Adieu Justo !
Just Fontaine est mort. Quelques semaines après la disparition de Pelé, c’est un autre héros de la joyeuse Coupe du Monde 1958 qui s’est éteint.
Pour tous les amoureux du football et même aussi pour ceux que la balle ronde ne passionne pas, Fontaine est avant tout celui qui détient le record de buts marqués au cours d’une même Coupe du Monde avec 13 réalisations. Une performance toujours inégalée 65 ans plus tard, et qui, possiblement, n’est pas près d’être battue, encore que par démagogie et appât du gain, la Fédération Internationale vient de décider que 48 équipes disputeraient la prochaine phase finale en 2026, ce qui induit un nombre accru de matches.
Une histoire drôle circule d’ailleurs sur sa longévité, c’est son ami Mario Zatelli qui la suggéra à Just : « Ils vont t’emmerder tout le temps avec ce record. Raconte-leur l’histoire de la momie, ils ne t’emmerderont plus. Dans 1000 ans, des égyptologues, cherchant encore des rois et pharaons au pied des pyramides, mettent au jour un sarcophage. Déroulant la bandelette du cadavre, ils s’aperçoivent qu’il bouge. Vite, on retire les linges et la momie se met à parler. Ses premiers mots : « Est-ce que le record de Just Fontaine a été battu ? » !
Just une légende ! Subtil jeu de mots à la Une du journal L’Équipe. Just avait déjà traversé plusieurs de mes billets, notamment ceux écrits à la mort de Raymond Kopa* et à propos de l’attachant petit livre de Gisèle Bienne, Grandir avec le Stade de Reims**.
Kopa-Fontaine duo mythique, Reims équipe mythique, qui irradièrent mon enfance. Tandis que je tape leurs noms sur le clavier, ressuscitent des souvenirs joyeux et émouvants. C’était une autre époque que seul un baby boomer comme moi peut encore savourer aujourd’hui, un temps où ma toute jeune passion sportive se nourrissait de la lecture des magazines spécialisés couleur sépia, de l’écoute des reportages enflammés, l’oreille collée au transistor, des rarissimes retransmissions télévisées en noir et blanc, des matches au soleil de Colombes à la main de mon cher papa que je « refaisais » *** dans la cour de récréation du cours complémentaire dirigé par ma maman.
L’adulte que je suis aujourd’hui, pour tempérer ce tableau idyllique, doit tout de même préciser qu’en toile de fond, il y avait la guerre d’Algérie qui inquiétait mes parents et mon regretté frère ainé universitaire sursitaire dans la crainte d’une éventuelle mobilisation, un contexte dont mon insouciance enfantine ne mesurait pas la gravité. C’était encore la douce France fredonnée par Charles Trenet.
Quelque part, Justo, ainsi le surnommait-on affectueusement, avait connu, quinze ans plus tôt, aussi une enfance heureuse. Quatrième d’une famille de sept enfants, il était né en 1933 à Marrakech d’une mère espagnole et d’un père d’origine normande, installé au Maroc, alors sous protectorat français, et fonctionnaire à la Régie des Tabacs. Comme tous les autres enfants d’Européens, il fréquenta le lycée Mangin de Marrakech, et comme tous les autres gosses, qu’ils soient musulmans ou de souche européenne, il tapait dans un ballon souvent dans la cour d’une église (« on cassait les vitraux, ce n’était pas très catholique » !), des eucalyptus faisant office de poteaux de buts, consacrant bientôt tous ses loisirs au football au détriment parfois de ses études, au grand désappointement de son père qui craignait qu’il se casse une jambe… comme si cela pouvait être possible ! . Renvoyé du lycée pour un chahut dont il n’était pas, pour une fois, responsable, le paternel, qui veut en faire un fonctionnaire, prof d’éducation physique par exemple, exige qu’il poursuive ses études à Casablanca, au lycée Lyautey, et obtienne le baccalauréat (un diplôme de valeur à l’époque !) : ce que le jeune Fontaine réussit, preuve que certains footballeurs n’avaient pas que leurs pieds pour s’exprimer.
Cadet doublement surclassé dans l’équipe junior de l’A.S. Marrakech, il se fait remarquer pour son talent d’avant-centre à tirer des deux pieds. Il est recruté par l’Union Sportive Marocaine, le club de Casablanca où avait débuté son idole, la « perle noire » Larbi Ben Barek. Il remporte, en 1951, la Coupe d’Afrique du Nord. Sélectionné dans l’équipe junior du Maroc, il marque deux buts contre l’Oranie et tape dans l’œil d’un certain Mario Zatelli, ancien joueur de l’U.S.M. venu de Nice en observateur pour Abdesselem, le futur avant-centre de Bordeaux.
Justo a 20 ans et débarque à l’O.G.C. Nice en septembre 1953. Il va vite séduire l’entraîneur des Aiglons qui le titularise, le 11 octobre, pour son premier match chez les professionnels, au poste d’« inter » (comme on disait simplement, en ce temps-là n’existaient pas les sentinelles, les pistons, les « box to box », les joueurs de rupture et même de vestiaires, sortis du jargon journalistique d’aujourd’hui !) face aux Girondins de Bordeaux et son avant-centre, un certain … Abdesselem.
Je laisse la parole à ma bible, François Thébaud futur rédacteur en chef d’un certain Miroir du Football. « On l’a essayé, on le garde. Il joue tous les matches suivants et devient le meilleur « scorer » de son équipe. Un match perdu pour Nice, mais gagné pour lui, va le consacrer totalement. Le 6 décembre 1953, Nice se déplace à Reims. Et Justo, pour la circonstance, a été promu avant-centre. Lui, si peu émotif », a le cœur qui bat à 100 à l’heure, tandis que le rapide l’emporte vers le nord de la France. Il est inquiet. Robert Jonquet, son rival direct, est au sommet de sa carrière. Reims 1953, c’est la poussée invincible vers la gloire. C’est Raymond Kopa, c’est Glowacki, c’est Penverne, c’est Marche, c’est le champion de France, c’est aussi presque l’équipe de France. Tout se calme dès qu’il entre sur le terrain. Le démon du jeu le reprend. Il réussit. Il est maître de lui. Nice est battu, certes de peu (4-3) mais Fontaine a marqué un but splendide. Il a fait mieux, pour prouver qu’il n’était pas qu’un bombardier, il a préparé de main de maître le troisième but niçois pour Vic Nuremberg.
Le lendemain, toute la presse chante le nouvel enfant prodige. Heureux temps du football français qui venait de découvrir Kopa, qui possédait un Ujlaki, un Bonifaci dans la fleur de l’âge. Et voilà Fontaine, inconnu trois mois plus tôt, inscrit dans ce « Gotha » sportif. »
Mieux encore, tout s’accélère. Noël avant l’heure, il est sélectionné dans l’équipe de France Espoirs qui, le 17 décembre au Parc des Princes, est alignée pour rencontrer le faible Luxembourg en match qualificatif pour la Coupe du Monde 1954.
C’est une dérouillée de la formation grand-ducale (8-0), le public emballé par nos jeunots leur réclame un tour d’honneur. Fontaine est le héros du jour, il a marqué trois fois. Il n’en faut pas plus pour envisager une place en équipe de France A en vue de la prochaine et très proche phase finale de la Coupe du Monde en Suisse, mais le sélectionneur a déjà sous la main un avant-centre aguerri en la personne de l’attaquant du Racing Club de Paris Thadée Cisowski.
