Ici la route du Tour de France 1953 (3)
Pour revivre les 16 premières étapes de ce Tour de France 1953 :
http://encreviolette.unblog.fr/2023/06/27/ici-la-route-du-tour-de-france-1953-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2023/07/12/ici-la-route-du-tour-de-france-1953-2/
J’ai achevé mon deuxième billet alors que 82 concurrents rescapés du Tour profitaient de leur seconde journée de repos en Principauté de Monaco, un privilège dont ne pourraient plus jouir les champions d’aujourd’hui, encore que les organisateurs envisagent une dernière étape contre la montre entre Monaco et Nice à l’occasion du Tour 2024 pour cause de Jeux Olympiques.
Louison Bobet, qui fait office de favori aux yeux des spécialistes, est allé se dégourdir les jambes du côté du Cap Martin, et en attendant les fruits de la victoire, a savouré ceux de la tarte que mademoiselle Colette Picard, l’hôtesse de l’hôtel de l’Europe à Menton, lui a spécialement préparée. Sur le chemin du retour vers Monaco, il a roulé quelques kilomètres en compagnie du maillot vert Fritz Schaer en chemisette et short.
Parce qu’ils doivent remplir les colonnes de leur journal, les suiveurs ne se reposent pas et choisissent un angle décalé pour leurs articles.
Ainsi Marcel Hansenne regrette le temps des Tours d’avant : « Les coureurs n’ont plus le temps de faire des bons mots. Cela signifie la disparition intégrale de ce que nous appellerons l’époque pagnolienne. Il fut un temps, en effet, où Marcel Pagnol exerçait une forte influence sur les épreuves cyclistes. Ses interprètes favoris étaient René Vietto et Apo Lazaridès. On leur doit des dialogues d’une surprenante saveur, qui valaient bien aux yeux des dilettantes, les plus belles échappées de l’histoire cycliste. »
René de Latour brosse avec verve le portrait du coureur « invisible » pourtant bien présent dans le peloton : « Il existe dans le Tour de France une catégorie de concurrents tout à fait particulière, c’est celle des « invisibles ». Ils roulent, mangent, boivent, dorment comme les autres. Ils ont un nom, une valise en duralumin, un numéro matricule, un maillot plus ou moins bariolé, un stock de boyaux italiens, une pharmacie ambulante et des musettes interchangeables à chaque contrôle de ravitaillement. Leurs bidons pleins sont vidés. Leurs bidons vides sont jetés. Et, fait curieux, leurs jambes s’agitent au même rythme que ceux qui appartiennent à toutes les autres catégories. Les « invisibles » poussent même la ressemblance jusqu’à rouler aussi vite que les vrais coureurs. Mais jamais plus. Pourtant, ce ne sont que des touristes pris en charge comme s’il s’agissait d’une tournée bien organisée, avec chambres retenues à l’avance, menus établis de longue date et itinéraires fouillés au millimètre et à la seconde.
Que font-ils dans la course ? Nul ne le sait… et eux encore bien moins. Ils ne se le demandent d’ailleurs même pas. Ils ont surtout pris le départ, ce qui est bien la chose essentielle pour tout « invisible » qui se respecte. Pour en arriver là, ils ont intrigué, couru les salles de rédaction, tenté de faire jouer leurs relations, rappelé des performances passées et juré leurs grands dieux que si jamais on leur faisait confiance on allait voir ce qu’on allait voir.
Mais le fait est là : on ne voit rien. Jamais rien. Ils n’abandonnent pas, ne tombent jamais, ignorent même la crevaison. Chaque matin, au départ de l’étape, Henri Boudart clame leurs noms. Il est d’ailleurs le seul qui puisse se vanter de bien connaître leurs silhouettes. Á pied… évidemment. Car c’est surtout lorsqu’il est juché sur une bicyclette que l’ « invisible » le devient vraiment. Avant d’appuyer sur les pédales, il est tout. Quelques secondes plus tard, il n’est plus rien. Le peloton s’ébranle… l’« invisible » a disparu. Les suiveurs auront cent choses à relater, mille incidents à noter, trois douzaines d’échappées à contrôler, numéro par numéro. Mais celui de l’« invisible » ne sera jamais accolé à l’un d’eux sur l’ardoise.
L’« invisible », lui, réalisera ce tour de force d’échapper à toute constatation d’existence. Comme « soufflé » par une bombe, il aura disparu aux yeux des suiveurs. Noyé dans la masse mouvante du peloton, il s’y amalgame si bien, s’y perd si parfaitement qu’on l’oublie aussi totalement que s’il n’était jamais né.
Même parmi ceux qui prétendent avoir de bons yeux, nul ne le repère, ne le distingue. Il est là sans y être, tout en y étant.
Il n’est jamais à l’arrivée, ce qui nécessite l’affirmation d’une personnalité ou d’une volonté. Á l’arrière non plus. Car l’« invisible » (ne lui faisons pas cette injure) est loin d’être un toquard. Il tient très bien les roues. Il a parfois un très beau palmarès. Et, lorsqu’il est lâché, ce n’est jamais seul de façon que nul ne puisse le distinguer et qu’il continue à rester invisible, impalpable. Jusqu’au bout. Car il va parfois jusqu’au bout, l’« invisible ». La Tour Eiffel se dessine à l’horizon qu’il est toujours là, insoupçonné, incognito, plus que jamais.
Personne ne crie son nom sur le bord des routes. Et pour cause… Comment le public saurait-il qu’il a disputé le Tour ? Il n’a pas gagné de quoi s’offrir huit jours de vacances. L’argent du Tour est pour ceux qui justifient leur présence. Une fois ce périple terminé, l’« invisible » pleurera sur son triste sort. Jusqu’à l’an prochain. Et si les sélectionneurs lui préfèrent alors un « visible » en puissance, l’« invisible » hurlera à l’injustice.
Car il est ainsi fait l’« invisible », qu’il croit dur comme fer qu’il contribue au succès du Tour de France et que sa présence est indispensable. »
De mon côté, je profite de cette parenthèse pour me téléporter soixante-dix ans plus tard au départ du Tour de France 2023 à Bilbao. Dans la lignée des merveilleux dessins de Pellos, le dessinateur de L’Équipe Lasserpe, inspiré par le musée d’art moderne et contemporain Guggenheim, à l’architecture futuriste, de la capitale basque, présente dans une allégorie le Tour qui démarre.
Ses visiteurs sont aussi perplexes voire sceptiques devant les œuvres jaunes exposées que nous pouvons l’être devant un « bleu de Klein » mais, surtout en l’espèce, face à la domination outrancière et presque effrayante des deux mutants du Tour, le Slovène Tadej Pogacar et le Danois Jonas Vingegaard. Sans transpirer, sans essoufflement, ou presque, ils ont explosé les watts dans les cols pyrénéens à l’heure où j’écris ces lignes… !
Revenons au mardi 21 juillet 1953, nos champions de l’époque, sans capteurs de puissance mais peut-être quelques comprimés d’amphétamines dans une poche de leur maillot, disputent leur première étape alpestre Monaco-Gap, 261 kilomètres, au profil accidenté, avec l’ascension de plusieurs cols de deuxième et troisième catégorie, sous une forte chaleur.
