Archive pour juillet, 2022

Ici la route du Tour de France 1952 (3)

Pour revivre les 12 premières étapes du Tour de France 1952 :
http://encreviolette.unblog.fr/2022/06/30/ici-la-route-du-tour-de-france-1952-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2022/07/06/ici-la-route-du-tour-de-france-1952-2/

Les coureurs du Tour de France 1952 ont bénéficié d’une journée de repos en altitude à l’Alpe d’Huez. Je me suis accordé une semaine virtuelle sur le Rocher monégasque avant de vous relater les dix dernières étapes d’un Tour qui semble, d’ores et déjà, ne pas pouvoir échapper à Fausto Coppi tant la supériorité du campionissimo est insolente.

MAX Console

Je n’ai pas même l’espoir de croiser l’actrice Grace Kelly qui ne deviendra princesse que quatre ans plus tard.
En l’été 1952, tout gamin que j’étais, bien que maîtrisant encore imparfaitement la lecture, je commençais à feuilleter les magazines spécialisés qu’achetait mon père. Je notais les noms des coureurs sur une petite languette de papier que je collais sous le socle de mes petits cyclistes en plomb avec lesquels je « refaisais l’étape ».
C’est la raison pour laquelle tous ces « géants de la route », des plus prestigieux aux régionaux les plus modestes, sont restés gravés dans ma mémoire. Ce n’est pas sans une certaine émotion que je les retrouve aujourd’hui, de plus en plus fréquemment, dans la rubrique nécrologique, c’était, il est vrai, il y a soixante-dix ans de cela.
Cette année-là, Félix Lévitan était le rédacteur du roman du Tour du Miroir des Sports, intitulé Bouton d’or : « Le bouton d’or a pris de la tige dans l’air vif de Sestrières. Il attire tous les regards bien qu’il se tienne modestement au cœur du parterre multicolore du Tour. Certes, les coquelicots suisses sont plus vifs, les violettes du Sud-Est plus tendres, les marguerites des Bretons plus alanguies, mais aucune des fleurs du peloton n’a sa grâce, sa fraîcheur, sa pureté. On le trouve sans le chercher. On aimerait le cueillir mais il a déjà fui, et d’autres yeux l’admirent, et d’autres mains se tendent…
Après avoir traversé le Piémont, le Tour a bouleversé la vie monégasque. Tout un après-midi (deux passages dans la ville), toute une soirée (les voitures publicitaires, Tino Rossi, Charles Trenet), tout un matin (les opérations de départ), la Principauté n’a vécu que pour le Tour ! Les vieilles Anglaises ont dû soupirer d’aise en le regardant partir, coloré, tonitruant, agité …
Nice, Cannes, La Napoule, toute la côte l’a vu défiler, du premier motocycliste de la route casqué de blanc à la voiture-balai : camions énormes aux formes étranges, débordant de prospectus et de menus cadeaux ; véhicules de presse aux lignes basses remplis de journalistes aux tenues vestimentaires fantaisistes ; motocyclistes à demi-nus, bronzés à rendre jaloux les baigneurs massés au long de la Méditerranée, photographes à califourchon derrière les centaures pétaradant ; coureurs, tout de même, si longtemps attendus, à peine entrevus, jeeps hérissées de roues et de vélos, poussière, enfin un nuage léger vite estompé … Le Tour passe ! Le Tour est passé ! ... »

MS N°317B du 10 juillet 1952 11  Monaco - Aix

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La treizième étape, longue de 214 kilomètres, mène les 82 rescapés de la Principauté à Aix-en-Provence, le type même d’étape, après le franchissement des Alpes, qu’on qualifie volontiers de transition.
Le peloton, en effet, musarde et les coureurs passent au ravitaillement du Luc (km 133) avec près d’une heure de retard sur l’horaire prévu. C’est à ce moment que Jacques Vivier, le valeureux régional de la formation Ouest-Sud-Ouest, attaque sèchement, bientôt rattrapé par une escouade tricolore composée des Provençaux Raoul Rémy et Jean Dotto, ainsi que Maurice Quentin.

1952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 07

Je reprends le commentaire du maître es cyclisme, au passé méconnu de Résistant, le regretté Pierre Chany qui aurait eu 100 ans en 2022 :
« Le grand mérite de Marcel Bidot, c’est d’avoir admis…la supériorité de Fausto Coppi, d’avoir renoncé à lui disputer la première place, bref d’avoir changé ses batteries.
Aujourd’hui, l’ex-champion troyen qui assume la tâche de diriger une équipe de France assez « dépouillée » dans sa composition, s’est fixé trois buts dont deux au moins se complètent :
a) remporter le plus d’étapes possible
b) assurer la seconde place au classement général si possible
c) obtenir la victoire au challenge international par équipe
Entre Monaco et Aix-en-Provence, Rémy, Dotto et Quentin ont appliqué, avec succès, les nouvelles mesures prises par le capitaine Marcel. Nous les avons vus s’enfuir à 85 km de l’arrivée avec 45 degrés à l’ombre -mais il n’y avait pas d’ombre ! Alors que leurs adversaires songeaient surtout à se rafraîchir, ils ont atteint l’arrivée avec 7’29’’ d’avance sur un peloton somnolent à souhait. Du coup, l’équipe de France a dépossédé la « squadra » de la première place au challenge, en même temps qu’elle ramenait Dotto dans le jeu des leaders.

1952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 111952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 121952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 13Miroir du Tour 1952 39 Etape 13 Monaco - Aix Rémy

L’étape fut remportée par le bouillant Marseillais Raoul Rémy, ce qui provoqua quelques commentaires chez les suiveurs. « Le Marseillais n’avait pas le droit de priver Dotto de la première place, par sa faute, le cabassous a perdu 30 secondes de bonification. Cette demi-minute lui aurait peut-être été utile au Parc des Princes. »
Mais Raoul présentait aussi ses arguments. Grâce à sa présence dans l’échappée, l’écart prit des proportions importantes pour … Bartali et les autres. Ce qui lui donnait le droit de remporter une victoire devant ses compatriotes marseillais venus à Aix pour la circonstance, et puis, Aix est si près de Marseille…

Capture d’écran 2022-07-09 à 11.55.49

Les autres faits marquants de l’étape furent : l’attaque de Vivier au ravitaillement de Luc ce qui provoqua l’échappée des trois tricolores, Vivier assailli par la fringale dut laisser partir les « trois mousquetaires » dans une côte située à la sortie de Saint-Maximin (à 38 km de l’arrivée) ; et l’insolation de Van Breenen qui faillit abandonner au son des cigales dans la campagne chauffée à blanc, du côté de Vidauban. »
Onzième au classement général, le matin, le « vigneron de Cabasse » Jean Dotto pointe maintenant à la septième place.

MS N°317B du 10 juillet 1952 14 Baker d'Isy

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Mercredi 9 juillet : au menu de la quatorzième étape Aix-en-Provence-Avignon, les organisateurs ont inscrit l’ascension du mont Ventoux pour la seconde fois dans l’histoire du Tour. En 1951, les coureurs avaient abordé le Géant de Provence par Malaucène (versant Nord), cette fois, ils l’attaquent à Bédoin par la face Sud, avec, après le Chalet-Reynard, six kilomètres dans un désert de rocaille où poussent la saxifrage du Spitzberg et le pavot velu du Groenland.

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Dans Bouton d’or, le roman du Tour, Félix Lévitan met en scène Jean Robic encouragé, sur les pentes du Ventoux balayé par un fort mistral, par Marcel Bidot ulcéré par les lettres d’insultes anonymes reçues, la veille à l’hôtel (et encore, il n’y avait pas de réseaux sociaux à l’époque !) :
« Á moins de cinquante mètres de la boule bleue, casquée de cuir, qui dévalait les pentes du Ventoux, Marcel Bidot, arc-bouté au volant de sa jeep, les yeux protégés par d’épaisses lunettes, prenait les mêmes risques que Jean Robic.
Il y a une minute à peine, sur l’autre versant, alors que son poulain échappait, dans l’escalade, à la poursuite de Coppi, Marcel l’avait encouragé paternellement : -Vas-y on petit ! … Allez, tu gagnes du terrain… Vas-y Jeannot, Coppi ne te reprend rien … Vas-y, mon bonhomme, Fausto perd du temps.
Oubliée, la colère du soir précédent … Á la vérité, elle l’était dès le matin, après qu’André Leducq l’eût grondé : -Quoi, un gars comme toi, Marcel tu t’arrêtes encore à des lettres de mauvais goût ? Allons, c’est pas sérieux … Ne lis rien, jamais, sauf les lettres de ta femme … Le reste, hop ! au feu !
-Mais il y a des correspondants gentils ?
-Un au cent ! D’ailleurs, tu ne retiens pas ce qu’il dit d’aimable, tu ne te souviens que des engueulades des autres, alors ?…
Cette crevaison de Coppi, Robic l’avait déjà vécue. Il savait que ça lui flanquerait un grand coup de cœur, qu’il hésiterait un dixième de seconde, et que brusquement il se jetterait en avant, insouciant du terrain, du lieu d’arrivée, de son état physique, des réactions de ses amis et de celles de ses ennemis. Cette fois, il avait ruminé son plan : « J’irai jusqu’au bout, on verra bien … »
Que se fût-il passé dans ce mont Ventoux si Fausto Coppi n’avait soudain senti sou lui un boyau à plat ?
-J’étais décidé à attaquer, confia Robic aux journalistes après l’arrivée. Geminiani avait d’ailleurs démarré pour ça : il préparait le terrain.
-Coppi n’eût pas perdu le contact.
-Pas sûr …
Ainsi sont les hommes : toujours à imaginer, avec des si ou des mais, l’aspect d’une tranche de vie à laquelle on ne peut plus rien changer.
La crevaison de Coppi, c’était son destin.

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C’était celui de Robic d’être présent, et en excellente disposition. Le destin de Robic, encore, d’avaler le Ventoux comme la rue Lepic, sans redouter ni son élévation, ni sa longueur, ni le froid qui s’était brusquement abattu sur le désert de pierres du sommet.
-Vas-y, mon bonhomme …
C’était le destin de Marcel Bidot de n’éprouver aucun ressentiment, d’être le premier transporté par l’effort de Biquet, le premier à s’en réjouir, à s’en enthousiasmer.
-Vas-y mon petit !
Ce bon Marcel … Au volant de sa jeep, il glissait dans les courbes, à l’extérieur, à la corde, imitant Robic, freinant en même temps, accélérant lorsqu’il accélérait, sautant les mêmes bosses, longeant les mêmes précipices, avec la même morgue, la même insouciance.
Il était dans la roue ! Dans la roue de Robic comme autrefois dans celle de Leducq, prêt à stopper dans un grand crissement de freins et à le secourir comme il avait secouru Dédé.
Malaucène : un village aux rues étroites. De là, de ce bourg aux maisons basses, la route pointe vers Carpentras, en pente douce, à travers champs.
2’ 30’’ d’avance !
Nous y avions pris l’écart entre Robic et ses poursuivants : Coppi, Ockers, Gelabert, Bartali, Wagtmans, flanqués de Geminiani et Dotto.
-Merci …
Marcel Bidot avait accueilli le renseignement avec le sourire, le premier qu’il avait arboré depuis l’affaire des lettres.
Déjà sa jeep se frayait un passage à travers les photographes :
-2’ 30’’, Jean, tu ne seras pas revu, fais l’effort ; quand tu seras à Carpentras, tu n’auras plus qu’une heure de course. Je te préviendrai si tu dois être rejoint, fonce …
Cinq minutes plus tard, Bidot s’inquiétait :
-Un temps, s’il vous plaît ?
-2’ 50’’
-Non ! pas possible, il leur a regagné vingt secondes.
-Exactement, Marcel, il a mieux fini la descente.
Encore dix minutes et Marcel Bidot implorait :
-Redonnez-moi un écart, s’il vous plaît ?
Quand nous revînmes à sa hauteur, le renseignement était :
-2’ 20’’, il a un peu perdu …
-Oui, mais c’est assez pour gagner !
Les vingt derniers kilomètres furent un chemin de croix pour notre héros ; il y souffrit des tourments physiques, il y ressentit des tourments moraux : « Si je crève… »
Mais ce n’était pas son jour ; il avait déjà eu sa part de malheur.
Vingt kilomètres … Il les grignota mètre par mètre, péniblement, s’arrachant des petits cris de douleur…
-J’suis mort…
-Roule, allez, tu as encore plus de deux minutes !
-C’est dur ! J’suis mort, j’en peux plus…
-Roule … Tu vas gagner, encore un effort !
-J’suis mort ! J’ai soif, j’veux boire, j’ai soif …
La main anonyme qui lui tendit une canette de bière, c’était celle de la Providence ! »

MS N°317B du 10 juillet 1952 01 Robic - Ventoux1952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 01

Pour Gaston Bénac, dans le Miroir des Sports, Jean Robic dans les bourrasques du Ventoux, c’est mistral gagnant !
« Ce magnifique succès dans le terrifiant Ventoux et cette victoire que le petit Robic s’en fut cueillir en Avignon, torturant son vélo, grimaçant, mais avançant terriblement, cela devant sept champions, fait rebondir l’intérêt du Tour de France. On continue à se battre sur nos belles routes malgré les morsures du soleil implacable. Si Fausto Coppi était en congé comme attaquant, il fut magnifique dans le rôle de défenseur, le seul qu’il veuille bien jouer maintenant. Une crevaison lui fit perdre un terrain précieux. Il revint aisément sur le petit groupe Dotto, Geminiani, Gelabert, Ockers. Mais il jugea inutile d’aller plus loin. Il ne chercha pas à empêcher Robic de prendre deux ou trois minutes, sans compter les bonifications. Il est un champion, il ne veut pas être un ogre … et lorsque Bartali, qui avait fait, dans la montée, un retour sensationnel, le dépassa avant le sommet, il ne fit aucun effort pour s’y opposer.
La descente du Ventoux signifiait regroupement. Il n’y eut qu’une exception à la règle : celle d’un Jean Robic déchaîné. L’avance qu’il avait prise dès le milieu de l’escalade du Ventoux, il la conserva jusqu’à la fin, à quelques secondes près. Et, dans mon admiration pour l’exploit génial de « Biquet », je fais passer en premier sa course de Malaucène, au sortir du col, en Avignon, en passant par Carpentras. Sur le plat, Robic, qui n’est pourtant pas un spécialiste de course contre la montre, roula aussi vite, à 45 à l’heure généralement, que Coppi et Bartali se relayant. Je crois bien que jamais Biquet, même il y a trois ou quatre ans, ne connut une forme semblable et une volonté de vaincre aussi grande. Serrant les dents, le masque crispé, semblant fouetter son vélo, il « chamboulait » sans doute, mais il avançait vite. Oui, nous vîmes hier du meilleur Robic, du plus sensationnel. Et on en arrive à se demander comment un coureur arrive, après plusieurs années de piétinement, à retrouver d’un coup sa meilleure condition.
C’est le cas de Robic, comme celui de Coppi, comme celui de Bartali qui se livra hier, du Gino du meilleur cru de la meilleure année. Comment ne pas souligner que les cinq premiers de l’étape d’hier sont tous des plus de trente ans, alors qu’à Monte-Carlo, c’était le tour de jeunes avec Nolten et Dotto ?
Les deux catégories vont-elles jouer l’alternative jusqu’à Paris ? Certainement pas, car on ne demande pas aux nouveaux de mener une cadence régulière, mais, au contraire, d’attaquer et de tenter des exploits, pour se préparer pour 1953 ou 1954, même au risque de s’effondrer le lendemain.
Des trois premiers de l’échappée victorieuse de la veille, seul Jean Dotto est présent dans le peloton des vedettes… »

