Archive pour novembre, 2024

Du vélo héroïque mais pas que ! Le Circuit des Champs de Bataille 1919 (2)

Avant de commencer la lecture de ce billet, il est indispensable de lire le précédent :
http://encreviolette.unblog.fr/2024/11/11/du-velo-heroique-mais-pas-que-le-circuit-des-champs-de-bataille-1919-1/

 

intro-ccb

L'Auto départ Champs

Le quotidien sportif L’Auto, pourtant de sensibilité différente, salue l’initiative du Petit Journal. Peut-être, voit-il là un bon test qui, en cas de réussite, le rassurera sur la faisabilité de relancer l’été prochain le Tour de France dont il est le créateur : « Le Circuit des Champs de Bataille de notre excellent confrère le Petit Journal est entré dans sa phase active. Le « great event » n’est plus seulement à l’état de projet. Ses prémisses se déroulent actuellement. Depuis hier, c’est l’exode en masse vers Strasbourg, la capitale de notre chère Alsace reconquise, l’exode des organisateurs, des soigneurs, des routiers engagés. Demain matin, ce sera le premier acte du Circuit, le premier acte d’une pièce sportive à grand spectacle, et qui fait et fera le plus grand honneur au P.J., le créateur et l’organisateur du premier Paris-Brest et retour. Il appartenait vraiment au Petit Journal, après quatre ans et demi de guerre, d’entrer en lice comme autrefois, et de doter le sport cycliste qui lui doit tant déjà, d’une épreuve au nom retentissant et populaire, bien d’actualité, d’une épreuve qui contribuera à le rendre aussi prospère, aussi intéressant qu’avant l’agression boche. »
Sur les 138 coureurs engagés auprès du Petit Journal, 87 seulement sont effectivement présents, place Broglie, à Strasbourg. Il est probable que les absents de dernière minute n’ont pu satisfaire finalement toutes les formalités administratives requises. Les partants se répartissent en 48 Français, 32 Belges, 3 Suisses, 3 Luxembourgeois et 1 Tunisien.
« On se montre le souriant Deruyter, le vieux Parigot Léonard qui en a vu bien d’autres, le Normand Duboc, le gavroche Brocco, le géant belge Dejonghe, l’athlétique Alavoine, le favori Egg aussi énigmatique que d’habitude, Ernest Paul le demi-frère de Faber, Lucien Buysse, Husghem, l’espoir Huret … »

Ali Neffatti

Le représentant du Maghreb, du nom de Ali Neffati, reste dans la mémoire du cyclisme comme étant le premier Africain et le plus jeune coureur à avoir participé au Tour de France, à l’âge de 18 ans, lors de l’édition 1913. Il créa la sensation en portant le fez au lieu de la traditionnelle casquette. Á la fin de la saison 1919, il courut les Six Days de New York en équipe avec le Martiniquais Germain Ibron, surnommé « Germain Le Nègre ». Les organisateurs de cette même épreuve sur piste les refusèrent par contre en 1923 … à cause de leur couleur de peau !
Même si une très large majorité des reportages dans la presse, tout au long de sa carrière, ne se focalisa pas sur l’origine du populaire Ali, il fut cependant quelques commentaires qui ne manquent pas de nous troubler aujourd’hui. Ainsi, ces échos de Casablanca parus dans l’édition du 11 mars 1927 du quotidien sportif L’Auto :

L'Auto Neffati 2

C’était donc ça, le temps béni des colonies cher à Michel Sardou !
Ali, le sympathique champion, citoyen français, ne manquait pas d’humour, ainsi sa facétie cocardière, lors des Six Jours de Paris 1922, rapportée dans le journal L’Auto : « Un co-co-ri-co retentissant ! C’est un coq, un vrai coq, en chair, os et plumes, qui, perché sur la cagna de Neffati-Catudal, salue la société. Deruyter le « cueille » au passage et lui fait faire un tour d’honneur sur son épaule. »
Ce Belge, Charles Deruyter fait partie des quelques favoris candidats à la victoire finale de l’épreuve du Petit Journal, avec ses compatriotes, les deux frères Buysse. L’aîné Marcel est le plus connu à l’époque pour avoir remporté six étapes sur le Tour de France 1913 et le Tour des Flandres 1914. Son frère cadet Lucien gagnera le Tour de France 1926. Un buste en bronze lui rend hommage au sommet du col d’Aubisque, en souvenir de l’étape dantesque Bayonne-Luchon de ce Tour de France, considérée par les historiens du cyclisme comme l’étape la plus extraordinaire de la grande boucle. Vous savez la reconnaissance des Flamands pour leurs champions cyclistes, un imposant monument est également dédié à Lucien Buysse dans son village natal de Wontergem.

Lucien BuysseMemorial_Lucien_Buysse_at_Wontergem

Buysse Aubisque

Il n’entre pas dans le cercle restreint des favoris mais il me plait de m’attarder sur Séraphin Morel. « Ça fait d’excellents Français » comme chantera Maurice Chevalier durant la guerre d’après ! Né en 1883 dans le petit village vosgien de Granges-sur-Vologne d’une famille de tisserands, on le retrouvait garçon de café à Paris, en 1903. Réformé du fait d’un staphylome oculaire, il ne participa pas à la Première Guerre mondiale. Il évolua surtout sur la piste, s’attachant à battre des records du monde un peu confidentiels, ainsi le 100 mètres départ arrêté. Le 20 octobre 1918, il participa à la grande journée de gala au bénéfice des familles des champions cyclistes morts pour la France, prévue selon le temps au Parc des Princes ou au Veld’Hiv’.

Si la pluie tombait

« La foule immense qui se pressait hier (finalement ndlr) au Vélodrome d’Hiver était vibrante et enthousiaste. C’est qu’elle était venue, non pas pour applaudir simplement des favoris, mais aussi et surtout, pour honorer la mémoire des champions morts au service de la Patrie. Elle apportait son obole sacrée aux familles des disparus et elle disait aux veuves, aux mères et aux enfants : « Nous pensons à vos chers morts et, réunis en ce jour de pieux souvenir, nous assistons aux efforts de ceux qui leur survivent. » »
Dans le cadre de cette réunion, un match exhibition fut disputé entre Séraphin Morel à bicyclette et le célèbre boxeur Georges Carpentier, à pied, sur 100 mètres départ arrêté.
Le brave Séraphin l’emporta -Carpentier « suivant très près » précise le journal- dans un temps de 10 secondes et six dixièmes. Le quotidien crut bon de préciser que la distance devait être légèrement inférieure à 100 mètres pour que le boxeur ait pu réaliser un temps inférieur à 11 secondes !
Le coureur vosgien est heureux de s’aligner au départ de Strasbourg, occasion unique de courir dans sa région natale, l’étape de Bar-le-Duc à Belfort passant sur ses terres.
Le plateau des concurrents du Circuit des Champs de Bataille est de qualité, cependant, dans l’ensemble, les plus grands champions de l’époque ne sont pas au départ, préférant participer à des courses moins éprouvantes. C’est le cas d’Henri Pélissier qui, le week-end du départ du Circuit, remporte le « Grand Prix de l’Heure » sur le ciment du Parc des Princes … et le bois du Vel’d’Hiv’. En effet : « D’incertain, le temps devint, vers le milieu de la réunion, franchement mauvais ; la pluie fit son apparition après la deuxième manche du Match des Arrivistes et la direction décida alors de poursuivre la réunion au Vel’ d’Hiv’. Et tout le monde s’en fut vers la rue Nélaton …. »
Lundi 28 avril : en première page, le Petit Journal annonce que le texte des préliminaires de paix sera communiqué vendredi ou samedi aux plénipotentiaires allemands, tandis que Barbe-Bleue est désormais à la prison de la Santé : « Premiers interrogatoires. Landru ergote, se contredit et parfois reste coi. » C’est surprenant comme le journaliste relate avec moult détails les confrontations de l’accusé avec les inspecteurs et le juge d’instruction, à croire qu’il y assiste.

Sporting départ de Strasbourg

Six heures du matin, c’est enfin le grand départ, place Broglie, à Strasbourg, non loin de l’endroit où Rouget de Lisle entonna pour la première fois La Marseillaise. Ultime élan lyrique et patriotique en faveur des courageux champions :
« Quand pendant quatre ans et demi, on a fait la guerre contre les Boches, on en a vu d’autres. Or, la plupart des coureurs du Circuit des Champs de Bataille sont d’anciens combattants : ils vont revoir les théâtres de leurs exploits de héros, ils vont aussi revoir les désastres de nos régions du Nord et de l’Est, ils vont peut-être revoir les tranchées dans lesquelles ils ont maintenu l’ennemi et ils vont encore retrouver les mauvaises routes du front, car il ne faut pas le cacher, ni au public, ni aux concurrents, les routes sont mauvaises, très mauvaises ; mais plus les difficultés sont énormes et plus la victoire sera belle, c’est ainsi qu’en ont jugé les commissaires de l’épreuve, nos amis, lorsque, saisis par le commissaire général de l’organisation, notre collaborateur Alphonse Steinès, de maintenir ou de ne pas maintenir la neutralisation primitivement décidée par nous, de la partie du parcours située entre Reims, Vouziers et Verdun, ils ont résolu de supprimer toute neutralisation. »

Carte Strasbourg Luxembourg

Il n’est pas toujours évident de suivre le déroulement de l’épreuve, le journal organisateur étant un quotidien du soir, le récit des étapes nous parvient souvent en décalage.
« Sur la place Broglie, les banderoles du départ et du contrôle flottent joyeusement : la belle place, au centre de la ville, est pavoisée en l’honneur du Circuit, malheureusement, le temps se gâte, il pleut, il grêle et il fait froid »
L’Auto relate : « Jean Alavoine signe le premier la feuille de contrôle que tenait notre vieil ami Alphonse Steinès. Egg, Deruyter, Buysse, Brocco, Léonard , suivirent de près le crack de la Bianchi et ce fut ensuite le défilé au milieu d’une affluence de plus en plus considérable. »
En début d’étape, les coureurs doivent traverser les champs de bataille de la guerre franco-prussienne de 1870-71, et notamment Reischoffen. Je me souviens qu’au temps de ma jeunesse scolaire, le professeur d’histoire évoquait l’épisode de la charge héroïque des cuirassiers de Reischoffen. Les valeureux routiers passent par la Lorraine avec leurs gros vélos, traversent Metz, ville natale du poète Verlaine -où le général de Maudhuy gouverneur a accordé jour de congé aux troupes de la garnison-, franchissent la Moselle à Thionville, avant d’entrer à Remerschen dans le Grand-Duché du Luxembourg.
« Depuis 1914, lors de l’arrivée du Tour de Belgique de notre excellent confrère la « Dernière Heure » de Bruxelles, jamais épreuve sportive n’avait remporté un succès semblable à celui que vient de mettre à son actif le Petit Journal, avec son Circuit des Champs de Bataille. Le mauvais temps n’empêcha point la foule d’envahir de bonne heure l’avenue Marie-Thérèse où le P.J. avait installé d’impeccable façon ce contrôle d’arrivée de la première étape de sa magnifique épreuve. » Que de congratulations !
« L’attente fut longue. La pluie, la grêle, la neige retardèrent considérablement nos vaillants routiers qui furent l’objet d’une enthousiaste réception. »
« Le mauvais temps a régné en souverain maître durant toute la première étape. Malgré cela, une énorme foule se pressait sur le parcours et ne cessa d’applaudir nos vaillants routiers, qui firent montre eu égard aux difficultés de l’étape, une énergie à toute épreuve.
Le vent dans le nez, la pluie, la grêle se mirent de la partie. Les routes, déjà mauvaises, le furent bien plus encore du fait de la boue. C’est avec un retard considérable sur l’horaire que dans tous les contrôles, défilèrent les concurrents…
Jusqu’à Metz, le peloton demeura compact. Puis les crevaisons, les chutes, divers incidents s’en mêlèrent, et à Thionville (221 km du départ), Van Hevel, Matthys et Egg, démarrant à tour de rôle, désagrégèrent le peloton. Egg disparut un moment du fait d’une crevaison, puis une chute de la faute d’un chien le handicapa sérieusement. Van Hevel et Matthys, rattrapés par Lucien Buysse et Verstraeten, menèrent un train sévère dans le but de lâcher le Suisse Egg irrémédiablement. Malheureusement pour eux … ils se trompèrent de route à la frontière luxembourgeoise, et quand ils purent reprendre le bon itinéraire, Egg était passé depuis longtemps.
Le leader de la marque Bianchi poussa comme un sourd jusqu’à l’arrivée et se montra très étonné d’être vainqueur, car il pensait, à juste raison, que ses camarades du peloton de tête, qu’il avait été obligé d’abandonner à cause de sa chute, le précédaient au classement. »

