Les Cabanes de JeanDenis Robert : « Rhapsodie pour des ruines »

Encore une séance de rattrapage après que quelques ennuis de santé m’aient éloigné de la rédaction de mon blog. L’artiste et ami dont je souhaite vous entretenir me pardonnera volontiers.
Mes lecteurs les plus assidus le connaissent : au gré de son actualité, j’ai consacré plusieurs billets* à l’univers du photographe JeanDenis Robert.
Cette fois-ci, la belle aubaine, il avait choisi de présenter ses derniers travaux, non loin de mon domicile, à la librairie le Pavé du Canal de Montigny-le-Bretonneux. Situé au cœur de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, le Pavé est un remarquable espace culturel indépendant animé par des libraires de formation qui font partager aux clients leurs coups de cœur et émotions littéraires, à travers des newsletters mensuelles, des séances de dédicaces d’auteurs, des mini-festivals sur des thèmes variés, des interventions dans l’émission Yvelivres de la télévision locale.
Ici, on ne vient pas qu’acheter un livre, on flâne volontiers au milieu des rayons richement achalandés à la quête d’éventuelles futures lectures. Laurent Garin, le directeur, ne conçoit pas que la librairie soit uniquement un lieu dédié aux livres et y convie aussi d’autres arts, c’est donc ainsi que l’on a pu découvrir, accrochées de-ci de-là, quelques photographies tirées de Rhapsodie pour des ruines, le  (double) beau-livre de JeanDenis Robert,

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Profondément inspiré par le mouvement surréaliste, dans ses travaux antérieurs, JeanDenis, fouineur de greniers et de bric-à-brac, réhabilitait artistiquement, en les mettant en scène avec jubilation, des objets promis à l’inéluctable rejet. À travers le prisme de son objectif 6×6, ces victimes de la société de consommation troquaient leur condition dérisoire pour le statut enviable d’objet d’art, des natures mortes … tellement vivantes.
Cette fois-ci, la démarche n’est pas tellement différente : en battant la campagne « au milieu de la France, entre la Vienne, l’Indre, la Touraine et le Cher, mais aussi au hasard de quelques voyages plus au sud, plus à l’ouest », JeanDenis a pointé l’objectif de son Hasselblad 500 CM, le « stradivarius de la photographie » comme il aime dire, sur des vestiges de petits édifices liés originellement à la conquête paysanne du sol : cabanes abandonnées, abris, remises, granges, appentis, resserres, huttes, bories, loges et cayennes. Souvent, ils ont aujourd’hui disparu au moins partiellement, ou se sont effondrés après avoir subi les outrages du temps.
Selon l’analyse du premier théoricien de l’architecture, le romain Marcus Vitruve (1er siècle avant J.C.), « l’histoire de l’architecture débute au moment où les hommes préhistoriques eurent pour la première fois l’idée de construire des cabanes » pour s’abriter des intempéries. Mais c’est au 18ème siècle, suivant les préceptes du philosophe Jean-Jacques Rousseau sur l’état de nature et du bon sauvage, que le mythe de la cabane se développa.
Sans remonter aussi loin, la cabane est une fascination d’enfant : se transformer en Robinson, s’inventer à défaut d’une île au moins un espace en retrait, afin d’échapper à l’autorité adulte. J’ai le souvenir, dans mon enfance normande, de jeudis avides (il n’y avait pas classe à l’époque) où, avec mes copains Georges, Gérard et Philippe, nous filions dans les bois pour rassembler quelques branchages et construire un éphémère havre de paix et d’aventure.
Jean-Denis fut un des gosses du film La Guerre des Boutons, réalisé par son père Yves, qui édifiaient une cabane pour y amasser leur « trésor de guerre », les boutons de culottes et de chemises des peigne-culs de Velrans ! Marie-Tintin, la gardienne du butin, confiait cinquante ans plus tard : « J’avais onze ans, cet été-là est resté gravé à jamais dans ma mémoire, on jouait aux amoureux, entre deux scènes, les autres mômes me couvraient de bisous ! » … Tant qu’ils ne lui demandaient pas de montrer ses « o-edèmes » (du sein) !
Au bon temps des dictées scolaires à l’encre violette, je fus confronté, avec une jubilation inhabituelle, à un passage du livre éponyme de Louis Pergaud : « Ils (« les libres enfants de Longeverne » ndlr) réaliseraient leur volonté ; leur personnalité naissait de cet acte fait par eux et pour eux. Ils auraient une maison, un palais, un panthéon, où ils seraient chez eux, où les parents les maîtres d’école et le curé, grands contrecarreurs de projets, ne mettraient pas le nez, où ils pourraient faire en toute tranquillité tout ce qu’on leur défendait à l’église, en classe et dans la famille. »
La part d’enfance demeure chez JeanDenis adulte. Il nous livre, en préambule, comment il a apprivoisé ces ruines avant de composer sa rhapsodie : « Elles doivent me séduire, partager avec moi une part d’utopisme et de fantasme … les découvrir sont des instants qu’il ne faut pas gâcher… en faire longuement le tour avant de les capturer, il faut parfois y revenir, à l’aube, risquer une autre lumière. »
Nous les dédaignons, l’artiste nous les rend telles qu’il les ressent, émouvantes, inquiétantes ou avenantes, désuètes, mais belles et inspirées aussi. Elles ont toutes une âme. Comme les People* de son précédent ouvrage, elles ont une « gueule d’atmosphère ».

