Flâneries à Bruxelles (2)
Je vous avais prévenu, à l’occasion de notre séjour à Bruxelles en novembre dernier*, qu’il était probable que je revienne flâner dans la capitale européenne aux beaux jours.
Comme la jeune chanteuse Angèle le martèle sur les ondes, Bruxelles je t’aime. Conquise, la chère petite fille qui y a posé ses valises, à l’automne, n’est pas loin de partager cette passion. Nous la retrouvons dans son nid douillet du quartier vivant Dansaert-Sainte Catherine, aux alentours de midi, en ce Vendredi saint. Jour de commémoration de la Passion et de la crucifixion du Christ où l’Église catholique préconise aux fervents pratiquants de jeûner, nous adoptons une attitude plus païenne en succombant au culte de la frite, joli bâtonnet doré, ciment gourmand des Flamands, des Bruxellois et des Wallons. « Faites des frites, pas la guerre », pouvait-on lire sur des tags place de la Bourse après les attentats du 22 mars 2016 qui meurtrirent Bruxelles.
Lors de leur séjour dans la capitale belge, Baudelaire et Victor Hugo contestèrent cette paternité revendiquée outre-Quiévrain. Notre vénéré Victor affirmait que « la pomme de terre en friture est une invention parisienne » née sous les ponts (d’où les pommes Pont-Neuf).
Même en cette période électorale, je n’ouvrirai surtout pas un débat pour défendre la souveraineté de la France en la matière féculente. De plus, la frite belge est incomparablement meilleure, en particulier chez Chouke, le fritkot devant lequel les files s’allongent sur la place ombragée du Vieux Marché aux Grains. Ici, la frite est cuite à l’oreille – « tu écoutes la frite, si elle fait ce bruit-là, c’est qu’elle est cuite » – et dans un bain de graisse de bœuf. Croustillante à l’extérieur, fondante à l’intérieur, resurgit une de mes madeleines de Proust, les frites de ma merveilleuse mémé Léontine.
Ma compagne en rapporte un vaste cornet avec un assortiment de boulettes de viande hachée, de croquettes, de fricadelles (saucisses) et de chixfingers (nuggets de poulet allongés). La bouteille de Brouilly que j’ai amenée tient bien son rang dans ce pique-nique typiquement bruxellois.
15 heures, il est temps de laisser notre hôte en télétravail et de prendre possession de notre hôtel à proximité de l’église Sainte Catherine, le long du bassin des Marchands, pièce d’eau d’agrément qui rappelle l’ancienne vocation du lieu et du vieux port de Bruxelles. On déambule de chaque côté, soit sur le quai aux Briques, soit sur le quai au Bois à Brûler. Les autorités bruxelloises ont eu la bonne idée de conserver souvent la dénomination ancienne des rues de la ville, ce qui permet un voyage dans le passé.
Á Bruxelles, on bouscule plus qu’on ne détruit le patrimoine.
Ici, devant nous, plus rien n’est à sa place mais tout est historique : une église dans un bassin, un bassin dans un métro, une fontaine qui remplace un pont, une roue sans son pont. Bruxelles change de style sans crier gare, une sorte de valse à mille monuments qu’aurait pu chanter Jacques Brel !
Jusqu’en 1955, le marché aux Poissons se tenait sur la moitié comblée du bassin.
La fontaine qui se dresse à l’extrémité ouest, se trouvait jadis place de Brouckère. Elle fut érigée en hommage à Jules Anspach bourgmestre de la ville de 1863 à 1879. Démontée pour permettre la construction du métro en 1973, elle a été réédifiée en cet endroit en octante-un comme on dit ici. Avec son obélisque de granit rose surmonté d’un bronze de Saint Michel terrassant le dragon, son socle et sa vasque en pierre bleue de la province du Hainaut, elle ne manque pas d’élégance. Son piédestal est orné d’un bas-relief en marbre figurant une allégorie du voûtement de la Senne devenue insalubre dont Anspach fut l’instigateur.
