Ici la route du Tour de France 1971 (2)
Pour revivre les premières étapes : http://encreviolette.unblog.fr/2021/07/09/ici-la-route-du-tour-de-france-1971-1/
« Ainsi de nos pérégrinations, qui nous font frôler Paris-Plage, tourner la plage, côtoyer les grands ensembles d’Orly, pour aboutir à Nevers, au cœur des paysages que Jules Renard a qualifiés pour toujours. Le dépaysement serait brutal si, précisément, la course et son architecture n’étaient là pour donner le fil conducteur et l’unité. Mais reprenons les choses par leur début naturel.
Les premiers vacanciers sont sur les talus. Nous les découvrons avec la joie qu’ils reflètent et que le Tour de France, fragment de soleil, leur apporte. La promesse d’un mois de juillet sillonné de caravanes sollicite une mer couleur d’étain. Elle répond par un scintillement mat. Nous écrivons nos petits papiers dans un casino ou un country-club promis à un meilleur sort.
Puis nous nous en allons dans la nuit civile. Une sorte de parenthèse s’ouvre : le Tour de France joue la fille de l’air… »
Comme l’écrit joliment Antoine Blondin, les 126 partants, après une journée de repos au bord de la mer d’Opale, prennent l’avion jusqu’à Orly pour disputer la plus longue étape du Tour entre Rungis-ville et Nevers avec la traversée du Gâtinais*, terroir du poulet popularisé par le sketch de Jacques Dufilho, et le passage à Puiseaux*, petite commune du Loiret, qui n’organisait pas encore à l’époque sa bourse annuelle aux vélos, rendez-vous des archivistes pour compléter leurs collections.
Certaines photographies laissent à penser que cette étape courue sous la chaleur fut celle du sourire et de la décontraction, en voyant Merckx chasser la canette, Godefroot prendre un bain de pieds, tout chaussé, et surtout l’Italien Ballini prenant le frais à l’ombre d’une borne kilométrique.
On assista tout de même à de multiples tentatives d’échappée, cependant timides et vite réprimées. Un sprint massif à Nevers devenait inévitable. Une chute sérieuse, à 400 mètres de la ligne, jetait à terre une dizaine de coureurs dont le plus touché fut le maillot vert Roger De Vlaeminck.
Le Belge Eric Leman empochait sa troisième victoire d’étape.
À l’issue de l’étape, le coorganisateur Félix Lévitan stigmatise les journalistes et les photographes et d’une manière générale tous les professionnels de l’information, les accusant de rendre par leur présence après la ligne les sprints dangereux. Comme si, avec les tirages de maillots, les poussettes en tous genres, les coudes opportunément écartés, un sprint n’était pas déjà un exercice de trompe-la-mort. Dans ces imprécations, comme par hasard, les publicitaires envahissants avaient été oubliés. Ce ne sont pourtant ni les uns ni les autres qui sont responsables de la chute qui a marqué le sprint de Nevers. Des îlots directionnels placés au milieu de la route avaient fâcheusement divisé la meute en deux pelotons. Leurs retrouvailles furent brutales. L’aménagement intensif, abusif et hideux des chaussées dans les agglomérations manifestait ses premiers effets pervers.
Fort heureusement, la radio ne décela rien de grave pour Roger De Vlaeminck qui, cependant, perdait pour deux petits points son maillot vert au profit de Gerben Karstens.
Blondin concluait : « La vive astuce des organisateurs de ce Tour aura été de nous faire accomplir à rebours une longue étape qui avait les couleurs d’une dernière étape sans baigner pour autant dans ce que Flaubert appelait « la mélancolie des sympathies interrompues ». Récapitulant ses énergies, la course prend, au sens propre, un nouveau départ. Avec deux ou trois départs comme cela, on doit pouvoir en venir à bout. »
Il poursuivait dans sa chronique du lendemain :
« L’attente frémissante qui prélude à la finale d’un 800 mètres, nous l’avons vécue dans les teintes en camaïeu où baignait la campagne bourbonnaise. Nous savions que quelque chose allait se passer, et cependant un sentiment contradictoire nous habitait. Nous souhaitions que quelque chose se cassât, dans le même temps qu’un vieux respect des valeurs établies nous incitait à désirer que cela ne bougeât pas trop. La veille, une arrivée tumultueuse nous avait mis dans les conditions du drame. On eût été en droit d’envisager de longs et patients lendemains de pansements. Il n’en fut, naturellement, rien … »
Les choses sérieuses commencent avec l’arrivée au sommet du Puy de Dôme.