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eoliennes

La brume les rend mystérieuses ou désolantes, un rai de soleil après l’orage les ravive. Certaines sont agressées par une végétation vorace. L’une, orpheline, semble incongrue dans un champ d’éoliennes, une autre est château … d’eau. Souvent, leur dernier hôte a décampé depuis longtemps. Une table et deux bancs face à quelques plants de vigne témoignent peut-être encore d’une présence au temps des vendanges. « La rouille aurait un charme fou/Si elle ne s’attaquait qu’aux grilles » chanta Maxime Le Forestier.

ByrrhDubonnet

Byrrh, Dubonnet (Dubo ! Dubon ! Dubonnet !), ces vieilles réclames défraîchies sur les murs murmurent la « douce France » de mon enfance, au bord des anciennes routes nationales qu’avec les congés payés et l’essor de l’automobile, les Français empruntaient. La route des vacances faisait recette (pas seulement la Nationale 7 chantée par Trenet) du moins pour les annonceurs et les peintres pignonistes. Joseph Dubonnet avait élaboré, en 1846, son vermouth aromatisé au quinquina pour lutter contre le paludisme et soulager notamment les légionnaires victimes des moustiques dans les colonies. Ces apéritifs d’antan trônent encore parfois derrière le comptoir de certains bistrots à l’ancienne. Ma chère mémé les sortait de son placard, les jours de fête.
Ces images du patrimoine appartiennent à notre mémoire. Toutes ces ruines racontent une histoire et quelques pans d’Histoire d’une France rurale. Le photographe les a peuplées de ses propres récits.