L’air du pays donne des ailes à l’Azuréen José Mirando qui, surtout, s’est fixé comme objectif le trophée du meilleur grimpeur. Ainsi, il précède au sommet du col du Pilon (km 65) l’Espagnol Jesus Loroño justement leader de ce classement.
Mirando réitère au col des Lèques après s’être de nouveau enfui au contrôle de ravitaillement de Castellane (km 120) en compagnie du Parisien Stanislas Bober et du Hollandais Gerrit Voorting vainqueurs d’étapes au début du Tour.
Le plein de points assuré, Mirando laisse partir, dans la descente, ses deux compères. C’est alors qu’Adri Voorting, le frère de l’autre, l’Espagnol Serra et Georges Meunier le « facteur de Vierzon » se lancent à la poursuite des deux échappés qu’ils rejoignent peu après Le Brusquet (km 184).
L’ascension du col du Labouret (km 200) est fatale à Adri Voorting. Possédant plus de 5 minutes d’avance sur le peloton, on pense alors que l’étape va se jouer entre les quatre échappés. C’est sans compter sur une attaque d’un autre Hollandais, Wagtmans, qui emmène avec lui le Tricolore Antonin Rolland et Il Vecchio Gino Bartali. Est-ce la présence sur le bord de la route de son « meilleur ennemi » Fausto Coppi, venu de Novi Ligure avec ses fidèles gregarii de la Bianchi Carrea et Milano, qui a fait exploser Bartali ? C’est du moins ce que le quotidien L’Équipe met en avant en première page.
Wagtmans, Bartali et Rolland récupèrent les quatre fuyards à l’amorce du col de la Sentinelle. Dans le col, le coureur du plat pays Wout Wagtmans place une attaque décisive et, après une descente à grande vitesse, termine en solitaire à Gap, apportant une nouvelle victoire d’étape à la combative formation néerlandaise. Bartali revigoré finit deuxième à 44 secondes, Voorting et Rolland suivent à 55 secondes. Le peloton avec Louison Bobet et le maillot jaune Malléjac pointe à 3 minutes et 51 secondes.
Le Finistérien Malléjac conserve sans problème son paletot jaune. La bonne affaire est réalisée par Antonin Rolland qui se replace à la quatrième place du classement général à seulement 38 petites secondes de son leader Louison Bobet.
Pierre About dans L’Équipe : « Fausto Coppi, venu de Novi Ligure pour voir passer le Tour, s’est déclaré incapable de faire un pronostic. On comprend son embarras et on le partage : à la veille d’affronter le groupe géant Vars-Izoard, nous nous sommes retrouvés à Gap avec dix prétendants au Maillot Jaune que porte toujours le remarquable champion des cycles Terrot Jean Malléjac, dix prétendants groupés en moins de 10 minutes. Les positions déjà serrées au départ de Monaco le sont plus que jamais. Tel est le résultat de l’étape qui nous a menés au pied des grands cols. Une étape qui s’annonçait sans histoire ou tout au moins simplement nourrie d’une petite histoire qui infirme notre supposition d’hier. Les Hollandais ont recherché et trouvé une nouvelle victoire par équipes, le bouillant Wagtmans étant vainqueur à Gap après que les frères Voorting eurent lancé le coup avec Bober et Mirando, puis l’Espagnol Serra.
L’événement majeur fut l’entrée en scène fracassante de Gino Bartali si volontairement discret jusqu’à présent. »
André Leducq, deux fois vainqueur du Tour, se demande, lui, ce qu’aurait été ce Tour de France si Fausto Coppi y avait participé : « J’ai vu Fausto Coppi sur le bord de la route entre Monaco et Gap. Il avait le torse nu avec des lunettes foncées sur son nez en coupe-vent. Je l’ai reconnu trop tard pour pouvoir m’arrêter et je l’ai bien regretté. J’aurais aimé savoir ce qu’il pensait de ce Tour si ouvert, alors que l’an dernier, à la même période de la course, seul un tremblement de terre aurait pu mettre sa victoire en péril.
Sa silhouette entrevue a automatiquement fait déferler en mon esprit une vague de « si… Que se serait-il passé si Fausto, se rendant aux raisons de ceux qui auraient voulu qu’il ignore la présence de Gino Bartali avait quand même pris le départ ? Serait-il actuellement en tête avec une avance le mettant à l’abri d’une mauvaise surprise ? Aurait-il pu résister aux incessantes attaques qui ont animé la course depuis le départ ? Ses équipiers auraient-ils pu garder, de manière satisfaisante, le contrôle d’une course où chacun joue son va-tout avec une fougue rare ? Fausto se serait-il montré supérieur à Robic dans les Pyrénées ? N’aurait-il pas surveillé dangereusement Bartali ou Koblet se laissant ainsi prendre de précieuses minutes par les meilleurs tricolores ? Mais avec des « si » …
Ces questions sont autant de problèmes bien difficiles à résoudre, mais je crois pouvoir répondre, avec une chance de me tromper évidemment, à chacune d’elles. Tout d’abord, je suis persuadé que Coppi doit bien regretter son abstention. Ceci, d’autant plus que les choses ayant tourné de la manière que l’on sait, il se serait trouvé débarrassé d’un Koblet et d’un Robic qui n’ont pas été seulement victimes de la malchance, mais encore et surtout d’une « perte de vitesse », ce qui ne fait aucun doute pour ceux qui ont pu constater à quel point ils étaient cuits avant même de prendre contact avec le sol.
Le seul fait qu’Astrua soit, en son absence, le leader italien doit faire singulièrement réfléchir Fausto. Car, si je me souviens bien, Astrua n’a jamais été particulièrement menaçant pour lui lorsqu’ils se sont trouvés côte à côte.
Mais si, ayant voulu effectuer une course toute de prudence, Coppi s’était contenté d’attendre les Alpes, il est vraisemblable qu’il n’y aurait pas eu un seul homme pour lui résister sérieusement dans l’Izoard. Il est normal de considérer qu’il serait à coup sûr mieux armé pour le faire que ne l’est l’équipe italienne actuelle, aux éléments un peu trop hétéroclites et où une certaine jalousie règne. Il n’y a pas chez les Transalpins cet intérêt puissant qu’est l’appât du gain que Fausto, gagneur du Tour, faisait constamment miroiter, avec preuves à l’appui, à ceux qui n’étaient là que pour le servir fidèlement, intégralement.
J’imagine mal l’échappée de Béziers, pour ne prendre que celle-là, se déroulant avec autant de régularité, si Carrea et ses aides avaient été là pour mener un train soutenu, comme ils savent et peuvent le faire, lorsque Fausto donne l’ordre de limiter les dégâts.
Mais je ne regrette pas son absence. C’est elle qui a rendu le Tour passionnant, comme il ne l’a pas été depuis celui de 1947. »
Mercredi 22 juillet, nous y sommes : c’est l’étape reine Gap-Briançon (165 kilomètres), la bataille des Alpes tant attendue qui doit rendre son verdict à cinq jours de l’arrivée au Parc des Princes, et l’espoir pour le public français que Louison Bobet, assez discret depuis le début du Tour, assoie sa prétendue supériorité.