Atmosphère, atmosphère ! En ce début d’après-midi, le bassin offre un faux air du canal Saint-Martin parisien. Beaucoup de jeunes profitent au bord de l’eau du généreux soleil qui nous accompagnera tout au long de notre séjour. Puisque c’est un sujet d’actualité, je remarque que les masques sanitaires sont tombés encore plus largement que chez nous.
Á quelques pas de la fontaine, je suis intrigué par un monument dit au Pigeon soldat. Érigé au début des années 1930, il commémore le rôle joué durant la Première Guerre mondiale par les colombophiles belges et leurs pigeons voyageurs. Nombre de ces volatiles furent utilisés pour faire le lien entre les lignes de front et les bases arrière. Une colombe, symbole de paix, comme arme de guerre …
La partie centrale du mémorial est constituée d’une statue en bronze représentant la « Patrie reconnaissante et dépoitraillée » brandissant un pigeon prêt à s’envoler pour porter un message.
En temps de paix, la colombophilie, quoique en déclin, est une tradition très ancrée en Belgique et dans le Nord de la France à travers l’organisation de nombreux concours. La fédération colombophile internationale a son siège à Bruxelles.
L’installation dans notre chambre effectuée, nous nous dirigeons vers la place voisine du Béguinage. On s’imagine sur une placette de village, il y a même un restaurant La Guinguette en Ville. Pastichant Marc Lavoine : « Je donne tous les dîners chez Maxim’s, tous les cinq étoiles de la ville, pour une béguine avec toi » !
De forme semi-circulaire, la place fait office de parvis à l’église Saint-Jean-Baptiste-au-Béguinage. L’édifice religieux, construit à la fin du XIIème siècle en style gothique, suite à de nombreux outrages, apparaît aujourd’hui de style baroque notamment par sa façade.
Étroitement liée à l’histoire récente des sans-papiers en Belgique et à leur combat pour une régularisation, l’église était, il y a encore quelques semaines, lieu de refuge de plusieurs dizaines de ces sans-papiers. Ce n’est pas sans difficulté que le Conseil de la Fabrique d’Église a obtenu leur départ en contrepartie d’un projet gouvernemental, sans doute fragile, de régularisation
Le lieu de culte est devenu, sous le nom de House of Compassion, un centre interreligieux d’écoute et de convivialité dédié à la lutte pour la justice sociale et la solidarité.
Dans cet esprit, une intéressante et émouvante exposition est proposée au public depuis la fin mars. On peut admirer De Kruisweg, « le Chemin de Croix » de l’artiste renommé en Belgique, Armand Demeulemeester, douze tableaux sur la souffrance du Christ dans un sobre noir, blanc et brun rougeâtre. Cette œuvre, en pleine actualité pascale, fut réalisée à une époque où les gens étaient confrontés à l’horreur du Rwanda et la haine de la Bosnie.
En parallèle, on réfléchit sur la souffrance et la libération résurrection d’aujourd’hui en suivant le chemin de croix des personnes en situation de séjour irrégulier. Il a été créé à partir d’objets abandonnés, matelas, vêtements, chaussures, par les occupants, de certains de leurs portraits, et des textes et vidéo d’étudiants de la VUB (Vrije Universiteit Brussel).
Bouleversante est la toile peinte d’après la révoltante photographie du corps sans vie d’Aylan, le petit enfant syrien de trois ans échoué sur une plage turque en 2015. Quelques billets de banque flottent à la surface de l’eau. L’artiste a légendé son œuvre : Aylan et l’argent des passeurs. Un court texte l’accompagne : « Aujourd’hui nous voulons tous fuir et échouer dans une mer de paix alors que même ceux qui n’ont point de soucis soupirent regarde comme il touche doucement les vagues. »
« Mère sans papiers », cette sculpture d’une femme ensanglantée dans un fil de fer barbelé fut portée lors d’une manifestation de sans-papiers pour renforcer leur demande de régularisation.
De retour vers le bassin, nous remontons le quai au Bois à Brûler en direction de l’église Sainte-Catherine en partie masquée par des travaux.
