Du vélo héroïque mais pas que ! Le Circuit des Champs de Bataille 1919 (1)

En ce jour du 11 novembre, commémorant l’anniversaire de l’Armistice de la Première Guerre Mondiale, j’ai envie de vous parler, non pas des taxis de la Marne, mais de vélo !
Ne partez pas, chers lecteurs non passionnés par la chose vélocipédique, vous le regretteriez ! Je veux vous entretenir de cyclisme héroïque et lyrique, mais pas que, à l’époque dramatique de vos arrière-grands-pères pour les plus jeunes d’entre vous, tout simplement de mon père en ce qui me concerne. Je m’étonne d’ailleurs qu’il ne m’entretint jamais de cet événement, lui qui m’inocula la passion du cyclisme et qui, profondément patriote, présida, pendant de nombreuses années, l’association du Souvenir Français de son canton.
« Un pèlerinage a conduit des cyclistes célèbres et inconnus, dont beaucoup avec un passé de front, le long d’une bande sinueuse de terre pleine de champs de bataille ensanglantés. Tout comme la Grande Guerre, c’est devenu une bataille impossible et monstrueuse. Les conditions météorologiques étaient bar et les routes à peine praticables. Après tout, la reconstruction des « régions dévastées » venait de commencer.
Aujourd’hui, toutefois, le souvenir de cette course cycliste légendaire a complètement disparu. Cette histoire unique du « sport inspired by peace » mérite cependant une place dans notre mémoire collective. C’est pourquoi j’espère que vous, mon cher lecteur, serez mon compagnon de route du 28 avril au 11 mai 1919 au Circuit des champs de bataille, mon compagnon qui erre avec les « coureurs de l’impossible » dans le paysage de guerre gardé par des régiments silencieux, mon camarade écoutant l’appel de leur âme blessée, bref, mon ami qui se rend compte que rien ne tolère une guerre et le raconte à ses amis et les amis de ses amis. » (traduction du livre en langue flamande : « Omloop van de Slagvelden 1919 » de Frank Becuwe)

 

 

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Paques sportives

Á la une de son édition du 12 décembre 1918, Le Petit Journal, l’un des quatre grands quotidiens parisiens, annonçait fièrement à ses lecteurs : « Á l’Alsace, à la Lorraine, Le Petit Journal offrira des Pâques sportives. Au lendemain du voyage présidentiel en Alsace et en Lorraine, au lendemain des inoubliables fêtes de la Délivrance, alors que nos deux provinces, d’un même cœur, d’un même élan, ont clamé leur joie du retour à la mère patrie, nous ne saurions taire plus longtemps le projet longuement mûri -il date d’avant la victoire- des Pâques sportives, que le Petit Journal se propose d’offrir à ces départements toujours français … Des détails ? non ! pas encore … Annonçons seulement que tous les sportmen -aviateurs, cyclistes, automobilistes, footballeurs, boxeurs …- tous, sans exception, seront intéressés par une manifestation qui comprend « un circuit des champs de bataille » qui passera par toute l’Alsace, par toute la Lorraine, par la Belgique martyre, par tous ces lieux où la Victoire a brisé des chaînes … Aussi bien, le Petit Journal ne devait-il pas de superbes Pâques à la jeunesse d’Alsace, de Lorraine, de France, à la jeunesse qui vient d’écrire, de son sang, les plus belles pages de la guerre ? »
Dans les colonnes voisines, en forme d’éditorial, étaient remerciées les deux provinces revenues au bercail pour les fêtes de Metz, Strasbourg, Colmar et Mulhouse : « Demandez-le à M. Clémenceau, au cou de qui se jetaient toutes les jeunes filles pour l’embrasser et être embrassées par lui ! Il avait pris une d’elles à ses côtés, dans la tribune, pendant le défilé de nos soldats à Strasbourg. Toute rougissante de plaisir, elle lui disait : Comme c’est beau ! Et lui de répondre, avec cette flamme et cet orgueil du sang français : Hein ! Ils ne défilent pas comme ça, les Boches !
Le selfie n’existait pas à l’époque ! Plus bas, l’article décrivait la liesse à « Metz, les jeunes filles portant par milliers le clair costume de Lorraine, rompant les cordons de troupes, se précipitant vers les voitures où étaient assises les personnalités du cortège, les envahissant dans une joie débordante, s’installant partout dans l’intérieur au-dessus de la capote, sur le capot, et criant à s’égosiller : « Vive la France ! Vive nos libérateurs ! »
« Colmar, dont pendant toute la guerre nos soldats voyaient les clochers, faisait chanter par des milliers d’enfants l’air populaire : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » avec cette addition :

France, Merci ! L’Alsace et la Lorraine
En ces beaux jours se jettent dans tes bras
Merci d’avoir, pour briser notre chaîne
Sacrifié le sang de tes soldats.
……………………………….
Nous embrassons le drapeau de la France
Qui dans ses plis porte la Liberté !