Egg arrive à LuxembourgEgg vainqueur LuxembourgRéclame Bianchi Pirelli

Pour bien comprendre les incidents qui émaillèrent le déroulement de l’étape, il faut savoir, d’une part, que le parcours n’était pas interdit à la circulation (très faible probablement), d’autre part, que l’itinéraire était signalé par des affichettes bleues au nom du Petit Journal qui disparaissaient parfois sous les gravats au gré de la météo.
Le Petit Journal insiste sur « l’admiration que mérite l’effort de ces vaillants qui dépasse l’imagination, cela semble appartenir à quelque conte de légende … il importe de ne point classer trop rigoureusement ces hommes d’après leurs places, mais les regarder tous comme de véritables prodiges. »
Parallèlement à la course, l’actualité internationale et nationale continue à occuper la première page du quotidien. Á Versailles, en vue du futur traité, la Société Des Nations est constituée en séance plénière : le comité exécutif est formé des États-Unis, l’Empire britannique, la France, l’Italie, le Japon et quatre États à désigner. Non loin de là, on s’interroge si des femmes, dont les corps ont été repêchés dans un étang de la forêt de Rambouillet, ne seraient pas des victimes du sinistre Landru.
Mardi 29 avril, les coureurs du Circuit des Champs de Bataille profitent du repos qui leur est accordé entre chaque étape : « Nos vaillants routiers, durement éprouvés au cours de la première étape par la pluie, le vent, la grêle, voire même la neige, ont fait ce matin la grasse matinée. Nous en avons cependant rencontré qui, entre deux averses de neige, visitaient la pittoresque ville et s’extasiaient sur la beauté réelle du ravin où l’Alzette coule, capricieuse et jolie. En résumé, chacun se ressent quand même de la dure journée d’hier, même les as. Je dois cependant reconnaître qu’ils furent nombreux au vin d’honneur qui leur fut offert à 11 heures à l’Hôtel de Ville. La municipalité leur fit, ainsi qu’aux organisateurs du Circuit, une chaleureuse réception. Le discours du maire fut haché d’applaudissements. Après le déjeuner, les coureurs se livrèrent à l’habituel envoi de cartes postales aux parents et aux amis, puis ils ne tardèrent pas à aller prendre un repos réparateur. »
Le déroulement de la deuxième étape, menant les 71 rescapés de Luxembourg à Bruxelles, n’est relaté que dans l’édition du 2 mai, fête du Travail oblige.

Demain 1er mai

« Paris sans cafés, sans théâtres, sans cinémas, sans voitures, omnibus, ni tramways, un Paris aux boutiques closes et dont presque tous les organismes étaient pour quelques heures endormis, tel fut pour la plus grande partie de la journée d’hier le spectacle que donna la ville qui, d’ordinaire, est si débordante de vie. Le muguet même manqua pour ce 1er mai et le soleil obéissant, lui aussi, à la consigne, s’était fait remplacer pour ajouter à la tristesse, par une pluie morose. Les Parisiens, qui ont de tout temps entendu parler de l’ennui des dimanches de Londres, avaient accepté avec leur philosophie ordinaire l’expérience qu’on annonçait d’un premier mai complètement chômé. »
Malgré l’interdiction par le gouvernement, une manifestation s’est formée vers 16 heures, des drapeaux rouges ont été brandis. « Il y a eu des bagarres et l’une d’elles, aux environs de la gare de l’Est, a été grave. Des coups de révolver ont été tirés sur des agents, des grilles enlevées au pied des arbres ont servi de projectiles. Un jeune homme, dans la foule, a payé de sa vie sa curiosité. » Dramatique ou grandiose, les journaux d’opinion n’ont pas la même analyse de cette Fête du Travail.

PJ 1er mai mouvementéHumanité 1er mai grandiose

Á Gambais, on ne chôme pas, on creuse : des ossements et du sang ont été trouvés dans la villa de Landru.

Ossements à Gambais

La deuxième étape du Circuit mène les coureurs de Luxembourg à Bruxelles, à travers les Ardennes belges, sur un parcours empruntant sensiblement celui de la grande classique Liège-Bastogne-Liège surnommée la Doyenne à juste raison, puisque créée en 1892.

Carte Bruxelles Luxembourg

« Oser le Circuit cycliste des Champs de Bataille, lancer sur de frêles machines une centaine de concurrents sur les routes défoncées du front, c’était bien, d’aucuns déclarèrent même que c’était pure témérité ! Il semble cependant que ce n’était pas assez encore pour donner la mesure de ces coureurs, de ces prédicateurs de l’idée sportive. La nature veut ajouter à la difficulté d’un parcours tel que nulle course jamais n’en vit de pareil, et la nature invente pour ces vaillants des surprises dignes des enfers.
Ce matin, à 4 heures, dans le demi-jour d’un ciel chargé de nuages, un vent terrible soufflait, encore glacial, il gelait les mares de neige fondues. Roulés en des couvertures, les mains bleuies de froid, les contrôleurs officiels, eux-mêmes, doutaient du nombre de partants. Les pronostiqueurs adoptaient un chiffre : soixante. Erreur ! Tous les arrivés de l’avant-veille prirent le départ. Alors, le vent, battu, céda la place à la neige. Elle tomba en flocons si serrés qu’il faut encore se demander comment notre caravane de camions Atlas put trouver sa route et arriver à Bruxelles avec une ponctualité de railway. Avec la neige, obstacle terrible, les concurrents se jouèrent encore du froid horrible, de la pluie cinglante, de la boue gluante des chemins, de la traîtrise glissante des pavés belges. Ils vont, ils glissent. Les kilomètres sont escamotés, les côtes écrasées sous leurs cycles. On est reconnaissant à la foule des ovations qu’elle fait à ces triomphateurs de l’impossible. C’est chose inouïe, cette foule invraisemblable, d’un bout à l’autre des villes, des villages, des bourgades, des nombreux hameaux, elle forme une haie double, triple, quadruple, on ne sait plus… »
« Le parcours se prêtait à une bataille sévère. La traversée de l’Ardenne belge, avec ses côtes nombreuses et d’un pourcentage appréciable, devait fatalement inciter les grimpeurs à tenter de prendre l’avantage. Et c’est ainsi que l’excellent champion de J.B. Louvet, Dejonghe, put affirmer magnifiquement des aptitudes que ceux qui le connaissaient savaient de tout premier ordre

A Liege

Les coureurs se restaurent à LiègeSpa Lucien Buysse

« … Á 4 heures, on reçoit des nouvelles des coureurs. Ils sont passés à Liège vers midi et Lucien Buysse était en tête avec 11 minutes d’avance sur le second … Après avoir été lâché par le crack de la Bianchi, Lucien Buysse, frère du terrible Marcel, Dejonghe revient sur le fugitif et, prenant à son tour le meilleur, c’est en solitaire qu’il termina la course au milieu des acclamations d’une foule considérable. Nos compliments à Dejonghe, compliments aussi à notre vieil ami J.B. Louvet. C’est une rentrée sensationnelle que le constructeur de Puteaux vient d’effectuer. »

Réclame JB Louvet

Certain reportage, en langue anglaise, relate que le coureur belge Charles Deruyter termina à la neuvième place, à quarante-quatre minutes du vainqueur, recouvert d’un long manteau de fourrure qu’une âme charitable lui avait prêté pour le protéger du froid. Le règlement stipulait pourtant que les coureurs ne devaient accepter aucune aide de qui que ce soit.
« Quant à Egg, qui s’annonçait comme grand favori après son beau succès de Strasbourg-Luxembourg, la malchance s’acharna sur lui. Un « pédard » l’accrocha, le fit tomber. Dans la chute, il mit son vélo poinçonné hors de service. La rage au cœur, le vaillant champion suisse dut abandonner. »
J’avoue être allé chercher dans le dictionnaire la définition de « pédard ». Étymologiquement, il s’agit de l’aphérèse de vélocipédard, qualifiant un cycliste amateur, souvent imprudent, entourant les compétitions professionnelles et gênant parfois les coureurs par son comportement. Qui sait si le mot ne pourrait pas revenir à la mode, les incidents entre automobilistes et cyclistes se multipliant dans la circulation urbaine.
Lendemain de 1er mai qui a fait deux morts à Paris : 90 manifestants traduits en Conseil de guerre ! Les fouilles se poursuivent dans la villa de Landru à Gambais : « Des odeurs de chairs grillées ! Encore des dents … Encore du sang ! »
Samedi 3 mai 1919, les coureurs vont de Bruxelles à Amiens (323 km), une étape qui « restera dans les annales du Sport comme un fait mémorable, digne de passer dans la légende » ! L’homme propose et … les éléments disposent.

Carte Bruxelles AmiensBruxelles Amiens calvaireRavitaillment à Lille

Lille Duboc répare

En première page de L’Auto : « Il est tout près de 23 heures ! Du fond de la nuit noire, dans le scintillement des lumières du Café de l’Est, où se trouve installé le contrôle d’arrivée de la troisième étape du Circuit des Champs de Bataille et où attendent encore de nombreux sportmen alarmés d’un invraisemblable retard dans les horaires prévus, surgit tout à coup un innommable paquet de boue, transi de froid, véritable loque humaine, qui gémit, qui pleure, qui se lamente et clame en peu de mots les souffrances qu’il vient d’endurer. C’est Deruyter (celui au manteau de fourrure ! ndlr), méconnaissable autant que fourbu, mais qui vient d’inscrire à son palmarès une course qui comptera certainement parmi les plus fantastiques qu’on ait jamais connues. Et il suffit de voir le brave et courageux garçon pour se rendre compte de l’effroyable calvaire qu’il vient de gravir, dix-huit heures et demie durant.

réclame Alleluia 2

La foule demeurée stoïque à son poste sous toutes les rafales, depuis 14 heures, l’ovationne longuement. Comprend-elle bien pourquoi tous les sportmen doivent admirer sans réserve, non seulement Deruyter, le vainqueur de l’étape infernale, mais aussi tous ceux qui, avec lui, figurent aujourd’hui au classement général ?
Ils acceptèrent toutes les complications et sortirent victorieux de toutes les difficultés. Au début, c’est entre eux qu’ils luttèrent sur l’horrible pavé d’Alost et de Gand. Puis, et comme s’il n’était point suffisant pour la gloire de l’étape qu’ils s’en prissent uniquement l’un à l’autre, les éléments déchaînés s’en mêlèrent.
La pluie, l’horrible pluie qui transforma en marécages le peu qui reste des chemins de l’ancien no man’s land glorieux s’étendant de Dixmude et des bords de l’Yser jusqu’au-delà de Menin.
Le froid, un froid glacial, mortel, désespérant à travers ces contrées dévastées où il semble que l’on n’en ressortira point si l’on doit s’y arrêter.
Puis, le vent du sud, soufflant en rafales, clouant nos routiers sur place, et nécessitant de leur part une incroyable et incessante dépense physique. » Ecoutez-le craquer le futur Plat Pays de Jacques Brel !
« Enfin, et, comme au milieu de toutes ces péripéties, nos vaillants routiers avaient perdu un temps énorme sur l’horaire : la nuit, et une nuit toute spéciale, noire, terrible sous l’averse, épouvantable et même tragique puisqu’elle survint juste au moment de la traversée de ce nouvel enfer de Dante où reposent nos cités assassinées, mais qui feront que jamais nous ne pardonnerons à l’immonde boche : Bapaume, Alluiet, Pozières, Thipval, Albert ... »
L’hebdo sportif Sporting consacre un article très réaliste à cet enfer du (sic) Dante :
« Ceux qui, comme moi, ont suivi le Circuit, en garderont un impérissable souvenir. Ils garderont la nette vision de la traversée du « no man’s land », Cambrai, Amiens ; dans ces régions désertiques où, de temps en temps, un vague poteau se dresse sur le bord du chemin, et sur lequel on a inscrit un nom/ Courcelettes, Frémicourt, autrefois florissants villages et dont il ne reste rien, rien…
Ils reverront Deruyter, tout seul depuis Menin, couvert de boue, luttant contre le vent qui le clouait sur place, cahoté par le dur pavé qui va de Cambrai à Albert.
Ils n’oublieront pas notre arrivée en pleine nuit au contrôle de Bapaume et sa vieille baraque en bois :ah ! cette baraque, je la revois, la petite table dans un coin, le poêle qui ronfle, le tonneau sur lequel est fichée une bougie clignotante, seul lampadaire de la maison ; et dans ce décor pittoresque, l’arrivée de Vanlerberghe, Anseuw et Verstraeten qui, dans leur patois flandrien, s’exclament et vocifèrent, celle de Duboc, en excellent état, qui déclare en sifflotant un bol de bouillon qu’il a effectué une séance d’entraînement. Je revois les mines apitoyées, les regards étonnés des tommies qu’un camp voisin belge héberge et qui pensent : quels êtres sont donc ces hommes !... »
Seuls quatre coureurs effectuèrent le parcours en moins de 24 heures. « Tous les autres s’arrêtèrent en route, attendirent le jour qui dans les ruines de squelettiques villages, qui dans les sapes qui abritèrent ceux de la grande épopée. »
J’eus connaissance de ces paysages d’apocalypse à travers les récits de mon père qui, du haut de ses huit ans, accompagna ma grand-mère, après la signature de l’Armistice, sur les lieux de la terrible bataille de la Somme. Ce n’étaient que champs labourés de tranchées, jonchés de casques, d’armes brisées, de véhicules militaires désarticulés. Ils en revinrent avec des valises pleines de douilles d’obus de canons qui, une fois astiquées, gravées et ciselées, ornèrent meubles et cheminées. J’avais consacré un ancien billet* à la visite que j’avais faite sur ces lieux de mémoire.