Á l’arrière, nous jetons un coup d’œil à la Tour Noire, un des vestiges les mieux conservés des remparts de la première enceinte de Bruxelles construite au début du XIIIème siècle. Comme souvent à Bruxelles, les urbanistes mêlent avec un bonheur inégal l’architecture de plusieurs époques. Ici, la Tour Noire est maintenant encadrée par un Novotel qui en masque partiellement le côté intra-muros. Encore blanche, elle devrait retrouver sa patine noire avec la pollution.
Nous retrouvons notre jeune bruxelloise d’adoption sur le parvis de l’église Sainte Catherine éclatante de blancheur au soleil. Déjà familiarisée, elle va nous servir de guide pour flâner dans les ruelles pittoresques de la capitale.
Á Bruxelles, le spectacle réside souvent dans l’architecture débridée des façades des maisons et leur cohabitation surréaliste. Pour bien en goûter les curiosités, il faut marcher le nez en l’air au détriment de regarder où l’on pose les pieds sur les pavés disjoints des trottoirs et chaussées.
Nous flirtons avec la Grand-Place sans jamais y pénétrer, en empruntant la rue du Marché aux Herbes. Décidément, j’aime ces noms de rues qui expriment une certaine réalité historique. Curieusement, les dénominations francophone et néerlandophone, parfois, ne coïncident pas : ainsi la Grand-Place est en flamand Grote Markt, la Place du Grand-Marché.
Il faut oser se glisser au fond des mini-impasses, quasi des couloirs.
« Au bon vieux temps », voici une institution pour babyboomer ! Saint Nicolas filtre l’accès à cet estaminet lambrissé qui remonte à 1695. Je retiens ce coupe-gorge ou plutôt coupe-soif pour venir y déguster, lors d’un prochain séjour, la mythique bière Westvleteren XII brassée par les moines trappistes de l’abbaye de Saint-Sixte.
Un peu plus loin, une autre impasse pavée, Sainte Pétronille, mène au théâtre estaminet Toone VIII, un théâtre de marionnettes de tradition populaire bruxelloise actif depuis 1830.
Les marionnettes tirent leur origine d’une ordonnance de Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint, qui, détesté par la population, fit fermer les théâtres pour éviter qu’ils ne devinssent des lieux de rassemblement qui auraient accentué l’hostilité à son égard. Les Bruxellois auraient alors remplacé les comédiens par des « poechenelles » (polichinelles) dans des théâtres clandestins.
La programmation s’appuie sur de grands classiques du théâtre, revisités parodiquement, tels que Cyrano de Bergerac, Les Trois Mousquetaires, L’École des femmes ou Hamlet. « Toone be or not toone be ? ».
Plus loin, plus haut, car ça monte parfois au plat pays, au coin de la rue de la Montagne, nous parvenons aux Galeries Royales Saint-Hubert. Elles sont l’œuvre d’un jeune architecte qui conçut le projet de construire une galerie couverte de plus de deux cents mètres de long en supprimant un dédale de venelles sordides et mal famées où les bourgeois n’osaient s’aventurer.
Inaugurées en 1847, elles figurent parmi les plus anciennes d’Europe. Elles sont constituées de trois passages, la Galerie du Roi, la Galerie de la Reine et la Galerie des Princes, couvertes d’une élégante verrière à structure métallique qui diffuse une douce lumière naturelle. Pilastres de marbre, fenêtres en hémicycle, des bustes perchés sur des corniches, forment une architecture inspirée des palais toscans.
Ces galeries abritent de nombreux commerces, des boutiques de luxe, la biscuiterie salon de thé Dandoy, les chocolatiers Neuhaus, Godiva et Pierre Marcolini, des cafés et des restaurants, ainsi que des lieux de divertissement, le Théâtre Royal et le Vaudeville, la librairie Tropismes.
En parcourant ces galeries, on peut penser à ce coquin de Victor Hugo qui, lors de son séjour à Bruxelles, venait rendre visite à sa compagne Juliette Drouet, à Paul Verlaine venu acheter ici l’arme avec laquelle il tenta d’assassiner son amant Arthur Rimbaud.
