Pour l’amour du maillot de football …
En ces temps de morosité, il y a mille et une raisons de se révolter ou de s’indigner.
Dérisoirement, je choisis dans ce billet de pousser un coup de gueule à propos des maillots des équipes de football, clubs et formations nationales, quitte à être catalogué de baby-boomer indécrottable, j’en suis vraiment un qui plus est.
Ma montée d’adrénaline est survenue récemment lors de la retransmission d’un match de l’équipe de Saint-Étienne au cours duquel le reporter ne cessa de parler de « Verts » qui, pourtant, de manière cocasse voire ridicule, avaient enfilé un maillot sans aucun attribut de la couleur de l’espérance.
Illustration d’une société outrancière de consommation, dérive d’un merchandising effréné, pour des raisons bassement économiques, les équipements de maintenant n’ont souvent plus grand chose de commun avec les beaux maillots de mon enfance.
Ceux-ci m’apparaissaient essentiellement, dans les revues spécialisées, en nuances de gris et de bistre que mon inconscient traduisait dans leurs vraies couleurs.
Je les « visualisais » aussi dans les radioreportages « colorés » de certains journalistes qui nous parlaient de « sang et or », de « ciel et blanc », de « verts » déjà. Je me souviens de la voix ensoleillée de Bruno Delaye, un journaliste provençal, qui commençait ainsi ses reportages : « à gauche, en regardant votre transistor, le soleil dans les yeux, l’O.G.C. Nice, maillot rayé rouge et noir, culotte noire, bas noir, à droite … »
J’ai lu qu’Antoine Bonifaci, un merveilleux joueur des années 1950, trop méconnu, confiait : « Je suis un Poilu du football, un Charlot puisqu’on est en noir et blanc sur les photos ! »
Je découvrais ces maillots enfin en vrai lorsque ces équipes venaient défier les Diables Rouges du Football Club de Rouen, aux Bruyères, aujourd’hui stade Robert Diochon.
C’était un moment d’éblouissement quand, dans les belles lumières de l’après-midi, les joueurs sortaient littéralement de terre, les vestiaires se trouvant en sous-sol des tribunes. Je ne possède pas une once de son talent créatif mais je devais connaître les mêmes émotions esthétiques que Nicolas de Staël qui, après avoir assisté à la rencontre France-Suède, en 1952, au Parc des Princes, peignit le plus célèbre match de football de l’histoire de la peinture.
C’était un temps où l’on venait au stade, endimanché. C’était un temps où les maillots de nos clubs de cœur n’étaient pas proposés à la vente. Ils dégageaient quelque chose de sacré qui n’appartenait qu’à ceux qui avaient été retenus pour le défendre.
Sans doute parce que je gardais un but (matérialisé par deux énormes tilleuls dans la cour du collège dirigé par ma maman) lors des parties dominicales acharnées avec mon frère, encore en âge peut-être de croire au Père Noël, je lui avais commandé la panoplie de gardien.
Cette prédilection pour ce poste venait entre autre de mon admiration pour René Vignal, « the Flying Frenchman » * (le Français volant), gardien de but à l’époque du Racing Club de Paris et de l’équipe de France. Outre son style spectaculaire et intrépide, j’aimais ses pull-overs et ses casquettes. J’ai compris, il y a longtemps maintenant, pourquoi l’homme à la barbe blanche ne m’apportât pas un beau pull Rodier ou Guy de Berac pour me vautrer sur le goudron de la cour !
Je connus semblable déception lorsque j’avais souhaité une tenue complète comme celle immaculée du Real Madrid, sans doute après avoir accompagné mon papa, au Parc des Princes, pour la première finale de la Coupe d’Europe des Clubs champions. Possiblement pour des raisons d’intendance et de lavage, seul, les chaussettes furent blanches.
Pourquoi avais-je flashé sur la tenue merengue, plutôt que sur le maillot splendide et soyeux, ce soir-là, des adversaires Rémois?
Six passants d’un côté, six de l’autre, et un lacet blanc qui zigzaguait et se nouait au niveau de la glotte, (ce serait interdit aujourd’hui pour risques de strangulation !). Pendant près d’une décennie, le Stade de Reims arbora ce mythique maillot rouge à manches blanches. C’était l’équipe des Kopa, Jonquet, Penverne, Fontaine, Piantoni, Vincent, et de l’entraîneur Monsieur Batteux, qui domina le football français, avec laquelle j’ai grandi en même temps que l’écrivaine Gisèle Bienne qui raconte sa passion d’enfance pour ce club dans un émouvant petit livre**. Il y avait du « level » comme diraient peut-être les arrière-petits-enfants de ces footballeurs légendaires qui furent aussi les héros de la brillante campagne suédoise lors de la Coupe du Monde 1958.
En rassemblant mes souvenirs, le premier maillot officiel que, finalement je dus enfiler, est celui noir à chevron bleu de l’équipe des Francs Joueurs du lycée Corneille de Rouen au sein de laquelle j’eus le privilège de fouler la pelouse du stade Robert Diochon lors de notre finale victorieuse dans la Coupe cadets des collèges et lycées rouennais. Quelque temps plus tard, je fus fier de participer à un match jubilé contre les glorieux anciens du lycée, Roger Rio, Bernard Antoinette, manquait Jean Nicolas, qui avaient écrit, 30 ans auparavant, les grandes heures du Football Club de Rouen et son « attaque mitrailleuse ».
Une émotion certaine nous étreignait lorsque notre professeur d’éducation physique procédait à la distribution des maillots, une grande taille pour moi.
Dégât collatéral de la télévision de l’époque, une chaîne unique en noir et blanc : à l’occasion du match France-U.R.S.S. au stade de Colombes en octobre 1956, les nuances de gris du maillot bleu des Français et du rouge des Soviétiques se confondant sur le petit écran, les joueurs tricolores enfilèrent des chaussettes cerclées rouge et blanc, ce qui ne manqua pas de décontenancer le public français encore très cocardier. Vous doutez ? Pourtant j’en fus témoin et je vous en administre la preuve avec Roger Piantoni, « Bout d’chou » chouchou de Gisèle Bienne (!) en couverture du magazine Miroir-Sprint.
L’équipe de France disputa son premier match, sous l’égide de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), en 1904, contre la Belgique, à Uccle, banlieue de Bruxelles, devant 1 500 spectateurs. En la circonstance, elle portait un maillot blanc avec, en écusson, les deux anneaux rouge et bleu entrelacés de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques.