De plus, au sein de son club azuréen, Fontaine semble marquer le pas, ne s’entendant pas au mieux avec son partenaire d’attaque, l’Argentin Luis Carniglia, la vedette de l’équipe. Cependant, c’est tombé dans les oubliettes, il réussit, en janvier 1954, un quintuplé (un vrai, 5 buts à la suite) face à Lens, un record qui ne sera égalé dans l’histoire du club, que soixante ans plus tard, par le Brésilien Eduardo. Il inaugure son palmarès en remportant la finale de la Coupe de France 1954 contre Marseille (2 à 1).
Justo a 21 ans, c’est le temps du service militaire sur fond de guerre d’Algérie. Il est incorporé au Bataillon de Joinville, en novembre 1954, pour trente mois. Il n’est pas envoyé au combat, de l’autre côté de la Méditerranée car ses frères y sont déjà mobilisés. Il continue à jouer avec les Aiglons niçois mais les incessants allers et retours dans les trains de nuit nuisent à sa forme. Et puis, probablement, le pioupiou goûte aussi à la vie parisienne, effectuant quelques virées à Pigalle, avec ses potes de chambrée, le Sochalien Christian Labalette et le Nîmois Ginès Liron, lors de leurs « perms ». Cela aurait pu être « chaud » pour Justo, son copain Labalette fut abattu, à la terrasse d’un café, lors d’un règlement de compte qui ne le concernait nullement.
Peu se souviennent qu’il existait une équipe de France militaire talentueuse qui disputait annuellement le challenge Kentish avec ses homologues belge et anglaise. Kopa, Ujlaki et Fontaine constituèrent même un trio d’attaque prestigieux en quelques occasions. La sélection française remporta le championnat du monde 1957 disputé en Argentine. Elle comptait dans ses rangs Yvon Douis, Théo, Lucien Cossou, Rachid Mekhloufi, Jean Wendling, qui écrivirent par la suite les plus belles pages de leurs clubs respectifs de Monaco, Saint-Étienne et Reims. Quant à Justo, il avait été démobilisé quelques mois avant la phase finale de la compétition.
Saisons 1954-1955 et 1955-1956, il marque le pas d’autant que Luis Carniglia est désormais entraîneur de l’O.G.C. Nice. Au moindre faux-pas … il rétrograde en réserve ! Ceci dit, intermittent du spectacle, il fait tout de même partie de l’équipe azuréenne championne de France 1956.
Bouffée d’oxygène, à l’inter-saison, la nouvelle arrive : le Stade de Reims engage Fontaine pour remplacer Kopa parti au Real Madrid.
Ironie du calendrier, pour le premier match de la saison au stade Auguste Delaune, Reims accueille … Nice le champion en titre : « L’attaque niçoise lourde, avec un Bravo vieillissant, avait paru sans ressort, sans inspiration. Les Champenois l’emportèrent aisément, caracolant allègrement. On vit soudain du grand Justo : une fuite en avant derrière une balle, l’attaque du gardien niçois Colonna et notre Fontaine effectuant un crochet, portant la balle d’un pied sur l’autre et la logeant au fond des filets niçois. Une fantastique maîtrise de soi pour exécuter un pareil travail et surtout tromper un homme comme Colonna, le meilleur et le plus intelligent gardien du moment. Quel bon départ pour Justo ! »
Cela dit, c’est la grande année stéphanoise et Reims doit se contenter d’une troisième place. En Coupe de France, les Rémois subissent une véritable humiliation, éliminés en seizièmes de finale par la modeste équipe nord-africaine d’El Biar. Excuse pour Fontaine : alors blessé, il ne participe pas à ce naufrage. Satisfaction personnelle, il a marqué 30 buts en championnat, terminant second du classement des buteurs derrière le Racingman Thadée Cisowski.
Coïncidence heureuse, le coach rémois Albert Batteux est devenu aussi entraîneur de l’équipe de France et s’entend parfaitement avec le sélectionneur Paul Nicolas qui rappelle Justo, trois ans après sa première cape contre le Luxembourg, pour affronter, le 1er octobre 1956 à Colombes, la prestigieuse équipe de Hongrie, le mythique « Onze d’or ».
Le cinéaste iconoclaste Jean-Luc Godard, qui s’il ne filma jamais le football à proprement parler, aimait glisser des petites références à ce sport au milieu de ses œuvres. Il se passionna pour cette équipe magyare qui, à ses yeux, incarnait le mieux, au XXème siècle, la beauté du ballon rond et … le tragique de l’Histoire : « Est-ce que le communisme a existé ? Oui, pendant deux fois quarante-cinq minutes, à Wembley, lorsque la Hongrie a battu l’Angleterre ! » (Angleterre — Hongrie du 25 novembre 1953).
Haut comme trois pommes de Normandie, juché sur les épaules de mon père, dans les gradins vétustes du stade de Colombes, je n’étais pas apte à appréhender la dimension géopolitique, j’écarquillais juste les yeux devant ces joueurs de légende : Ferenc Puskas le « major galopant », Sandor Kocsis « Tête d’or », Grosics, Bozski, Czibor, Hidegkuti. C’était aussi la première fois que je voyais jouer Just Fontaine en chair et en os. Les Tricolores s’inclinèrent avec les honneurs (1 à 2), manquant même d’un rien un résultat de parité, l’arbitre sifflant la fin du match alors que le ballon déjà parti du pied de Cisowki allait mourir au fond des filets hongrois. Inimaginable aujourd’hui avec ces temps additionnels à rallonge !
Quinze jours plus tard, j’étais encore sur les épaules de mon père pour encourager l’équipe de France, sans Fontaine remplacé par Mekhloufi, victorieuse de l’U.R.S.S. et son gardien de légende Lev Yachine, « l’araignée noire ».
En novembre, les chars russes entraient dans Budapest pour réprimer de manière sanglante l’insurrection populaire contre le régime communiste hongrois et les politiques imposées par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
Nombre de ces merveilleux joueurs hongrois profitèrent d’une tournée européenne de leur club de Honved (littéralement « défenseur de la patrie »), notamment de passage à Paris, pour fuir leur pays et s’exiler à l’Ouest, ainsi Puskas au Real Madrid, Sándor Kocsis et Zoltán Czibor au F.C. Barcelone.
Le sélectionneur oublie Fontaine jusqu’à la fin de la saison, d’autant que son principal rival pour occuper le poste d’avant-centre, le Parisien Cisowski, marque à lui seul, le 11 novembre 1956, cinq buts lors d’une rencontre France-Belgique qualificative pour la future Coupe du Monde 1958.
Justo retrouve l’équipe de France à l’automne 1957 pour une rencontre amicale à Budapest, une nouvelle fois contre la Hongrie orpheline de ses immenses joueurs émigrés à l’Ouest. Défaite 0-2 et prestation moyenne de Fontaine.
Un genou douloureux prompt à enfler l’oblige à se faire opérer du ménisque, début décembre 1957. Un mal pour un bien, il échappe involontairement à un désastre : le onze tricolore rajeuni (débuts du Lillois Yvon Douis en attaque, du Parisien Bollini et du Stéphanois Richard Tylinski) est ridiculisé par l’Angleterre, à Wembley (0-4).
Se pointe à l’horizon, 1958 année prolifique ! Justo, une articulation toute neuve, retrouve les terrains en février et est appelé, le 13 mars en équipe de France (ce n’est finalement que sa troisième sélection) pour un match amical contre l’Espagne de Di Stefano sur la pelouse du Parc des Princes transformée en bourbier.
