Départ de Paris-Nice 2022 à Auffargis
Pour la 13ème année consécutive, le département des Yvelines accueillait, début mars, le départ de la mythique course cycliste professionnelle Paris-Nice.
Á plusieurs reprises, j’ai consacré un billet à cet événement* sportif. Cette épreuve que l’on surnomme, en dépit de la météo parfois capricieuse, la Course au soleil, est née en 1933 de l’esprit d’un certain Albert Lejeune heureux propriétaire de deux quotidiens florissants, Le Petit Journal basé à Paris et Le Petit Niçois.
Avant-guerre, beaucoup de patrons de presse étaient à l’initiative de courses cyclistes, sport éminemment populaire propre à attirer spectateurs et lecteurs, ainsi Le Petit Journal déjà fondateur de Paris-Brest-Paris en 1891. Les années 1930 furent un âge d’or du cyclisme français avec une génération de champions dont mon père me contait les exploits, André Leducq, Georges Speicher, Antonin Magne, tous vainqueurs du Tour de France.
L’idée d’Albert Lejeune est simple : relier le centre géographique de ses deux journaux par une course cycliste novatrice, d’où le choix de Paris-Nice, sur une durée de six jours, pour prolonger la saison hivernale, en rappelant ainsi les Six Jours sur piste, très prisés par le public à l’époque. La course s’appelle à l’origine les Six Jours de la route.
L’affiche que les organisateurs ont imaginée, cette année, pour la 80ème édition de la course, possède un intérêt documentaire que vous apprécierez s’il vous prend de repérer les différences entre les deux coureurs et leur monture.
Sur le plan de la communication, 1933 c’est encore le temps de la photographie noir et blanc ou bistre, de la radio TSF grésillante. Curieux, je me suis plongé dans le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France pour consulter les articles que le Petit Journal consacra à son épreuve.
Ainsi, le départ n’ayant pas encore été donné, on s’intéresse aux à-côtés de la course, notamment au ravitaillement des concurrents, en somme au « ventre de Paris-Nice » pour reprendre l’expression de Zola :
« Tout a été prévu pour assurer aux deux cents coureurs une nourriture substantielle et pouvant être absorbée rapidement, car nos as de la pédale n’auront guère le temps de s’attarder le dos au feu, le ventre à table selon le bon conseil de Brillat-Savarin.
Voici leur menu « de course », car bien entendu, arrivés à l’étape, ils auront toute liberté de savourer, si le cœur leur en dit, les spécialités culinaires de nos provinces françaises.
Á chacun des cinq postes de ravitaillement, on leur remettra une musette contenant :
1 bidon de café ou thé,
1 bidon Vittel ou Vichy,
1 morceau de poulet ou une côtelette première,
1 sandwich jambon ou confiture,
2 gâteaux de riz,
2 tartelettes,
20 morceaux de sucre (le diabète est une maladie de sédentaires qui n’a pas cours chez nos sportmen est-il précisé),
3 bananes,
15 figues ou pruneaux.
Changement d’époque et d’habitudes diététiques, les cyclistes de haut niveau d’aujourd’hui présentent une adiposité très faible car ils ont appris à brûler les graisses avec le concours de diététiciens et nutritionnistes. Désormais, le rapport entre la puissance mise en œuvre et le poids joue un rôle capital, l’on parle de ratio watts/kilogrammes, bien loin du slogan du candidat communiste à l’élection présidentielle défendant les vertus franchouillardes d’« un bon vin, une bonne viande, un bon fromage ».
Dans la caravane publicitaire officielle de la première édition, on relève la présence du Café Standard, l’apéritif Saint-Raphaël Quinquina, les Établissements Simplex, le chocolat d’Aiguebelle, les Établissements Cointreau, la renommée maison apéritif Clacquesin, le champagne Mercier, la maison Martini et Rossi, les chaussures André, la biscuiterie rémoise Derungs, les jambons Olida.
Dans les années 1950-60, dans le peloton français, on voyait des maillots vantant l’apéritif Saint-Raphaël, la piquette de table Margnat et la bière Pelforth.
La loi Évin relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme ne naîtra qu’en 1991.