L’équipe de France inaugura sa tenue traditionnelle, maillot bleu, short blanc et bas rouges, lors de la rencontre Angleterre-France de mars 1908, avec à la clé une mémorable dégelée 12 buts à 0. C’est ainsi que les journalistes commencèrent à parler des « Tricolores ».
Au milieu des années 1970, la « fièvre verte », avec les épopées européennes du club de Saint-Étienne, contamina la France du foot qui chanta « Allez les Verts ! ». Il fallut que nos Tricolores reçoivent, en novembre 1976, en match de qualification pour le Mundial argentin, l’équipe de la République d’Irlande (la Verte Érin !) pour que les encouragements « Allez les Bleus » succèdent aux « Allez France » de ma jeunesse !
Une anecdote cocasse, illustrant un certain amateurisme, survint lors de cette Coupe du Monde 1978 en Argentine. Les Français, déjà éliminés, jouaient pour l’honneur leur troisième match de poule contre la Hongrie, à Mar del Plata.
Une demi-heure avant le coup d’envoi, lors de l’échauffement, le staff de l’équipe de France s’aperçut que les Magyars avaient prévu de jouer en blanc … comme les Français, alors qu’une note de la FIFA précisait clairement que la France devait jouer en bleu.
En principe, l’erreur était facilement réparable sauf que l’intendance française, déjà sur le départ, n’avait pas amené d’équipement de rechange, ayant déjà rangé les maillots bleus dans les valises à l’hôtel de Buenos-Aires, à 400 kilomètres de là.
En hâte, on dépêcha une délégation en ville pour récupérer un jeu de maillots en toute urgence. Le coup d’envoi du match fut retardé de 40 minutes et nos joueurs évoluèrent dans une tenue rayée blanche et verte portée habituellement par le Club Atletico Kimberley, une modeste équipe d’un quartier de pêcheurs.
Avec leur accoutrement de fortune, les joueurs français rallièrent les faveurs du public argentin ravi de les voir évoluer sous les couleurs d’une équipe locale.
Ironie de l’histoire, le 12 février 1969, un France-Hongrie, cette fois amical, au stade Gerland de Lyon, avait déjà été l’objet d’une embrouille sur les maillots. L’anecdote n’est guère connue car cette rencontre ne figure pas dans les annales de la fédération française, allez savoir pourquoi. Toujours est-il que les deux équipes se retrouvèrent à vouloir jouer en blanc. En urgence, une tenue de l’Olympique Lyonnais fut mise à disposition des Tricolores, un lion à la place du coq sur la poitrine. Un vilain tour joué aux sélectionnés stéphanois Bereta, Bosquier, Larqué et Revelli qui durent revêtir le maillot du club ennemi !
En 2011, l’équipe de France porta, cette fois volontairement, un autre maillot qui suscita pas mal de controverses. Nouvel équipementier de l’équipe de France qui succédait à Adidas la « marque aux trois bandes », Nike conçut un maillot, à tout le moins original et audacieux, destiné aux matches à l’extérieur : avec ses rayures horizontales bleues et blanches, il s’inspirait de la fameuse marinière des matelots de la marine française revenue à la mode avec le couturier Jean-Paul Gaultier.
Les designers de la firme américaine, business oblige, avaient principalement en tête de créer un vêtement de mode à porter autant dans la rue que sur un terrain de foot. Et pour justifier leur choix, ils ne lésinèrent pas sur la promotion, ainsi le slogan : « Le talent, c’est l’audace que les autres n’ont pas ». Les détracteurs s’en donnèrent à cœur-joie, les plus anciens faisant allusion aux Pieds Nickelés, un comble pour des footeux, d’autres l’assimilant à un maillot de survie avant de couler, une métaphore peut-être de l’ambiance régnant dans le onze tricolore de l’époque (après l’affaire du bus en Afrique du Sud). Pour la petite histoire, les « Bleus » l’abandonnèrent au bout de trois rencontres soldées par une victoire et deux nuls.
Lors de la dernière décennie, le maillot de l’équipe de France a repris raisonnablement sa couleur dominante bleue, avec des variantes sur les tons et quelques fantaisies sur les cols, les liserés, des motifs en filigrane, la présence désormais de deux étoiles rappelant les victoires lors des Coupes du Monde 1998 et 2018, mais aussi … le logo de l’équipementier. Le changement chromatique est survenu principalement sur le short qui est de moins en moins souvent blanc. La technologie du textile évolue aussi, de nouveaux tissus, plus légers, favorisant le séchage après une averse, et l’absorption de la transpiration.
Évidemment, commerce oblige, l’équipementier apporte, chaque saison ou à l’occasion d’une compétition officielle comme la Coupe du Monde et l’Euro, quelques modifications dans le design qui se traduit par la vente au public d’un nouveau maillot dit collector avec le flocage au dos du nom de son joueur favori.
Même si on prend de plus en plus de liberté, les maillots des équipes nationales rappellent en principe les couleurs du drapeau de la nation en question. Il existe cependant quelques exceptions, ainsi la tenue orange des joueurs des Pays-Bas trouve son origine tout de même historiquement en rappelant leur indépendance avec Guillaume d’Orange de Nassau à la suite d’une révolte contre les Espagnols de Charles-Quint.
En Italie, le maillot de la célèbre Squadra Azzurra (les Italiens préfèrent le terme de Nazionale) fait référence à la couleur bleue du blason de la Maison de Savoie et de Victor Emmanuel II qui devint en 1861 le premier roi de l’Italie unifiée.
Lors de la Coupe du Monde 1938, organisée en France, à l’occasion du quart de finale contre nos Bleus, à Colombes, du fait du maillot bleu de nos joueurs, officiellement suite à un tirage au sort, les Transalpins se présentèrent dans une tenue complètement noire qui rappelait la camicia nera des milices mussoliniennes.
Vous voyez que les couleurs d’un maillot signifient bien autre chose qu’un moyen commode de se repérer entre coéquipiers. On fait de l’Histoire et même de la politique lorsqu’on s’intéresse à leur origine.