Auparavant, la prime du « point chaud » se dispute à Sancoins, bourg du Cher, qui, à cette époque, s’enorgueillit d’être, chaque mercredi, le premier marché aux bestiaux de France. Nous sommes lundi mais, c’est la fête du Tour, et avant que l’Italien Wilmo Francioni n’emporte le sprint, dégustons une part de « pâté tartouffes » (et quelques verres de Saint-Pourçain) et esquissons quelques pas de polka sur « La foire à Sancoins », un succès de l’accordéoniste Serge Berry. Un faux air de Bol d’Or des Monédières au pays de René Fallet !
« Heureus’ment qu’la vieille jument grise/Al’ connaissait par cœur le chemin… »
Ma petite fantaisie semble avoir grisé 16 coureurs parmi lesquels Merckx et Ocaña, mais malgré le train d’enfer imposé par les Molteni au nombre de cinq, l’écart ne dépasse pas 40 secondes car derrière, Gosta Petterson, Joop Zoetemelk, Gianni Motta et le jeune Bernard Thévenet, né non loin d’ici à Saint-Julien-de-Civry au lieu-dit prédestiné « Le Guidon », organisent la chasse.
Pas de fait piquant au kilomètre 79 dans la traversée de Hérisson mais permettez que je me désintéresse de la course durant quelques lignes : cinq ans plus tard, sera créé dans ce village de 700 âmes Mémoire d’un Bonhomme, « spectacle pour un acteur, une vache, un cheval de trait et une onde Martenot ». Durant plusieurs étés, Hérisson fut le rendez-vous des amoureux d’un « théâtre autrement » né de la folie créatrice de trois « fédérés » Olivier Perrier (c’est fou ! comme chaque vainqueur d’étape déclarait dans les réclames en buvant son quart d’eau gazeuse !), Jean-Paul Wenzel et Jean-Louis Hourdin. « Un théâtre inventé empruntant des chemins vicinaux » qui mit en ébullition le bocage bourbonnais ! Un spectacle sur des paysans, avec des paysans, pour des paysans, l’histoire d’une vieille France en sabots où les hommes et les animaux vivaient encore ensemble. Qui sait s’ils avaient été là en 1971, ils n’auraient pas fait traverser la scène au peloton !
Les coureurs sont « Loin d’Hagondange » mais se rapprochent de Clermont-Ferrand. Ils traversent Commentry, non loin du vélodrome Isidore Thivrier** dont le père Christophe est connu pour avoir été à l’assemblée, le premier député en blouse bleue du Bourbonnais.
« Épouvantail, juge de paix, pain de sucre dont devait sortir la vérité, le Puy de Dôme était à la fois souhaité et redouté. » Dans sa chronique Une course et des hommes, Gilles Delamarre passe en revue les forces en présence : « La majorité prévoyait encore que Merckx sortirait vainqueur du mont d’Auvergne. Par exemple, Raymond Poulidor qui poursuit sa reconnaissance anticipée pour RTL et à qui la presse régionale accorde un grand intérêt. Voici ce qu’il a déclaré à notre confrère « La Montagne » au sujet de cette escalade :
« Ça fera très mal, car la route jusqu’au « cratère » est très vallonnée. Les échappées y seront possibles. À partir du « cratère », véritable point de départ de l’empoignade finale, je crois que le peloton éclatera et que Merckx attaquera. Aucun problème, ce parcours lui convient très bien et vous pouvez vous attendre à un festival de sa part. Il doit gagner l’étape du Puy de Dôme. Et je crois que malgré tout les écarts seront importants derrière le groupe des favoris.
– Peut-on s’attendre à une surprise et voir Merckx accompagné au sommet ?
– Non, je ne pense pas, et si quelqu’un parvient à finir l’étape dans sa roue, ce sera certainement Zoetemelk.
Raymond Poulidor s’est trompé. On ne saurait lui reprocher, il n’est pas le seul.
Quelques-uns et non des moindres, Jacques Anquetil par exemple, misaient sur le petit gabarit de Lucien Van Impe… »
« … S’il n’a pas rendu un verdict sans appel, le Puy de Dôme a prononcé un oracle qui porte le nom claquant d’un hidalgo : Ocaña. Bien peu l’avaient installé dans leurs favoris, au moins pour la première place. »
Voici ce qu’Antoine Blondin en disait dans sa chronique intitulée Un chef-d’œuvre en péril :
« La vulnérabilité d’Eddy Merckx se donnait à constater dès la première marche de l’escalier. Et c’est là qu’il fut grand. Une fois dépouillé des grandes machineries tactiques, livré au corps-à-corps, il me semble que nous avons retrouvé dans la peau d’un quatrième le grand coureur cycliste qu’il est certainement. Sur les pentes, pudiquement dérobées par la brume, nous l’avons vu se mettre au diapason du labeur commun. Son Maillot Jaune, protégé ce soir, et qui doit le brûler comme la tunique de Nessus, le désignant et l’obligeant dans le même temps, fut perpétuellement aux avant-gardes. On songeait à la conjuration d’Amboise et à l’assassinat du duc de Guise. Vous ne voudriez pas qu’on soit du côté des plus forts.