Á l’origine, le maillot de leader de la course est de couleur azur avec une bande transversale or évoquant la Méditerranée, le ciel bleu et le soleil niçois. Il est fourni par la maison Unis-Sports 40 rue de Maubeuge à Paris.
Par la suite, après-guerre, il changea de couleur en fonction de l’organisation. Ainsi, en 1955 jusqu’au tout début des années 2 000, le mythique maillot blanc récompensa de prestigieux vainqueurs comme Anquetil, Poulidor et Merckx.
Depuis 2 002, la société Amaury Sports a fait preuve de bien peu d’originalité en reprenant les maillots distinctifs des différents classements du Tour de France qu’elle organise également.
Le Paris-Nice 2022 démarre alors que l’actualité dramatique est phagocytée par l’invasion russe en Ukraine.
Clin d’œil de l’Histoire, quand, le 3 mars 1933, Le Petit Journal annonçait la naissance de sa course, ses colonnes évoquaient aussi les élections en Allemagne où le parti d’Adolf Hitler semblait bien placé. Ainsi, alors que le quotidien décrit avec ferveur le départ de Paris, on apprend que le docteur Goebbels est nommé ministre de la Propagande.
Albert Lejeune mettra trop ses journaux, durant l’Occupation, au service de la collaboration. Condamné à mort à la Libération, il est fusillé en 1945.
149 candidatures sont retenues sur les 200 reçues. 40 coureurs appartiennent à des équipes de marques de cycles Alcyon, Dilecta, Génial-Lucifer, La Française et Oscar Egg. Les 109 autres coursiers sont des individuels, ceux qu’Albert Londres appelait les « ténébreux » dans son reportage sur les forçats de la route. Chaque participant touche une prime journalière de 40 francs.
Le plateau est particulièrement relevé avec la présence des plus grands champions français de l’époque, André Leducq, Georges Speicher, Roger Lapébie, René Vietto, Maurice Archambaud, Fernand Mithouard vainqueur de Bordeaux-Paris quelques semaines plus tard, Armand Blanchonnet double champion olympique lors des Jeux de 1924, les Belges Sylvère Maes, Félicien Vervaecke, Jean Aerts, le grimpeur espagnol Vicente Trueba surnommé « la puce de Torrelavega », premier vainqueur du Grand Prix de la Montagne du Tour de France.
En 9 décennies, le cyclisme a complètement changé de visage et n’a pas échappé à la mondialisation. Les maillots bariolés des coureurs (ainsi que leurs cuissards, casques et chaussures) vantent des groupes multinationaux comme des organismes bancaires (Crédit Mutuel Arkea-Groupama-Cofidis), des compagnies d’assurances (AG2R-La Mondiale), une chaîne néerlandaise de supermarchés (Jumbo), une entreprise de sols stratifiés (Quick Step) et même des États (Bahrein- Astana Qazaqstan-Émirats Arabes Unis-Israël).
C’est bien simple, alors qu’auparavant, la Course au soleil était l’apanage exclusif de coureurs de la vieille Europe, au XXIème siècle, son palmarès s’est enrichi de nombreux champions venus d’autres horizons : le kazakh Vinokourov, les nord-américains Landis et Julich, l’australien Richie Porte, les colombiens Betancur, Henao et Egan Bernal. Il faut remonter à 1997 pour retrouver une victoire française avec Laurent Jalabert.
La course elle-même souffre de la concurrence d’autres épreuves organisées sur d’autres continents et pays plus exotiques, quoiqu’avec la pandémie, beaucoup de coureurs aient choisi, cette année, d’affuter leur forme, comme autrefois, sur les routes du Midi de la France.
Car dans les années 1950, la Côte d’Azur voyait débarquer de nombreux coureurs professionnels heureux de profiter de la douceur du climat hivernal pour effectuer leur entraînement de début de saison. De nombreuses courses fleurissaient sur le littoral méditerranéen : des mini-classiques Gênes-Nice et Nice-Alassio, le Grand Prix de Saint-Raphaël, ceux de Cannes et d’Antibes, la ronde du Carnaval d’Aix-en-Provence, des courses de côte au Mont Faron et Mont Agel, et même dans nos colonies, les Grands Prix de l’Écho d’Alger et de l’Écho d’Oran.