À propos du Calcio, ainsi appelle-t-on le football en Italie, quand j’étais gamin, lors d’un voyage dans la botte, mes parents, à défaut de maillot, m’offrirent les trois fanions des clubs les plus prestigieux qu’on surnomme souvent d’après leurs couleurs : les bianconeri pour la Juventus de Turin, les rossoneri pour le Milan A.C., les nerazzurri pour les rivaux de l’Inter (nazionale) Milan.
J’ai été choqué récemment par la tenue rose portée parfois par les joueurs de la Juventus. Je bats ma coulpe, après recherche, on trouve à l’origine du club turinois créé en 1897 (d’où son surnom de Vecchia Signora, la vieille dame !), 13 étudiants du lycée D’Azeglio qui, pour se démarquer des autres équipes locales, décident d’arborer un maillot rose avec une cravate noire, les deux couleurs de l’établissement.
À l’époque, on lavait les maillots (!) et le rose perdait progressivement de son éclat. D’autre part, cette tenue avait un côté chat noir, les résultats étant décevants. Superstition !
En 1903, par l’intermédiaire de John Savage, un joueur anglais du club originaire de Nottingham, commande est passée à un fabricant de cette ville de l’Est des Midlands prospère alors pour son industrie textile.
Est-ce une erreur, ou à tout le moins une incompréhension, le club piémontais reçoit un jeu de maillots avec des rayures verticales blanches et noires semblables à celles de l’équipe locale anglaise Notts County. Il est trop tard pour renvoyer le colis et les dirigeants de la Juventus se résignent à débuter la compétition avec ce maillot qui deviendra mythique, d’autant que le club remporte son premier scudetto (champion d’Italie) en 1905.
Il faut aller encore en Angleterre pour chercher l’origine du Milan A.C. (Associazone Calcio), à sa création en décembre 1899 le Milan Cricket and Football Club, avec comme premier président Alfred Edwards, ancien vice-consul britannique.
Un autre Anglais, Herbert Kilpin, en est nommé capitaine et entraîneur. Ayant appris les métiers du textile avant d’émigrer en Italie, on le charge de modéliser le maillot du club. Il choisit de s’inspirer de la mode britannique de l’époque en concevant les rayures rouges et noires (rossoneri) avec la croix de Saint-Georges (blason de la ville de Milan) sur la poitrine. La légende colporte qu’il aurait justifié les couleurs, le rouge pour rappeler le feu des démons, le noir pour inspirer la peur, ajoutant même poétiquement : « le Milan sera comme un incendie sous un ciel orageux ».
Le club prend son nom définitif de Milan A.C. en 1936. D’immenses joueurs ont défendu les couleurs rossoneri. Dans mon enfance, je me souviens de l’Uruguayen Juan Schiaffino qui avait contribué largement à la victoire de la « Céleste » sur le Brésil lors de la Coupe du Monde 1950.
Dans ces fifties, je souriais du trio magique Gre-No-Li » du nom de trois Suédois Gunnar Gren, Gunnar Nordahl et Niels Liedholm.
Au tournant des années 1980-90, c’est un trio de Hollandais tout en cheveux qui enchanta l’Europe : Frank Rijkaard, Marco Van Basten et Ruud Gullit (de gauche à droite).
Ma compagne ne fut pas insensible, outre leur valeur sportive, au charme de Gianni Rivera, Paolo Maldini et Marco Simone qui effectua deux saisons au P.S.G, beaux comme des modèles de Botticelli.
Comment ne pas être outré devant le maillot porté par les Milanais lors de leur dernière sortie en Ligue des Champions contre Newcastle ? Une insulte à l’histoire d’un club et d’un maillot mythique !
Le rival de la capitale lombarde, l’Inter Milan est né, en mars 1908, à l’occasion d’un repas au restaurant L’Orologio (l’horloge), d’une scission avec l’ancêtre du Milan A.C, le Milan Cricket and Football Club. À l’époque, ce dernier restreint l’accès du club aux seuls joueurs italiens. À l’inverse, des dissidents prônent l’ouverture et décident de créer leur propre club où pourront évoluer des joueurs étrangers sans limites. Le concept se retrouve dans le nom du Club : Internazionale Milano.
Un des dissidents, Giorgio Muggiani, un peintre futuriste renommé, qui assiste à ce repas, est chargé de concevoir les couleurs du nouveau club. Pour se démarquer du rival, l’artiste adopte les rayures noires et bleues. La poésie rejoint la légende : « Cette merveilleuse nuit donnera les couleurs de notre blason : noir et bleu sur le fond doré des étoiles. Il s’appellera International, parce que nous sommes frères du monde. »
Avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir, le club est visé par plusieurs restrictions. La mention Internazionale déplaisant au Duce, l’Inter est obligé en 1929 de fusionner avec le Milanese Unione Sportiva pour former l’Ambrosiana Inter, référence à Saint Ambroise, le patron de la ville. Le bleu et le noir sont abandonnés et remplacés par une tunique blanche et une large croix rouge symboles du duché de Milan.
Le club retrouvera bientôt son nom d’origine et ses couleurs nerazzurri.
Nourri dans mon adolescence par les thèses du merveilleux Miroir du Football (une autre idée du football !), je n’avais guère de considération pour l’Inter qui, bien que vainqueur au début des années 1960 de plusieurs Coupes d’Europe des Clubs et Coupes intercontinentales, pratiquait, sous la houlette de l’entraîneur franco-argentin Helenio Herrera, un jeu ultra défensif, un catenaccio des plus sordides. Voici en exemple, un extrait de l’éditorial de François Thébaud suite à la finale de la Coupe d’Europe Inter-Real Madrid, en mai 1964, au Prater de Vienne : « Voyage au bord de l’écœurement ! Le comportement de l’Inter fut de nature à exaspérer les plus indulgents. Il ne s’agit pas de s’en prendre aux joueurs pris individuellement. Ceux de l’Inter sont des éléments de premier ordre sur le plan technique et athlétique… Malheureusement ces qualités sont mises au service d’un système de jeu négatif, destructif, qui implique des séquelles inadmissibles, si l’esprit qui l’inspire est décidé à pousser le « réalisme » jusqu’aux limites extrêmes de l’efficacité. C’est le cas de l’Inter inspiré par Herrera. Le football est régi par des règles. La violation de ces règles appelle les sanctions prévues par les lois du jeu. Pour les « réalistes » de l’Inter, la violation des règles ne soulève ni scrupule, ni hésitation lorsque leur intérêt est en cause … Voilà où mène la logique inflexible de ce faux réalisme qui n’est en réalité qu’un opportunisme systématique. À tourner en dérision non seulement l’esprit du jeu mais aussi la morale sportive… Le « béton » de l’Inter est si efficace qu’il a heureusement réussi à écœurer des millions de sportifs. Car ils sont des millions ceux qui ne confondent pas les satisfactions provisoires du chauvinisme avec l’impression de dégoût que laisse une aussi malsaine caricature du sport. »
Habillés pour l’hiver, les Nerazzurri ! Ces joutes idéologiques appartiennent à un autre temps médiatique.