Castellania blog26

La présence de Jean Dotto accompagnant Coppi, Geminiani et Ockers sur les pentes du Ventoux chauffé à blanc me renvoie à mon émouvante visite, en 2016, du village piémontais de Castellania* où naquit et repose Fausto. Depuis, sans que j’y sois pour quelque chose, une étape du Giro d’Italia 2017 a démarré de Castellania. Plus encore, en mars 2019, le Conseil régional du Piémont a approuvé la décision du conseil municipal de cette minuscule commune de moins de cent âmes, de la nommer désormais Castellania Coppi en l’honneur du campionissimo.
Imagine-t-on en France les communes de Quincampoix-Anquetil et Masbaraud-Mérignat- Poulidor en mémoire de ces deux champions pour lesquels la France se passionna jusqu’à se diviser dans les années 1960 ?
En cliquant sur le lien à la fin de ce billet, vous découvrirez comment un accueillant autochtone, devant l’une des photographies géantes exposées sur les murs du village, me colla sur la présence de Jean Dotto dans l’échappée royale derrière Robic sur les pentes du Ventoux.
En Avignon, Albert Baker d’Isy fait le point :
« Trois étapes courues depuis le dernier numéro de « Miroir-Sprint » … Trois étapes au cours desquelles Fausto Coppi, soucieux d’économiser ses forces, n’a pas donné un « coup de pédale » … Trois étapes qui furent favorables aux tricolores.
Il y a quelque chose de changé, et en premier lieu, c’est l’entrée dans la danse de Jean Dotto, à qui nous reprochions dimanche, à Sestrières, de se montrer apathique, résigné. Dotto a attaqué pour la première fois dans les cols niçois et s’il a dû se contenter de la seconde place derrière Nolten à l’arrivée à Monaco, il n’en a pas moins amorcé ce jour-là sa remontée.
Car, le lendemain, on passait chez lui à Brignoles et un beau coup concerté avec Rémy et Quentin, lui faisait faire un nouveau bond en avant de plus de sept minutes.
Cette réussite d’un grimpeur sur le plat était certes due aux circonstances régionales. Mais les défaillances de Close et de Ruiz dans l’étape du mont Ventoux ont encore permis à Dotto d’améliorer sa position. Il est maintenant cinquième, très bien placé pour inquiéter Ockers et Bartali qui défendent leurs deuxième et troisième places. Les étapes des cols pyrénéens seront décisives à ce sujet. Dotto ne sera pas d’ailleurs le seul Français à jouer un role dans cette compétition pour la seconde place.
Jean Robic a remporté depuis ses malheurs de Sestrières deux grands succès, l’un sur la route, aujourd’hui, en Avignon, où il arriva seul après s’être échappé dans le mont Ventoux, et l’autre dans son propre cœur. Il a su se dominer, ne pas contrarier l’action de Dotto dans l’étape Monaco-Aix-en-Provence.
C’est un bon point, car la veille encore, « Biquet » avait commis une erreur en démarrant dans la Turbie avec Coppi alors que Dotto était échappé. Pardonnons à Robic, puisqu’il a compris qu’une lutte pour la place de premier Français serait stérile, alors que les actions concertées ont permis à lui et à Dotto d’améliorer leur classement en trois jours.
L’incident de Sestrières est oublié. Ce jour-là, Marcel Bidot fut mal inspiré en suivant Lauredi et, en négligeant Robic… Les minutes perdues font certes défaut au Breton, mais il sait qu’il faut toujours regarder en avant. Or d’autres buts sont désormais proposés aux tricolores.
Le challenge par équipes en est un -et non des moindres- puisque avec sa formule actuelle (addition des temps de trois coureurs à chaque étape) il prend autant d’importance que le classement individuel. Or, l’échappée du trio Rémy-Dotto-Quentin, dans l’étape des « bikinis » et du « ravitaillement au champagne », a permis à l’équipe de France de s’installer en tête.
L’envolée de Robic a valu aujourd’hui aux Français de gagner encore quelques minutes sans entraîner aucune réaction italienne. Il est vrai que le troisième transalpin -en l’espèce Magni- était attardé et que ni Coppi, ni Bartali, ne tenaient à faire d’efforts avant l’étape languedocienne qui fut fatale l’an dernier à Fausto.
La France en tête, Dotto et Robic bien placés … Le moral est tout autre depuis deux jours à la table de Marcel Bidot. Rémy, satisfait de la victoire remportée devant « son » public marseillais, sera un excellent auxiliaire ainsi que Quentin et le malchanceux Bonnaventure.
On est arrivé où l’on aurait dû commencer. Avec deux leaders seulement, bons grimpeurs tous deux, l’équipe de France a une autre allure. Pourquoi n’avoir pas fait le choix plus tôt ?
Á part Geminiani, qui a subi de gros coups de pompe (il accuse son Tour d’Italie) et se trouve moins brillant, aucune déception dans le classement actuel de nos hommes. S’ils ne peuvent viser sérieusement le maillot jaune du « campionissimo », les Français ont d’autres marrons à tirer de ce Tour 1952. Les places d’honneur leur sont ouvertes.
Il n’y a pas eu, depuis le Galibier, de nouveaux Le Guilly -il n’y eut même pas dans le mont Ventoux de véritables Le Guilly tout court. Fatigué, le petit Breton passa seulement neuvième à 3’50’’ avant de faire dans la descente une chute qui lui coûta beaucoup de temps et personne ne le dépanna.

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Mais nous avons vu, au cours de ces étapes azuréennes et provençales, des jeunes régionaux, des jeunes coureurs étrangers qui auront leur mot à dire l’an prochain. C’est le cas de Nolten -Hollandais aux muscles longs- qui a confirmé les qualités de grimpeur qui l’avaient fait le leader de la Route de France dans les Pyrénées. En gagnant l’étape de la Turbie -et surtout en y battant Dotto- ce Nolten, encore amateur le mois dernier, s’est affirmé le meilleur grimpeur de son pays.
Chez nos régionaux, on a revu Jacques Vivier qui attaque brillamment mais termine mal ; Bauvin, enfin sorti de l’ombre ; Rossinelli, Bertaina, Sabbadini bon sprinter, et Fernandez petit gabarit mais coureur complet. Un lot de champions parmi lesquels se trouvent les futurs champions du Tour. »
Toujours dans Miroir-Sprint, Charles Pélissier félicite quatre … Jean sans reproche :
Jan Nolten est dans l’ordre chronologique le premier d’entre eux. Sa victoire à Monaco a été acquise grâce à une course particulièrement brillante. C’est un très bel athlète, plein de race, bien posé sur sa machine, très lucide en course. Sa descente du col du Castillon, où il rejoignit et lâcha Dotto, pourtant enfant de la région, était un modèle du genre. Étant donné son jeune âge et son expérience encore réduite des grandes courses professionnelles, il est hors de doute qu’il constitue pour son pays un véritable espoir du cyclisme international.
Jean Dotto, qui a connu des hauts et des bas dans ce Tour de France, est constamment resté à l’attaque de Sestrières à Avignon. Second à Monaco, second à Aix, appartenant au groupe des six grands à Avignon, c’est une performance qui situe assez bien les possibilités de ce jeune champion. N’oublions pas, par ailleurs, qu’il avait été un des attaquants de ce très animé début de Tour de France, terminant derrière Molinéris à Lille.
Tout ceci indique que pour son deuxième Tour, Dotto se comporte fort bien, justifiant les espérances placées en lui. Il a certes, encore bien des choses à apprendre, notamment l’art de descendre un col aussi bien qu’il le monte, mais enfin on peut lui faire confiance. S’il continue d’aimer son métier et de le pratiquer avec tout le sérieux désirable, il peut faire, dans les prochaines années, un grand Tour de France.
Jean Le Guilly mérite une place particulière dans ce tableau d’honneur. La rapidité de son ascension et la publicité qui avait entouré son départ pouvaient faire craindre une déception. Or ce n’est pas le cas. Le jeune Breton n’est évidemment pas chaque jour égal, mais on le retrouve toujours avec les meilleurs dès que le profil de l’étape est accidenté. Dans le Ventoux encore, il est resté parmi les grands de la course et il faut comprendre ce que cette régularité représente de valeur pour un coureur aussi jeune, qui en est à son premier Tour de France. Je l’ai suivi longuement dans la plongée sur Avignon. Il avait été rejoint par deux des meilleurs chasseurs, Magni et Weilenmann. Il avait beaucoup de mal à les suivre et je m’inquiétais de le voir décoller soudain et de se trouver obligé de faire, chaque fois, de gros efforts pour revenir dans le sillage de ses deux aînés. J’avais bien raison de m’inquiéter puisque au passage d’un petit pont, je le vis toucher le bord du trottoir et faire, à 60 à l’heure, une cabriole qui eût pu avoir de très graves conséquences. Je suis heureux de l’avoir vu se relever car ce jeune garçon est certainement l’un de nos plus sérieux espoirs.
Enfin, Robic, Jean lui aussi, est celui qui mérite les plus vifs éloges. Il faut bien constater qu’il est, cette année, dans une condition qu’il a rarement connue. Depuis plus d’une semaine, il est le plus sérieux adversaire de Fausto Coppi, le seul qui parvienne en partie à lui tenir tête.

Une Equipe Aix-Avignon

Cette étape du Ventoux fut magnifique. Malgré la sécheresse et les efforts accomplis dans l’ascension, il conserva sans cesse l’œil clair et même la bonne humeur de l’homme en pleine possession de ses moyens. En tête au sommet, il parvint à accroître son avance en descente sur un groupe de champions de classe, qui avaient noms : Coppi, Bartali, Wagtmans, Gelabert et deux de ses coéquipiers, Geminiani et Dotto. Dans la plaine seulement, il perdit une minute environ sur le groupe de chasse où Coppi et Bartali accomplissaient un rude travail. C’est un résultat qui situe actuellement Robic immédiatement derrière Coppi. Il est fort improbable que celui-ci puisse maintenant être inquiété. Par contre, la deuxième place doit être farouchement disputée et prend de ce fait une importance particulière. Jean Robic, homme de l’équipe de France, est particulièrement bien placé pour l’occuper un jour. »

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 41

Les gosses sont cruels : je n’avais pas une sympathie particulière pour ce champion très populaire et j’étais vexé que l’on m’encourage avec des « Vas-y Robic » lorsque je « faisais le coureur » sur mon petit vélo vert.
En Avignon, si l’on excepte Fausto Coppi hors concours, 3 petites minutes seulement séparent Stan Ockers, deuxième du classement général, du huitième Jean Robic.
La quinzième étape, longue de 275 kilomètres, mène les coureurs d’Avignon à Perpignan, l’exemple même d’étape que l’on peut craindre monotone, avec la chaleur et avant les Pyrénées qui se profilent. Coppi est-il superstitieux, c’est sur un parcours semblable (entre Carcassonne et Nîmes) qu’il avait connu une défaillance mémorable concédant 33 minutes à Hugo Koblet.

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Surprise, dès le premier kilomètre, à la sortie de la cité des Papes, le « régional Parisien » Georges Decaux et Giovanni Corrieri, le gregario de Gino Bartali, se lancent dans une longue chevauchée tandis que le peloton somnole sous le soleil de plomb. Les deux courageux possèdent 32 minutes d’avance à Narbonne (km 193). Aux Cabanes-de-Fitou (km 229), Corrieri, déjà vainqueur de trois étapes lors des Tours précédents, est victime d’une crevaison. Son gonfleur est vide et sa pompe ne fonctionne pas, il doit attendre sa voiture de secours et perd de précieuses minutes. Á 13 kilomètres de l’arrivée, il accuse un retard de 8’30’’ sur Decaux exténué, qui l’emporte en solitaire sur le boulevard Jean Bourrat à Perpignan. Le peloton termine à près de 25 minutes.
Le fait du jour est, mine de rien, la seconde place de Corrieri qui permet à l’Italie de reprendre la tête du challenge Martini par équipes.

MS N°318 du 14 juillet 1952 02 Avignon - Perpignan1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 035A1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 45

Le quotidien L’Équipe affiche à sa Une : Bombe sur le Tour ! Rassurez-vous, il n’est nullement question d’attentat, mais la Source Perrier fait exploser sa dotation en augmentant de 500 000 francs et 250 000 francs le montant des prix affectés aux 2ème et 3ème places du classement général individuel. Perrier, c’est fou !

Une L'Equipe Avignon-Perpignan

Voici ce qu’en pense Maurice Vidal dans son bloc-notes :
« Fausto Coppi domine le Tour de France. Il domine même de telle façon que son cas est unique. On le met hors concours. Le journal organisateur établit des classements officieux en partant du deuxième. Et voici mieux : un communiqué officiel nous apprend qu’en s’octroyant la grosse prime offerte à Toulouse par une eau pétillante (d’esprit), le second du Tour gagnera 250 000 francs de plus que Fausto. C’est évidemment original…
Mais enfin, cette initiative, si elle ne fera croire à personne que le second est aussi glorieux que le premier, aura au moins le mérite de revaloriser les performances autres que celle de Coppi. Car il semble que nos confrères, de la presse écrite ou parlée, soient tellement déçus qu’ils oublient que le Tour de France, c’est un classement général, que celui-ci ne comprend pas seulement la place de premier, mais de nombreuses places qui ont toute leur histoire et leurs mérites. Et aussi que chaque étape est une course différente, avec son histoire, ses déroulements et ses héros.
Certes, Coppi est un superchampion. Mais sa domination ne doit pas nous faire oublier tous ceux qui le suivent et dont certains, avec des moyens plus réduits, méritent qu’on vante leurs exploits. Nous assistons cette année à un retour de boomerang. Depuis la Libération, la presse a entretenu dans tous les domaines le mythe de la super vedette. Elle a recherché à mettre toujours l’accent sur l’événement sensationnel, perdant ainsi l’habitude de rechercher et de mettre en lumière l’événement de chaque jour. »
Le 11 juillet, a priori autre étape de transition, 200 kilomètres de Perpignan à Toulouse. Les bulles et surtout les primes de Perrier n’y font rien, les géants de la route adoptent un train de sénateurs, la moyenne de l’étape atteignant péniblement les 28, 994 km/h.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 037AMS N°318 du 14 juillet 1952 05 Perpignan - Toulouse Gorges de l'Aude1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 038A

Á part quelques escarmouches vite réprimées, le peloton arrive compact, à petite allure, au ravitaillement de Mirepoix (km 115), avec 1 heure de retard sur l’horaire officiel. C’est là que le Hollandais Wim Van Est porte une attaque violente et emmène avec lui l’Italien Baroni. Ils possèdent 3’5’’ au km 165 mais les deux fuyards sont repris à six kilomètres de l’arrivée par une dizaine de coureurs : les Français Marinelli, Teisseire, Vivier, Telotte, Paret et Ciro Bianchi, les Hollandais Fanhoff et De Hertog, le Belge Rosseel. Van Est chute dans le couloir d’accès à la piste du vélodrome de Toulouse. Rosseel déborde Vivier dans le dernier virage et remporte sa seconde étape après son succès au Mans.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 040AMIROIR DU TOUR 1952 42 Etape 15 Avignon - Perpignan - Decaux1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 041A1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 46Une Lequipe Perpignan-Toulouse