Les frères Louison et Jean Bobet (ils remportèrent tous les deux Paris-Nice) s’enorgueillissaient d’avoir accumulé 700 kilomètres d’entraînement durant l’hiver, ce qui ferait hurler de rire les champions de maintenant qui comptent déjà plusieurs milliers de kilomètres au compteur.
Les coureurs prenaient le départ de Paris-Nice, les jambes encore blanches, de bonnes joues, comme en témoigne cette photographie prise lors du Paris-Nice 1954. Tout gamin, j’étais fier de voir mon idole Jacques Anquetil avec son maillot La Perle rouler auprès du campionissimo Fausto Coppi.
La veille du départ en 1933, fut effectué le poinçonnage des bicyclettes au siège du Petit Journal, rue Lafayette. Le règlement était très strict et il était interdit de changer de vélo tout au long de l’épreuve. Les réparations éventuelles devaient se faire sur place.
Aujourd’hui, les vélos sont contrôlés à l’arrivée de chaque étape pour détecter notamment quelque assistance électrique.
Le 14 mars 1933, à 5 heures du matin devant le café Rozes de la Place d’Italie, à Paris, on procéda aux ultimes opérations de contrôle, puis après 7 kilomètres de défilé, le départ réel de la première étape menant à Dijon fut donné à Thiais, au Carrefour de la Belle Épine.
Cette année, après une première étape en ligne autour de Mantes-la-Ville, les coureurs prennent véritablement leur envol vers le soleil du Midi à Auffargis, dans le sud du département des Yvelines. Il s’agit d’une jolie commune à la population aisée, nichée dans le vallon du ru des Vaux-de-Cernay, en lisière de la forêt de Rambouillet. Elle fait partie du parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, un site évocateur pour les mordus de vélo.
Parmi les personnalités qui y vécurent, figure, pour paraître érudit, François Roberday, orfèvre du roi Louis XIV, « valet de chambre de la Reyne », et organiste renommé qui aurait été un des maîtres de Jean-Baptiste Lully.
L’acteur Jean Rochefort, marquis de Bellegarde à la Cour de Louis XVI dans le film Ridicule, cavalier émérite, passa les vingt dernières années de sa vie dans son haras de Villequoy. Le journaliste Félix Lévitan, ancien coorganisateur du Tour de France avec Jacques Goddet, fut maire de la commune dans les années 1960.
Auffargis connut autrefois des belles heures de cyclisme. Le village se trouvait sur le parcours d’une mythique course contre la montre, et lorsqu’on en diminua le kilométrage, il devint même lieu de départ lors de deux éditions. Sur le podium, le maire en oublie le nom, il est vrai que le Grand Prix des Nations a disparu malheureusement du calendrier depuis longtemps.
Heureux Fargussiens (d’un âge désormais avancé) qui admirèrent ainsi le recordman de l’épreuve Jacques Anquetil, neuf fois victorieux en neuf participations, revêtu de son maillot Ford. En 1965, il laissa Rudi Altig à 3 minutes 9 secondes et Poulidor à près de 5 minutes.
En 1966, « l’homme chronomaître » devança largement dans l’ordre Felice Gimondi, Eddy Merckx, Roger Pingeon et Raymond Poulidor, comme en témoigne la Une du journal L’Équipe.
Phénoménal ! Anquetil, mettant souvent à profit les étapes dites de vérité, inscrivit cinq Paris-Nice à son palmarès. Cependant, il ne détient pas le record de victoires, l’Irlandais Sean Kelly l’emporta sept fois consécutivement.
Ce midi, peu après le départ, les coureurs vont rouler pendant quelques kilomètres sur le parcours de l’ancien Grand Prix des Nations en escaladant la fameuse côte des 17 Tournants que connaissent bien les cyclotouristes franciliens.
