appelait le taureau de Nay. Une force, tu peux pas savoir… Mastrotto, il cassait les chaînes au démarrage. Terrible Mastrotto ! Et puis attention, il a fait partie de l’équipe de France, tu comprends, avec Anquetil, Darrigade, Stablinski et François Mahé… Mon père se servait un autre rouge et continuait ... » L’Italien de la Filotex Roberto Poggiali tente de s’enfuir dans la petite côte de la Piétat mais il ne peut résister au retour de son compatriote Felice Gimondi qui a jailli du groupe de tête et l’emporte facilement sur le circuit automobile, sous le « beth ceu de Pau ».
Il ne s’agit là que d’une mise en bouche. Les choses sérieuses commencent réellement le lendemain lors de la 11ème étape qui mène les 126 coureurs rescapés de la cité du bon roi Henri à la station de sports d’hiver de Saint-Lary-Soulan avec le franchissement des cols du Tourmalet et d’Aspin puis la montée finale au Pla d’Adet, celle-là même où, l’année précédente, Poulidor a accompli un de ses plus grands exploits en l’emportant après avoir lâché Merckx.
En ce qui me concerne, de cette montée au Pla d’Adet, ou plus justement de sa descente, surgit toujours une intense émotion. C’est là que, quelques années auparavant, suite à une rupture de freins de ma Renault 4L, j’avais cru ma dernière heure déjà venue en plongeant dans le précipice. Je n’avais pas fait brûler de cierge, pourtant je suis là avec vous, aujourd’hui, sur la route du Tour.
Dans sa Fabuleuse Histoire du Tour de France, Pierre Chany raconte : « Les observateurs attendaient de cette étape pyrénéenne qu’elle les renseigne sur les capacités de Merckx en haute altitude et la réponse eut pour effet de précipiter le Tour dans la plus profonde incertitude, rendant Bernard Thévenet à ses ambitions initiales. On savait que le Belge, cependant meilleur qu’il ne l’était en 1974, subissait maintenant plus qu’il n’en imposait, et que Thévenet et Zoetemelk étaient capables, atteignant chacun au summum de l’effort, de distancer le Bruxellois dans les rampes abruptes. Ils portèrent ensemble trois attaques successives à huit kilomètres de Saint-Lary. Au bas de la rampe, ils étaient encore six ensemble, Merckx, Delisle, Thévenet, Ocaña, Van Impe et Gimondi. Avec un retard de 50 secondes suivaient les premiers battus du Tourmalet et d’Aspin, parmi lesquels Poulidor et Battaglin. Plus loin encore, Moser payait sa prodigalité des premiers jours, ses capacités de grimpeur paraissant par ailleurs trop faibles pour lui assurer une place d’honneur à Paris.
Le premier démarrage de Bernard Thévenet fut dévastateur et condamna Gimondi, celui-ci à la corde depuis les derniers kilomètres d’Aspin, de même que De Schoenmacker et Galdos premier des Ibériques. Quand Thévenet fut rejoint par Merckx, Zoetemelk, Ocaña et Van Impe, au terme d’une brève poursuite, le Hollandais de Germigny-l’Évêque bondit aussitôt et s’en fut, d’un style nerveux, ses muscles jouant à fleur de peau. Le Batave allait trop vite pour le Maillot Jaune, contraint d’en revenir à sa technique de colmatage.
Quand Thévenet accéléra soudainement pour se porter à la hauteur de Zoetemelk, Merckx parvint néanmoins encore à forcer un soupçon l’allure, sortant Ocaña de l’abri et conservant à ses côtés le seul Van Impe. Le Bruxellois continua jusqu’au bout son pénible labeur, cédant du terrain avec la parcimonie d’un avare. Á trois-cents mètres du sommet, le pneu arrière de Thévenet avait éclaté, avatar privant le public d’un sprint sûrement spectaculaire.
Á l’arrivée, 6 secondes séparaient Zoetemelk de Thévenet, le retard de Merckx était de 55 secondes. Merckx faisait ses calculs, il avait perdu près d’une minute en 10 kilomètres d’escalade, et trois arrivées au sommet lui étaient encore proposées. Thévenet, qui était en meilleure position, inspirait encore de la réserve aux observateurs. »
Voici ce que, dans sa chronique savoureusement titrée Les grands d’Adet, Blondin retint de cette étape : « Près de six heures d’une bataille de très grande envergure, dilatée sur des écarts d’espace et de temps sans cesse remis en cause, nous ont délivré, au terme d’une ultime ascension vers le lieu-dit « Le Pla d’Adet », ce qu’il faut considérer comme l’exacte hiérarchie des personnalités qui ont marqué à ce jour l’épreuve parvenue en son milieu. On ne pourra prétendre que nos vaillants petits soldats, à l’issue d’un demi-tour impeccable, ne nous ont pas présenté les armes pour rendre les honneurs à l’attention frénétique que les foules massées sur les contreforts et nous-mêmes, dans nos engins blindés, leur portons.