Les organisateurs, furieux de la passivité du peloton, décident de bloquer les prix et les reporter sur le classement général comme un vieux règlement les y autorise. Dans le hall du Grand-Hôtel, à Toulouse, traînent au soir de cette seizième étape des ferments de révolte. Sylvère Maes, directeur technique des Belges, menace que son équipe ne repartira pas. Finalement, après bien des palabres, et l’application de la loi du sursis, Rosseel reçoit l’assurance qu’il touchera ses gains.
Maurice Vidal note sur son bloc :
« Donc, étant donnée la tenue de la course depuis jeudi, nous avons tout loisir pour revenir sur des réflexions faites au fil des jours. Et tout d’abord, l’allure observée d’Avignon à Perpignan et de Perpignan à Toulouse. Dans la première de ces deux étapes, l’équipe de France a commis une erreur difficilement compréhensible. Alors que la victoire semble (c’est un euphémisme) devoir lui échapper, elle conserve une belle chance pour la victoire par équipe à laquelle s’attachent une belle considération de prestige et de substantiels profits matériels.
Pourquoi, alors qu’elle occupait la tête de ce classement, n’avoir pas tenté d’empêcher la fuite de Corrieri et l’avoir laissé ensuite, sans connaître une seconde d’inquiétude, accumuler les minutes d’avance qui, toutes, sont capitalisées au challenge.
Le lendemain, l’allure a été si réduite que les organisateurs ont été amenés à supprimer les prix d’étapes en application d’un règlement datant de l’avant-guerre. Est-ce bien juste ? Certes, les coureurs ont tort d’adopter le train de 25 à l’heure, qui enlève à la course tout aspect de compétition sportive. Car la belle tenue du Tour de France, sa popularité, l’estime du public à son égard, intéressent aussi leur métier. Mais, ceci dit, des sanctions pécuniaires ne sont pas justifiables dans ce cas particulier, les coureurs se sont assez dépensés depuis Brest, assurant le succès de la première partie de l’épreuve, pour avoir droit à de l’indulgence et de la compréhension de la part des officiels de la course d’abord, de la part des critiques ensuite.
Cette fois, le sensationnel a dépassé tous les espoirs et le dénommé Coppi, remplaçant Zaaf à l’autre bout du classement, a « cassé la baraque ». »
Á Toulouse, le jovial abbé Pistre prêche pour la cathédrale du sport cycliste :
« Qu’auront pu penser, le long de la route écrasée de soleil, dans ce Midi bon enfant et plein de cigales, ceux qui auront deviné la présence d’un curé au fond d’une voiture officielle ? Les plus charitables auront pensé que c’était un habitué de l’auto-stop qui, sans vergogne, s’était effondré dans la voiture du directeur-adjoint. D’autres se diront que Fernandel, ayant encore gardé la soutane de Don Camillo, s’était payé la fantaisie de suivre le Tour. Nul n’aura pu penser que le curé était authentique et qu’il suivait sportivement son étape…
Ça me changeait un peu de ma calme paroisse. On se serait cru dans la cathédrale du sport cycliste. Á la place des cloches, hurlait une multitude de haut-parleurs et, ma parole, on avait mobilisé tous les sacristains de France, de Navarre et du monde entier, pour cette prodigieuse et bruyante cérémonie.
Sur les bords des chemins, sur les trottoirs des villes, se pressait une foule bariolée, enthousiaste. Que venaient donc voir les vieilles « Mémés » de nos Corbières sur la porte des vieux mas paisibles et sans histoire ? Quelles curieuses pensées se succédaient sous ces fronts blanchis et rayonnants de sérénité ? Que leur disaient ces mots : « Le Tour de France » ? Est-ce que dans leur esprit, cette course se confondait avec la vie de leur pays ? Était-ce un peu de France qui circulait sous les maillots aux couleurs de la patrie ? Elles se moquaient du classement général, ne savaient pas qui était Robic, Dotto, Lauredi et les autres. Mais elles étaient fières que les routes de France eussent été choisies pour ce circuit merveilleux du peloton multicolore.
Ce passage du Tour faisait partie du paysage familier de leurs jours. J’ai compris en passant rapidement qu’il fallait hausser les épaules aux esprits supérieurs qui ne comprennent pas. La foule, moins difficile, plus simple, se contente de joies peut-être moins raffinées, mais aussi profondes. Pourquoi l’en priver ? Tout le monde ne lit pas Gide, Valéry, Éluard.
La grosse majorité des Français ne peut s’enthousiasmer devant les toiles de Picasso. On peut plaindre ceux qui se privent de joies si hautes, on ne peut les blâmer de chercher des satisfactions à leur portée. Et il est heureux qu’il y ait un Tour de France. Sans cela, il faudrait mettre un musée dans chaque village et Picasso ferait bien, pour satisfaire tout le monde, de peindre au pistolet.
Surtout qu’on ne me fasse pas dire que je compare Coppi, Bartali, Robic et les autres aux artistes ou aux poètes. C’est d’un autre ordre. Chaque estomac cherche sa nourriture. On ne se jette pas tous, et c’est heureux, sur les langoustes et les ortolans.
Il se peut que tout ne soit pas parfait, mais on peut dire sans crainte que l’heure du départ pour la grande boucle est l’heure de vérité. Voyez Koblet, Kubler et Bobet, ils ont senti que, pour des raisons diverses, ils n’étaient pas suffisamment préparés. Ils n’ont pas voulu se rendre ridicules. Ils sont restés chez eux et ils ont bien fait. Le Tour exige, j’en suis bien convaincu, une forme physique presque parfaite. On ne demande pas des fantaisistes, si sympathiques qu’ils soient, on demande de vrais champions. Cela veut dire des coureurs qui savent souffrir, qui veulent souffrir. Car on ne peut refuser son admiration à ces hommes qui terminent un pénible voyage de 5 000 kilomètres. On peut raconter ce que l’on voudra, c’est là une prouesse athlétique qui compte, qui classe son auteur. On dira peut-être avec un sourire entendu que ces efforts sont largement récompensés. Pourquoi donc ceux qui croient tellement aux coureurs intéressés ne montent-ils pas sur un vélo et ne partent-ils pas pour la fructueuse aventure ? »
Samedi 12 juillet, les coureurs, même décriés, observent une seconde journée de repos dans la Cité des Violettes. Raphaël Geminiani décide d’adopter la méthode qui lui avait permis de gagner l’étape de Gap lors du Tour 1950 : passer la journée de repos dans sa chambre d’hôtel avec son épouse.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 045A1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 046A

Il est au moins un journaliste de Miroir-Sprint qui se déplace à Carcassonne et fait la première photographie de Jacques Anquetil vainqueur détaché du championnat de France amateur sur route. C’est le seul maillot bleu blanc rouge qu’il enfilera au cours de sa brillante carrière avec celui de champion de France professionnel de poursuite. Quelques jours plus tard, il était sélectionné pour les Jeux Olympiques d’Helsinki où il remporta la médaille de bronze de la course contre la montre par équipes.

MS N°318 du 14 juillet 1952 13 Anquetil champion de FranceAnquetil champion de France amateur

Je me souviens avoir vu, peu après, « mon » futur champion ceint de son maillot tricolore dans quelques courses régionales, notamment à Blangy-sur-Bresle.
Les choses sérieuses devraient reprendre lors de la dix-septième étape Toulouse-Bagnères-de-Bigorre et l’escalade des premiers cols des Pyrénées. Ce sont des routes que je découvrirai moi-même à vélo, trois décennies plus tard.
L’étape commence mollement, ainsi Maurice Vidal débute son article :
« Il est onze heures ce dimanche matin. Rien ne se passe, sinon qu’à la radio, Roland Forez, qui est très précisément et très fidèlement ami de Miroir-Sprint, s’adresse dans son émission « Musique sur la route » à ceux qui roulent et, en particulier, aux suiveurs du Tour. C’est gentil de penser à nous, car il est des jours où Paris nous semble loin …
Nous pensons à Noé, rendu célèbre à son corps défendant par son camp où, pendant quatre ans, les victimes du nazisme hitlérien attendirent le massacre. Quelques-uns d’entre nous qui y avons laissé des compagnons évoquent leur souvenir.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 043A1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 042A

Seule une chute massive au km 40 perturbe la course. Une vingtaine de coureurs se retrouvent à terre, parmi les plus touchés Fiorenzo Magni, Wim Van Est, Wagtmans, Roks, Soler et « Maigre Pierre » Molinéris. Les hostilités sont déclarées dans la montée du col de Peyresourde par l’Azuréen de l’équipe de France Jean Dotto, mais Fausto Coppi ne délivre pas de bon de sortie et réagit. Au sommet, Robic et l’Espagnol Gelabert passent en tête, suivis de Coppi à 5 secondes, Ockers à 7 secondes, Dotto à 23 et Geminiani à 54.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 044AMAX Console

Dans la descente, Gem revient comme une fusée et déborde tous ses adversaires grâce, affirmera-t-il, à ses freins Mafac issus d’une jeune entreprise de Clermont-Ferrand. Non seulement, il comble son handicap mais passe à Arreau, point d’intersection des deux cols, avec 1’05’’ d’avance sur le maillot jaune.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 032AMS N°318 du 14 juillet 1952 01 Géminiani - Col d'Aspin1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 052A

Dans l’ascension du col d’Aspin, le « grand fusil » ne perd pas de temps sur ses poursuivants. Il ne lui reste plus qu’à « fondre » sur Bagnères-de-Bigorre pour remporter sa seconde étape sur ce Tour de France. Il précède de 1’14’’ un groupe de 18 coureurs, réglé au sprint par son coéquipier Antonin Rolland, où figurent tous les favoris à l’exception de Magni qui termine à 4’32’’ et rétrograde de deux places au classement général.

1952-07-14 - BUT-CLUB 360 - 39th Tour de France - 050AUne L'Equipe Toulouse-Bagnères

MIROIR DU TOUR 1952 44 Etape 17 Toulouse - Bagnères de Bigorre - PELLOS Géminiani

« L’art de descendre apparaît désormais en bon rang dans le bagage du coureur complet du Tour : tout cycliste incapable de se jeter dans les pentes les plus abruptes, à plus de soixante kilomètres à l’heure, n’a rien à faire dans le Tour de France. Mieux vaut être grimpeur moyen et bon descendeur, que grimpeur ailé et descendeur médiocre.
Le capitaine Sauvage, l’un des as de l’escadrille Normandie-Niemen, s’émerveillait, dans notre voiture, au spectacle de Geminiani jeté vers le creux de la vallée à la vitesse d’une avalanche
-Mais il est fou … s’il dérape, s’il éclate ?
C’est le métier et Gem, comme tant d’autres, fait bien le sien avec un courage proche de l’intrépidité ;
-Ah ! tout de même, c’est formidable !
Lorsque nous avons, au soir de son succès, présenté Gem au capitaine Sauvage, Raphaël, admirant la brochette de décorations du grand pilote de chasse, lui dit avec admiration :
-Cela doit représenter pas mal d’émotions, n’est-ce pas ?
-Sans doute … Mais j’aime quand même mieux être dans mon « zinc » que sur vos deux roues minuscules à près de 80 kilomètres à l’heure, dans une pente comme celle d’Aspin… »
Lundi 14 juillet, dix-huitième étape, 149 kilomètres de Bagnères-de-Bigorre à Pau, avec les ascensions de deux cols de légende : le Tourmalet et l’Aubisque par le versant du Soulor. Le temps est couvert.

MS N°318B du 18 juillet 1952 05 Bagnères - Pau Au dessus des nuages

MIROIR DU TOUR 1952 47 Etape 18 Bagnères de Bigorre - Pau Coppi1952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 05

« Lila de Nobili (artiste peintre italienne, créatrice de décors d’opéra et visionnaire de la scénographie, ndlr) dépense des trésors d’imagination pour créer sur les scènes parisiennes des décors aussi vaporeux que ceux que présentait le col du Tourmalet après le premier tiers de son ascension. Dans cette mousseline accrochée au flanc de la montagne, les hommes du Tour étaient pareils aux acteurs que Raymond Rouleau promène dans l’irréel des voiles à peine éclairés. C’était étrange, ce peloton émergeant du brouillard et s’y replongeant à peine entrevu. Ce devait être inquiétant dans l’Aubisque. Pourtant, avant d’atteindre cette atmosphère de fin du monde, avant de se sentir perdus, apeurés, frissonnants, au bord du précipice de Soulor, cratère fumant de brouillard, coureurs et suiveurs eurent la vision d’un Tourmalet dégagé dans son sommet, orgueilleusement dressé dans le soleil éclatant. Toute la montagne alentour, avait les reflets mauves d’une queue d’arc-en-ciel. Le Tour, dès lors, planait au-dessus d’une mer de nuages. Nous étions dans l’Olympe et Jupiter, c’était Macron pardon (ndlr), c’était Coppi, le Dieu des Dieux, revêtu de la tunique d’or, attribut de sa puissance.

MIROIR DU TOUR 1952 48 Etape 18 Bagnères de Bigorre - Pau CoppiMIROIR DU TOUR 1952 49 Etape 18 Bagnères de Bigorre - Pau Coppi

Il avait frappé un grand coup et voilà, le ciel s’était déchiré et l’énorme sunlight du Soleil avait happé dans son pinceau et porté une fois de plus sur la colline des honneurs, Fausto-le-Simple, le long et harmonieux Fausto, romantique avec sa mèche noire mollement étendue sur son front serein. Il était seul à l’avant du troupeau. Le berger conduit certainement ainsi d’un pas ferme et sans s’attarder ses moutons nonchalants vers les pacages de haute montagne.
-Fausto … C’est Coppi … Regardez-le … c’est Coppi ….
La foule hurlait son admiration. Et l’autre sans laisser apparaître l’intensité de son effort, sinon dans le retroussis de l’aile gauche de son nez, se hissait sans douleur au long du cordon noir d’un public extraordinairement compact en ce jour de fête du 14 juillet.
-Où est Robic ? dis, tu le vois, toi l’homme aux jumelles, où il est Robic ?
Il était plus bas. Il se dandinait dans le rond de la lunette, debout sur ses pédales, hop, en l’air, hop, en bas, accroché comme une poupée à un élastique invisible.
-Vas-y Biquet … vas-y, il n’est pas loin …

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 50

La brume enroba à nouveau le Tour dans la descente. Sans réussir à la dissiper, le Soleil la transperçait de ses rayons et la visibilité était bonne sans être parfaite. Coppi s’il l’eût désiré eut pu courir le risque d’une dégringolade rapide. Á quoi bon ? Il prit des précautions de cyclotouriste, fouilla posément dans ses poches, en sortit une cuisse de poulet, un gâteau de riz, une tartelette, etc… sans cesser de glisser vers la vallée, engloutit le tout goulûment : la montagne, ça creuse son homme. Il fut rejoint par Ockers et Robic aux portes de Luz-Saint-Sauveur. Le visage de Robic avait la pâleur des mauvais jours. Brusquement, il se mit à gesticuler, à tendre le poing vers l’arrivée, à appeler Marcel Bidot…
-Qu’est-ce qu’il y a Biquet ?
-F … moi toutes ces voitures en l’air. Allez, faites le barrage …
-Mais les autres sont loin Jean, si le directeur de la course ne fait pas le barrage, c’est que ce n’est pas nécessaire.
-Si ! F… moi toutes ces voitures en l’air ou j’abandonne…
Il vociférait, il écumait. Coppi le fixa longuement de son lourd regard noir. Le soir dans sa chambre, il nous expliquait ce qu’il avait ressenti :
-J’ai eu peur pour lui, c’était un accès de folie !
Robic ne s’appartenait plus, c’est vrai : il y avait en lui un démon menaçant, né de la fatigue ou du dépit, peut-être aussi du survoltage d’un excitant mêlé à ses breuvages. Sa colère était celle d’un gosse gâté… Il entrait dans une nouvelle crise quand Geminiani le rejoignit :
-J’abandonne, toutes ces voitures, c’est une honte…
Surprenante hantise : elles étaient une demi-douzaine au plus ces voitures et leur tenue n’était pas préjudiciable au parfait déroulement de la course.
-J’abandonne, ils me font tous ch…
On nous pardonnera ces grossièretés, mais Robic dans son délire les a proférées et bien d’autres encore.
-Qu’est-ce que tu racontes, t’es pas fou ?
Le flegmatique Raphaël avait mesuré la situation. Elle commandait une paire de gifles. Il l’eût certainement appliquée à Biquet s’ils s’étaient trouvées debout, côte à côte. Gem se contenta de quatre ou cinq bourrades dans le dos qui n’étaient pas des caresses. Robic, passant des paroles aux actes, s’était déjà laissé glisser en queue de peloton, prêt à mettre pied à terre.
-T’es pas fou, non ? allez, bon sang, avance, pédale, qu’est-ce qui m’a fichu un tel idiot…
Sans Geminiani nous n’eussions probablement pas retrouvé Robic aux côtés de Coppi dans l’affreux désert de Soulor.
Nous n’avons jamais traîné nos bottes en hiver -ni même nos espadrilles en été- du côté du Labrador si nous en avons survolé les terres décharnées, mais nous en imaginons volontiers l’aspect. Ce doit être le Soulor du 14 juillet, avec de l’eau partout, dans le ciel, sur la terre, une eau grasse et froide, un isolement tragique, la peur constante du faux pas dans une crevasse invisible, la lourde oppression d’une nuit qui n’en finit pas, à peine blanchie par une aube incertaine. Le coureur qui se fût perdu dans un trou, comme Van Est l’an dernier, n’eût jamais été retrouvé. Nous n’avions qu’une hâte, en sortir, et jusqu’au bout nous avons redouté le pire.
C’est là que Coppi déposa à nouveau Jean Robic : en quelques coups de pédale, son maillot bouton d’or s’enfonça dans le coton noirâtre d’un nuage glacial.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 531952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 04

Il fallait monter à l’Aubisque, mais aussi en redescendre. Or, sur le versant palois le col disparaissait également dans la brume. L’arrivée proche rendit Coppi hardi, moins pourtant qu’Ockers retardé par une crevaison, et que Robic, victime d’une chute dans la traversée des Eaux-Bonnes -plus de peur que de mal, Dieu merci ! Le Tour sortait à son honneur de l’enfer pyrénéen et le dernier sursaut de Coppi, dans les faubourgs de Pau, lui permit tout de même, bien que rejoint à quelques kilomètres de la ligne, d’ajouter une nouvelle page de gloire au livre d’or de son épopée… » (Felix Lévitan, Bouton d’Or le roman du Tour)
Moins lyrique, Pierre Chany considère que, dans les cols pyrénéens, Coppi a couru avec … tact : « Dans la grande étape pyrénéenne, avec les cols du Tourmalet et d’Aubisque, Fausto Coppi a confirmé une nouvelle fois sa supériorité. Nous l’avons vu, au cours de cette grise journée, franchir en tête les deux cols et terminer légèrement détaché à Pau. Mais contrairement à ce qu’il avait fait dans les Alpes, le champion italien n’a pas cherché à « éclabousser » ses adversaires. Sa victoire fut acquise avec beaucoup de tact et la plus grande pondération.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 471952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 03

Dans le Tourmalet, cinq coureurs dominèrent : Coppi, Ockers, Carrea, Gelabert et Robic. Vers le sommet, Fausto appuya un peu plus fort sur les pédales, histoire de gagner la bonification et les points attribués dans le Grand Prix de la Montagne. Dans l’Aubisque, Fausto se détacha à nouveau avec Robic, Ruiz et Bauvin. Au moment de plonger sur le hameau de Gourette et le gave de Pau, il possédait 29’’ d’avance sur Robic, 57’’ sur Ruiz et Dotto, 1’ 19’’ sur Bauvin, 1’ 47’’ sur Gelabert, Bartali, Carrea, Ockers, ce dernier retardé par une crevaison.
La descente s’effectua dans un brouillard opaque qui rendait dangereuse la moindre imprudence.
Un regroupement s’opéra où seul manquait Dotto retardé par deux crevaisons. Á l’arrivée, l’Azuréen, et Geminiani qui l’avait attendu, concédaient 7’ 29 » ».