Le Belge Alfons Schepers, sur cycles La Française, franchit en vainqueur la ligne d’arrivée de la première étape à Dijon du premier Paris-Nice, après avoir accompli les 312 kilomètres en 8 heures 48 minutes et 50 secondes, soit une moyenne horaire, remarquable pour l’époque, de 35,398 km/h.
Je me suis délecté de la presse d’alors aux envolées lyriques, empreinte aussi d’une certaine naïveté ou fraîcheur de ton, vous choisissez. Ainsi dans Le Petit Journal du 16 mars 1933, le journaliste Paul Guitard écrit depuis Lyon terme de la seconde étape, un article intitulé Le chant du coq :
« Notre premier Paris-Nice aura rencontré le succès sportif et l’enthousiasme populaire ; c’est d’un excellent augure. Les successeurs éventuels des Thys, des Petit-Breton, des Trousselier et des Pélissier ont voulu prouver qu’ils avaient de qui tenir et que, si l’usage de la bicyclette devait se perdre un jour en France, le souvenir de ces champions, leur exemple, subsisterait longtemps encore.
Vous savez pourtant que l’Yonne et la Bourgogne possèdent des chemins d’école buissonnière, que tout y est plein de couleurs. Dès le matin, la rosée des prairies dorait l’eau des rivières et pénétrait de ses flammes subtiles les arbres qui commencent à verdit ; l’air léger vibrait à l’horizon, mais il est hors de doute que peu de coureurs soient sensibles à toutes ces choses ; on ne leur demande pas d’être des artistes. Ici, le sport a force de loi. Comment se manifeste-t-il pour ce but ? Brillamment, mes amis, comme toutes prévisions.
Ce matin, au contrôle de départ, il y avait foule. Un vieux monsieur m’a demandé : « « Ça sert à quoi ? » – Á bien des choses !
D’abord, et sans employer de grands mots, à avoir une preuve nouvelle de la qualité, de l’énergie, de la résistance humaine.
Á certaines minutes, on se demande si cette énergie et cette résistance ont des termes.
Il s’agit ici d’extraordinaires machines à courir. Le mot est juste quand on l’applique à Schepers, à Joly, à Decroix, à Marcel Bidot, échappés, semble-t-il, d’une humanité préhistorique. Ces garçons sont des organismes humains tout neufs, jetés d’une matière vivante incorruptible, je les connais et les suis depuis longtemps. Quelle pompe d’or ou d’acier ont-ils à la place du cœur ! et quels poumons ! et quelle endurance ! On songe à Achille plongé par sa mère dans l’eau du Styx. Quelles eaux glacées, de nos jours, leur ont assuré l’immunité ? J’ai lu de véritables traités de stratégie sur la manière de gagner les grandes courses.
Mais Schepers et Joly ignorent, en vérité, tout des sciences et des calculs ou tout au moins ils les méprisent. Prenez Vervaecke, qui fit hier une course admirable : cette figure fermée, absente ne révèle rien d’intellectuel, ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, que l’homme ne soit pas intelligent.
Le corps seul est en mouvement, ce corps si parfaitement organisé, qu’on ne peut surprendre en lui la moindre trace d’effort. Il y a dans cette aventure la volonté du coureur de n’avoir pas l’air de participer à la lutte. C’est la classe physique qui parle, incomparable et sans rivale. Rien n’est plus beau certes qu’une volonté farouche tendue à se livrer et poussant la guenille humaine vers la victoire, quelque chose est plus beau peut-être, c’est le bel animal triomphant de sa matière physique.
Je comprends ma foi la joie exubérante, sans retenue, du vainqueur parce qu’elle éclate comme le chant du coq, et puis il y a encore que cette sorte de ferveur à l’égard des sportifs, touchante, naïve, un peu bébête, n’allez pas en rire, se pratique à tous les degrés. Tout à l’heure, avant le départ, dans un petit café, j’ai vu la femme d’un modeste coureur régional installée près de son mari équipé dans son maillot. Elle ne mangeait pas, elle lui coupait son pain, sa viande, lui versait à boire et de temps en temps essuyait de son mouchoir le front de son héros. C’est ça, voyez-vous, la course au soleil ! »
Dans la même édition, le prolixe Paul Guitard nous offre un autre article consacré à la seconde étape entre Dijon et Lyon, intitulé Le vin, sang de la France. Il faut dire qu’au cours des cinquante premiers kilomètres, les coureurs sinuaient au milieu des vignobles aux noms enchanteurs : Gevrey-Chambertin, Vougeot, Vosne-Romanée, Aloxe-Corton, Beaune, Meursault.
