Archive pour décembre, 2023

Pour l’amour du maillot de football …

En ces temps de morosité, il y a mille et une raisons de se révolter ou de s’indigner.
Dérisoirement, je choisis dans ce billet de pousser un coup de gueule à propos des maillots des équipes de football, clubs et formations nationales, quitte à être catalogué de baby-boomer indécrottable, j’en suis vraiment un qui plus est.
Ma montée d’adrénaline est survenue récemment lors de la retransmission d’un match de l’équipe de Saint-Étienne au cours duquel le reporter ne cessa de parler de « Verts » qui, pourtant, de manière cocasse voire ridicule, avaient enfilé un maillot sans aucun attribut de la couleur de l’espérance.
Illustration d’une société outrancière de consommation, dérive d’un merchandising effréné, pour des raisons bassement économiques, les équipements de maintenant n’ont souvent plus grand chose de commun avec les beaux maillots de mon enfance.
Ceux-ci m’apparaissaient essentiellement, dans les revues spécialisées, en nuances de gris et de bistre que mon inconscient traduisait dans leurs vraies couleurs.

reims racing

Lyon-St Etienne 1956Rennes Bordeaux décembre 51

Je les « visualisais » aussi dans les radioreportages « colorés » de certains journalistes qui nous parlaient de « sang et or », de « ciel et blanc », de « verts » déjà. Je me souviens de la voix ensoleillée de Bruno Delaye, un journaliste provençal, qui commençait ainsi ses reportages : « à gauche, en regardant votre transistor, le soleil dans les yeux, l’O.G.C. Nice, maillot rayé rouge et noir, culotte noire, bas noir, à droite … »
J’ai lu qu’Antoine Bonifaci, un merveilleux joueur des années 1950, trop méconnu, confiait : « Je suis un Poilu du football, un Charlot puisqu’on est en noir et blanc sur les photos ! »
Je découvrais ces maillots enfin en vrai lorsque ces équipes venaient défier les Diables Rouges du Football Club de Rouen, aux Bruyères, aujourd’hui stade Robert Diochon.
C’était un moment d’éblouissement quand, dans les belles lumières de l’après-midi, les joueurs sortaient littéralement de terre, les vestiaires se trouvant en sous-sol des tribunes. Je ne possède pas une once de son talent créatif mais je devais connaître les mêmes émotions esthétiques que Nicolas de Staël qui, après avoir assisté à la rencontre France-Suède, en 1952, au Parc des Princes, peignit le plus célèbre match de football de l’histoire de la peinture.
C’était un temps où l’on venait au stade, endimanché. C’était un temps où les maillots de nos clubs de cœur n’étaient pas proposés à la vente. Ils dégageaient quelque chose de sacré qui n’appartenait qu’à ceux qui avaient été retenus pour le défendre.

nicolas de stael

Sans doute parce que je gardais un but (matérialisé par deux énormes tilleuls dans la cour du collège dirigé par ma maman) lors des parties dominicales acharnées avec mon frère, encore en âge peut-être de croire au Père Noël, je lui avais commandé la panoplie de gardien.
Cette prédilection pour ce poste venait entre autre de mon admiration pour René Vignal, « the Flying Frenchman » * (le Français volant), gardien de but à l’époque du Racing Club de Paris et de l’équipe de France. Outre son style spectaculaire et intrépide, j’aimais ses pull-overs et ses casquettes. J’ai compris, il y a longtemps maintenant, pourquoi l’homme à la barbe blanche ne m’apportât pas un beau pull Rodier ou Guy de Berac pour me vautrer sur le goudron de la cour !

Vignal finale Coupe 49René_Vignal portrait_(1949)

Je connus semblable déception lorsque j’avais souhaité une tenue complète comme celle immaculée du Real Madrid, sans doute après avoir accompagné mon papa, au Parc des Princes, pour la première finale de la Coupe d’Europe des Clubs champions. Possiblement pour des raisons d’intendance et de lavage, seul, les chaussettes furent blanches.

Couverture Miroir du Foot - DI STEFANO

Pourquoi avais-je flashé sur la tenue merengue, plutôt que sur le maillot splendide et soyeux, ce soir-là, des adversaires Rémois?

Kopa et Di Stefanoreims-realReims Coupe mai50Reims-Lille janvier 53

Six passants d’un côté, six de l’autre, et un lacet blanc qui zigzaguait et se nouait au niveau de la glotte, (ce serait interdit aujourd’hui pour risques de strangulation !). Pendant près d’une décennie, le Stade de Reims arbora ce mythique maillot rouge à manches blanches. C’était l’équipe des Kopa, Jonquet, Penverne, Fontaine, Piantoni, Vincent, et de l’entraîneur Monsieur Batteux, qui domina le football français, avec laquelle j’ai grandi en même temps que l’écrivaine Gisèle Bienne qui raconte sa passion d’enfance pour ce club dans un émouvant petit livre**. Il y avait du « level » comme diraient peut-être les arrière-petits-enfants de ces footballeurs légendaires qui furent aussi les héros de la brillante campagne suédoise lors de la Coupe du Monde 1958.
En rassemblant mes souvenirs, le premier maillot officiel que, finalement je dus enfiler, est celui noir à chevron bleu de l’équipe des Francs Joueurs du lycée Corneille de Rouen au sein de laquelle j’eus le privilège de fouler la pelouse du stade Robert Diochon lors de notre finale victorieuse dans la Coupe cadets des collèges et lycées rouennais. Quelque temps plus tard, je fus fier de participer à un match jubilé contre les glorieux anciens du lycée, Roger Rio, Bernard Antoinette, manquait Jean Nicolas, qui avaient écrit, 30 ans auparavant, les grandes heures du Football Club de Rouen et son « attaque mitrailleuse ».
Une émotion certaine nous étreignait lorsque notre professeur d’éducation physique procédait à la distribution des maillots, une grande taille pour moi.
Dégât collatéral de la télévision de l’époque, une chaîne unique en noir et blanc : à l’occasion du match France-U.R.S.S. au stade de Colombes en octobre 1956, les nuances de gris du maillot bleu des Français et du rouge des Soviétiques se confondant sur le petit écran, les joueurs tricolores enfilèrent des chaussettes cerclées rouge et blanc, ce qui ne manqua pas de décontenancer le public français encore très cocardier. Vous doutez ? Pourtant j’en fus témoin et je vous en administre la preuve avec Roger Piantoni, « Bout d’chou » chouchou de Gisèle Bienne (!) en couverture du magazine Miroir-Sprint.

France URSS 1956

L’équipe de France disputa son premier match, sous l’égide de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), en 1904, contre la Belgique, à Uccle, banlieue de Bruxelles, devant 1 500 spectateurs. En la circonstance, elle portait un maillot blanc avec, en écusson, les deux anneaux rouge et bleu entrelacés de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques.
L’équipe de France inaugura sa tenue traditionnelle, maillot bleu, short blanc et bas rouges, lors de la rencontre Angleterre-France de mars 1908, avec à la clé une mémorable dégelée 12 buts à 0. C’est ainsi que les journalistes commencèrent à parler des « Tricolores ».

Pays-Bas France 1949

Au milieu des années 1970, la « fièvre verte », avec les épopées européennes du club de Saint-Étienne, contamina la France du foot qui chanta « Allez les Verts ! ». Il fallut que nos Tricolores reçoivent, en novembre 1976, en match de qualification pour le Mundial argentin, l’équipe de la République d’Irlande (la Verte Érin !) pour que les encouragements « Allez les Bleus » succèdent aux « Allez France » de ma jeunesse !

Une Lequipe Irlande

Une anecdote cocasse, illustrant un certain amateurisme, survint lors de cette Coupe du Monde 1978 en Argentine. Les Français, déjà éliminés, jouaient pour l’honneur leur troisième match de poule contre la Hongrie, à Mar del Plata.
Une demi-heure avant le coup d’envoi, lors de l’échauffement, le staff de l’équipe de France s’aperçut que les Magyars avaient prévu de jouer en blanc … comme les Français, alors qu’une note de la FIFA précisait clairement que la France devait jouer en bleu.
En principe, l’erreur était facilement réparable sauf que l’intendance française, déjà sur le départ, n’avait pas amené d’équipement de rechange, ayant déjà rangé les maillots bleus dans les valises à l’hôtel de Buenos-Aires, à 400 kilomètres de là.
En hâte, on dépêcha une délégation en ville pour récupérer un jeu de maillots en toute urgence. Le coup d’envoi du match fut retardé de 40 minutes et nos joueurs évoluèrent dans une tenue rayée blanche et verte portée habituellement par le Club Atletico Kimberley, une modeste équipe d’un quartier de pêcheurs.

hongrie maillot vert

Avec leur accoutrement de fortune, les joueurs français rallièrent les faveurs du public argentin ravi de les voir évoluer sous les couleurs d’une équipe locale.
Ironie de l’histoire, le 12 février 1969, un France-Hongrie, cette fois amical, au stade Gerland de Lyon, avait déjà été l’objet d’une embrouille sur les maillots. L’anecdote n’est guère connue car cette rencontre ne figure pas dans les annales de la fédération française, allez savoir pourquoi. Toujours est-il que les deux équipes se retrouvèrent à vouloir jouer en blanc. En urgence, une tenue de l’Olympique Lyonnais fut mise à disposition des Tricolores, un lion à la place du coq sur la poitrine. Un vilain tour joué aux sélectionnés stéphanois Bereta, Bosquier, Larqué et Revelli qui durent revêtir le maillot du club ennemi !
En 2011, l’équipe de France porta, cette fois volontairement, un autre maillot qui suscita pas mal de controverses. Nouvel équipementier de l’équipe de France qui succédait à Adidas la « marque aux trois bandes », Nike conçut un maillot, à tout le moins original et audacieux, destiné aux matches à l’extérieur : avec ses rayures horizontales bleues et blanches, il s’inspirait de la fameuse marinière des matelots de la marine française revenue à la mode avec le couturier Jean-Paul Gaultier.

mariniere

Les designers de la firme américaine, business oblige, avaient principalement en tête de créer un vêtement de mode à porter autant dans la rue que sur un terrain de foot. Et pour justifier leur choix, ils ne lésinèrent pas sur la promotion, ainsi le slogan : « Le talent, c’est l’audace que les autres n’ont pas ». Les détracteurs s’en donnèrent à cœur-joie, les plus anciens faisant allusion aux Pieds Nickelés, un comble pour des footeux, d’autres l’assimilant à un maillot de survie avant de couler, une métaphore peut-être de l’ambiance régnant dans le onze tricolore de l’époque (après l’affaire du bus en Afrique du Sud). Pour la petite histoire, les « Bleus » l’abandonnèrent au bout de trois rencontres soldées par une victoire et deux nuls.
Lors de la dernière décennie, le maillot de l’équipe de France a repris raisonnablement sa couleur dominante bleue, avec des variantes sur les tons et quelques fantaisies sur les cols, les liserés, des motifs en filigrane, la présence désormais de deux étoiles rappelant les victoires lors des Coupes du Monde 1998 et 2018, mais aussi … le logo de l’équipementier. Le changement chromatique est survenu principalement sur le short qui est de moins en moins souvent blanc. La technologie du textile évolue aussi, de nouveaux tissus, plus légers, favorisant le séchage après une averse, et l’absorption de la transpiration.
Évidemment, commerce oblige, l’équipementier apporte, chaque saison ou à l’occasion d’une compétition officielle comme la Coupe du Monde et l’Euro, quelques modifications dans le design qui se traduit par la vente au public d’un nouveau maillot dit collector avec le flocage au dos du nom de son joueur favori.
Même si on prend de plus en plus de liberté, les maillots des équipes nationales rappellent en principe les couleurs du drapeau de la nation en question. Il existe cependant quelques exceptions, ainsi la tenue orange des joueurs des Pays-Bas trouve son origine tout de même historiquement en rappelant leur indépendance avec Guillaume d’Orange de Nassau à la suite d’une révolte contre les Espagnols de Charles-Quint.