MS N°318B du 18 juillet 1952 02 Bagnères - Pau Classement - CoppiMS N°318B du 18 juillet 1952 03 Bagnères - Pau

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 511952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 06

La lutte pour la première place fut brève : un démarrage de Coppi à l’entrée de Pau et le campionissimo distança ses quatre derniers compagnons. Beaucoup plus acharné fut le sprint que se livrèrent Ockers et Robic pour la seconde place. Le Belge prit l’avantage, s’octroyant trente secondes de bonification. »
Bien évidemment, « avec tact », Fausto Coppi consolidait son maillot jaune.

MIROIR DU TOUR 1952 49 Etape 18 Bagnères de Bigorre - Pau  - PELLOS Coppi Robic OckaersUne L'Equipe Bagneres Pau

MIROIR DU TOUR 1952 50 Etape 18 Bagnères de Bigorre - PauMIROIR DU TOUR 1952 51 50 Etape 18 Bagnères de Bigorre - PauMIROIR DU TOUR 1952 51 Etape 18 Bagnères de Bigorre - Pau

Était-ce cet été-là, ou un de ceux qui suivirent, sous le règne de Louison Bobet, avec mes parents et mon frère, nous visitâmes les Pyrénées dans la Peugeot 203 familiale. On ne parlait pas à l’époque de pollution, d’environnement, et au mois d’août, nous observions encore les stigmates du passage du Tour le mois précédent : les journaux du jour de l’étape, Dépêche du Midi, Nouvelle République des Pyrénées, Sud-Ouest, L’Équipe, éparpillés au vent, les noms de certains coureurs peints sur la chaussée. Les yeux écarquillés, avec ces indices, je « refaisais l’étape », je localisais certaines photographies parues dans les magazines Miroir-Sprint et But&Club. Seuls les ânes, aux abords des tunnels du cirque de Litor, me distrayaient un instant de ma leçon de géographie cycliste.

MAX Console

Mardi 15 juillet, c’est l’étape traditionnelle Pau-Bordeaux avec la traversée monotone et rectiligne de la forêt landaise. Quelques journalistes, notamment Pierre Chany, doivent espérer un début d’étape tranquille pour déjeuner à Villeneuve-de-Marsan, à l’auberge de Jean Darroze, patriarche d’une dynastie de chefs cuisiniers.
« Jusqu’au ravitaillement de Captieux (km 115), il ne se passa rien qui méritât l’inscription au communiqué (et détournât l’ami Pierre de ses ortolans, ndlr). Ensuite, l’échauffourée se développa avec une rapidité étonnante dans le pays du Sauternes : une échauffourée confuse, intense, au cours de laquelle les Hollandais surent porter le coup décisif.

1952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 071952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 10MS N°318B du 18 juillet 1952 06 Pau - Bordeaux Dekkers

Sur un démarrage de Van Est, le champion de Hollande Dekkers prit le large avec son compatriote Voorting et le revenant Pardoën, à 65 kilomètres de Bordeaux. Derrière, les autres hésitèrent, puis comprenant que Coppi ne voyait aucun inconvénient à ce que chacun risque sa chance, certains entamèrent une poursuite à quinze kilomètres de l’arrivée, sur des pavés presque aussi mauvais que ceux d’Hénin-Liétard. La situation se présentait ainsi :
En tête : Dekkers, Voorting et Pardoën ; à 300 mètres : Rosseel, Van Ende, Faanhof, Fernadez, Kebaili, Vivier, Sabbadini, Vitteta, Giguet, Wagtmans ; à 450 mètres : Deledda, Decaux, Van Breenen, Weilenmann ; à 550 mètres : Nolten, Telotte, Marinelli ; à 850 mètres : le peloton où Coppi faisait la police.
Aux portes du vélodrome girondin, le sprint semblait inévitable. Pardoën connut alors la malchance de perdre un écrou papillon de sa roue arrière. Dekkers, qui n’avait pas les yeux dans sa poche, démarra sur le champ. Voorting neutralisa le jeune Amiénois… la course était jouée. »

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 55MS N°318B du 18 juillet 1952 07 Pau - Bordeaux

Une L'Equipe Pau Bordeaux

La tradition d’une victoire batave sur la piste du Parc Lescure était respectée. Une flopée de coureurs « régionaux » a mis le nez à la fenêtre. Cela n’empêche pas l’ancien champion André Leducq d’avoir la dent dure dans sa chronique : « Premiers dans leur village … mais le Tour c’est autre chose ».
« Je ne suis par nature ni un sceptique grincheux, ni un enthousiaste exagéré. Le sport m’a trop appris à me méfier des apparences et je m’emballe difficilement sans être pour cela incapable d’admirer ce qui mérite de l’être. D’ailleurs, je le fais toujours. C’est pourquoi, je ne peux m’empêcher une fois le Tour terminé, de songer à tous ceux dont les admirateurs sincères, mais trop souvent aveuglés par leur amitié, ont voulu faire de futurs grands « Tour de France », uniquement parce qu’ils avaient pu obtenir dans leur fief quelques résultats satisfaisants. Un peu comme si un bon élève du certificat d’études prétendait aborder Normale et s’y distinguer d’emblée.
C’est parce que les grands spécialistes du Tour sont infiniment rares qu’il importe de ne pas trop se faire des illusions sur des hommes qui n’ont pour ainsi dire jamais dépassé l’échelon régional ou qui ont pu briller exceptionnellement par suite de circonstances favorables au cours de la saison routière. Je m’excuse de citer leur nom et d’être ainsi un peu dur avec eux mais il me restera toujours la ressource de me prouver dans l’avenir que je me suis trompé et qu’ils valaient mieux que ce qu’ils nous ont montré pendant ces trois semaines où les occasions étaient cependant quotidiennes de se mettre en évidence.
Prenons Bianchi, par exemple… Vous avouerai-je que je l’ai si peu vu « sortir » du peloton que sa silhouette ne m’est pas encore familière. Il n’a pas trouvé le moyen, du départ à l’arrivée, de mettre à son actif un seul coup d’éclat. C’est grave cela, pour un homme qui bénéficie d’une popularité acquise en deux temps, trois mouvements. La vraie classe se décèle vite dans le Tour de France où deux ou trois journées quelconques peuvent être suivie d’un réveil, d’un exploit. Mais rouler anonymement, jour après jour, sans jamais « déboucher », voilà qui ne peut susciter le moindre enthousiasme.
J’avais entendu dire grand bien de Jacques Renaud également.
-Il est régulier, m’avait-on dit.
Mais dans le Tour, la régularité dans l’anonymat n’est pas une preuve de valeur et ce n’est pas parce qu’un routier aura une mine resplendissante à l’issue du Tour, alors que ses adversaires seront sur les genoux, qu’il aura droit à mon admiration. Le nordiste Telotte est dans le même cas. Ces efforts ont été si strictement comptés depuis le départ qu’il est bien difficile de l’imaginer lui aussi accomplissant dans l’avenir un Tour de France remarquable. Je sais… il y a la légende de l’apprentissage : venir dans le Tour « pour voir ce que c’est », puis le disputer « pour de bon » l’année suivante. Je ne marche pas. Un routier a de la valeur, du tempérament, de la volonté ou pas. Si oui, il lui est impossible de ne pas extérioriser, au moins une fois de temps à autre, ses qualités. Ou alors, c’est qu’il s’est fait des illusions, lui et ceux qui croient en lui, sur ses vraies possibilités. Un gaillard qui collectionne les circuits régionaux n’est pas nécessairement un coureur à la taille du Tour. Et c’est bien parce que ceux-là sont rares qu’il convient de mettre un frein à un enthousiasme nullement justifié. Je parle en connaissance de cause puisque j’ai moi-même cru dur comme fer, il y a trois ans, à Antonin Rolland, persuadé que j’avais déniché l’oiseau rare. Et je ne démords pas de mon opinion : même pour la première expérience, un homme du Tour, un vrai, ne passe pas inaperçu. Or, je n’ai vu aucune révélation sûre. Et tant pis si je vous fais hurler : pas même Le Guilly. »
Il est un peu excessif, le populaire Dédé ! D’ailleurs, Antonin Rolland lui fera avaler sa casquette dans un tout prochain Tour de France, et peut-être même avant!.
« On savait que Jacques Vivier, le jeune télégraphiste Limousin, sacré espoir du cyclisme, depuis sa victoire dans la « Route de France » l’an passé, projetait de remporter l’étape de Limoges. On le savait …mais on ignorait si Fausto Coppi lui accorderait le bon de sortie indispensable pour aller de l’avant. Coppi, magnanime, l’accorda sans réticence.
C’est pourquoi nous vîmes « l’enfant du pays » démarrer à 35 km du but entraînant avec lui Decaux, Van Est et Renaud. Les quatre hommes ne devaient plus être rejoints. L’explication finale pour la première place eut lieu aux abords du vélodrome (plus exactement la piste en cendrée du stade Beaublanc, ndlr) devant une foule compacte qui avait déjà choisi son vainqueur.
Le nom de Vivier jaillissait de toutes les poitrines et nous avions l’impression d’avoir été transporté à la « Madona del Ghisallo » sur le passage de Gino Bartali. »
Dans une petite rampe, à 1 000 mètres de l’arrivée au stade, Vivier surprit ses compagnons, prit une trentaine de mètres d’avance qu’il conserva jusqu’à la ligne.
L’étape fut aussi marquée par une lutte farouche entre Italiens et Français, en particulier Magni et Robic, dans la perspective du challenge international par équipes.

MS N°318B du 18 juillet 1952 11 Bordeaux - Limoges1952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 121952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 131952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 111952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 56MS N°318B du 18 juillet 1952 11 Bordeaux - Limoges 2

Une L'Equipe Bordeaux-Limoges

La 21ème étape Limoges-Clermont-Ferrand est propice aux grandes manœuvres, du moins pour la seconde place du classement général et le challenge Martini par équipes. Au menu, les coureurs ont l’ascension de quelques monts d’Auvergne, le col de la Roche Vendeix et le col de Dyane qui n’est autre que le col de la Croix Morand que popularisera plus tard le chanteur Jean-Louis Murat. Le Brenoï, né six mois plus tôt, n’exprime évidemment pas encore sa passion pour le vélo.
Après l’Alpe d’Huez, le Tour découvre pour la première fois une autre montée de légende, celle du volcan du Puy-de-Dôme. Quelle vérité sortira du Puy ? Lisons Pierre Chany :
« La plus élémentaire association d’idées faisait de Raphaël Geminiani la vedette très valable de cette dernière (sévère) étape Limoges-Puy-de-Dôme, via Clermont-Ferrand. L’Auvergnat n’en fut que le héros sentimental et l’un des grands animateurs.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 58A

La journée débuta fraîchement par une longue et soporifique promenade jusqu’au sommet du col de Dyane où Gino Bartali battit Geminiani au sprint devant Gelabert et tutti quanti …
Le « Vecchio » avait affirmé une agressivité que devait confirmer la fin de course. Car dans la descente de Dyane, la poudre brûla enfin. Le trio Geminiani-Bauvin-Marinelli plongea dans le vide avec intrépidité, grignotant 1’ 30’’ à ses prudents rivaux.
Dans le col de la Ventouse, Bartali se lança à la poursuite de cette « trinité pédalante » avec le jeune et étonnant Nolten. La jonction fut opérée avant Clermont-Ferrand qui fut traversé par ce quintette de fortune 1’ 30’’ (toujours) avant le peloton où Ockers et Robic s, se surveillant mutuellement, commençaient par ailleurs à manifester quelque impatience.

1952-07-18 - Miroir Sprint - 14a

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 591952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 16MS N°318B du 18 juillet 1952 01 Robic Coppi - Puy de DômeMS N°318B du 18 juillet 1952 16 Nolten Géminiani Bartali - Puy de Dôme1952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 01

Robic attaqua au bas du Puy-de-Dôme que Bartali avait entamé en tête des fuyards une minute et demie plus tôt. Biquet prit cinquante mètres … Fausto Coppi, jusqu’alors observateur dédaigneux, courut après le Breton, entraînant derrière lui le petit Ockers aui profita de l’aubaine, selon son habitude. Le Belge, lâché une première fois, revint à l’assaut, s’accrocha, et finalement, démarra dans le sillage de Fausto.
Au quatrième kilomètre de la montée, le trio nouvellement formé Robic, Coppi, Ockers, n’avait plus que deux cents mètres de retard sur les cinq … qui d’ailleurs n’étaient plus que trois. Marinelli et Bauvin, en effet, ayant été lâchés, naviguaient entre les deux trios.
Après huit kilomètres d’ascension, Gem, Bartali et Noltent avaient toujours leurs deux cents mètres d’avance sur leurs poursuivants qui avaient entre temps récupéré Bauvin et Marinelli.
Á trois kilomètres du sommet, Nolten démarra sec. Bartali, en difficulté avec sa chaîne, resta sur place. Geminiani, lui, ne put répondre et fut distancé à son tour.
Il restait environ sept cents mètres de montée. Nolten allait donc terminer cette escalade de la même façon impératrice qu’il avait dégringolé de la Turbie une semaine plus tôt, par la victoire … Non car Coppi sprinta et tout rentra dans l’ordre. Il fallut moins de trois cents mètres au maillot jaune pour lâcher ses partenaires, passer Bartali, Geminiani et Nolten en flèche, avec une désespérante désinvolture. Á la bataille Gem-Bartali et surtout Ockers-Robic, Fausto, en se jouant, apportait sa propre conclusion. C’est lui, en fait, qui écrivait l’histoire de cette étape comme il écrit celle du Tour de Brest à Paris. »
Fausto, avec 50 mètres d’avance, remportait sa cinquième étape dans ce Tour de France et, par la même occasion, le Grand Prix de la Montagne.
Jean Bidot, frère de Marcel directeur technique de l’équipe de France, s’extasie sur la performance de Fausto :
« Nous sommes obligés de parler encore de Coppi. Cela peut importuner quelques esprits chagrins qui ne manqueront pas de dire : « Ah ! Coppi, toujours Coppi … ».
Eh bien, oui, il y a encore Coppi. C’est-à-dire que ce n’est pas le Coppi qui domine le lot du Tour de France depuis trois semaines qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui, mais Coppi l’artiste, qui vient une fois de plus de signer un chef-d’œuvre. Car c’est une preuve de son talent inégalable qu’il a donnée, hier, dans les derniers kilomètres de l’ascension du Puy-de-Dôme. Il n’avait pas besoin de réaliser cet exploit pour consolider son maillot jaune. Il a fait cela naturellement, par instinct, par amour de l’effort. Coppi est un habitué de la victoire, mais il sait nous procurer un émerveillement toujours nouveau et plus grand, qui ajoute encore à son standing personnel.
Reprenons les faits : à 1 500 mètres du sommet du Puy-de-Dôme où se jugeait l’arrivée, le Hollandais Nolten comptait une minute d’avance sur le campionissimo. Partant de la sixième position, Fausto lâcha Robic et Ockers, remonta successivement les adversaires qui le précédaient et vint coiffer Nolten qui entrevoyait déjà le gain de l’étape. En cinq minutes à peine, Coppi avait mis sa griffe.
Je n’attends pas le Parc des Princes pour saluer ainsi qu’il convient cet extraordinaire champion et affirmer toute l’admiration que j’ai pour lui, tant au point de vue moral que physique. »

1952-07-18 - BUT et CLUB - 361 - 14MS N°318B du 18 juillet 1952 15 Coppi Puy de DômeMIROIR DU TOUR 1952 56 Etape 21  Limoges - Clermont Ferrand PELLOS Puy de DômeL'Equipe Limoges Puy de Dôme1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 57Tuttosport Puy de Dôme

La 22ème étape consiste en un contre la montre de 63 kilomètres entre Clermont-Ferrand et Vichy. Ce pourrait être, comme on aime à la surnommer, une épreuve de vérité. Mais comme l’écrit Pierre Chany : « Fausto Coppi s’est ingénié à compliquer la tâche des journalistes. Ainsi dans l’étape contre la montre Clermont-Ferrand-Vichy. Après sa victoire au sommet du Puy-de-Dôme, le maillot jaune partait grand favori. Celui qui aurait pronostiqué sa défaite se serait attiré les lazzis de la caravane. Mais Fausto le magnanime avait décidé de laisser à ses équipiers le soin de cueillir la minute de bonification. Histoire de favoriser leur ascension au classement général et de consolider la position de son équipe au challenge international.
Á ceux qui s’étonnaient de le retrouver en quatorzième position (à 2’59’’du vainqueur ndlr), le Génois répondait : « Je savais que Magni se trouvait en tête dès la mi-parcours, ensuite, j’ai ralenti mon effort ».
Voilà l’explication d’un résultat… qui ne s’explique pas autrement. »

1952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 058A-11952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 056A1952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 057A

Fiorenzo Magni, vainqueur à la moyenne de 40,565 km/h malgré une crevaison, Andrea Carrea, troisième à 1’05’’, et Giovanni Corrieri, quatrième à 1’07’’, marquent la suprématie italienne et assurent définitivement le succès de la Squadra au challenge Martini par équipes..