Vœu possiblement jamais exaucé, j’aimerais volontiers assister à un derby della Madonnina entre Rossoneri du Milano et Nerazzurri de l’Inter. Les deux équipes évoluent dans le même stade mythique du quartier San Siro. Lorsque le Milan A.C joue à domicile, l’enceinte se nomme San Siro, quand c’est l’Inter qui reçoit, le stade s’appelle Giuseppe Meazza, du nom d’un immense attaquant de l’entre-deux guerres qui remporta les Coupes du Monde 1934 et 1938. Il joua dans les deux clubs mais il appartient plus à la légende de l’Inter qu’au Milan où il ne laissa pas une grande trace.
Les jours de ce que de nombreux tifosi surnomment la Scala del Calcio, semblent comptés, la construction d’un nouveau stade étant prévue à l’horizon 2027.
Le Miroir du Football, avec ses chroniques sur le football sud-américain, suscita aussi ma curiosité et mon envie en particulier pour deux clubs de légende de Buenos Aires, Boca Juniors et River Plate***, et leurs merveilleux maillots.
C’est en 1905 que naquit dans le quartier populaire de la Boca de la capitale argentine, le Club Atlético Boca Juniors, grâce à des immigrés génois, ce qui explique le surnom donné aux joueurs, de Xeneize (« Génois » dans le dialecte du port Ligurien).
Le tout premier maillot fut … rose comme celui de la Juventus. Après bien des discussions et des moqueries, le club va trouver en 1907 ses couleurs mythiques, de manière cocasse.
Un certain Juan Brichetto, membre du club et travailleur au port de la Boca, voit arriver le Drottnig Sophia, un vaisseau battant pavillon suédois. Il est fasciné par les couleurs bleu foncé et or qu’il propose aussitôt aux partenaires du club.
Adopté, dans un premier temps, le maillot de Boca sera bleu traversé par une bande diagonale jaune. C’est en 1913 que la bande dorée devient horizontale. 110 ans et 35 titres de champion plus tard, le maillot me ravit toujours, même si, inévitablement, le nom du sponsor publicitaire apparaît désormais sur la bande jaune.
À tout jamais, le club est lié à l’un des plus illustres footballeurs de l’histoire, Diego Maradona, le Pibe de Oro (le gamin en or), qui porta ses couleurs avant de débarquer en Europe.
Indissociable ou presque de Boca Juniors, est l’histoire du grand rival, Club Atlético River Plate, né aussi dans le même quartier de la Boca de la fusion en 1901 de deux modestes équipes, La Rosales et Santa Rosa.
On voulut alors trouver un nom à consonance anglaise. Le président de La Rosales, un certain Pedro Martinez, se promenant sur la digue numéro trois du port, à l’embouchure du Rio de la Plata (la « rivière d’argent »), vit inscrit sur des caisses que transportent des ouvriers, le nom de River Plate. Adopté !
Au départ, le maillot de River Plate est blanc uni. Ce n’est qu’en 1908 que la diagonale rouge apparaît, suite, selon la légende, à une nuit de carnaval au cours de laquelle cinq jeunes gens récupèrent sur un char un large ruban de soie rouge dont ils ceignent leur tunique blanche. Le maillot mythique est validé.
Comment voulez-vous que le gamin que j’étais encore ne tombât pas en pâmoison devant la beauté footballistique et vestimentaire du tout jeune Omar Sivori*** ?
Assister au Superclàsico Boca-River, dans leur antre de la Bombonera ou du Monumental, est un autre rêve que je ne concrétiserai probablement jamais.
À la fin des années 1940, on trouvait également des fans de River Plate et de son maillot chez les dirigeants du club de Liga Rayo Vallecano. C’est comme ça que les joueurs de cette équipe d’un quartier de Madrid portent également le beau maillot blanc avec son écharpe rouge.
Il n’y a pas que la citadelle inca du Machu Picchu, il y a aussi, outre le style débridé et offensif de l’équipe du Pérou, la « blanquirroja », référence au fameux maillot blanc avec une diagonale rouge en écharpe, la vénérable star octogénaire de la sélection.
C’est en s’inspirant aussi de la tenue du club de River Plate, tout frais champion d’Argentine, que l’équipe nationale péruvienne se présente aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, excellent moyen de propagande pour Adolf Hitler.
Au grand dam du Führer, l’Allemagne est éliminée par la Norvège. Il reporte ses espoirs, pour sauver l’honneur des nazis, sur la sélection autrichienne qui affronte le Pérou en quart de finale. Dans les prolongations, malgré trois buts refusés par l’arbitre italien, le Pérou allait l’emporter quatre buts à deux, lorsqu’à une minute de la fin, des supporters soi-disant péruviens pénétrèrent sur le terrain. L’arbitre arrêta définitivement le match. Le comité olympique, contraint probablement, décida d’annuler le résultat et de faire rejouer le match, ce que la délégation inca, se sentant lésée, refusa. Ainsi, l’Autriche fut déclarée vainqueur. La légende retient que les dits « supporters péruviens » trop enthousiastes étaient des spectateurs mandatés par les plus hautes autorités nazies.
Trois ans plus tard, los Incas remportèrent la Copa America avec cette « camiseta ». La sélection était composée de joueurs d’origines diverses (indiens, européens, africains, asiatiques et métisses). Le symbole identitaire d’un pays mixte était tout trouvé.
Mon goût pour ces maillots blancs à écharpe rouge explique peut-être en partie ma sympathie pour l’A.S. Monaco. Jusqu’en 1960, année où le club princier remporta sa première Coupe de France, le maillot était rayé rouge et blanc, couleurs du drapeau national et des armes de la famille Grimaldi. Une vision poétique fait aussi allusion au sang de Sainte Dévote, jeune chrétienne martyre au IVème siècle et patronne de la principauté.