Et cette jeune Mulhousienne qui racontait : « Le jour de l’armistice, j’ai rencontré l’institutrice allemande qui m’avait fait tant souffrir, j’ai couru à elle et je lui ai crié : « C’est moi la maîtresse, maintenant, eh bien ! Vive la France ! »
Une semaine plus tard, à la une de son édition du 19 décembre 1918, tandis que le roi d’Italie Victor-Emmanuel, « roi soldat, roi démocrate, roi savant », était hôte de la France, le quotidien donnait des précisions sur son programme de futures Pâques sportives : « Nous nous étions promis de taire, quelques jours encore, tout détail … mais le courrier qui nous arrive chaque jour contient trop de questions anxieuses pour que nous puissions plus longtemps garder le silence. Certains de nos lecteurs ne nous le pardonneraient pas !... »
Ainsi donc, est programmée « une course cycliste monstre sur un vaste itinéraire partant de Strasbourg, traversant le Luxembourg, atteignant la Belgique, touchant Namur, Liège, Anvers, Bruxelles, Bruges, nos chères régions du nord libérées, s’infléchissant jusqu’à proximité de Paris, se redressant vers Reims, pour aboutir à Strasbourg, en visitant Verdun et Nancy. »
Les géants du cycle ne seront pas seuls à la peine et à l’honneur : au départ de la course, à Strasbourg, le 27 avril, se disputera un championnat de France de course à travers la campagne (cross-country) ainsi qu’un match de rugby entre le champion de France le Stadoceste Tarbais (en fait, récent vainqueur de la Coupe de l’Espérance) et une sélection du Reste de la France. Parmi toutes les festivités sportives figure aussi « une épreuve gigantesque d’aviation, épreuve double comportant une catégorie réservée aux appareils de vitesse, aussi bien qu’une catégorie réservée aux appareils… utilitaires ! »
Un Prix de la Reconnaissance nationale est organisé : « Tous nos lecteurs voudront -nous n’en doutons pas- nous adresser leur souscription (nous demanderons des sommes insignifiantes) pour créer une Bourse qui fera, sans doute, songer à ces quenouilles que les femmes de France étaient prêtes à filer pour le grand connétable Du Guesclin. »
Les objectifs de ce premier Circuit des Champs de bataille sont multiples : sportif en encourageant la reprise des courses cyclistes en France et en Belgique, patriotique en rendant hommage à tous ceux qui sont morts sur les différents fronts, économique en relançant le tirage et la vente du quotidien, politique enfin en célébrant les territoires d’Alsace et de Lorraine rendus à la France après avoir passé près de cinquante ans au sein de l’Allemagne.
Pendant plusieurs mois, jusqu’au départ de son épreuve, le journal va régulièrement tenir en haleine ses lecteurs en les informant de tous les préparatifs. Il n’est pas novice en ce domaine puisque c’est lui qui organisa en 1891 la première course Paris-Brest et retour … et à l’époque, ce n’était pas du gâteau !
Á la une du 5 janvier 1919, nous découvrons le parcours.

PJ Itinéraire

« Sept étapes ! Deux mille kilomètres ! Un ruban de route qui semble formidable, que l’on croit infini ; un effort qui se prolonge 15 jours (un jour de repos est prévu entre chaque étape ndlr), ce serait, certes, déjà suffisant pour mériter à notre course l’épithète de terrible !… mais il y a, en dehors de la longueur de l’épreuve, d’autres raisons qui ajouteront à sa sévérité, et par conséquent, à sa valeur sportive. On l’a deviné : nous voulons parler de l’état des routes sur lesquelles nos pelotons auront à se vaincre. Pourtant, ceux qui ont vu les services automobiles de guerre effectuer sur ces chemins défoncés les plus dures randonnées, ceux qui ont assisté aux inlassables efforts des estafettes cyclistes, sur ces itinéraires bouleversés, ne nous contrediront pas : On peut passer. »

Crue de la Seine

Le réchauffement climatique a bon dos pour expliquer les nombreuses inondations de l’automne actuel. Un article, dans la colonne voisine, nous informe que la Seine commence à déborder, 5m. 30 au pont Royal, et annonce une crue supérieure du Grand-Morin et de la Marne.
C’est Alphonse Steinès, journaliste français d’origine luxembourgeoise, qui a la responsabilité de la praticabilité des routes. Ce n’est pas un néophyte en la matière, c’est lui qui accoucha de la montagne pyrénéenne lors du Tour de France 1910. En reconnaissance dans le col du Tourmalet, bloqué par la neige, il dut abandonner sa voiture et mit plusieurs heures pour rejoindre Barèges de l’autre côté du massif, d’où il télégraphia un message rassurant à Henri Desgrange, le fondateur du Tour : « Passé Tourmalet … stop … Parfaitement praticable … stop » ! C’est ainsi qu’il ouvrit la voie pour, quatre décennies plus tard, son compatriote Charly Gaul, un ange idolâtré par un de mes lecteurs.
Au final, le tracé ne subit que quelques retouches mineures dues à des routes détruites et des ponts coupés. Seule modification importante, les organisateurs renoncèrent à traverser Sarrebruck, ville allemande malgré la présence de troupes françaises d’occupation.
Lors des consultations des journaux, mon œil ne se restreint pas aux nouvelles vélocipédiques, c’est d’ailleurs un plaisir collatéral de mes recherches, de découvrir la riche actualité de l’époque. Ainsi, vous comprendrez que je sois intrigué par le titre d’un long article :