Trois Français s’enfuient dès la sortie de Gap, les deux régionaux du Nord-Est-Centre Jean Dacquay et Bernard Quennehen traînant comme un boulet le Tricolore de service Adolphe Deledda. L’écart va rapidement se creuser : 1’20’’ à Ubaye (km 32), 4’40’’ à Barcelonnette (km 61), 7’35’’ à La Condamine-Châtelard (km 74), jusqu’à 9’05’’ à Saint-Paul-sur-Ubaye au pied du col de Vars.
Dès les premiers lacets, Bobet lance la contre-offensive, emmenant avec lui Schaer, Nolten, Mirando et Loroño. Á l’approche de la jolie petite chapelle du Mélézen, Bobet accélère encore et seul le premier du Grand Prix de la Montagne Jesus Loroño reste accroché à ses basques.
Au sommet de Vars (km 91), Deledda passe en tête devant Dacquay et Quennehen à 15 secondes, le tandem Bobet-Loroño s’est rapproché à 1’45’’. Nolten est pointé à 2’30’’, Le Guilly et Malléjac à 2’55’’, Astrua à 3’, Schaer et Bartali à 3’45’’.
Dans la descente, Bobet déchaîné, distance Loroño puis rejoint Deledda tandis que Dacquay et Quennehen lâchent prise.
Le coup est parfait : dans la vallée du Guil, les deux Tricolores sont seuls en tête et Adolphe Deledda relayant (enfin) de toute son énergie, donne un sacré coup de main à son leader Louison qui n’a plus qu’à parachever son œuvre dans le col d’Izoard.
Bobet accélère sans à-coups et dépose Deledda dans l’interminable ligne droite très pentue entre la chapelle Saint-Laurent d’Arvieux et le hameau de Brunissard. C’est le début de sa chevauchée magistrale avec en conclusion la traversée de la grandiose et mythique Casse Déserte*.
Peu avant le sommet, Bobet a la surprise de se voir photographier par Fausto Coppi, encore une fois sur le bord de la route. L’instant a été immortalisé sur la pellicule, pas toujours pour des raisons sportives. En effet, à côté de Fausto, apparaît Giulia Occhini plus connue sous le nom de la « Dame blanche », impliquée alors dans une relation extra-conjugale avec le campionissimo qui fit scandale à l’époque dans la catholique Italie.
Au sommet d’Izoard, Bobet passe en tête. Suivent : Nolten à 3’40’’, Loroño à 4’15’’, Geminiani à 7’35’’, Bartali à 8’22’’, Mahé et Malléjac à 8’40’’, à 9’50’’ Astrua, à 10’ Schaer…
Dans la descente, Bobet, bien que victime d’une crevaison, augmente encore son avance sur ses poursuivants. Après avoir survolé l’étape, il triomphe sur le Champ de Mars à Briançon et s’empare du maillot jaune, probablement définitivement.
Félix Lévitan exprime son enthousiasme dans sa « correspondance » à Henri Desgrange :
« Cette fois, c’est bien vrai : on a dû pleurer dans les chaumières… Bobet maillot jaune, c’est Leducq vainqueur du Tour en 1930 ! C’est la fin d’une longue domination étrangère. C’est enfin un succès tricolore … Les foules désespéraient. Elles étaient « sport » pourtant, ces foules sans cesse déçues dans leur amour-propre et si elles applaudissaient sincèrement les Coppi, Koblet et autres Kubler, elles n’en gardaient pas moins dans le fond du cœur l’espoir d’une revanche éclatante.
L’heure est venue. Elle a sonné dès les pentes de Vars où Bobet s’est détaché sans coup férir. Une attaque empreinte de force et de majesté. Une lente accélération, une progression irrésistible. Et tous ses rivaux, l’un après l’autre, ont baissé la tête, accepté l’inévitable, admis sa supériorité.
Cheveux au vent, l’œil aux aguets, la mine sereine, Bobet a dégringolé Vars à toute allure, filé le long du Guil secouru par Deledda enfui depuis Gap et retrouvé après le sommet de Vars, puis attaqué l’Izoard sans appréhension, avec la certitude d’y parachever son ouvrage.
Vous vous souvenez de l’Izoard ? Il n’a rien perdu -ou presque- de son aspect d’antan. Il a conservé sa route étroite, son col poussiéreux, ses virages abrupts, ses plaques de verdure et ses déserts de pierres, sa Casse déserte, monumentale, chaotique, effrayante dans ses proportions. C’est un décor à la mesure du Tour ! C’est le décor du Tour. La course trouve là toute son expression, toute sa grandeur. C’est l’arène de la minute de vérité. Les spectateurs y sont toujours nombreux, haletants, impatients. Ils frangent la crête, s’éparpillent sur les flancs, bordent la route et scrutent intensément l’horizon dégagé. Cette ligne blanche, c’est le chemin de gloire du vainqueur. C’est le calvaire du vaincu. Un point minuscule, des chromes qui scintillent au soleil, c’est lui, c’est Bobet… On le sait, on le sent, on le voit. Bobet … c’est Bobet … Le nom vole de lèvres en lèvres, se répercute d’écho en écho, emplit le ciel d’azur et se perd dans l’éternité !
-Vas-y Louison !
On ne sait pas si on l’aime, on ne se le demande pas, on l’acclame :
-Vas-y Louison !
Et avec quelle émouvante ferveur. En 1930, c’était : « Vas-y Dédé ! »
Aujourd’hui, c’est Louison. C’est plus doux, plus tendre, moins jovial ce « Vas-y Louison ! » que ce « Vas-y Dédé ! » mais c’est avec le même amour débordant, la même reconnaissance confuse que la foule la jette aux quatre vents. C’est surtout un Français. Enfin un Français !
La remise du maillot jaune s’est faite sans cérémonie. Dès qu’il l’eût endossé, Louison Louison a simplement demandé une éponge et un peigne. Il a fait sa toilette, et il souriait, mais pas franchement, non ! Il n’y croyait pas encore, tout cela était trop beau, trop facile.
Aujourd’hui, le Tour est acquis. Plus de huit minutes sur son suivant immédiat, le solide, effacé et gentil Malléjac, près de dix sur Astrua le leader des Italiens, désolé ce soir de n’avoir pas eu la force de répondre à l’attaque de Bobet, c’est plus qu’il n’en faut, semble-t-il pour assurer la défense du maillot jaune jusqu’au Parc des Princes. »
C’est peut-être en raison de tels récits que j’eus envie, en mon âge adulte, de visiter l’Izoard*, cette cathédrale du cyclisme qu’est la mythique Casse déserte à la sortie de laquelle une stèle, avec les effigies de Fausto Coppi et Louison Bobet, immortalise les exploits que réalisèrent ici les deux grands champions disparus prématurément.
Charles Pélissier salue aussi « le plus grand exploit de Louison Bobet » :
« Il est bien difficile, ce soir à Briançon, pour un suiveur français de ne pas éprouver une satisfaction qui, pour n’avoir rien de commun avec du chauvinisme, n’en est pas moins intense.