Hollande CruyffSquadra azzurra 1

En Italie, le maillot de la célèbre Squadra Azzurra (les Italiens préfèrent le terme de Nazionale) fait référence à la couleur bleue du blason de la Maison de Savoie et de Victor Emmanuel II qui devint en 1861 le premier roi de l’Italie unifiée.
Lors de la Coupe du Monde 1938, organisée en France, à l’occasion du quart de finale contre nos Bleus, à Colombes, du fait du maillot bleu de nos joueurs, officiellement suite à un tirage au sort, les Transalpins se présentèrent dans une tenue complètement noire qui rappelait la camicia nera des milices mussoliniennes.

france Italie 1938

Vous voyez que les couleurs d’un maillot signifient bien autre chose qu’un moyen commode de se repérer entre coéquipiers. On fait de l’Histoire et même de la politique lorsqu’on s’intéresse à leur origine.
À propos du Calcio, ainsi appelle-t-on le football en Italie, quand j’étais gamin, lors d’un voyage dans la botte, mes parents, à défaut de maillot, m’offrirent les trois fanions des clubs les plus prestigieux qu’on surnomme souvent d’après leurs couleurs : les bianconeri pour la Juventus de Turin, les rossoneri pour le Milan A.C., les nerazzurri pour les rivaux de l’Inter (nazionale) Milan.
J’ai été choqué récemment par la tenue rose portée parfois par les joueurs de la Juventus. Je bats ma coulpe, après recherche, on trouve à l’origine du club turinois créé en 1897 (d’où son surnom de Vecchia Signora, la vieille dame !), 13 étudiants du lycée D’Azeglio qui, pour se démarquer des autres équipes locales, décident d’arborer un maillot rose avec une cravate noire, les deux couleurs de l’établissement.
À l’époque, on lavait les maillots (!) et le rose perdait progressivement de son éclat. D’autre part, cette tenue avait un côté chat noir, les résultats étant décevants. Superstition !
En 1903, par l’intermédiaire de John Savage, un joueur anglais du club originaire de Nottingham, commande est passée à un fabricant de cette ville de l’Est des Midlands prospère alors pour son industrie textile.
Est-ce une erreur, ou à tout le moins une incompréhension, le club piémontais reçoit un jeu de maillots avec des rayures verticales blanches et noires semblables à celles de l’équipe locale anglaise Notts County. Il est trop tard pour renvoyer le colis et les dirigeants de la Juventus se résignent à débuter la compétition avec ce maillot qui deviendra mythique, d’autant que le club remporte son premier scudetto (champion d’Italie) en 1905.
Il faut aller encore en Angleterre pour chercher l’origine du Milan A.C. (Associazone Calcio), à sa création en décembre 1899 le Milan Cricket and Football Club, avec comme premier président Alfred Edwards, ancien vice-consul britannique.
Un autre Anglais, Herbert Kilpin, en est nommé capitaine et entraîneur. Ayant appris les métiers du textile avant d’émigrer en Italie, on le charge de modéliser le maillot du club. Il choisit de s’inspirer de la mode britannique de l’époque en concevant les rayures rouges et noires (rossoneri) avec la croix de Saint-Georges (blason de la ville de Milan) sur la poitrine. La légende colporte qu’il aurait justifié les couleurs, le rouge pour rappeler le feu des démons, le noir pour inspirer la peur, ajoutant même poétiquement : « le Milan sera comme un incendie sous un ciel orageux ».
Le club prend son nom définitif de Milan A.C. en 1936. D’immenses joueurs ont défendu les couleurs rossoneri. Dans mon enfance, je me souviens de l’Uruguayen Juan Schiaffino qui avait contribué largement à la victoire de la « Céleste » sur le Brésil lors de la Coupe du Monde 1950.

JUAN ALBERTO SCHIAFFINOinter grenoli

Dans ces fifties, je souriais du trio magique Gre-No-Li » du nom de trois Suédois Gunnar Gren, Gunnar Nordahl et Niels Liedholm.
Au tournant des années 1980-90, c’est un trio de Hollandais tout en cheveux qui enchanta l’Europe : Frank Rijkaard, Marco Van Basten et Ruud Gullit (de gauche à droite).

Milan Les Hollandais

Ma compagne ne fut pas insensible, outre leur valeur sportive, au charme de Gianni Rivera, Paolo Maldini et Marco Simone qui effectua deux saisons au P.S.G, beaux comme des modèles de Botticelli.

Gianni RiveraMaldiniSimone

milan ac sabrina

Comment ne pas être outré devant le maillot porté par les Milanais lors de leur dernière sortie en Ligue des Champions contre Newcastle ? Une insulte à l’histoire d’un club et d’un maillot mythique !

Milan Leao

Le rival de la capitale lombarde, l’Inter Milan est né, en mars 1908, à l’occasion d’un repas au restaurant L’Orologio (l’horloge), d’une scission avec l’ancêtre du Milan A.C, le Milan Cricket and Football Club. À l’époque, ce dernier restreint l’accès du club aux seuls joueurs italiens. À l’inverse, des dissidents prônent l’ouverture et décident de créer leur propre club où pourront évoluer des joueurs étrangers sans limites. Le concept se retrouve dans le nom du Club : Internazionale Milano.
Un des dissidents, Giorgio Muggiani, un peintre futuriste renommé, qui assiste à ce repas, est chargé de concevoir les couleurs du nouveau club. Pour se démarquer du rival, l’artiste adopte les rayures noires et bleues. La poésie rejoint la légende : « Cette merveilleuse nuit donnera les couleurs de notre blason : noir et bleu sur le fond doré des étoiles. Il s’appellera International, parce que nous sommes frères du monde. »
Avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir, le club est visé par plusieurs restrictions. La mention Internazionale déplaisant au Duce, l’Inter est obligé en 1929 de fusionner avec le Milanese Unione Sportiva pour former l’Ambrosiana Inter, référence à Saint Ambroise, le patron de la ville. Le bleu et le noir sont abandonnés et remplacés par une tunique blanche et une large croix rouge symboles du duché de Milan.
Le club retrouvera bientôt son nom d’origine et ses couleurs nerazzurri.

Inter Milan

Nourri dans mon adolescence par les thèses du merveilleux Miroir du Football (une autre idée du football !), je n’avais guère de considération pour l’Inter qui, bien que vainqueur au début des années 1960 de plusieurs Coupes d’Europe des Clubs et Coupes intercontinentales, pratiquait, sous la houlette de l’entraîneur franco-argentin Helenio Herrera, un jeu ultra défensif, un catenaccio des plus sordides. Voici en exemple, un extrait de l’éditorial de François Thébaud suite à la finale de la Coupe d’Europe Inter-Real Madrid, en mai 1964, au Prater de Vienne : « Voyage au bord de l’écœurement ! Le comportement de l’Inter fut de nature à exaspérer les plus indulgents. Il ne s’agit pas de s’en prendre aux joueurs pris individuellement. Ceux de l’Inter sont des éléments de premier ordre sur le plan technique et athlétique… Malheureusement ces qualités sont mises au service d’un système de jeu négatif, destructif, qui implique des séquelles inadmissibles, si l’esprit qui l’inspire est décidé à pousser le « réalisme » jusqu’aux limites extrêmes de l’efficacité. C’est le cas de l’Inter inspiré par Herrera. Le football est régi par des règles. La violation de ces règles appelle les sanctions prévues par les lois du jeu. Pour les « réalistes » de l’Inter, la violation des règles ne soulève ni scrupule, ni hésitation lorsque leur intérêt est en cause … Voilà où mène la logique inflexible de ce faux réalisme qui n’est en réalité qu’un opportunisme systématique. À tourner en dérision non seulement l’esprit du jeu mais aussi la morale sportive… Le « béton » de l’Inter est si efficace qu’il a heureusement réussi à écœurer des millions de sportifs. Car ils sont des millions ceux qui ne confondent pas les satisfactions provisoires du chauvinisme avec l’impression de dégoût que laisse une aussi malsaine caricature du sport. »
Habillés pour l’hiver, les Nerazzurri ! Ces joutes idéologiques appartiennent à un autre temps médiatique.

Derby Madonnina

Vœu possiblement jamais exaucé, j’aimerais volontiers assister à un derby della Madonnina entre Rossoneri du Milano et Nerazzurri de l’Inter. Les deux équipes évoluent dans le même stade mythique du quartier San Siro. Lorsque le Milan A.C joue à domicile, l’enceinte se nomme San Siro, quand c’est l’Inter qui reçoit, le stade s’appelle Giuseppe Meazza, du nom d’un immense attaquant de l’entre-deux guerres qui remporta les Coupes du Monde 1934 et 1938. Il joua dans les deux clubs mais il appartient plus à la légende de l’Inter qu’au Milan où il ne laissa pas une grande trace.

meazza

Les jours de ce que de nombreux tifosi surnomment la Scala del Calcio, semblent comptés, la construction d’un nouveau stade étant prévue à l’horizon 2027.
Le Miroir du Football, avec ses chroniques sur le football sud-américain, suscita aussi ma curiosité et mon envie en particulier pour deux clubs de légende de Buenos Aires, Boca Juniors et River Plate***, et leurs merveilleux maillots.

Grafico Boca River

C’est en 1905 que naquit dans le quartier populaire de la Boca de la capitale argentine, le Club Atlético Boca Juniors, grâce à des immigrés génois, ce qui explique le surnom donné aux joueurs, de Xeneize (« Génois » dans le dialecte du port Ligurien).
Le tout premier maillot fut … rose comme celui de la Juventus. Après bien des discussions et des moqueries, le club va trouver en 1907 ses couleurs mythiques, de manière cocasse.
Un certain Juan Brichetto, membre du club et travailleur au port de la Boca, voit arriver le Drottnig Sophia, un vaisseau battant pavillon suédois. Il est fasciné par les couleurs bleu foncé et or qu’il propose aussitôt aux partenaires du club.
Adopté, dans un premier temps, le maillot de Boca sera bleu traversé par une bande diagonale jaune. C’est en 1913 que la bande dorée devient horizontale. 110 ans et 35 titres de champion plus tard, le maillot me ravit toujours, même si, inévitablement, le nom du sponsor publicitaire apparaît désormais sur la bande jaune.
À tout jamais, le club est lié à l’un des plus illustres footballeurs de l’histoire, Diego Maradona, le Pibe de Oro (le gamin en or), qui porta ses couleurs avant de débarquer en Europe.

Maradona Boca

Indissociable ou presque de Boca Juniors, est l’histoire du grand rival, Club Atlético River Plate, né aussi dans le même quartier de la Boca de la fusion en 1901 de deux modestes équipes, La Rosales et Santa Rosa.
On voulut alors trouver un nom à consonance anglaise. Le président de La Rosales, un certain Pedro Martinez, se promenant sur la digue numéro trois du port, à l’embouchure du Rio de la Plata (la « rivière d’argent »), vit inscrit sur des caisses que transportent des ouvriers, le nom de River Plate. Adopté !
Au départ, le maillot de River Plate est blanc uni. Ce n’est qu’en 1908 que la diagonale rouge apparaît, suite, selon la légende, à une nuit de carnaval au cours de laquelle cinq jeunes gens récupèrent sur un char un large ruban de soie rouge dont ils ceignent leur tunique blanche. Le maillot mythique est validé.
Comment voulez-vous que le gamin que j’étais encore ne tombât pas en pâmoison devant la beauté footballistique et vestimentaire du tout jeune Omar Sivori*** ?

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Assister au Superclàsico Boca-River, dans leur antre de la Bombonera ou du Monumental, est un autre rêve que je ne concrétiserai probablement jamais.
À la fin des années 1940, on trouvait également des fans de River Plate et de son maillot chez les dirigeants du club de Liga Rayo Vallecano. C’est comme ça que les joueurs de cette équipe d’un quartier de Madrid portent également le beau maillot blanc avec son écharpe rouge.
Il n’y a pas que la citadelle inca du Machu Picchu, il y a aussi, outre le style débridé et offensif de l’équipe du Pérou, la « blanquirroja », référence au fameux maillot blanc avec une diagonale rouge en écharpe, la vénérable star octogénaire de la sélection.

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C’est en s’inspirant aussi de la tenue du club de River Plate, tout frais champion d’Argentine, que l’équipe nationale péruvienne se présente aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, excellent moyen de propagande pour Adolf Hitler.
Au grand dam du Führer, l’Allemagne est éliminée par la Norvège. Il reporte ses espoirs, pour sauver l’honneur des nazis, sur la sélection autrichienne qui affronte le Pérou en quart de finale. Dans les prolongations, malgré trois buts refusés par l’arbitre italien, le Pérou allait l’emporter quatre buts à deux, lorsqu’à une minute de la fin, des supporters soi-disant péruviens pénétrèrent sur le terrain. L’arbitre arrêta définitivement le match. Le comité olympique, contraint probablement, décida d’annuler le résultat et de faire rejouer le match, ce que la délégation inca, se sentant lésée, refusa. Ainsi, l’Autriche fut déclarée vainqueur. La légende retient que les dits « supporters péruviens » trop enthousiastes étaient des spectateurs mandatés par les plus hautes autorités nazies.

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Trois ans plus tard, los Incas remportèrent la Copa America avec cette « camiseta ». La sélection était composée de joueurs d’origines diverses (indiens, européens, africains, asiatiques et métisses). Le symbole identitaire d’un pays mixte était tout trouvé.
Mon goût pour ces maillots blancs à écharpe rouge explique peut-être en partie ma sympathie pour l’A.S. Monaco. Jusqu’en 1960, année où le club princier remporta sa première Coupe de France, le maillot était rayé rouge et blanc, couleurs du drapeau national et des armes de la famille Grimaldi. Une vision poétique fait aussi allusion au sang de Sainte Dévote, jeune chrétienne martyre au IVème siècle et patronne de la principauté.