Pour avoir des professeurs

Voyons voir : « … Depuis 1914 les vivres, les combustibles, les vêtements, les ustensiles ménagers, la main-d’œuvre domestique ont subi un renchérissement qui dépasse en certains cas le chiffre de trois cents pour cent. Que ce phénomène tire son origine de l’avilissement du prix de l’argent ou de la diminution de la production nationale et mondiale, peu importe. Le fait est là et il est cruel. Le consommateur qui est en même temps producteur s’y adapte assez facilement : il vend plus cher ses produits ou ses services et l’harmonie s’établit avec plus ou moins de grincements entre ses ressources et ses besoins … Mais la situation est autrement grave pour ceux dont les revenus restent aujourd’hui ce qu’ils étaient hier. Ils sont profondément malheureux. C’est le cas des fonctionnaires. C’est notamment celui des professeurs de nos lycées et de nos collèges dont je voudrais confraternellement, ici, signaler l’angoisse et la détresse. Qu’ils soient à leur manière des producteurs, j’en suis convaincu. Mais leur production n’est pas de celles dont en des temps troublés, on sente la nécessité. Nul profit immédiat n’en revient à la collectivité. Ce luxe qu’est la culture de l’esprit ne doit-il pas être relégué, comme tous les autres luxes, parmi les denrées dont il est regrettable mais nécessaire de faire l’économie ? Ce serait faire preuve d’autant d’ingratitude que de myopie.
La guerre a révélé à ceux qui l’ignoraient ce qu’il y avait d’éminentes vertus, de forces latentes dans cette Université de France que l’on pouvait croire perdue dans la contemplation des vérités abstraites qu’elle enseigne. C’est elle qui a formé la plupart des soldats et des chefs qui nous ont donné la victoire. Ses maîtres par le prestige de leur nom, de leur parole, nous ont conquis dans le monde entier des amitiés fidèles, des alliances spontanées. Leur aptitude aux idées générales les a mis à même de s’adapter promptement aux questions de technique nouvelle que posait la défense nationale. Soldats, savants ou moralistes, tous ont servi magnifiquement la grande cause qui triomphe aujourd’hui … Nos professeurs ne peuvent plus vivre des salaires qu’ils reçoivent et la situation est devenue telle que dans ces milieux de discrétion délicate et de simple dignité des cris de désespoir et d’irritation se sont fait entendre. Déjà en 1907, les travaux de la commission extra-parlementaire de l’Enseignement aboutirent à des conclusions que j’eus la joie de contribuer à réaliser comme rapporteur du budget et comme ministre de l’Instruction publique (Théodore Steeg ndlr). Nous avions constaté alors que le recrutement devenait plus difficile, que les professeurs n’incitaient plus les meilleurs de leurs élèves à entrer dans l’Université, que les sujets d’élite attirés par les carrières lucratives dédaignaient les concours d’agrégation. Le modeste relèvement de traitement qui fut alors voté se révèle aujourd’hui nettement insuffisant … Certes, ils ne tiennent pas aux vaines satisfactions du luxe, ils connaissent les joies sereines de la science et de la poésie. Mais comment les goûteraient-ils alors que les tenaille la préoccupation du pain quotidien ? … Les désertions commencent. Pourquoi ce savant, physicien ou chimiste, se confinerait-il dans sa besogne misérablement payée de pédagogue quand l’industrie est là qui l’appelle, lui proposant des appointements très supérieurs à ceux qu’il pouvait escompter au terme de sa carrière… » Excusez, c’est un peu long, mais j’ai l’impression que, un peu plus d’un siècle après, le lyrisme en moins, le constat est aussi alarmant.
Á intervalles réguliers, le quotidien nous informe de l’évolution de la liste des coureurs qui désirent s’inscrire, en maintenant cependant un certain suspense … un ancien champion du monde se serait engagé.
Un entrefilet dans l’édition du 7 février 1919 ne manque pas de surprendre, au moins par le ton employé : « Le Petit Journal se réserve le droit de n’accepter aucun des coureurs ressortissant d’une des puissances belligérantes ennemies de la France. Ainsi, pas d’Austro-Hongro-Boches. Nous ne les avons que trop vus avant et pendant la guerre. »
Vous pensez peut-être que je force un peu trop le trait ? Voici la preuve :

Entrefilet Boches

Le cyclisme français, le sport en général, avait payé un lourd tribut à la Grande Guerre, avec en tête de liste, trois anciens vainqueurs du Tour de France : Lucien Mazan, plus connu sous le pseudonyme de Petit-Breton, mort dans un accident de circulation sur le front en 1917, François Faber surnommé le « Géant de Colombes », tué à l’ennemi le 9 mai 1915 au Mont-Saint-Éloi dans le Pas-de-Calais (on ne retrouva jamais son corps), et Octave Lapize dit « le Frisé » qui, réformé pour surdité, s’était engagé en 1914 et mourut dans un combat aérien le 14 juillet 1917.

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Leon Flameng

Léon Flameng, fils du peintre Marie-Auguste Flameng, champion olympique sur 100 kilomètres aux Jeux Olympiques d’Athènes de 1896, mourut pour la France en janvier 1919 à Ève dans l’Oise. Ainsi encore, Roland Garros, qui ne brilla aucunement comme tennisman, remporta en 1906 le championnat de France interscolaire de cyclisme sous le pseudonyme de Danlor, anagramme de son prénom, pour que son père n’en sache rien. Engagé dans l’aviation, lieutenant-pilote, il périt dans un combat aérien le 5 octobre 1918 à Vouziers (Ardennes) que les coureurs du Circuit traverseront.
Plusieurs centaines de sportifs français, dont beaucoup de pratiquants de cyclisme sport très populaire à l’époque, perdirent la vie au combat. Le premier engagé de l’épreuve du Petit Journal, le Morlaisien Alfred Le Bars, eut la douleur de perdre son frère cadet Francis, abattu en délivrant un message.