Humour Printemps

Landru brochets

Comme presque chaque jour, l’enquête sur le monstre de Gambais fait la une du Petit Journal : « Landru brûlait les os et jetait les chairs aux brochets ! Un médecin l’a vu lancer un ballot dans les étangs. Les fiancées apportaient le charbon qui devait les consommer. »
Avant de conter les péripéties de la 4ème étape Amiens-Paris, le quotidien L’Auto informe que « la terrible troisième étape compte aujourd’hui deux arrivants de plus : Leroy qui s’est classé 29ème en 38 heures et 56 minutes, et Pain qui a pris la 30ème et dernière place dans le même temps ».
Malgré l’heure matinale et une pluie fine et froide, une foule sympathique est encore présente aux abords du contrôle de départ d’Amiens. Á 6 heures précises, ce sont vingt-huit coureurs qui s’élancent au signal du starter, en direction de Péronne et Saint-Quentin, avant de bifurquer vers Soissons puis revenir vers l’Oise. Deux non partants seulement : le Belge Aloys Verstraeten et Alphonse Sarath de Boulogne-sur-Seine qui ne verra donc pas sa banlieue.
La course se décante véritablement après le contrôle de Pontoise. Et dans la côte du Cœur-Volant, au fort pourcentage de 11%, Deruyter, héros de l’étape précédente et premier au classement général, et les deux Français Paul Duboc et Jean Alavoine restent seuls en présence.
« Soudain, Deruyter, plus puissant que jamais, démarre comme un furieux. D’un seul coup, il décolle ses adversaires. Au sommet de la rude rampe, c’est 400 mètres qu’il possédait sur Alavoine, lequel précédait Duboc de 200 mètres environ. Il n’eut plus alors qu’à se laisser vivre jusqu’au poteau final, et à recueillir, de Rocquencourt au Parc des Princes, les enthousiastes acclamations d’une foule fantastique. C’est entouré d’une nuée de cyclistes (encore des pédards ! ndlr) que Deruyter atteignit la porte d’Auteuil où se fit l’apothéose. »
Á en croire le quotidien organisateur, il semble que ce fut la liesse en région parisienne : « Sur toute la fin du parcours, c’est une foule innombrable qui attendait les coureurs, de Saint-Germain au Vélodrome, une triple rangée de spectateurs commentait fiévreusement les nouvelles que les automobilistes apportaient. La fameuse côte du Cœur-Volant, après l’abreuvoir de Marly, était noire de monde, lorsque les premiers coureurs furent signalés. C’est d’abord le populaire Deruyter qui grimpe vaillamment, puis vient le rouennais Duboc, puis Alavoine qui recueille une ovation peu ordinaire. Á Rocquencourt, à Vaucresson, à Garches, à Saint-Cloud, l’hommage de la foule à nos routiers est grandiose. Enfin, au Vélodrome du Parc des Princes, dans l’immense arène, plus de 20 000 spectateurs attendaient et lorsque Deruyter apparut, ce fut une tempête d’acclamations. Les applaudissements se prolongèrent tout le temps que l’excellent champion fit son tour de piste. Ensuite, ce fut Duboc, puis Alavoine, puis les arrivées se succédèrent à des intervalles assez rapprochés. Il en fut ainsi jusqu’à 7 heures du soir, heure à laquelle le contrôle fut transporté au Petit Journal. »
Par ailleurs, le Petit Journal pavoise encore en tirant une forme de bilan à mi-épreuve : « Les philosophes qui prétendent que les jours se suivent et se ressemblent, mentent. Mentent encore les ennemis du sport qui affirment l’identité des luttes du muscle.
Les premières étapes de la terrible bataille, qui se joue sur les routes désormais fameuses, se sont, il est vrai, bornées à une lutte âpre, sévère, tragique, de l’homme contre les éléments. Chaque concurrent devait, isolément, lutter contre le froid, la pluie, la faim, la boue, l’ouragan. Sa victoire dépendait de sa force propre, de ses muscles, et cela était grand de toute la grandeur qu’il y a à ce qu’un homme puisse triompher de la faiblesse humaine. Aujourd’hui, cependant, un autre élément d’intérêt est venu s’ajouter à la simple lutte physique. L’intelligence a réglé les phases du combat. La volonté, la décision, le jugement ont décidé de la victoire, au moins autant que la puissance musculaire. Hier, il fallait applaudir Deruyter d’avoir « pu » gagner l’étape, aujourd’hui il faut saluer en lui l’homme qui a « su » organiser, vouloir, réussir sa victoire. La tête est venue seconder les jambes. L’athlète a la victoire complète… N’allez pas croire cependant que le temps fut favorable. Pluie matin et soir. Vent froid. Routes défoncées. Rien n’a manqué des ordinaires difficultés de cette épreuve qui datera par sa sévérité dans l’histoire des sports.
Deruyter avait tout prévu. Au départ, il annonçait sa course ! Et ce n’était point vantardise. Deruyter savait où et comment il triompherait.

Reclame Alleluia 3

Á cela, qu’ajouter ? La description de la foule ? de la cohue qui stationnait au long des routes ? de la mer humaine qui déferla au Parc des Princes, emplissant à le combler l’immense vélodrome ? Á quoi bon ? Le Circuit des Champs de Bataille a eu ses détracteurs, ceux que son audace épouvantait, ceux que son règlement frappait de jalousie. Aujourd’hui, le succès de l’épreuve impose silence aux médisants. Et ce serait puérilité de préciser nous-mêmes la fierté que nous ressentons à avoir organisé, à avoir voulu cette victoire du Sport ! »
Les coureurs Guénot et Morel auraient été vus, entre Soissons et Senlis, dans une automobile, ils en seraient descendus à Mont-l’Évêque, 1 kilomètre avant Senlis. Une enquête est ouverte à ce sujet. Coquin de Séraphin !

PJ Paris applaudi

Paris vaut bien une messe … et deux jours de repos pour nos coursiers.
Le Petit Journal constate : « Hier, premier jour de repos parisien, il s’est passé un fait extraordinaire et fantastique : il n’a ni neigé, ni plu, ni fait une tempête effroyable ! Assurément, ce serait à croire que les puissances célestes se sont trompées et qu’elles se sont imaginé que le Circuit des Champs de Bataille était définitivement achevé ! »
On peut lire dans L’Auto : « Les vaillants rescapés ont pris et goûté un repos bien mérité. D’aucuns, les heureux, ceux-là, comme Deruyter, Duboc, Hurel, Guénot, ont pu, grâce à la bonne soupe familiale, réparer les forces perdues dans un rude labeur. Mais les autres ne sont pas plus à plaindre en somme, car « Panam », c’est « Panam ! » et la grande Ville Lumière eut pour eux d’invincibles attirances. Ils la parcoururent en tous sens toute la matinée, firent un tour de métro qui les enthousiasma, puis déjeunèrent tranquillement en attendant l’heure d’assister à la réception que le Petit Journal organisait en leur honneur en sa magnifique Salle des Fêtes… Vint l’heure solennelle du champagne. Alors Abel Henry rédacteur en chef du Petit Journal, prit la parole et en un speech court mais concis et vivement applaudi, toasta aux rescapés du Circuit ( étaient présents entre autres, Deruyter, Duboc, Alavoine, Egg, Ali Neffati), célébra leur énergie, leur vaillance et leur volonté. » La vie parisienne a du bon !
« Les rescapés de la grande course du Petit Journal ont, après quarante-huit heures d’un repos réparateur, repris cette nuit leur rude calvaire…
Á minuit et demi, l’appel se fit devant le Petit Journal à l’endroit même où, il y a vingt-huit ans, le même P.J. lançait les précurseurs Terront, Jiel-Laval, Corre, sur le premier Paris-Brest et retour. La vie n’est qu’un éternel recommencement… Nous avons suivi le cortège jusqu’au bout du boulevard Voltaire. Il défila dans Paris, admiré et applaudi par de nombreux sportmen. Il avait pris, lorsque nous le quittâmes, une singulière importance. Des cyclistes de toutes nuances et de toutes catégories s’étaient joints à lui. Nous le laissâmes s’enfoncer dans la nuit du cours de Vincennes, non sans quelque regret … Et tandis que scintillaient au loin les phares des automobiles et que d’innombrables lampions piquaient de points lumineux jaunes, verts, rouges, le fond noir de la banlieue parisienne, nous adressions une fois encore aux glorieux rescapés nos vœux les plus sincères. » Quelle communion avec le public ! Vous imaginez si nous pouvions, sans jouer les « pédards », rouler, pendant quelques kilomètres, en compagnie de Pogaçar, Van der Poel et Alaphilippe ?

PJ  quitte ParisCarte Paris Bar le duc

« Ils roulent, à l’heure actuelle, les braves gars, en direction de Bar-le-Duc, point terminus de la 5ème étape qu’ils vont gagner à force d’énergie et de vaillance, par les champs dévastés, mais glorieux, de la Marne, par Reims la mutilée, honte éternelle du boche, par les contreforts du Cornillet, du Téton et du Casque, par les bords de la Suippe, par Vouziers, par Grandpré et l’Argonne où la jeune armée américaine accrut les lauriers de Saint-Mihiel, et par -saluons tous et découvrons-nous- Verdun. Au total, 330 kilomètres à couvrir !
Je connais ces routes : dans ma jeunesse, afin d’éviter la Nationale 4 encombrée de camions, mon père les empruntait pour retrouver mon regretté frère à Strasbourg. En chemin, nous avions droit aux commentaires éclairés du professeur d’histoire et géographie : la Champagne « pouilleuse », les fameuses cuestas de l’Est du Bassin Parisien dont il nous faisait dessiner les coupes, en cours.

Ravitaillement à Vouziers

Á Vouziers, le groupe de tête, comprenant encore dix coureurs, passa tout de même trois heures après l’horaire prévu. L’un d’eux, André Huret, épuisé, s’y endormit sur sa bicyclette et tomba à terre. Dans son sommeil, rêvait-il que, dans cette commune ardennaise, deux ans plus tard, naîtrait … un cycliste breton, Jean Robic, un autre dur à cuire qui n’aurait sans doute pas déparé le peloton du Circuit des Champs de Bataille. Huret retrouva vite ses esprits et, après avoir ouvert une entreprise de mécanique générale spécialisée dans les pièces de bicyclette, il mit au point, dix ans plus tard, un procédé permettant de faire passer la chaîne d’un vélo d’un pignon à un autre, à savoir un dérailleur dont la réputation fit encore le bonheur des champions après la Seconde Guerre mondiale.
« Disputée sur un parcours difficile, mais par un temps merveilleux, cette cinquième étape n’a point présenté les effroyables difficultés des étapes précédentes et notamment l’étape calvaire Bruxelles-Amiens…Elle s’est terminée par la victoire de Jean Alavoine. L’ancien champion de France a retrouvé sous les chauds rayons d’un soleil enfin « démobilisé », toute sa souplesse d’antan. Souple, vite, bon grimpeur « aggricheur » comme l’était le Jean Alavoine des Tours de France d’avant-guerre. Disons que nul plus que nous n’est heureux de ce brillant retour à la vie … sportive du brave Jean. Avec lui, ont été à l’honneur, hier, en la sportive cité de Bar-le-Duc où naquit ce bienfaiteur de l’humanité qui a nom Michaux, l’inventeur de la Pédale, deux vaillants routiers belges dont nous ne saurions trop vanter les qualités d’endurance et de courage : Hector Heusghem et Desmedt. »

Circuit Champs Bataille

course couleurs

Arrivée Bar le Duc

Monument Michaux

Une joie française avec la victoire du « Gars Jean » Alavoine, mais aussi une déception avec l’abandon de Paul Duboc, deuxième au classement général. Le Rouennais, après avoir signé la feuille de contrôle au Petit Journal, a mis pied à terre au bois de Vincennes, avant même le départ réel de Noisy-le-Grand, souffrant trop de douleurs dorsales.
Le leader de l’épreuve, Charles Deruyter, a concédé 9 minutes au quatuor de tête qui a disputé le sprint. À cela, vient s’ajouter un quart d’heure de pénalité pour avoir été trop aidé par le Français René Guénot, dont les relais ne semblaient pas justifiés par l’organisation ! Cela ne met cependant pas en péril sa première place au classement général. Le Vannetais Robert Asse 20ème et Louis Ellner d’Épernay 21ème sont arrivés à Bar-le-Duc à 9h 25 du matin suivant, après avoir couché dans une tranchée.
Il semblerait que cette étape – « que des esprits timorés ou chagrins » s’accordaient à considérer comme particulièrement difficile en raison du mauvais état des routes voire leur disparition- ait été franchie par les coureurs avec une relative facilité. La poussière soulevée, de nuit, sur les routes crayeuses de Champagne, donna à la course un petit air des Strade Bianche de Toscane !
En première page de l’édition du 8 mai du quotidien sportif L’Auto, le bien nommé en la circonstance, un titre m’interpelle : « Le Code de la Route va-t-il enfin voir le jour ? » … « Le 1er juin 1909, un décret donnait le jour à une commission destinée à préparer un projet de Code de la Route. Après quelques années de travail, ledit projet commençait à se cristalliser en une forme définitive, quand la guerre survint et tout entra en léthargie… » Le futur projet ne prévoit aucune limitation de vitesse pour les voitures de tourisme. Des dispositions spéciales concernent les véhicules à moteur : il faut avoir dix-huit ans au minimum pour obtenir le permis de conduire, vingt s’il s’agit de conduire des voitures affectées aux transports en commun. Pour l’éclairage, deux lanternes sont obligatoires pour les voitures, de plus, obligation pour les véhicules susceptibles de dépasser la vitesse de 18 km/h d’avoir une source lumineuse capable d’éclairer à 50 mètres. Les signaux avertisseurs sont la trompe à note grave pour les automobiles, à note aiguë pour les motocycles, le timbre pour les cyclistes. En conclusion, l’article est optimiste pour l’adoption de toutes les mesures … seule la question de la circulation à gauche appelle une discussion importante !