Coupe Monaco-St Etienne 2Finale Coupe Monaco 2

Suite à cette première victoire « nationale », la Princesse Grace Kelly, actrice fétiche d’Alfred Hitchcock et épouse du souverain Rainier III, conçut le nouveau design du maillot avec la diagonale triangulaire rouge partant de l’épaule droite jusqu’à la hanche gauche.

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Un maillot véritablement porte-bonheur, car dans la foulée, l’équipe du Rocher remporta son premier titre de champion de France en 1961 et réussit le doublé coupe-championnat en 1963.
Dans son numéro de mai 1963, le Miroir du Football (« réservé à ceux qui aiment le vrai football ») rendait hommage en couverture à la grâce (de Monaco ?) et à la classe à travers deux de ses plus talentueux joueurs, Théo et Douis. Une époque splendide !
Quelque part, je suis heureux que le club du Havre Athletic Club (H.A.C) ait retrouvé l’élite au début de cette saison. Mes origines normandes ne sont sans doute pas étrangères à cette satisfaction, même si dans mon enfance, j’étais avant tout supporter du Football Club de Rouen (F.C.R) avec son maillot rouge et chevron blanc.

FC Rouen mars 54

Le petit gosse que j’étais devait être aussi heureux que les joueurs du F.C. Rouen devant la Une de Miroir-Sprint

Bon sang ne saurait mentir, au mois de mai 1959, hors les exploits de Jacques Anquetil sur les routes du Giro, le cœur de la Normandie sportive battait pour le HAC qui allait devenir le premier club de deuxième division à gagner la Coupe de France, exploit seulement réédité en 2009 par l’En-Avant de Guingamp. Pour y parvenir, il lui fallut jouer deux finales, la première s’étant achevée sur un score de parité. Conséquence collatérale, ce n’est pas le général De Gaulle, présent lors du premier match, qui remit la Coupe, mais le ministre des sports, l’ancien alpiniste Maurice Herzog.

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Depuis une dizaine d’années, les jeunes supporters du Stade Océane chantent, avant chaque match, sur l’air du « God save the … King », un hymne rappelant l’histoire de leur club : « À jamais le premier de tous les clubs français, Ô H.A.C, fier de tes origines, fils d’Oxford et de Cambridge. Deux couleurs font notre prestige : Ciel et Marine ».
L’histoire de la naissance du club et de ses couleurs, à la fin du XIXème siècle, se perd un peu aujourd’hui dans la brume océane, cependant acceptons une part de légende, elle est trop belle. Ce serait un hommage aux inspirateurs du club (lequel ? rugby ou football ?), des anciens étudiants britanniques qui souhaitaient retrouver dans le maillot le bleu ciel de l’université de Cambridge et le bleu marine d’Oxford.

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Ce qui est réconfortant, c’est que, récemment, le club doyen n’a pas renouvelé le contrat d’équipementier avec Nike pour produire lui-même son maillot sous la marque 1872 avec une répartition équitable des deux nuances de bleu.
Autres gardiens du temple chromatique, ce sont les Sang et Or du Racing Club de Lens quoiqu’ils troquent, cette saison, parfois à l’extérieur, leurs couleurs traditionnelles pour un maillot vert et noir, pas incongru cependant car il renvoie à l’ancienne place Verte, aujourd’hui place de la République, de la cité nordiste où commencèrent à jouer des lycéens au début du XXème siècle, et au noir du charbon des mines.
Après la Première Guerre mondiale, le club disparut et rejoignit le giron de l’Union Sportive du Foyer Franco-Américain aux couleurs des Etats-Unis, bleu ciel pour le maillot, blanc pour le short et rouge pour les bas.
Les couleurs actuelles rouge et jaune sont apparues fortuitement, en 1924, avec l’arrivée d’un nouveau président René Moglia qui, lors d’une promenade en ville, passa devant l’église Saint-Léger ravagée par les bombardements. On lui fit remarquer que cet édifice religieux était un vestige de l’occupation espagnole, lorsqu’aux XVIème et XVIIème siècles, la région était rattachée aux Pays-Bas de l’empereur Charles-Quint. L’Espagne, c’est le rouge et jaune, c’est aussi l’arène et le combat, l’or de la tenue du torero, le sang du taureau.

Lens maillotRC Lens

Les supporters préfèrent y voir, depuis les années 1950, une référence au sang des mineurs et au charbon, matière précieuse de l’industrie régionale. Leurs chants déferlent sur les gradins du stade Bollaert.

« Au nord, c’étaient les corons,
La terre c’était le charbon
Le ciel c’était l’horizon
Les hommes des mineurs de fond … »

Le club des « Gueules noires » était dans mon enfance le symbole des valeurs et de l’identité des mineurs, un miroir aussi de cette riche immigration, source aujourd’hui de pitoyables mascarades parlementaires. Beaucoup de joueurs étaient issus de familles polonaises, le gardien Arnold Sowinski, les défenseurs Polak, Kowal, Ziemczak, Plackzek, les frères Georges et Bernard Lech, un des héros de la campagne de Suède 1958 Maryan Wisniewski, Théodore Szkludlapski qui se mua en Théo quand il rejoignit l’A.S. Monaco. L’avant-centre Oudjani revendiqua son origine algérienne en intégrant en 1959 l’équipe du F.L.N.
Les Canaris du F.C. Nantes font partie des surnoms animaliers au même titre que les Aiglons de Nice, les Dogues lillois, les Lionceaux sochaliens ou les Merlus de Lorient. Le surnom des joueurs nantais provient des couleurs jaunes et vertes de leur maillot, et aussi d’une trouvaille des journalistes pour éviter les répétitions dans leurs articles.
Il faut aller chercher l’origine de ces couleurs volatiles … sur un hippodrome. Membre fondateur du club en 1943, avec Marcel Saupin (le stade portait ce nom avant la construction de la Beaujoire), Jean Le Guillou possédait une écurie de chevaux. L’un d’eux, un crack baptisé Ali Pacha, était monté par un jockey à la casaque jaune et verte. Ces couleurs porte-bonheur furent donc adoptées pour les footeux.

315 - Gauche

Le club est resté fidèle à ces couleurs, seule leur disposition a varié à travers les modes et les époques. Ma sympathie date de mon adolescence et du style de jeu chatoyant prôné par de brillants formateurs humanistes, José Arribas, Coco Suaudeau, Raynald Denoueix. On célébrait alors le « jeu à la nantaise », une véritable appellation contrôlée.

Nantes FC 1

Je ne peux évidemment pas passer sous silence les couleurs de mon club de cœur (d’Yvelinois d’adoption), le Paris-Saint-Germain, même si elles ont excessivement évolué avec un merchandising outrancier dont l’une des toutes récentes excentricités fut le flocage sur le dos des noms des joueurs en mandarin, en vue de développer un marché asiatique.
Ma forte sympathie pour ce club prit racine à sa naissance en 1973, d’abord pour son jeu offensif inspiré par Just Fontaine**** (toujours recordman de buts en Coupe du Monde, 65 ans après), mais aussi pour l’élégance du maillot qui s’imposa au fil des années comme un symbole : principalement bleu avec une large bande rouge verticale au milieu du torse encadrée par deux liserés blancs. Naturellement stylé puisqu’il fut dessiné par le couturier Daniel Hechter, jeune président du club : « L’inspiration c’est comme la mode, ça vient tout d’un coup. On ne sait pas pourquoi. Dans la rue, j’ai vu une Ford Mustang avec sa bande centrale sur le capot qui se prolongeait sur le toit et j’ai transposé ça. J’ai commencé à dessiner et j’ai trouvé cette bande centrale sur le maillot quand, à l’époque, les bandes étaient horizontales. Seul l’Ajax Amsterdam avait une bande centrale ; certains ont d’ailleurs cru que je m’en étais inspiré, ce qui n’était pas le cas ».
J’eus la chance, à l’issue d’une séance d’entraînement au Camp des Loges, de pouvoir photographier individuellement tous les joueurs avec leur maillot, ici le capitaine Mustapha Dahleb, un artiste du ballon rond.

PSG Dahleb

Les sponsors s’affichèrent bientôt en grosses lettres sur la poitrine, puis au début des années 1980, le blanc remplaça le bleu, une manière peut-être de retrouver une certaine virginité après un scandale de double billetterie qui avait entraîné la démission de Daniel Hechter.
Il me reste de cette époque, telle une relique, une écharpe en laine, dessinée elle aussi par le couturier, qui me protégeait des frimas de l’hiver dans les travées du Parc des Princes. Aucune inscription, les seules couleurs et leur agencement constituaient l’image de marque.

PSG maillots

Fi de rivalités ridicules de « classico », pour ne pas offenser la bonne mère et ceux de la Cane-cane-Canebière chère à Henri Alibert et Vincent Scotto, je me dois d’évoquer les couleurs de l’Olympique de Marseille.
C’est sous le nom de Massalia que fut fondée Marseille, six siècles avant notre ère, par des marins grecs venus de Phocée, un port d’Asie mineure (aujourd’hui Foça, ville turque près d’Izmir). Est-ce aussi limpide que cela, la cité phocéenne adopta les couleurs de la Grèce, bleu ciel et blanc, attestées par ses armoiries : « blason d’argent à la croix d’azur ».
L’Olympique de Marseille naquit en 1899 suite à la fusion du Football Club de Marseille (dont la devise était « Droit au but ») et le club d’escrime L’Épée.
Le fondateur de l’O.M, un aristocrate du nom de René Dufaure de Montmirail, adhérant aux valeurs prônées par le baron Pierre de Coubertin qui venait de relancer les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne, décida d’imposer le blanc, symbole de l’olympisme, pour le maillot des Olympiens.

OM Miroir SportsO.M Coupe 1954OM Finale 1993OM croix

Dans ma jeunesse, les joueurs de l’O.M apparaissaient avec des bas foncés sur les photographies des beaux magazines sépia.
Dans un passé récent, le club s’est souvenu de son histoire ou de celle de la ville. Ainsi, clin d’œil au drapeau de la ville, il porta un maillot blanc orné d’une croix bleue.
Une autre tunique devenue culte est celle portée lors de la finale victorieuse en Ligue des Champions en 1993, blanche avec trois bandes bleues sur l’épaule rappelant l’équipementier dont le principal actionnaire était alors le patron du club.
Cédant à des exigences commerciales de plus en plus pressantes, le club a aussi adopté parfois de surprenantes couleurs, ainsi un maillot doré pour célébrer en 1999 son centenaire, et plus contestable encore, la couleur orange qu’on retrouve dans le naming du stade (Orange Vélodrome). Pognon oblige !
La couleur du maillot de l’A.S. Saint-Étienne a inspiré son surnom à l’équipe, « les Verts », même si on assiste désormais à quelques incartades chromatiques comme dans beaucoup d’autres clubs.
La couleur verte, comme le nom du stade, est liée à son fondateur Geoffroy Guichard, à la tête de Casino, la société de distribution stéphanoise (en profonde détresse économique aujourd’hui !). Dès 1912, il créa l’Amicale des Employés Casino pour leur offrir la possibilité de pratiquer le sport, et notamment le football, dans les meilleures conditions. Dès l’origine, la couleur verte des locaux de l’entreprise est adoptée.
Afin de respecter le règlement de la Fédération qui interdit l’utilisation de noms de marques dans l’appellation des clubs, l’Amicale des Employés Casino devient en 1920 l’Amical Sporting Club qui fusionnera en 1927 avec le Stade Forézien Universitaire pour donner naissance à l’Association Sportive Stéphanoise, puis l’ASSE en 1933, tout en restant fidèle à la couleur verte.
La France sportive a encouragé et chanté les Verts dans la première moitié des années 1970, à l’époque des grandes joutes européennes qui les conduisirent jusqu’à une finale à Glasgow perdue… à cause peut-être de poteaux carrés. Manufrance, autre symbole de la ville, s’affichait en grosses lettres sur le maillot (hors les rencontres de Coupe d’Europe).

St Etienne 1976

J’ai une préférence pour le maillot des années 1950 vierge de toute inscription. Qu’elle est émouvante cette photographie de l’équipe, championne de France en 1957, avec en arrière-plan les tribunes de Geoffroy Guichard et les hautes cheminées d’usines !

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Lens-St Etienne 1956

L’immigration, comme à Lens, était une richesse. Les frères Tylinsi, enfants d’immigrés polonais, le capitaine René Domingo d’origine espagnole, un Camerounais Eugène N’Jo-Léa (futur président de l’Union des Footballeurs Professionnels), l’Algérien Rachid Mekloufi, et aussi le Hollandais Kees Rijvers constituaient une équipe solidaire, volontaire et inspirée pour le bonheur du « peuple vert ».