Réclame 1

Il y a encore des coureurs mobilisés lorsque s’ouvrent les inscriptions à l’épreuve. Pour que les candidats voient leur engagement validé, il est nécessaire que leur inscription effectuée individuellement soit accompagnée d’un certain nombre de formalités administratives : déclaration des noms et prénoms (les pseudonymes ne sont pas autorisés), adresse actuelle du coureur, lieu de naissance, numéro de licence de l’U.V.F. (Union Vélocipédique Française) ou d’une fédération affiliée à l’Union Cycliste Internationale, marque de la bicyclette et des pneus, couleur du maillot. Pour les français, un sauf-conduit pour la Lorraine suffit, pour les étrangers un passeport pour l’Alsace-Lorraine et la France est nécessaire, le gouvernement belge s’engage à simplifier les formalités aux frontières de son territoire et délivrera un passeport collectif.
Hors les hommes, le journal organisateur tient aussi à mettre en avant leurs montures en réservant à la course sa caractéristique de « critérium des machines ». Il consacre un long article au « Vélo du circuit » : « Les années de guerre que nous venons de vivre nous auront appris bien des choses. Au front, nous avons pu constater les mille et un miracles que l’on était arrivé à faire avec un « vélocipède ». Il semble que rien ne pouvait arrêter l’effort des agents de liaison à bicyclette, la fine machine se glissait partout, dans les fondrières les plus défoncées, au milieu des trous d’obus, parmi la mitraille qui faisait voler des morceaux de pierre, et vraiment, il est arrivé bien des fois où l’on ne savait si l’on devait admirer plus l’homme que la machine. Eh bien, ces routes du front, complètement revues et transformées d’ailleurs, vont être à nouveau parcourues par la bicyclette passe-partout. Mais ce ne sera plus vers un P.C. quelconque que se hâtera le rapide cycliste ; ce qui nous vaudra cette course rageuse vers un but désiré, ce sera le trophée à conquérir, la palme du vainqueur de notre Circuit des Champs de Bataille. Où le père a passé passera bien l’enfant ! Et où les estafettes du front ont passé, les concurrents du Circuit passeront aisément. Dire que le travail demandé à la bicyclette et aux pneumatiques ne sera pas gigantesque, non, mais au moins nous aurons cette certitude que la machine qui triomphera dans le Circuit historique sera bien d’une grande marque, grande par sa fabrication, par le soin de son usinage et par le fini de sa mise au point. Le constructeur, petit ou grand, qui aura outillé le champion vainqueur sera réellement digne du prix que le Petit Journal a spécialement créé à cette intention. »

maillot Alleluiaplaque Chemineau

Il est une autre monture dont le sort m’inquiète à la lecture d’une annonce du sous-secrétariat d’État à la liquidation des stocks (!) concernant la vente de « chevaux entiers » de l’Armée Française.

Réclame  2

La cavalerie, qui était considérée au début des hostilités comme l’élément offensif par excellence des forces armées, s’est révélée rapidement vulnérable face à la modernisation de l’artillerie et des armes lourdes telles que la mitrailleuse. Les chevaux furent cantonnés progressivement à un rôle logistique. Le Petit Journal demande que « la démobilisation des chevaux doit non seulement marcher de pair avec la démobilisation des hommes et du matériel, mais doit aussi être conduite avec le même esprit de méthode et la même clairvoyance. 900 000 chevaux ont été réquisitionnés par l’armée pour ses besoins. L’agriculture, le commerce et l’industrie réclament impérieusement leur retour ».
Á la une de son édition du 7 janvier 1919, le quotidien annonce la mort de l’ancien Président des États-Unis Théodore Roosevelt « Grand américain, Prêcheur d’énergie, Adversaire du Germanisme » : « Dans l’odieuse agression de l’Allemagne contre la Belgique et la France, Théodore Roosevelt se déclara ouvertement pour l’Entente, faisant une ardente campagne pour l’intervention des États-Unis et envoyant ses trois fils, Archibald, Kermit et Quentin se battre sur le front français. Kermit, devenu lieutenant aviateur, attaqué le 14 juillet 1918 par sept avions ennemis au-dessus du village de Champy, tombait glorieusement pour notre cause. Roosevelt songeait à venir visiter les champs de bataille et se recueillir sur la tombe de son fils. »
J’eus l’occasion, lors d’un voyage, d’admirer son effigie sur le gigantesque Rushmore Monument aux côtés des présidents George Washington, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln. Les lecteurs cinéphiles se souviennent sans doute de Cary Grant escaladant la sculpture monumentale de granite dans la séquence finale de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock.
Transition habile, tant qu’on est au chapitre de la sculpture, l’édition du 15 janvier nous informe d’un commerce de faux Rodin. Le conservateur des musées Rodin et du Luxembourg, exécuteur testamentaire des œuvres de l’artiste, intrigué par la multiplicité de prétendues sculptures, notamment des réductions du Penseur et des Bourgeois de Calais, a découvert qu’elles appartenaient à un certain comte Bouyon de Chalus qui les tenait de sa femme, veuve d’un oculiste nommé Monfoux lequel les aurait reçues en cadeau de Rodin lui-même en remerciement des soins qu’il lui avait dispensés ! Or, le conservateur, très proche de Rodin, savait qu’il n’avait jamais eu mal aux yeux, il était juste un peu myope et portait un quelconque lorgnon prescrit par un oculiste quelconque lors d’une brève consultation. Élémentaire mon cher … !