« Les Méridionaux considèrent que le vin est le sang de la France. On ne saurait les désapprouver de cet amour exclusif pour le liquide vermeil et généreux. Le vin fait du bien dans tout l’être ; il donne en effet force à qui l’emploie avec la modération nécessaire, et sang, et il reste un stimulant précieux pour les énergies. Ce n’est pas un paradoxe d’affirmer qu’il a rendu bien des services à la cause du sport. Je me souviens, par exemple, avoir assisté, en Angleterre, à un grand match international de rugby. Le manager de l’équipe de France, Jules Cadenat, ému de nos défaites successives, avait dit : « Je vais employer, cette fois, le grand remède. » Le grand remède consistait en un petit tonnelet peint en tricolore et que le Biterrois portait fièrement en bandoulière. Le grand remède, c’était le vin. Cadenat avait noté que ses hommes s’accommodaient mal pendant leur séjour en Angleterre, du thé, boisson fluide propre à exciter les discussions, ou qui porte à la rêverie. Inutile de dire que le traitement fit merveille et que les malades réagirent victorieusement.
J’y pensais, ce matin, en traversant, derrière les coureurs, cette belle série de Bourgogne aux sillons éclatants.
Un peu avant d’arriver à Nuits-Saint-Georges, une paysanne tendit à Leducq une bouteille de ce cru magnifique. Leducq remercie, sourit et dit : « Chic, du pinard ! » et il porta la bouteille à sa bouche comme s’il jouait du clairon. Ce fut le coup de fouet, la charge, avant Beaune. Six fuyards, échappés depuis le départ, étaient rattrapés. Quant à Demuysère, il manifesta son mécontentement en s’en prenant à deux des six, ses compatriotes Rebry et Schepers : « Ça n’est pas des coups à faire, savez-vous. » Demuysère, qui aime la bonne bière, à la mousse rafraîchissante, pense également qu’il faut modérer ses efforts. Couper son vin d’eau, telle est sans doute sa maxime. Ainsi faisaient les Athéniens, selon Nietzsche qui estimait cette conduite fort prudente. »
« Nuits (Saint-Georges) d’ivresse, de tendresse
Où l’on croit rêver jusqu’au lever du jour ! »
Á en juger par l’entrefilet ci-dessus, l’actrice Nadine Picard rêvait peut-être d’une nuit câline en compagnie du vainqueur des Tours de France 1930 et 1932 André Leducq surnommé Dédé gueule d’amour et muscles d’acier et l’ancien champion olympique Armand Blanchonnet dit Le Phénomène.
Vous pensez bien que je me suis renseigné sur cette coureuse de coureurs ! Pour rester dans l’esprit, j’ai noté qu’elle joua au théâtre dans Le mariage de Figaro de Beaumarchais et Le mariage de Monsieur le Trouhadec de Jules Romains, et fit des apparitions au cinéma dans Un amour de Beethoven d’Abel Gance et Ferdinand le noceur auprès de Fernandel.
Lors de l’édition 2017, les coureurs escaladèrent contre la montre le Mont Brouilly point culminant du Beaujolais. De même, l’an dernier, la course au soleil fit étape à Chiroubles. Je n’ose imaginer les articles enivrants que nous auraient offerts ces truculents « braconniers de Dieu » qu’étaient Antoine Blondin, Abel Michea, René Fallet.
Paris-Nice a souvent usurpé son surnom de Course au soleil, à moins que la météo capricieuse ait contribué à sa légende. Elle est superbement illustrée par cette couverture du Miroir du Cyclisme et la photographie de mon champion transi sous la neige dans son effort solitaire.
En 1933, dans Le Petit Journal, Paul Guitard, encore, évoque un membre de la bande à Éole qui fera, plus tard, envoler le chapeau et soulever la jupe de Mireille dans une chanson de Brassens.