Suite à cette première victoire « nationale », la Princesse Grace Kelly, actrice fétiche d’Alfred Hitchcock et épouse du souverain Rainier III, conçut le nouveau design du maillot avec la diagonale triangulaire rouge partant de l’épaule droite jusqu’à la hanche gauche.
Un maillot véritablement porte-bonheur, car dans la foulée, l’équipe du Rocher remporta son premier titre de champion de France en 1961 et réussit le doublé coupe-championnat en 1963.
Dans son numéro de mai 1963, le Miroir du Football (« réservé à ceux qui aiment le vrai football ») rendait hommage en couverture à la grâce (de Monaco ?) et à la classe à travers deux de ses plus talentueux joueurs, Théo et Douis. Une époque splendide !
Quelque part, je suis heureux que le club du Havre Athletic Club (H.A.C) ait retrouvé l’élite au début de cette saison. Mes origines normandes ne sont sans doute pas étrangères à cette satisfaction, même si dans mon enfance, j’étais avant tout supporter du Football Club de Rouen (F.C.R) avec son maillot rouge et chevron blanc.
Le petit gosse que j’étais devait être aussi heureux que les joueurs du F.C. Rouen devant la Une de Miroir-Sprint
Bon sang ne saurait mentir, au mois de mai 1959, hors les exploits de Jacques Anquetil sur les routes du Giro, le cœur de la Normandie sportive battait pour le HAC qui allait devenir le premier club de deuxième division à gagner la Coupe de France, exploit seulement réédité en 2009 par l’En-Avant de Guingamp. Pour y parvenir, il lui fallut jouer deux finales, la première s’étant achevée sur un score de parité. Conséquence collatérale, ce n’est pas le général De Gaulle, présent lors du premier match, qui remit la Coupe, mais le ministre des sports, l’ancien alpiniste Maurice Herzog.
Depuis une dizaine d’années, les jeunes supporters du Stade Océane chantent, avant chaque match, sur l’air du « God save the … King », un hymne rappelant l’histoire de leur club : « À jamais le premier de tous les clubs français, Ô H.A.C, fier de tes origines, fils d’Oxford et de Cambridge. Deux couleurs font notre prestige : Ciel et Marine ».
L’histoire de la naissance du club et de ses couleurs, à la fin du XIXème siècle, se perd un peu aujourd’hui dans la brume océane, cependant acceptons une part de légende, elle est trop belle. Ce serait un hommage aux inspirateurs du club (lequel ? rugby ou football ?), des anciens étudiants britanniques qui souhaitaient retrouver dans le maillot le bleu ciel de l’université de Cambridge et le bleu marine d’Oxford.
Ce qui est réconfortant, c’est que, récemment, le club doyen n’a pas renouvelé le contrat d’équipementier avec Nike pour produire lui-même son maillot sous la marque 1872 avec une répartition équitable des deux nuances de bleu.
Autres gardiens du temple chromatique, ce sont les Sang et Or du Racing Club de Lens quoiqu’ils troquent, cette saison, parfois à l’extérieur, leurs couleurs traditionnelles pour un maillot vert et noir, pas incongru cependant car il renvoie à l’ancienne place Verte, aujourd’hui place de la République, de la cité nordiste où commencèrent à jouer des lycéens au début du XXème siècle, et au noir du charbon des mines.
Après la Première Guerre mondiale, le club disparut et rejoignit le giron de l’Union Sportive du Foyer Franco-Américain aux couleurs des Etats-Unis, bleu ciel pour le maillot, blanc pour le short et rouge pour les bas.
Les couleurs actuelles rouge et jaune sont apparues fortuitement, en 1924, avec l’arrivée d’un nouveau président René Moglia qui, lors d’une promenade en ville, passa devant l’église Saint-Léger ravagée par les bombardements. On lui fit remarquer que cet édifice religieux était un vestige de l’occupation espagnole, lorsqu’aux XVIème et XVIIème siècles, la région était rattachée aux Pays-Bas de l’empereur Charles-Quint. L’Espagne, c’est le rouge et jaune, c’est aussi l’arène et le combat, l’or de la tenue du torero, le sang du taureau.
Les supporters préfèrent y voir, depuis les années 1950, une référence au sang des mineurs et au charbon, matière précieuse de l’industrie régionale. Leurs chants déferlent sur les gradins du stade Bollaert.
« Au nord, c’étaient les corons,
La terre c’était le charbon
Le ciel c’était l’horizon
Les hommes des mineurs de fond … »
Le club des « Gueules noires » était dans mon enfance le symbole des valeurs et de l’identité des mineurs, un miroir aussi de cette riche immigration, source aujourd’hui de pitoyables mascarades parlementaires. Beaucoup de joueurs étaient issus de familles polonaises, le gardien Arnold Sowinski, les défenseurs Polak, Kowal, Ziemczak, Plackzek, les frères Georges et Bernard Lech, un des héros de la campagne de Suède 1958 Maryan Wisniewski, Théodore Szkludlapski qui se mua en Théo quand il rejoignit l’A.S. Monaco. L’avant-centre Oudjani revendiqua son origine algérienne en intégrant en 1959 l’équipe du F.L.N.
Les Canaris du F.C. Nantes font partie des surnoms animaliers au même titre que les Aiglons de Nice, les Dogues lillois, les Lionceaux sochaliens ou les Merlus de Lorient. Le surnom des joueurs nantais provient des couleurs jaunes et vertes de leur maillot, et aussi d’une trouvaille des journalistes pour éviter les répétitions dans leurs articles.
Il faut aller chercher l’origine de ces couleurs volatiles … sur un hippodrome. Membre fondateur du club en 1943, avec Marcel Saupin (le stade portait ce nom avant la construction de la Beaujoire), Jean Le Guillou possédait une écurie de chevaux. L’un d’eux, un crack baptisé Ali Pacha, était monté par un jockey à la casaque jaune et verte. Ces couleurs porte-bonheur furent donc adoptées pour les footeux.
Le club est resté fidèle à ces couleurs, seule leur disposition a varié à travers les modes et les époques. Ma sympathie date de mon adolescence et du style de jeu chatoyant prôné par de brillants formateurs humanistes, José Arribas, Coco Suaudeau, Raynald Denoueix. On célébrait alors le « jeu à la nantaise », une véritable appellation contrôlée.