St Etienne-Nice 1956

Very Nice, les couleurs de l’Olympique Gymnaste Club de Nice cher à Bernard Morlino, auteur d’un livre chaleureux sur son équipe de cœur : « Parmi les couleurs (du stade du Ray ndlr), il y avait bien sûr celles du maillot niçois. Si je ne sais plus celles que portaient les adversaires, en revanche le maillot rayé rouge et noir s’imprimait définitivement dans mes yeux, mon cerveau et mon cœur. Elles sont les plus belles couleurs du monde. Un beau rouge vif et un noir profond. De plus, le short était noir et les bas aussi. Cette tunique devenait la seule possible. Le maillot n’avait même pas l’écusson du club. Il était sans publicité, rien que rouge et noir… Les joueurs de l’A.C. Milan portent exactement le même maillot rayé rouge et noir que celui du Gym. Il m’a fallu admettre que les premiers dirigeants niçois de 1903 avaient copié les transalpins, à la création du club … Malgré ce désagrément, Nice reste l’unique pour moi à être rouge et noir. Je ne veux même pas entendre parler du roman de Stendhal. Ni d’En rouge et noir de la chanteuse Jeanne Mas, à un moment l’hymne du Gym.

Nice Coupe 1952Racing Nice oct58Chorda Miroir Foot

J’aime le club de Nice aussi pour son beau nom : Olympique Gymnaste Club de Nice. En France, il y a des Olympiques, des Stades de …, des Associations, des Football Club, mais il n’y a qu’un seul Olympique Gymnaste Club, et c’est Nice. Ses initiales sont uniques : OGC Nice, OGCN. Je prononce souvent à tue-tête l’Olympique Gymnaste Club de Nice. »
Le jeune Morlino était-il présent lorsque son équipe favorite et le déjà légendaire Real Madrid s’alignèrent devant les tribunes combles du stade du Ray à l’occasion d’un quart de finale aller de la Coupe d’Europe des clubs champions 1960 ? Je me souviens d’avoir suivi à la télévision l’exploit des Aiglons avec un triplé du Luxembourgeois Vic Nuremberg.

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Nul ne guérit de son enfance. Curieusement, le maillot qui me procura peut-être le plus d’émotions fut celui du Racing Club de Paris, aujourd’hui disparu du football professionnel : cerclé bleu ciel et blanc, short noir, bas noirs.
Comme dit l’autre, les goûts et les couleurs, ça ne s’explique pas ! Je ne pouvais même pas, à l’époque, moi le gamin normand, faire valoir quelconque attachement géographique ou familial à la capitale. J’étais peut-être victime du syndrome de la ville lumière, du moins sportivement : les trajets en voiture vers la banlieue de Colombes pour les matches internationaux et les finales de Coupe de France, plus rarement vers le Parc des Princes à l’occasion des « Racing-Reims » ambassadeurs du football panache.
Le Racing développait un jeu résolument offensif, dépassant souvent la barre des 100 buts par saison. Une inconstance chronique et désarmante l’empêchait cependant de remporter un titre. Lors du championnat de France 1961-1962, le Racing terminant à égalité avec le Stade de Reims, on calcula leur moyenne de buts (quotient des buts marqués et encaissés) jusqu’à trois décimales pour départager les deux clubs : pour trois petits millièmes, les Rémois de Kopa, Piantoni, Vincent purent sabler le breuvage à bulles local. Avec le mode de calcul à la différence de buts, comme aujourd’hui, les Racingmen auraient été champions de France.
Jean Ferrat, dans une de ses premières chansons, évoquait :

« Les petits bistrots
Où l’on vient goûter
Devant le perco
Le premier café
Le patron derrière son comptoir
On parle du Tour et du Racing
Devant un rouge ou un p’tit noir… »

Dans la première décennie de mon existence, le Racing compta dans ses rangs des artistes de la balle ronde : René Vignal dans les buts, au milieu de terrain (on disait demis et inters) un franco-marocain Abderrahman Mahjoub et un prodigieux brésilien un peu dilettante Yeso Amalfi, à la pointe de l’attaque Thadée Cisowski, d’origine polonaise, que, juché sur les épaules de mon père, je vis planter cinq buts contre la Belgique à Colombes.
Grâce à mon oncle, qui avait été collègue du père de François Heutte à l’École Normale d’Instituteurs d’Évreux, j’avais pu, à l’occasion de la venue du Racing à Rouen, approcher et même faire signer mon carnet d’autographes au jeune ailier international ainsi qu’à Jean-Jacques Marcel, au grand technicien yougoslave Milos Milutinovic, et à « Monsieur Joseph » Ujlaki. Récompense incomparable qui expliquait que j’avais les yeux de la passion pour ces champions et leur maillot. Le vrai chic parisien !

Heutte RacingUjlaki Racing

Rouen-Racing 1960-61

Mon goût prononcé pour un maillot vient souvent du jeu à panache pratiqué par ceux qui le portent. Il en est ainsi des blaugranas, les couleurs bleu et grenat en catalan du F.C. Barcelone qui furent décidées par le fondateur du club, Hans Gamper (un tournoi est organisé à son nom en début de saison). Cet expert-comptable suisse, émigré en Catalogne à la fin du XIXème siècle, reprit tout simplement les couleurs du F.C. Bâle, club dont il avait été capitaine avant son exil.
J’avais 11 ans lorsque le Barça apparut dans mon horizon sportif avec l’arrivée du Hongrois Sàndor Kocsis surnommé Tête d’or. Il avait appartenu au Onze d’Or, la légendaire équipe de Hongrie du début des années 1950. Je l’avais vu jouer l’un de ses derniers matches sous le maillot magyar (grenat aussi) à Colombes, peu avant que l’insurrection de Budapest et l’invasion russe l’obligent à s’exiler.

Barça Kocsis

Barça Kocsis

Quelques-uns des plus grands joueurs de l’histoire du football portèrent haut le maillot blaugrana : le Hollandais Johan Cruyff, les Brésiliens Ronaldo, Ronaldinho et Neymar, les Argentins Maradona et Messi. Heureux spectateurs du Nou Camp !

Johan Cruyff Barça

Maradona Barça

Un autre de mes coups de cœur va aux Red Devils, les « diables rouges » du Manchester United Football Club, les premiers à avoir apporté à l’Angleterre, pays inventeur du football, sa première victoire en Coupe d’Europe des clubs champions en 1968.
Á l’origine, le club s’appelait le Newton Heath LYR parce que créé par des ouvriers de la Lancashire and Yorkshire Railway. Ses couleurs, vert et or, étaient celles de la compagnie ferroviaire. Il fallut attendre l’année 1902 pour que le club prenne le nom de Manchester United et opte pour son célèbre maillot rouge.
C’est au 7 février 1958 que remonte ma sympathie pour l’équipe mancunienne : la veille, la moitié de l’équipe avait péri dans un crash d’avion survenu à l’aéroport de Munich, au retour d’un match de Coupe d’Europe disputé à Belgrade. L’émotion fut immense dans l’Europe du football. Parmi les survivants, figuraient le mythique manager Matt Busby et le tout aussi légendaire joueur Bobby Charlton qui nous a quittés il y a quelques semaines.
Le poids de l’histoire : devant le stade d’Old Trafford, le « théâtre des rêves », est érigé un groupe monumental représentant the holy trinity, le trio des fabuleux attaquants Bobby Charlton, l’écossais Denis Law et le fantastique et fantasque nord-irlandais George Best qu’un journaliste surnomma le « cinquième Beatles » (« une gueule d’ange qui débarqua en même temps que la minijupe et la pilule »). Ensemble, ils menèrent le club à sa première conquête européenne. Tous les trois obtinrent le Ballon d’Or.

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Vingt-cinq ans plus tard, c’est un Français, « Eric the King », qui devint l’idole d’Old Trafford. Le col blanc de son maillot rouge toujours relevé, Cantona offrit quatre titres de champion d’Angleterre et deux Cups aux Red Devils.
Il revêtait un maillot noir lorsque, le funeste 25 janvier 1995, après avoir rabaissé son col, « il mit son pied dans la gueule d’un supporter de Crystal Palace qui lui hurlait « enc… de bâtard de Français ! » ». C’est suite au grondement médiatique engendré par ce geste digne de Bruce Lee que « Picasso Cantona » (comme on le nommait dans les Guignols de Canal Plus) sortit cette métaphore que les journalistes firent semblant de ne pas comprendre : « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer. »
Le club occupe la première place du palmarès des maillots les plus vendus dans le monde (plus de trois millions en 2022).
En même temps que le football devenait un sport-spectacle aux enjeux financiers énormes, attirant des fonds d’investissements américains et asiatiques, on a assisté à une commercialisation effrénée des maillots, objets désormais industriels destinés à générer de l’argent. Chaque saison, les clubs les plus huppés renouvellent les modèles, voire même les couleurs à travers la vente de « second » et même « third » maillot.
Je ne suis pas persuadé que le gosse que je fus, aujourd’hui boomer, aurait jeté un regard d’envie vers les étals de maillots (des contrefaçons parfois ?) que l’on croise dans certains centres villes touristiques.

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Je doute de la sincérité des joueurs de maintenant baisant trop ostensiblement leur maillot pour manifester auprès des supporters leur attachement aux couleurs du club.
Ne dupons-nous pas le petit garçon jouant sur la pelouse de ma résidence avec le maillot du Barça floqué du nom de Messi qui est parti depuis sous le soleil de Floride (après un crochet par le Paris S.G) pour amasser toujours plus d’argent ?
En guise de conclusion, j’ai envie de vous raconter encore une dernière histoire de maillot, celui très original de l’équipe nationale de Croatie.
Prologue : c’était un autre temps, j’étais avec mon papa, à Colombes, le 11 novembre 1955, pour assister à la rencontre amicale entre l’équipe de France et celle de Yougoslavie constituée de formidables manieurs de ballon et d’un gardien de but Vladimir Beara presque aussi légendaire que son confrère soviétique Lev Yachine. Portant la même tenue noire, surnommé le « danseur aux mains d’acier », sans doute à cause de sa passion pour la danse classique, Beara était admiré pour son style à la fois explosif et gracieux. Vous connaissez mon goût depuis l’enfance pour les gardiens de but.

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Ce jour-là, les Yougoslaves évoluant dans une tenue identique, maillot bleu, culotte blanche et bas rouges, nos Tricolores, emmenés par Kopa et Piantoni, avaient opté pour un maillot rouge, une culotte blanche et des bas bleus.
Le 16 octobre 1990, quelques mois avant de déclarer officiellement son indépendance, la Croatie, encore province yougoslave, organisa à Zagreb un match international contre les États-Unis. Á cette occasion, les joueurs croates enfilèrent leur fameux maillot à damier rouge et blanc, référence au blason qui figure sur les trois bandes rouge blanc bleue du drapeau national : 13 carreaux rouges, appelés gueules dans la science des blasons, et 12 carreaux blancs baptisés argent, référence à l’échiquier symbole du peuple croate depuis 1527. Le royaume d’alors était placé sous l’aile de la Maison d’Autriche et l’échiquier rouge et blanc figurait sur les armoiries des Habsbourg. L’échiquier en lui-même s’inspirerait d’une légende datant du Xème siècle : le roi d’alors, un certain Étienne Drjislav, prisonnier du doge de Venise Pietro II Orseolo, aurait retrouvé sa liberté après avoir remporté trois parties d’échecs consécutives contre son geôlier.
Malgré son histoire mouvementée, le football croate s’est maintenu dans l’élite mondiale grâce à d’exceptionnels joueurs comme Boban et Suker, et aujourd’hui Luka Modric, Ballon d’Or 2018.

Modric Croatie

Son curieux maillot me ramène étonnamment encore à l’enfance, la toile cirée de la cuisine, les boîtes Lustucru en métal où ma chère grand-mère rangeait ses biscuits et ses épices.