Avec son club, le Stade de Reims, il étoffe son palmarès avec un joli doublé : victoire en Coupe de France (3 à 1 contre Nîmes avec deux buts de Bliard et un de Fontaine), titre de champion de France (7 points d’avance sur les mêmes « Crocodiles » nîmois) et meilleur buteur de la compétition avec 34 buts.
Si sur le plan hexagonal, Fontaine avait démontré avec éclat ses qualités de buteur, par contre ses prestations moyennes lors de ses rares apparitions en équipe de France entretenaient un scepticisme certain quant à ses facultés de s’épanouir au niveau international.
Le lundi 19 mai 1958, De Gaulle se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République » pour mettre un terme à la crise algérienne. Autant dire que le public français n’a pas trop les yeux rivés vers Stockholm où les footballeurs tricolores atterrissent le lendemain, trois semaines avant le début de la Coupe du Monde 1958. Il ne croit guère en leurs chances de se comporter honorablement dans la compétition. La délégation française y croit-elle seulement, il n’a été emporté que trois jeux de maillots pour éventuellement six matches. Fontaine devra même emprunter les chaussures de son coéquipier Stéphane Bruey qui fait la même pointure. D’ailleurs, il doit sa probable titularisation aux blessures du Racingman Thadée Cisowski et de René Bliard, son partenaire du Stade de Reims.
Pour prendre conscience de la confidentialité de l’événement, il faut le replacer dans le contexte de l’époque où la couverture médiatique se résumait à la radiodiffusion des matches et aux comptes-rendus de la presse écrite. Rien à voir avec l’ultra-médiatisation d’aujourd’hui où chaque action, chaque interview sont passées au crible des réseaux sociaux.
Nos « petits Français » débutent en fanfare en étrillant les Paraguayens 7 buts à 3 : « Une telle victoire aux dépens de l’équipe qui élimina l’Uruguay ne manquera pas de susciter dans le public français une joie d’autant plus justifiée que la Yougoslavie et l’Écosse n’ont pu se départager à Vasteras, laissant notre sélection seule en tête de son groupe avec un point d’avance. Les Tricolores ont réussi un incontestable exploit en imposant leur volonté à un adversaire dont la valeur athlétique et la vitalité physique s’appuient sur une solide technique individuelle. Dire que les vainqueurs ont fait un très grand match sur le plan du football académique serait excessif. Mais dans les conditions particulières d’une bataille qu’il était difficile d’éluder, ils ont réussi non seulement à ne pas se laisser submerger, mais encore à réaliser par éclairs des mouvements offensifs très purs dont l’exécution des trois derniers buts furent de remarquables modèles. »
Avec ses crampons de fortune, Fontaine a inscrit trois des sept buts et offert deux passes décisives à Kopa.
Pour autant, il ne fallait pas trop s’enflammer, le second match du groupe opposait l’équipe de France à sa bête noire, la Yougoslavie qui, à cette époque, comptait dans ses rangs de grands artistes tels Milos Milutinovic et Sekularac. Une fois encore, malgré deux buts de Just Fontaine, les Français s’inclinaient 2-3 dans les toutes dernières minutes.
Pas de panique inutile, un succès contre l’Écosse permettra aux Tricolores de se qualifier pour les quarts de finale : « Le charmant petit stade provincial d’Orebro, avec ses tribunes de bois coquettes mais désuètes, ses 13 000 spectateurs pleins d’une admiration naïve et silencieuse pour les vedettes du football international qu’ils voyaient pour la première fois à l’œuvre, semblait constituer le cadre idéal pour une tranquille exhibition amicale de fin de saison. C’est pourtant dans cette ambiance apparemment peu propice aux émotions fortes que les joueurs de l’équipe de France et leurs dirigeants ont connu ce dimanche 15 juin 1958 la plus grande joie de leur carrière… La présence de Raymond Kopa a constitué comme on pouvait le pressentir le facteur décisif. Tout en rendant hommage à l’extraordinaire « sens du but » de Just Fontaine, les faits obligent à constater que le Rémois, très faible jusqu’ici en match international s’est imposé lorsqu’il a eu à ses côtés le constructeur de jeu qui pouvait exploiter ses qualités de réalisateur. »
Françoise Sagan n’a pas encore écrit sa première pièce de théâtre Château en Suède, l’équipe de France écrit la première belle page de son histoire en étrillant l’Irlande 4 à 0 (deux buts de Justo). Même François Thébaud, dans les colonnes de Miroir-Sprint, se frotte les yeux : « La France en demi-finale de la Coupe du Monde … Je rêve … C’est incroyable ! C’est impossible !
Et notre voisin de banquette dans la tribune de l’Iddrotsparken de Norrköping ne pouvait réussir à maîtriser un rire nerveux. Il suffisait en effet de revenir quelques semaines en arrière pour comprendre ce que cette victoire de l’équipe de France –en apparence si naturelle, si normale, si facile qu’elle s’exprimait au tableau d’affichage par le score de 4-0 – pouvait avoir de prodigieux et d’invraisemblable.
Souvenez-vous des sarcasmes, voire des injures par lesquelles une partie du public du Parc des Princes accueillait le dernier match de préparation des tricolores contre le Racing, les réserves qu’elle exprimait en termes ironiques sur la contribution de Kopa au rendement de la ligne d’avants française. Non, le public le « plus objectif du monde » (une appréciation qu’il faut décidément réviser) n’accordait pas le moindre crédit à cette équipe de France qui achevait sur une exhibition, à vrai dire assez terne, l’une des plus désastreuses saisons de son histoire, puisque hormis un succès insignifiant sur l’Islande, elle n’avait pas réussi à remporter une seule victoire.
Et voilà qu’en infligeant à l’Irlande le plus gros score des quarts de finale, elle posait avec autorité sa candidature au titre mondial ! Mais comment ces joueurs ont-ils réalisé en cette soirée inoubliable du jeudi 19 juin 1958 l’exploit de se classer parmi les quatre meilleures formations mondiales ? »…
Leur troisième but fut un véritable chef-d’œuvre. Kopa se débarrassa de deux adversaires avec une prodigieuse aisance, feinta la passe à Wisniewski et donna à Fontaine démarqué au centre une balle qui prit à contre-pied ses ultimes opposants. Calme comme dans une séance d’entraînement, Fontaine laissa Gregg tenter une sortie désespérée, exécuta un court crochet et expédia la balle dans les filets. »
Rappelez-vous maintenant cette séquence émouvante du film culte Le fabuleux destin d’Amélie Poulain : la nuit de la mort accidentelle de la princesse Diana, Amélie découvre derrière une plinthe descellée de sa salle de bains une vieille boîte métallique de bergamotes de Nancy remplie de souvenirs cachés par un garçon qui vivait dans son appartement quarante ans auparavant. Menant une minutieuse enquête, elle met la main sur l’identité de l’ancien occupant des lieux, place la boîte dans une cabine téléphonique et fait sonner le téléphone pour attirer cet homme alors qu’il passe à proximité. Lorsqu’il ouvre la boîte … « L’enfance, tout ce qu’il en reste, ça tient dans une petite boîte rouillée… » qui sent la bergamote, le houblon et le sapin vosgien… » : un petit coureur cycliste en plomb, un bolide miniature, quelques billes et … une vieille photo de Just Fontaine à l’issue d’un match de cette Coupe du Monde 1958.