En bon normand qui se respecte, je me souviens aussi de mon « pays » Bourvil qui joua La Bonne Planque au Théâtre du Vaudeville. C’est le seul enregistrement télévisé qui demeure de cette pièce de boulevard française où deux petits truands qui viennent d’attaquer une banque se réfugient dans l’appartement d’un paisible fonctionnaire du ministère de l’Agriculture. Soixante ans après, vous ne pourrez toujours pas ne pas rire :
Nous rebroussons chemin par la rue des Bouchers, voie piétonnière qui concentre un important nombre de gargotes médiocres déjà envahies par les touristes. Comme dans notre Quartier Latin parisien, quelques bonimenteurs tentent de nous rabattre vers leur enseigne. Á fuir !
Dans la cohue, j’allais passer sans y prêter attention devant Chez Léon, friture restaurant historique de Bruxelles ouvert en 1893 par Léon Vanlancker. Une institution ! Je me souviens y avoir déjeuné il y a près d’un demi-siècle, du temps où le Bruxelles de Brel « brussellait » encore. Dick Annegarn maronnait : « Les néons, les Léon, les noms que sublime décadence la danse des panses… » La chaîne de Léon de chez nous est l’héritage direct de cette enseigne qui a perdu son âme.
Ce soir, nous mangeons à la terrasse de La Boussole sur le quai au Bois à Brûler. Plusieurs enseignes rappellent le passé maritime du bassin Sainte Catherine, certains même ont des spécialités de poissons et fruits de mer. De 1884 à 1955, le marché aux poissons s’était établi sur la première moitié comblée du bassin et donna son nom à l’endroit : le Wismet.
Je suis les suggestions du jour de Vassilis, le sympathique patron grec : tapas de poissons puis linguines aux fruits de mer.
Samedi 16 avril :
9 heures, le soleil illumine déjà le bassin Sainte-Catherine encore désert. Cafetiers et restaurateurs commencent à installer les tables au bord de l’eau.
Pour notre part, nous choisissons stratégiquement (vous comprendrez bientôt) de prendre notre petit déjeuner en terrasse dans la rue du Marché aux Grains dans la perspective de l’église Sainte Catherine et de … la poissonnerie Noordzee.
Pour nous y rendre, nous nous glissons dans la rue du Chien Marin, une des pittoresques traverses qui relient le quai à la rue de Flandre. Les historiens s’accordent à dire qu’elle doit son nom à la découverte d’un cadavre de mammifère marin (phoque ou éléphant de mer) lors des travaux de creusement du bassin des Marchands en 1560.
En débouchant rue de Flandre, permettez à l’instant où je vous relate mon séjour bruxellois, que je rende hommage au chanteur Arno dont je viens d’apprendre le décès.
Je n’ignorais évidemment pas la santé critique de l’artiste qui luttait depuis trois ans contre un cancer du pancréas. Il fut présent fréquemment dans mes pensées durant mon séjour, en particulier en flânant dans ce quartier Dansaert où il avait élu domicile depuis longtemps. J’espérais, ô miracle, croiser sa dégaine chancelante (entre deux bières ?) avec sa chevelure hirsute poivre et sel. N’était-ce pas lui qui se tenait assis la tête entre les mains dans une vitrine de la rue de Flandre ?
Arno le Flamand rock à la voix rauque, l’iconoclaste, dont j’adorais la manière de revisiter certains succès de la chanson française, ainsi par exemple le gentillet tube d’Adamo Les filles du bord de mer auquel il avait donné beaucoup de chair avec son accent belge inimitable. On se sent transporté à Ostende, sa ville natale, au bord de la mer du Nord, Noordzee !
Noordzee Mer du Nord, c’est un concept qui s’anticipe, se planifie, s’organise tactiquement au risque sinon de ne pas pouvoir le partager. Ouverte de 11heures à 18 heures (sauf le lundi), cette poissonnerie-traiteur d’une remarquable fraîcheur anime la place Sainte Catherine avec son fish bar extérieur autour de guéridons avec des chaises hautes pris d’assaut bien avant l’heure. En cette saison où l’ombre est encore fraîche, il faut suivre la course du soleil pour repérer les meilleures tables.