Lustucru

* Un long paragraphe est consacré à René Vignal dans ce billet : http://encreviolette.unblog.fr/2011/02/11/la-vieille-dame-de-beziers-ou-le-stade-des-sauclieres/
** http://encreviolette.unblog.fr/2022/08/23/comme-gisele-bienne-jai-grandi-avec-le-stade-de-de-reims/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2020/12/27/moi-je-suis-du-temps-du-tango-avec-omar-sivori-et-diego-maradona/
**** http://encreviolette.unblog.fr/2023/03/30/adieu-justo/

Publié dans:Coups de coeur |on 30 décembre, 2023 |1 Commentaire »

Flâneries à Bruxelles (5)

La période n’est vraiment pas propice à la sérénité.
Nous avons repoussé d’une semaine notre visite à notre chère petite-fille bruxelloise suite à l’odieuse attaque terroriste dans la capitale belge visant deux malheureux supporters suédois qui se rendaient au stade du Heysel, vêtus du maillot de leur équipe favorite, pour assister à la rencontre entre la Suède et la Belgique, dans le cadre des qualifications pour l’Euro de football de l’été prochain. Il ne fait même plus bon vivre sa passion a priori pacifique pour son sport favori, même la folie et la connerie s’invitent de plus en plus fréquemment dans les stades et leurs abords.
L’ignominieuse fusillade trouverait racine dans des autodafés du Coran devant la mosquée de Stockholm et le Parlement suédois.
Pure coïncidence, comme pour conjurer involontairement le sort, notre après-midi est consacré à une sortie au magasin IKEA, la populaire chaîne de mobilier et objets de décoration d’intérieur, à l’origine suédoise et dont le siège est aujourd’hui aux Pays-Bas. Son nom est un acronyme tiré des initiales de son créateur Igvar Kamprad, de la ferme familiale Elmtaryd et de son village natal Agunnaryd. Décédé en 2018, Igvar, multi milliardaire en dollars, retiré en Suisse, avait envoyé un courrier à ses salariés leur demandant pardon pour « une erreur de jeunesse », ses sympathies pronazies.
Les vêtements des employés empruntent au drapeau national suédois les couleurs jaune et bleue, celles qui ont permis au terroriste de repérer ses futures cibles et victimes.
En ce vendredi après-midi, la clientèle du magasin d’Anderlecht est constituée majoritairement de familles d’origine maghrébine. Molenbeek, la commune limitrophe, traîne, de manière excessive, une réputation de foyer d’islamisme radical  depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015 et ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles. À l’époque, le regretté chanteur Arno monta au créneau contre Donald Trump qui s’était entiché de traiter Bruxelles de « trou à rat » : « Tout le rapportage sur Bruxelles et Molenbeek dans les médias étrangers est sérieusement sous influence. Un journaliste néerlandais est venu faire un reportage dans ma rue (du quartier Sainte-Catherine ndlr). Du bullshit pure souche ! Tout le monde me demande quelle est la situation à Molenbeek. La commune est devenue plus célèbre que la Belgique. Et quand je réponds que là aussi, il y a de l’eau qui sort des robinets, oui, on me regarde bizarrement. S’il y a des crapules qui se baladent à Molenbeek, il ne faut pas avoir pitié d’eux, non. Mais 95% de la population est constitué de gens accueillants et propres sur eux-mêmes. On y trouve plein de chouettes coins. »
Arno avait achevé sa lettre ouverte au bouffon américain par une jolie pirouette : « J’espère que tu sais que Jésus est Bruxellois ? James Ensor (né à Ostende comme Arno) en a fait un beau petit tableau : la Joyeuse Entrée du Christ à Bruxelles. On peut l’admirer dans un musée à Los Angeles. Il faudrait que t’ailles voir ça ! »

tableau Ensor

Détail Ensor

Ayez la curiosité de découvrir cette toile iconoclaste de 1888 sur internet ! Que diable le prophète vient-il faire à Bruxelles dans cette véritable mascarade ? Le fils de Dieu, à peine discernable, est un simple quidam, chevauchant un âne, perdu dans une foule de masques grotesques au-dessous d’une banderole « Vive la Sociale ». Truculent comme une kermesse peinte par Brueghel !
Bon, dans le climat d’horreur et de chaos largement relayé depuis quelques jours par les médias, on ne peut chasser cependant de son esprit quelque scénario mortifère. Heureusement, une paix intérieure vous ramène vite à la (bonne) raison du vivre ensemble. Bruxelles est la ville la plus cosmopolite (on y croise plus de 180 nationalités et on y parle plus de 100 langues) d’Europe et près de 40% des personnes qui y résident ne possèdent pas la nationalité belge. L’ouverture et le respect de chacun dans sa diversité sont des valeurs inscrites dans l’ADN bruxellois que l’on retrouve dans de nombreux lieux culturels.
Ceci dit, ne cherchez pas d’explication à ce repli sur soi, nous avons prévu de passer la soirée en famille autour d’une … fondue savoyarde ! Dans les règles de l’art, nous avons amené outre-Quiévrain poêlon, réchaud, fourchettes et les fromages ad-hoc : reblochon, beaufort, abondance et tomme de Savoie. Sans oublier le vin blanc Apremont Sublime et, légère entorse à la recette, quelques gouttes de Kirsch d’Alsace. Les jeunes ont adoré, les seniors aussi, et pas un morceau de pain n’est tombé par maladresse !

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Est-ce la fatigue due à l’interminable déambulation dans le mythique labyrinthe fléché des rayons IKEA, la matinée du samedi a été plus grasse qu’à l’accoutumée.
Après le crachin incessant de la veille, le soleil est le bienvenu sur les quais de Sainte-Catherine. Les bassins ont été vidés en perspective de la prochaine mise en place du marché de Noël. Sur les pavés, à proximité de l’église Sainte-Catherine qui a retrouvé sa blancheur, est proposée gratuitement aux passants, durant tout le mois d’octobre, une exposition en plein air : « 50 photographies avec une histoire ».
Initiée par l’Acciòn Cultural Española dans le cadre temporaire de la présidence espagnole au Conseil de l’Union Européenne, elle offre un regard sur l’histoire de la photographie au-delà des Pyrénées des années 1930 à nos jours, de la guerre civile jusqu’à l’Espagne des années 2020 en passant par la Movida, foisonnant mouvement culturel qui apparut après la mort du caudillo Franco.

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Chacune des 50 images sélectionnées reflète une époque, une manière d’appréhender la photographie et, évidemment et surtout, la charge sociale et humaine qui s’y attache.
En scannant les codes QR figurant sur l’affiche, on accède sur son smartphone à une véritable visite guidée avec différents niveaux de lecture permettant de découvrir l’histoire cachée derrière chacune des œuvres.
Sans trop me soucier de la chronologie, j’arpente le pavé laissant mon regard se poser où bon lui semble, et d’abord sur l’affiche de l’exposition.

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L’artiste Chema Madoz, influencé peut-être par le mouvement surréaliste, extrait l’objet de sa fonction utilitaire, imaginant de nouvelles significations. Jouant sur la perspective, il assimile le verre de vin au pubis de la femme qui se tient derrière. Helmut Newton, en contemplant l’œuvre, se serait exclamé : « le meilleur nu que j’ai jamais vu ».

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Adiós Amigo ! Photographie, incongrue dans le contexte de l’exposition au premier regard, d’un cavalier qui semble se recueillir devant une ruine à l’allure de mausolée. En réalité, son auteur Sergio Belinchón s’est beaucoup intéressé aux westerns dits spaghetti qui firent fureur en Europe dans les années 1960-70 et dont certains d’entre eux furent tournés dans la province d’Almeria. Il s’était rendu sur les lieux réalisant même un long métrage vidéo, remake du film de Sergio Leone Le Bon, la Brute et le Truand, en positionnant son trépied très exactement à l’endroit où était placée la caméra dans le film original et en utilisant les mêmes optiques, cadrages et mouvements de caméra. Pas de Clint Eastwood, ni Lee Van Cleef, aucune présence humaine et animale, juste des étendues de plantes épineuses et la musique originale du film.
La photographie exposée ici est extraite d’une série de scènes réalisées dans les paysages désolés du Haut-Aragon, autour de Huesca, d’un cavalier errant à la recherche d’un endroit pour abreuver son cheval en traversant les autoroutes et regardant les traînées d’avion dans le ciel azur.

Ste Catherine torero

La provocation se ressent dans Torero cordero (1972), une photographie iconoclaste de Pablo Pérez-Minguez, artiste actif et même activiste au sein du mouvement Movida Madrileña qui agita la société espagnole dans le dernier quart du vingtième siècle, symbole d’une Espagne jeune et ouverte tournant le dos à un archétype de l’époque franquiste.
Ici, le photographe demande à son ami écrivain et poète Ignacio Gómez de Liaño de devenir torero, vêtu d’une perruque et d’un masque, tenant un mouton dans ses bras. « Ballerine ridicule » comme chante Cabrel. À la même époque, une autre figure de la Movida, le cinéaste Pedro Almodovar, mettait en scène des faenas sexuelles et mortelles dans son film Matador.
Plus dérisoire, réminiscence de mon enfance, Marcel Amont*, une légende du music-hall décédée cette année à l’âge de 93 ans, me faisait rire avec le combat du torero Escamillo avec un moustique.

« C’était un grand torero d’Espagne
Qui n’avait jamais vu qu’un taureau
Un charmant taureau venu de Cerdagne
Un gentil taureau, doux comme un agneau… »

Ste Catherine foot curés

Ma passion pour le football est satisfaite avec cette photographie étonnante de séminaristes jouant sur un terrain de fortune digne des « potreros » argentins.
Son auteur Ramòn Masats, catalan de naissance et madrilène d’adoption, décida que son terrain de jeu en photographie serait la rue. Lino Hernando est le nom du gardien qui défend son but avec tant de zèle. Le tireur est Mariano Enamorado qui raccrocha sa soutane après dix ans de sacerdoce. Cinq décennies plus tard, le photographe et le curé se retrouvèrent pour se souvenir de cette photo prise en 1959.
Le thème me semble moins décalé qu’il n’y paraît pour avoir lu récemment un article sur des chanoines membres d’une congrégation religieuse traditionnaliste qui organisent chaque dimanche dans leur petite commune de Lagrasse dans l’Aude, des matches de foot avec les habitants du village et notamment les réfugiés du centre d’accueil de demandeurs d’asile.
Encore un souvenir d’enfance : le plongeon spectaculaire du « portero » ecclésiastique me renvoie à Lev Yachine, le mythique gardien de but soviétique qu’on surnommait « l’araignée noire ».

Ste Catherine Ibiza

« Le premier bikini à Ibiza » semblera à première vue un cliché très banal de paparazzo, qui plus est à Ibiza, île des Baléares célèbre pour sa vie nocturne animée et ses boîtes de nuit.
Il faut se replacer en 1953, en pleine dictature franquiste, pour appréhender toute sa charge sociale, morale et politique. Son auteur Oriol Maspons photographie sur la plage la mannequin Monique Koller juste vêtue d’un bikini ramené de France, lorsque des gardes civils passent en arrière-plan. Ils l’ont regardée et en ont ri : une fille en bikini, c’était impensable, elle aurait été expulsée de n’importe quelle plage du littoral espagnol, cela allait complètement à l’encontre de la morale chrétienne.
Pour Maspons, la photographie était un langage pour témoigner de son époque, elle devait donc être « utile ». Alors que l’Espagne est sous le joug du franquisme, il vint trouver à Paris une bouffée de liberté dans les années 1955. Il fréquenta le « club des 30×40 », Robert Doisneau, Brassaï. De retour à Barcelone, il intégra la « Gauche divine », un groupe de jeunes intellectuels et artistes qui, à la fin des années 1960, se rebellèrent contre la culture officielle franquiste.

Ste Catherine Cuba

« Chevrolet bleu et couple de danseurs » est une photographie de José Maria Mellado qui a acquis une renommée internationale pour ses paysages retouchés numériquement parfois pas encore impactés par l’homme ou au contraire très dégradés par l’intervention humaine.
C’est le premier cliché qu’il prit en 2006 à son arrivée à La Havane. Alors qu’il flâne sur le Malecon, l’emblématique promenade du front de mer, une Chevrolet bleue s’arrête devant lui. Les portières s’ouvrent, la musique à fond, un couple en sort et commence à danser.
Mellado, fasciné, n’ayant pas son appareil Hasselblad avec lui, demande au couple s’il serait d’accord de revenir le lendemain pour qu’il puisse prendre quelques clichés : « D’accord, on se voit avant le coucher du soleil, à demain ! »
Sa photographie, probablement scénarisée, possède aussi une grande rigueur esthétique. Les lignes au sol et la plaque minéralogique répondent à la couleur jaune de la chemisette du danseur, le bleu de la Chevrolet et les marques blanches font écho aux vêtements de sa partenaire.
Je me laisse embarquer dans cette scène empreinte de sensualité, j’entendrais presque la musique de l’autoradio. Je pense bien évidemment aux merveilleux papys du groupe Buenavista Social Club et au film éponyme de Wim Wenders dont je vous offre le teaser.

Image de prévisualisation YouTube

Dans le clip, on aperçoit fugacement une fresque de Che Guevara.
En juin 1959, le journaliste du Diario Pueblo, Antonio Olano, est informé discrètement de la venue du Che à Madrid. Le gouvernement voulait que la visite du chef de la guérilla cubaine soit invisible et l’empêcher de rencontrer des opposants au régime.
Pour témoigner de l’événement, Olano fait appel à César Lucas, un jeune photographe de 18 ans travaillant pour l’agence Europa Press. Seulement, eux deux accompagnent Che Guevara pendant quelques heures visitant dans la capitale, la Ciudad Universitaria, la Faculté de Médecine, la Plaza de Toros de Vistalegre et aussi faisant du shopping aux Galerias Preciados, les grands magasins madrilènes d’alors.

Ste Catherine Guevara

À l’époque, le reportage connut peu d’écho dans les médias, ce n’est que bien des années plus tard, qu’il fut récupéré comme un précieux document sur le passage du Che à Madrid.
L’heure avance, je reviendrai peut-être seul dans l’après-midi pour poursuivre ma visite de cette intéressante exposition en plein air.
Pour l’instant, nous avons prévu de retrouver les jeunes au Laboureur, un bistrot plus que centenaire de la rue de Flandre dont je vous ai déjà parlé lors d’une précédente flânerie. Ici, les gens ont l’air de se connaître, on est certain d’y croiser encore quelques tronches d’atmosphère qu’on croirait sorties d’une exposition des regrettés photographes Robert Doisneau et Willy Ronis, et d’y entendre encore quelques bribes de Brusseleir, le fameux parler bruxellois. Le soir, j’ai encore eu l’occasion de le constater, quel que soit le temps, la terrasse est bondée. Devant ma Jupiler pression, je savoure cette chouette tranche de vie.