En effet, que de fois, au soir de cette étape Gap-Briançon, n’avons-nous pas vu s’envoler tous nos espoirs de victoire française ? Depuis des années, sans rancœur, avec une sportivité qu’on nous reconnaîtra je pense, nous avons salué les exploits de nos amis italiens, suisses ou belges. On nous permettra donc aujourd’hui de saluer comme il convient celui de notre coureur numéro un : Louison Bobet.
Par un curieux retour des choses, c’est au moment où chacun pensait qu’il ne gagnerait plus jamais le Tour, où ses plus chauds partisans doutaient de lui dans les courses par étapes, qu’il vient, par une conduite de course qui fut à la fois sage et hardie, de prendre une option très sérieuse sur la victoire finale. J’ai trop souvent moi-même, tout en plaçant Louison au premier plan de nos coureurs, été sceptique sur ses possibilités de rester constamment en forme, pour ne pas dire aujourd’hui : « Chapeau bas ! ».
Á Briançon, Louison est solidement installé en tête. Son estocade est sans équivoque. Elle restera dans les grands exploits du Tour de France. Á moins de l’imprévisible accident, et bien que le Tour 1953 soit encore loin d’être terminé, Bobet devrait parvenir en vainqueur au Parc des Princes.
C’est un événement attendu par le public sportif français depuis 1946.
L’offensive de Bobet a d’ailleurs été très bien préparée. Quatre hommes s’étaient échappés avant le col de Vars. Parmi ceux-ci, un équipier tricolore : Adolphe Deledda.
Les échappés eurent jusqu’à 7 minutes d’avance. Bobet, lui, attaqua dès le bas du col, lâcha tout le monde et rejoignit les quatre leaders dans la descente. Seul, Deledda parvint à rester dans la roue du champion français, ce qui lui permit (là se révèle l’intérêt de l’opération) de faire toute la vallée en sa compagnie, de l’aider dans ce passage toujours propice aux regroupements. Dans l’Izoard, Bobet s’envola et consolida son avance jusqu’à l’arrivée.
Évidemment, les autres, tous les autres, ont souffert de la comparaison. Et pourtant, je me garderai d’oublier deux coureurs qui sont sans doute les futurs grands hommes du Tour : François Mahé et Malléjac.
Rester toute la journée en compagnie d’hommes comme Astrua, Bartali, Geminiani, après les efforts qu’ils ont déjà accomplis dans l’épreuve, voilà qui situe mieux que des mots la classe de ces jeunes gens qui réaliseront de très grandes choses dans les prochains Tours, s’ils continuent à pratiquer leur métier avec sérieux.
Le Hollandais Nolten est, lui aussi, étonnant. Ce garçon, qui s’est mal préparé cet hiver et qui a fait depuis Strasbourg, des efforts presque toujours inconsidérés, a, dans cette étape décisive, livré une chasse solitaire à Bobet. Que serait-ce s’il était plus discipliné ? »
Gaston Bénac, s’il loue la performance de Bobet à sa juste valeur, est néanmoins critique sur la qualité de ses adversaires :
« En quelques coups de pédale, qui lui permirent, lui, l’aigle de l’Izoard, de s’élever au-dessus des oisillons des vallées, Louison Bobet a conquis, et cela avec une aisance remarquable, le maillot jaune, en prenant une option sur le titre de vainqueur du Tour de France 1953.
En vérité, il n’y eut pas de lutte. Un train express luttait contre des omnibus qui s’essoufflaient derrière lui. Cette grande étape alpestre, qui donne à un Tour de France animé une conclusion éloquente, se résuma en un seul exploit, un grand exploit. Derrière, il n’y eut rien ou presque rien.
Ce fut une victoire brutale qui ne permet aucune discussion. Oui, on peut discuter le talent d’un écrivain ou d’un acteur, on ne peut discuter la violence des rayons solaires dont nous fûmes gratifiés hier. L’exploit de Bobet est d’une limpidité d’eau de roche. Un seul homme voulut répondre à son effort, le petit Espagnol Loroño, mais en quelques coups de pédale, Bobet le relégua à son rang, très brillant d’ailleurs. Un seul autre étranger tenta l’impossible, c’est-à-dire revenir sur Bobet, c’est le Hollandais Nolten. Sa vaillance, son assiduité lui valurent une brillante seconde place, récompense de son jeune talent.
Quant aux autres grands rivaux de Bobet, ils parurent, dès la descente de Vars, accepter humblement leur défaite. Et bientôt, ils ne formèrent plus, dans les premiers lacets du col d’Izoard, qu’un troupeau de moutons irrésolus que l’on menait à l’abattoir. Où étaient les grimpeurs Bartali, Schaer, Astrua ? Tous battus, archi-battus dans leur élément : la grande montagne.
« Je n’aurais jamais supposé qu’ils soient si petits ! » eût pu penser Bobet s’il avait voulu être sarcastique. Mais les journalistes italiens acceptaient la défaite avec plus de bonhomie et d’impartialité que leurs compatriotes venus par milliers sur le mont Genèvre.
« Dans ce Tour, sans Coppi, Kubler, Koblet et Robic, il n’y avait qu’un seul homme de classe : Bobet » déclarait M. Ambrosini, directeur de la Gazzetta dello Sport. »
Quant à Astrua, il n’est qu’un coureur de second plan. Vous le constatez bien maintenant. C’est comme Bartali, à 39 ans, il réalise toujours de beaux exploits, mais il ne peut plus être un champion n°1. Le danger italien était moins important qu’on pouvait le supposer. Reste le Suisse Schaer qui s’était montré brillant dans les Pyrénées. Or, lui aussi, rampa après deux heures d’effort pour s’envoler. Et dès lors, il s’incorpora dans le troupeau. Seuls, les Espagnols Loroño et Serra, ainsi que le Hollandais Nolten essayèrent de tirer timidement leur épingle du jeu. Mais ils n’étaient bientôt plus en course, tout au moins en course pour les premières places.
Et l’on se demande aujourd’hui, avant de s’élancer dans la vallée, puis dans la plaine, en prenant enfin la direction du nord, si la race des grimpeurs ne s’est pas éteinte. Quand on voit le rouleur Wagtmans, vainqueur de la première étape des Alpes, chatouiller Schaer jusqu’au bout de la grande étape de l’Izoard et devancer Bartali et Astrua, ce classement par catégories bien rangées ne doit pas être complètement révisé. Louison Bobet est loin d’être le type du grimpeur, ce qui ne l’a pas empêché d’être classé comme tel dans deux des cols les plus sévères d’Europe : Vars et Izoard.
L’homme qui monte le mieux est l’homme en forme. Lorsque ce dernier se confond avec l’homme de classe, la victoire n’est pas éloignée. Bobet vient, une fois de plus, d’en administrer la preuve.
Certains me diront : le Tour n’est pas fini. Bobet peut connaître des défaillances. Il y a encore quatre étapes à courir, et encore et surtout une de 70 kilomètres contre la montre qui pourrait lui faire perdre quelques minutes dont seul pourrait bénéficier Astrua, le meilleur dans cette spécialité.