PJ Préliminaires de paix

Preliminaires frontiere

Ce même 8 mai, le Petit Journal, quotidien généraliste, relègue en pages intérieures ses comptes rendus sur l’épreuve cycliste qu’il organise, pour consacrer ses « six colonnes à la une » aux préparatifs du Traité de Versailles : « La journée d’hier, mercredi 7 mai, demeurera à jamais historique. Le traité de paix élaboré par les représentants des puissances alliées a été remis aux Allemands, dans le sobre local du Trianon-Palace-Hôtel de Versailles, qui connut des heures également historiques et émouvantes quand le Conseil supérieur interallié s’y concertait pour la victoire. La séance d’hier fut la consécration solennelle de cette victoire du droit outragé et vengé… »
En page 4, on apprend que ce jour, s’ouvre le procès des faux Rodin, et « découverte capitale » dans l’affaire Landru : « une tête de tibia et d’autres os incrustés dans des escarbilles, des taches de sang humain sur le plancher ».
Les crimes de Barbe-Bleue reviennent le lendemain en première page avec en titre, « Un cadavre sur l’étang Neuf » : « Forêt de Rambouillet, 8 mai, une opération des plus importantes a marqué la journée d’hier à Gambais. Un matin du 14 juillet 1918, Mesdames Delaize, Conjais et Mauguin étaient occupées à cueillir du muguet pour le compte de M. Paul Fouget, distillateur pour produits pharmaceutiques à Houdan. Le hasard de leur occupation les avait menées à proximité de l’étang Neuf, lorsque, tout à coup, l’attention de Mme Mauguin fut attirée par un objet qui, en pleine eau, flottait à demi submergé. Elle appela ses compagnes et elles regardèrent attentivement. Un sac noir, ficelé en trois endroits, pouvant avoir plus d’un mètre de long, se tenait immobile parmi les nénuphars. Elles distinguèrent très bien la partie qui se trouvait à fleur d’eau et qui affectait très nettement la forme d’une tête et de deux épaules. L’une des femmes fit à haute voix la réflexion suivante : « On dirait un macchabée ! »… »
Cela me fait penser qu’à la fin des années 1970, l’on retrouva, dans un de ces étangs nombreux en forêt de Rambouillet, le corps de Robert Boulin, ministre du Travail en exercice. L’enquête conclut à un suicide, mais, un demi-siècle plus tard, cette thèse est de plus en plus contestée au profit d’un assassinat…
Le parcours de la sixième étape n’a rien de commun avec ceux que les coureurs ont effectués jusqu’ici : de la Meuse à Belfort, plus de cités dévastées, ni de routes détruites, mais en revanche, un obstacle topographique d’importance, le Ballon d’Alsace que les vaillants champions doivent escalader au moment où il est à peine dégagé des neiges qui l’obstruent six mois de l’année. Le Ballon d’Alsace n’est pas un inconnu pour les coureurs puisqu’il fut le premier col proposé aux coureurs du Tour de France, lors de l’édition 1905. Une stèle au sommet rend hommage aujourd’hui à René Pottier, le « premier roi de la montagne », qui remporta le Tour de France l’année suivante, avant de se pendre, quelques mois plus tard dans les locaux du service de course de son équipe Peugeot, possiblement par chagrin d’amour.
Le cyclisme de grand-papa était héroïque mais aussi romantique.

Stele Pottier

Quoi qu’il en soit, le Petit Journal conclut : « Nous saurons ce soir si la nature aura raison de nos 21 rescapés, de leur courage et de leur vaillante énergie que les obstacles causés par la dévastation boche n’ont pu abattre ? »
Ils l’aperçurent entre Lunéville et Saint-Dié, peut-être que la colline de Sion magnifiée par Maurice Barrès, « un lieu où souffle l’esprit », les inspira avant d’attaquer le sommet vosgien.
Il apparaît finalement que ce sont les automobiles qui ont souffert : « Les voitures automobiles suivant l’épreuve arrivent vers 2h 45 au bas du Ballon d’Alsace que les coureurs auront à franchir quelles que soient les difficultés, et nous gravissons allègrement la montagne fameuse. Deux cents mètres avant le sommet, la neige, qui est tombée en si grande abondance ces dernières semaines, dépasse un mètre de hauteur. Comme nous avions prévu le cas, nous nous étions assurés de pelles et de pioches, ramassées ça et là en traversant le bois Le Prêtre (théâtre de combats sanglants en 1914-15 ndlr), et nous nous mettons courageusement à l’ouvrage, mettant bas pardessus et vestons. Nous passons une heure durant à faire les cantonniers, afin de frayer à nos autos un chemin praticable. Après une heure d’efforts, nous abandonnons la partie, non sans avoir déplacé de nombreux mètres cubes de neige inutilement. Avant de rebrousser chemin, nous attendons le passage des concurrents qui s’est effectué comme suit : Heusghem en tête, Deruyter et Vanlerberghe ensemble à 3 minutes, Alavoine à 5 minutes … Ce que les voitures automobiles n’ont pu accomplir, les frêles bicyclettes l’ont fait en se jouant. »
Dans son éditorial, le journaliste salue l’exploit d’Hector Heusghem : « Un homme, un seul, a goûté dans toute la plénitude du triomphe de sa victoire et de ses muscles, la joie d’arriver dans un isolement de victoire au sommet du terrible ballon d’Alsace. Heusghem nous dira-t-il jamais quelle fièvre lui empourpra le front quand il se vit, ayant distancé tous ses concurrents, à la limite des neiges qui devaient, une heure plus tard, arrêter sans exception toutes les voitures officielles ».
Heusghem parvint, en solitaire, sur le quai Vauban à Belfort après 13 heures et 18 minutes de course. Certains coureurs ne franchirent la ligne d’arrivée que le lendemain matin vers 6 heures.

Reclame JB Louvet  eusgheme Belfort

Amis de la culture, bonjour ! En page 2 de son édition du 10 mai 1919, à la colonne voisine du reportage de l’étape de Belfort, le Petit Journal annonce l’inauguration, par le président de la République Raymond Poincaré, de l’exposition au Louvre des tableaux du portraitiste pastelliste La Tour (ne pas confondre avec Georges), provenant du musée de Saint-Quentin. On ignorait le sort réservé, pendant la guerre, à cette collection, orgueil de Saint-Quentin. Les Allemands, au moment de leur recul en 1917, alors que la cité de l’Aisne se trouvait sous le feu de nos artilleurs, l’avaient-ils sauvée ou détruite ? En fait, ils avaient transporté les tableaux à Maubeuge (un soir de clair de lune ?) et en firent même une exposition. Au moment de la débâcle, ils songèrent à mettre les précieux portraits à l’abri dans des caisses.

la tour

Info ou intox : Shakespeare n’a peut-être jamais existé ! To be or not to be, that is the question.
Du côté de Gambais, puzzle macabre : « On reconstitue des fragments appartenant à cinq corps » !
11 mai, c’est la quille pour les admirables coursiers du Circuit des Champs de Bataille. « Pour la dernière fois, nos vaillants seront aux prises. Partant de Belfort, d’héroïque mémoire, ils recevront mission de passer de l’autre côté des Vosges et d’aller porter la bonne parole sportive en la plaine d’Alsace et en ses laborieuses et si belles cités, Mulhouse, Colmar, Schlestatdt (Sélestat en patois alsacien ndlr). La tâche ne sera pas rude cette fois, et c’est plutôt une splendide marche à l’étoile que nos vaillants rescapés de la formidable randonnée du Petit Journal vont effectuer. » Qui plus est, une fois n’est pas coutume, nul besoin de se lever aux aurores, le départ de Belfort est donné à 10 heures, devant la Grande Taverne.

Pt d'interrogation

En première page, le quotidien L’Auto présente, sous forme d’un grand point d’interrogation, les portraits des favoris à la victoire finale. Il n’y a pourtant plus guère de suspense, sauf accident, la première place ne peut plus échapper au belge Charles Deruyter tant son avance est considérable. D’autant plus qu’après le contrôle de Sélestat, Deruyter, plein de panache, disloque le peloton jusqu’alors compact, et s’échappe avec le nancéien Charles Kippert qu’il devance au sprint à Strasbourg.
Si j’en crois l’itinéraire publié dans le Petit Journal, l’arrivée avait lieu dans la banlieue strasbourgeoise à Graffenstaden, Colmar Strasse (rue de Colmar), des contrôleurs cyclistes menant ensuite les coureurs au stade Tivoli où une dernière signature fut exigée. Une musique militaire prêtait son concours à cette ultime manifestation.
« Les cloches d’Alléluia ont sonné haut et clair la résurrection du sport et la gloire de l’industrie française. »

Apothéose à StrasbourgSporting Deruyter StrasbourgReclame AlleluiaCoureurs à Strasbourg

Classement final

Page 3 du Petit Journal, une dépêche en provenance de Zurich me glace. En titre : « Les boches anthropophages ». « Deux cents enfants de Berlin et des environs sont portés comme disparus, affirme un fonctionnaire de police criminelle. On n’a retrouvé aucune trace de ces pauvres créatures et il est à craindre que la chair de ces malheureuses victimes n’ait été employée à fabriquer du saucisson. L’affiche qu’on peut lire sur les murs de la capitale prussienne accuse certaines sectes juives d’avoir commis ces crimes épouvantables pour des raisons rituelles. Le « Berliner Tageblatt » se plaint énergiquement de ce que le gouvernement allemand n’intervienne pas pour empêcher cette propagande antisémite dangereuse qui incite à un pogrom contre les juifs. Mais le fait n’en existe pas moins de la disparition mystérieuse d’un grand nombre d’enfants et les charcutiers d’outre-Rhin sont assez barbares pour servir de telles « délicatesses » à leurs clients. » Rassurez-moi, on signe bien le traité de Paix à Versailles, le mois prochain ?
Dans la colonne voisine, on constate que le futur traité ne fait pas perdre l’appétit et donne soif aux plénipotentiaires allemands déjà présents à Versailles : « La Germanie est toujours pour eux « uber alles » ; Tous les soirs, toutes les nuits, jusqu’à deux heures, ce sont des chants, de la lumière, des rires dans toutes les chambres des hôtels affectés aux délégués. « On travaille dur » disent-ils, mais il est à croire que ce labeur est bien pénible, et demande des réconfortants, car la nuit précédente, dans un des trois hôtels, la note supplémentaire -payée bien entendu par les Boches- s’élevait à 1.600 francs, rien qu’en fine et en champagne. »

Humour St-Germain en laid

Après le passage de la course à Paris, les reportages du Petit Journal furent plus laconiques. L’actualité brûlante du Traité de Versailles pouvait l’expliquer. Peut-être aussi, la popularité de l’épreuve étant désormais acquise, le lyrisme devenait moins nécessaire de la part des journalistes du quotidien organisateur. On peut lire tout de même en guise d’éditorial, au lendemain de l’arrivée finale : « Une victoire du sport, tout d’abord, car, sportivement, nous n’hésitons pas à écrire qu’il n’y eut jamais course aussi dure, aussi passionnante ; aussi régulière et pure. Une victoire pour notre journal ensuite, car, au lendemain de la guerre, nous voulions prouver de façon évidente, à toute la jeunesse, combien nous tenions à devenir pour elle un organe vivant, jeune, alerte, sachant organiser les plus grandes manifestations. Une victoire enfin et surtout pour la race, car la race en des journées comme celles-ci, essaie ses énergies, en prend connaissance, s’enthousiasme pour l’effort toujours utile. »
Cette exaltation de la « race » nous révolterait à juste raison aujourd’hui. Il faut la replacer dans le contexte, à l’époque, de haine exacerbée que le pays nourrissait envers l’ennemi allemand.
Contrairement à ce que promettait, à mots couverts tout de même, le Petit Journal, le Circuit des Champs de Bataille ne fut organisé qu’une fois. Dans un mouvement semblable de cyclisme de commémoration, le journal Sporting, sous le patronage du quotidien L’Auto, organisa, les 10 et 11 novembre 1919, un Grand Prix de l’Armistice sur un parcours de 520 kilomètres entre Strasbourg et Paris en passant par Metz. Le vainqueur, une connaissance en la personne du « Gars Jean » Alavoine fut conduit par le journaliste Frantz Reichel (un trophée à son nom récompense le champion de France des moins de 21 ans en rugby à XV, et un monument lui rend hommage à côté du stade Jean Bouin à Paris) auprès du « représentant autorisé du président du Conseil, ministre de la guerre Georges Clémenceau », afin qu’il reçoive le pli adressé symboliquement par les Alsaciens-Lorrains.