MS N°319 du 21 juillet 1952 03 Clermont - Vichy CLM

MIROIR DU TOUR 1952 60 Etape 22   Clermont Ferrand - Vichy1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 61Une L'Equipe Vichy clm

En terminant deuxième à deux petites secondes de Magni, le Belge Stan Ockers, « le vil suceur de roue » (sic Chany) assure définitivement sa seconde place au classement général.
Robic, troisième au général avant le départ de cette course contre la montre, qui n’est pas son exercice de prédilection, s’effondre complètement en se classant à la 42ème place, à plus de 5 minutes de Magni et Ockers, perdant tout espoir de terminer sur le podium à Paris.
L’Espagnol Bernardo Ruiz, excellent huitième, dépasse Gino Bartali et se hisse à la troisième marche du podium, une performance qu’aucun Ibérique n’avait réussie jusqu’alors.

MIROIR DU TOUR 1952 60 Etape 22   Clermont Ferrand - Vichy - CLM - PELLOS  Vers le podium

Le Tour de France 1952 s’achevait par une étape Vichy-Paris de 354 kilomètres … soit près de 11 heures 30 de selle, rien à voir avec les quelques tours des Champs-Élysées aujourd’hui. Voici comment la vécut Pierre Chany :
« Jusqu’à Pithiviers, c’est-à-dire durant … 265 kilomètres, la dernière étape fut d’une désespérante monotonie. Á travers les plaines ondulantes et dorées du Bourbonnais et du Gâtinais, en passant par le Nivernais, les coureurs chassèrent les boissons fraîches, faisant quelques entorses au régime du côté de Pouilly. Les suiveurs, eux, désertèrent souvent la route pour partir à l’assaut des restaurants-buvettes !

1952-07-21 - Miroir Sprint - 319 - 06a1952-07-21 - Miroir Sprint - 319 - 041952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 061A1952-07-21 - Miroir Sprint - 319 - 05MIROIR DU TOUR 1952 61 Etape 23    Vichy - Paris Rolland1952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 066A

Mais sitôt passé le ravitaillement -sans rillettes- de Pithiviers, le Nordiste Pardoën alluma l’incendie. Se forma un groupe de quatorze coureurs qui ne devait plus être rejoint. Il y avait dans ce commando précurseur : Antonin Rolland, Raoul Rémy, Weilenman, Faanhoff, Rosseel, Adolphe Deledda, Goldschmidt, Delahaye, Pezzi, Pezzuli, Crippa, Zelasco, Renaud et Pierre Pardoën.
Au Parc des Princes, après un défilé d’apothéose, mené à 40 km/h de moyenne, devant une foule enthousiaste et compétente, l’avance des fugitifs atteignait 4’04’’.
Le sprint fut passionnant, acharné, rapide. Il fit se lever les 25 000 spectateurs bloqués dans la cuvette de Boulogne. Goldschmidt, après avoir pénétré le premier sur le ciment couleur saumon, emmena la meute durant 300 mètres. Dans son sillage, Weilenman, Faanhoff et Rosseel s’apprêtaient à bondir. Le Belge lança la première attaque à l’entrée du dernier virage, Faanhoff tenta également de se dégager. Deledda, légèrement distancé, livrait une véritable poursuite. Ce fut alors qu’un maillot bleu-blanc-rouge passa à l’extérieur au milieu de l’ultime virage. De toutes les poitrines, un nom jaillit : Antonin Rolland !
Le Caladois grignota centimètre par centimètre pour déborder in-extremis Godfried Weilenman et Faanhoff. Sa victoire, accueillie par une ovation, récompensait un routier courageux, doté d’une belle classe. Elle permettait à ce coureur aimable autant que modeste d’obtenir de nombreux contrats pour les critériums. En un mot, ce fut une victoire sympathique propre à revaloriser le prestige vacillant de l’équipe de France. »

Miroir du Tour 1952 68 Ruiz - Bartali - Ockers - CoppiMIROIR DU TOUR 1952 61 Etape 23    Vichy - Paris - PELLOS Rolland - Tour Eiffel

Le Tour était fini. Vint le temps des bilans et analyses, ainsi celle de l’ancien champion Charles Pélissier :
« J’entends dire autour de moi : « Ce Tour de France n’a pas été intéressant ». Pour juger une telle opinion, il faut savoir de quel côté se placent ceux qui l’expriment. Car s’il est incontestable que la glorieuse incertitude du sport n’a guère régné dans ce Tour en ce qui concerne le vainqueur, il reste que d’un point de vue strictement sportif, il nous a été donné de voir, de Brest à Paris, un spectacle rare, dont le soliste fut l’incomparable Coppi que je n’hésite pas à placer parmi les plus grands noms qu’ait connu le sport cycliste depuis ses débuts.
Il est certain que si l’on recherche l’incertitude et l’intérêt dans l’épreuve, il existe une solution bien simple : interdire le départ à Fausto Coppi, Ferdinand Kubler et Hugo Koblet. Car derrière ces trois superchampions du cyclisme, une dizaine d’hommes peuvent prétendre à la victoire. Mais il va de soi que ceci n’est qu’une boutade et que le sport, épreuve d’honnêteté, ne reconnaît pas les raisons d’intérêt.
Donc, Fausto Coppi a gagné avec une déconcertante facilité, son deuxième Tour de France. Avec une bien plus grande facilité qu’en 1949. Á l’époque, il avait connu la défaillance et les assauts de Kubler. Cette année, aucune trace de relâchement, une domination entière, totale et absolue. Car je ne suivrai pas ceux qui voient dans la quatorzième place de Coppi, vendredi contre la montre, un signe de fatigue… »

1952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 053A1952-07-21 - Miroir Sprint - 319 - 011952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 065A1952-07-21 - BUT-CLUB 362 - 39th Tour de France - 064A1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 64

Une Gazzetta

Baisser de rideau avec Félix Lévitan :
« La pièce est finie. Il reste à Coppi son maillot jaune brodé aux initiales « H.D », Henri Desgrange, l’auteur.
Fausto ne l’a pas connu, mais il apprécie sa pièce. C’est une comédie, c’est un drame, c’est parfois un vaudeville. C’est un classique. C’est le classique ! Il eût aimé approcher Henri Desgrange, le saluer, lui parler : -C’est merveilleux, monsieur, ce que vous avez fait là !
Il ne sait pas que le petit homme aux cheveux blancs lui aurait répondu en le regardant droit dans les yeux : -Non, monsieur, ce qui est merveilleux, c’est ce que vous avez fait, vous. J’aime mon œuvre, j’en suis fier, c’est vrai ; mais je ne l’aime jamais tant que lorsque le destin lui donne des interprètes de votre trempe. Le Tour de France, monsieur Coppi, c’est une trame. Je l’ai destinée aux mimes. Ils en font un chef-d’œuvre ou, passez-moi l’expression, un navet. Avec vous, monsieur Coppi, je suis tranquille, c’est un chef-d’œuvre ! »

MIROIR DU TOUR 1952 01 Fausto Coppi1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 00

Classement général Tour 1952Classement Equipes Tour 1952

Lors de ce Tour 1952, j’avais cinq ans. Confusément, j’imagine l’avoir vécu en temps réel à travers les radioreportages de Georges Briquet, les articles et les photographies dans Miroir-Sprint et But&Club, les commentaires à table de mon père. Inconsciemment, on m’avait inoculé une admiration pour cette légende du sport que fut Fausto Coppi. J’allais adorer Jacques Anquetil qui venait de pointer son nez mais je garderai un profond respect pour Fausto qui m’amena, bien plus tard, à me rendre dans son village natal Castellania Coppi, ainsi s’appelle-t-il aujourd’hui.
Au moins, une des figures de ce Tour 1952 pourrait encore témoigner aujourd’hui. Il s’agit de Raphaël Geminiani qui a fêté ses 97 printemps à la fin du mois de juin. Il en est d’autres, ainsi Antonin Rolland qui soufflera ses 98 bougies en septembre prochain, ou encore le Lorrain Gilbert Bauvin, 95 ans en août. Quant à l’Espagnol Bernardo Ruiz, excellent troisième, il est entré dans sa quatre-vingt-dix-huitième année.
Et pourtant… en décembre 1959, Gem se rend avec Coppi, son ami, en Haute-Volta pour participer à un critérium à Ouagadougou. Le jour de Noël, il est pris de tremblements de fièvre et est hospitalisé à Clermont-Ferrand où les médecins diagnostiquent une malaria mortelle. Les doses massives de quinine qui lui sont administrées le sauvent. Fausto Coppi est atteint du même mal mais les médecins de l’hôpital de Tortona n’acceptent pas la justesse du diagnostic de leurs homologues français. Le campionissimo meurt le 2 janvier 1960. Geminiani deviendra le directeur sportif de Jacques Anquetil lui inspirant quelques-uns de ses plus grands exploits, notamment un Bordeaux-Paris de légende.
Ainsi, se construisent des destins …

* http://encreviolette.unblog.fr/2016/08/27/vacances-postromaines-10-les-cerises-de-castellania-village-natal-de-fausto-coppi/
Pour évoquer ce Tour de France 1952, j’ai puisé dans les magazines bihebdomadaires Miroir-Sprint et Miroir des Sports But&Club, dans les numéro spéciaux d’après Tour de France du Miroir des Sports et de Miroir-Sprint.
Remerciements à tous ces écrivains journalistes, photographes et … coureurs qui, soixante-dix ans plus tard, me font toujours rêver.
Remerciements également à l’ami Jean-Pierre Le Port qui, comme chaque année, comble les quelques manques de mes collections.

Publié dans:Cyclisme |on 13 juillet, 2022 |Pas de commentaires »

Ici la route du Tour de France 1952 (2)

Pour revivre le début du Tour de France 1952, cliquer sur ce lien :

http://encreviolette.unblog.fr/2022/06/30/ici-la-route-du-tour-de-france-1952-1/

Lors de la 4ème étape Rouen-Roubaix, le Tour 1952 passait par ce qui était encore alors le département de la Seine-Inférieure. Ce 28 juin, il devait traverser Neufchâtel-en-Bray, cité renommée pour ses fromages en forme de cœur, aux alentours de 10 heures 50 si j’en crois l’horaire officiel calculé sur une vitesse de 33km/h. Le samedi était à l’époque jour de classe, ce qui excluait que mon professeur de père m’emmenât avec lui assister à son passage.
Auparavant, les coureurs traversaient, au dixième kilomètre, la localité de Quincampoix. Il est fort possible que parmi les spectateurs, se fût trouvé un jeune homme qui commençait à écumer les courses régionales sous les couleurs violettes de son club l’Auto Cycle Sottevillais. Il était sans doute loin d’imaginer qu’un an plus tard, il irait affronter le campionissimo Fausto Coppi, sur ses terres, à l’occasion du Trophée Baracchi, une prestigieuse épreuve contre la montre aujourd’hui disparue. Vous aurez deviné que ce fils de paysans locaux producteurs de fraises n’était autre que Jacques Anquetil qui deviendra bientôt l’idole de mon enfance*. Il repose aujourd’hui dans le cimetière attenant à l’église de ce petit village de la banlieue rouennaise. Au centre du bourg, une stèle rappelle son extraordinaire palmarès, notamment ses 5 victoires dans le Tour de France que je vous ai contées dans d’anciens billets**.

MS N° 316  du 30 juin 1952 05 Etape 4 Rouen - Roubaix - Abbeville1952-06-30 - BUT et CLUB - 356 - 10A

Dans Miroir-Sprint, l’avisé Pierre Chany relate l’étape :
« Entre Rouen et Roubaix, les coureurs ont trouvé des parcours difficiles, dont les néfastes effets se feront bientôt sentir. Ils ont trouvé surtout un « enfer du Nord » plus torride que celui du classique « Paris-Roubaix », un enfer chauffé à blanc, dont les portes s’ouvraient à Lens, soit à 41 kilomètres de l’arrivée.
Au passage sous ces « portes », alors que les premiers pavés sortaient de terre, treize coureurs dirigeaient la manœuvre, Lucien Lazaridès, Dotto, Quentin (tous trois de l’équipe de France), Zélasco, Van Breinen, Berton, Martini, Decaux, Molinéris, Nolten, Bernard, Faanhof et Lafranchi. L’avance de ce groupe échappé en Normandie dès le vingtième kilomètre oscillait aux environs de 3’40’’. Les écarts allaient être beaucoup plus élevés vers la mi-parcours mais une réaction des Italiens les amputerait de quatre minutes et des poussières entre Doullens et Arras.
Ils étaient treize à quarante kilomètres de l’arrivée. Il n’en restait qu’un, Pierre Molinéris, au vélodrome roubaisien !
Sur les pavés plus mal taillés les uns que les autres ou sur les affreux « cyclables » gravillonnés, Zélasco, Bernard, Lafranchi, Nolten, Faanhof, Van Breinen s’étaient inclinés. Lucien Lazaridès, longtemps brillant, avait essuyé une défaillance tout près du but. Puis la malchance avait frappé Decaux, Martini et Berton.

MS N° 316  du 30 juin 1952 07 Etape 4 Rouen - RoubaixMS N° 316  du 30 juin 1952 06 Etape 4 Rouen - Roubaix classement - Molinéris -Fiml de l'étape1952-06-30 - BUT et CLUB - 356 - 13

Alors que Dotto qui surprenait par son avance, lui le grimpeur que nul n’attendait sur un tel parcours, attendait Lucien Lazaridès, Molinéris fuyait avec Quentin. Las, le vainqueur des « Boucles de la Seine » qui n’avait pas dit son dernier mot et s’apprêtait à « estoquer » Molinéris au sprint, dut à son tour s’arrêter pour changer de boyau.
Malgré le retour (sensationnel) du premier groupe de chasse emmené par Antonin Rolland, Van der Stock et Magni, Molinéris et même Dotto qui avait « abandonné » Lazaridès afin d’assurer la seconde place, ne furent pas inquiétés. »
Molinéris dit « Maigre Pierre » arrive seul au vélodrome, devançant Jean Dotto surnommé « le vigneron de Cabasse » de 2’34’’, Antonin Rolland, Van der Stock, Magni, Carrea, Close, Quentin, Lazaridès et Goldschmidt de 3’21’’, le peloton se présentant avec 7’11’’ de retard.
En son sein, Coppi et Bartali n’avaient toujours pas bronché.