Jean Alavoine Paul Duboc

La liste des engagés s’allonge au compte-goutte, les organisateurs dévoilant avec parcimonie les nouveaux inscrits pour maintenir en haleine les lecteurs. Cependant, on relève déjà les noms de Jean Alavoine surnommé « Gars Jean » pour son esprit de titi parisien, et du Rouennais Paul Duboc surnommé évidemment « La Pomme » en bon normand qu’il est. Tous deux s’étaient distingués en remportant plusieurs étapes dans les Tours de France d’avant-guerre. Duboc était même leader au classement général (le maillot jaune n’existait pas encore) lors du Tour 1911 lorsqu’il fut victime d’une intoxication alimentaire au cours de l’étape Luchon-Bayonne. En fait, il s’avéra qu’il avait bu, non pas du calvados, mais une potion magique et dopante fournie par un autre concurrent. Mobilisé en 1915, il fut blessé par une balle à l’œil droit en juillet de la même année, puis aux deux jambes par un éclat d’obus en mars 1917.
Le journal consacre la première page de son édition du 2O février 1919 exclusivement à l’attentat perpétré contre Georges Clémenceau le « Père la Victoire ».

Clemenceau

« M. Clémenceau quittait son domicile, 8 rue Franklin, hier matin à huit heures, dans son automobile, pour se rendre au ministère de la Guerre, comme chaque jour. La voiture venait de tourner la rue Franklin et allait s’engager sur le boulevard Delessert, lorsqu’un individu, jeune, grand blond, vêtu de marron clair, qui se tenait tapi dans la vespasienne placée au coin de ce boulevard, sortit précipitamment de sa cachette … et dirigea son bras armé d’un pistolet automatique sur la glace de la voiture… »
Le « meurtrier, un dénommé Cottin, anarchiste, a été arrêté. Plus de peur que de mal pour sa victime : « plaie pénétrante de la partie postérieure de l’omoplate droite sans lésion viscérale, état général et local parfaits ». Clémenceau aurait dit avec humour : « je ne pensais pas que la chasse au tigre était ouverte à Paris », référence au surnom qui lui avait été donné durant la guerre parce qu’il ne lâchait rien face au crime.

Cottin condamné

La justice est expéditive : la Cour d’assises, lors de sa séance du 14 mars, condamne Cottin à la peine de mort. Le réquisitoire du lieutenant Mornet est sans appel : « Le fait d’avoir mis le grand vieillard à deux doigts de la mort, ce crime ne comporte pas de pitié pour des Français. En voulant tuer l’homme de la Victoire, le président de la Conférence de la paix, on a tiré sur la France ».
En revanche, après 56 mois de détention préventive, le 24 mars 1919, comparaît devant le jury de la Seine l’étudiant nationaliste Raoul Villain, fils du greffier du tribunal civil de Reims, qui a assassiné le chef du parti socialiste Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, alors qu’il dînait au Café du Croissant, rue Montmartre à Paris, non loin du siège de L’Humanité, le journal qu’il avait fondé. Le Petit Journal déclarait à l’époque : « Le sort en est jeté, nous sommes à la veille de la guerre ». L’Allemagne la déclara trois jours plus tard.
Lors de son procès, pour sa défense, Villain se justifie ainsi : « Si j’ai commis cet acte, c’est parce que M. Jaurès a trahi son pays en menant sa campagne contre la loi de trois ans. J’estime qu’on doit punir les traîtres et qu’on peut donner sa vie pour une cause semblable. Je ressens un profond sentiment du devoir accompli. »

Villain acquitté

L'Humanité Jaures

Confusion, stupeur, incompréhension, cinq jours plus tard, le jury populaire se prononce par la négative sur la responsabilité de Villain qui est acquitté et libéré immédiatement, tandis que la veuve de Jean Jaurès est condamnée à payer les frais du procès. On parla alors de second assassinat de Jaurès. Anatole France, scandalisé, adressa une lettre à la rédaction de L’Humanité parue le 4 avril : « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! ».
Un demi-siècle plus tard, Jacques Brel s’interrogeait encore :

Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelques sabreurs
Qui exigeaient du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prêles oui notre Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souvenir
Le temps du souffle d’un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Je n’oublie pas les forçats de la route qui, dans quatre semaines, s’élanceront de Strasbourg pour le 1er Circuit des Champs de bataille. Chaque jour, je guette les nouvelles dans le Petit Journal dont je deviens un lecteur assidu.
Dans son édition du 31 mars 1919, je m’intéresse à l’article relatant « le 75ème anniversaire de la naissance de Verlaine enfant de Metz célébré par sa grande et petite patrie. » L’inauguration d’une plaque commémorative sur sa maison natale se déroule « par un temps maussade, sous les rafales de neige, un temps qu’aurait aimé le « pauvre Lelian » (anagramme de Paul Verlaine ndlr), des « poèmes saturniens », des « fêtes galantes » et de la « bonne chanson » qui chantait aux heures de mélancolie. » On y fit lecture, bien évidemment, de son Ode à Metz qu’il avait écrite en septembre 1892 dans un contexte de revendication du retour de l’Alsace-Moselle à la France :

« … Metz, depuis l’instant exécrable
Où ce Borusse misérable
Sur toi planta son drapeau noir
Et blanc et que sinistre ! telle
Une épouvantable hirondelle,
Du moins, ah ! tu restes fidèle
A notre amour, à notre espoir !

Patiente encor, bonne ville :
On pense à toi. Reste tranquille.
On pense à toi, rien ne se perd
Ici des hauts pensers de gloire
Et des revanches de l’histoire
Et des sautes de la victoire.
Médite à l’ombre de Fabert.

Patiente, ma belle ville :
Nous serons mille contre mille,
Non plus un contre cent, bientôt !
A l’ombre, où maint éclair se croise,
De Ney, dès lors âpre et narquoise,
Forçant la porte Serpenoise,
Nous ne dirons plus : ils sont trop !