Armistice Alavoine

Dès le surlendemain de l’arrivée à Strasbourg, le Circuit des Champs de Bataille, tant annoncé à cor et à cri tout au long des mois qui précédèrent son départ, disparut complètement des colonnes du Petit Journal. Seul, Alphonse Steinès s’autorisa un petit billet d’autosatisfaction dans l’hebdo Sporting : « Ouf ! Enfin, ça y est ! Vous permettez, cher lecteur, que je pousse un soupir de soulagement … Le Circuit des Champs de Bataille vient de se terminer par une journée triomphale, à travers l’Alsace reconquise. Qui n’a pas vu, senti et entendu l’enthousiasme des derniers jours du circuit, n’a rien vu. Ce fut quasiment du délire. Toujours, j’aurai devant les yeux la foule durant la traversée de Mulhouse. Toute la ville était là acclamant les coureurs, acclamant les officiels, acclamant la France. Évaluer le public est impossible. Y avait-il cinq cent mille ou y avait-il un million de personnes sur l’itinéraire de la dernière et courte étape ? Les deux chiffres peuvent être exacts. En vérité, ce fut un succès véritable. Je suis un peu gêné pour dire cela à nos lecteurs parce qu’ils savent que ce Circuit des Champs de Bataille fut un peu mon circuit. Je l’ai conçu d’abord, puis le « Petit Journal » me donna, par l’intermédiaire de mon vieil et fidèle ami Marcel Allain, les moyens de le réaliser… »

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Bien évidemment, le Petit Journal, avec la grande question « Les Allemands signeront-ils ? », consacra désormais l’essentiel de ses pages au Traité de Versailles qui sera ratifié le 28 juin 1919 dans la Galerie des Glaces du château.

PJ Traité signé

Le feuilleton Landru se poursuivit. Dans son édition du 1er juillet 1919, le Petit Journal informe que des professeurs du Museum, en présence d’enquêteurs, ont fait brûler dans la cuisinière de Gambais une tête de mouton et un gigot, et ont constaté que le tirage est excellent et que la graisse de viande assure une bonne combustion. Á me dégoûter à jamais du haricot de mouton que pourtant j’adore ! J’imagine que vous pensez que je galèje. Lisez :

Landru cuisson gigot

L’affaire devint une attraction mondaine. Aux élections législatives de novembre 1919 qui débouchèrent sur la fameuse Chambre « bleu horizon », le nom de Landru aurait figuré sur près de 4 000 bulletins de vote.
Le procès s’ouvrit le 7 novembre 1921 devant la cour d’assises de Seine-et-Oise, à Versailles. La presse bien sûr mais aussi le « showbiz » (Mistinguett, Maurice Chevalier, Raimu), comme on ne disait pas à l’époque, se bousculaient pour entrevoir le « vilain barbu ». La romancière Colette couvrait le procès pour le quotidien « Le Matin » : « Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondable qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. A-t-il tué ? N’a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l’interminable acte d’accusation, débité sur un ton de messe triste, qui fond le courage de tous les auditeurs. »
Tout au long du procès, Landru clama haut et fort qu’il était certes un escroc, mais pas un assassin, encore moins un fou. Condamné à mort le 30 novembre 1921, il fut guillotiné à l’aube du 25 février 1922, devant la prison Saint-Pierre de Versailles, le public venu en nombre tenu à distance par la maréchaussée. À son avocat qui, au pied de l’échafaud, lui demanda si finalement il avouait avoir assassiné ces femmes, Landru aurait répondu : « Cela, maître, c’est mon petit bagage… ».
La villa de Gambais, après avoir été pillée, fut vendue à un restaurateur, à l’humour macabre, qui baptisa son établissement « Au grillon du foyer. » Elle fut ensuite cédée à des particuliers. Il y a encore peu de temps, elle était proposée à la vente par une agence.
Un siècle plus tard, dans le cadre des récentes Journées Européennes du patrimoine 2024, le public a pu pénétrer dans le tribunal de Versailles, là même où Landru avait été jugé et exécuté, pour revivre à travers une reconstitution théâtrale fidèle, le procès du célèbre tueur en série. Face au succès rencontré, la compagnie organise une tournée dans plusieurs villes de France. 14 jurés, choisis dans le public, sont amenés à livrer leur verdict. La peine de mort a été abolie en 1981.
Au chapitre cyclisme, le quotidien L’Auto, parallèlement à la fin du Circuit des Champs de Bataille, promeut le « derby de la route » Bordeaux-Paris qu’il organise. Cette mythique épreuve, surnommée ‘la course qui tue » en raison de sa difficulté, disparut du calendrier professionnel en 1988. Cet automne, de courageux organisateurs, qui souhaitaient la ressusciter sous l’appellation Bergerac-Chatellerault-Rungis, ont finalement renoncé n’ayant pu attirer qu’une quinzaine de « vaillants ». L’époque n’est plus à la légende.
Le Tour de France, organisé également par le journal L’Auto, renaît le 29 juin 1919. Pour célébrer le rattachement à la France de l’Alsace-Lorraine, le Tour fait pour la première fois étape à Strasbourg. Henri Desgrange, fondateur de l’épreuve, écrit dans son journal L’Auto, la veille du départ : « Ce matin, un soleil radieux incendiait le ciel. En bas dans notre cour, des « Tour de France » renouaient la chaîne des traditions interrompues par les sales Boches … Strasbourg ! Metz ! Et ce n’est pas un rêve ! Nous allons là-bas, chez nous. Nous verrons de Belfort à Haguenau toute la ligne bleue des Vosges qu’avant la guerre nous contemplions à notre droite. Nous allons longer le Rhin. [...] Avec Strasbourg et Metz, nos ambitions sont repues ; le Tour de France est complet. »

L'Humanité féminisme

Ma curiosité m’a poussé à feuilleter la presse au-delà des éventuels commentaires réservés au Circuit des Champs de Bataille.
Ô surprise, dans son édition du 19 mai 1919, L’Humanité consacrait sa première page exclusivement aux femmes, comme quoi le combat en faveur du féminisme n’est pas récent.

eminisme devancieresdessin féminisme


Il faudra encore attendre un quart de siècle pour qu’elles obtiennent le droit de vote.
Á la même une du « journal socialiste » (comme il se présentait), l’écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915, émettait son sentiment quasi confidentiellement.

Romain Rolland


J’appartiens aux dernières générations d’écoliers qui mordillaient leur porte-plume lors des dictées tirées de son roman-fleuve Jean-Christophe.
Á la fin des années 80, dans un débat houleux mené par Jacques Chancel, le champion de France Marc Madiot et le maillot jaune du Tour de France Laurent Fignon déclaraient à Jeannie Longo, en des termes presque grossiers, leur aversion pour le cyclisme féminin. Heureusement, les mentalités ont bien évolué depuis.
Dans son édition du 6 juillet 1919, le Petit Journal relate « l’installation » du maréchal Pétain, le « sauveur de Verdun », à l’Académie des Sciences morales et politiques. « Un nouveau Turenne… »
Ainsi allait la vie … !

 

Jamais fatigué dessin

En août 2019, pour commémorer le centenaire de la course, un « Circuit héroïque des Champs de Bataille » fut organisé, sous forme cyclotouristique, à l’initiative de deux associations belges de Flandre orientale. Le parcours d’origine fut respecté autant que faire se pouvait avec le réseau routier actuel, en passant par les mêmes points de contrôle, avec le même règlement de course et une autonomie quasi identique à celle exigée pour les vaillants de 1919. La différence principale était que le départ et l’arrivée se faisaient à Oosteeklo, ville flamande siège des associations organisatrices située à 9 kilomètres du parcours d’origine.

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* http://encreviolette.unblog.fr/2014/04/17/le-sabre-et-le-goupillon-a-la-mode-picarde/

Publié dans:Cyclisme |on 13 novembre, 2024 |2 Commentaires »

Du vélo héroïque mais pas que ! Le Circuit des Champs de Bataille 1919 (1)

En ce jour du 11 novembre, commémorant l’anniversaire de l’Armistice de la Première Guerre Mondiale, j’ai envie de vous parler, non pas des taxis de la Marne, mais de vélo !
Ne partez pas, chers lecteurs non passionnés par la chose vélocipédique, vous le regretteriez ! Je veux vous entretenir de cyclisme héroïque et lyrique, mais pas que, à l’époque dramatique de vos arrière-grands-pères pour les plus jeunes d’entre vous, tout simplement de mon père en ce qui me concerne. Je m’étonne d’ailleurs qu’il ne m’entretint jamais de cet événement, lui qui m’inocula la passion du cyclisme et qui, profondément patriote, présida, pendant de nombreuses années, l’association du Souvenir Français de son canton.
« Un pèlerinage a conduit des cyclistes célèbres et inconnus, dont beaucoup avec un passé de front, le long d’une bande sinueuse de terre pleine de champs de bataille ensanglantés. Tout comme la Grande Guerre, c’est devenu une bataille impossible et monstrueuse. Les conditions météorologiques étaient bar et les routes à peine praticables. Après tout, la reconstruction des « régions dévastées » venait de commencer.
Aujourd’hui, toutefois, le souvenir de cette course cycliste légendaire a complètement disparu. Cette histoire unique du « sport inspired by peace » mérite cependant une place dans notre mémoire collective. C’est pourquoi j’espère que vous, mon cher lecteur, serez mon compagnon de route du 28 avril au 11 mai 1919 au Circuit des champs de bataille, mon compagnon qui erre avec les « coureurs de l’impossible » dans le paysage de guerre gardé par des régiments silencieux, mon camarade écoutant l’appel de leur âme blessée, bref, mon ami qui se rend compte que rien ne tolère une guerre et le raconte à ses amis et les amis de ses amis. » (traduction du livre en langue flamande : « Omloop van de Slagvelden 1919 » de Frank Becuwe)

 

 

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Paques sportives

Á la une de son édition du 12 décembre 1918, Le Petit Journal, l’un des quatre grands quotidiens parisiens, annonçait fièrement à ses lecteurs : « Á l’Alsace, à la Lorraine, Le Petit Journal offrira des Pâques sportives. Au lendemain du voyage présidentiel en Alsace et en Lorraine, au lendemain des inoubliables fêtes de la Délivrance, alors que nos deux provinces, d’un même cœur, d’un même élan, ont clamé leur joie du retour à la mère patrie, nous ne saurions taire plus longtemps le projet longuement mûri -il date d’avant la victoire- des Pâques sportives, que le Petit Journal se propose d’offrir à ces départements toujours français … Des détails ? non ! pas encore … Annonçons seulement que tous les sportmen -aviateurs, cyclistes, automobilistes, footballeurs, boxeurs …- tous, sans exception, seront intéressés par une manifestation qui comprend « un circuit des champs de bataille » qui passera par toute l’Alsace, par toute la Lorraine, par la Belgique martyre, par tous ces lieux où la Victoire a brisé des chaînes … Aussi bien, le Petit Journal ne devait-il pas de superbes Pâques à la jeunesse d’Alsace, de Lorraine, de France, à la jeunesse qui vient d’écrire, de son sang, les plus belles pages de la guerre ? »
Dans les colonnes voisines, en forme d’éditorial, étaient remerciées les deux provinces revenues au bercail pour les fêtes de Metz, Strasbourg, Colmar et Mulhouse : « Demandez-le à M. Clémenceau, au cou de qui se jetaient toutes les jeunes filles pour l’embrasser et être embrassées par lui ! Il avait pris une d’elles à ses côtés, dans la tribune, pendant le défilé de nos soldats à Strasbourg. Toute rougissante de plaisir, elle lui disait : Comme c’est beau ! Et lui de répondre, avec cette flamme et cet orgueil du sang français : Hein ! Ils ne défilent pas comme ça, les Boches !
Le selfie n’existait pas à l’époque ! Plus bas, l’article décrivait la liesse à « Metz, les jeunes filles portant par milliers le clair costume de Lorraine, rompant les cordons de troupes, se précipitant vers les voitures où étaient assises les personnalités du cortège, les envahissant dans une joie débordante, s’installant partout dans l’intérieur au-dessus de la capote, sur le capot, et criant à s’égosiller : « Vive la France ! Vive nos libérateurs ! »
« Colmar, dont pendant toute la guerre nos soldats voyaient les clochers, faisait chanter par des milliers d’enfants l’air populaire : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » avec cette addition :

France, Merci ! L’Alsace et la Lorraine
En ces beaux jours se jettent dans tes bras
Merci d’avoir, pour briser notre chaîne
Sacrifié le sang de tes soldats.
……………………………….
Nous embrassons le drapeau de la France
Qui dans ses plis porte la Liberté !

