C’était trop kiffant ! Pour ouvrir ce billet consacré aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, je ne résiste pas à vous en relater le presque ultime épisode : l’enthousiasmante victoire de l’équipe de France de cécifoot face à l’Argentine, sur le pré synthétique dans l’incomparable décor du Champ-de-Mars, au pied de la Tour Eiffel.
Une sorte de remake involontaire de la finale de la Coupe du Monde 2022 de football, mais cette fois, à l’inverse de l’infortuné « valide » Aurélien Tchouameni, Frédéric Villeroux, celui qu’on surnomme désormais le « Zidane du cécifoot », déjà auteur du but tricolore dans le temps réglementaire, a réussi le tir au but décisif offrant à la délégation paralympique française sa seule médaille dans les sports collectifs, en or qui plus est. Un moment gravé à jamais dans l’Histoire du Sport, puisque depuis l’entrée du cécifoot aux Jeux Paralympiques, en 2004 à Athènes, tous les titres avaient été exclusivement remportés par le Brésil.
Au-delà de la performance sportive, cette discipline, dont j’ignorais l’existence, nous a offert une merveilleuse image du Handicap dans le Sport.
Comme son nom l’indique, le cécifoot (blind football en anglais), c’est le football sans la vue, pratiqué par des sportifs ayant une acuité visuelle nulle ou très faible, sans perception de la lumière. Afin d’égaliser ces situations de handicap, les joueurs de champ portent un pansement oculaire et un masque occultant. Seul le gardien de but est voyant, participant à l’orientation de ses coéquipiers en zone défensive. En phase offensive, c’est l’entraîneur en bord de terrain qui renseigne les joueurs. Avant les coups francs et les pénaltys, un guide frappe une tige métallique sur les barres du but adverse pour orienter spatialement le tireur.
Les joueurs se fient uniquement au son émis par le ballon en roulant, ce qui induit une stricte discipline des spectateurs qui doivent respecter le silence durant les phases de jeu. Á ce titre, les 11000 spectateurs du Champ-de-Mars ont donné une belle leçon de sportivité, laissant exploser leur jubilation uniquement après la fin des actions, inventant même le concept de la ola silencieuse. Á donner à méditer aux hordes turbulentes de supporters du football valide qui ont tant de mal à respecter minutes de silence, hymnes et adversaires !
Sur votre carré de pelouse, fermez les yeux, déplacez-vous et shootez avec le ballon de votre bambin, le nez bientôt dans les hortensias, vous appréhenderez immédiatement toute la virtuosité de ces joueurs non voyants dans leurs repères spatiaux et le maniement de la balle. Sachant que les cages de cécifoot sont deux fois plus petites que celles du football classique, et sont gardées par un joueur bien voyant, vous ne pouvez qu’être bluffé et admiratif devant la précision de leurs tirs.
Le reporter habitué sans doute à commenter les rencontres de football classique, mais peut-être aussi avec une pointe d’humour, se surprit à parler de « passe aveugle » pour magnifier une belle action collective. Il conseilla même d’avoir à l’œil le meilleur joueur argentin ! Villeroux avait quelque chose en lui de Diego Maradona lorsqu’il slalomait dans la défense « albiceleste » (maillot ciel et blanc). Au bout d’une haletante séance de tirs aux buts, il rendit ivre de bonheur le public du Champ-de-Mars ainsi que les millions de téléspectateurs à leur domicile ou dans les fan zones et cafés de l’hexagone. Clin d’œil sublime aux collègues valides, Mbappé et Griezmann en tête, bien peu clairvoyants, la veille, face à la Squadra Azzura, à quelques centaines de mètres de là, au Parc des Princes !