Ma gorge se serre à chaque fois que je revois cet extrait empreint d’une profonde nostalgie de l’enfance. Cet adulte, ce pourrait être moi. J’associe cette photographie de Justo à la belle soirée trois jours après le solstice de l’été 1958. Toute la France était dehors aux terrasses des cafés et devant les vitrines des marchands de matériel audiovisuel. La demi-finale contre le Brésil était retransmise en direct sur l’unique chaîne de télévision en noir et blanc avec un commentaire de Jacques Sallebert. Le journal télévisé de 20 heures avait même changé d’horaire exceptionnellement. Avec mon père, mon frère et aussi ma maman, nous étions calés dans nos fauteuils au salon, remplis d’un fol espoir de voir nos petits Français faire la nique aux virtuoses brésiliens, Garrincha, Didi, aux côtés desquels brillait un gamin de 17 ans, un certain … Pelé.
Notre optimisme fut vite douché, on jouait depuis 73 secondes et déjà le Brésil ouvrait le score. Mais huit minutes plus tard, Kopa chipa le ballon dans le rond central et distilla un amour de passe, comme lui seul savait faire, à Fontaine qui évita la sortie du gardien Gilmar et marqua dans le but vide. La France égalisait et, logique implacable, comme si cela lui revenait de droit, il fallait être Justo pour marquer à Gilmar son premier but encaissé depuis le début du tournoi. On y croyait de nouveau, naïvement, peut-être aussi dans une probable pointe de chauvinisme mal maîtrisée.
À l’image de la vaillante chèvre de Monsieur Séguin, nos courageux Tricolores tinrent le choc durant une demi-heure jusqu’à survienne la blessure de leur capitaine Robert Jonquet victime d’une fracture du péroné. Les remplacements n’existaient pas à l’époque et Jonquet resta héroïquement sur la pelouse, évidemment sans aucune utilité pour ses coéquipiers. À dix contre onze, le combat était devenu trop inégal, le gamin prodige Pelé marqua trois buts et la France s’inclina finalement (2 à 5). La symphonie fantastique avait un petit goût d’inachevé.
Dans le quotidien L’Equipe du lendemain, le journaliste Jacques de Ryswick s’extasiait devant les Brésiliens : « Ces joueurs-phénomènes le méritent, qui nous faisaient évoquer, en fin de leur match devant les nôtres, les fameux Harlem Globe Trotters du basket, étonnants escamoteurs du ballon qui jouent un football deux fois plus facile, plus coloré, plus serein que tous les autres. »
Quant à nous, vous savez bien que nous n’aimons jamais mieux nos sportifs que lorsqu’ils perdent avec les honneurs, accablés par la malchance ou l’injustice. Si Jonquet … !
1958, « La voix d’Elvis chantait « Good rockin’ tonight/Charles de Gaulle prenait le pouvoir/Promettant les mille et une nuits aux Pieds-Noirs », Justo en était un !
À Saint-Chamond, cité de forges et aciéries, un petit Lionel, neuf ans, s’échappait avec Charly Gaul bientôt vainqueur du Tour de France. Dans un petit village de l’Aube, une petite Gisèle sautait de joie en écoutant à la radio les exploits des joueurs rémois qui constituaient l’ossature de l’équipe de France. Elle s’en souvint beaucoup plus tard : [Kopa et Fontaine] partagent la même chambre d’hôtel et discutent tard dans la nuit. L’osmose dans le jeu a été immédiate. Kopa reconnaît qu’ils sont tous les deux « des joueurs d’instinct », ils se trouvent « les yeux fermés ». Justo a le sens du but, Kopa celui de la passe. Tout se déroule « au millimètre, au dixième de seconde ». Justo sent dans quelle direction Kopa s’oriente, il devine ses intentions. « Il se place toujours là où il faut au moment voulu. Ils se vouent une admiration mutuelle et seront amis pour la vie. L’épopée suédoise les a rapprochés, ils ne se sont plus quittés. »
Pour que la légende soit complète, il fallait encore en écrire l’épilogue : la troisième place dans la hiérarchie mondiale. Pour ce faire, la France corrigea l’Allemagne, championne du monde sortante, 6 buts à 3. Just Fontaine donna ses derniers coups de patte à son chef-d’œuvre en réalisant un quadruplé. Une photo mythique le montre, porté en triomphe par ses coéquipiers à l’issue de la rencontre, image symbole du « blue suede show » comme écrivirent certains journalistes en clin d’œil à un grand swing d’Elvis Presley.
À la suite de la Coupe du monde 1958, les gosses d’une dizaine d’années, quand ils faisaient leurs petites parties de foot dans la cour d’école, c’était mon cas, dans la rue ou une prairie, se donnaient des noms de leurs modèles : « Moi je suis… » Pelé, Kopa, Fontaine !
Le nouveau prestige de Justo a franchi les Pyrénées : durant l’été 58, l’Español de Barcelone offre une somme rondelette aux dirigeants rémois pour l’engager. Très tenté mais possédant le sens de la fidélité, Fontaine reste en Champagne.
Probable décompression après l’embellie suédoise, le Stade de Reims, qui fournit ses meilleurs joueurs à l’équipe de France, ne termine que quatrième du championnat de France derrière l’O.G.C. Nice, le Nîmes Olympique et le Racing Club de Paris.
À titre personnel, Fontaine, orphelin de Kopa reparti au Real, inscrit 24 buts pointant à la seconde place des buteurs derrière le Parisien Cisowski. Conséquence de sa notoriété, il est objet de nombreuses sollicitations et son personnage déborde largement des chroniques sportives. Ainsi on lui trouve un agréable filet de voix, un faux air de Dean Martin et il se disperse à enregistrer un disque et à chanter à la télévision. Vas-y Fontaine le porte-drapeau des canonniers !
Retour au terrain, fait marquant de sa saison, il dispute avec son club la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions contre l’invincible Real Madrid de … Raymond Kopa.
Ce dernier revient au Stade de Reims pour la saison 1959-1960 reconstituant ainsi avec Fontaine le tandem mythique de l’épopée suédoise. On parle même de carré magique en y adjoignant Piantoni et Vincent, autres héros de 58. Ce n’est évidemment pas un hasard, si on retrouve par enchantement le jeu chatoyant du club champenois et de la sélection nationale.
Le 11 novembre, à Colombes, la France bat le Portugal 5 à 3 dont 3 buts de Fontaine. J’y étais et ce fut la seconde et dernière fois que je voyais Just (jouer) en chair et en os. Car il avait la malencontreuse habitude d’être absent à chaque fois que j’eus l’occasion de voir jouer Reims au tournoi de Paris ou contre le F.C. Rouen de retour en 1ère division.
Le 13 décembre, toujours à Colombes, en éliminatoires de la Coupe d’Europe des Nations, la France écrasa l’Autriche 5 à 2 avec encore un triplé de Fontaine. Quatre jours plus tard, lors d’un match amical organisé, cette fois au Parc des Princes, au bénéfice des victimes de la catastrophe du barrage de Fréjus, les Bleus s’imposaient contre l’Espagne de Di Stefano, Kubala et Gento, 4 à 3 dont un de Fontaine.
Le Stade de Reims survola le championnat de France avec 7 points d’avance sur son suivant, le Nîmes Olympique, et 109 buts dont 28 inscrits par Justo (malgré une saison largement écourtée du fait d’une grave blessure).