Mais sont-ils les plus forts ? Certes la victoire d’Ocaña nous enchante. Nul n’était mieux appelé à porter le poignard. Ici se trouve remis en question un lourd passif de déboires et de malchance, une de ces revanches sur le sort, dûment concertée, à quoi l’on peut souscrire sans arrière-pensée. Nous aimerons revoir souvent ce maillot orange et blanc en tête de la course. Mais, parce que l’argile dont les idoles sont faites nous est précieuse, c’est à Merckx, ce soir, que vont nos pensées. Il aura été le grand personnage de la journée, en proie aux assauts et aux convoitises, justifiant le propos qui veut qu’on soit parfois plus grand absent que présent.
Ce Puy de Dôme, qui ne l’a d’ailleurs pas fait exprès, était judicieusement placé pour remettre la foudre dans la main des hommes. Nous allons voir maintenant l’usage qu’ils vont en faire. On peut se prendre à rêver que cette étape serait une des ultimes, que déjà les lignes de force de la compétition seraient tracées. Que verrions-nous ? Des gaillards essaimés sur quelques secondes, tant de trajet déjà et d’illusions perdues, le grand bonheur d’un travail accompli et, peut-être, Merckx reprenant le gouvernement des choses. Les multiples chicanes qui nous attendent nous permettent d’autres rebondissements. »
Merckx, Zoetemelk et Ocaña, le trio de tête au classement général, se tiennent en 37 secondes.
La neuvième étape mène les 126 concurrents encore en course de Clermont-Ferrand à Saint-Étienne (153 km) sur un parcours truffé de bosses avec notamment l’ascension du col de la Croix-de-l’Homme-Mort au nom plus inquiétant que sa pente. Il le tire d’un fait divers qui se déroula durant la période troublée de la Révolution. Une petite croix en fer forgé fut érigée à l’endroit où fut perpétré l’assassinat d’un maître-papetier d’Ambert pour des histoires de cœur.
C’est à Jean-Pierre Danguillaume qu’on doit créditer l’initiative de la bonne échappée. Au km 53, il démarre avec l’Espagnol Lopez-Carril et le Belge Spruyt l’inévitable « Molteni » de service. Danguillaume passe en tête au sommet des cols des Fourches, des Pradeaux et de la Croix-de-l’Homme-Mort.
Pour avoir passé une soirée avec lui, il y a quelques années, je sais que Danguillaume est de bonne compagnie avec sa gouaille :
« L’Espagnol, il roulait plus fort que moi. Il emmenait les sprints et je le sautais à chaque fois ; À un moment, il n’était pas content, il a rouspété. Je lui ai dit : « Tu es en vacances, ici, moi, je suis chez moi. » Ne voyez pas dans cette boutade une quelconque xénophobie mais plutôt une nouvelle affirmation de ce désir effréné de se montrer dans un Tour où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Ça fait du bien d’être applaudi, d’entendre des « allez Danguillaume » quand on est dans le peloton, on n’entend que des « allez Merckx » ou des « allez Poupou » quand il est là. »
Par la suite, un autre Molteni Wagtmans et un équipier de Danguillaume Walter Godefroot complètent l’échappée.
« Animateur de l’échappée, Danguillaume redevint l’équipier lorsque Godefroot y fit son apparition. Il ne s’en plaint pas : « Walter est un type formidable. Il a toujours un petit mot gentil. Ce n’est pas du tout le flahute taciturne, à partir du moment où il est arrivé dans l’échappée, il a tout fait pour que je gagne. Il provoquait des cassures pour que je puisse partir. Moi, j’ai roulé les 5 derniers kilomètres sans qu’il me le demande. Je lui ai dit : « Ne t’occupe de rien, j’irai les chercher ». Bien sûr, j’aurais pu me mettre en quatrième position et terminer derrière Walter. Mais je voulais lui éviter des efforts, et je me méfiais des autres. Walter sait renvoyer l’ascenseur. Si on se retrouve un jour dans les mêmes conditions, je suis sûr qu’il me dira : « gardes-en » ».