Ils se retrouvèrent cinq, au fil d’une décantation obstinée, cinq comme les doigts d’une main volontairement amputée du long corps ambulant. Puis cette main se prit à s’agiter à la limite de la dislocation, tour à tour s’éparpillant pour mieux se resserrer, l’instant suivant, ainsi qu’on crispe un poing. Merckx figurait évidemment le majeur, Thévenet se révélait un index particulièrement orienté vers l’action, le tendre Ocaña évoquait, dans son zèle à stimuler ses compagnons, sinon l’alliance du moins l’anneau de l’annulaire, le timide Van Impe, étrangement limité dans ses ambitions, se relevait au sommet des cols qu’il venait de franchir en tête et nous soufflait « pouce », quant à l’auriculaire malin qui se glisse partout à la manière d’un lutin de conte de fées, c’était hier le petit Zoetemelk, et l’on sait ce qu’il en advint.
Seuls manquaient à la tête, de ceux dont nous attendions au départ de Pau qu’ils persévèrent dans l’exploit, l’implacable Moser, le rayonnant Hézard qui menait en maître son retour de l’île d’Elbe après deux ans d’exil (les Cent Jours ou les jours sans ?), l’exemplaire Poulidor, qui possède en l’occurrence de très valables circonstances atténuantes. Nous les célébrions encore, la veille au soir, au gré de ces intarissables commentaires qui prolongent chaque étape d’une écume plaisante et durable. Prenant sans doute nos désirs pour des réalités, nous nous abusions. Comme disait précisément Pascal, à propos de ces Pyrénées que nous allons quitter aujourd’hui, lorsqu’il voulait dénoncer la relativité et l’inanité des points de vue adoptés de part et d’autre des démarcations, fussent-elles naturelles : « Vérité en-deçà erreur au-delà. ».
Un cas, cependant, mérite qu’on s’y arrête parce qu’il ne suggère ni le naufrage ni la résignation. Alors que nous traversions Sainte-Marie-de-Campan, nous entendîmes soudain, à la hauteur de notre véhicule, un bruit de soufflet de forge. Par une aubaine prodigieuse, s’agissait-il de la forge historique où le valeureux Christophe dit « Le Gaulois » mit pied à terre pour réparer lui-même la fourche de sa bicyclette, au cours de l’étape Bayonne- Luchon du Tour 1913.
La reconstitution épique eut été belle. Hélas il ne s’agissait que de la respiration rauque et sifflante de Poulidor, autre Gaulois, revenant une fois de plus sur le groupe de tête, malgré des poumons embrasés. L’entreprise possédait, à chaque fois, une saveur cruelle, si l’on songe que l’année précédente sur le même terrain, ce champion s’offrait à un public qui ne s’enflamme véritablement que pour lui…
Il faut croire que la ferveur engendre, malgré tout, de fabuleuses illusions puisque les gens innombrables, étagés sur les pentes du Tourmalet ou d’Aspin, se refusaient à ne voir en son coéquipier Zoetemelk, admirablement placé, personne d’autre que Poulidor soi-même. Parce que c’étaient eux, parce que c’était lui, on se berçait d’un sommet à l’autre jusque sur la ligne d’arrivée des délices d’une divine surprise et de fallacieuses prémonitions. Si bien que le « Pla d’Adet » supportant au-dessus de l’à-pic ses troupeaux de spectateurs, présentait tous les caractères du plateau de faux mages. »
Ce soir, à Saint-Lary, devant une bonne garbure, j’ai envie de vous reparler d’Eugène Christophe, ou plutôt, je laisse le soin de le faire à Cavanna, l’un des trublions iconoclastes d’Hara-Kiri et Charlie-Hebdo de la grande époque :
« 1919. Le premier Tour d’après-guerre se risque sur les routes de l’Est encore mal cicatrisées. Les obus ont tout bouleversé. Le silex affûte ses myriades de dents tranchantes ; des passerelles de fortune brinquebalent au-dessus des ruines des grands ponts de pierre ; les maisons offrent leurs entrailles. Sur les clochers sans cloches pointent, comme des chicots noircis mordant le ciel, des moignons de poutres calcinées.
Le peloton roule bon train, enlevé par Christophe, le « Vieux Gaulois ». C’est maintenant un vétéran, Cri-Cri : trente-quatre ans. Il a rasé ses terribles « bacchantes » qui, dit-il, le gênaient pour boire en selle. Qu’il est jeune, ce peloton ! Les grands as d’avant quatorze ont alimenté la machine à tuer : Faber, le colosse débonnaire, Petit-Breton, adoré des foules, Lapize, le « petit frisé » à la carrière fulgurante, tant d’autres…
Le Vieux Gaulois porte donc sur ses épaules l’espoir de la France. Il porte aussi autre chose : un maillot bouton d’or qui éclate parmi les casaques anonymes comme un soleil de mars trouant les nuages de grêle.
Ça, c’est une idée des journalistes. Christophe, le coriace Christophe, l’éternel chéri de la déveine, avait vu enfin son acharnement vaincre le sort. Aux Sables-d’Olonne, il prenait la tête du classement général et, depuis, secouait le peloton de sa rage de vieille mule indomptable. Il avait avalé les Pyrénées, gobé les Alpes, mis les plus forts dans sa poche dans le Galibier comme dans l’Aubisque. Emballés par le mordant de cet increvable, les reporters unanimes avaient suggéré à Henri Desgrange que le détenteur de la première place fût offert aux ovations des foules par un signe bien visible. Desgrange, trouvant l’idée bonne, avait aussitôt pensé au drapeau jaune du départ qu’avait rendu fameux Abran – aujourd’hui décédé. Le jaune éclatant serait donc la couleur du Tour, le maillot canari sa récompense suprême.