Pour raconter ce beau football, et le promouvoir, il fallait un journal de référence. Dans l’euphorie de l’après 58, les éditions J Miroir-Sprint réputées proches du Parti Communiste Français, publièrent quelques numéros spéciaux consacrés notamment à l’épopée suédoise et au grand club de Reims.
Puis, naquit en janvier 1960, le Miroir du Football, sous sa forme mensuelle.
Dans l’éditorial du premier numéro avec Just Fontaine en couverture comme symbole de l’offensive, son inspirateur et rédacteur en chef (non encarté) François Thébaud en présentait la philosophie : « Ce sera le but du Miroir du Football que de vous aider, footballeurs anonymes ou célèbres, entraîneurs, spectateurs des petites et des grandes rencontres, dirigeants de clubs obscurs, à mieux connaître cette force, à l’exalter, à la développer, à en découvrir les raisons profondes. À lutter contre le chauvinisme qui repose sur l’ignorance des réalités du jeu, contre l’exploitation mercantile de votre passion. Bref, de contribuer à la grandeur du Football.
Si vous recherchez dans nos pages matière à satisfaire l’orgueil nationaliste, l’esprit de clocher, ou le culte commercial de la vedette… Ne poursuivez pas votre lecture !
Mais si vous aimez le Football pour lui-même, si vous cherchez à étendre le champ de vos connaissances dans tous les domaines du sport qui a conquis le Monde… Alors, le Miroir du Football est déjà votre revue. »
Pour pasticher Jean-Luc Godard, à 13 ans, je devenais communiste le temps de quelques articles du Miroir ! On put y lire par exemple une analyse quasi marxiste du jeu considérant que la défense en ligne constituait un acte progressiste alors que le catenaccio (de l’italien « verrou » signifiant une tactique ultra défensive)) symbolisait le fric pour ne pas perdre, soit le capitalisme le plus sordide. Que le football était beau en son Miroir ! J’en souris aujourd’hui avec une pointe de nostalgie.
Janvier 1960, le Stade de Reims se déplaçait à Toulouse. Je me souvenais de cette étonnante photographie de Fontaine sur la pelouse enneigée du Stadium. J’ai découvert récemment l’anecdote qui lui est liée. Alors qu’il s’échauffait sur un terrain annexe, deux jolies femmes s’approchèrent de ses partenaires Muller et Wendling, anciens joueurs de Toulouse, et leur firent la bise. Le « chanteur de charme » leur demanda : « Et moi, je n’ai le droit à rien ? ». L’une d’elles devint l’épouse de Justo qui s’installera définitivement dans la ville rose à l’issue de sa carrière.
Carnet noir après carnet rose : le 20 mars 1960, lors d’un match de championnat à Sochaux, suite à un tacle ultra violent de l’ailier ivoirien Sekou Touré, Just est victime d’une double fracture tibia péroné de la jambe gauche. On s’interroge en visionnant sur le net les images effrayantes du choc sur la mansuétude de l’arbitre qui ne sanctionna même pas le geste a minima maladroit du joueur sochalien.
Après une longue rééducation, Just retrouve les terrains à l’automne et même l’équipe de France, une ultime fois car … : « Les yeux de Fontaine sont pleins de larmes contenues. Des larmes de souffrance, des larmes de déception, des larmes de rage contre l’adversité qui s’acharne. Une terrible lucidité aussi. En ce premier jour de l’année 1961, il croyait avoir gagné la dure partie qu’il livrait depuis des mois pour recouvrer l’usage de sa jambe gauche affectée d’une double fracture. Deux semaines plus tôt, il avait même fait contre la Bulgarie une victorieuse rentrée internationale, et ce match contre Limoges dans le cadre familier du stade Auguste Delaune semblait devoir être sans histoire.
Soudain, sans raison apparente, sans subir le moindre choc, il s’est effondré de manière si dramatique que Roger Piantoni, le joueur le plus proche, a hurlé pour réclamer l’intervention des brancardiers.
Aux vestiaires où l’on emporte Fontaine, le visage tordu par la douleur, le diagnostic est catégorique : les os mal ressoudés du tibia et du péroné viennent de céder.
Tout est à refaire : intervention chirurgicale, rééducation douloureuse et longue. Quelques mois plus tard pourtant, Fontaine rechausse les crampons, enfile le maillot rouge à manches blanches de Reims, rejoue en championnat Cette fois les cals sont solides, mais la cheville ankylosée par une trop longue inaction ne lui permet plus les gestes qu’il effectuait jadis avec aisance. Fontaine s’obstine avec une farouche volonté. Chirurgiens et masseurs interviennent à nouveau. »
Après quelques apparitions épisodiques en fin de saison 1961-1962, la mort dans l’âme, il doit hélas renoncer à poursuivre sa carrière qui s’achève officiellement le 5 juillet 1962, lors d’une tournée en Amérique du Sud et en Guadeloupe avec le Stade de Reims. Justo n’a même pas 27 ans et ironie du sort, Sekou Touré est sacré meilleur buteur, cette saison-là.
L’opération de Fontaine ne fut pas sans conséquence sur ma propre santé. En effet, une dizaine d’années plus tard, souffrant d’une chondromatose de hanche qui laissait perplexes plusieurs spécialistes des hôpitaux parisiens, en désespoir de cause, je m’en remis au professeur Jean Judet, éminent précurseur avec son frère de la chirurgie orthopédique, en sa clinique Jouvenet, me souvenant qu’il avait eu entre ses mains plusieurs champions sportifs dont Justo.
Pour autant, la passion pour le football était loin de s’éteindre chez Fontaine et sa vie d’après allait s’écrire dans ce sport.
En 1961, fonceur comme il l’était sur le terrain, avec le footballeur stéphanois Eugène N’Jo Léa et l’avocat Jacques Bertrand, il fonda le syndicat de l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels) et en fut le premier président. Son principal cheval de bataille fut le combat contre le contrat léonin qui liait le footballeur à son club jusqu’à l’âge de 35 ans, sans la moindre possibilité d’en négocier le contenu, sans la moindre possibilité de s’opposer à un transfert, à une baisse de salaire.
Le tandem mythique se reconstitua, Raymond Kopa condamnant à son tour, dans un article du journal non sportif Paris-Match, le système esclavagiste des transferts de joueurs, prononçant un violent réquisitoire contre les dirigeants de clubs, véritables maquignons traitant les joueurs professionnels comme du bétail.
Naturellement, le Miroir du Football fit ses choux gras de cette fronde : « Voici de nouveau Kopa et Fontaine engagés dans un match impitoyable. Au coude-à-coude dans la même ligne d’attaque. Celle de la plus grande équipe professionnelle de tous les temps : l’équipe de l’Union des Footballeurs. En face d’eux, les dirigeants de la Ligue, des techniciens du coup irrégulier, des tacticiens de la manœuvre de coulisse, des athlètes de mauvaise foi.
Une dure partie commence sous l’arbitrage de l’opinion publique. Mais qui peut douter de son issue ? Alors que 500 000 footballeurs encouragent de la voix, du geste, du cœur et de la raison les deux plus grandes figures de leur sport, lancées à la pointe de l’offensive pour une cause qui est celle de tous les sportifs : le respect de leur dignité d’homme…
Ce milieu de footballeurs, où aurait dû régner la saine franchise du sport, qui est joie du muscle et de l’esprit, vivait dans l’atmosphère oppressante de la dictature des incapables.