Retour au 28 août en soirée, pour la cérémonie d’ouverture de cette « paralympiade », sur la bien nommée place de la Concorde… enfin, pas encore vraiment, car le premier tableau, imaginé par le directeur artistique Thomas Jolly et le chorégraphe Alexander Ekman, s’intitule Discorde. De la rue de Rivoli, surgit un taxi écarlate : entièrement recouvert de « phryges », ces mascottes tant raillées voire ridiculisées avant le début des Jeux et vendues comme des petits pains depuis, il ressemble à une bactérie, un méchant virus. Au volant, Théo Curin, le sympathique ex-nageur handisport double médaillé d’argent aux championnats du monde 2017 à Mexico : à l’âge de six ans, il contracta « une méningite à méningocoque de type C compliquée d’un purpura fulminans » qui entraîna l’amputation de ses quatre membres. Il croise bientôt sur scène le pianiste valide Chilly Gonzales, chacun représentant deux clans en présence : d’un côté, la strict society, 140 danseurs valides, dégaine Blue Brothers, en costume noir, cravate et lunettes noires, qui vaquent dans tous les sens à leurs occupations du quotidien abrutissantes, de l’autre, le creative gang composé de 16 performeurs en vraie situation de handicap, habillés joyeusement, qui virevoltent, tournoient, cabriolent avec béquilles et fauteuils. Rien n’y fait, pas même la version techno du Non, je ne regrette rien d’Édith Piaf, interprétée par ex Christine and the Queens (Rahim Redcar depuis son coming-out trans), les deux bandes ne se réconcilient pas tandis que les délégations de para-athlètes débouchent bientôt de l’avenue des Champs-Élysées.
C’est peut-être la promesse d’un rapprochement, des sportifs se confient sur leur handicap dans un petit film diffusé sur un écran géant : « J’ai un corps qui a survécu ! », « On est illimité dans ce qu’on peut faire », « Tu peux pas danser, t’as pas de pieds ? Danse à genoux ! ». Une vidéo sur l’histoire des Jeux Paralympiques m’apprend qu’en 1948, le neurochirurgien allemand, Ludwig Guttmann, après avoir fui les persécutions nazies, avait organisé dans l’hôpital britannique de Stoke Mandeville des épreuves sportives entre blessés de guerre. Douze ans plus tard, les premiers Jeux Paralympiques étaient organisés.
La place où nous nous trouvons changea souvent de nom en fonction des événements politiques majeurs traversés par la France, avant que le Directoire eût souhaité abandonner celui de Révolution et appelé à la Concorde pour marquer la réconciliation du peuple français après la Terreur.
Cérémonie truffée de symboles, patience, la révolution de l’inclusion est en marche : au pied de l’obélisque de Louxor (j’adore !), le chanteur Lucky Love (Luc Bruyère pour l’état-civil), un faux air de Freddie Mercury, tisse un lien entre les valides et les personnes touchées par un handicap. Il capte soudain tous les regards en tombant la veste avec élégance pour exhiber son torse nu et atrophié : il est né sans bras gauche. L’artiste lillois, revisitant les paroles anglaises de sa ballade pop My Ability (Ma capacité), aborde des thèmes liés au handicap, à l’acceptation de soi et à la remise en question des normes sociétales : « Qu’est-ce qui ne va pas avec mon corps ? Ne suis-je pas suffisant ? Qui vous donne le droit de fixer les règles ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? ». Puissamment émouvant ! Renversant comme Marie-Antoinette gardant sa tête !!!
Le si épatant président du Comité Olympique Paris 2024 Tony Estanguet insiste en s’adressant aux athlètes : « Ce qui a fait de vous des révolutionnaires, c’est que quand on vous a dit non, vous avez continué, quand on vous a dit handicap, vous avez dit performance, quand on vous a dit que c’était impossible vous l’avez fait. »
Dans un tableau final poétiquement foutraque, valides et non valides se trouvèrent enfin pour symboliser magistralement la concorde : les béquilles dansaient, devinrent rames d’aviron ou bâtons de twirling, les fauteuils volaient.
Après un Boléro de Ravel (raccourci à huit minutes) enflammé par 150 danseurs portant haut leur torche, vint la sublime séquence, dans la solitude du jardin des Tuileries éclairé d’une belle lumière dorée, des cinq derniers relayeurs embrasant conjointement la vasque olympique. Représentant cinq handicaps différents, déficiences physique (amputation et paralysie), moteur, visuelle et intellectuelle, ils illustraient l’inclusion jusqu’au bout.
Au son du succès planétaire de Patrick Hernandez, Born to be alive, interprété par Christine and the Queens, pardon Rahim Redcar, la place de la Concorde se transforma en un immense dance-floor !
Tous les regards allaient se braquer désormais sur cette « Paralympiade » qui s’annonçait sous de réjouissants auspices.