Et cette jeune Mulhousienne qui racontait : « Le jour de l’armistice, j’ai rencontré l’institutrice allemande qui m’avait fait tant souffrir, j’ai couru à elle et je lui ai crié : « C’est moi la maîtresse, maintenant, eh bien ! Vive la France ! »
Une semaine plus tard, à la une de son édition du 19 décembre 1918, tandis que le roi d’Italie Victor-Emmanuel, « roi soldat, roi démocrate, roi savant », était hôte de la France, le quotidien donnait des précisions sur son programme de futures Pâques sportives : « Nous nous étions promis de taire, quelques jours encore, tout détail … mais le courrier qui nous arrive chaque jour contient trop de questions anxieuses pour que nous puissions plus longtemps garder le silence. Certains de nos lecteurs ne nous le pardonneraient pas !... »
Ainsi donc, est programmée « une course cycliste monstre sur un vaste itinéraire partant de Strasbourg, traversant le Luxembourg, atteignant la Belgique, touchant Namur, Liège, Anvers, Bruxelles, Bruges, nos chères régions du nord libérées, s’infléchissant jusqu’à proximité de Paris, se redressant vers Reims, pour aboutir à Strasbourg, en visitant Verdun et Nancy. »
Les géants du cycle ne seront pas seuls à la peine et à l’honneur : au départ de la course, à Strasbourg, le 27 avril, se disputera un championnat de France de course à travers la campagne (cross-country) ainsi qu’un match de rugby entre le champion de France le Stadoceste Tarbais (en fait, récent vainqueur de la Coupe de l’Espérance) et une sélection du Reste de la France. Parmi toutes les festivités sportives figure aussi « une épreuve gigantesque d’aviation, épreuve double comportant une catégorie réservée aux appareils de vitesse, aussi bien qu’une catégorie réservée aux appareils… utilitaires ! »
Un Prix de la Reconnaissance nationale est organisé : « Tous nos lecteurs voudront -nous n’en doutons pas- nous adresser leur souscription (nous demanderons des sommes insignifiantes) pour créer une Bourse qui fera, sans doute, songer à ces quenouilles que les femmes de France étaient prêtes à filer pour le grand connétable Du Guesclin. »
Les objectifs de ce premier Circuit des Champs de bataille sont multiples : sportif en encourageant la reprise des courses cyclistes en France et en Belgique, patriotique en rendant hommage à tous ceux qui sont morts sur les différents fronts, économique en relançant le tirage et la vente du quotidien, politique enfin en célébrant les territoires d’Alsace et de Lorraine rendus à la France après avoir passé près de cinquante ans au sein de l’Allemagne.
Pendant plusieurs mois, jusqu’au départ de son épreuve, le journal va régulièrement tenir en haleine ses lecteurs en les informant de tous les préparatifs. Il n’est pas novice en ce domaine puisque c’est lui qui organisa en 1891 la première course Paris-Brest et retour … et à l’époque, ce n’était pas du gâteau !
Á la une du 5 janvier 1919, nous découvrons le parcours.

PJ Itinéraire

« Sept étapes ! Deux mille kilomètres ! Un ruban de route qui semble formidable, que l’on croit infini ; un effort qui se prolonge 15 jours (un jour de repos est prévu entre chaque étape ndlr), ce serait, certes, déjà suffisant pour mériter à notre course l’épithète de terrible !… mais il y a, en dehors de la longueur de l’épreuve, d’autres raisons qui ajouteront à sa sévérité, et par conséquent, à sa valeur sportive. On l’a deviné : nous voulons parler de l’état des routes sur lesquelles nos pelotons auront à se vaincre. Pourtant, ceux qui ont vu les services automobiles de guerre effectuer sur ces chemins défoncés les plus dures randonnées, ceux qui ont assisté aux inlassables efforts des estafettes cyclistes, sur ces itinéraires bouleversés, ne nous contrediront pas : On peut passer. »

Crue de la Seine

Le réchauffement climatique a bon dos pour expliquer les nombreuses inondations de l’automne actuel. Un article, dans la colonne voisine, nous informe que la Seine commence à déborder, 5m. 30 au pont Royal, et annonce une crue supérieure du Grand-Morin et de la Marne.
C’est Alphonse Steinès, journaliste français d’origine luxembourgeoise, qui a la responsabilité de la praticabilité des routes. Ce n’est pas un néophyte en la matière, c’est lui qui accoucha de la montagne pyrénéenne lors du Tour de France 1910. En reconnaissance dans le col du Tourmalet, bloqué par la neige, il dut abandonner sa voiture et mit plusieurs heures pour rejoindre Barèges de l’autre côté du massif, d’où il télégraphia un message rassurant à Henri Desgrange, le fondateur du Tour : « Passé Tourmalet … stop … Parfaitement praticable … stop » ! C’est ainsi qu’il ouvrit la voie pour, quatre décennies plus tard, son compatriote Charly Gaul, un ange idolâtré par un de mes lecteurs.
Au final, le tracé ne subit que quelques retouches mineures dues à des routes détruites et des ponts coupés. Seule modification importante, les organisateurs renoncèrent à traverser Sarrebruck, ville allemande malgré la présence de troupes françaises d’occupation.
Lors des consultations des journaux, mon œil ne se restreint pas aux nouvelles vélocipédiques, c’est d’ailleurs un plaisir collatéral de mes recherches, de découvrir la riche actualité de l’époque. Ainsi, vous comprendrez que je sois intrigué par le titre d’un long article :

Pour avoir des professeurs

Voyons voir : « … Depuis 1914 les vivres, les combustibles, les vêtements, les ustensiles ménagers, la main-d’œuvre domestique ont subi un renchérissement qui dépasse en certains cas le chiffre de trois cents pour cent. Que ce phénomène tire son origine de l’avilissement du prix de l’argent ou de la diminution de la production nationale et mondiale, peu importe. Le fait est là et il est cruel. Le consommateur qui est en même temps producteur s’y adapte assez facilement : il vend plus cher ses produits ou ses services et l’harmonie s’établit avec plus ou moins de grincements entre ses ressources et ses besoins … Mais la situation est autrement grave pour ceux dont les revenus restent aujourd’hui ce qu’ils étaient hier. Ils sont profondément malheureux. C’est le cas des fonctionnaires. C’est notamment celui des professeurs de nos lycées et de nos collèges dont je voudrais confraternellement, ici, signaler l’angoisse et la détresse. Qu’ils soient à leur manière des producteurs, j’en suis convaincu. Mais leur production n’est pas de celles dont en des temps troublés, on sente la nécessité. Nul profit immédiat n’en revient à la collectivité. Ce luxe qu’est la culture de l’esprit ne doit-il pas être relégué, comme tous les autres luxes, parmi les denrées dont il est regrettable mais nécessaire de faire l’économie ? Ce serait faire preuve d’autant d’ingratitude que de myopie.
La guerre a révélé à ceux qui l’ignoraient ce qu’il y avait d’éminentes vertus, de forces latentes dans cette Université de France que l’on pouvait croire perdue dans la contemplation des vérités abstraites qu’elle enseigne. C’est elle qui a formé la plupart des soldats et des chefs qui nous ont donné la victoire. Ses maîtres par le prestige de leur nom, de leur parole, nous ont conquis dans le monde entier des amitiés fidèles, des alliances spontanées. Leur aptitude aux idées générales les a mis à même de s’adapter promptement aux questions de technique nouvelle que posait la défense nationale. Soldats, savants ou moralistes, tous ont servi magnifiquement la grande cause qui triomphe aujourd’hui … Nos professeurs ne peuvent plus vivre des salaires qu’ils reçoivent et la situation est devenue telle que dans ces milieux de discrétion délicate et de simple dignité des cris de désespoir et d’irritation se sont fait entendre. Déjà en 1907, les travaux de la commission extra-parlementaire de l’Enseignement aboutirent à des conclusions que j’eus la joie de contribuer à réaliser comme rapporteur du budget et comme ministre de l’Instruction publique (Théodore Steeg ndlr). Nous avions constaté alors que le recrutement devenait plus difficile, que les professeurs n’incitaient plus les meilleurs de leurs élèves à entrer dans l’Université, que les sujets d’élite attirés par les carrières lucratives dédaignaient les concours d’agrégation. Le modeste relèvement de traitement qui fut alors voté se révèle aujourd’hui nettement insuffisant … Certes, ils ne tiennent pas aux vaines satisfactions du luxe, ils connaissent les joies sereines de la science et de la poésie. Mais comment les goûteraient-ils alors que les tenaille la préoccupation du pain quotidien ? … Les désertions commencent. Pourquoi ce savant, physicien ou chimiste, se confinerait-il dans sa besogne misérablement payée de pédagogue quand l’industrie est là qui l’appelle, lui proposant des appointements très supérieurs à ceux qu’il pouvait escompter au terme de sa carrière… » Excusez, c’est un peu long, mais j’ai l’impression que, un peu plus d’un siècle après, le lyrisme en moins, le constat est aussi alarmant.
Á intervalles réguliers, le quotidien nous informe de l’évolution de la liste des coureurs qui désirent s’inscrire, en maintenant cependant un certain suspense … un ancien champion du monde se serait engagé.
Un entrefilet dans l’édition du 7 février 1919 ne manque pas de surprendre, au moins par le ton employé : « Le Petit Journal se réserve le droit de n’accepter aucun des coureurs ressortissant d’une des puissances belligérantes ennemies de la France. Ainsi, pas d’Austro-Hongro-Boches. Nous ne les avons que trop vus avant et pendant la guerre. »
Vous pensez peut-être que je force un peu trop le trait ? Voici la preuve :

Entrefilet Boches

Le cyclisme français, le sport en général, avait payé un lourd tribut à la Grande Guerre, avec en tête de liste, trois anciens vainqueurs du Tour de France : Lucien Mazan, plus connu sous le pseudonyme de Petit-Breton, mort dans un accident de circulation sur le front en 1917, François Faber surnommé le « Géant de Colombes », tué à l’ennemi le 9 mai 1915 au Mont-Saint-Éloi dans le Pas-de-Calais (on ne retrouva jamais son corps), et Octave Lapize dit « le Frisé » qui, réformé pour surdité, s’était engagé en 1914 et mourut dans un combat aérien le 14 juillet 1917.

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Leon Flameng

Léon Flameng, fils du peintre Marie-Auguste Flameng, champion olympique sur 100 kilomètres aux Jeux Olympiques d’Athènes de 1896, mourut pour la France en janvier 1919 à Ève dans l’Oise. Ainsi encore, Roland Garros, qui ne brilla aucunement comme tennisman, remporta en 1906 le championnat de France interscolaire de cyclisme sous le pseudonyme de Danlor, anagramme de son prénom, pour que son père n’en sache rien. Engagé dans l’aviation, lieutenant-pilote, il périt dans un combat aérien le 5 octobre 1918 à Vouziers (Ardennes) que les coureurs du Circuit traverseront.
Plusieurs centaines de sportifs français, dont beaucoup de pratiquants de cyclisme sport très populaire à l’époque, perdirent la vie au combat. Le premier engagé de l’épreuve du Petit Journal, le Morlaisien Alfred Le Bars, eut la douleur de perdre son frère cadet Francis, abattu en délivrant un message.