Je ne peux évidemment pas passer sous silence les couleurs de mon club de cœur (d’Yvelinois d’adoption), le Paris-Saint-Germain, même si elles ont excessivement évolué avec un merchandising outrancier dont l’une des toutes récentes excentricités fut le flocage sur le dos des noms des joueurs en mandarin, en vue de développer un marché asiatique.
Ma forte sympathie pour ce club prit racine à sa naissance en 1973, d’abord pour son jeu offensif inspiré par Just Fontaine**** (toujours recordman de buts en Coupe du Monde, 65 ans après), mais aussi pour l’élégance du maillot qui s’imposa au fil des années comme un symbole : principalement bleu avec une large bande rouge verticale au milieu du torse encadrée par deux liserés blancs. Naturellement stylé puisqu’il fut dessiné par le couturier Daniel Hechter, jeune président du club : « L’inspiration c’est comme la mode, ça vient tout d’un coup. On ne sait pas pourquoi. Dans la rue, j’ai vu une Ford Mustang avec sa bande centrale sur le capot qui se prolongeait sur le toit et j’ai transposé ça. J’ai commencé à dessiner et j’ai trouvé cette bande centrale sur le maillot quand, à l’époque, les bandes étaient horizontales. Seul l’Ajax Amsterdam avait une bande centrale ; certains ont d’ailleurs cru que je m’en étais inspiré, ce qui n’était pas le cas ».
J’eus la chance, à l’issue d’une séance d’entraînement au Camp des Loges, de pouvoir photographier individuellement tous les joueurs avec leur maillot, ici le capitaine Mustapha Dahleb, un artiste du ballon rond.
Les sponsors s’affichèrent bientôt en grosses lettres sur la poitrine, puis au début des années 1980, le blanc remplaça le bleu, une manière peut-être de retrouver une certaine virginité après un scandale de double billetterie qui avait entraîné la démission de Daniel Hechter.
Il me reste de cette époque, telle une relique, une écharpe en laine, dessinée elle aussi par le couturier, qui me protégeait des frimas de l’hiver dans les travées du Parc des Princes. Aucune inscription, les seules couleurs et leur agencement constituaient l’image de marque.
Fi de rivalités ridicules de « classico », pour ne pas offenser la bonne mère et ceux de la Cane-cane-Canebière chère à Henri Alibert et Vincent Scotto, je me dois d’évoquer les couleurs de l’Olympique de Marseille.
C’est sous le nom de Massalia que fut fondée Marseille, six siècles avant notre ère, par des marins grecs venus de Phocée, un port d’Asie mineure (aujourd’hui Foça, ville turque près d’Izmir). Est-ce aussi limpide que cela, la cité phocéenne adopta les couleurs de la Grèce, bleu ciel et blanc, attestées par ses armoiries : « blason d’argent à la croix d’azur ».
L’Olympique de Marseille naquit en 1899 suite à la fusion du Football Club de Marseille (dont la devise était « Droit au but ») et le club d’escrime L’Épée.
Le fondateur de l’O.M, un aristocrate du nom de René Dufaure de Montmirail, adhérant aux valeurs prônées par le baron Pierre de Coubertin qui venait de relancer les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne, décida d’imposer le blanc, symbole de l’olympisme, pour le maillot des Olympiens.
Dans ma jeunesse, les joueurs de l’O.M apparaissaient avec des bas foncés sur les photographies des beaux magazines sépia.
Dans un passé récent, le club s’est souvenu de son histoire ou de celle de la ville. Ainsi, clin d’œil au drapeau de la ville, il porta un maillot blanc orné d’une croix bleue.
Une autre tunique devenue culte est celle portée lors de la finale victorieuse en Ligue des Champions en 1993, blanche avec trois bandes bleues sur l’épaule rappelant l’équipementier dont le principal actionnaire était alors le patron du club.
Cédant à des exigences commerciales de plus en plus pressantes, le club a aussi adopté parfois de surprenantes couleurs, ainsi un maillot doré pour célébrer en 1999 son centenaire, et plus contestable encore, la couleur orange qu’on retrouve dans le naming du stade (Orange Vélodrome). Pognon oblige !
La couleur du maillot de l’A.S. Saint-Étienne a inspiré son surnom à l’équipe, « les Verts », même si on assiste désormais à quelques incartades chromatiques comme dans beaucoup d’autres clubs.
La couleur verte, comme le nom du stade, est liée à son fondateur Geoffroy Guichard, à la tête de Casino, la société de distribution stéphanoise (en profonde détresse économique aujourd’hui !). Dès 1912, il créa l’Amicale des Employés Casino pour leur offrir la possibilité de pratiquer le sport, et notamment le football, dans les meilleures conditions. Dès l’origine, la couleur verte des locaux de l’entreprise est adoptée.
Afin de respecter le règlement de la Fédération qui interdit l’utilisation de noms de marques dans l’appellation des clubs, l’Amicale des Employés Casino devient en 1920 l’Amical Sporting Club qui fusionnera en 1927 avec le Stade Forézien Universitaire pour donner naissance à l’Association Sportive Stéphanoise, puis l’ASSE en 1933, tout en restant fidèle à la couleur verte.
La France sportive a encouragé et chanté les Verts dans la première moitié des années 1970, à l’époque des grandes joutes européennes qui les conduisirent jusqu’à une finale à Glasgow perdue… à cause peut-être de poteaux carrés. Manufrance, autre symbole de la ville, s’affichait en grosses lettres sur le maillot (hors les rencontres de Coupe d’Europe).
J’ai une préférence pour le maillot des années 1950 vierge de toute inscription. Qu’elle est émouvante cette photographie de l’équipe, championne de France en 1957, avec en arrière-plan les tribunes de Geoffroy Guichard et les hautes cheminées d’usines !
L’immigration, comme à Lens, était une richesse. Les frères Tylinsi, enfants d’immigrés polonais, le capitaine René Domingo d’origine espagnole, un Camerounais Eugène N’Jo-Léa (futur président de l’Union des Footballeurs Professionnels), l’Algérien Rachid Mekloufi, et aussi le Hollandais Kees Rijvers constituaient une équipe solidaire, volontaire et inspirée pour le bonheur du « peuple vert ».