Sans doute, mais Bobet est admirablement encadré par sept hommes qui lui seront complètement dévoués. Et ensuite, dans sa forme actuelle, il semble à l’abri de la moindre défaillance. Enfin, il est loin d’être médiocre contre la montre. Rappelons-nous sa victoire dans les Nations et aussi dans l’étape accidentée de Paris-Côte d’Azur. La victoire de Bobet, qui fut la conclusion d’excellentes tactiques mûries par Marcel Bidot ne peut être entamée d’ici Paris. Et cela surtout parce que tous ses adversaires ont aujourd’hui des âmes de vaincus, le départ de Bobet au bas de Vars leur ayant complètement coupé les jarrets. »
Jeudi 23 juillet, c’est la sortie des Alpes, direction Lyon la capitale des Gaules. Plus que 87 coureurs qui démarrent les jambes lourdes avec la perspective du col du Lautaret comme petit déjeuner.
La première escarmouche, œuvre du Lyonnais Jean Forestier (tiens tiens), est vite réprimée. Puis c’est au tour de Georges Meunier et Jean Le Guilly qui, plus heureux, parviennent à faire le trou. Ils sont suivis des Espagnols Langarica et Loroño, puis un peu plus loin par Forestier qui ne désarme pas.
Au sommet du col du Lautaret (km 25), Le Guilly passe seul en tête avec 50’’ d’avance sur Loroño, 1’20’’ sur Langarica, 1’25’’ sur Meunier et Forestier, 1’ 55’’ sur le Belge Hilaire Couvreur et 2’44 » » sur le peloton des favoris.
Dans la descente du col, Le Guilly, peu à l’aise, se fait rejoindre et même distancer par un quatuor composé des deux « orange et blanc » du Nord-Est-Centre Forestier et Meunier, et des deux coureurs ibériques Loroño et Langarica.
Á Bourg-d’Oisans (km 67), au bas de la descente proprement dite, les quatre hommes possèdent 1’20’’ d’avance sur Le Guilly qui a été rejoint par Couvreur, et 4’30’’ sur le peloton. Ils ne font qu’accroître leur avance qui atteint 13 minutes au contrôle de ravitaillement de Grenoble (km 113).
Jean Forestier passe en tête au sommet de la côte de Moirans comptant pour le Grand Prix de la Montagne (3ème catégorie). Il attaque dans la côte de Saint-Symphorien-d’Ozon située à 15 kilomètres de l’arrivée. Loroño est irrémédiablement lâché, par contre, Langarica revient sur Forestier en ramenant également Meunier.
Le public lyonnais est de plus en plus optimiste et enthousiaste quant à une victoire de l’enfant du pays Jean Forestier, d’autant plus qu’il peut compter à ses côtés sur Meunier, un équipier de la formation du Nord-Est-Centre.
Sur la piste mouillée du vélodrome municipal (l’ancien stade Gerland), aucun des trois échappés ne voulant emmener le sprint, on assiste à une incroyable séance de quasi-surplace. Forestier surveille Langarica et Meunier en profite pour partir à fond et gagner avec une longueur d’avance sur Forestier devant un public amer par ce qu’il considère comme un camouflet.
Le « facteur de Vierzon » Georges Meunier est sifflé injustement pour n’avoir pas laissé gagner son coéquipier, le « gone » Jean Forestier. Celui-ci qui soufflera ses 93 bougies au moins de septembre prochain pourrait peut-être témoigner de cette mésentente.
Amand Audaire, un autre « gars du Nord-Est-Centre », remporte le sprint du peloton, 9’59’’ plus tard, mais auparavant, Hilaire Couvreur en « chasse patate » s’adjuge une méritoire cinquième place. Aucune modification notoire au classement général.
Louison Bobet part bien sûr en jaune le lendemain à l’occasion de l’étape contre la montre entre Lyon et Saint-Étienne, 70 kilomètres sur un parcours truffé de montagnes russes dans les monts du Lyonnais, permettez l’expression.
Celle qu’on a coutume d’appeler épreuve de vérité mérite moins ce qualificatif tant la vérité de ce Tour a été livrée lors de la grande étape alpestre de l’Izoard.
Louison Bobet, meilleur grimpeur dans les Alpes, démontre qu’il est aussi le meilleur rouleur en l’emportant largement, malgré une crevaison, dans la capitale du Cycle, sur la cendrée du stade Geoffroy-Guichard.
Ses deux suivants au classement général ont été dominés : Malléjac termine 10ème à 4’43’’ et Astrua se classe 7ème à 4’13’’. Le Belge Alex Close, parti 4 minutes avant lui, a même été rejoint par le maillot jaune.
Les principales satisfactions proviennent des coureurs des Pays-Bas : Wim Van Est obtient une belle deuxième place à 1’45’’ de Bobet, et Wout Wagtmans, 4ème à 3’25’’ effectue une belle remontée à la sixième place du classement général, dépassant les trois Tricolores Antonin Rolland, Nello Lauredi et Raphaël Geminiani.
Il faut relever aussi la belle performance (8ème) du Morbihannais de l’équipe de l’Ouest Joseph Morvan. Celui qu’on appelait familièrement Job Morvan était d’ailleurs un spécialiste du contre la montre : il remporta à six reprises (sur six participations) la belle course Manche-Océan (de Binic ou Paimpol à Auray), 137 kilomètres avec le franchissement du terrible Mûr-de-Bretagne, une épreuve au palmarès duquel figurent notamment de beaux rouleurs comme Albert Bouvet, Gérard Saint et aussi Aldo Moser (le frère aîné de Francesco) qui souffla un Grand Prix des Nations à Roger Rivière.
Morvan, souvent prophète en son pays, gagna ultérieurement une étape du Tour à Saint-Malo ainsi que le Tour de l’Ouest, une belle course à étapes malheureusement disparue. Robert Chapatte en brossa un portrait original en le décrivant comme un « coureur paysan » : « Son souci permanent, c’est de savoir si la grêle n’endommagera pas ses semis, si le blé est bien engrangé ou le sillon bien tracé. » Pittoresque analyse sociologique d’une France essentiellement rurale où le Tour de France constituait un ascenseur social pour beaucoup de coureurs d’extraction modeste !
En première page du quotidien L’Équipe, apparaît un curieux entrefilet avec un appel à la sportivité du public parisien. Pourquoi en serait-il autrement pour accueillir Louison en jaune ?
Samedi 25 juillet, avant-dernière étape entre Saint-Étienne et Montluçon, 210 kilomètres. Dès le départ, l’allure est rapide : Darrigade mène la première attaque dans la côte de La Fouillouse, aussitôt pris en chasse par huit coureurs, Rossello, Isotti, Baroni. Adriaensens, Suykerbuyk, et les Tricolores de service Deledda, Rolland et Lauredi.
Tout rentre dans l’ordre avant la traversée de Montbrison, moment de répit qui permet peut-être aux suiveurs de goûter à la délicieuse fourme locale.
On assiste surtout à une bataille entre les coureurs du Nord-Est-Centre et des Pays-Bas pour la conquête du challenge international par équipes.
L’échappée décisive se dessine dans la Côte de La Faye (km 177) sous l’impulsion du Lorrain Gilbert Bauvin vite rejoint par le Hollandais Wagtmans, Walkowiak et Renaud.