Réclame 1

Il y a encore des coureurs mobilisés lorsque s’ouvrent les inscriptions à l’épreuve. Pour que les candidats voient leur engagement validé, il est nécessaire que leur inscription effectuée individuellement soit accompagnée d’un certain nombre de formalités administratives : déclaration des noms et prénoms (les pseudonymes ne sont pas autorisés), adresse actuelle du coureur, lieu de naissance, numéro de licence de l’U.V.F. (Union Vélocipédique Française) ou d’une fédération affiliée à l’Union Cycliste Internationale, marque de la bicyclette et des pneus, couleur du maillot. Pour les français, un sauf-conduit pour la Lorraine suffit, pour les étrangers un passeport pour l’Alsace-Lorraine et la France est nécessaire, le gouvernement belge s’engage à simplifier les formalités aux frontières de son territoire et délivrera un passeport collectif.
Hors les hommes, le journal organisateur tient aussi à mettre en avant leurs montures en réservant à la course sa caractéristique de « critérium des machines ». Il consacre un long article au « Vélo du circuit » : « Les années de guerre que nous venons de vivre nous auront appris bien des choses. Au front, nous avons pu constater les mille et un miracles que l’on était arrivé à faire avec un « vélocipède ». Il semble que rien ne pouvait arrêter l’effort des agents de liaison à bicyclette, la fine machine se glissait partout, dans les fondrières les plus défoncées, au milieu des trous d’obus, parmi la mitraille qui faisait voler des morceaux de pierre, et vraiment, il est arrivé bien des fois où l’on ne savait si l’on devait admirer plus l’homme que la machine. Eh bien, ces routes du front, complètement revues et transformées d’ailleurs, vont être à nouveau parcourues par la bicyclette passe-partout. Mais ce ne sera plus vers un P.C. quelconque que se hâtera le rapide cycliste ; ce qui nous vaudra cette course rageuse vers un but désiré, ce sera le trophée à conquérir, la palme du vainqueur de notre Circuit des Champs de Bataille. Où le père a passé passera bien l’enfant ! Et où les estafettes du front ont passé, les concurrents du Circuit passeront aisément. Dire que le travail demandé à la bicyclette et aux pneumatiques ne sera pas gigantesque, non, mais au moins nous aurons cette certitude que la machine qui triomphera dans le Circuit historique sera bien d’une grande marque, grande par sa fabrication, par le soin de son usinage et par le fini de sa mise au point. Le constructeur, petit ou grand, qui aura outillé le champion vainqueur sera réellement digne du prix que le Petit Journal a spécialement créé à cette intention. »

maillot Alleluiaplaque Chemineau

Il est une autre monture dont le sort m’inquiète à la lecture d’une annonce du sous-secrétariat d’État à la liquidation des stocks (!) concernant la vente de « chevaux entiers » de l’Armée Française.

Réclame  2

La cavalerie, qui était considérée au début des hostilités comme l’élément offensif par excellence des forces armées, s’est révélée rapidement vulnérable face à la modernisation de l’artillerie et des armes lourdes telles que la mitrailleuse. Les chevaux furent cantonnés progressivement à un rôle logistique. Le Petit Journal demande que « la démobilisation des chevaux doit non seulement marcher de pair avec la démobilisation des hommes et du matériel, mais doit aussi être conduite avec le même esprit de méthode et la même clairvoyance. 900 000 chevaux ont été réquisitionnés par l’armée pour ses besoins. L’agriculture, le commerce et l’industrie réclament impérieusement leur retour ».
Á la une de son édition du 7 janvier 1919, le quotidien annonce la mort de l’ancien Président des États-Unis Théodore Roosevelt « Grand américain, Prêcheur d’énergie, Adversaire du Germanisme » : « Dans l’odieuse agression de l’Allemagne contre la Belgique et la France, Théodore Roosevelt se déclara ouvertement pour l’Entente, faisant une ardente campagne pour l’intervention des États-Unis et envoyant ses trois fils, Archibald, Kermit et Quentin se battre sur le front français. Kermit, devenu lieutenant aviateur, attaqué le 14 juillet 1918 par sept avions ennemis au-dessus du village de Champy, tombait glorieusement pour notre cause. Roosevelt songeait à venir visiter les champs de bataille et se recueillir sur la tombe de son fils. »
J’eus l’occasion, lors d’un voyage, d’admirer son effigie sur le gigantesque Rushmore Monument aux côtés des présidents George Washington, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln. Les lecteurs cinéphiles se souviennent sans doute de Cary Grant escaladant la sculpture monumentale de granite dans la séquence finale de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock.
Transition habile, tant qu’on est au chapitre de la sculpture, l’édition du 15 janvier nous informe d’un commerce de faux Rodin. Le conservateur des musées Rodin et du Luxembourg, exécuteur testamentaire des œuvres de l’artiste, intrigué par la multiplicité de prétendues sculptures, notamment des réductions du Penseur et des Bourgeois de Calais, a découvert qu’elles appartenaient à un certain comte Bouyon de Chalus qui les tenait de sa femme, veuve d’un oculiste nommé Monfoux lequel les aurait reçues en cadeau de Rodin lui-même en remerciement des soins qu’il lui avait dispensés ! Or, le conservateur, très proche de Rodin, savait qu’il n’avait jamais eu mal aux yeux, il était juste un peu myope et portait un quelconque lorgnon prescrit par un oculiste quelconque lors d’une brève consultation. Élémentaire mon cher … !

Jean Alavoine Paul Duboc

La liste des engagés s’allonge au compte-goutte, les organisateurs dévoilant avec parcimonie les nouveaux inscrits pour maintenir en haleine les lecteurs. Cependant, on relève déjà les noms de Jean Alavoine surnommé « Gars Jean » pour son esprit de titi parisien, et du Rouennais Paul Duboc surnommé évidemment « La Pomme » en bon normand qu’il est. Tous deux s’étaient distingués en remportant plusieurs étapes dans les Tours de France d’avant-guerre. Duboc était même leader au classement général (le maillot jaune n’existait pas encore) lors du Tour 1911 lorsqu’il fut victime d’une intoxication alimentaire au cours de l’étape Luchon-Bayonne. En fait, il s’avéra qu’il avait bu, non pas du calvados, mais une potion magique et dopante fournie par un autre concurrent. Mobilisé en 1915, il fut blessé par une balle à l’œil droit en juillet de la même année, puis aux deux jambes par un éclat d’obus en mars 1917.
Le journal consacre la première page de son édition du 2O février 1919 exclusivement à l’attentat perpétré contre Georges Clémenceau le « Père la Victoire ».

Clemenceau

« M. Clémenceau quittait son domicile, 8 rue Franklin, hier matin à huit heures, dans son automobile, pour se rendre au ministère de la Guerre, comme chaque jour. La voiture venait de tourner la rue Franklin et allait s’engager sur le boulevard Delessert, lorsqu’un individu, jeune, grand blond, vêtu de marron clair, qui se tenait tapi dans la vespasienne placée au coin de ce boulevard, sortit précipitamment de sa cachette … et dirigea son bras armé d’un pistolet automatique sur la glace de la voiture… »
Le « meurtrier, un dénommé Cottin, anarchiste, a été arrêté. Plus de peur que de mal pour sa victime : « plaie pénétrante de la partie postérieure de l’omoplate droite sans lésion viscérale, état général et local parfaits ». Clémenceau aurait dit avec humour : « je ne pensais pas que la chasse au tigre était ouverte à Paris », référence au surnom qui lui avait été donné durant la guerre parce qu’il ne lâchait rien face au crime.

Cottin condamné

La justice est expéditive : la Cour d’assises, lors de sa séance du 14 mars, condamne Cottin à la peine de mort. Le réquisitoire du lieutenant Mornet est sans appel : « Le fait d’avoir mis le grand vieillard à deux doigts de la mort, ce crime ne comporte pas de pitié pour des Français. En voulant tuer l’homme de la Victoire, le président de la Conférence de la paix, on a tiré sur la France ».
En revanche, après 56 mois de détention préventive, le 24 mars 1919, comparaît devant le jury de la Seine l’étudiant nationaliste Raoul Villain, fils du greffier du tribunal civil de Reims, qui a assassiné le chef du parti socialiste Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, alors qu’il dînait au Café du Croissant, rue Montmartre à Paris, non loin du siège de L’Humanité, le journal qu’il avait fondé. Le Petit Journal déclarait à l’époque : « Le sort en est jeté, nous sommes à la veille de la guerre ». L’Allemagne la déclara trois jours plus tard.
Lors de son procès, pour sa défense, Villain se justifie ainsi : « Si j’ai commis cet acte, c’est parce que M. Jaurès a trahi son pays en menant sa campagne contre la loi de trois ans. J’estime qu’on doit punir les traîtres et qu’on peut donner sa vie pour une cause semblable. Je ressens un profond sentiment du devoir accompli. »

Villain acquitté

L'Humanité Jaures

Confusion, stupeur, incompréhension, cinq jours plus tard, le jury populaire se prononce par la négative sur la responsabilité de Villain qui est acquitté et libéré immédiatement, tandis que la veuve de Jean Jaurès est condamnée à payer les frais du procès. On parla alors de second assassinat de Jaurès. Anatole France, scandalisé, adressa une lettre à la rédaction de L’Humanité parue le 4 avril : « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! ».
Un demi-siècle plus tard, Jacques Brel s’interrogeait encore :

Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelques sabreurs
Qui exigeaient du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prêles oui notre Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souvenir
Le temps du souffle d’un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Je n’oublie pas les forçats de la route qui, dans quatre semaines, s’élanceront de Strasbourg pour le 1er Circuit des Champs de bataille. Chaque jour, je guette les nouvelles dans le Petit Journal dont je deviens un lecteur assidu.
Dans son édition du 31 mars 1919, je m’intéresse à l’article relatant « le 75ème anniversaire de la naissance de Verlaine enfant de Metz célébré par sa grande et petite patrie. » L’inauguration d’une plaque commémorative sur sa maison natale se déroule « par un temps maussade, sous les rafales de neige, un temps qu’aurait aimé le « pauvre Lelian » (anagramme de Paul Verlaine ndlr), des « poèmes saturniens », des « fêtes galantes » et de la « bonne chanson » qui chantait aux heures de mélancolie. » On y fit lecture, bien évidemment, de son Ode à Metz qu’il avait écrite en septembre 1892 dans un contexte de revendication du retour de l’Alsace-Moselle à la France :

« … Metz, depuis l’instant exécrable
Où ce Borusse misérable
Sur toi planta son drapeau noir
Et blanc et que sinistre ! telle
Une épouvantable hirondelle,
Du moins, ah ! tu restes fidèle
A notre amour, à notre espoir !

Patiente encor, bonne ville :
On pense à toi. Reste tranquille.
On pense à toi, rien ne se perd
Ici des hauts pensers de gloire
Et des revanches de l’histoire
Et des sautes de la victoire.
Médite à l’ombre de Fabert.

Patiente, ma belle ville :
Nous serons mille contre mille,
Non plus un contre cent, bientôt !
A l’ombre, où maint éclair se croise,
De Ney, dès lors âpre et narquoise,
Forçant la porte Serpenoise,
Nous ne dirons plus : ils sont trop !

Nous chasserons l’atroce engeance
Et ce sera notre vengeance
De voir jusqu’aux petits enfants
Dont ils voulaient – bêtise infâme ! –
Nous prendre la chair avec l’âme,
Sourire alors que l’on acclame
Nos drapeaux encore triomphants !

Ô temps prochains, ô jours que compte
Éperdument dans cette honte
Où se révoltent nos fiertés,
Heures que suppute le culte
Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte
Ce lourd soldat, pédant, inculte,
Temps, jours, heures, sonnez, tintez !

Mute, joins à la générale
Ton tocsin, rumeur sépulcrale,
Prophétise à ces lourds bandits
Leur déroute absolue, entière
Bien au-delà de la frontière,
Que suivra la volée altière
Des « Te Deum » enfin redits ! »

Verlaine

Je suis peut-être en train de plomber l’ambiance de mon billet auprès des amoureux de la petite reine. Justement, transition encore habile, j’y reviens, le Petit Journal informe ses lecteurs et surtout les futurs concurrents des formalités de … plombage des vélos : « Dans la huitaine qui précédera le départ de notre grande épreuve pascale, les concurrents devront faire plomber leur bicyclette. Toute machine, sortant de France, et devant y rentrer, doit être munie d’un plomb assurant sa réintroduction en franchise. Jadis, la Direction des Douanes consentait à mettre à la disposition des organisateurs de courses un employé qui effectuait ce plombage au jour et à l’endroit choisis par les organisateurs. La guerre, en raréfiant le personnel, ne permet plus de recourir à cette mesure. Donc, nos concurrents doivent faire plomber leurs machines individuellement. Les concurrents habitant Paris (ou passant par Paris pour se rendre à Strasbourg) devront faire plomber au Service des Douanes, 11 rue de la Douane, ou encore à la gare de l’Est. Les concurrents habitant la province peuvent demander les plombs à une grande gare voisine. Pour les concurrents habitant l’étranger, ils auront reçu, naturellement, leurs plombs en entrant en France pour se rendre au départ. »
On sait aussi que toute la course doit être faite avec la même machine. Si un accident nécessitait la consolidation ou la réparation d’un cadre, par exemple, celle-ci ne pourrait être effectuée que sur l’autorisation du commissaire général de l’épreuve. Mais, dans ce cas, la réparation devrait se faire sur place en présence d’un commissaire. Chaque coureur recevra, le jour du poinçonnage un numéro d’ordre en tôle qu’il devra fixer à l’avant du cadre, derrière le tube de direction. Toute la course devra être faite avec ce numéro. »
Autre information, les organisateurs fournissent les adresses de leurs quartiers généraux à chaque étape où pourra être envoyé le courrier (« Pour les concurrents, spécifier sur l’enveloppe : coureur du Circuit Cycliste des Champs de Bataille »). C’est dans ces mêmes endroits que s’effectuera le paiement de l’indemnité quotidienne (dix francs) prévue par le règlement, et qui sera versée tous les jours de repos, à condition toutefois que le coureur ait accompli les deux premières étapes. Je remarque que les Q.G. sont installés au Grand Café de l’Univers, place Broglie, à Strasbourg, à la Taverne des Augustins, boulevard Anspach, à Bruxelles, au Café de l’Est à Amiens, au Café du Commerce à Bar-le-Duc, bref, boire un petit coup c’est agréable, la loi Évin n’existait pas à l’époque !