Laboureur 2Laboureur 1

On commence à avoir nos habitudes dans le quartier Sainte-Catherine. Un des serveurs du restaurant La Villette a même demandé à notre chère petite-fille quand elle envisageait de venir avec ses grands-parents … Aujourd’hui midi, justement !
En chemin, nous nous attardons devant quelques boutiques de la rue de Flandre, ainsi celle d’un bouquiniste brocanteur où est exposé un tableau d’un fier pigeon voyageur, champion d’un concours colombophile.

Pigeon

Je ne parle pas bien sûr des oiseaux qui défèquent sur les voitures et les bâtiments des villes, et accessoirement sur le costume d’un ancien président de la République. C’est en Belgique, et plus spécifiquement en Flandre, que l’on trouve les meilleurs pigeons de compétition dont la valeur marchande de certains atteint plusieurs centaines de milliers d’euros, en particulier depuis l’arrivée sur le marché d’acheteurs chinois et taïwanais. Espérons que ceux-ci n’exporteront pas quelque nouvelle saloperie de virus. En tout cas, cette arrivée massive d’argent entraîne certaines dérives : vols dans les élevages, rackets par des intermédiaires véreux et même dopage. L’ancien champion du monde cycliste et triple vainqueur de Paris-Roubaix, le Flamand Johan Museeuw, avait été convaincu d’usage de produits interdits à l’issue d’une enquête partie de soupçons de trafics d’hormones dans le milieu agricole, le peloton cycliste, les courses de chevaux et … de pigeons. L’excellent journaliste, le regretté Pierre Chany, écrivit qu’avant-guerre, certains coureurs du Tour de France, pour pédaler à tire-d’aile, consommaient beaucoup de pigeons parce que ces oiseaux possèderaient un certain taux de strychnine. Autre histoire alimentant la légende des cycles : le coureur néerlandais Adrie Van der Poel, voulant expliquer un contrôle positif lors d’un Grand Prix de Francfort, raconta qu’il s’était fait « pigeonner » par son beau-père Raymond Poulidor qui lui avait servi à table une tourte à la viande cuisinée à partir d’un pigeon ! Voilà, c’était mon petit couplet vélocipédique !
Le pigeon fut le héros « positif » d’autres histoires d’hommes. Ainsi, à quelques pas de la boutique, à proximité de la fontaine du bassin de Sainte Catherine, est érigé un monument rendant hommage au Pigeon-soldat pour son rôle de liaison joué durant la Première Guerre mondiale. J’eus l’occasion de vous en parler lors d’une précédente flânerie.
J’aime l’ambiance chaleureuse de l’estaminet La Villette, sa salle du rez-de-chaussée avec son comptoir, ses boiseries, ses nappes à carreaux. D’une enceinte, sort en sourdine une entraînante musique de jazz d’avant-guerre.
Sans originalité, je commande, comme lors de ma précédente venue, la salade de crevettes grises d’Ostende aux chicons, parfumée au curry.

Villette 1

La vie est belge ! Je me régale ensuite, non pas d’un vol au vent au pigeon (!) mais d’un steak de bœuf aux fromages belges et à la Gueuze Cantillon. Je trouverais bien un moine brasseur pour absoudre mon péché de gourmandise.

Villette 2

Pendant que ma compagne véhicule les jeunes en banlieue pour faire leurs courses dans une grande surface, je choisis de retourner à l’exposition de quelques uns des plus grands photographes d’Espagne … et plus grandes.
Cristina García Rodero remporta le Prix national espagnol de photographie en 1996 et le prix du meilleur livre aux Rencontres d’Arles de 1989. Elle est membre de l’agence Magnum depuis 2009. L’image retenue ici est tirée d’un reportage pour Médecins Sans Frontières qu’elle effectua en Géorgie, à la fin de la guerre civile. La photojournaliste a capturé le regard douloureux d’une mère qui dit un ultime adieu à son fils âgé de 18 mois.

Ste Catherine enfant cercueil

Autre reporter, autre lauréat du Prix national espagnol de photographie, Gervasio Sánchez s’est lancé dans un projet qui déboucha sur un livre Vidas minadas traitant des conséquences de ce type d’armes silencieuses sur les populations civiles, souvent même des années après la fin de la guerre. Dans le cadre de ce projet, il se rendit au Mozambique en 2007 pour rencontrer Sofia, héroïne d’une histoire qu’elle n’aurait jamais voulu vivre : victime à 11 ans d’une mine terrestre qui lui sectionna les deux jambes.

Ste Catherine Sofia

L’attendrissante photographie de Sofia, désormais maman, et d’Alia, une de ses deux enfants, d’une grande beauté graphique, devient d’une injustice révoltante lorsque le regard découvre les membres inférieurs de la mère.
Son travail de dénonciation des horreurs de guerre valut à Gervasio le titre d’ambassadeur de la Paix de l’UNESCO. Il qualifia son premier voyage de « pio vivo », un voyage de « déserteur » en hommage à Boris Vian. Par la suite, il se spécialisa dans la couverture des conflits armés, notamment en Amérique Latine (La caravana de la muerte, las victimas de Pinochet), en Afghanistan, dans l’ex-Yougoslavie, au Rwanda et Somalie.
Comment ne pas penser à Robert Capa, immense photographe et correspondant de guerre, qui mourut justement, lors un de ses reportages sur la guerre du Vietnam, en posant le pied sur une mine antipersonnel.
Capa bâtit sa renommée en couvrant la guerre civile espagnole : « une cause sans images est non seulement une cause ignorée mais une cause perdue ». Il fut accusé de faussaire à propos de la possible mise en scène de son célèbre cliché « Mort d’un soldat républicain ».
Les photographes qui couvrirent la guerre d’Espagne sont souvent considérés comme les pionniers du photojournalisme. Plusieurs clichés de l’exposition traitent de ce conflit. Je suis particulièrement intéressé par celui du photographe madrilène Martin Santos Yubero montrant un groupe de jeunes soldats républicains posant dans des décombres pour un photographe de rue en pleine guerre civile, le 17 août 1937 précisément.

Ste Catherine Lorca

Photo dans la photo, présent sur l’image, le photographe de rue ou minutero devint une figure populaire au début du XXème siècle comme alternative à la photographie en studio, accessible uniquement aux classes aisées. Il était connu comme le photographe des pauvres, seul moyen dont disposait la majorité de la population pour garder un souvenir de ses proches, un souvenir en noir et blanc qui devait son nom au temps d’attente : dix minutes après sa capture, la personne représentée pouvait repartir avec sa photographie. Les clients étaient notamment des militaires à l’arrière qui souhaitaient se faire photographier, avant d’envoyer le cliché aux membres de leur famille. Quelque part, le minutero portraitiste était précurseur du selfie d’aujourd’hui.
Au-delà de la mise en évidence de ce petit métier ambulant, l’intérêt de la photographie exposée provient aussi du décor (volontaire ou fortuit ?) qui a une connotation théâtrale puisque le mur est tapissé d’affiches d’événements artistiques. Et, comme une banderole ou une légende, le nom de Federico Garcia Lorca accroche le regard. Hasard (?), c’était presque une date anniversaire, le poète et dramaturge espagnol avait été fusillé par des rebelles franquistes, le 19 août 1936, à Viznar près de Grenade. Son corps jeté à proximité dans une fosse commune n’a toujours pas été retrouvé à ce jour. Le régime de Franco décida l’interdiction totale de ses œuvres jusqu’en 1953 lorsque Obras completas (très censuré) fut publié. Ce n’est qu’avec la mort du caudillo, en 1975, que la vie et le décès de Lorca purent enfin être évoqués librement en Espagne.

« Les guitares jouent des sérénades
Que j’entends sonner comme un tocsin
Mais jamais je n’atteindrai Grenade « Bien que j’en sache le chemin »
Dans ta voix, galopaient des cavaliers
Et les gitans étonnés levaient leurs yeux de bronze et d’or
Si ta voix se brisa, voilà plus de vingt ans qu’elle résonne encore
Federico García
Voilà plus de vingt ans, Camarades que la nuit règne sur Grenade … »

J’étais jeune adolescent lorsque je découvris ces vers de Jean Ferrat qui ne chantait pas pour passer le temps. Mon père me parla alors de Federico Garcia. Au début des années 1950, avec mes parents et mon frère, dans la Peugeot 203 familiale, nous avions atteint Grenade !
Au lycée, en cours d’espagnol, j’eus l’occasion d’étudier, d’apprendre et réciter A las cinco de la tarde, le magnifique poème que Lorca dédia à la compagne du populaire torero Ignacio Sànchez Meijas encorné dans les arènes de Manzanares et mort de la gangrène deux jours plus tard : « La mort déposa ses œufs dans la blessure/À cinq heures de l’après-midi/ Juste à cinq heures de l’après-midi ».
Le Grand Jacques … Brel « bruxellait » les femmes en chrinoline sur le pavé de la place Sainte-Catherine, mais il chanta aussi :

« Les toros s’ennuient le dimanche
Quand il s’agit de souffrir pour nous, mais
Voici les picadors et la foule se venge
Voici les toreros et la foule est à genoux
Et c’est l’heure où les épiciers se prennent pour Garcia Lorca
C’est l’heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita »

Voyez jusqu’où une photographie peut nous emmener !

Ste Catherine Votez PSOE

Avec « Le vote de Fraga », le journaliste d’El País Pablo Juliá démontre qu’une bonne photographie est une combinaison de chance, d’intuition et d’expérience.
L’homme politique Manuel Fraga, « fils prodigue du franquisme » comme on l’appelait dans les années 1960, survécut avec beaucoup d’opportunisme et sans état d’âme à la disparition du dictateur. Deux jours après sa mort, il était déjà dans le bureau du roi Juan Carlos Ier pour travailler à la transition démocratique !
Ici, il donne une conférence de presse à Séville au lendemain d’élections régionales pour lesquelles il supportait les couleurs du Parti Populaire (PP).
Le photographe connaissait les habitudes de Fraga qui, chaque fois qu’il se levait de table, réorganisait les papiers et journaux devant lui. Cela ne manqua pas et Pablo Juliá captura l’instant où Fraga tenait en main une affichette encourageant à « Votez PSOE », le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol !
Le rédacteur en chef d’El País arrêta l’impression de la première édition du journal et plaça en Une la photographie de Pablo que Fraga commenta ainsi : « Juliá, tu es une bonne journaliste et un grand fils de pute » !
Autre temps, autres mœurs, beaucoup d’entre vous ont sans doute vu la photographie, générée par MidJourney, du pape François paradant en doudoune immaculée Balenciaga. Il s’agit bien sûr d’humour mais avec la montée en puissance de l’Intelligence Artificielle, la désinformation par la photographie de propagande et les manipulations de fausses vraies images deviennent aujourd’hui une menace majeure pour la liberté de la presse.

Ste Catherine fille

Carlos Pérez Siquier photographia pendant une décennie le quartier pauvre de La Chanca à Almeria. Avec ses splendides noir et blanc, il documenta la beauté dans les endroits les plus délaissés. L’esthétisme de « La Niña Blanca » (1958) en est un superbe exemple. Dans une lumière rasante, les plissements de la robe de la fillette font écho aux rugosités du mur chaulé.
On en serait presque à partager le sentiment de Charles Aznavour quand il chante : « Il me semble que la misère/Serait moins pénible au soleil ».
Cette photo me replonge dans mes souvenirs d’enfance. J’étais encore tout minot, au début des années 1950, lors d’un voyage en famille en Andalousie, des enfants guère plus âgés que moi venaient quémander un biscuit à la portière de la voiture. Ces scènes sont d’ailleurs immortalisées sur des films 9,5 mm que mon père réalisait.
Cinquante ans plus tard, Siquier reçut la visite de la « niña blanca » Ils se rendirent sur le lieu où elle avait été immortalisée mais ne retrouvèrent aucune trace de la maison.

Ste Catherine enfant valise

Raíz de sueños (Racine des rêves), son premier projet sur le sol latino-américain, emmena Juan Manuel Diaz Burgos en République Dominicaine. Il concentra son travail sur un batey, une sorte de bidonville où sont logées les familles d’ouvriers de la canne à sucre. C’est là qu’il rencontra Enó, « l’enfant à la valise » (1993).
La combinaison du chemin, de la valise et de l’enfant a donné à l’image un sens qui va au-delà de sa lecture littérale.
Au cours des années suivantes, le photographe revint au même endroit avec des jouets qu’il distribua à tous les enfants. Tous sauf Enó, qui avait émigré dans son pays d’origine, Haïti, avant d’être emprisonné quelques années plus tard à Saint-Domingue.
Au-delà de sa charge émotionnelle, cette scène marque la fin de ma déambulation sur le pavé de Sainte-Catherine. Avec les inoubliables Frères Jacques, je pourrais chanter : « Que c’est beau la photographie ! »
Bientôt, je retrouve le reste de la famille de retour de ses emplettes. Ce soir encore, nous préférons la douceur de l’appartement. Nous commandons à la Chicago Trattoria, une excellente enseigne italienne voisine que nous avons déjà testée en de précédentes circonstances. Après la péninsule ibérique, je choisis de voyager dans la botte avec des savoureux spaghetti alle vongole (palourdes).