1952-07-03 - BUT-CLUB 357 - 39th Tour de France - 014A

Nello Lauredi, le pépiniériste de Vallauris, conservait sa tunique jaune. Autre fait marquant, le Parisien de l’équipe de France P’tit Louis Caput, qui souffrait du bras depuis sa chute de la veille, monta dans la voiture ambulance.
Félix Lévitan commence ainsi son « Roman du Tour » intitulé, cette année, Bouton d’or :
« Au soir du quatrième jour, Fausto Coppi s’est fâché.
Il était seul dans la salle enfumée du petit restaurant attenant à l’hôtel où l’équipe italienne était logée, seul de la squadra. Il était nerveux, mécontent de tout : mécontent de lui, mécontent surtout de Gino Bartali, et il ne l’avait pas envoyé dire à Alfredo Binda :
-Quand est-ce qu’il aura fini de m’épier, hein ? Quand est-ce que je ne sentirai plus dans mon dos ces yeux cruels qui me poignardent ?
Binda n’avait pas répondu. Il s’était contenté d’un timide : -Fausto, tu exagères …
Debout à deux pas de la table de son poulain, Binda rêvait maintenant au quiet foyer milanais où il avait laissé une jeune épouse éplorée, pour se jeter la tête la première dans cette nouvelle aventure…
Il soupira, puis, pour se donner une contenance, esquissa un sourire et interrogea :
-C’est bon, Fausto ?
-Non … et d’abord, j’en ai assez, je m’en vais …
Déjà Coppi était debout. Il avait jeté rageusement sa fourchette dans son assiette de riz, et avant que Binda, interloqué, ne fût revenu de sa surprise, il était sorti…
La nouvelle fit le tour de Roubaix.
-Fausto Coppi est parti en voiture !… Fausto est parti ! … Fausto est …
Parti où ?
-Chut ! Mystère, on ne sait pas ! Fausto Coppi est parti… Fausto Coppi est parti…
Les journalistes bondirent à l’hôtel des Italiens :
-Où est-il ? Que fait-il ? A-t-il abandonné ?
Ça y est ! On avait lâché le grand mot… Maintenant, ils couraient les hôtels, les estaminets, les foyers peut-être -pourquoi pas ?
Á la permanence, le siège était levé.
Au central téléphonique, les confrères italiens se regardèrent consternés :
-Impossible !
Emilio De Martino mordit son crayon. Piero Farné s’agita. Nino Nutrizio, souverain à son habitude, ne consentit pas à se départir de son calme. On courut alerter Giuseppe Ambrosini aux prises avec les robinets de sa baignoire, destinés, l’un et l’autre, à ne laisser couler qu’un maigre filet d’eau froide :
-Incredibile !
Dans le hall du Grand-Hôtel, véritable salle des pas-perdus du Tour de France, Claude Tillet contemplait l’agitation avec une lueur de froide ironie au coin de l’œil.
Le leader de la rubrique cycliste du journal L’Équipe, qui en a vu d’autres depuis un quart de siècle (nous avons débuté si jeunes…) évitait de tomber dans le panneau :
-Ne vous affolez pas, il reviendra…
Et désireux d’échapper au système, il m’offrit aimablement d’imiter Fausto :
-Fuyons ces lieux, Félix ; allons dîner ailleurs…
Tous les ans dans le Tour, c’est une habitude qui nous est chère : nous nous éclipsons, comme ça, de temps en temps, avec Claude, dans le but de dévorer autre chose que le sempiternel colin mayonnaise ou le non moins sempiternel poulet petits pois, et plus encore pour poser nos regards sur autre chose qu’un visage à demi dévoré par le soleil, à moins que ce ne soit pour ne plus entendre parler du Tour…
-Vous connaissez un bistrot ?
C’est rituel. La réponse le fut autant : « Bien sûr ! »
Pardi ! des grands voyageurs qui ne connaîtraient pas un bistrot dans n’importe quel coin de France.
-Vous aimez la matelote d’anguille ? La truite au bleu ? C’est la spécialité …
-Mon Dieu…
-Alors, allons-y !
Deux minutes plus tard, le temps de fréter une voiture, nous roulions en direction de Lille, laissant Roubaix bouillir dans son jus.
-C’est à deux kilomètres mon petit truc, vous verrez, ce n’est pas mal !
Brave Claude, déjà inquiet…
Le patron eut un sourire accueillant. Pastis sur le zinc ? Pourquoi pas … Menu : omelette au fromage, truite au bleu. La servante s’enquit : « Dans la salle du fond, près d’une fenêtre ? »
Va pour la salle du fond !
Mais … mais ce dos rond, derrière le muret, surmonté d’un vivier …. Ce cheveu noir, bas sur la nuque brûlée de soleil, ces pointes d’épaules saillantes sous le lainage … mais c’est…oui, vous avez deviné : Fausto Coppi, moulé de bleu, en short, avec pour compagnon de table, tiens, on vous le donne en mille ? Non, pas Gino Bartali ; non, René de Latour, notre collaborateur…
Le traître ! Compagnon de table de Fausto pendant qu’aux quatre coins de Roubaix, on fouille les restaurants…
-Bonjour, Fausto !
Il s’est levé gentiment, et avec un grand sourire a tendu une bonne main franche :
-Bonjour, monsieur, comment allez-vous ?
Dans l’assiette de Fausto, une anguille au vert ; pas de vin, un grand verre de bière Tuborg, blonde comme une fille du Nord.
-Je vous en prie, Fausto, continuez, ne vous dérangez pas pour nous. Volubile, René de Latour a enchaîné :
-Tu sais, je ne suis pas en service commandé ; j’ai rencontré Fausto dans la rue et il m’a demandé de dîner avec lui.
-Tu connaissais ce bistrot ?
-Non, mais nous avons demandé : il y a de fines gueules dans la région…
Bien sûr, nous avons trinqué. Bien sûr encore, nous avons parlé. De quoi, sinon des préoccupations de Coppi.
Vous savez, quand je le sens dans le peloton, m’épiant, guettant ma défaillance, alors, c’est vrai, j’ai envie de tout jeter par-dessus bord et de me retirer dans ma petite maison de Sestri. Je n’en peux plus, j’en ai par-dessus la tête…
Une heure après, Fausto réintégrait son hôtel.
Binda respirait, Gino se grattait le bout du nez, et nos confrères italiens reprenaient des couleurs.
Le lendemain… »

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Pierre Chany présente ainsi l’étape : « Dans l’étape Rouen-Roubaix, « l’enfer du Nord » avait provoqué une bataille échevelée. Entre Roubaix et Namur, nous avons visité « l’envers » du Nord et l’envers vaut l’endroit, croyez-moi ! »
Dès le 4ème kilomètre, le Luxembourgeois Robert Bintz s’est échappé, bientôt rejoint par son compatriote Jean Diederich et Jacques Vivier. Au km 89, le trio de tête possède 5’30’’ d’avance sur Rotta et Van der Stock lancés à ses basques, et près de 19 minutes sur le peloton.

1952-06-30 - BUT et CLUB - 356 - 141952-06-30 - BUT et CLUB - 356 - 15MS N° 316  du 30 juin 1952 08 09 Citadelle de namurMS N° 316  du 30 juin 1952 08 09 Film de l'étape Roubaix namurMS N° 316  du 30 juin 1952 01

Vivier victime d’une crevaison et Bintz d’un bris de roue laissent partir Diederich pour un long raid en solitaire. Á l’arrivée à la citadelle de Namur surplombant la Meuse, « Bim » conserve 5 minutes d’avance et remporte « l’étape belge » comme l’année précédente à Gand.
Le second est … Fausto Coppi qui a lancé sa grande offensive, à 29 kilomètres de l’arrivée, à Arsimont, dans une côte rectiligne au pourcentage moyen. Le campionissimo démarre sèchement et nul ne peut rester dans son sillage, pas même Goldschmidt et Ockers qui l’ont vu s’élancer. Lauredi, aidé par Geminiani et Rémy, fait l’impossible pour limiter les dégâts tandis que Robic et Lucien Lazaridès, à bout de souffle, baissent la tête, ce qui permet à Bartali et Magni de se dégager sur la fin.
Au cours de son action magnifique de pureté athlétique, Coppi a rattrapé puis lâché Bintz, Van der Stock et Rotta. Il prend 2’15’’ à Bartali, 2’21’’à Magni, 4’09’’ à Lauredi, Robic et Antonin Rolland, 11’23’’ à Geminiani, 14’24’’ à Lucien Lazaridès.
Albert Baker d’Isy, dans son analyse, s’intéresse surtout à la lutte pour le maillot jaune :
« Rik Van Steenbergen a été la grande victime de l’effroyable casse-pattes que constituait l’étape franco-belge du Tour : Roubaix-Namur.
Mais, avec lui, les Français déjà handicapés par les crevaisons, souffrirent de cette course harassante qui tient de la musique de jazz, de la peinture réaliste, de tout ce qu’on voudra, mais n’a qu’un rapport lointain avec une course cycliste telle qu’on la comprend de nos jours.
Les Italiens avaient vu juste. En laissant le grand « Rik » s’installer en tête du classement général, dès le premier jour, ils le désignaient comme cible aux Français soucieux de prendre le maillot dans les étapes réputées plates.
Du même coup, le match franco-belge était engagé. Lauredi ayant détrôné « Rik » à Rouen, les Belges lançaient Van der Stock dans la cinquième étape. Ce coureur en bonne posture, puisqu’il n’avait que 3’40’’ de retard au classement général, avait l’avantage de traverser son village. Van der Stock connaissait le parcours et était chaleureusement acclamé durant toute la traversée d’une région où son grand nez est aussi populaire que les plumets blancs du Carnaval de Binche.
Van der Stock ne réussit pas tout à fait son coup. Il ne put rejoindre Diederich qui s’était échappé au début du parcours avec Bintz et Vivier et qui était demeuré seul car il avait accéléré en apprenant le retour du Belge. Si Van der Stock avait rejoint le petit Luxembourgeois, il aurait certainement terminé avec lui et pris le maillot jaune pour rentrer en France.
Mais Diederich a magnifiquement tenu. Comme Molinéris, la veille à Roubaix, il est arrivé seul en haut de la citadelle de Namur. Après avoir eu seize minutes d’avance sur le peloton, il en conservait cinq sur le champion qui s’était détaché : Fausto Coppi.
Les supporters de Van der Stock étaient persuadés qu’il avait le maillot jaune et que celui-ci lui serait remis.
-Alerte ! cria le directeur de la course. En effet, tous comptes faits, le retour de Coppi priva Van der Stock de la seconde place et de la bonification de 30 secondes. Lauredi conservait le maillot jaune pour … une seconde !

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C’est bien le cas de dire que le maillot symbolique du leader ne tient désormais que … par un fil. Et il est curieux de constater que c’est grâce à Coppi que Lauredi a conservé son bien. Est-il souhaitable qu’il le défende maintenant avec le même acharnement ? En voulant à tout prix conserver la meilleure place du classement individuel, l’équipe de France risque de tout perdre. »
Ce soir, la tension est à son comble au sein de l’équipe de France. Quarante ans plus tard, dans un ouvrage de souvenirs, Geminiani confiait : « Ses tours de cochon, Robiquet, ma claque j’en ai. Mon sang ne fait qu’un tour, j’entre dans sa piaule. Il est dans la salle de bains, j’y fonce en l’enguirlandant des plus jolis noms d’oiseau. Il regimbe, alors je l’argougne par les épaules et te lui fous la tête dans la flotte jusqu’à ce qu’il demande grâce. « Ta sale mentalité, j’m’en souviendrai », je lui balance simplement en claquant la porte. » Bonjour l’ambiance !
Edouard Fachleitner, deuxième du Tour 1947 derrière Robic, terrassé par la chaleur accablante, considère qu’il est temps pour lui, à 31 ans, de mettre un terme à sa carrière de coureur cycliste.

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Quant à Rik Van Steenbergen, premier maillot jaune du Tour, arrivé hors des délais, il bénéficie de la mansuétude des commissaires qui le repêchent.
Dans le Miroir des Sports, Gaston Bénac livre son point de vue :
« J’en reviens vite à l’effroyable étape d’hier qui a fait tant de dégâts et placé en même temps à leurs véritables places les trois campionissimi italiens qui, semblant sortir d’une boîte, firent une fin de course étourdissante. Je revois encore les trois maillots verts passant la ligne d’arrivée à quelques secondes d’intervalle. Seul, le solide et vaillant Van der Stock s’intercalait entre Fausto et Gino, ce qui permettait aux plus enthousiastes de s’exclamer : -Le vainqueur du Tour, il ne faut pas aller le chercher ailleurs.
Ceux qui virent avec quelle autorité, quelle aisance, après avoir longtemps bataillé, Coppi se détacha du peloton, à 28 kilomètres de l’arrivée, dans la côte d’Arsimont, n’ont pu s’empêcher de crier leur admiration.
Cette dure étape sonna le réveil des vieilles gloires, des grands spécialistes du Tour, de ce vaillant petit Luxembourgeois Diederich qui était parti à la recherche de son camarade Bintz, échappé dès le départ, et qui termina seul après un long et magnifique effort de Goldschmidt, d’Ockers, de Van Est, sans parler des trois campionissimi.
Hélas ! les deux premiers Français sont dans les neuvièmes ex aequo, à près de dix minutes du vainqueur, et ces deux Français sont, avec le petit Dotto, qui a tenu remarquablement aujourd’hui, nos seules cartes maintenant, car ils sont fort bien tous les trois. Il s’agit de Nello Lauredi qui conserve le maillot jaune avec une toute petite seconde d’avance, Jean Robic qui, s’il flancha légèrement, fit une course très courageuse, et du jeune méridional Dotto, qui est peut-être un des plus sûrs espoirs des Tricolores. Par contre, Geminiani a virtuellement perdu le Tour de France dans l’étape d’hier. »

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Une Equipe Roubaix-Namur

Dans le même magazine, un confrère de Gaston Bénac s’extasie sur Fausto Coppi :
« … L’aisance de Coppi, cette « touche » aérienne qui caractérise son coup de pédale, n’est qu’un don de la nature et sa morphologie se prête par ailleurs admirablement à cette beauté de l’effort que lui reconnaissent tous les suiveurs et les compétences du cyclisme international.
Il n’en tire aucune gloire, pas la moindre vanité et hausse les épaules gentiment lorsque les compliments l’atteignent : « Que voulez-vous que j’y fasse, semble-t-il dire, je suis né comme ça ? »
Par contre, et c’est bien ce que nous tenons à faire remarquer, les résultats de Fausto Coppi dans une course à étapes proviennent également, et surtout, du degré élevé de la science de la préparation et du comportement en course qu’il possède.
Toujours merveilleusement bien placé pour répondre aux à-coups qui se produisent en tête du peloton, Coppi se laisse rarement surprendre par un démarrage. Dans un lot important de concurrents, il repère constamment ceux qui l’intéressent et s’il n’entend pas être plus fort à lui seul que tout un peloton réuni, il sait magnifiquement doser ses efforts.
Tout, dans sa manière d’opérer, de tenir son guidon, de démarrer, sans jamais trop puiser dans ses réserves d’énergie, d’éviter le petit geste inutile mais qui à la longue fatigue, atteint la perfection.
Il est l’homme qu’on peut montrer du doigt en disant aux néophytes du Tour : « Voilà ce qu’il faut faire. Imitez-le et vous serez certains de ne jamais vous tromper. »
Mais c’est surtout à l’étape que Fausto Coppi prouve à quel point il connaît son métier. Il récupère au maximum des fatigues accumulées en course. Il ignore la station debout et les suiveurs du Tour qui lui rendent quotidiennement visite, officiels, journalistes ou radioreporters, peuvent en témoigner : Coppi est « l’homme allongé » par excellence … Il prend de ses jambes un soin jaloux, ne les confiant qu’en des masseurs en qui il a la plus entière confiance. Il fait taire sa faim, sa soif ou son désir de s’offrir des aliments qui lui plaisent, mais qui peuvent détruire l’harmonie physique d’un athlète… »
Vous allez sourire quand vous saurez que l’auteur de cette chronique élogieuse est René de Latour, celui-là même qui, la veille au soir, partageait avec Fausto une anguille au vert dans un estaminet de Lille !

MIROIR DU TOUR 1952 18 Etape 6 Namur - Metz Magni

Comme à son habitude, Pierre Chany résume avec talent la sixième étape entre Namur et Metz :
« Jusqu’à Longwy, l’étape des Ardennes avait été calme. La chaleur tombait comme une coulée de plomb sur une route en montagnes russes. Et les coureurs tuaient le temps en chassant … la canette.
Ne dit-on pas qu’un certain Bordelais ingurgita dans un après-midi … quarante-deux bouteilles de bière ! Bref, à soixante kilomètres de Metz, le retard du peloton atteignait quarante minutes.
Les seules victimes de cette croisière au soleil avaient été Van Steenbergen (mal remis d’une insolation … et d’une défaillance), Berton, Dolhats, Dupont, arrivés au bout de leur rouleau, et Blomme trop prodigue de ses efforts au cours des premières journées.
Soixante-sept kilomètres restaient à couvrir … ce fut alors que Magni, le torse moulé dans le maillot de champion d’Italie, surgit. Il répondait à une timide attaque du Nord-Africain Ahmed Kebaïli. Derrière Fiorenzo, Coppi freinait les Français et plus particulièrement Nello Lauredi. Car les autres paraissaient assez … assez… effacés.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 21

Magni resté seul, entama alors une de ces chasses où il excelle. Aucun obstacle ne ralentissait son action, ni les côtes, ni les virages, pas même les ouvriers italiens nombreux dans cette région industrielle qui se jetaient littéralement sous ses roues ! les minutes s’ajoutèrent aux minutes, et à l’arrivée, 7’49’’ le séparaient de Lauredi. Ainsi, le maillot jaune, après quarante-huit heures de villégiature chez les « tricolores », passait à la squadra !
Après cette étape, encore très défavorable à l’équipe de France, Lauredi dissimulait difficilement sa rancœur : -Lorsque Magni s’est enfui, seul Lucien Teisseire m’a soutenu. Les autres équipiers ne sont jamais passés en tête. Courir le Tour dans ces conditions … Nello n’acheva pas sa phrase, mais il nous était facile de deviner la suite. »
Cette fois, Van Steenbergen, exténué, à la dérive dès le début de l’étape, a définitivement renoncé à poursuivre l’aventure.