Au hasard de mes activités, j’avais été confronté à la question du handicap depuis longtemps déjà. Dans le cadre de l’Éducation Nationale, au tournant de l’an 2 000, j’avais réalisé un film sur l’école primaire Henri Dunant de Conflans-Sainte-Honorine qui avait la particularité d’accueillir dans ses classes généralistes de cycles 2 et 3 une vingtaine d’enfants en situation de handicap moteur dans le cadre du dispositif d’inclusion scolaire (ULIS). Demeurent en ma mémoire des moments prégnants et enrichissants partagés avec ces écoliers au handicap sévère. Je me souviens de l’élégante écriture d’une élève de cours moyen qui tenait son stylo avec la bouche. Par leur volonté, leur gentillesse, leur sourire aussi souvent, ces enfants m’offrirent une puissante et confondante leçon de vie.
Quelques années plus tard, élu président du conseil syndical de ma copropriété, je fus amené à veiller sur les conditions nécessaires au bien vivre d’une résidente. C’est peut-être (malheureusement) un détail pour vous mais pour elle ça veut dire beaucoup, vous n’imaginez pas combien le ravinement du sol par la pluie peut rendre le franchissement d’un portillon malaisé voire périlleux pour une personne en fauteuil.
Dans le même ordre d’idée, comment personne n’y avait jamais songé, nous avons entendu régulièrement au moment des célébrations de remise des médailles : « Mesdames et messieurs, levez-vous si vous le pouvez … ». Il aura fallu attendre 2024 pour que Ludivine Munos, triple championne paralympique aux Jeux d’Atlanta, Sidney et Athènes et responsable de l’intégration paralympique au sein du comité d’organisation Paris 2024, propose ces quelques mots, en apparence banals, qui déculpabilisent et enlèvent une gêne pour les personnes en situation de handicap parfois invisible. En France, sur 12 millions de personnes en situation de handicap, plus de 9 millions souffrent d’un handicap invisible.
L’attention portée à la personne de ma résidence constitua une nouvelle leçon de vie d’où germa une vive amitié. Elle militait au sein d’une association communale, participant assidûment à des activités théâtrales et sportives. C’est l’occasion de la saluer amicalement ainsi que son admirable professeur metteur en scène d’alors, Étienne Guichard, ancien comédien de la Compagnie du Campagnol (les plus anciens se rappelleront du spectacle Le Bal et du film éponyme d’Ettore Scola) et papa de l’actrice Clémence Poésy.
Le souvenir de Catherine, ainsi se prénomme-t-elle, dans son fauteuil m’est revenu avec Aurélie Aubert, médaille d’or de la compétition de boccia, une discipline qui, comme le cécifoot, m’était totalement étrangère.
La boccia, d’origine gréco-romaine, pratiquée en fauteuil roulant, sport roi du handicap lourd inscrit aux Jeux Paralympiques depuis 1984, s’apparente à notre populaire jeu de pétanque. Chaque joueur lance six boules en cuir rouges ou bleues avec pour objectif de les placer au plus près du jack blanc, l’équivalent du cochonnet. Le joueur qui n’a pas la capacité motrice de lancer la boule, peut utiliser une rampe.
Notre épatante Aurélie a fait preuve d’une précision diabolique dans sa catégorie BC1 (limitation modérée du mouvement des bras et des épaules puis considérable du tronc et des jambes). Sa fraîcheur communicative et son authenticité contagieuse ont ému la France entière et ont sans doute participé à sa désignation comme porte-drapeau de la délégation française lors de la cérémonie de clôture. Elle confie qu’elle est venue à la boccia parce que les éducateurs du centre de réadaptation où elle était pensionnaire lui avaient promis en échange plein de carrés de chocolat ! Petit chauvinisme régionaliste, c’est une normande !
Transition facile, il est un autre normand, natif d’Yvetot bourg du Pays de Caux, qui a enthousiasmé le public parisien.
« Il était un roi d’Yvetot
Peu connu dans l’histoire
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire
Et couronné par Jeanneton… »
Ce n’est pas le héros de cette vieille chanson que fredonnait ma maman, mais Alexis Hanquinquant roi du triathlon, double champion paralympique, et invaincu dans sa catégorie depuis 2017. Survolant l’épreuve de course à pied, il prit le temps de toucher les mains tendues des spectateurs sur les quais de Seine avant de franchir la ligne d’arrivée sur le pont Alexandre III.