Les Prix

Pour attirer les champions à participer à son épreuve, le Petit Journal offre des récompenses financières attractives lorsqu’on les compare aux salaires moyens de l’époque. Aux prix officiels, viennent s’ajouter peu à peu d’autres primes, ainsi sont annoncés un prix de Président de la République (Raymond Poincaré), un prix du Conseil municipal de Paris, un prix du Conseil général de la Seine, et bien d’autres encore provenant de collectivités des villes ou des régions traversées, voire même de particuliers.
Les initiatives affluent, c’est maintenant, jour de 1er avril, la marque stéphanoise de cycles Le Chemineau qui tient à récompenser les coureurs.

Le Chemineau récompense

Poisson en forme de lapsus, le journal publie, le lendemain, une mise au point.

Cycle Le Chemineau

Prime au vélo vainqueur

Est-ce pour se faire pardonner, le Petit Journal (« dont la modestie n’a pas à vanter le tirage » précise-t-il !) décide d’ouvrir un crédit de 12.000 francs payable en publicité dans ses colonnes, à la marque de bicyclette qui gagnera le Circuit. On retrouve dans ce geste l’esprit de « critérium des machines » que les organisateurs souhaitent imprimer à leur épreuve.
Sans présager de l’issue de la course, une décennie plus tard, un ouvrier stéphanois Benoît Faure surnommé « La Souris » à cause de sa petite taille, remporta le classement des « touristes-routiers » dans les Tours de France 1929 et 1930, sous le maillot Le Chemineau. Il confia, après sa carrière, ses souvenirs dans un petit livre au joli nom de « Les Confessions d’un enfant du … cycle » !

Benoit Faure

Rien à voir avec les cheminots spécialistes de la grève, le chemineau, autrefois, désignait une sorte de vagabond qui parcourait les chemins, c’est l’occasion de saluer le poète beauceron Gaston Couté et son refrain des « Mangeux d’terre ».
Le mois d’avril s’écoule sur fond de préliminaires du futur Traité de Versailles, prévu en juin, et une affaire criminelle qui va tenir en haleine les lecteurs, pendant plusieurs années.

Barbe bleue Landru

Dans son numéro du 15 avril, le Petit Journal publie une photo du suspect, le mystérieux Landru alias Dupont, Cruchet, Guillet, Frémy, etc…, déjà surnommé le Barbe-Bleue de Gambais, ainsi qu’une description très documentée de la perquisition à son domicile à la campagne :
« Nous assistons à la perquisition. Elle est des plus fructueuses. Dans des malles en cuir et en bois, dans des paniers, les inspecteurs découvrent quantité de bibelots de toutes sortes, décoration de cheminées ou de meubles, mais tous choisis par des femmes, des sacs à main, des réticules, des trousses de toilette, des porte-monnaie, du linge propre : chemises, pantalons, cache-corsets ayant encore les initiales des femmes les ayant portés, des démêlures de cheveux, des fausses nattes et une quantité de lettres et de photographies, les unes empilées sans ordre, les autres rangées dans des chemises de papier bulle sur lesquelles des noms sont inscrits au crayon bleu. Quelques linges portant des traces suspectes, plusieurs photos que les inspecteurs reconnaissent comme étant celles des femmes disparues dont nous avons donné les noms, sont mis à part, ainsi que des liasses de coupures de journaux : « Annonces de demandes de mariages » … »
« L’homme aux cent noms » en possède même un cent-unième, le journaliste le nommant Laudru tout au long de son article.
L’enquête n’a pas fini de défrayer la chronique : pour faire vivre sa famille, le sinistre Henri-Désiré Landru s’emploie à repérer, au moyen de petites annonces, des femmes à la recherche de l’âme sœur et possédant un peu de fortune : « Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport ».
Une fois qu’il les a prises au piège, en leur soutirant une procuration, il les emmène, à tour de rôle, dans une propriété à la campagne où on le soupçonne de faire disparaître ses victimes en brûlant leur corps. Pendant plusieurs mois, les enquêteurs vont tenter de percer le mystère de la villa de Gambais, paisible village de Seine-et-Oise (Yvelines aujourd’hui) en lisière de la forêt de Rambouillet. Je connais bien cette maison pour être passé fréquemment devant lors de mes sorties à vélo.

Villa Gambais

Landru photo

Le quotidien va en faire un véritable feuilleton policier, apportant chaque jour de nouvelles révélations.
Le cinéaste Claude Chabrol, qui se délectait de traiter les travers, petits et grands, de la bourgeoisie, en adapta (avec Françoise Sagan), en 1962, un film à l’humour macabre avec, notamment, Charles Denner dans le rôle du tueur en série, Michèle Morgan et Danielle Darrieux.
Enfin, les cloches des « Pâques sportives » sonnent avec, en mise en bouche, le match de rugby entre le Stadoceste Tarbais et le « Reste de la France ». Le Petit Journal fait l’article pour attirer les profanes : « Il faut avoir vu, à Paris, des matches internationaux comme France-Pays de Galles ou France-Nouvelle-Zélande, attirer trente et quarante mille spectateurs, il faut avoir assister aux passionnantes parties jouées aux stadiums de Bordeaux ou Toulouse, pour concevoir toutes les beautés du ballon ovale. C’est ce jeu merveilleux que le Stadoceste Tarbais, champion de France, et une sélection de nos meilleurs joueurs nationaux, ont pris à charge de révéler à nos compatriotes alsaciens, et la jeunesse ardente de la patrie de Rouget de Lisle saura, nous n’en doutons pas, leur en témoigner toute sa reconnaissance. »

Equipes rugby

Les amoureux du ballon ovale auront vite repéré quelques joueurs qui appartiennent à la légende de ce sport. En la circonstance, est dissocié le fameux trio de trois-quarts François Borde (coiffé de son béret), Adolphe Jaureguy et René Crabos, qui écrivirent des belles heures du Stadoceste Tarbais, du Racing Club de France et du XV de France. Crabos, encore militaire, joue pour la sélection nationale. C’était un beau « poulet » des Landes né à Saint-Sever comme il se doit. Il commença la pratique du rugby dans l’équipe des Boutons d’Or du lycée Victor Duruy de Mont-de-Marsan. Après la Seconde Guerre mondiale, il fit une carrière, dans les instances fédérales, de « gros pardessus » comme André Boniface, une autre légende aima les railler, plus tard. Le championnat national junior porte, en son honneur, le nom de Coupe René Crabos depuis 1950. Détail amusant, il commerça dans l’industrie de la plume et du duvet, reconversion « naturelle » pour un poulet de Saint-Sever ! Je sais un de mes lecteurs qui saura se nourrir de mes phrases de jeu ovale !
Á l’ouverture de la sélection française, on relève le nom de Jean Domercq, aîné d’une grande fratrie. Mobilisé durant le conflit dans un régiment de chars de combat, il échappa de justesse à la mort au Chemin des Dames.

Finale-Coupe-de-France-Rugby-1919Rugby Reste de la FranceRugby Stado Reste

Devant une foule évaluée (peut-être excessivement) à 10 000 spectateurs (beaucoup de pioupious) la rencontre se dispute au stade Tivoli … avec un ballon « Allen Spécial », le roi des ballons ovales ! L’envoyé spécial du Petit Journal écrit dans son compte-rendu que le terrain, mieux approprié pour le football-association que pour le rugby, n’a pas permis le développement du jeu d’attaque cher aux Tarbais. Moi qui pensais que c’étaient les footeux qui se plaignaient souvent des pelouses mises à mal dans les regroupements par les crampons des rugbymen … !
Est-ce pour ne pas froisser l’amour-propre de la sélection nationale, le match exhibition, pompeusement appelé Coupe de France, s’achève sur un score de parité, 11 partout. L’essentiel est que « le ballon ovale a fait aujourd’hui de nouveaux adeptes sur les bords du Rhin ! »
Voilà, enfin, c’est le grand jour. Le 27 avril, le Petit Journal fanfaronne : « La « première » d’une épreuve formidable » !
« En 1891, il y a près de trente ans déjà, lorsque le Petit Journal organisa la première course Paris-Brest et retour, des esprits timorés, ignorants ou chagrins, crièrent à l’impossibilité … Paris-Brest-Paris eut lieu et Charles Terront inscrivit son nom sur le Livre d’Or du cyclisme. Il y a quelques mois, lorsque nous annonçâmes le Circuit des Champs de Bataille, course de 2 000 kilomètres à travers les pays dévastés, les ignorants de jadis, toujours aussi chagrins de voir que sans eux pouvait se concevoir quelque chose de grand et de noblement sportif, les dignes successeurs des « empêcheurs de cycler en paix » annoncèrent de leur côté que notre Circuit n’aurait pas lieu ou tout au moins n’aurait pas lieu à la date indiquée. Nous avons laissé tous ces bruits s’élever, grossir, puis se dissoudre devant l’enthousiasme général et … demain lundi 28 avril, le départ sera donné à la centaine de champions qui ont tenu à participer à notre pèlerinage athlétique.
En 1891, ignorance, en 1919, manœuvre d’étouffement. Aux deux époques, même résultat : un triomphe pour la cause du sport sincère et indépendant. Les chiens aboient, la caravane passe … »
Á la Une, un long éditorial est consacré à la course avec en titre : POURQUOI
« Quatre ans de guerre !… Quatre ans d’héroïsme, de danger, de souffrances… Notre Jeunesse les a vécus. Elle s’éveille du cauchemar. Elle aspire à vivre, après avoir consenti à mourir. Soit ! Vivre c’est bien. Mais vivre comment ? Á la façon d’hier ? Á la façon routinière de 1913 ? Ou bien à la mode du poilu, de l’homme qui peine, conscient de son effort satisfait du résultat qu’il donne, prêt à vaincre malgré tout, et malgré tout triomphant ?
Nous avons créé ce Circuit des Champs de Bataille, qui commencera demain, pour répondre à cette question. Pour répondre à d’autres problèmes, encore !
La Victoire est là, forcée, acquise. Belle victoire ! Dangereuse aussi. Être vainqueur est, parfois, un péril. Qui ne lutte plus s’endort en une sécurité trompeuse. Et puis l’oubli vient. Oublierons-nous ? Quelle révolte sainte met un « non » farouche devant ce point d’interrogation !
Et le but secret de notre Circuit des Champs de Bataille apparaît. N’est-il pas, ne sera-t-il pas, chaque année, comme un pèlerinage sacré aux lieux où le sol a souffert ? Les ruines douloureuses n’auront-elles pas une voix pour éveiller les souvenirs de ceux qui se battirent là, pour évoquer leurs combats dans le cœur des jeunes gens de demain ?
Faire vivre le Souvenir. Susciter dans les rangs de notre Jeunesse des énergies ardentes. Voilà les buts de notre épreuve. Est-il un Français -un seul- qui ne puisse pas les applaudir ? … Ils sont près de cent cinquante -chiffre inouï pour une pareille épreuve- qui vont se disputer la palme sportive. Ce sont de célèbres coureurs. Ce sont les Rois de la Route. Ne sont-ils que cela ? Demain, vous les verrez passer. Demain ils lutteront. Demain ils connaîtront la faim qui tenaille, la soif qui affole, la poussière qui torture. Á bout de forces, ils continueront l’interminable étape. Á bout d’énergie ils garderont le vouloir obstiné de vaincre. Titubants, ils iront, encore, toujours, en avant. Ainsi ces hommes se feront surhumains. Peut-on rabaisser leur effort à sa seule valeur sportive ? Allons donc !
Course rude, entre toutes, ce Circuit des Champs de Bataille. Course que beaucoup -des mieux renseignés cependant- déclaraient, hier encore, impossible. Course qui commencera demain.
Il serait lamentable qu’on se trompe sur sa portée, son sens profond, son « pourquoi » … Nous l’avons voulue telle -dans sa cruelle rigueur- qu’elle enthousiasme la Jeunesse entière, qu’elle lui montre, par l’exemple, ce que peut imposer aux muscles une volonté farouche.
Et c’est la Race, tout entière, qui doit en profiter. La Race qui sera plus forte, plus puissante au travail, plus prête à se défendre, surtout, quand tous aimeront, encourageront, pratiqueront cette morale du corps : le Sport !
La Race ? Oui. En vérité c’est pour le Destin de notre Race que le Petit Journal, demain, fera disputer le Circuit des Champs de Bataille. »
Il est des mots qui, aujourd’hui, déchaîneraient des tempêtes médiatiques.
Rendez-vous demain, à 6 heures du matin, devant le Café de l’univers, place Broglie, à Strasbourg, pour vous conter, dans mon prochain billet, étape par étape, cet inoubliable Circuit des Champs de Bataille, passé aux oubliettes !

Publié dans:Cyclisme |on 11 novembre, 2024 |1 Commentaire »

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