Nous chasserons l’atroce engeance
Et ce sera notre vengeance
De voir jusqu’aux petits enfants
Dont ils voulaient – bêtise infâme ! –
Nous prendre la chair avec l’âme,
Sourire alors que l’on acclame
Nos drapeaux encore triomphants !

Ô temps prochains, ô jours que compte
Éperdument dans cette honte
Où se révoltent nos fiertés,
Heures que suppute le culte
Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte
Ce lourd soldat, pédant, inculte,
Temps, jours, heures, sonnez, tintez !

Mute, joins à la générale
Ton tocsin, rumeur sépulcrale,
Prophétise à ces lourds bandits
Leur déroute absolue, entière
Bien au-delà de la frontière,
Que suivra la volée altière
Des « Te Deum » enfin redits ! »

Verlaine

Je suis peut-être en train de plomber l’ambiance de mon billet auprès des amoureux de la petite reine. Justement, transition encore habile, j’y reviens, le Petit Journal informe ses lecteurs et surtout les futurs concurrents des formalités de … plombage des vélos : « Dans la huitaine qui précédera le départ de notre grande épreuve pascale, les concurrents devront faire plomber leur bicyclette. Toute machine, sortant de France, et devant y rentrer, doit être munie d’un plomb assurant sa réintroduction en franchise. Jadis, la Direction des Douanes consentait à mettre à la disposition des organisateurs de courses un employé qui effectuait ce plombage au jour et à l’endroit choisis par les organisateurs. La guerre, en raréfiant le personnel, ne permet plus de recourir à cette mesure. Donc, nos concurrents doivent faire plomber leurs machines individuellement. Les concurrents habitant Paris (ou passant par Paris pour se rendre à Strasbourg) devront faire plomber au Service des Douanes, 11 rue de la Douane, ou encore à la gare de l’Est. Les concurrents habitant la province peuvent demander les plombs à une grande gare voisine. Pour les concurrents habitant l’étranger, ils auront reçu, naturellement, leurs plombs en entrant en France pour se rendre au départ. »
On sait aussi que toute la course doit être faite avec la même machine. Si un accident nécessitait la consolidation ou la réparation d’un cadre, par exemple, celle-ci ne pourrait être effectuée que sur l’autorisation du commissaire général de l’épreuve. Mais, dans ce cas, la réparation devrait se faire sur place en présence d’un commissaire. Chaque coureur recevra, le jour du poinçonnage un numéro d’ordre en tôle qu’il devra fixer à l’avant du cadre, derrière le tube de direction. Toute la course devra être faite avec ce numéro. »
Autre information, les organisateurs fournissent les adresses de leurs quartiers généraux à chaque étape où pourra être envoyé le courrier (« Pour les concurrents, spécifier sur l’enveloppe : coureur du Circuit Cycliste des Champs de Bataille »). C’est dans ces mêmes endroits que s’effectuera le paiement de l’indemnité quotidienne (dix francs) prévue par le règlement, et qui sera versée tous les jours de repos, à condition toutefois que le coureur ait accompli les deux premières étapes. Je remarque que les Q.G. sont installés au Grand Café de l’Univers, place Broglie, à Strasbourg, à la Taverne des Augustins, boulevard Anspach, à Bruxelles, au Café de l’Est à Amiens, au Café du Commerce à Bar-le-Duc, bref, boire un petit coup c’est agréable, la loi Évin n’existait pas à l’époque !

Les Prix

Pour attirer les champions à participer à son épreuve, le Petit Journal offre des récompenses financières attractives lorsqu’on les compare aux salaires moyens de l’époque. Aux prix officiels, viennent s’ajouter peu à peu d’autres primes, ainsi sont annoncés un prix de Président de la République (Raymond Poincaré), un prix du Conseil municipal de Paris, un prix du Conseil général de la Seine, et bien d’autres encore provenant de collectivités des villes ou des régions traversées, voire même de particuliers.
Les initiatives affluent, c’est maintenant, jour de 1er avril, la marque stéphanoise de cycles Le Chemineau qui tient à récompenser les coureurs.

Le Chemineau récompense

Poisson en forme de lapsus, le journal publie, le lendemain, une mise au point.

Cycle Le Chemineau

Prime au vélo vainqueur

Est-ce pour se faire pardonner, le Petit Journal (« dont la modestie n’a pas à vanter le tirage » précise-t-il !) décide d’ouvrir un crédit de 12.000 francs payable en publicité dans ses colonnes, à la marque de bicyclette qui gagnera le Circuit. On retrouve dans ce geste l’esprit de « critérium des machines » que les organisateurs souhaitent imprimer à leur épreuve.
Sans présager de l’issue de la course, une décennie plus tard, un ouvrier stéphanois Benoît Faure surnommé « La Souris » à cause de sa petite taille, remporta le classement des « touristes-routiers » dans les Tours de France 1929 et 1930, sous le maillot Le Chemineau. Il confia, après sa carrière, ses souvenirs dans un petit livre au joli nom de « Les Confessions d’un enfant du … cycle » !

Benoit Faure

Rien à voir avec les cheminots spécialistes de la grève, le chemineau, autrefois, désignait une sorte de vagabond qui parcourait les chemins, c’est l’occasion de saluer le poète beauceron Gaston Couté et son refrain des « Mangeux d’terre ».
Le mois d’avril s’écoule sur fond de préliminaires du futur Traité de Versailles, prévu en juin, et une affaire criminelle qui va tenir en haleine les lecteurs, pendant plusieurs années.