À Saint-Étienne, sur le cours Fauriel, Danguillaume lance remarquablement le sprint pour Godefroot et c’est un triomphe des coureurs de Peugeot-B.P. dans la cité des cycles Mercier.
Merckx conserve son maillot jaune, par contre, grâce à son succès, Walter Godefroot s’empare du maillot vert.
Enfin, les Alpes se profilent même si, cette année-là, elles semblent moins redoutables : pas de légendaires « juges de paix » comme le Galibier et l’Izoard, juste une première étape vers Grenoble avec la trilogie du massif de la Chartreuse amputée du col du Granier, la seconde se terminant à Orcières-Merlette, nouvelle station des Alpes du Sud dans le massif du Dévoluy.
Dès le départ, à la sortie de Saint-Étienne, les coureurs escaladent le col de la République (appelé aussi Grand Bois). On le surnomme volontiers le « col des cyclotouristes » en raison de la journée Vélocio qui s’y dispute chaque année en hommage à Paul de Vivie figure emblématique du cyclotourisme français et fondateur en 1882 de la manufacture stéphanoise de cycles La Gauloise. C’est l’occasion aussi de saluer et remercier mon ami Jean-Pierre, mon pourvoyeur de magazines d’antan, qui, pendant que j’écris ces lignes, sillonne peut-être à vélo les routes de France.
Le col de la République fut le premier col de plus de 1 000 mètres d’altitude à avoir été franchi par les coureurs lors de la seconde étape du premier Tour de France de l’histoire. L’année suivante, en 1904, l’ascension fut le théâtre de voies de fait de partisans du coureur stéphanois Antoine Fauré à l’encontre de ses adversaires. Débordé, le créateur du Tour Henri Desgranges tira des coups de feu pour disséminer les assaillants avant de déclarer : « Jamais plus, le Tour de France ne passera dans la Loire. »
S’en suivit une longue éclipse et il fallut attendre le Tour 1950 pour que les coureurs empruntent à nouveau le col.
Au sommet, le passage en tête est disputé et c’est Cyrille Guimard qui s’impose devant Merckx, Motta, Van Impe, Zoetemelk et Ocaña.
Pour la suite de l’étape, je vous laisse en compagnie d’Antoine Blondin :
« Ce fut une journée fastueuse, qui vit le Tour de France dédier au ciel torride ses mille facettes, des plus touchantes aux plus pathétiques. On reste le souffle coupé, à l’image des foules innombrables disséminées sur quatre départements et qui n’en pouvaient croire leurs yeux, nous sollicitant du regard pour nous demander si c’était bien vrai et si c’était toujours comme ça.
Je précise que c’est essentiellement Ocaña, prince charmant drainant déjà tous les cœurs après soi, et Thévenet, qui est en train de se faire un nom sur tous les calicots de France, avec une rapidité stupéfiante, qui mobilisaient cette extase bouche bée, où la grand-mère sur le pas de sa porte rejoignait dans un attendrissement commun la majorette de circonstance. Et je ne parle pas des vieux de la vieille, embusqués derrière leurs moustaches, dont le scepticisme bougon fondait comme neige au soleil. Ces bains d’unanimité sont toujours bons à prendre : ils ont un sens qui excède les dimensions de la simple compétition cycliste et instaurent un dialogue du bord des routes des plus féconds. J’en veux pour preuve l’appel surprenant lancé par notre speaker maison au départ de Saint-Étienne. Quelque part en France, une maman est sans nouvelles de son petit garçon, mais elle est psychologue, elle sait que le gosse adore la bicyclette. Alors, d’étape en étape, elle lui parle par notre intermédiaire. Elle ne trahit pas son inquiétude. Elle sait qu’à la rigueur elle pourrait nous confier son fils, puisque nous partageons les mêmes goûts, mais le jeune baladin ne se fait pas connaître, il est là sous l’anonymat d’une casquette en matière plastique, parmi des milliers de frères et sœurs qui gobent au passage la silhouette des champions avec une gloutonnerie respectueuse.
J’aimerais penser que c’est un peu à son intention que Pierre Rivory s’est livré hier à un cavalier seul de soixante-dix-kilomètres, qui nous rendait l’effigie traditionnelle du régional de l’étape dans tout son splendide isolement. Rivory s’est souvenu qu’il était né à Pélusoir, dans la Loire, voilà vingt-six ans, et, sous prétexte d’aller faire la bise à quelques membres de sa famille plantés en lisière d’un champ, il a tout bonnement faussé compagnie au gros de la troupe, caracolant à plus de huit minutes d’avance, la visière sur la nuque, comme un grand, et son regard de faïence absorbé par l’application hautaine qu’il mettait à la tâche.