La vie d’Alexis bascula le 5 août 201O : alors âgé de 24 ans, exerçant le métier de maçon, sa jambe droite fut écrasée par un engin sur un chantier. Il subit une quarantaine d’opérations avant de se résigner, trois ans plus tard, à l’amputation de sa jambe droite sous le genou : « J’ai voulu me prouver, à moi mais aussi aux autres, que finalement, un bout de jambe partie, ça n’était pas l’essentiel, et que j’étais encore capable de réaliser de grandes choses. » Débordant d’optimisme et de volonté, il a été un charismatique porte-drapeau de la délégation tricolore.
J’ai eu le béguin pour l’émouvante histoire s’achevant (presque) en conte de fée, écrite par le duo improbable « Flo-Flo » médaillé de bronze dans l’épreuve de double mixte de tennis de table. Flora Vautier, lumineuse blonde de 19 ans, fut victime d’un accident de la route à 10 ans la rendant paraplégique. Elle espéra se relever en centre de rééducation pendant deux ans avant de devoir accepter la dure réalité de rester clouée dans un fauteuil : « Je ne marche pas mais je roule ! » Florian Merrien, 39 ans, encore un normand né à Mont-Saint-Aignan près de Rouen (comme chantait Allain Leprest), se déplace en fauteuil roulant depuis l’âge de 18 mois à la suite d’un virus dans la moelle épinière. Rigolard, il confie qu’il s’est laissé pousser la moustache pour donner un air de la Belle et le Clochard.
Grâce et poésie du geste, j’adorais quand le caméraman s’attardait sur la main manucurée de Flora faisant rebondir sur la table avec délicatesse, la petite balle en celluloïd, avant de servir.
Il y eut des histoires de fratrie, ainsi celle des nageurs Alex et Kylian Portal, respectivement médaillés d’argent et de bronze dans la même course du 400 mètres nage libre, la seule qu’ils pouvaient disputer ensemble. Ils sont nés avec un albinisme oculaire, une maladie génétique qui les empêche de voir au-delà d’un mètre et de percevoir les trois dimensions de l’espace.
Déjà triplement médaillé au cours de ces Jeux, Alex s’est avéré déçu de ne pas obtenir l’or, alors que Kylian était hilare de décrocher le bronze juste derrière son frère.
L’aîné Alex, 22 ans, poursuit ses études dans une grande école d’ingénieurs, parcours physique et chimie. Kylian le cadet, 17 ans, après avoir obtenu, avec un an d’avance, un bac scientifique, est entré à l’école de management Léonard de Vinci à Paris.
Pour eux, et pour bien d’autres, on pourrait adapter la devise du poète romain Juvénal « Mens sana in corpore sano » en « un esprit sain dans un corps assaini ». Le Comité International Paralympique a opté pour « l’esprit, le corps et l’âme » et désormais « Spirit in motion » qu’illustraient les agitos, ces virgules accrochées à l’Arc de Triomphe rendant hommage à la force intérieure et la résilience des para-athlètes, défiant les préjugés et suscitant le respect.
Autre histoire de famille de ces Jeux Paralympiques, celle des frères Didier : souffrant d’un handicap similaire, une atrophie des membres supérieurs et des pieds bots, leurs parents souhaitèrent qu’ils s’accomplissent dans des sports différents. L’aîné Ugo a décroché une médaille d’or et une autre d’argent en para-natation, Lucas, le « petit frère », a obtenu une médaille d’argent en tennis de table.
Preuve que Paris reste la ville de l’amour, les athlètes américains Tara Davis-Woodhall et Hunter Woodhall, mariés depuis 2022, nous ont ému avec leur love story.
Tara, parfaitement valide, dès qu’elle eût décroché la médaille d’or du concours olympique de saut en longueur, se précipita dans les bras de son mari Hunter au premier rang des gradins du stade de France.
Hunter est né, lui, avec une hémimélie fibulaire, une maladie rare caractérisée par l’absence partielle ou complète de péroné. Amputé des deux jambes dès l’âge de onze mois, il court avec des prothèses lames en fibre de carbone. Seulement cinquième dans la course du 100 mètres paralympique, il se réfugia dans les bras de Tara, se sentant presque honteux de n’avoir pas fait aussi bien que sa chère et tendre. La happy end allait se produire quelques jours plus tard lorsque, à son tour, Hunter empocha la médaille d’or sur le 400 mètres, couvrant la distance en 46 secondes.