Spaghetti vongole

Déjà, se profile le retour en Ile-de-France. Cette fois, pas de « grasse mat », nous programmons en ce dimanche matin, une visite à l’ancienne Bourse de Bruxelles qui, fraîchement débarrassée de ses palissades et échafaudages, a fini de se refaire une beauté, 150 ans exactement après son inauguration lors d’un bal royal donné le 27 décembre 1873.

Bruxelles Bourse 1Bruxelles Bourse 2Bruxelles Bourse 3

Bourse dehors

Bourse lion

D’architecture dite éclectique empruntant aux styles néo-Renaissance et Second Empire, elle fut l’œuvre de Léon Suys s’inscrivant dans un programme d’assainissement et d’embellissement de Bruxelles, du voûtement de la Senne et de la création des boulevards du centre.
Au fil des décennies, la Bourse perdit son aura de temple belge de la finance, les derniers agents d’Euronext quittant les locaux en 2014.
Chéri par les Bruxellois, son parvis sert fréquemment de lieu de rassemblement : de liesse lors des victoires des Diables Rouges de l’équipe nationale de football, de recueillement, ainsi à la suite des attentats de 2016, on y chanta Quand on n’a que l’amour de Jacques Brel et le Bruxelles de Dick Annegarn.

« Je serai abattu, courbatu, combattu
Mais je serai venu
Bruxelles, attends-moi j’arrive
Bientôt je prends la dérive. »

Auguste Rodin, qui vécut quelques années à Bruxelles dans sa jeunesse, collabora à certaines sculptures extérieures mais son nom n’apparut pas.
Surprise, à l’intérieur, le vaste hall apparaît comme une grande galerie, assez déserte en ce milieu de matinée dominicale, faisant office de traversée vers la Grand-Place. La sortie (ou l’entrée selon le sens de notre promenade) percée à hauteur de l’église Saint-Nicolas, n’est pas très heureuse architecturalement, laissant penser à une vaste bouche de métro.
Les Bruxellois qui aiment les passages couverts sont gâtés encore qu’à la différence des Galeries Royales Saint-Hubert, celui-ci n’est doté comme commerce que d’une cafeteria. L’intérêt réside essentiellement dans la beauté de la restauration. Certes, tout est en faux marbre mais les colonnes, les moulures des plafonds, les fresques aux murs, la coupole créent une majesté certaine. Des bancs en chêne massif sont à la disposition des passants pour humer quelques instants l’atmosphère de cette nef monumentale. On peut imaginer qu’elle s’animera peu à peu, la tenue d’événements culturels étant envisagée. Pour l’instant, on « essuie les plâtres » magnifiques au demeurant.

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Dans une alvéole de ce vaste espace, un peu trop confidentiellement à mon goût, nous est proposée une exposition photographique encore gratuite : « Sans Papiers, Sans Droits, Sans Abri ». Tout un programme, bien sûr je m’y attarde.

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Un texte en préambule présente les intentions des concepteurs de l’exposition :
« Nous partageons la ville avec de nombreuses personnes venues d’ailleurs, qui parfois sont “sans papiers” ou sans titre de séjour valable.
Beaucoup ont fui des situations difficiles, parfois dramatiques, en quête de sécurité et d’horizon, dans l’espoir d’un autre possible.
Certain-es viennent d’arriver. D’autres sont là depuis des années. Certain-es ont des enfants, d’autres sont des enfants. Certain-es naissent ici, « sans papiers » dès leurs premières heures. D’autres encore sont des adultes isolés, jeunes ou moins jeunes.
Parmi elles et eux, des malades, parfois à un stade avancé.
Ces réalités sont souvent cachées, occultées.
Les politiques migratoires et leurs modalités d’application bloquent un nombre croissant de personnes dans l’impasse du sans-abrisme et de l’errance.
Le retour aux terres d’origine n’est souvent pas une option pour ces corps et ces âmes trop usés par des années de déracinement, sans autre perspective que l’invisibilité.
Pourtant, nous nous croisons tous les jours. Nous respirons le même air et composons l’histoire de notre ville, de notre société, de notre humanité. Nous sommes ensemble, ici et maintenant.
Pour témoigner de la réalité de personnes en situation de séjour précaire, accompagnées par le Samusocial, le photographe Cédric Gerbehaye et l’autrice Caroline Lamarche nous invitent à les rencontrer …
Ces personnes doivent pouvoir être considérées, aidées et protégées. C’est une question de bon sens, de droits et de dignité, la leur autant que la nôtre. »
Parallèlement à l’exposition, une campagne d’affichage des portraits de ces « héros de corvée » est menée sur les murs de la ville. Je ne suis pas certain que la même volonté de sensibilisation existe chez nous. On préfère se complaire dans des joutes politiciennes aussi médiocres que stériles, faisant rimer migrants et délinquants.
Quatre portraits, quatre parcours nous sont présentés. Je vous en propose deux ici, d’abord celui d’Hassan, 17 ans :

Hassan 1

« On vivait près d’Alep, en Syrie. J’étais à l’école primaire. Puis les écoles ont fermé à cause des bombardements. Alors mon père a décidé de partir. La Turquie c’était le plus près. On est partis s’installer pas très loin de la frontière. J’avais neuf ans.
On a rencontré un fermier qui a proposé qu’on travaille pour lui, il nous logerait, nous nourrirait et nous paierait à la fin de l’année. Mais à la fin, il a refusé de nous payer. On a pris un crédit pour louer un appartement. Mon père est devenu livreur. Ma sœur et moi, on a travaillé dans une usine de vêtements. Comme le patron ne nous payait pas, le propriétaire de notre appartement nous a mis dehors. On avait des dettes et, à force de travail, la santé de mes parents était délabrée.

Hassan 2

Pour sortir de cette galère, mon père a décidé de m’envoyer en Europe. Il avait un cousin au Liban, qui voulait aussi venir en Europe. On allait voyager ensemble. Le moment du départ a été le pire moment de ma vie. Je devais partir à cinq heures, quand tout le monde dormait. J’ai juste vu mes parents, ils pleuraient. Je me suis demandé si je devais vraiment partir mais je ne pouvais pas faire marche arrière.
Le cousin et moi on est partis d’Edirne, une ville proche de la frontière grecque. On dépendait des passeurs pour tout. C’était l’hiver, il faisait froid, il pleuvait, on marchait de nuit sans lumière, on se perdait tout le temps, on a été poursuivis par la police et j’ai perdu toutes mes affaires. Après, j’étais vraiment malade. J’ai appelé ma famille, j’ai dit que je n’en pouvais plus et que j’allais me rendre à la police. Ma famille m’a encouragé à tenir parce qu’après la Grèce, le Kosovo et l’Albanie, il ne restait plus que deux jours de marche pour arriver en Serbie.
On est restés deux mois en Serbie dans un camp de réfugiés. Puis un oncle de ma mère a payé le reste de mon passage, 3.300 euros rien que pour aller de la Serbie à l’Autriche. Le cousin de mon père est resté en Autriche pour faire sa demande d’asile. La plupart d’entre nous allaient aux Pays-Bas ou en France, personne pour la Belgique, où j’ai un oncle et des cousins. Une voiture est venue me chercher, payée à l’avance par un oncle en Allemagne, mais le chauffeur n’a fait que cinq kilomètres en Belgique et m’a lâché dans un petit village. J’ai tourné une heure et demie sans voir personne, puis une camionnette de police est passée et les policiers ont parlé avec moi. Ils m’ont demandé si j’avais faim et soif. Ils m’ont fait monter et ils m’ont déposé dans une gare en me disant d’aller à Bruxelles pour demander l’asile. Ils étaient très sympas.

Hassan 3

Le voyage vers ici a été la pire chose de ma vie. Je ne savais pas qu’il pouvait y avoir tant d’humains mauvais. Mais il y a eu parfois des gens bien. Avec le cousin de mon père, j’ai beaucoup parlé. Et puis, il y a eu un garçon qui m’a prêté son sac de couchage quand je n’avais plus le mien et qui a dormi sans rien. À Bruxelles, je me sens chez moi. Le plus important pour moi, c’est de retourner à l’école et payer mes dettes envers les gens qui m’ont aidé à venir. L’endroit que je préfère ? L’Atomium. Mon rêve ? Joueur de foot. Et avoir une vie normale. J’appelle ma mère trois fois par jour. C’est indispensable pour le moral. J’essaie toujours de la rassurer, de lui dire que je vais bien, même quand je vais moins bien. »
Mariana, 65 ans, nous raconte ses tribulations :

Sans papiers 2

« Je suis roumaine. Ma mère est morte quand j’avais 13 ans. Mon père s’est remarié et il n’a plus fait attention à mon frère et moi. Je voulais entrer à l’armée, mais il n’a pas voulu. J’ai étudié pour devenir comptable. Là, j’ai connu mon premier mari, il était Zaïrois et étudiait l’agriculture.
On est partis au Zaïre en 1982. J’ai trouvé du travail dans une usine textile belge où j’étais cheffe de service. Mais je ne m’attendais pas à devoir prendre en charge les vingt-sept personnes de la famille qui vivaient sur notre parcelle, et pendant ce temps-là mon mari avait d’autres femmes. Je lui ai dit : « Ou je porte plainte contre toi ou bien je te laisse tout et je pars avec les enfants. » Mes enfants avaient huit, cinq et quatre ans. Mon fils, je l’ai envoyé en Roumanie chez mon frère, qui vivait dans un appartement à moi. Avec mes deux filles, j’ai trouvé une chambre dans une maison de l’État. Quand j’ai demandé le divorce, mon mari a vidé les comptes de toutes mes économies. Cela m’a rendue malade, j’ai dû aller aux urgences.
J’ai ensuite rencontré un homme qui voulait m’épouser mais je me méfiais maintenant. Il m’a attendue six ans, puis on s’est mariés. Il était Directeur Général des Impôts mais quand Mobutu a dû partir en 1997, lui et trois autres conseillers ont été empoisonnés et sont morts.
Avec lui, j’avais un fils. La succession a été compliquée par la corruption de la Justice, je devais me battre en permanence. Si j’avais pu récupérer nos biens, j’aurais pu lancer ma propre affaire.
À Kinshasa, j’avais fondé une association pour les veuves. Un jour, en 2017, je sors d’une réunion, une voiture s’arrête, deux hommes en descendent et m’enlèvent. J’ai pensé que c’en était fini de moi.
Mais quand l’un des deux a ouvert mon sac, il a trouvé les lettres que j’écrivais à l’administration pour aider les veuves et il s’est excusé. Mon fils m’a alors dit que c’était dangereux de rester. De toute façon, nos passeports allaient être périmés. Après beaucoup de démarches, on a pu enfin aller en Roumanie refaire nos passeports. Mais là, un employé de l’aéroport a dit en regardant mon fils : « Qu’est-ce que c’est que ce singe ? ». J’ai calmé mon fils.
Mon fils aîné, venu nous accueillir, m’a appris que mon frère l’avait mis dehors et avait vendu mon appartement. Je n’avais plus d’endroit où aller. Ma première fille vivait au Canada et ma deuxième fille à Bruxelles. Je me suis installée à Bruxelles chez ma seconde fille mais j’ai dû partir parce que ce n‘était plus possible. Or, pour avoir une carte de séjour, il faut une adresse. J’ai enfin pu enregistrer mon domicile au Samusocial et, à partir de là, j’ai cherché du travail tous les jours, toute la journée.