Rivory appartient aux cadets que Raphaël Geminiani n’a pas craint d’enrouler sous sa bannière par une sorte de défi, qui s’appellent Jean Vidament, Yves Ravaleu, Jean-Claude Daunat, noms encore obscurs qui n’ont pour eux que flairer la souche et le terroir. Cependant, Raphaël n’était pas dans le sillage de Rivory ; le capitaine tempétueux avait délégué, pour faire escorte à la « bleusaille », notre ami Jean-Marie Rivière, celui-là même qui anime avec un génie sans cesse jaillissant les folles nuits de l’Alcazar de Paris. Cette fois, Jean-Marie n’était pas de la revue. Pénétré du sérieux de ses fonctions, il annonçait en préface de la course, couvait son gamin avec sollicitude, et on l’entendit même parler de la jeune équipe à laquelle il a attaché sa vocation avec des accents dignes de Rudyard Kipling : « Quand nous serons rentrés à Paris, lança-t-il sur les ondes, beaucoup d’entre eux seront devenus des hommes. »
Nous sommes loin des travestis de la rue Mazarine (voie de Saint-Germain-des-Prés où habite Antoine Blondin ndlr) telle est la vertu roborative du sport.
Maintenant, le meilleur moyen d’être un cadet de l’Alcazar est encore de l’être à la mode de Tolède. Tel est le cas d’un Luis Ocaña superbe et généreux. Espagnol passé maître depuis quelques jours dans l’art de donner l’estocade et singulièrement castillan dans la manière d’escamoter l’alternative : tout et tout de suite, c’est la devise de la maison et, pour le reste, demain il fera jour.
Après celle du Puy de Dôme, Merckx vient de recevoir là une seconde pique qui l’a châtié plus durement que la première fois. On attend maintenant le réveil du fauve. Mais, à le considérer dans la plongée sur Grenoble, passé le col de Porte, à l’endroit même où l’année dernière, à pareille époque, il pouvait s’offrir le luxe d’augmenter son avance tout en réparant sa selle avec une clé à molette, il me semble qu’un peu d’eau a coulé sous les ponts.
Enfin n’est-il pas réduit au sort morose de Silvano Davo qui, pour sa part, a été dépouillé, non de son Maillot Jaune, mais de son vélo lui-même, au sortir du vélodrome. Il y avait un « voleur de bicyclette » et il a fallu que ce soit sur un Italien que ça tombe. Le coup fut, paraît-il, rondement joué, de jeunes admirateurs, s’appliquant à détourner la victime de sa machine. Une minute éphémère de griserie, un peu de poudre aux yeux et l’on se retrouve à pied.
Malgré la beauté de la chose, il me déplairait que notre petit garçon inconnu soit mêlé à cela, sa passion dût-elle s’y trouver assouvie. »
Dans sa chronique de Sport, Gille Delamarre évoque la passe d’armes dans le massif de la Chartreuse :
« Comme pour toute forte explosion, il fallait un détonateur. Ce ne fut pas un attaquant comme dans le Puy de Dôme mais bien un silex ou une quelconque aspérité –enfin un coup de pouce du destin- qui fit expirer le boyau de la roue de Merckx dans la descente du Cucheron. Être un champion, c’est aussi savoir profiter de l’occasion. Comme dans le Puy de Dôme, Luis Ocaña bondit et seuls purent demeurer dans son sillage les hommes forts du moment : Petterson, le Suédois dont la blondeur n’éclaire rien tant il est effacé –il mériterait à tous points de vue le surnom de la grande ombre-, le Hollandais Zoetemelk dont la silhouette à la Jacques Anquetil promettait les plus grandes choses s’il n’avait pas choisi lui aussi le parti de la discrétion, et enfin, le Français Bernard Thévenet qui a d’ores et déjà plus qu’un avenir national. »
« On était encore en pleine période de mysticisme et l’on craignait en quelque sorte la colère divine. Il (Merckx) n’était peut-être plus un surhomme, il n’était pas encore qu’un homme. Sauf pour Luis Ocaña qui n’hésita pas un instant à attaquer lorsque Merckx creva dans la descente du col de Cucheron. Les lois du sport, écrites et non écrites, fourmillent d’exemples semblables. Ce qui gêne le plus, ce n’est pas la façon dont le coup fut porté mais plutôt l’incertitude que l’on gardera sur l’issue de la bataille. Car dans le col de Cucheron, Merckx était là et bien là, semblant contrôler comme à l’habitude le peloton de tête dont personne ne cherchait à s’extraire.