Dans la traversée de Saint-Eloy-les-Mines (km 182), Bauvin et Wagtmans sèment leurs deux compagnons tandis qu’à l’arrière, se détachent à leur tour Nolten et Molinéris qui ne tardent pas à rejoindre Renaud et l’enfant du pays, le Montluçonnais Roger Walkowiak.
Sur le quai Rouget de Lisle à Montluçon, Wout Wagtmans, déjà vainqueur à Gap, bat facilement Bauvin au sprint, soufflant ainsi la cinquième place du classement général au maillot vert Fritz Schaer et renforçant la position de la Hollande au challenge par équipes. Le peloton réglé par Fiorenzo Magni arrive à 2’38’’.
Dimanche 26 juillet, c’est la quille, pas de grasse matinée pour autant, les 76 rescapés prennent le départ à 7 heures pour effectuer la dernière étape Montluçon-Paris longue de 328 kilomètres.
C’est une procession triomphale pendant 250 kilomètres où il ne se passe pas grand chose, l’occasion pour les photographes d’effectuer leurs traditionnels clichés de fin de Tour de France. Darrigade sprinte à Orléans pour une prime substantielle devant la statue de Jeanne d’Arc.
C’est dans la côte de Dourdan qu’on assiste à la première véritable offensive. Elle est l’œuvre de … l’orgueilleux Louison Bobet en personne : « Bobet sensationnel émergeait, faisait littéralement éclater devant lui l’imposant peloton des motos et des voitures qui précédaient le groupe jusque-là compact, se frayait impétueusement un chemin, se muait en un furieux attaquant alors que le leader est généralement un être discret et prudent au possible. La furia française trouvait là une admirable illustration : l’une de ces belles images d’Épinal dont la collection constitue la légende du Tour. Puis Bartali ripostait, puis Forestier se mettait en devoir de terminer en beauté son premier Tour, puis des Schaer, Wagtmans, Malléjac donnaient, eux aussi, le ton le plus élevé à cette fin de course échevelée. Peut-être les vainqueurs ne furent-ils pas, en définitive, les plus méritants de l’affaire. »
Louison ne peut cependant résister à la chasse organisée derrière lui, essentiellement par les Italiens.
Dans la côte de Saint-Rémy-les-Chevreuse (km 302), le banlieusard parisien Stanislas Bober tente sa chance. Il est rejoint d’abord par Bernard Gauthier et l’Italien Mario Baroni, puis par sept autres coureurs : deux Italiens Magni et Drei, le Belge Couvreur, le Breton Morvan, le Sud-Est Molinéris, le Nord-Est-Centre Forestier et l’inévitable Hollandais de service Gerrit Voorting.
Ça sent l’écurie, les derniers kilomètres sont couverts à une allure folle par le groupe de tête. Sur la piste rose du Parc des Princes comble, Baroni emmène le sprint pour Fiorenzo Magni qui se dégage dans la ligne droite et l’emporte nettement.
31 secondes plus tard, arrive le peloton au sein duquel figure bien sûr le maillot jaune Louison Bobet qui remporte, à 28 ans, le Tour du Cinquantenaire, le Tour le plus rapide de son histoire (moyenne 34 km.605).
Séquence émotion : « Marseillaise au Parc. Debout au premier rang de la tribune officielle, le torse moulé dans son maillot jaune, le dernier, celui qui restera dans l’histoire, ayant à ses côtés sa femme et sa petite fille, Louison Bobet, immobile, regarde droit devant lui, vaguement, quelque part, et ne doit rien voir, car de grosses larmes perlent sous ses paupières. L’émotion est si forte qu’après les dernières notes de l’hymne national qui vient d’être exécuté en premier pour la première fois à la fin d’un Tour depuis 1947. Bobet a du mal à sourire. Il tend son bouquet comme une parade vers les ovations qui montent. Malgré les amis, la famille, la foule des supporters enthousiastes, le vainqueur du Tour est isolé dans sa victoire. Il réalise. Son bonheur est intérieur. Les gestes dont il a rêvé depuis tant d’années… »
Un peu plus tard, Maurice Garin, vainqueur du premier Tour de France en 1903 effectue aussi un tour d’honneur.
Le méritant Jean Malléjac et l’effacé Giancarlo Astrua complètent le podium. Le combatif Suisse Fritz Schaer remporte le premier Maillot Vert du classement par points de l’histoire du Tour. L’Espagnol Jesus Loroño gagne le Trophée de la Montagne. Le Challenge International par équipes revient à l’épatante équipe de Hollande, très offensive.
C’est le temps désormais de dresser des bilans. Le quotidien L’Équipe n’est pas avare de dithyrambes à sa une : « Bobet vainqueur éblouissant ». Le journal organisateur se doit évidemment de susciter la curiosité de ses lecteurs, peut-être aussi de flatter leur fibre patriotique.
Dans son éditorial journalier, Jacques Goddet, le directeur du Tour et de L’Équipe, exhorte ses lecteurs : « LE TOUR qu’il faut aimer ! ». Certains douteraient-ils de la qualité de l’épreuve cuvée 1953 ?
Claude Tillet, dans le numéro spécial d’après-Tour du Miroir des Sports, s’en fait le défenseur : « 1948 Bartali… 1949 Coppi… 1950 Kubler…1951 Koblet … 1952 Coppi à nouveau. On avait bien le droit de se demander après avoir alignés, il y a un an, cette impressionnante liste de victoires étrangères dans le Tour de France, ce que l’avenir réservait aux routiers nationaux ! À vrai dire, l’examen de la question se révélait décevant au possible. Très riche en bons coureurs, nous ne possédions qu’un seul homme de classe internationale : Louison Bobet. Or, ce même Louison avait dû renoncer au Tour et on se demandait si son état de santé, si l’extrême sensibilité de son système nerveux, lui permettrait un jour de prendre le départ de la grande épreuve avec quelques chances de succès.
De plus, on ne pouvait se dissimuler que, par rapport aux champions précités, il se révélait légèrement inférieur … Pourquoi ne pas dire les choses telles qu’elles sont ? Bobet grimpait moins bien que le Bartali de 1948, avait été dominé par le Kubler de 1950, roulait et grimpait moins fort que les Coppi et Koblet de 1949, 1951 et 1952. En revanche il possédait indiscutablement ce feu intérieur, ce cran, ce ressort qui caractérisent les purs champions. Sur ce plan, au moins il était l’égal de Gino, Fausto, Ferdi et Hugo. Mais parviendrait-il à se surpasser au point de gagner le Tour ? À franchement parler, nous étions plus sceptiques que jamais au départ de Strasbourg. D’abord parce que la personnalité de Koblet semblait dominer le lot, ensuite parce que notre compatriote était dans une condition physique rien moins que douteuse, les bruits les plus alarmants s’étaient succédé à son sujet, et l’on se demandait même si sa participation n’allait pas constituer une sorte de handicap pour l’équipe de Marcel Bidot !