Sans papiers 3

Depuis peu, j’ai un contrat pour nettoyer dans un restaurant et j’ai enfin la carte de séjour. Maintenant, je cherche une chambre. C’est difficile parce que je ne gagne pas beaucoup. Alors j’aimerais trouver un deuxième travail. J’aime me battre et je crois en Dieu. Je m’en fiche de la retraite. Quel âge vous me donnez ? 60 ? J’en ai 65. Je ne suis pas fatiguée, je suis forte comme un homme. »
La musique adoucit les mœurs, dit-on. Après ces émouvantes confessions, écoutons l’artiste malien « Vieux » Farka Touré chanter avec ses musiciens dans le hall du Palais de la Bourse avant sa restauration :

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En route maintenant pour la visite du Belgian Beer World, le musée de la bière belge qui occupe trois étages au-dessus du grand hall. La bière est un sujet sérieux en Belgique à tel point qu’elle est officiellement inscrite au patrimoine culturel immatériel mondial, comme le carnaval de Binche et la pêche des crevettes à cheval d’Oostduinkerke.

musée bière 1

L’entrée avec l’achat des tickets s’effectue au niveau du hall : 17 euros par personne, 14 pour notre condition de sénior avec dégustation gratuite d’une bière de notre choix en fin de parcours. En guise de comparaison, la visite du musée Magritte ne coûte que 8 euros.
C’est déjà le premier sujet de controverse qui alimente les polémiques autour de la création de ce qui entend devenir une attraction majeure de Bruxelles. Le coût de l’opération, avoisinant les 90 millions d’euros à la charge principalement du contribuable bruxellois, a déclenché l’ire des opposants au projet qui trouvent « la ville de Bruxelles bien ingrate de balayer 150 ans de progrès pour vendre des pintes ». Un comble, la municipalité aurait employé 13 millions d’euros du fond Résilience post-covid destiné aux entreprises et commerçants. Le bourgmestre, en guise de justification, cita avec humour le musicien guitariste Frank Zappa : « Un pays n’existe pas s’il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne. Éventuellement, il est bien qu’il possède également une équipe de football et l’arme nucléaire, mais ce qui compte surtout c’est la bière »
Autre point de discorde, le mécontentement de beaucoup de brasseries artisanales qui trouvent qu’on y fait trop mousser les brasseries industrielles.
Bref, une véritable mise en bière !
La visite débute dans une vaste salle consacrée à la « Belgitude » : « Notre bière est un brassin d’humour, de créativité, de tradition, de modestie et d’inventivité. Entrez dans la parade des histoires sur les grains et les levures, sur le houblon et les moines, sur les grandes découvertes et les petites trouvailles. »
Attention à l’eau ! En guise d’avertissement : « Il est conseillé aux visiteurs de ne pas boire l’eau de l’époque médiévale ! Sinon, les maladies et les épidémies vous engloutiront. Prenez exemple sur nos pères, nos béguines, nos nonnes et nos moines : buvez de la bière ! On la bout et on y ajoute du houblon. Et maintenant, vous ne risquez plus rien. Au lieu d’être malade, cela vous rend gai, et, ce qui ne gâche rien, c’est délicieux. Depuis mille ans, chez nous, vous pouvez goûter le savoir-faire de nos moines brasseurs qui vivaient à une époque où les selfies s’affichaient encore dans les vitraux. »

musée bière 3musée bière 2

« Les Flamandes dansent sans sourire,
Sans sourire aux dimanches sonnants
Les Flamandes dansent sans sourire
Les Flamandes, ça n’est pas souriant.
Si elles dansent, c’est qu’elles ont septante ans
Qu’à septante ans il est bon de montrer
Que tout va bien, que poussent les p’tits-enfants
Et le houblon et le blé dans le pré:
Toutes vêtues de noir comme leurs parents
Comme le bedeau et comme son Eminence
L’Archiprêtre qui radote au couvent.
Elles héritent et c’est pour ça qu’elles dansent
Les Flamandes, les Flamandes … »

… Et les Wallonnes et les Bruxelloises ! De petites figurines dansent sur les écrans au rythme des flonflons de fanfares. À défaut du Grand Jacques, on perçoit un instant la voix d’Arno, il est vrai que la bière contribua sans doute à son timbre unique. J’apprendrai plus tard qu’une bière vient d’être créée en son hommage. Elle porte le nom d’une de ses toutes dernières chansons : Oostende Bonsoir !

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Un adieu mais aussi peut-être un clin d’œil à Jean-Roger Caussimon et Léo Ferré que la ville du littoral inspira :

« J’suis parti vers ma destinée
Mais voilà qu’une odeur de bière
De frites et de moules marinières
M’attire dans un estaminet
Là y’avait des types qui buvaient
Des rigolos des tout rougeauds
Qui s’esclaffaient qui parlaient haut
Et la bière on vous la servait
Bien avant qu’on en redemande … »

Le bourgmestre « empêché » (belgicisme qualifiant un maire qui, pendant l’exercice de sa fonction, exerce une fonction de membre du gouvernement) Rudi Vervoort, ministre-président de la Région Bruxelles-Capitale, a déclaré lors de l’inauguration : « Même pour un politicien, la bière peut aider, parfois en tout cas ! »
Pensait-il à l’affaire du « pipigate », comme l’ont baptisée les médias, qui a secoué la Belgique, ou du moins l’a fait tordre de rire. Alors que le ministre de la Justice belge fêtait ses cinquante ans, à la mi-août, à son domicile, des caméras de surveillance ont surpris trois de ses invités en train d’uriner sur un fourgon de police garé à proximité. Le ministre a été contraint de présenter ses excuses au Parlement, lors d’une audition extraordinaire. Un comble dans la ville dont le monument le plus visité est la petite fontaine en bronze du Manneken Pis !
On pense bien sûr aux Bourgeois de Brel :

« Le cœur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l’ami Jojo
Et avec l’ami Pierre
On allait boire nos vingt ans
Jojo se prenait pour Voltaire
Et Pierre pour Casanova
Et moi, moi qui étais le plus fier
Moi, moi je me prenais pour moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l’hôtel des « Trois Faisans »
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières … »

Gambrinus 1Gambrinus 2

Une statue géante de Gambrinus jovialement assis sur un tonneau vous toise. Des légendes houblonnières courent sur ce personnage mythique. Il est souvent identifié comme Jean 1er duc de Brabant qui, à l’issue de la bataille de Woeringen (1288) dans le cadre de la guerre du Limbourg, aurait fêté sa victoire juché, une chope à la main, sur une montagne de tonneaux, pour prononcer un discours. Parfois, le mythe est inspiré par Jean sans Peur, duc de Bourgogne (mais aussi comte de Flandre et d’Artois), fondateur en 1409 de l’ordre du Houblon d’or.
En tout cas, aucun personnage de la tradition belge ne jouit à l’étranger d’une plus grande renommée que le roi Gambrinus. L’Allemagne, la Suisse, les pays scandinaves, l’Irlande et bien sûr le Flandre française (il aurait vécu à Fresnes-sur-Escaut) se plaisent à rendre hommage à cet illustre bienfaiteur de l’humanité buvante.
Alors, allons-y gaiement pour les légendes et inexactitudes. Gambrinus aurait créé les célèbres bières bruxelloises faro et lambic. Il aurait également posé les bases de l’industrie brassicole du Brabant en octroyant des licences de brassage et de vente. Président de la guilde des brasseurs bruxellois, il appréciait particulièrement ce breuvage dont il était capable d’engloutir des quantités impressionnantes. Ce chevalier intrépide (sans peur ?) était donc tout désigné pour devenir une figure emblématique de la bière, un ambassadeur de la joie de vivre et de la bonne humeur.
Ce qui est peut-être vrai, c’est que dans le sous-sol de la Bourse, sur le site archéologique Bruxella 1238 (pas encore ouvert au public), on pourra voir la sépulture de Jean 1er duc de Brabant. Gambrinus enterré sous le Belgian Beer World, c’est une belle histoire belge !
Il n’est pas certain que les zytophiles – j’ai découvert que c’est le nom donné aux amateurs de bière – seront satisfaits. Plus qu’un musée, les objets anciens sont rares et les concepteurs ont choisi une scénographie basée sur l’interactivité et la technologie high tech. Si l’on n’a pas la volonté ou la curiosité de toucher les écrans pour accéder aux nombreuses informations, la déception peut vous guetter. Exemple : dans une petite salle baptisée « Yeast Theater » (théâtre de la levure), on accède à une présentation amusante sur les levures, leurs spécificités et leur rôle. Chacun des murs, mais aussi le sol, se recouvrent de visuels bariolés pour nous plonger au cœur d’un fermenteur, et de l’air chaud ou froid vient mimer les conditions favorites de ces différentes souches. Nous apprenons que les notes fruitées ou épicées des bières belges ne proviennent pas de l’ajout de fruits ou d’épices, mais de la levure utilisée par les brasseurs pour fermenter leur bière. Les souches de levure belges sont connues pour produire des composés fruités appelés esters et des composés épicés appelés phénols.

musée bière 4

musée bière plaquesmusée bière fermentation

Bières à gogo : bières fortement houblonnées, bières de fermentation basse, bières d’orge (la ruée vers l’orge ?), bières de fermentation haute, bières faiblement houblonnées, bières de fermentation mixte, bières de fermentation spontanée, bières fromentacées, bières brunes, bières blondes, bières fortes, bières de sport, bières avec fermentation en bouteille, bières douces, bières légères, bières corsées, bières aux fruits, bières acides …
La salle la plus impressionnante est le « hall of fame » avec ses vitrines exposant plus d’un millier de bouteilles de bière accompagnées de leur verre, car en Belgique, boire une bière dans un verre inadapté est sacrilège.
Chaque bouteille raconte une histoire.

musée bière vitrine bouteilles

Bière Bourgogne de Flandres

Curieuse appellation, la Bourgogne des Flandres provient d’une brasserie-distillerie installée au centre de Bruges non loin du célèbre beffroi qui figure sur l’étiquette de la bouteille. C’est un exemple typique de la tradition flamande des bières de coupage consistant ici à mélanger les meilleurs lambics (fermentation spontanée) avec une bière brune de haute fermentation, puis subissant des mois de maturation dans des fûts de chêne.

Bière  Waterloo

« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons… »

Ici, Waterloo n’est ni un poème de Victor Hugo, ni la reddition des belles suédoises du groupe Abba à leur soupirant, mais the Beer of Bravery, la bière du courage, brassée à la ferme de Mont-Saint-Jean située sur le champ de la déroute napoléonienne. À la santé des grognards français !

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Bière Pécheresse

La bière Pecheresse est née d’un flirt d’une bière lambic avec du jus de pêche. Comme l’affirme son brasseur, cette bière fruitée n’est pas un péché, au contraire même elle se boit agréablement avant ou après la messe. Très appréciée de la gente féminine, elle se déguste dans une élégante flûte.

Bière KwaremontKwaremont

L’incorrigible passionné de cyclisme que je suis ne manque pas d’associer immédiatement la bière Kwaremont au fameux berg escaladé par les coureurs du Tour des Flandres (en flamand, Ronde van Vlaanderen). Je suis conforté par la publicité : « la Kwaremont est la bière de tous les amateurs de cyclisme, blonde elle affiche le tempérament corsé de la célèbre ascension dans les Ardennes Flamandes. Cette bière aux malts puissants apporte une bonne dose de sucres liquides après l’effort. Elle titre 6,6% comme les meilleures côtes ! »

Bière mort subiteBière Chouffe houblonBière Chimay trappistesBière Trpel KarmelietBière DivineBière Delirium

En vertu de l’incontournable recommandation, il s’agit de boire avec modération sinon on risque de voir des éléphants roses comme ceux des bouteilles de la bière Délirium Red aromatisée à la cerise. La Brasserie Huyghe ne manque pas d’humour puisqu’elle compte aussi dans sa gamme la bière Délirium Tremens ! Une manière savoureuse de boire la vie en rose !
Bientôt, midi va sonner au Carillon du Mont des Arts. Un jour sur deux, il diffuse « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? », un hymne non officiel du Royaume de France durant les Première et Seconde Restaurations.
Ponctuellement, on peut être bien sur la terrasse de la Bourse, le rooftop pour faire branché, pour déguster la bière de notre choix incluse dans le prix du billet. Si l’on n’a pas le vertige, on jouit d’une vue à 360 degrés, imprenable sur Bruxelles.

Bourse rooftop 2Bourse rooftop 1Bourse rooftop 3

Je ne résiste pas à vous raconter la dernière histoire belge dont j’ai été témoin à la télévision. Lors de la toute récente rencontre Belgique-Azerbaïdjan, au stade du Heysel, je fus interpellé par la curieuse attitude des footballeurs azéris au moment de leur hymne national. Et pour cause, les haut-parleurs du stade diffusèrent intégralement l’hymne … suédois ! Peut-être, le préposé à la sonorisation avait-il laissé le CD sur la platine depuis le funeste Belgique-Suède ? En bon diplomate, le capitaine de la formation belge intervint rapidement auprès des officiels et le bon hymne put être joué après La Brabançonne.
On ne peut pas être mieux qu’au sein de sa famille, on appelle un taxi pour retrouver nos jeunes gens aux Petits Oignons, un restaurant, à proximité du Palais de Justice, qui justifie son appellation déjà par la gentillesse de son accueil. Conduite oblige, j’accompagne les rognons d’une eau pétillante.

Petits Oignons

On apprend que la France accueillera les Jeux Olympiques d’hiver en 2030. La Belgique a déjà décrété qu’à cette date, elle fêterait l’année de la Bière ! Que Dieu me prête vie encore sept ans … !

http://encreviolette.unblog.fr/2021/12/08/flaneries-a-bruxelles/
http://encreviolette.unblog.fr/2022/04/29/flaneries-a-bruxelles-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2022/05/21/flaneries-a-bruxelles-3/
http://encreviolette.unblog.fr/2023/01/08/flaneries-a-bruxelles-4/

Publié dans:Coups de coeur |on 6 décembre, 2023 |1 Commentaire »

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