Pour saisir toute la valeur de sa performance, je me souviens que le sprinter valide Abdou Seye, médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rome de 1960, fut le premier athlète français à descendre sous la barrière des 46 secondes.
La cycliste versaillaise Marie Patouillet nous a offert un autre moment magique de ces Jeux Paralympiques à l’occasion des ultimes tours de piste de sa carrière au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. Née avec une malformation orthopédique du pied et de la cheville gauche, elle a remporté, à 36 ans, la médaille d’or de la poursuite individuelle en battant en finale sa compatriote la jeune Heidi Gaugain, 20 ans. Mais Marie ne se contente pas d’exceller à vélo, elle est engagée activement dans plusieurs causes sociétales, notamment la lutte contre le sexisme et la LGBT phobie dans le sport. En forme de message politique, icône inclusive, elle a confié avoir embrassé ensuite, sciemment sous le regard des caméras, la jeune femme qui partage sa vie depuis plusieurs années.
Envahie sans doute par un excès d’émotion, Marie nous a fait peur lors de la remise des médailles : victime d’un malaise vagal, chancelante, elle a dû s’agripper aux épaules de sa coéquipière Heidi Gaugain et de la néo-zélandaise Nicole Murray, médaillée de bronze, pendant l’exécution de l’hymne français. Ironie du sport avant de basculer désormais dans sa nouvelle vie de médecin généraliste !
Dans un tout autre contexte, notre représentant Charles Noakes, 1,45 mètre, et son adversaire britannique Krysten Coombs, 1,36 mètre, m’ont régalé dans la finale de badminton réservée aux joueurs de petite taille. Ils avaient « un p’tit truc en plus » pour reprendre le titre d’un récent film à succès justement autour du handicap, une dimension burlesque dans leur jubilation de jouer, sauter, plonger et communier avec le public aux anges.
Charles respire la sympathie : « J’ai commencé à ralentir de grandir à l’école primaire, pourtant j’ai mangé de la soupe ! » … « Je veux montrer aux personnes de petite taille qu’on peut rêver grand ! » Très engagé, il fait régulièrement des interventions dans des écoles, collèges et lycées pour sensibiliser les jeunes générations au handicap et leur expliquer les valeurs et les bienfaits d’une pratique sportive. Parmi celles-ci, les élèves de l’école Robert Doisneau de La Chapelle-sur-Erdre, dont il est le parrain, ont réalisé un livre intitulé « Charles Noakes, notre parrainlympique ».
Je me suis surpris à suivre le combat de taekwondo, non pour la discipline elle-même, mais pour tous les messages que véhiculait la championne d’origine afghane Zakia Khudadadi. En remportant une médaille de bronze, elle fut le premier membre de la délégation paralympique des réfugiés à être récompensé. Femme et née avec un bras atrophié, Zakia a fui son pays en 2021 quand les talibans sont entrés dans Kaboul : « C’était ça ou une mort très probable ! » Elle profite de chaque opportunité pour raconter son histoire et dispenser des messages de liberté et d’émancipation. Accueillie en France, elle s’est entraînée quotidiennement à l’INSEP comme une sportive de haut niveau. Elle peut se maquiller, parler en public, étudier, tout ce que les Afghanes, invisibilisées derrière leur burqa, n’ont plus le droit de faire. Elle n’a pas réussi à obtenir sa naturalisation avant ces Jeux de Paris mais espère vivement faire partie de la délégation française dans quatre ans à Los Angeles. Sa joie débordante partagée avec son entraîneuse française, roulant sur le tatami du Grand Palais, devrait faire réfléchir certains politiciens, avant d’envisager des mesures expéditives sur la question de l’immigration.
Durant ces Jeux Paralympiques, souhaités sous le signe de l’inclusion, nous n’avons pas cessé de découvrir le handicap dans toutes ses composantes, ainsi la nécessité de guides qui assistent les athlètes déficients visuels dans les disciplines de para-athlétisme, para-triathlon et para-cyclisme.