Et voici que Bobet gagne le Tour de France 1953, le Tour du « Cinquantenaire », interrompant par la même occasion une impressionnante série de succès suisses et italiens ! C’est là une sorte de miracle, mais un miracle dont tout le mérite rejaillit sur le vainqueur. On nous dira évidemment : « Petite victoire …Coppi s’était abstenu, Kubler avait renoncé, Bartali est un vieillard, Koblet et Robic ont dû abandonner sur chutes ! »
Que répondre à cela ? Mais, tout simplement que si l’on étudie les raisons profondes des faits cités, on se rend compte que chacun des intéressés s’est trouvé dans un cas analogue à celui d’un Bobet obligé de s’abstenir en 1952 ou de capituler en 1951… Ses adversaires profitèrent souvent des défaillances de Louison. Cette fois c’est Louison qui a exploité les faiblesses morales ou physiques des autres. Selon l’expression populaire : « Le coup est régulier ».
Pourquoi Ferdi n’est-il pas parti ? Sans doute parce qu’il craignait Koblet. Pourquoi Coppi est-il resté sur la touche ? Parce qu’il redoutait l’intelligence de Bartali, à base de machiavélisme et comédie. Pourquoi Koblet et Robic ont-ils abandonné ? Ici, nous touchons un point extrêmement délicat. Il est toujours trop facile d’accabler les vaincus, et nous ne voudrions pas charger ici ceux qui s’écroulèrent -au propre comme au figuré- dans la période même où ils avaient atteint le sommet de la course.
Il convient de répéter que lorsque Koblet tomba dans la descente faisant suite au col de Soulor, il offrait l’image d’un homme absolument épuisé, n’ayant plus le contrôle de sa direction. On peut donc admettre que le bel Hugo était allé au-delà de ses forces du moment en voulant s’imposer à ses adversaires dans les cols pyrénéens. Il est un vaincu davantage qu’une victime … En ce qui concerne Robic, le cas est moins flagrant, mais il s’apparente de près à celui de Koblet. Sur Albi-Béziers, Robic était distancé, perdait sans cesse du terrain, et réagissait mal, non seulement sur le plat mais encore sur les rampes cévenoles qui auraient dû, logiquement, lui être favorables et lui permettre une contre-attaque victorieuse. Pis, dans une descente qui n’avait rien d’acrobatique, il touchait une roue, tombait, demeurait groggy et ne repartait que longtemps après, arrivant finalement à Béziers avec 38 minutes de retard sur les vainqueurs Lauredi, Geminiani, Bobet et Rolland. Il est hors de doute que, tout comme en ce qui concerne Koblet, la chute n’avait été qu’une manifestation de la dépression physique subie par le Breton de Paris. Là encore, il ne serait pas équitable de faire de Bobet un simple profiteur …
Après avoir disséqué les raisons pour lesquelles Bobet doit être considéré comme un grand vainqueur, attachons-nous à démontrer -et ce ne sera pas difficile- que ce Tour fut un grand Tour de France. Nous l’avions baptisé, avant le départ, le « Tour de l’équilibre ». Effectivement, il fut parfaitement équilibré du début à la fin, et tout concourt à ce résultat.
1° Le parcours était parfaitement choisi : excellent tronçonnement de la chaîne pyrénéenne, très bonne arrivée « en haut » (mais pas trop haut !) à Cauterets, expérience heureuse en ce qui concerne le remplacement du trop monumental Ventoux par les étapes cévenoles Albi-Béziers et Béziers-Nîmes, qui ne comptèrent pas pour peu, il s’en faut ; étape contre la montre unique et bien suffisante, retour à Paris très rapide…
2° l’intérêt de l’épreuve fut soutenu d’un bout à l’autre. On avait commencé par la double attaque fulgurante de Schaer et Wagtmans. Il n’y eut pas une seule journée véritablement morne en dépit d’un temps parfois bien quelconque ; et l’intérêt, fait d’incertitude se maintint pour le moins jusqu’à Saint-Etienne, à quarante-huit heures de Paris.
Comment à ce propos, ne pas citer des chiffres éloquents ? Au soir de la dix-septième étape, l’écart entre le premier et le dixième du classement général était de 26 minutes en 1951, de 52 minutes en 1952 … et de moins de 10 minutes en 1953 ! Seuls, depuis la guerre, les Tours de 1947 et de 1950 nous avaient laissés aussi longtemps et aussi tardivement dans l’ignorance – toujours passionnante- du résultat final.
3° La moyenne horaire est, de très loin, la plus élevée que l’on ait jamais enregistrée. Certes, cela pourrait ne pas signifier obligatoirement que ce Tour fut très bon, mais joints aux autres facteurs de succès sportif que nous venons d’énumérer, cela confirme d’éclatante manière qu’en dépit de l’absence de Coppi, le Tour 1953 fut d’une qualité très supérieure à celle de beaucoup d’autres. Á propos de Coppi, et sans vouloir minimiser en quoi que ce fût une performance qui, en son temps, fut considérée comme peu banale, il n’est pas mauvais d’indiquer que, sur Gap-Briançon, le temps réalisé en 1951 par le campionissimo vainqueur solitaire de l’étape-reine, fut battu d’environ vingt-trois minutes par Bobet, cette année. Bien entendu, les circonstances de la course et l’orientation du vent influent considérablement dans un sens ou dans l’autre, sur le résultat chronométrique, mais il n’est pas mauvais d’inscrire cette précision à l’actif du Tour 1953 et de son beau vainqueur ! »
Poursuivant son bilan, Claude Tillet passe ensuite en revue les grands acteurs du « drame » :
« Le maillot vert fut incontestablement l’une des attractions de l’épreuve… On ne pouvait souhaiter plus belle récompense pour le Suisse Fritz Schaer qui fit merveille avant l’effondrement de Koblet et sauva l’honneur, ensuite, ne disparaissant jamais de la scène, jouant constamment un rôle important, demeurant presque jusqu’au bout un possible vainqueur absolu. Nerveux, adroit, volontaire, rapide, Schaer s’est montré sous son véritable jour. Nous sommes pleins d’estime pour lui.
Nous parlerons de l’Alsacien Roger Hassenforder qui s’empara du maillot jaune à Caen, ne le lâcha qu’aux portes de Pau, après avoir été victime d’une sérieuse indisposition physique. « Hassen » s’est taillé une telle popularité que sa disparition dans la première étape pyrénéenne n’aura pas constitué pour lui, dans l’esprit de la foule, une condamnation. On aime les coureurs à panache et on se montre indulgent lorsqu’une fantaisie naturelle les emmène un peu trop loin.
Nous parlerons sans plus attendre de Malléjac qui ne fut pas un leader de circonstance mais bien un leader susceptible de l’emporter. Son résultat contre la montre confirme pleinement notre point de vue. Malléjac, très bon coureur régional, vécut longtemps dans l’ombre de Bobet. Son enrôlement dans une autre équipe de marque, puis sa sélection dans le Tour au titre de l’équipe de l’Ouest lui donnèrent l’occasion de mettre en valeur sa personnalité. Il devrait à présent courir les « classiques » avec la confiance énorme que peut donner un tel résultat. N’oublions pas, puisque nous avons recherché la justification de son rang inattendu, qu’il se défendit magnifiquement sur Gap-Briançon, se comportant en grand routier et non en homme résigné à l’échec.