Very Nice, les couleurs de l’Olympique Gymnaste Club de Nice cher à Bernard Morlino, auteur d’un livre chaleureux sur son équipe de cœur : « Parmi les couleurs (du stade du Ray ndlr), il y avait bien sûr celles du maillot niçois. Si je ne sais plus celles que portaient les adversaires, en revanche le maillot rayé rouge et noir s’imprimait définitivement dans mes yeux, mon cerveau et mon cœur. Elles sont les plus belles couleurs du monde. Un beau rouge vif et un noir profond. De plus, le short était noir et les bas aussi. Cette tunique devenait la seule possible. Le maillot n’avait même pas l’écusson du club. Il était sans publicité, rien que rouge et noir… Les joueurs de l’A.C. Milan portent exactement le même maillot rayé rouge et noir que celui du Gym. Il m’a fallu admettre que les premiers dirigeants niçois de 1903 avaient copié les transalpins, à la création du club … Malgré ce désagrément, Nice reste l’unique pour moi à être rouge et noir. Je ne veux même pas entendre parler du roman de Stendhal. Ni d’En rouge et noir de la chanteuse Jeanne Mas, à un moment l’hymne du Gym.
J’aime le club de Nice aussi pour son beau nom : Olympique Gymnaste Club de Nice. En France, il y a des Olympiques, des Stades de …, des Associations, des Football Club, mais il n’y a qu’un seul Olympique Gymnaste Club, et c’est Nice. Ses initiales sont uniques : OGC Nice, OGCN. Je prononce souvent à tue-tête l’Olympique Gymnaste Club de Nice. »
Le jeune Morlino était-il présent lorsque son équipe favorite et le déjà légendaire Real Madrid s’alignèrent devant les tribunes combles du stade du Ray à l’occasion d’un quart de finale aller de la Coupe d’Europe des clubs champions 1960 ? Je me souviens d’avoir suivi à la télévision l’exploit des Aiglons avec un triplé du Luxembourgeois Vic Nuremberg.
Nul ne guérit de son enfance. Curieusement, le maillot qui me procura peut-être le plus d’émotions fut celui du Racing Club de Paris, aujourd’hui disparu du football professionnel : cerclé bleu ciel et blanc, short noir, bas noirs.
Comme dit l’autre, les goûts et les couleurs, ça ne s’explique pas ! Je ne pouvais même pas, à l’époque, moi le gamin normand, faire valoir quelconque attachement géographique ou familial à la capitale. J’étais peut-être victime du syndrome de la ville lumière, du moins sportivement : les trajets en voiture vers la banlieue de Colombes pour les matches internationaux et les finales de Coupe de France, plus rarement vers le Parc des Princes à l’occasion des « Racing-Reims » ambassadeurs du football panache.
Le Racing développait un jeu résolument offensif, dépassant souvent la barre des 100 buts par saison. Une inconstance chronique et désarmante l’empêchait cependant de remporter un titre. Lors du championnat de France 1961-1962, le Racing terminant à égalité avec le Stade de Reims, on calcula leur moyenne de buts (quotient des buts marqués et encaissés) jusqu’à trois décimales pour départager les deux clubs : pour trois petits millièmes, les Rémois de Kopa, Piantoni, Vincent purent sabler le breuvage à bulles local. Avec le mode de calcul à la différence de buts, comme aujourd’hui, les Racingmen auraient été champions de France.
Jean Ferrat, dans une de ses premières chansons, évoquait :
« Les petits bistrots
Où l’on vient goûter
Devant le perco
Le premier café
Le patron derrière son comptoir
On parle du Tour et du Racing
Devant un rouge ou un p’tit noir… »
Dans la première décennie de mon existence, le Racing compta dans ses rangs des artistes de la balle ronde : René Vignal dans les buts, au milieu de terrain (on disait demis et inters) un franco-marocain Abderrahman Mahjoub et un prodigieux brésilien un peu dilettante Yeso Amalfi, à la pointe de l’attaque Thadée Cisowski, d’origine polonaise, que, juché sur les épaules de mon père, je vis planter cinq buts contre la Belgique à Colombes.
Grâce à mon oncle, qui avait été collègue du père de François Heutte à l’École Normale d’Instituteurs d’Évreux, j’avais pu, à l’occasion de la venue du Racing à Rouen, approcher et même faire signer mon carnet d’autographes au jeune ailier international ainsi qu’à Jean-Jacques Marcel, au grand technicien yougoslave Milos Milutinovic, et à « Monsieur Joseph » Ujlaki. Récompense incomparable qui expliquait que j’avais les yeux de la passion pour ces champions et leur maillot. Le vrai chic parisien !
Mon goût prononcé pour un maillot vient souvent du jeu à panache pratiqué par ceux qui le portent. Il en est ainsi des blaugranas, les couleurs bleu et grenat en catalan du F.C. Barcelone qui furent décidées par le fondateur du club, Hans Gamper (un tournoi est organisé à son nom en début de saison). Cet expert-comptable suisse, émigré en Catalogne à la fin du XIXème siècle, reprit tout simplement les couleurs du F.C. Bâle, club dont il avait été capitaine avant son exil.
J’avais 11 ans lorsque le Barça apparut dans mon horizon sportif avec l’arrivée du Hongrois Sàndor Kocsis surnommé Tête d’or. Il avait appartenu au Onze d’Or, la légendaire équipe de Hongrie du début des années 1950. Je l’avais vu jouer l’un de ses derniers matches sous le maillot magyar (grenat aussi) à Colombes, peu avant que l’insurrection de Budapest et l’invasion russe l’obligent à s’exiler.
Quelques-uns des plus grands joueurs de l’histoire du football portèrent haut le maillot blaugrana : le Hollandais Johan Cruyff, les Brésiliens Ronaldo, Ronaldinho et Neymar, les Argentins Maradona et Messi. Heureux spectateurs du Nou Camp !
Un autre de mes coups de cœur va aux Red Devils, les « diables rouges » du Manchester United Football Club, les premiers à avoir apporté à l’Angleterre, pays inventeur du football, sa première victoire en Coupe d’Europe des clubs champions en 1968.
Á l’origine, le club s’appelait le Newton Heath LYR parce que créé par des ouvriers de la Lancashire and Yorkshire Railway. Ses couleurs, vert et or, étaient celles de la compagnie ferroviaire. Il fallut attendre l’année 1902 pour que le club prenne le nom de Manchester United et opte pour son célèbre maillot rouge.