« Sans cette crevaison qui m’a obligé à un énorme effort dans un faux-plat face au vent alors que devant on se déchaînait, j’ai la conviction que je n’aurais pas été lâché dans le col de Porte » disait-il. Mais en confidence et avec une remarquable franchise, il ajoutait ; « L’an dernier, je serais revenu. ». Car, en effet, les 30 ou 40 secondes de la réparation se transformèrent en deux minutes à l’arrivée à Grenoble. Sans doute, Eddy Merckx faisait remarquer qu’il était bien seul face à quatre forts rouleurs Mais à vrai dire, ces quatre n’avaient guère de dispositions pour le travail collectif et c’est Luis Ocaña qui mena la plupart du temps, à sa grande colère… »
Au vélodrome de Grenoble, Bernard Thévenet gagne facilement devant Petterson, Zoetemelk et Ocaña. Le public est aux anges : Eddy Merckx termine 7ème accusant un retard de 1 minute et 36 secondes.
Bouleversement pour les maillots : Joop Zoetemelk s’empare du maillot jaune précédant Luis Ocaña d’une petite seconde, et Cyrille Guimard, cinquième de l’étape, rafle le maillot vert à Walter Godefroot.
Jeudi 8 juillet : sur la route du Tour, certains lieux conservent le souvenir d’un homme, évoquent un exploit qui traverse les années. Il en est allé d’Hugo Koblet entre Brive et Agen lors du Tour 1951, du duel Anquetil-Poulidor sur les pentes du Puy de Dôme en 1964, d’Eddy Merck déjà sur la route de Mourenx en 1969. Il va en être bientôt ainsi d’Orcières-Merlette où le Tour fait escale pour la première fois.
Christian Laborde avait 16 ans, à l’époque. Depuis la maison familiale des Hautes-Pyrénées, il suivait à la télévision cette légendaire étape alpestre. Voici comment, avec son lyrisme habituel, il la restitue sur scène dans ses Vélociférations*** : « En ce temps-là, Merckx règne sur le peloton. Tous les maillots distinctifs, jaune, vert, blanc, rose, tous les bouquets sont pour lui. Et tous les costauds se battent pour la deuxième ou troisième place. Tous sauf Luis. Luis se bat pour la première place. Et en 1971, il a du gaz, Luis, de l’essence, Luis, du jus, Luis ! Il a la troisième jambe, Luis.
Luis est en pointe, et dans les Alpes, dans l’étape Grenoble-Orcières Merlette, il attaque Eddy Merckx et les costauds qui l’accompagnent : Zoetemelk, Agostinho, Van Impe. Il y a des cols partout, et partout, Luis est seul.
Dans une voiture suiveuse, y a un mec, il est espataroufflé. Il dit : « C’est la plus belle étape qui m’a été donné de voir en tant que suiveur. » Le mec en question, c’est Louison Bobet, triple vainqueur du Tour de France.
Luis dans Orcières-Merlette, il envoie du bois.
Luis, dans Orcières-Merlette, il envoie du steak.
Luis, dans Orcières-Merlette, il les disperse tous façon puzzle.
Et le chrono, et les horloges, et les trotteuses, et les tic-tac que disent-ils : ils disent que Luis Ocaña met plus de neuf minutes dans la vue à Eddy Merckx.
Luis est en jaune au sortir des Alpes… »
Antoine Blondin, plus littéraire, en appelle à Marcel Proust pour décrire le combat d’Eddy Merckx à la recherche du temps perdu :
« Cette minute, toute ronde et nette, qui séparait Eddy Merckx d’Ocaña au départ de Grenoble, on ne savait pas encore très bien si elle constituait la fameuse minute de vérité en soi, ou plus simplement, celle d’une vérité épisodique que le lendemain se chargerait de démentir. L’opinion la plus communément répandue était que le champion belge promettait de célébrer le centenaire de Marcel Proust à sa façon en se lançant avec une délectation féroce à la recherche du temps perdu.
Dès la sortie de la ville, on le vit effectivement quêter un équipier du côté de chez Swerts pour l’entraîner dans une aventure certaine et ne pas apercevoir cette vieille tige à l’ombre des jeunes filles en fleur, où gigotaient allègrement les leaders, frais pondus de la veille, du classement général le plus juvénile que nous ayons connu. Swerts, comme l’Albertine du roman, avait disparu.