L’immense mérite de Fontaine fut de rompre ce silence humiliant en groupant les joueurs professionnels au sein de l’Union. Son tempérament généreux n’était pas de ceux qui s’accommodent des compromis dans lesquels certains auraient voulu l’enfermer. La mauvaise foi de la Ligue, incarnation footballistique du patronat de droit divin, l’incita peu à peu à remonter jusqu’à la source d’un conflit qui se durcissait : le droit de propriété des dirigeants de clubs sur les joueurs.
C’est pour l’abolition de cette survivance des siècles révolus que l’Union commençait à fourbir ses armes juridiques, lorsque Kopa lança la bombe qui secoua l’opinion publique en dénonçant l’esclavage du joueur professionnel.
L’inconscience de la Ligue, traduisant le plus célèbre des joueurs français devant un tribunal d’opérette, acheva d’édifier le public sur les exorbitantes prétentions de cet État dans l’État, qui osait sanctionner un délit d’opinion. Et d’ouvrir les yeux de tous les footballeurs sur les réalités de leur condition. »
Jusque dans les années 1970, en guise de récréation, les Kopa, Piantoni mais aussi Fontaine boitant bas participèrent à des matches caritatifs sous les couleurs des « Anciens de Suède », un véritable label, une appellation contrôlée ou protégée du jeu plein de panache.
Bien des années plus tard, d’autres glorieux perdants, les « Anciens de Séville », Platini, Giresse et autres Tigana prirent le relais.
En 1962, Just décide de passer ses diplômes d’entraîneur et sort brillamment major de sa promotion. Mais un règlement absurde interdit d’entraîner un club professionnel avant l’âge de 35 ans.
Patience, le meilleur est à venir. L’équipe de France, qui n’a déjà pas été qualifiée pour la Coupe du Monde 1962 au Chili, est éliminée sans gloire dès le premier tour de la World Cup 1966 en Angleterre. Non qu’il n’y ait plus de joueurs talentueux, mais elle est aux mains de dirigeants conservateurs souvent incapables.
Alors une idée surgit, relayée bien sûr par l’incontournable Miroir : « Fontaine, directeur technique de l’équipe de France. C’est l’évènement qui devrait se réaliser officiellement ce vendredi 20 janvier. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une éventualité. Mais d’une éventualité à laquelle la position catégorique de Jean-Baptiste Doumeng (président du club de Toulouse et maire de Noé, surnommé le « milliardaire rouge » pour ses convictions communistes, ndlr), la personnalité la plus décidée du Comité de l’Équipe de France, confère la valeur d’une probabilité.
L’opinion publique pardonnerait-elle d’ailleurs aux dirigeants de la Fédération et du Groupement de se raviser et de faire un autre choix ? Alors qu’elle a accueilli avec enthousiasme ce qui est actuellement la seule solution au problème qui passionne tous les amoureux du football, la reconstruction de la sélection tricolore.
Il suffit de constater la popularité extraordinaire de Kopa -qui continue à rejaillir sur le nom magique de Reims, on l’a encore vu à l’occasion du dernier tour de la Coupe de France- pour comprendre combien le grand public est avide de renouer avec les inoubliables héros de l’épopée suédoise. Les pouvoirs dirigeants sont parfaitement conscients de cette évidence. Et ils le montrent en ne manquant jamais une occasion de présenter Reims au public de la capitale, parce que la présence de Kopa apporte l’assurance du succès populaire et financier.
Or, aux yeux du grand public, le nom de Fontaine ne saurait se dissocier de celui de Kopa. En France, mais aussi dans le monde entier, où Fontaine, toujours détenteur du record des buts marqués par un joueur dans la Coupe du monde, jouit d’un formidable prestige.
Fontaine est un nom glorieux du football international. Ce n’est pas pour autant l’incarnation d’un passé révolu. C’est un homme qui se situe dans le domaine de la tactique à l’avant-garde des idées d’aujourd’hui. Il aurait pu, comme tant d’autres, vivre dans la nostalgie des conceptions qui firent de lui un réalisateur inégalé. Mais s’il a naturellement conservé l’esprit offensif d’un attaquant de race, il a compris que le succès de la construction offensive dépendait aujourd’hui de la permanence de la liaison attaque-défense. Et il est devenu le partisan le plus convaincu de la défense en ligne avec utilisation du hors-jeu, qui dans l’état actuel des connaissances tactiques, est la seule garantie du jeu réellement offensif.
Invoquer son inexpérience du métier d’entraîneur relève de la mauvaise foi. D’abord parce que Fontaine, sorti « major » du stage national des entraîneurs, a pu mettre à l’épreuve avec succès dans les équipes amateurs du Toulouse FC, les conceptions que ses études théoriques, ses réflexions personnelles et son expérience de footballeur international lui ont permis d’acquérir et d’enrichir. Ensuite, parce que Fontaine directeur technique de l’équipe de France ne manquera pas de s’entourer d’entraîneurs. Mais d’entraîneurs professant les mêmes conceptions du football. Auprès des joueurs, Fontaine bénéficiera sur le plan humain, d’une audience incomparable. Pour tous les footballeurs, « Justo » c’est d’abord un footballeur comme eux. Et pas seulement le joueur professionnel conscient qui, en toutes occasions, a défendu leurs intérêts à la tête de l’UNFP avec un dynamisme, une lucidité et un courage exemplaires. Mais aussi le footballeur qu’un terrible accident -qui peut arriver à chacun d’entre eux- a privé, en pleine gloire, du sport qu’il aimait et qui l’aimait. L’homme qui a accepté cette redoutable épreuve -l’amputation de ce qui était la plus grande partie de sa vie- sans manifester jamais un ressentiment que tout le monde eût compris, sans jamais renier le sens de la fraternité qui le liait à tous les footballeurs. »
Dans son numéro du mois suivant, suite à l’officialisation de la nomination de Just Fontaine comme sélectionneur, François Thébaud, ravi, en remet une couche : « Cette promotion s’imposait, parce que tout ce dont l’équipe représentative du football français a besoin dans sa situation actuelle, se trouve réuni dans la personne de Fontaine :
– La popularité, conquise au cours de l’inoubliable épopée suédoise et conservée intacte, comme son record des buts marqués dans une Coupe du monde
– l’appui fraternel des joueurs dont il demeure le porte-parole comme créateur et président de leur Union nationale
– La jeunesse, le dynamisme et le franc-parler capables de remuer dans le cœur des moins de vingt ans les trésors d’enthousiasme qui sommeillent ou s’égarent.
– L’expérience -la véritable expérience- de ce football dont il a vécu dans sa chair toutes les joies et toutes les peines.
– L’intelligence qui a fait de cet homme de trente-trois ans un adepte résolu des conceptions tactiques d’avant-garde, alors que tant d’autres à sa place auraient cultivé la nostalgie « de mon temps »
Il n’y aurait pas de peaux de bananes -et on n’aurait pas à les balayer- si Fontaine se contentait d’être un sélectionneur docile aux injonctions des conformistes. Mais sa promotion représente tout autre chose : un pas décisif vers la rénovation du football français tout entier. Et de cette rénovation, les prétendus champions de la réforme ne veulent pas. Ils la craignent même comme la peste.
Le représentant des joueurs à la tête de l’équipe de France, c’est en effet beaucoup plus qu’une réforme, et il faut être aveugle pour ne pas en prendre conscience.