1952  abandon Van Steenbergen- BUT et CLUB - Le TOUR - 20

Je ne sais si le Bordelais amateur de bière était Albert Dolhats dit Bébert les gros mollets, d’autant qu’il était plutôt originaire de Bayonne, mais je ne résiste pas à vous raconter une autre anecdote le concernant qui se situe la même année lors de la 6ème étape du Tour d’Algérie entre Sidi Bel Abbès et Mostaganem. Se rendant au départ, accompagné de son directeur sportif, Julien Vasquez, bon coursier de l’époque, découvre Albert Dolhats, assis sur les marches d’un escalier, avec gourde de vin, boudin, saucisson et jambon de la ferme familiale. Devant cette scène, le directeur sportif confie à son protégé : « tu vois celui-là, il ne faudra pas le chercher à l’arrivée ! ».
Suite à une journée d’enfer, chaleur torride avec vent debout à décorner les bœufs, Julien Vasquez qui a explosé en cours de route, termine à vingt minutes des premiers. En allant aux camions qui ramènent les coureurs aux hôtels, Julien aperçoit Dolhats avec des fleurs. Surpris, il lui demande : « mais où as-tu eu ces fleurs toi ? » Et Bébert les gros mollets, de sa voix douce et tranquille accompagné de son air débonnaire, lui répond : « ici quand tu gagnes une étape, on te donne des fleurs ! »

Une Equipe Namur-Metz

Une précision à propos de la Une du quotidien L’Équipe : « Magni reprend à Metz le maillot (jaune) abandonné à Saint-Gaudens ». Le journaliste n’a nullement abusé sur la bière Champigneulles ou la liqueur de mirabelle lorraine, mais fait référence aux incidents qui s’étaient produits dans le col d’Aspin lors du Tour 1950***. Quelques énergumènes avaient manifesté leur hostilité à l’égard notamment de Bartali. Celui-ci, ne se sentant pas en sécurité, avait alors exigé que toute l’équipe italienne quittât la course au soir de l’arrivée dans la capitale du Comminges, alors même que Fiorenzo Magni venait d’endosser le maillot jaune.
Sur le Tour 1952, le septième jour, ce doit être l’heure de vérité avec une étape contre la montre de 60 kilomètres 100% lorraine entre Metz et Nancy, pas faite pour les quiches.
Gaston Bénac « estime que cette fameuse étape contre la montre qui était si redoutée de la plupart des coureurs, s’est terminée par un véritable match nul. Et cela du fait des circonstances atmosphériques qui avaient grandement varié de 10 heures du matin à 15 heures de l’après-midi. Les petits en bénéficièrent, les gros en pâtirent, et cela se passa comme l’apprend l’Évangile.
Mais, sur le plan sportif, cette journée fut loin de donner satisfaction à tout le monde. Fausto Coppi, qui voulait accomplir une grande performance, gagnait petitement en raison de deux crevaisons qui lui firent perdre environ une minute. Il montra néanmoins sa supériorité, mais son coup de pédale ne fut pas celui du grand maître que nous admirons.

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Sur cette distance, un peu courte à mon sens, les spécialistes n’ont pu se détacher et la plupart terminèrent dans un mouchoir. Ainsi, pour la première fois, une étape contre la montre ne nous aura rien appris. »

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Pour Pierre Chany, Coppi n’a pas trop forcé sur la trotteuse :
« Les écarts ne sont pas considérables. Decock, deuxième, a fait la performance qu’on pouvait attendre de ce rouleur énergique. Par contre, nul ne comptait sur le Parisien Armand Papazian pour fournir un brillant troisième. Il n’est pas prématuré de saluer ce gars modeste qui, malgré son effacement au classement général, se met en relief avec panache.
Nello Lauredi, à 1’23’’ de Coppi, prouve en reprenant le maillot jaune à Magni qu’il bat de 22 secondes, que sa place de leader tricolore ne devrait plus être discutée au sein de l’équipe où Robic se laisse encore grignoter quatre minutes, tandis que Geminiani, victime d’un coup de pompe passager, concède lui aussi un peu de terrain. Dotto a roulé à sa main, mais le cas de Lucien Lazaridès, le cinquième leader possible de l’équipe de France, est déjà plus inquiétant.

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Une Equipe Metz-Nancy

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Les commentateurs sont unanimes pour déclarer qu’il s’agit d’un des Tours les plus difficiles depuis la guerre, ainsi Pierre Chany : « Á la chaleur qui sévit depuis le départ, il faut ajouter les difficultés offertes par des parcours, différents dans leurs aspects, mais toujours déprimants. Dans l’Ouest, c’étaient de petites côtes du genre « casse-pattes » qui se succédaient à un rythme endiablé ; dans le Nord, les pavés de « l’enfer », et maintenant les cols vosgiens. »
Au cours de la huitième étape Nancy-Mulhouse (252 km), les coureurs ont tout « loisir » de scruter la « ligne bleue des Vosges », pas moins de sept cols : Grosse-Pierre, Oderen, Bussang, Ballon d’Alsace, Hundsrück, Amic, Herrenfluch.
« Par la route des Vosges et la plaine d’Alsace -transformée en poêle à frire par le soleil- nous avons assisté à une offensive solitaire de Geminiani assez décevant les jours précédents.
Dès l’attaque lancée dans le col d’Oderen, à 123 km de l’arrivée, alors que l’Espagnol José Perez caracolait sans conviction seul devant le peloton, celui-ci rattrapé par l’Auvergnat dans la rapide et dangereuse descente du col de Bussang, devait crever et disparaître par la suite.
La grande surprise nous vint des Italiens. En effet, Coppi et ses équipiers se gardèrent bien d’entamer la poursuite derrière le tricolore. Ils parurent ne pas s’intéresser à cette fugue, l’accepter en quelque sorte. Les « gregarii » continuèrent à rouler au petit trot, permettant ainsi à Gem d’accumuler des minutes d’avance. Seul, Bartali ne paraissait pas satisfait par le curieux comportement de ses compatriotes.

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Á cinquante kilomètres du but, au sommet du col Amic, Geminiani précédait le peloton, très amenuisé par les cols précédents, de huit minutes. Il devint alors évident que nous assistions, en définitive, à une nouvelle phase de la guerre des nerfs qui oppose toujours Gino et Fausto, ce dernier persuadé que la victoire ne lui échappera pas, tandis que Gino ne terminera pas deuxième, en revanche il admettrait volontiers que cette place fût occupée par Geminiani, son équipier de marque chez la Bianchi.
Ceci explique cela …

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Á l’arrivée, l’avance de Geminiani n’était plus que de 5’19’’. Magni, très réservé durant la majeure partie du parcours, était responsable de ce retour tardif. Après avoir réussi à isoler une fois encore Lauredi, il manœuvrait habilement pour lui reprendre le maillot jaune. L’Italien, sachant qu’une bonification de trente secondes récompense le second au classement de chaque étape, mit tout en œuvre afin d’atteindre cet objectif en réglant Ockers de deux longueurs. Le maillot baladeur revenait sur ses épaules… »
Parmi les autres faits marquants de l’étape, il faut noter les chutes très nombreuses dues autant à l’état de la route qu’à la fatigue générale des coureurs, qui éliminèrent ou retardèrent Bartali, Dotto, Van Est, Van der Stock.
On recense aussi les abandons de Moineau, Meunier, Sciardis, Dussault (grave chute dans le Ballon d’Alsace), Van der Stock, Van Kerkhove et Dominique Canavèse.

Une Equipe Nancy Mulhouse

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La 9ème étape convie les rescapés à franchir la frontière suisse, patrie des deux précédents vainqueurs du Tour, Ferdi Kubler et Hugo Koblet, absents cette année.
Ce sont 8 coureurs qui se présentent sur la cendrée du stade de la Pontaise à Lausanne : le tricolore Raoul Rémy, le régional Marinelli, le Nord-africain Kebaïli, les Hollandais Nolten et Roks, le Belge De Hertog, l’Italien Carrea et le Suisse Diggelmann.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 28

« Ils ressemblaient à des plâtriers » C’est en ces termes qu’un suiveur, lui-même recouvert d’une poussière blanche et poudreuse, décrivait les huit fugitifs qui venaient de dévaler l’étroite et dangereuse descente de Mollenbruz qui provoqua de nombreuses crevaisons parmi les poursuivants. Dans le groupe des échappés, se trouvait le Piémontais Carrea, l’un des plus fidèles domestiques de Coppi. Il suivait sans but, ne cherchant pas à favoriser l’échappée dans laquelle il se trouvait uniquement parce que Fausto lui avait demandé de « contrôler » les autres. »
Au sprint, c’est le « local » Walter Diggelmann qui l’emporte à la grande satisfaction du public helvète. Âgé de 37 ans, on relève à son palmarès deux succès dans les 6 Jours de Chicago 1948 et les 6 Jours de New York 1949 (avec Koblet).

MIROIR DU TOUR 1952 25 Etape 9 Mulhouse - LausanneMIROIR DU TOUR 1952 24 Etape 9 Mulhouse - Lausanne Diggelmann Carrea

Une Equipe Mulhouse-Lausanne

Le peloton arrive avec plus de 9 minutes de retard, ainsi Andrea Carrea, le gregario fidèle de Coppi endosse à son corps défendant le maillot jaune de son équipier Magni. Une sorte de crime de lèse-majesté ! « « Sandrino » (c’est son surnom ndlr) était monté sur le podium comme à l’échafaud, et c’est en larmes, qu’il avait passé sa tête dans le col aux revers pointus. C’est Coppi en personne, de qui il se sentait coupable de voler la lumière, qui avait dû le consoler, essuyant d’un revers de gant les perles rapides qui dévalaient cette face burinée. »
Felix Lévitan raconte à ce sujet : « Resté seul dans sa chambre, Carrea a pleuré. Il l’a avoué à Fausto Coppi, le lendemain matin, au moment de quitter Lausanne où, la veille, il avait reçu le maillot jaune.
-Pourquoi as-tu pleuré ?
-Je ne sais pas, Fausto ; tout ça, tu comprends, c’était trop beau pour moi un pauvre garçon comme moi maillot jaune du Tour, tu comprends Fausto ?
Le campionissimo nous a confié la scène à l’Alpe d’Huez, et non sans émotion. La joie enfantine de Carrea s’exprimant jusqu’aux larmes l’avait bouleversé.
-C’est un bien dur métier que le nôtre, avec des exigences terribles, des sacrifices douloureux. Carrea m’a tout donné. Moi, en contrepartie, je ne lui ai offert que de l’argent ! Une misère… Je sais bien que s’il n’était pas mon équipier, Carrea gagnerait beaucoup moins d’argent, et que, tout compte fait, il est heureux d’un sort que nombre de ses camarades lui envient ; mais je juge personnellement, ne pas lui accorder ce à quoi il a droit : un peu de griserie du triomphe ! J’avais un moyen de régler ma dette en partie : c’était de le laisser jouir durant plusieurs étapes du port du maillot… »
Dans son éditorial, Jacques Goddet, lyrique comme à son habitude, nous livre un cours de philosophie en rendant hommage à Carrea et en même temps à tous les pédaleurs de l’ombre : « Équipier, c’est un métier. Pour certains, c’est même un sacerdoce. On se résout peut-être à un statut de domestique par raison, en prenant acte de ses limites. Mais on ne devient pas un serviteur précieux sans se nourrir de la noblesse de la tâche, du sens de la loyauté. Il faut avoir l’âme bien plantée pour accepter comme idéal un boulot qui vous oblige à user dans le labeur anonyme le surplus de forces qui fait les vainqueurs et pour s’abstenir de toute espérance à la porte du paradis des cyclistes. »
« Á Lausanne, Vittorio Varale, le sévère critique aux cheveux blancs de « La Stampa » de Turin suffoquait de colère : -on n’a pas le droit de se moquer du Tour de France comme ça… C’est une mauvaise plaisanterie. Le maillot jaune, c’est une chose sacrée et les coureurs doivent le respecter. Carrea leader ? Ah ! non, non, pas Carrea… Il n’en est pas digne… C’est un bon coureur, ce n’est pas un maillot jaune ! »
Pauvre Carrea ! Tout va « s’arranger » grâce à (ou à cause de) Robic !

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1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 27

La 10ème étape propose une nouveauté : l’arrivée, pour la première fois, au sommet de l’Alpe d’Huez, jeune station de sports d’hiver en pleine expansion. Les coureurs sont-ils effrayés, les 251 kilomètres parcourus jusqu’à Bourg d’Oisans, au pied de l’ascension, sont insipides. Cette journée se traduit par 15 kilomètres de course en côte et ne milite donc pas en faveur des arrivées au sommet.

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Dès les premiers lacets, Robic attaque sèchement. Il est pris en chasse par Fausto Coppi qui le rejoint au bout de quelques kilomètres. Les deux champions montent un moment ensemble puis, à 6 kilomètres du sommet, Coppi s’envole irrésistiblement, sans porter d’attaque, sans se mettre jamais en danseuse. Jacques Goddet, égal à lui-même, se souvient « avoir vu l’aigle italien darder son regard vers la vallée lointaine ».
Fausto l’emporte avec 1’20’’ sur le Français. Derrière, le Belge Stan Ockers, l’Espagnol Gelabert, le tricolore Jean Dotto et le « gregario d’or » Carrea limitent les dégâts et terminent dans cet ordre à 3’30’’. Pour 5 petites secondes, Andrea Carrea est heureux et soulagé de céder le paletot jaune à son leader Fausto Coppi. Fiorenzo Magni complète le podium et Gino Bartali, en embuscade, est septième. Les Italiens ont pris les commandes du Tour.
Le lendemain, jour de repos dans la station iséroise, les organisateurs du Tour décident de revaloriser le prix attribué au deuxième du classement général, afin de motiver les adversaires de Coppi qui semble déjà imbattable.

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MS N°317 du 7 juillet 1952 07 Repos à l'Alpe d'Huez

Á mi-Tour, au soir de l’arrivée à Sestrières, Albert Baker d’Isy brosse déjà un bilan presque définitif :
« Fausto Coppi a gagné le Tour de France en quatre étapes : à Namur où il termina second, à Nancy où la course contre la montre lui permit de se rapprocher, à l’Alpe d’Huez qui le vit prendre le maillot jaune après onze kilomètres seulement d’ascension, à Sestrières enfin où il a obtenu une victoire précieuse et fantastique. Ne compte-t-il pas maintenant tout près de 20 minutes sur le second qui est un nouveau venu, peut-être futur vainqueur du Tour de France, le Belge Alex Close, grande révélation du Tour 1952, puisqu’il avait brillé dans celui d’Italie où il s’était déjà envolé, et de Suisse où il avait confirmé sa valeur avant que le comité de sélection belge se décide à faire appel à lui.

Miroir du Tour 1952 31 Etape 11 Bourg d'Oisans - Sestrières Coppi

Coppi qui avait ce matin 5 secondes d’avance sur son fidèle Carrea a maintenant 20 minutes d’avance sur le jeune Close.
Toute l’histoire de ce jour tient dans le rapprochement de ces deux écarts. Ils disent la supériorité du campionissimo, le déclin de son prédécesseur Gino Bartali, la poussée des jeunes aussi sensible en Belgique qu’en France. Et ils soulignent aussi les erreurs des organisateurs qui ont fait un Tour trop dur et trop favorable à Coppi, en ce sens que son avance se trouve gonflée au maximum, erreurs aussi des sélectionneurs qui, en Belgique, ont tardé à faire appel à Close, et en France, ne se sont pas décidés à introduire Le Guilly dans l’équipe tricolore.
Car le petit Le Guilly fut le héros de l’ascension du Galibier.

1952-07-07 - BUT-CLUB 358 - 39th Tour de France - 026BA

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MS N°317 du 7 juillet 1952 12  Trophée Saint raphaêl Quinquina - Meilleur grimpeur - Coppi Col de la Croix de Fer

Après le col de la Croix de Fer, qui l’avait vu se bien comporter derrière un Coppi décidé à ne laisser passer aucune bonification, le jeune soldat breton lança son attaque dans le bas du Télégraphe à la poursuite d’un Zelasco qui avait attaqué sur le plat.
C’était beaucoup trop tôt et à 4 km 900 du sommet, Le Guilly ne put résister au retour d’un Coppi qui n’avait démarré qu’après Valloires, à 9 km exactement du haut du col. Pourtant Le Guilly aurait franchi bon second le tunnel sous la montagne à l’altitude 2 557m si une malencontreuse crevaison n’était venue le retarder sur la fin de la montée. Il ne fut que troisième derrière Bernardo Ruiz après avoir perdu une minute et demie pour réparer.

Miroir du Tour 1952 33 Coppi Prélude au coup de grâce - Copie

MS N°317 du 7 juillet 1952 08 09 Etape Bourg d'Oisans - Sestrières - le Guilly & Coppi dans galibier

Le fait d’avoir tenu tête à Coppi, de l’avoir obligé à démarrer pour lâcher Geminiani, Ruiz, Bartali, Ockers et Gelabert plus tôt qu’il ne voulait le faire sans doute, suffit à montrer les qualités de coureur du Tour de France que possède Le Guilly.
Pourtant son exploit de grimpeur n’aurait pas eu la même valeur s’il s’était effondré par la suite, s’il n’avait pas tenu dans les dernières côtes. On put croire un moment que c’est ce qui allait se produire, et dans le Mont-Genèvre, Le Guilly fut distancé par Bartali, que les acclamations de la foule rajeunissaient de dix ans.
Ce fut donc une heureuse surprise de voir le petit Lorientais repasser Close et Bartali, gagner encore une place sur Robic et terminer quatrième, à 10 minutes certes de Coppi, mais quatrième et premier Français. Pourtant c’est à une part de chance que Le Guilly doit d’avoir surpassé Robic. Celui-ci fit preuve d’une ténacité extraordinaire qui lui permit de se trouver en deuxième position, à 4’30’’ seulement de Coppi, en bas de la dernière côte de 11 km qui précédait l’arrivée à Sestrières. Il aurait conservé cette place, peut-être même se serait-il rapproché de Coppi, et de toute façon, il aurait amélioré considérablement sa position au classement général. Le sort, et un boyau à plat qu’il dut regonfler six fois, ne l’ont pas voulu.
Robic a montré qu’il était le meilleur grimpeur de l’équipe de France, le seul qui puisse lutter pour la deuxième place, seul but maintenant pour les adversaires de Coppi.