Quels beaux symboles que ce fil et ces anneaux de silicone qui lient, en course à pied, l’athlète et son ange gardien de guide : « on court pour quelqu’un, plus pour soi, il faut mettre son égo de côté » ! Cela nécessite un incroyable travail de synchronisation : « Dès les starting-blocks, on doit être à l’opposé : si l’athlète met la jambe gauche devant, le guide met la droite ». J’étais en admiration devant ces coureurs non voyants qui, par la grâce d’un fil et de quelques mots de leur assistant, négocient les virages sans mordre hors de leur couloir, mais aussi devant ces guides valides, de véritables champions qui doivent posséder des qualités athlétiques, à tout le moins égales. Á juste raison, les magnifiques compagnons sont désormais récompensés par une médaille du même métal que l’athlète qu’ils assistent, ainsi que le même niveau de reconnaissance financière (en France). Le lien crée du lien ou inversement : les deux triathlètes français Thibaut Rigaudeau et Héloïse Courvoisier sont amoureux et leurs guides respectifs Cyril et Anne s’aiment aussi. Romance de Paris comme chantait Charles Trenet : « Depuis qu’ils étaient amoureux/Leur destin n’était plus malheureux... »
J’ai eu mal au cœur pour la malheureuse Elena, la marathonienne espagnole, qui a été privée de sa médaille de bronze pour avoir rompu le lien en tractant son guide masculin victime de crampes, l’espace de quelques secondes, à dix mètres de la ligne d’arrivée, alors qu’elle comptait plus de trois minutes d’avance sur sa poursuivante. Cruelle rigidité du règlement !
En passant ces jours-ci par Châteauroux, théâtre des épreuves de tir à la carabine, j’ai repensé à l’intense émotion de Tanguy de La Forest (le speaker prononça son nom avec un délicieux accent british !), en larmes, après avoir décroché enfin sa première médaille d’or paralympique, lui qui avait échoué hors du podium dans les cinq Jeux précédents. Atteint d’une amyotrophie spinale infantile, il découvrit le tir, à sept ans, lors d’une kermesse. Sa performance (agrémentée d’une autre médaille en argent) lui a valu d’être porte-drapeau avec Aurélie Aubert lors de la cérémonie de clôture.
Transition possiblement navrante, après l’appel de La Forest, j’avoue avoir été agréablement surpris par le site de Clichy-sous-Bois choisi pour les épreuves de para-cyclisme sur route. Certain fait-divers dramatique contribuait à l’image sensible renvoyée par cette cité banlieusarde de Seine-Saint-Denis dont les habitants (50% ont moins de 30 ans et 100 nationalités y sont représentées) respirent le bon air de 110 hectares de zones boisées, notamment la forêt de Bondy. La chlorophylle a particulièrement stimulé les cyclistes français qui ont fait une riche moisson de médailles.
Bien sûr, comme tout le public parisien dont il devint la coqueluche, j’ai eu un regard attendrissant et admiratif pour le nageur brésilien Gabriel dos Santos Araùjo, champion exceptionnel qui a conquis trois médailles d’or, comme le métal proliférant dans l’état du Minas Gerais où il est né.
Il est atteint de phocomélie, une pathologie très rare survenant durant le développement de la grossesse. Maladie quasiment inconnue en France, elle toucha, dans certains pays, des milliers d’enfants dans les années 1950-60 à cause d’un médicament aux effets toxiques, la thalidomide en particulier, pris par des femmes enceintes.
Né avec des moignons au niveau des épaules et avec de très courtes jambes atrophiées, on le surnomme Gabrielzinho (le « petit Gabriel ») en raison de sa petite taille, 121 centimètres, et pourtant c’est un géant de la natation. « C’est un don de Dieu » s’émerveille sa maman, Gabriel, tel un triton ou une grenouille, entre dans son élément dès qu’il trempe dans l’eau. Il ondule comme un dauphin avec des mouvements de son bassin.
On n’a plus peur. La compassion s’atténue, laissant place à l’admiration. On ne regarde plus du handisport mais du sport dans un cadre différent. La grande parade devant l’Arc de Triomphe, mêlant indistinctement médaillés olympiques et paralympiques dans un superbe élan de fraternité, en a constitué la plus belle illustration.