Quand M. Doumeng rappelle à la radio les origines populaires du football et son caractère d’universalité, c’est le retour aux sources authentiques de notre sport, la restitution de leur propriété à ceux qui l’ont créé, et qui en ont été frustrés. Quand il se prononce catégoriquement pour le contrat à temps réclamé depuis si longtemps par l’Union des Joueurs, c’est la garantie de la dignité de la profession de footballeur. Quand il fait de Raymond Kopa l’invité d’honneur de France-Roumanie, c’est la réhabilitation de l’homme qui fut insulté pour avoir défendu cette dignité.
Quand Fontaine choisit comme adjoint Biancheri, qui avait sauvé le Racing de Paris avant l’arrivée d’un entraîneur éminent de l’Amicale Boulogne, c’est la proclamation de l’alliance du joueur et de l’entraîneur.
Quand il proclame la volonté de jouer l’offensive, c’est le rétablissement du véritable esprit du jeu. Quand il appuie cette volonté offensive sur l’application de la défense en ligne, c’est la garantie solide que sa promesse sera tenue. Quand il exprime son intention de choisir les meilleurs joueurs en fonction de cette conception du jeu, c’est l’assurance qu’une véritable équipe sera enfin constituée… »
Cet élogieux plaidoyer était à la hauteur de l’immense espoir qui germait chez tous les nostalgiques de l’épopée suédoise et les amoureux du beau football. Il illustrait aussi la popularité intacte de Justo et le respect que l’homme, au-delà du footballeur, inspirait.
Mais les instances dirigeantes, qu’il avait fustigées lors de ses prises de position au sein de l’UNFP, n’avaient pas désarmé. Avant même que l’équipe de France ait disputé son premier match, elles manifestaient une hostilité qui frisait la haine. Le président du Groupement (ligue nationale du football), Jean Sadoul déposa un plan d’action dans lequel « les méthodes de Fontaine » (sic) étaient vertement critiquées.
Justo établit un nouveau record (qui tient aussi toujours !), celui de la brièveté au poste de sélectionneur de l’équipe de France. Il fut en effet débarqué au bout de deux matches officiels, deux défaites contre la Roumanie (1-2) et l’U.R.S.S (2-4), auxquelles on peut ajouter deux rencontres d’entraînement contre une sélection de Corse et le club allemand de Hanovre. Pour lui succéder, on fit appel à Louis Dugauguez, un « réaliste de l’école d’en face » (!). Le football français allait traverser une des périodes les plus sombres de son histoire avec une équipe de France incapable de se qualifier pour les Coupes du Monde 1970 et 1974.
Just n’avait pas mis tous ses œufs dans le même panier du football. À l’issue de sa carrière, il fut conseiller de la filiale française de la firme allemande Adidas, installée en Alsace, à Landersheim. À ce titre, à défaut désormais d’envoyer le « cuir » au fond des filets, il participa à l’élaboration du ballon révolutionnaire baptisé Telstar, comme le petit satellite de communication sphérique lancé depuis la Floride, en 1962 : 20 hexagones blancs et 12 pentagones noirs pour qu’il soit plus visible sur les téléviseurs en noir et blanc.
Just ouvrit aussi dans le centre de Toulouse deux enseignes d’articles de sport sous le nom de « Justo Sport ».
En mai 68, le siège de la Fédération Française de Football, installé à l’époque dans un hôtel particulier haussmannien de l’avenue d’Iéna, subit le même sort que celui des universités, des usines et de bien d’autres bâtiments publics et privés. Sur le modèle des occupations des usines Renault par les ouvriers, de la Sorbonne par les étudiants et du théâtre de l’Odéon par les gens de la culture, un petit groupe de footballeurs de clubs amateurs parisiens, que la classe dirigeante bien pensante nomma « les salopards à crampons », prit donc d’assaut les locaux de la 3F séquestrant même durant une demi-journée le secrétaire général Pierre Delaunay et l’instructeur national des entraîneurs et futur sélectionneur Georges Boulogne. Ce dernier voulait « calquer sur le football les concepts qui avaient cours dans la pensée économique du temps et qui s’appelaient croissance, industrialisation, performance … cette orientation conduisant à renoncer au jeu improvisé, brillant, fondé sur les initiatives individuelles et qui fut celui préconisé par Albert Batteux, et le mythique Stade de Reims. »
Le mouvement, on le devine, avait été instrumentalisé par … François Thébaud et les camarades de plume du Miroir. Le drapeau rouge fut hissé au balcon ainsi que des banderoles proclamant « Le football aux footballeurs ! ».
Le petit monde professionnel se tint à distance de cette rébellion qui reçut toutefois un soutien appuyé de deux joueurs du Red Star (Mérelle et Oriot) ainsi que celui à distance de Justo.
Je crains que la « Commune du Football » ne refleurisse plus ! Quoique, un demi-siècle plus tard, on déboulonne le président de la fédération pour de prétendus agissements à caractère sexuel !!!
Fontaine déposa bientôt ses valises, loin de cette agitation, au pied des Pyrénées, en entraînant, durant la saison 1968-69, l’équipe amateur de Bagnères-de-Luchon.
Et puis … une nouvelle fois, il allait réchauffer le cœur du passionné de beau football que je n’avais cessé d’être. Mon orientation professionnelle m’avait mené à Versailles. Pour satisfaire ma passion de la balle ronde, je me rendais au Parc des Princes où le Paris F.C. s’enlisait dans les profondeurs du classement, et à Saint-Ouen, près du marché aux Puces, pour voir le vénérable club banlieusard du Red Star.
C’est alors qu’en 1973, suite au désistement du club amateur normand de Quevilly renonçant à sa licence professionnelle, et au rachat du club de Saint-Germain-en-Laye, le P.S.G. fit ses débuts en 2ème division. Pour prendre la direction du club, le couturier Daniel Hechter entra en scène, accompagné de Jean-Paul Belmondo, Francis Borelli, Charles Talar et quelques autres, ceux que l’on appela ironiquement le « gang des chemises roses ».
Hechter imagina le design du nouveau maillot qui deviendrait mythique avec ses trois larges bandes verticales bleue, blanche et rouge. Et surtout, il fit appel comme directeur technique à … Just Fontaine, promesse d’un jeu plein de panache.
Lors d’un Tournoi de Paris, Johan Cruyff porta le maillot du PSG
Alors, durant une saison, le dimanche après-midi, je pris le chemin de la forêt de Saint-Germain et du bucolique petit stade du Camp des Loges. Appuyé à la main courante, tout au bord de la pelouse, j’épiais les réactions de Justo, assis sur le banc de touche, en costume ou en manteau, souvent cigare aux lèvres. Il avait constitué un mix de jeunes et de quelques joueurs chevronnés que Justo avait d’ailleurs sélectionnés durant son éphémère passage à la tête de l’équipe de France.
Le P.S.G. termina deuxième, et dut donc disputer un barrage contre Valenciennes pour briguer une accession en 1ère division. Défait 1 à 2 au match aller, le match retour se disputa, le 4 juin 1974, au Parc des Princes devant une vingtaine de milliers de spectateurs enthousiastes acquis à la cause des protégés de Fontaine. Pour motiver ses joueurs, Justo présenta l’enjeu ainsi : « Si on monte, c’est le Parc des Princes avec 45 000 personnes, et si on ne monte pas, c’est Saint-Germain avec 1 500 personnes. Alors, c’est à vous de voir le problème : si vous voulez jouer en deuxième division, vous me le dites de suite, je ne vous mets pas dans l’équipe » !