Allons-y maintenant de notre couplet de la déception ! Il aura Astrua pour sujet. Nous n’hésiterons pas un instant à dire que l’Italien fut très inférieur au Suisse Schaer et que celui-ci eût amplement mérité la troisième place du classement général qui échoit à Giancarlo.
Nous avons retrouvé, du côté belge, un Close aussi discret, aussi effacé qu’un Ockers … mais, hélas ! un peu moins valeureux. Le problème belge est donc à reconsidérer en son entier.
Que penser -Bobet étant mis à part- des Français « nationaux » ? Nous avons retrouvé un remarquable Antonin Rolland (toujours en vie, il fêtera ses 99 ans en septembre prochain ndlr), un Lauredi plutôt terne dans l’ensemble, un Geminiani toujours égal à lui-même, toujours énergique en diable, mais manquant de facilité qui permet les performances sortant de l’ordinaire.
Il est apparu que Le Guilly était un peu léger pour appartenir à la grande équipe. En tout état de cause, le gosse grimpa moins bien qu’en 1952. Il sera probablement plus à l’aise l’an prochain dans une formation régionale. Enfin, il faut tresser des lauriers à Deledda qui fut l’homme de la situation du bas de la descente de Vars jusqu’au pied de l’Izoard.
Si l’on cherche ensuite à désigner la meilleure équipe étrangère, il n’y a pas à aller bien loin. Dans le domaine de la cohésion et de l’efficience, comme dans celui de la combativité, les Hollandais s’avérèrent du début à la fin les plus solides et les plus ardents.
Du côté des Italiens, et le cas d’Astrua étant traité, peu de choses à dire puisque Magni ne fit pas le meilleur de ses Tours, puisque Bartali est un grand champion maintenant usé qui, raisonnablement, devrait abandonner sa place à l’impressionnable Coppi. Alfredo Binda ne disposait pas, cette fois, des cartes maîtresses et son intelligence de la course ne put suppléer l’insuffisance des hommes.
Les Espagnols souffrirent de l’absence d’un Ruiz : Loroño ne se distingua qu’en montagne et Langarica se montra le seul routier complet de la formation dirigée par Mariano Canardo.
Nicolas Frantz n’eut pas davantage de chance avec ses Luxembourgeois et le bon classement d’un Ernzer ne saurait nous faire oublier la carence à peu près totale des autres coureurs du Grand-Duché. »
Il est vrai que le jeune Charly Gaul a abandonné presque dans l’anonymat lors de la sixième étape. C’est la preuve que tous ces jugements et avis péremptoires ci-dessus seront possiblement remis en question dans les années à venir.
Gaston Bénac tire aussi son propre bilan favorable à Bobet : « Nous avons terminé le Tour satisfaits, et satisfaits doublement. Tout d’abord, l’intérêt, même lorsque les seconds plans tinrent le haut de la scène, ne faiblit pas, et lorsque les as attaquèrent, un peu à retardement, nous vîmes le meilleur s’envoler, laissant ses adversaires étrangers sur place.
Décapité au début par l’absence de Coppi et de Kubler, puis par l’accident de Koblet, le Tour semblait se complaire dans les futilités quotidiennes, avec quelques bons prétendants sans panache, lorsque éclata l’homme de classe, le seul survivant du grand quatuor.
Mais Louison Bobet, parti sans très grande conviction, pas très affûté, trouvait peu à peu, bien préservé par une excellente équipe de France, et la forme et le moral.
Si l’Italie a Coppi, la Suisse Koblet et Kubler, la Hollande Van Est, la France met en ligne un super-champion aussi complet que les premiers avec Louison Bobet, auquel il ne manquait au palmarès que le Tour et le championnat du monde. » Il faudra attendre l’année suivante, sur le circuit de Solingen, pour le maillot arc-en-ciel.
Cet été 53, je n’avais que six ans… et demi, et plus peut-être qu’à Bobet, je m’intéressais à un jeune cycliste, proche du domicile familial, qui écumait les courses régionales. Le 23 août, un mois après le sacre en jaune de Bobet, il survolait la finale contre la montre du « Maillot des As » organisé par le quotidien régional Paris-Normandie. Il réalisait à cette occasion un véritable exploit en parcourant les 122 kilomètres à plus de 42 kilomètres/heure de moyenne, et reléguant son second Claude Le Ber à plus de 9 minutes. Le journal L’Équipe nota : « Sur sa performance, Jacques Anquetil, c’est donc son nom, aurait très certainement battu les plus grandes vedettes internationales ».
Le chatouilleux Louison Bobet a du mal à croire à la moyenne énoncée, avançant l’hypothèse d’une erreur commise dans le kilométrage du parcours.
Un qui ne doute pas, c’est Francis Pélissier, directeur sportif de l’équipe La Perle, qui, illico, fait signer son premier contrat professionnel à Anquetil, déclarant avec aplomb et une certaine forfanterie : « Je vais faire gagner le Grand Prix des Nations à un gamin. Gagner une course avec Louison Bobet ou Emile Idée, c’est enfantin. Mais lancer Tartempion et battre tout le monde, ça c’est du sport. »
En septembre 1953, Tartempion Anquetil survole le Grand Prix des Nations, prestigieuse épreuve contre la montre sur un parcours de 142 kilomètres avec les côtes de la vallée de Chevreuse, et titille à quelques secondes près le record du « pédaleur de charme » Hugo Koblet.
Á l’arrivée au Parc des Princes, Bobet est présent. Vêtu d’un beau maillot jaune en soie, il a participé à une réunion d’attente sur piste. Il s’approche du vainqueur et, beau joueur, prend acte de l’exploit réalisé : « « J’étais sceptique sur ta moyenne du Maillot des As. Maintenant, je suis convaincu ! » Et il pousse la gentillesse jusqu’à ouvrir sa Thermos pour lui servir un gobelet de thé chaud, sous l’œil amusé des photographes qui fixent, à cet instant, le premier cliché réunissant le numéro un du cyclisme français et « ce gosse normand, au visage angélique et à l’allure féline », un gosse dont Bobet pressent qu’il deviendra bientôt son rival. »
La suite, mes plus fidèles lecteurs la connaissent : c’est ainsi que naquit une indéfectible passion pour Jacques Anquetil**, « l’idole de ma jeunesse ». Jolie coïncidence, tandis que j’écris ces lignes, je reçois par courrier, en remerciement de ma collaboration, une carte souvenir éditée par le Club Philatélique de Rouen et sa région à l’occasion d’une Fête du Timbre organisée à Quincampoix, village où repose « mon » champion.
Quant à Louison Bobet, il est bien possible que je vous en reparle … dans un an, lors de mon évocation du Tour de France 1954 !
* http://encreviolette.unblog.fr/2009/07/09/le-col-de-lizoard-col-mythique-des-alpes/
** http://encreviolette.unblog.fr/2009/04/15/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse/
http://encreviolette.unblog.fr/2009/08/22/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse-suite/
Pour cette évocation du Tour de France 1953, j’ai puisé dans les magazines de ma collection, Miroir-Sprint et Miroir des Sports But&Club. Pour combler certains manques, j’ai fait appel à mon ami Jean-Pierre Le Port que je remercie vivement.