Au départ de Grenoble, pour la première fois dans l’histoire, la fabuleuse Toison d’or avait voltigé au-dessus des dos vassaux. Le masque de terre cuite du Vieux Gaulois grimaçait de joie contenue au-dessus de la cotonnade éclatante de lumière.
Immédiatement signalée par la presse, l’innovation a passionné le public. Désormais, le Tour a son symbole, son étendard, sa couleur magique, son totem intouchable. Par la force incantatoire du rite, il entre dans la mystique. Aux imaginations subjuguées, il semble qu’un halo surnaturel flamboie autour du prestigieux vêtement, conférant l’invulnérabilité au demi-dieu qui sut le conquérir foudroyant sous l’anathème le sacrilège qui oserait l’attaquer. »
De Tarbes à Albi terme de la douzième étape, la forte chaleur n’incite pas à l’action après les joutes pyrénéennes de la veille. Jusqu’à 80 kilomètres de l’arrivée, les coureurs n’auront de cesse d’inventer de nouvelles facéties pour le plus grand bonheur des photographes et… la profonde désapprobation des organisateurs. C’est ainsi qu’on a vu le seigneur Eddy Merckx sabler le champagne et … blasphème vélocipédique, le Batave Gerben Karstens se retrouver sur les épaules d’Eddy Peelman.
Blondin n’a pas son pareil pour animer une étape de transition qu’il relate comme un polar : « Knetemann, recherché par toutes les équipes de France et d’Europe, surtout par celles qui appartiennent à la brigade anti-GAN, n’avait réussi son évasion qu’en entraînant avec lui un malheureux sujet italien, qui passait par là, et dont on n’allait pas tarder à apprendre qu’il s’appelait Cavalcanti (un joli nom pour une cavale), lui-même substitut d’un procureur de la République italienne nommé Gimondi. Ici, l’affaire se complique et touche à l’insolite. On vit, en effet, Cavalcanti se mettre bientôt à collaborer avec son ravisseur et aux objurgations de celui-ci ; « Monsieur, de grâce, accordons nos violences » répondre bientôt : « Tu viens, Gerrie ? »… »
Sur le bien nommé circuit automobile albigeois du Séquestre, Knetemann devance facilement son compère de cavale. Trente-deux secondes plus tard, le facétieux Karstens, qui a repris son vélo, règle le sprint du peloton. Il n’échappera pas pour autant à la pénalité infligée par les directeurs de course peu enclins à la rigolade.
L’Italien Battaglin, porteur du maillot blanc du « Prix de la Vocation » (meilleur jeune), souffrant du genou, termine courageusement mais ne reprendra pas le départ demain pour l’étape la plus longue du Tour (242 km)
Autre bulletin de santé inquiétant, celui de Poulidor : son état bronchiteux s’est aggravé et le champion limousin doit consulter les médecins pour se faire prescrire un nouveau traitement.
Eddy Merckx conserve bien sûr le maillot jaune avec une avance de 1’ 31’’ sur Bernard Thévenet, avant que la vérité ne sorte des puys d’Auvergne, à partir de demain.
Mais de cela, il sera question dans un deuxième billet. Pour vous faire patienter, je vous propose un reportage local sur la liesse populaire à l’occasion de l’arrivée de l’étape à Albi. La mémoire de l’invité, au début de l’extrait, est un peu défaillante. C’était en 1971 qu’à l’initiative de la radio RTL, Poulidor, souffrant d’un zona, escorté par quatre motards de la Gendarmerie Nationale, reconnaissait à vélo le parcours de l’étape, la veille de la course officielle. D’autre part, Danguillaume ne remporta pas l’étape, mais faussa compagnie au peloton pour tenter de rejoindre vainement les deux échappés. C’est l’occasion de retrouver quelques anciennes gloires des Tours des années 1960. Roulez … vieillesse !
*http://encreviolette.unblog.fr/2024/12/20/jean-jourden-lidole-de-mes-14-ans/
**http://encreviolette.unblog.fr/2013/12/01/histoires-de-criterium/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2008/10/01/la-cipale-paris-xiieme/
****https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpa76053210/autour-du-tour-le-tour-de-france-d-un-coursier
*****http://encreviolette.unblog.fr/2020/08/01/en-cyclopedies-avec-guillaume-martin-et-michel-dreano/
Pour écrire et illustrer ce billet, j’ai puisé dans les numéros spéciaux Tour de France du Miroir du Cyclisme, dans l’ouvrage Tours de France, Chroniques de L’Équipe 1954-1982 d’Antoine Blondin aux éditions de la Table Ronde, dans La fabuleuse Histoire du Tour de France de Pierre Chany et Thierry Cazeneune (Minerva).









































