MS N°317 du 7 juillet 1952 16 Robic - Télégraphe

Le tempérament combatif des deux Bretons dont l’un a attaqué le premier, tandis que l’autre revenait très fort, nous fait regretter le calme exagéré qui frise la génération de Jean Dotto et de Lucien Lazaridès. Ce dernier sans doute se dévoua pour Lauredi, mais Dotto ne pouvait-il tenter sa chance avec plus d’ardeur ? On croirait que la forte chaleur du début de ce Tour a complètement endormi les méridionaux à moins qu’ils ne préparent un grand coup pour Monaco et le Ventoux.
La faiblesse du reste de l’équipe de France, et Geminiani très irrégulier excepté, est navrante. Par contre, les « gregarii » italiens que l’on avait plaisantés, ont fait une intelligente course d’équipe derrière les deux campionissimi et le tandem Magni-Carrea moins à son aise dans les grands cols que dans les moyens.
Un temps splendide a favorisé cette grande étape des Alpes. Et les champs enneigés étaient le cadre grandiose qu’il fallait pour un Coppi, aigle déployant ses ailes, demi-dieu que la foule porte de tout son cœur vers une nouvelle victoire dans le Tour de France. »

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1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 29

C’est ce que traduit la splendide photographie, presque émouvante, parue dans le numéro spécial d’après-Tour du Miroir des Sports. Coppi, aérien, impressionnant d’aisance, n’apparaît pas écrasé par le paysage grandiose du Galibier. Et que dire des encouragements respectueux et admiratifs d’une famille, en particulier le sourire épanoui de la petite fille auquel Fausto, majestueux, répond presque.

MS N°317 du 7 juillet 1952 01 Coppi - Galibier

Pour Gaston Bénac, « On n’arrête pas la marche d’un astre.
Nous venons de vivre une grande étape dans un admirable décor de montagne, tapissé de glaciers, devant des foules fantastiques des deux côtés de la frontière. L’intensité du sport fut proportionnée au paysage : elle fut violente, impitoyable. Je crois qu’il est difficile d’assister à un spectacle à la fois plus beau et plus émouvant.
Naturellement, le Tour de France devient la marche triomphale de Fausto Coppi vers Paris, avec accompagnement de ses fidèles lieutenants et soldats. Plus qu’on ne pouvait le prévoir, la domination de Fausto le Grand est complète et, en même temps, destructive. Car elle diminue les performances des autres Et pourtant, Coppi ne voulait pas en arriver là. Mais comment brider son tempérament, quand on est un super champion en grande forme, amoureux de la gloire ?
Par deux fois, Coppi attaqua. Á fond tout d’abord, à cinq kilomètres du sommet de la Croix de Fer, et il s’en fut tout seul. Son avance n’était pas suffisante, avec trente kilomètres d’une descente dans laquelle Fausto ne voulait prendre aucun risque. Il attendit les lacets du Galibier pour démarrer, rejoignait Le Guilly, le passait, et s’en allait seul vers les sommets, vers la victoire à Sestrières.

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Une L'equipe Alpe d'Huez

Les Français, il faut le reconnaître, ont tout fait pour ne laisser nul répit au campionissimo. Hélas ! tout s’est brisé sur la classe, la solidité, la souplesse de cet être exceptionnel. On a tout dit sur ce coureur qui a atteint sa meilleure forme dans sa maturité. Et je répète que, en quarante ans de carrière, je n’ai pas connu son égal. Il domine l’histoire du cyclisme européen de si loin qu’il est impossible de ne pas s’incliner et se répéter. On chercherait en vain un défaut à Coppi, coureur hors-série, parfaitement organisé, solide, appliqué, faisant son métier avec une conscience professionnelle parfaite.
Il est entendu que Fausto Coppi a gagné un Tour de France dans lequel il n’a rencontré aucun homme de grande classe, il faut l’avouer aujourd’hui. Si l’aigle tourne autour des oisillons, c’est que ces derniers n’ont pas de très grandes ailes. Mais où est l’équipe de France ?
Ne la condamnons pas trop. Elle a fait ce qu’elle a pu, mais il faut le reconnaître, ses possibilités n’étaient pas bien grandes. Les deux hommes qui ont osé attaquer Coppi sont deux grimpeurs : le vétéran Robic et le jeune Le Guilly qui ne fut pas admis dans l’équipe nationale. Or, s’ils sont battus tous deux, ils ont attaqué et ils se sont inclinés. Et de la même façon tous deux, avec beaucoup d’audace, avec beaucoup de crânerie. Samedi, c’est Robic qui déclencha la bataille au bas de l’Alpe d’Huez. Hier, c’est Le Guilly qui, dès les premières rampes du col du Télégraphe, démarra et pris le large. Dans les deux cas, Fausto prit le point de mire et porta l’estocade à ses rivaux groupés autour de lui, en attendant plus longtemps dans le Galibier.
Les deux petits grimpeurs français partirent trop tôt les deux fois, Le Guilly surtout. Il devrait pourtant se souvenir qu’il réussit dans le « Dauphiné » en partant près de l’arrivée. Mais quel magnifique petit coureur, d’une souplesse féline, léger, aérien et tenace. C’est bien la révélation que nous attendions, ayant fortement engagé le petit Breton à courir dans n’importe quelle équipe.
Robic effectua dans le Mont Genèvre et le col de Sestrières, un retour foudroyant qui surprit les suiveurs, l’ayant laissé assez loin en arrière.
L’énorme foule italienne, massée sur plusieurs rangées dans les dix derniers kilomètres, lui fit un accueil enthousiaste au moment où il crevait, ne trouvant pas une voiture de l’équipe de France à ses côtés, il perdait un temps précieux et le bénéfice de la lutte qu’il venait d’engager avec Coppi.

1952-07-07 - BUT-CLUB 358 - 39th Tour de France - 030AUne L'Equipe Alpe d'Huez-Sestrières

Alex Close, le remplaçant, devient second du classement général, alors que les sélectionneurs ne voulaient pas de lui. Quelle belle leçon donne le petit Wallon à ces derniers ! Ockers est toujours solide et bien placé, tandis que Bernardo Ruiz, qui se trouve à son affaire dans la montagne, remonte au classement, et que Magni et Carrea, perdant de précieuses minutes, et cela en revenant à leurs véritables places, car ils n’ont ni l’un ni l’autre la prétention de passer pour des grimpeurs.
Bartali, lui, se ressentit, sur la fin de ses deux chutes de samedi, alors qu’il était bien placé dans le Galibier.
Parmi les jeunes, le petit Azuréen Bertaina, un gosse du club de Saint-Paul-de-Vence, bien sympathique, fait jeu égal avec l’autre Azuréen de l’équipe de France, Dotto. Voici les jeunes éléments à suivre … »
Max Favalelli nous initie à une nouvelle science, la Pédalologie :
« Le style, c’est l’homme. Rien n’est plus vrai en matière de cyclisme et l’on pourrait compléter le premier aphorisme par celui-ci : « Montre comment tu pédales, je te dirai qui tu es. »
Il est incontestable que l’individu, même le plus habile à masquer sa personnalité, se trahit par
son écriture, sa manière de se vêtir, son rire et sa démarche. Il convient d’y ajouter, pour les champions cyclistes, l’allure adoptée sur un vélo et, de même qu’il existe des graphologues, on imagine fort bien un « pédalologue » qui ferait des études de caractères uniquement en suivant le Tour de France.
Je m’amuse très souvent à observer justement les membres d’un peloton lorsque celui-ci ou bien est lancé à vive allure dans une chasse effrénée ou bien musarde le long des routes pendant la trêve méridienne des étapes les plus calmes.
Et voici quelques-unes des notes que j’ai couchées sur mon carnet, en évitant de choisir celles qui pourraient causer quelque déplaisir à leurs victimes. Car, ne nous dissimulons pas, il est des coups de pédale d’une bêtise crasse et des façons de freiner qui ne flattent guère le sens artistique de leurs auteurs. Glissons…
FAUSTO COPPI. Voila un type pas ordinaire. Si vous le rencontrez dans la rue avec ses épaules étroites, son buste d’oiseau, son bréchet proéminent, ses jambes trop longues, vous vous dites : « Pauvre gars, ça tient à peine debout. »
Après quoi, vous posez ce même souffreteux sur la selle d’une bicyclette et vous obtenez le couple homme-machine le plus harmonieux, en même temps que le plus efficace du monde entier.
Le premier mot qui vient à l’esprit de qui assiste à l’action de Coppi est celui d’aisance. Fausto vous donne cette admirable sensation que ne vous communiquent que les seuls artistes, à savoir que tout est possible, que le miracle est quotidien. Il possède le comble de la virtuosité, puisqu’il parvient à rendre celle-ci invisible.
Si vous vous étiez trouvé vendredi sur les pentes abruptes qui conduisent à l’Alpe d’Huez et que vous ayiez vu passer Coppi, bien droit sur son vélo, les mains en haut du guidon, vous auriez pu vous dire : « Tiens, mais on m’a raconté des histoires, la route est parfaitement plate. » Puis vous auriez enfourché votre bicyclette et, au bout de dix mètres, vous auriez été réduit à l’état de soufflet de forge.
Je m’excuse de prononcer un bien gros mot, mais Coppi jouit du privilège des poètes, de ceux qui ont en dépôt au fond d’eux-mêmes des dons innés qui leur rendent facile ce que les autres hommes ne peuvent réaliser qu’à force d’application et de patience.
Lorsque des admirateurs, emportés par un enthousiasme excessif, lui administrent des compliments hors de raison, Fausto, qui est d’une simplicité totale, s’excuse : « Mais ce que je fais, c’est tout naturel. »
Le terme est exact et il permet d’ailleurs à mon ami Jean Eskenazi qui lit ce que j’écris par-dessus mon épaule, de me lancer ce trait : -Ses adversaires sont pleinement de ton avis et ils trouvent Coppi si naturel qu’ils ne manquent jamais de dire à son propos : « Chassez le naturel, il s’enfuit au galop. »
GINO BARTALI. Dès le premier coup de pédale, vous vous apercevez que c’est un tout autre tempérament. La cadence est mesurée au millimètre et il y a dans l’arrondi des jambes quelque chose d’avaricieux qu’on doit lui expliquer, je le juge, une ascendance d’origine terrienne.
Gino incline les observateurs à le soupçonner d’économie. Dans le sens le plus noble. En réalité, tout un édifice commercial et financier a effectivement pour assises ses deux maigres mollets, ses deux jambes légèrement cintrées. Sur cet ensemble couturier-jumeaux-jarrets reposent la firme Bartali, les bureaux Bartali, les dépôts Bartali, les magasins Bartali, les actions Bartali. Que Bartali ait une crampe, que l’un de ses muscles se noue et plusieurs centaines d’employés en ressentent les conséquences. Mais maintenant, le « vecchio » a consolidé suffisamment son entreprise pour ne plus redouter ce mal inguérissable qui se glisse peu à peu dans ses jarrets : la vieillesse.
JEAN ROBIC. Celui-là, avec ses courroies dressées ainsi que des ergots au talon, sa grosse tête hérissée de la crête en cuir de son casque, c’est le coq rageur, le petit qui n’a pas peur des gros. En le regardant pédaler par saccades sèches, secouant son vélo à la façon d’un balancier et passant son derrière pointu sur sa selle, avec un mouvement de gomme à effacer, on perce à jour son vrai caractère.
Robic est un hargneux, peut-être, mais un hargneux qui a une personnalité dominée par l’orgueil et la fierté. C’est le genre de ces petits types auxquels il suffit de dire « chiche » que vous ne montez pas à l’Alpe d’Huez aussi vite que Coppi » pour qu’ils fassent bouffer les plumes de leur jabot et redressent le bec.
Je ne veux pas prolonger cette galerie de portraits, mais vous pouvez, si vous en avez le goût, vous initier à l’art de la « pédalologie ». Avec un peu d’entraînement, un peloton devient aussi lisible qu’une page d’écriture, aussi facile à déchiffrer que le plus simple des rébus. »

1952-07-07 - BUT-CLUB 358 - 39th Tour de France - 028A

7 juillet, 12ème étape, départ de Sestrières, c’est la descente vers la Méditerranée, si l’on peut dire, car les cols de Tende, de Brouis et la Turbie sont au menu.

Miroir du Tour 1952 36 Etape 12 Sestrières - Monaco Nolten

Son Altesse Sérénissime le prince Rainier III offre une prime de 100 000 francs au vainqueur à Monaco, cela ne motive pas plus que cela les 88 rescapés qui parcourent les 150 premiers kilomètres à allure modérée.
Sous l’action de Robic et Ockers, le peloton se disloque dans l’ascension du col de Tende. Au sommet, Robic devance Coppi d’une demi-roue. Suivent dans le même temps, Ockers, Nolten et Rotta, à 20’’ Mallejac, à 30’’ Dotto, à 40’’ De Hertog, Molinéris et Serra, à 50’’ Lazaridès, Bartali et Carrea…
Une vingtaine de coureurs se regroupent dans la descente. Le tricolore Jean Dotto attaque dans le col de Brouis qu’il franchit en tête avec 50’’ d’avance sur un autre Azuréen Bertaina, 1’50’’ sur le Hollandais Jan Nolten et 2’15’’ sur les favoris.

1952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 04B-11952-07-10 - BUT et CLUB - 359 - 03Miroir du Tour 1952 37 Etape 12 Sestrières - Monaco Nolten1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - 38

Une L'Equipe Sestrières-Monaco

Dans le col de Castillon, Nolten rejoint Dotto et le lâche dans la descente sur Menton. Dans la montée de la Turbie, Dotto ne parvient pas à combler l’écart sur Nolten qui plonge vers la principauté et l’emporte en solitaire sur la cendrée du stade Louis II.
Fausto Coppi est victime de deux crevaisons dans les dix derniers kilomètres. Après avoir été dépanné une première fois par Fiorenzo Magni, c’est Gino Bartali en personne qui lui donne ensuite sa roue. Coppi consolide malgré tout son maillot jaune, son second le Belge Alex Close concédant 4 minutes supplémentaires.
Robic est le seul tricolore désormais susceptible d’accéder à une place sur le podium. Nello Lauredi qui le précédait encore au départ de Sestrières, termine l’étape à 37 minutes. Raphaël Geminiani a également souffert et concédé une vingtaine de minutes.
Pour ma part, je m’accorde une escale princière en attendant de vous conter la fin de ce Tour de France dominé -pour l’instant- par Fausto Coppi.

*quelques anciens billets sur ma passion immodérée pour Jacques Anquetil
http://encreviolette.unblog.fr/2009/04/15/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse/
http://encreviolette.unblog.fr/2009/08/22/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse-suite/
http://encreviolette.unblog.fr/2019/11/19/jadorais-anquetil-et-jaimais-poulidor/
**billets consacrés aux Tours de France remportés par Jacques Anquetil :
http://encreviolette.unblog.fr/2017/07/07/ici-la-route-du-tour-de-france-1957-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/07/11/ici-la-route-du-tour-de-france-1957-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/07/19/ici-la-route-du-tour-d-france-1957-3/
http://encreviolette.unblog.fr/2011/07/04/ici-la-route-du-tour-de-france-1961/
http://encreviolette.unblog.fr/2012/07/09/ici-la-route-du-tour-de-france-1962-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/07/01/ici-la-route-du-tour-de-france-1963-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/07/02/ici-la-route-du-tour-de-france-1963-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2014/07/11/ici-la-route-du-tour-de-france-1964-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2014/07/18/ici-la-route-du-tour-de-france-1964-2/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2020/06/26/ici-la-route-du-tour-de-france-1950-2/

Pour décrire ces étapes du Tour de France 1952, j’ai puisé dans les magazines bihebdomadaires Miroir-Sprint et Miroir des Sports But&Club, dans les numéro spéciaux d’après Tour de France du Miroir des Sports et de Miroir-Sprint.
Remerciements à tous ces écrivains journalistes, photographes et … coureurs qui, soixante-dix ans plus tard, me font toujours rêver.
Remerciements également à l’ami Jean-Pierre Le Port qui, comme chaque année, comble les quelques manques de mes collections.

Publié dans:Cyclisme |on 6 juillet, 2022 |1 Commentaire »

valentin10 |
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