Il faut croire que la saveur du gâteau de riz ne possède pas l’exquise propriété de reviviscence de la madeleine, car, vingt kilomètres plus loin, au sommet de la côte de Laffrey, où Napoléon, volant de cloche en cloche, commença sérieusement à envisager de remonter sur le trône, au retour de l’île d’Elbe, la cause était entendue. Le temps perdu qu’allait avoir à retrouver Merckx se dilatait démesurément.
Il avait suffi que quatre coureurs du premier rang, prompts à ne pas remettre au lendemain, ce qu’ils pouvaient faire le jour même, se lancent dans l’aventure pour que le monument capital de la course, cerné la veille, fût dynamité sur le champ. Dans Les Réprouvés, Ernst von Salomon a intitulé un de ses chapitres : « Il faut quatre hommes pour prendre la poste », déterminant ainsi le moment essentiel d’un renversement du pouvoir. Hier, sur la route des Hautes-Alpes, Ocaña, Zoetemelk, Van Impe et Agostinho, soudés comme larrons en foire, nonobstant les frontières de leurs nationalités respectives, de leurs considérations de marques, de leurs intérêts particuliers, avaient furieusement l’air d’insurgés qui s’apprêtent à faire flotter le drapeau noir sur un édifice public.
Par la suite, Ocaña allait convertir, pour son usage personnel, l’entreprise en « fête espagnole » sans préjudice de la fête montoise qui doit se prolonger aujourd’hui encore dans les Landes, entre chez les Boniface et chez Benoît Dauga, en passant par la famille Cescutti, où Luis trouva un second berceau à son arrivée en France.
Ce maillot Jaune, enlevé au sommet des Alpes avec la détermination irrépressible d’une machine haut-le-pied, on y peut voir la revanche, dans le registre le plus noble, d’un homme que le Tour de France n’avait pas ménagé dans sa chair ni dans ses ambitions déçues…
Cette année, c’est un face-à-face total qui l’a opposé victorieusement à ses rivaux et singulièrement à Eddy Merckx. Il n’était que de circuler entre les groupes où Merckx, traînant toute la meute après soi, locomotive surchargée de wagons ingrats et pas du tout haut-le-pied, se démenait dans un climat de solitude peuplé de couteaux presque horribles à voir, pour acquérir l’assurance que seules les valeurs personnelles du moment étaient en jeu.
Car, enfin, nous avons beau feuilleter la mythologie du Tour, il n’est guère possible d’invoquer sur la défaite du Belge ni l’homme au marteau ni la sorcière aux dents vertes. Pas trace d’un incident mécanique ou d’une défaillance physiologique. C’est un homme au maximum de sa férocité, sinon de son efficience, qui s’est fait battre au carrefour d’un paysage, d’un terrain et d’un climat dignes de l’ampleur sublime de la lutte … »
Dans le Miroir du Cyclisme, Gilles Delamarre (dé)taillait le bel habit de lumière enfilé par le toréro Luis Ocaña qui, aux dires d’Eddy Merckx, « les avait tous matés comme El Cordobès matait les taureaux :
« Un éclair de soleil descendu du ciel bleu des Alpes a transformé l’orange du maillot de Luis Ocaña en jaune flamboyant. Ce changement de couleur fut un intense et grand moment de sport mais aussi un événement considérable pour le cyclisme international. Eddy Merckx avait un double visage. Il signait les plus beaux exploits et gardait ainsi au cyclisme ses lettres de noblesse qui l’ont fait si souvent côtoyer l’épopée. Mais il faut reconnaître que d’une certaine façon, il tuait un peu ce sport qu’il dominait trop.
C’est pourquoi en dehors de toutes autres considérations, la chevauchée fantastique de Luis Ocaña et sa concrétisation à Orcières-Merlette ont relancé ce cyclisme professionnel dont la santé donnait légitimement des inquiétudes. Le Tour retrouvait sa légende et un Grand qui était cette fois un Grand d’Espagne.