Bien joué, à 11 heures 20, ma compagne et moi prenons possession d’un de ces guéridons tant convoités et commandons un gouleyant vin blanc argentin dans l’attente de notre chère petite fille.
Midi, elle arrive ! Le fish bar est complet. Je crains qu’un seul flacon de blanc de Mendoza ne suffise pas … ! Au diable, l’ivresse, on va s’envoyer en mer.
Les serveurs hurlent le prénom que vous avez donné à la commande pour vous apporter vos assiettes. C’est l’appel vers le large, ce sera pour moi en entrée une friture d’éperlans et des calamars à la plancha.
Sur la place, la joie est plurielle, toutes origines, locaux et touristes, générations, classes sociales confondues. Comme meuglait ce pauvre Arno : « Putain, putain/C’est vachement bien/Nous sommes quand même tous des Européens » !
Je poursuis avec de délicieux maquereaux à la plancha. Cocasserie linguistique, je constate sur le menu que maquereau se traduit makreel en néerlandais. C’est étonnant que quelques féministes flamandes ne se soient pas emparées de la question. Mais comme chantait Brel, « les Fla les Fla les Flamandes ça n’est pas causant » !
Des éventuels clients lorgnent notre table, nous prendrons le café dans le quartier Saint-Géry. Ce n’était qu’un marché aux poulets sur un îlot de la Senne, c’est devenu un quartier branché qui grouille de bars et restos tendance envahis (notamment le Roi des Belges) en ce début d’après-midi par une clientèle jeune.
Pour notre part, nous préférons le calme des halles de Saint-Géry. Leur histoire démarre à la fin du XVIIIème siècle avec l’installation d’une fontaine surmontée d’un obélisque récupérée dans la cour de l’abbaye des Prémontrés de Grimbergen (comme la populaire bière).
Au XIXème siècle, le lieu est utilisé comme place de marché avant que soit décidée la construction d’un marché couvert inauguré en 1882. Le bâtiment de style néo-Renaissance flamand est un remarquable exemple de l’architecture des marchés couverts. Pendant près d’un siècle, il fut un lieu de commerce très animé avant qu’il ne ferme en 1977.
Sa réhabilitation en agora dédiée, à travers des expositions, à « la valorisation des singularités des patrimoines culturels physiques et immatériels » est d’une grande élégance, notamment avec la fontaine obélisque qui trône toujours au centre du bâtiment.
En allant soulager ma pression vésicale, je découvre quelques photographies kitsch de vespasiennes bruxelloises. On trouve encore quelques-uns de ces édicules qui apparurent en 1845 sur une idée du bourgmestre de l’époque qui entendait amener les Bruxellois à préférer ces nouveaux équipements plutôt que les rives de la Senne ou les recoins sombres.
Au Moyen-Âge, à étudier la toponymie, Bruxelles devait être un vaste marché : nous empruntons maintenant la rue du Marché aux Fromages qui conserve quelques maisons anciennes. La plus populaire est celle sise au numéro 19 identifiée comme la plus petite maison de Bruxelles.
Á l’assaut du Mont des Arts ! Sur la placette Albertine, le troisième roi des Belges Albert Ier nous souhaite la bienvenue sur son cheval. Il mourut en 1934 dans un accident d’escalade dans la vallée de la Meuse.
L’histoire de ce lieu est intimement liée à la construction de la jonction ferroviaire nord-midi : avant 1952, les trains venant de Wallonie étaient bloqués en gare de Bruxelles-Midi, et ceux arrivant de Flandre en gare de Bruxelles Nord. Les urbanistes bruxellois, jamais timides quand il s’agit de détruire, décidèrent de creuser un tunnel reliant les deux gares. C’est à l’issue de ce gigantesque chantier que fut pensé le Mont des Arts, un complexe urbanistique comprenant la Bibliothèque royale de Belgique, les Archives générales du Royaume, le centre de congrès Square et les jardins dessinés par l’architecte paysagiste René Peuchère.