Le suspense fut insoutenable, la soirée étouffante..
Le cinéaste Adolphe Drhey raconta « La montée » dans un chaleureux documentaire En une quarantaine de minutes, presque le temps d’une mi-temps, il narre la belle aventure et l’immense joie que nous procura la bande à Justo.
Commencer à 7 minutes et 56 secondes
Les passionnés ou les curieux entendront au début le radioreportage « à l’ancienne » d’un Racing-Reims avec un but de Fontaine sur passe de Kopa. Il est quelques séquences d’anthologie, tel (à 20 min 35 sec) le sermon du prêtre lors des mariages de deux joueurs du nouveau club parisien, François M’ Pelé et Éric Renaut : « N’oublions pas qu’aux yeux de Dieu, ce jeu des hommes est le plus religieux des offices … Je rentre maintenant me reposer aux vestiaires, Seigneur. Demain, si tu donnes le coup d’envoi, je jouerai une nouvelle mi-temps et ainsi, chaque jour. Fais que cette partie célébrée avec tous mes frères soit l’imposante liturgie que tu attends de nous, afin qu’à ton dernier coup de sifflet interrompant nos vies, nous soyons sélectionnés pour la Coupe du Ciel. » Le football est donc bien une religion et Fontaine, un de ses meilleurs apôtres !
Vous apercevrez aussi fugacement quelques figures du théâtral arbitre Robert Wurtz, le « Nijinski du sifflet ». Quelques années plus tôt, je l’avais rencontré incidemment … à la Librairie française de Mexico City et nous avions passé une mémorable soirée ensemble au « Campos Eliseos », un restaurant français de la capitale aztèque. Par la suite, il m’offrit des billets en plusieurs occasions lorsqu’il venait officier à Paris.
Dans un Parc des Princes en fusion, le P.S.G finit par l’emporter 4 à 2. Bouleversé par l’émotion, Fontaine fit un malaise sur la pelouse.
Le lendemain, le journal L’Équipe titrait : « Paris en terre promise » !
Je me demande aujourd’hui si cette saison-là ne fut pas la plus épanouissante que je vécus par le seul rayonnement de Fontaine et tout ce qu’il symbolisait pour les amoureux du beau jeu. En tout cas, elle fut fondatrice de mon indéfectible affection pour le club parisien, ce qui pouvait valoir parfois quelque désagrément. Ainsi, l’ai-je déjà évoqué dans un ancien billet : « L’année suivante, le PSG prit possession du Parc des Princes. Le jeu prévalait sur l’enjeu. Malgré cela (ou à cause de !), la récompense fut une demi-finale de Coupe de France à Reims contre Lens. À cette occasion, avec deux amis, nous décidâmes d’aller « supporter notre équipe » à bord d’une automobile dépourvue de tout signe distinctif de notre sympathie pour elle (pas même un fanion au rétroviseur !). Vers Château-Thierry, un véhicule bruyant parvint à notre hauteur avec à son bord, quelques passagers aux couleurs « sang et or » se rendant manifestement au même endroit que nous, pour un motif évidemment opposé. Malencontreusement, mon ami, assis sur la banquette arrière, intrépide ou inconscient, en tout cas imprudent, saisit mon écharpe bleue et rouge et l’agita à la vitre transformant, sous la vindicte nordiste, une manifestation pacifique en un gymkhana dangereux et ordurier. Je compris, ce jour-là, le danger que pouvait revêtir d’avoir un penchant pour une équipe. » Peut-être aussi que le football changeait d’ère … La fièvre verte commençait à déferler dans l’hexagone.
Incorrigible Justo, infatigable attaquant : « On va essayer de garder notre image de marque, celle d’une équipe qui veut marquer le plus de buts possible et qui a le respect du public, c’est-à-dire que, à domicile comme à l’extérieur, on gardera notre manière de jouer. On a fait une équipe pour deux ou trois saisons et dès l’année prochaine, on pourra avoir l’ambition de terminer dans les quatre premiers ».
Il fut congédié à l’issue de la troisième saison. RTL, la station de radio périphérique, devenue sponsor principal du club, réclamait retour sur investissement et donc ne pouvait se satisfaire de ce panache incertain. Malgré tout, le nom de Fontaine reste gravé dans l’histoire du P.S.G. dont il avait écrit l’exaltant premier chapitre. Avec humour, il faisait remarquer encore sur ses vieux jours qu’il était le seul entraîneur à avoir fait monter le PSG en 1ère division, et pour cause, le club n’est jamais redescendu ! Encore un record !
Just sera encore entraîneur de l’U.S. Toulouse (ancêtre du Téfécé !) durant la saison 1978-1979 avant de devenir, jusqu’en 1981, sélectionneur de l’équipe nationale du Maroc. Un accident de la route près de Meknès, l’empêcha de diriger les Lions de l’Atlas durant la Coupe d’Afrique 1980.
On ne tue pas une idée. À jamais, ses 13 buts en Suède avaient marqué des générations de baby boomers et étaient entrés dans le patrimoine du football. Jusqu’à son dernier souffle, Fontaine resta dans le cœur des Français.
Ce n’était sans doute pas le plus doué, le plus élégant des footballeurs mais son entraîneur, Monsieur Albert Batteux, disait de lui : « Quand sa course le conduit vers le but adverse, il semble qu’il acquiert surnaturellement ce que la nature ne lui a donné que parcimonieusement ». Il était rapide, mais pas le plus rapide. Il était bon de la tête, mais pas le meilleur. Il frappait des deux pieds, mais d’autres aussi. Par contre, comme nul autre, il possédait l’art du démarquage, en particulier avec Raymond Kopa, le flair pour s’engager à la fraction de seconde opportune, et une adresse clinique dans ses face à face avec le goal adverse.
Fontaine fut beaucoup plus qu’un joueur. Sa conception du football, sa manière de l’exprimer, de le penser, à travers ses fonctions successives de président-fondateur du syndicat des joueurs professionnels, de sélectionneur de l’équipe de France, de directeur technique du Paris-Saint-Germain, en faisait une personnalité avant-gardiste, réformiste, dont les convictions ne pouvaient que déranger les instances dirigeantes conservatrices.
Enfin, tout bonnement, Just respirait la sympathie. Jovial, généreux, humble, il avait toujours le sourire aux lèvres, pratiquant volontiers l’autodérision, bon blagueur, jamais avare d’anecdotes. Tiens une dernière : « Elle remonte au temps de son arrivée au Stade de Reims, en 1956. C’est le neveu de l’entraîneur Albert Batteux, en rentrant chez lui, qui raconte à ses parents : » Vous savez, il y a un nouveau joueur au club, un attaquant, qui n’a pas de prénom. Il s’appelle… juste Fontaine, c’est tout ! ». Par la suite, Just raconta cette anecdote à Pierre Mondy qui s’en servit pour sa pièce de théâtre culte Le Dîner de cons. »
Après Jean Vincent en 2013, Raymond Kopa en 2017, Roger Piantoni en 2018, Just Fontaine est parti reformer le carré magique pour la « Coupe du Ciel ». Rêvons !
* http://encreviolette.unblog.fr/2017/03/15/raymond-kopa-un-des-plus-grands-footballeurs-de-mon-enfance/
** http://encreviolette.unblog.fr/2022/08/23/comme-gisele-bienne-jai-grandi-avec-le-stade-de-de-reims/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2014/03/01/bonjour-chers-auditeurs-ou-le-commentaire-sportif/