« Sous le plafond d’un ciel de cendres où les gros nuages gris sont fignolés comme pour une fresque de chapelle, la route pénètre sous les platanes ou les ifs, traverse les petits villages du pays de Provence aux maisons ocres et aux tonnelles d’ombre. Pour rendre hommage à cette belle nature, les coureurs avaient l’air ce matin, de faire leur petite promenade quotidienne. Il est vrai qu’un fort mistral les conduit littéralement sur leur selle. Tarascon les salua bruyamment. Mais, à partir d’Arles, tout changea. Les belles Arlésiennes (on les voit donc parfois ! ndlr) acclamèrent les coureurs comme elles acclament à la belle saison, la mort du taureau et les estocades des grands toréadors d’Espagne. De beaux yeux noirs vous ont souri, coureurs mes amis !
« Quel dommage de ne pouvoir rendre la politesse » nous dit Leducq en souriant. Fichu mistral ! Et le coureur pédale de plus belle. On eut dit un signal. Ce fut le moment que choisirent Georges Speicher et Jules Merviel pour tâcher de fausser compagnie à leurs camarades. Le mistral soufflait plus fort que jamais ; dressant devant lui comme une barrière invisible et infranchissable.
-Tiens ! Qu’est-ce que c’est que ce vent-là ? demanda Demuysère à son Barthélemy.
-Tiens, ça c’est le mistral, répondit l’interpellé.
-Tiens, tiens, je croyais que c’était un poète, rétorqua simplement Demuysère, que je ne savais pas érudit.
Cependant, Speicher et Merviel mettaient les pédalées doubles. C’est alors que la course prit un grand intérêt. Speicher n’est pas très loin au classement général. Il a six minutes de retard sur le premier, or à ce village curieusement nommé La Bouillabaisse (en fait, La Bouilladisse ndlr), il avait comblé cet écart de la moitié…
Ce matin, les élèves de l’école communale d’Auffargis prolongent de quelques heures leurs vacances d’hiver. Ils participent à des animations de gymkhana et vont faire la claque au pied du podium. Pendant ce temps, avant de suivre en moto les coureurs pour la télévision, Thomas Voeckler rencontre, en compagnie de Sandy Casar, deux classes de 5ème du Collège Les Molières des Essarts-le-Roi.
Je doute que leurs enseignants leur dispenseront la leçon d’énergie et de courage qu’administrait le journaliste Paul Guitard sur le chemin d’Avignon.
La première édition de Paris-Nice fut remportée par le Belge Alfons Schepers leader depuis la première étape. Il devançait un autre Belge Louis Hardiquest et le populaire Stéphanois Benoît Faure surnommé la Souris.
« S’il fallait comparer Schepers à un coureur d’avant-guerre (celle de 14-18 ndlr), on ne pourrait mieux faire que de l’appeler le « Faber belge ». Tout comme le regretté géant Luxembourgeois, c’est un bel et puissant athlète, toujours le sourire aux lèvres. Il est d’autre part l’homme qui ne craint ni le froid, le vent, ni les pavés, ni les côtes et il dispose d’une pointe finale qui, jointe à ses qualités d’endurance, peut lui valoir encore d’autres grands succès. » Bien vu, justement, il remportera quelques semaines plus tard le Tour des Flandres et la troisième étape du Tour de France.
Ce lundi matin, c’est vraiment la Course au Soleil. Le ciel est d’un bleu limpide même si le thermomètre décolle timidement de zéro degré. La pelouse en pente douce vers le podium se remplit peu à peu de retraités. Terrible choc de l’actualité : à l’occasion de ce divertissement sportif mineur de notre société occidentale, dans l’attente de la présentation des coureurs, beaucoup de conversations tournent gravement autour de l’invasion de l’Ukraine.