Barbe bleue Landru

Dans son numéro du 15 avril, le Petit Journal publie une photo du suspect, le mystérieux Landru alias Dupont, Cruchet, Guillet, Frémy, etc…, déjà surnommé le Barbe-Bleue de Gambais, ainsi qu’une description très documentée de la perquisition à son domicile à la campagne :
« Nous assistons à la perquisition. Elle est des plus fructueuses. Dans des malles en cuir et en bois, dans des paniers, les inspecteurs découvrent quantité de bibelots de toutes sortes, décoration de cheminées ou de meubles, mais tous choisis par des femmes, des sacs à main, des réticules, des trousses de toilette, des porte-monnaie, du linge propre : chemises, pantalons, cache-corsets ayant encore les initiales des femmes les ayant portés, des démêlures de cheveux, des fausses nattes et une quantité de lettres et de photographies, les unes empilées sans ordre, les autres rangées dans des chemises de papier bulle sur lesquelles des noms sont inscrits au crayon bleu. Quelques linges portant des traces suspectes, plusieurs photos que les inspecteurs reconnaissent comme étant celles des femmes disparues dont nous avons donné les noms, sont mis à part, ainsi que des liasses de coupures de journaux : « Annonces de demandes de mariages » … »
« L’homme aux cent noms » en possède même un cent-unième, le journaliste le nommant Laudru tout au long de son article.
L’enquête n’a pas fini de défrayer la chronique : pour faire vivre sa famille, le sinistre Henri-Désiré Landru s’emploie à repérer, au moyen de petites annonces, des femmes à la recherche de l’âme sœur et possédant un peu de fortune : « Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport ».
Une fois qu’il les a prises au piège, en leur soutirant une procuration, il les emmène, à tour de rôle, dans une propriété à la campagne où on le soupçonne de faire disparaître ses victimes en brûlant leur corps. Pendant plusieurs mois, les enquêteurs vont tenter de percer le mystère de la villa de Gambais, paisible village de Seine-et-Oise (Yvelines aujourd’hui) en lisière de la forêt de Rambouillet. Je connais bien cette maison pour être passé fréquemment devant lors de mes sorties à vélo.

Villa Gambais

Landru photo

Le quotidien va en faire un véritable feuilleton policier, apportant chaque jour de nouvelles révélations.
Le cinéaste Claude Chabrol, qui se délectait de traiter les travers, petits et grands, de la bourgeoisie, en adapta (avec Françoise Sagan), en 1962, un film à l’humour macabre avec, notamment, Charles Denner dans le rôle du tueur en série, Michèle Morgan et Danielle Darrieux.
Enfin, les cloches des « Pâques sportives » sonnent avec, en mise en bouche, le match de rugby entre le Stadoceste Tarbais et le « Reste de la France ». Le Petit Journal fait l’article pour attirer les profanes : « Il faut avoir vu, à Paris, des matches internationaux comme France-Pays de Galles ou France-Nouvelle-Zélande, attirer trente et quarante mille spectateurs, il faut avoir assister aux passionnantes parties jouées aux stadiums de Bordeaux ou Toulouse, pour concevoir toutes les beautés du ballon ovale. C’est ce jeu merveilleux que le Stadoceste Tarbais, champion de France, et une sélection de nos meilleurs joueurs nationaux, ont pris à charge de révéler à nos compatriotes alsaciens, et la jeunesse ardente de la patrie de Rouget de Lisle saura, nous n’en doutons pas, leur en témoigner toute sa reconnaissance. »

Equipes rugby

Les amoureux du ballon ovale auront vite repéré quelques joueurs qui appartiennent à la légende de ce sport. En la circonstance, est dissocié le fameux trio de trois-quarts François Borde (coiffé de son béret), Adolphe Jaureguy et René Crabos, qui écrivirent des belles heures du Stadoceste Tarbais, du Racing Club de France et du XV de France. Crabos, encore militaire, joue pour la sélection nationale. C’était un beau « poulet » des Landes né à Saint-Sever comme il se doit. Il commença la pratique du rugby dans l’équipe des Boutons d’Or du lycée Victor Duruy de Mont-de-Marsan. Après la Seconde Guerre mondiale, il fit une carrière, dans les instances fédérales, de « gros pardessus » comme André Boniface, une autre légende aima les railler, plus tard. Le championnat national junior porte, en son honneur, le nom de Coupe René Crabos depuis 1950. Détail amusant, il commerça dans l’industrie de la plume et du duvet, reconversion « naturelle » pour un poulet de Saint-Sever ! Je sais un de mes lecteurs qui saura se nourrir de mes phrases de jeu ovale !
Á l’ouverture de la sélection française, on relève le nom de Jean Domercq, aîné d’une grande fratrie. Mobilisé durant le conflit dans un régiment de chars de combat, il échappa de justesse à la mort au Chemin des Dames.