C’est au 7 février 1958 que remonte ma sympathie pour l’équipe mancunienne : la veille, la moitié de l’équipe avait péri dans un crash d’avion survenu à l’aéroport de Munich, au retour d’un match de Coupe d’Europe disputé à Belgrade. L’émotion fut immense dans l’Europe du football. Parmi les survivants, figuraient le mythique manager Matt Busby et le tout aussi légendaire joueur Bobby Charlton qui nous a quittés il y a quelques semaines.
Le poids de l’histoire : devant le stade d’Old Trafford, le « théâtre des rêves », est érigé un groupe monumental représentant the holy trinity, le trio des fabuleux attaquants Bobby Charlton, l’écossais Denis Law et le fantastique et fantasque nord-irlandais George Best qu’un journaliste surnomma le « cinquième Beatles » (« une gueule d’ange qui débarqua en même temps que la minijupe et la pilule »). Ensemble, ils menèrent le club à sa première conquête européenne. Tous les trois obtinrent le Ballon d’Or.
Vingt-cinq ans plus tard, c’est un Français, « Eric the King », qui devint l’idole d’Old Trafford. Le col blanc de son maillot rouge toujours relevé, Cantona offrit quatre titres de champion d’Angleterre et deux Cups aux Red Devils.
Il revêtait un maillot noir lorsque, le funeste 25 janvier 1995, après avoir rabaissé son col, « il mit son pied dans la gueule d’un supporter de Crystal Palace qui lui hurlait « enc… de bâtard de Français ! » ». C’est suite au grondement médiatique engendré par ce geste digne de Bruce Lee que « Picasso Cantona » (comme on le nommait dans les Guignols de Canal Plus) sortit cette métaphore que les journalistes firent semblant de ne pas comprendre : « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer. »
Le club occupe la première place du palmarès des maillots les plus vendus dans le monde (plus de trois millions en 2022).
En même temps que le football devenait un sport-spectacle aux enjeux financiers énormes, attirant des fonds d’investissements américains et asiatiques, on a assisté à une commercialisation effrénée des maillots, objets désormais industriels destinés à générer de l’argent. Chaque saison, les clubs les plus huppés renouvellent les modèles, voire même les couleurs à travers la vente de « second » et même « third » maillot.
Je ne suis pas persuadé que le gosse que je fus, aujourd’hui boomer, aurait jeté un regard d’envie vers les étals de maillots (des contrefaçons parfois ?) que l’on croise dans certains centres villes touristiques.
Je doute de la sincérité des joueurs de maintenant baisant trop ostensiblement leur maillot pour manifester auprès des supporters leur attachement aux couleurs du club.
Ne dupons-nous pas le petit garçon jouant sur la pelouse de ma résidence avec le maillot du Barça floqué du nom de Messi qui est parti depuis sous le soleil de Floride (après un crochet par le Paris S.G) pour amasser toujours plus d’argent ?
En guise de conclusion, j’ai envie de vous raconter encore une dernière histoire de maillot, celui très original de l’équipe nationale de Croatie.
Prologue : c’était un autre temps, j’étais avec mon papa, à Colombes, le 11 novembre 1955, pour assister à la rencontre amicale entre l’équipe de France et celle de Yougoslavie constituée de formidables manieurs de ballon et d’un gardien de but Vladimir Beara presque aussi légendaire que son confrère soviétique Lev Yachine. Portant la même tenue noire, surnommé le « danseur aux mains d’acier », sans doute à cause de sa passion pour la danse classique, Beara était admiré pour son style à la fois explosif et gracieux. Vous connaissez mon goût depuis l’enfance pour les gardiens de but.
Ce jour-là, les Yougoslaves évoluant dans une tenue identique, maillot bleu, culotte blanche et bas rouges, nos Tricolores, emmenés par Kopa et Piantoni, avaient opté pour un maillot rouge, une culotte blanche et des bas bleus.
Le 16 octobre 1990, quelques mois avant de déclarer officiellement son indépendance, la Croatie, encore province yougoslave, organisa à Zagreb un match international contre les États-Unis. Á cette occasion, les joueurs croates enfilèrent leur fameux maillot à damier rouge et blanc, référence au blason qui figure sur les trois bandes rouge blanc bleue du drapeau national : 13 carreaux rouges, appelés gueules dans la science des blasons, et 12 carreaux blancs baptisés argent, référence à l’échiquier symbole du peuple croate depuis 1527. Le royaume d’alors était placé sous l’aile de la Maison d’Autriche et l’échiquier rouge et blanc figurait sur les armoiries des Habsbourg. L’échiquier en lui-même s’inspirerait d’une légende datant du Xème siècle : le roi d’alors, un certain Étienne Drjislav, prisonnier du doge de Venise Pietro II Orseolo, aurait retrouvé sa liberté après avoir remporté trois parties d’échecs consécutives contre son geôlier.
Malgré son histoire mouvementée, le football croate s’est maintenu dans l’élite mondiale grâce à d’exceptionnels joueurs comme Boban et Suker, et aujourd’hui Luka Modric, Ballon d’Or 2018.
Son curieux maillot me ramène étonnamment encore à l’enfance, la toile cirée de la cuisine, les boîtes Lustucru en métal où ma chère grand-mère rangeait ses biscuits et ses épices.
* Un long paragraphe est consacré à René Vignal dans ce billet : http://encreviolette.unblog.fr/2011/02/11/la-vieille-dame-de-beziers-ou-le-stade-des-sauclieres/
** http://encreviolette.unblog.fr/2022/08/23/comme-gisele-bienne-jai-grandi-avec-le-stade-de-de-reims/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2020/12/27/moi-je-suis-du-temps-du-tango-avec-omar-sivori-et-diego-maradona/
**** http://encreviolette.unblog.fr/2023/03/30/adieu-justo/
Vous pouvez laisser une réponse.
Quelques pensées d’un ami:
« ah, ces maillots d’antan ! Époque où les joueurs (les sportifs en général) n’étaient pas encore devenus des enseignes publicitaires. Il y avait là une espèce de beauté, défunte aujourd’hui, liée à quelque histoire, quelque signification échappant à l’empire du fric. Quant aux verts… En outre, c’est vrai que l’on imaginait souvent les couleurs là où les photographies déclinaient du gris plus que du noir ou du blanc. Des rêves donc. Des souvenirs singuliers aujourd’hui. »