Les regards s’attardent sur le russe Alexander Vlasov, second de l’épreuve l’an dernier. « Comme beaucoup de Russes, je veux juste la paix. Je ne suis pas une figure politique et on n’a pas demandé aux gens normaux comme moi, s’ils voulaient d’une guerre. En tant qu’athlète, mon objectif devrait être d’unir les gens au-delà des frontières plutôt que les diviser, cela devrait être le rôle du sport. »
Appartenant à la formation allemande Bora-hansgrohe, il n’est pas concerné par la décision de l’Union Cycliste Internationale interdisant aux équipes et sélections nationales russes et biélorusses de participer aux épreuves du calendrier international cycliste. Le speaker se garde de citer sa nationalité, peut-être pour éviter quelques réactions négatives du public.
Le français Anthony Turgis de l’équipe TotalÉnergies est entouré par ses supporters admiratifs devant son vélo S-Works Tarmac SL7 engin de tous les fantasmes. C’est vraiment le local de l’étape car il demeure aux Essarts-le-Roi, sur le plateau, à deux kilomètres du départ. Ses objectifs sont surtout les prochaines classiques flandriennes. Pour se familiariser avec les pavés, il inclut souvent dans ses sorties d’entraînement la traversée de Montfort-l’Amaury et un court passage qui longe le château de Dampierre-en-Yvelines, localité voisine que le peloton traversera peu après le départ.
C’est à Dampierre que, le 1er mai 1935, mourut tragiquement Henri Pélissier, abattu de cinq balles de révolver, par sa compagne, de vingt ans sa cadette. Vainqueur du Tour de France 1923, il fut le héros avec son frère Francis, lors de l’édition suivante, du fameux épisode du Café de la Gare de Coutances où le journaliste grand reporter Albert Londres** recueillit leur ressentiment contre les organisateurs et leur aveu de pratiques dopantes, donnant naissance à la légende des « forçats de la route ».
Son frère Francis bâtit sa légende de « Sorcier » sur les routes de la vallée de Chevreuse. Double vainqueur de Bordeaux-Paris, il fit par la suite, en qualité de directeur sportif, triompher deux parfaits inconnus, Fernand Mithouard en 1933, puis Jean Noret en 1934. Beaucoup plus tard, Francis confessa : « Jean Noret a fait toute la course à l’eau sucrée … avec, pour être franc, deux ou trois lampées de Cognac trois étoiles. ». Noret confia qu’il s’agissait plutôt de quatre ou cinq litres de Porto possiblement allongé !
En 1953, sur le parcours du Grand Prix des Nations, Francis faisait atterrir sur la planète Vélo, un jeune coureur normand indépendant de 19 ans, frêle dans son maillot La Perle : Jacques Anquetil.
Tour à tour, les équipes défilent sur le podium de présentation. Certains coureurs n’ont pas encore tombé le masque sanitaire, ce qui ne facilite pas leur identification.
Hier, lors de la première étape, la formation néerlandaise Jumbo Wisma a fait une démonstration de force et mis la main, d’ores et déjà, sur la course : ses trois meilleures chances, le sprinter français Laporte, le Slovène Roglic et le champion de Belgique Van Aert ont terminé ensemble seuls échappés. Il ne faut peut-être pas aller chercher ailleurs le futur vainqueur sur les bords de la grande bleue. Rançon du succès, ce matin, les micros et les stylos se tendent vers eux.
12 heures quinze pétantes, le départ fictif est donné, les coureurs vont escalader « pépère » la côte des Essarts-le-Roi avant de tirer droit vers Orléans. Gare au vent de Beauce propice aux « bordures » !
*Quelques anciens billets au départ de Paris-Nice :
http://encreviolette.unblog.fr/2010/03/11/le-beau-velo-de-ravel-ou-le-depart-de-paris-nice-2010/
http://encreviolette.unblog.fr/2011/03/08/au-depart-de-paris-nice-2011-les-mains-aux-cocottes-ou-ah-si-vous-connaissiez-ma-poule-de-houdan/
http://encreviolette.unblog.fr/2015/03/19/au-depart-de-paris-nice-2015-a-maurepas/
http://encreviolette.unblog.fr/2019/03/15/paris-nice-2019-dans-les-yvelines/
**Les « Forçats de la route » à la Comédie Française
http://encreviolette.unblog.fr/2018/03/16/vas-y-lormeau-les-forcats-de-la-route-a-la-comedie-francaise/