Finale-Coupe-de-France-Rugby-1919Rugby Reste de la FranceRugby Stado Reste

Devant une foule évaluée (peut-être excessivement) à 10 000 spectateurs (beaucoup de pioupious) la rencontre se dispute au stade Tivoli … avec un ballon « Allen Spécial », le roi des ballons ovales ! L’envoyé spécial du Petit Journal écrit dans son compte-rendu que le terrain, mieux approprié pour le football-association que pour le rugby, n’a pas permis le développement du jeu d’attaque cher aux Tarbais. Moi qui pensais que c’étaient les footeux qui se plaignaient souvent des pelouses mises à mal dans les regroupements par les crampons des rugbymen … !
Est-ce pour ne pas froisser l’amour-propre de la sélection nationale, le match exhibition, pompeusement appelé Coupe de France, s’achève sur un score de parité, 11 partout. L’essentiel est que « le ballon ovale a fait aujourd’hui de nouveaux adeptes sur les bords du Rhin ! »
Voilà, enfin, c’est le grand jour. Le 27 avril, le Petit Journal fanfaronne : « La « première » d’une épreuve formidable » !
« En 1891, il y a près de trente ans déjà, lorsque le Petit Journal organisa la première course Paris-Brest et retour, des esprits timorés, ignorants ou chagrins, crièrent à l’impossibilité … Paris-Brest-Paris eut lieu et Charles Terront inscrivit son nom sur le Livre d’Or du cyclisme. Il y a quelques mois, lorsque nous annonçâmes le Circuit des Champs de Bataille, course de 2 000 kilomètres à travers les pays dévastés, les ignorants de jadis, toujours aussi chagrins de voir que sans eux pouvait se concevoir quelque chose de grand et de noblement sportif, les dignes successeurs des « empêcheurs de cycler en paix » annoncèrent de leur côté que notre Circuit n’aurait pas lieu ou tout au moins n’aurait pas lieu à la date indiquée. Nous avons laissé tous ces bruits s’élever, grossir, puis se dissoudre devant l’enthousiasme général et … demain lundi 28 avril, le départ sera donné à la centaine de champions qui ont tenu à participer à notre pèlerinage athlétique.
En 1891, ignorance, en 1919, manœuvre d’étouffement. Aux deux époques, même résultat : un triomphe pour la cause du sport sincère et indépendant. Les chiens aboient, la caravane passe … »
Á la Une, un long éditorial est consacré à la course avec en titre : POURQUOI
« Quatre ans de guerre !… Quatre ans d’héroïsme, de danger, de souffrances… Notre Jeunesse les a vécus. Elle s’éveille du cauchemar. Elle aspire à vivre, après avoir consenti à mourir. Soit ! Vivre c’est bien. Mais vivre comment ? Á la façon d’hier ? Á la façon routinière de 1913 ? Ou bien à la mode du poilu, de l’homme qui peine, conscient de son effort satisfait du résultat qu’il donne, prêt à vaincre malgré tout, et malgré tout triomphant ?
Nous avons créé ce Circuit des Champs de Bataille, qui commencera demain, pour répondre à cette question. Pour répondre à d’autres problèmes, encore !
La Victoire est là, forcée, acquise. Belle victoire ! Dangereuse aussi. Être vainqueur est, parfois, un péril. Qui ne lutte plus s’endort en une sécurité trompeuse. Et puis l’oubli vient. Oublierons-nous ? Quelle révolte sainte met un « non » farouche devant ce point d’interrogation !
Et le but secret de notre Circuit des Champs de Bataille apparaît. N’est-il pas, ne sera-t-il pas, chaque année, comme un pèlerinage sacré aux lieux où le sol a souffert ? Les ruines douloureuses n’auront-elles pas une voix pour éveiller les souvenirs de ceux qui se battirent là, pour évoquer leurs combats dans le cœur des jeunes gens de demain ?
Faire vivre le Souvenir. Susciter dans les rangs de notre Jeunesse des énergies ardentes. Voilà les buts de notre épreuve. Est-il un Français -un seul- qui ne puisse pas les applaudir ? … Ils sont près de cent cinquante -chiffre inouï pour une pareille épreuve- qui vont se disputer la palme sportive. Ce sont de célèbres coureurs. Ce sont les Rois de la Route. Ne sont-ils que cela ? Demain, vous les verrez passer. Demain ils lutteront. Demain ils connaîtront la faim qui tenaille, la soif qui affole, la poussière qui torture. Á bout de forces, ils continueront l’interminable étape. Á bout d’énergie ils garderont le vouloir obstiné de vaincre. Titubants, ils iront, encore, toujours, en avant. Ainsi ces hommes se feront surhumains. Peut-on rabaisser leur effort à sa seule valeur sportive ? Allons donc !
Course rude, entre toutes, ce Circuit des Champs de Bataille. Course que beaucoup -des mieux renseignés cependant- déclaraient, hier encore, impossible. Course qui commencera demain.
Il serait lamentable qu’on se trompe sur sa portée, son sens profond, son « pourquoi » … Nous l’avons voulue telle -dans sa cruelle rigueur- qu’elle enthousiasme la Jeunesse entière, qu’elle lui montre, par l’exemple, ce que peut imposer aux muscles une volonté farouche.
Et c’est la Race, tout entière, qui doit en profiter. La Race qui sera plus forte, plus puissante au travail, plus prête à se défendre, surtout, quand tous aimeront, encourageront, pratiqueront cette morale du corps : le Sport !
La Race ? Oui. En vérité c’est pour le Destin de notre Race que le Petit Journal, demain, fera disputer le Circuit des Champs de Bataille. »
Il est des mots qui, aujourd’hui, déchaîneraient des tempêtes médiatiques.
Rendez-vous demain, à 6 heures du matin, devant le Café de l’univers, place Broglie, à Strasbourg, pour vous conter, dans mon prochain billet, étape par étape, cet inoubliable Circuit des Champs de Bataille, passé aux oubliettes !

Publié dans : Cyclisme |le 11 novembre, 2024 |1 Commentaire »

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 13 novembre, 2024 à 19:34 JP77 écrit:

    Bravo pour ce joli billet, Jean-Michel, et merci car tu viens de me donner une idée pour un prochain voyage cycliste (pas pour 2025, j’ai déjà quelques projets). Par contre en 2026, je m’offrirais bien ce circuit des Champs de bataille. Amicalement.

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