Pavé photos 2cliché Pavé du Canal

4photos

C’est là, dans le second volet de son diptyque, qu’entre en scène JeanDenis Robert dans un exercice nouveau pour lui. Il s’est approprié les cabanes, à moins que ce soient elles qui l’aient convaincu d’écrire à leur sujet. « Le plaisir stimule l’imagination. Toutes les nuits, je fus visité par les fantômes de mes ruines. Sans cesse des souvenirs, des moments de vie. »
Il avait mis ses portraits de People en résonance avec des poèmes de son ami danois Per Sørensen. Cette fois, l’envie d’écrire, avoue-t-il, lui est tombée dessus un mardi !!! Son esprit s’est emballé, son imagination s’est envolée, ses timidités littéraires se sont évanouies, et voici que vingt-huit histoires courtes ont jailli des cabanes aux fenêtres souvent éventrées.
« J’ai eu le sentiment d’effectuer les repérages de films inconcevables, abusivement insolites, indûment réalistes … mais ici, les repérages sont clos, les décors sont déterminés avant l’histoire … les situations et les personnages apparaissent sans crier gare. »
L’exercice est savoureusement réussi. L’écrivain photographe joue avec jubilation et nous invite à jouer avec lui : « lire, voir, se figurer, combiner et voir autrement ». Il titille la curiosité et la perspicacité du lecteur, c’est à lui de mettre en correspondance nouvelles et photographies. C’est à lui aussi de distinguer les parts de vérité et de fiction.
Pour avoir le privilège de connaître un peu JeanDenis, quelques indices m’ont parfois orienté, ainsi cette virée en auto-stop dans les 70’S qui faillit ne pas être un beau roman, une belle histoire à cause d’un automobiliste louche qui connaissait Brassens, ou encore la présence de gosses de la mythique guerre des boutons dans la nouvelle Flambeau Le Chien. Jean-Denis est aussi le « couillon » goûteur de la purée de lecanium du cornouiller au jus de punaises, une des recettes concoctées par trois jeunes sorcières.
Ça suffit, ne comptez pas sur moi pour jouer les spoilers en vous dévoilant le vrai et le faux, cela serait d’ailleurs moins drôle pour vous : à vous de retrouver la vigne de Suzanne, le champ de Marcel le rebouteux, les deux cabanons sur le Cher que séparait la ligne de démarcation à partir de juin 1940, bref à rassembler les pièces de ce baroque puzzle artistique.
L’artiste balance entre poésie et réalisme, brosse des portraits, crée des ambiances entre amours et drames, s’essaie au polar, au conte, à la comptine même. Il saupoudre certains de ses récits de références cinématographiques et photographiques (on ne se refait pas !). Toutes ses cabanes sont des réserves de rêves et de réflexions

Amorette

Cabane 6 tôles

L'inusable

L’art est prémonitoire. Ironie grinçante du quotidien, j’eus, le lendemain de ma visite, la révoltante surprise de découvrir, à quelques centaines de mètres de la librairie, mal dissimulées dans des buissons touffus, des baraques de tôles récupérées abritant des familles de Roms.
La cabane, illustration bricolée de la précarité, devient alors objet politique. Elle tient un discours quand, symbole de résistance ou de lutte, elle s’installe dans une ZAD (Zone à Défendre) ou sur un rond-point (Gilets Jaunes). Plus pacifiquement, elle délivre un message écologique dans une nouvelle forme d’hôtellerie de plein air qui attire des amoureux de la nature, avec des cabanes dans les arbres ou sur l’eau.
Pour pasticher le poète, JeanDenis Robert ne photographie pas (et n’écrit pas) pour passer le temps. Comme les Fenêtres de Jacques Brel, ses cabanes nous disent beaucoup. Après avoir voyagé dans son double livre au design très original, vous aussi, désormais, envisagerez, avec un œil et un esprit différents, les cabanes qui surgiront secrètement au hasard de vos promenades.

couverture

RHAPS Carton

ils vous attendent

Rhapsodie pour des ruines de JeanDenis Robert, éditions 6X6, deux livres réunis en un même coffret, 45€
*http://encreviolette.unblog.fr/2016/04/21/rondeau-et-passacaille-dobjets-kc-avec-jeandenis-robert/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/04/08/jeandenis-robert-clemence-veilhan-et-david-meignan-ramenent-des-objets-reclus-au-chateau-de-nogent-le-roi/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/03/09/les-people-de-jeandenis-robert-et-per-sorensen-sont-entres-dans-paris/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/12/15/quand-le-photographe-jeandenis-robert-nous-alphabetise/
http://encreviolette.unblog.fr/2011/09/27/martin-lartigue-et-jean-denis-robert-exposent-au-chateau-ou-les-beaux-dommages-collateraux-de-la-guerre-des-boutons-dyves-robert/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/10/21/les-mysterieuses-vacances-de-monsieur-mulot/

Mes remerciements à JeanDenis Robert pour le prêt et l’autorisation d’utilisation de ses photographies

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cabanes invitation 1

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