Au sommet de cet ensemble, nous jouissons d’un panorama superbe vers le centre de Bruxelles.
Encore quelques pas et nous parvenons sur le plateau à la Place Royale. Auparavant, nous jetons un œil sur l’élégante façade Art Nouveau du MIM, musée des Instruments de Musique, qui s’est installé dans les anciens bâtiments Old England. Il est un peu tard aujourd’hui pour le visiter.
Ça monte encore, d’ailleurs, nous sommes dans la rue de la Montagne de la Cour.
La Place royale, de style néoclassique et rectangulaire, fut réalisée en 1774 par l’architecte Barnabé Guimard qui s’inspira des places royales françaises, la place Stanislas à Nancy, Lunéville, Charleville.
Á l’origine, se dressait en son centre, une statue pédestre du gouverneur Charles-Alexandre de Lorraine que les révolutionnaires français renversèrent lors de leur entrée dans Bruxelles en 1793. Replacée lors de la courte restauration autrichienne, elle fut à nouveau abattue par les Français et fondue en monnaie.
C’est en 1848, à une époque où la toute jeune Belgique était à la recherche de repères patriotiques que fut inaugurée la statue équestre actuelle de Godefroy de Bouillon. Le héros est représenté au moment de son départ pour la première croisade vers Jérusalem, agitant l’étendard et criant : « Dieu le veut ! »
On commence la descente de la colline de Coudenberg. La chaleur étonnante, les allées pavées, les marches et peut-être aussi le délicieux vin blanc argentin ont entamé nos réserves physiques, du moins les miennes.
Retour dans le centre ville, ma persévérance est récompensée par une halte à La Mort Subite, mythique estaminet bruxellois rue Montagne-aux-Herbes Potagères, ouvert en 1928 par le brasseur Théophile Vossen, inventeur de la bière éponyme.
Il tient son nom d’un vieux jeu de dés, ancêtre du « 421 ». Quand le temps pressait, la partie finale était jouée en un coup de dés nommé « mort subite ».
L’établissement presque centenaire a gardé tout son caractère avec les miroirs patinés et piqués, les colonnes écaillées, les banquettes en moleskine avachies. Aux murs, sont exposées de nombreuses photos jaunies d’anciens illustres clients, tel Jacques Brel qui semble observer ces gens-là d’aujourd’hui. Je me souviens d’une de ses pochettes de disques vinyle.
Á la table voisine, un bambino italien, intrigué par ma canne anglaise, picore dans l’omelette (une des spécialités de la maison) de ses parents. Alléchée, ma compagne commande au très aimable serveur une planche de gouda. J’étanche ma soif avec une chope de bière au fût.
« Ça sent la bière
Donne-moi la main
C’est plein d’Uilenspiegel
Et de ses cousins et d’arrière-cousins
De Breughel l’Ancien
C’est plein de gens du nord… »
Bruxelles « brusselle », les terrasses sont noires de monde. Bruxelles je t’aime, joyeuse, festive.
Ce soir, nous mangeons à La Manufacture, restaurant tendance en retrait, derrière le square Jacques Brel, rue Notre-Dame-du-Sommeil. En fouillant dans les croyances locales, on trouve les traces au XVIIème siècle d’une chapelle dédiée à la vierge où nos aïeux souffrant d’insomnies venaient en pèlerinage. Vous me croyez si je vous dis que l’impasse du Réveil débouche sur cette rue ?
« Imprimerie autrefois, elle fut aussi l’antre de la maroquinerie Delvaux… jusqu’à ce qu’elle fasse peau neuve, qu’elle s’habille de cuir, de bois, de pierre bleu cobalt, de granit rouge. Lieu d’atmosphères … Les saveurs se métissent, les continents se rencontrent. »
Pour moi, ce sera un croustillant de chèvre frais aigre-doux de poires et baies rouges puis une petite pêche en waterzoï d’épices thaï, arrosés d’un rouge de Montepulciano d’Abruzzo.
Á suivre …
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