« Théo le taxi », après être entré au musée Grévin, anime à la télévision, depuis la rentrée, l’émission de jeu de l’après-midi, le Grand Slam.
Les publicitaires décomplexés n’hésitent plus à faire appel pour leurs spots à des personnes en situation de handicap.
Je n’ai pas trouvé mieux que le « portrait » brossé par Luc Le Vaillant journaliste à Libération : « J’aime les corps en mouvement, leur évidence, leur violence, leur détestation des limites, des frontières et de la gravité. J’aime les corps séduisants, exagérés ou difformes, quand je me méfie des beaux esprits et des bons sentiments. J’aime les corps nus ou habillés, glorieux ou abîmés, parfaits ou recomposés. Je ne crois qu’aux corps exposés et émancipés, ces corps qui foutent la rage aux différents puritanismes qui veulent les voiler, les séparer, les isoler. J’aime les corps sportifs, leur splendeur vacharde et leur terreur salvatrice. Cet été, j’ai été gâté. Les Jeux olympiques de Paris 2024 et leurs jumeaux paralympiques m’ont gavé à satiété du spectacle de ces muscles féroces et de ces prothèses flambantes, de ces thorax crucifiés pour une seconde perdue et de ces fauteuils roulants se percutant comme pour une course de chars romains menés par des gladiateurs sous cocaïne.
Je ne vais pas vous raconter que je regarde de la même façon les corps forcés de ces forcenés que sont les athlètes classiques et les corps reconstruits par le handisport. Mais j’ai la même trouble fascination pour la façon dont les uns et les autres se sculptent un destin entre excès de volonté, masochisme avéré et mise en scène de leurs avantages charnels et de leurs ambitions carnassières. »
Bien d’autres images, histoires, leçons de vie sont ancrées dans ma mémoire tant ces Jeux Paralympiques m’ont passionné au-delà de ce que je pouvais imaginer.
Merci à Tony Estanguet (et toute l’équipe autour de lui) qui a prononcé, lors de la cérémonie de clôture, un discours simple, sincère, authentique comme il apparaît lui-même : « Chers athlètes, nous avons vécu un été incroyable, inoubliable, irremplaçable. Et ça, c’était grâce à vous. À chacune de vos performances, on était plus nombreux à vous suivre. À chacun de vos succès, on était plus nombreux à vibrer. […] Grâce à vous, nous avons pu voir ce à quoi ressemble une société inclusive. Grâce à vous, la révolution paralympique est lancée, et il n’y aura pas de retour en arrière possible …
Cet été, la France avait rendez-vous avec l’Histoire, et elle a répondu présent. Elle a eu l’audace d’imaginer des choses qui n’avaient jamais été faites. (…) On a redécouvert notre joie de vivre, notre impertinence parfois, et surtout toute cette énergie positive qui a explosé dans les tribunes ! Ces Jeux auront été une rencontre de notre pays avec lui-même. La France qui sourit, la France qui s’aime, la France dont on est fiers, la France de tous les records ! »
Espérons juste que tous les politiciens qui commencent à papillonner autour de lui ne viendront pas spolier sa réjouissante fraîcheur d’esprit.
Un grand merci aussi aux reporters et consultants de France Télévisions qui ont fait preuve de compétence, de chaleur et de bienveillance. Qu’il m’excuse d’ignorer qu’il fut lauréat avec Fauve Hautot de l’émission Danse avec les stars, j’ai particulièrement savouré les interventions toujours pertinentes et empreintes de pédagogie, de Sami El Gueddari, ancien para-nageur, la jambe gauche amputée au niveau du tibia suite à une anégésie congénitale, et actuel dirigeant du pôle performance de la Fédération Française Handisport. La France, nation littéraire et intellectuelle par excellence, aura peut-être compris qu’est venu le temps de (se) bouger.
Après avoir vécu toutes ces émotions estivales, pour revenir sur terre, le duo malien Amadou et Mariam, eux-mêmes non voyants, conclurent joliment ces Jeux inclusifs en reprenant, au stade de France, la chanson de Serge Gainsbourg, inspirée du poète Verlaine, « Je suis venu te dire que je m’en vais », tandis qu’aux Tuileries, la flamme olympique s’éteignait !
Des larmes n’y pourront rien changer, oui je vous aimais formidables Jeux de Paris 2024.