Son ascension avait commencé bien avant d’arriver dans le massif du Haut-Champsaur, très exactement sur les pentes du Puy de Dôme. Première victoire d’Ocaña, première alerte pour Merckx qui était peut-être le seul à savoir qu’il y en aurait d’autres. Même Ocaña fut surpris de sa victoire ; « Je ne pensais pas avoir les possibilités de grimpeur suffisantes pour être le premier au sommet » disait-il à Clermont-Ferrand. »
Il est vrai que Luis Ocaña n’est pas le type même de grimpeur, celui qu’on qualifiait d’aigle. La forme, l’envie de se battre ont remplacé les dons exceptionnels d’un Bahamontès. Ceux qui triomphent dans la montagne sont aujourd’hui des coureurs complets, grands rouleurs. Thévenet, que l’on peut déjà malgré son jeune âge considérer comme un expert, le dit volontiers. Luis Ocaña en avait à revendre, une volonté nourrie par la plus grande des ambitions, celle de battre Merckx. Fidèle à l’image que l’on se fait volontiers de l’Espagnol considéré comme un homme fier, Luis Ocaña disait avec simplicité qui ne manquait pas de grandeur : « Je n’aime pas la seconde place ». On sait bien sûr que pour un sportif, c’est la pire, mais depuis que Merckx avait monopolisé la première, ils étaient nombreux à lui avoir trouve un certain charme.
En somme, tout en étant discret depuis le départ, Luis Ocaña était venu sur le Tour avec une idée bien arrêtée en tête : passer ou casser. « Je veux, disait-il à Clermont-Ferrand, réussir des exploits marquants et je n’ai que faire de terminer second ou dixième ». C’était un langage ferme et réconfortant. Mais, malgré sa victoire auvergnate, on restait encore un peu sceptique. Pourtant, Luis avait prouvé une chose importante : Merckx pouvait être attaqué et il n’avait plus autant les moyens de châtier l’insolent. L’Espagnol pensait même depuis le Puy de Dôme que son attitude aurait valeur d’exemple : « On peut mettre Merckx en difficulté à condition que ce ne soit pas toujours le même qui attaque. »
Mais demandez donc à un Gosta Petterson, voire même à un Zoetemelk d’attaquer, c’est commander à un paralytique de se lever et de marcher. Ocaña ne pouvait guère trouver de soutien que du côté du Portugais Agostinho qui, en apprenant un peu à courir, n’a quand même pas oublié ses vertus offensives ou du jeune Français Bernard Thévenet qui devait sa gloire naissante au fait d’avoir osé distancer Merckx et qui avait crânement récidivé dans le Puy de Dôme.
En fait, sa santé était tellement florissante, sa condition physique tellement éclatante qu’Ocaña put décider de tout faire lui-même. C’est la première fois que la chose lui arrivait sur le Tour. Il y a deux ans, tandis qu’il courait chez Fagor, une chute lui avait permis, si l’on ose dire, de montrer un magnifique courage mais l’avait ensuite contraint à l’abandon. L’an dernier, malade, il avait perdu toutes ses chances dès le coup de force de Merckx sur la route de Divonne-les-Bains. Aussi l’avait-on classé plus ou moins dans la catégorie des coureurs fragiles et par là même inconstants. Des ennuis du côté du foie avaient encore confirmé l’impression.
Mais pour ce Tour, il s’était préparé très soigneusement, plusieurs semaines de traitement pendant l’hiver, un régime alimentaire très sévère avaient éliminé ces maux. Tout était prêt pour le triomphe du coureur de Priego (Castille) venu en France lorsque son père républicain ne put plus supporter de vivre en Espagne. Luis a débuté à l’âge de 13 ans d’abord au Vélo Club d’Aire-sur-Adour, ensuite au Stade Montois plus connu pour ses Dauga et autres Boniface que pour ses cyclistes. Il a été champion d’Espagne en 1968. Le comportement des Espagnols à son égard est d’ailleurs assez curieux. Dans la défaite, ils ont été d’une grande dureté comme s’ils ne lui pardonnaient pas de considérer la France comme une seconde patrie au point d’y avoir pris femme et d’y vivre. Dans la victoire, ils se sont opportunément rappelés qu’il était d’abord Espagnol …
Disposant d’une condition physique remarquable, Luis Ocaña devait encore oser s’en servir. Sur les pentes du Puy de Dôme, il se débarrassa du complexe Merckx. On était un lundi, la semaine espagnole commençait. Deux jours plus tard, dans le col de Cucheron, il portait la première estocade. Eddy Merckx avait crevé. Chose banale, d’ordinaire rapidement réparée à tous points de vue – la roue et le retour dans le peloton- et qui n’était jamais exploitée de crainte de déclencher la foudre. Cette fois, il en alla tout autrement et c’est Ocanna qui le décida, provoquant une impitoyable sélection de laquelle ne surnagèrent que Zoetemelk, Petterson et Thévenet. Tout se passa comme si par réflexe les adversaires de Merckx avaient décidé de suivre Ocaña de la même façon qu’ils suivaient Merckx. De ce premier duel singulier à distance qui était le prélude du somptueux « mano a mano » du lendemain, l’Espagnol très efficace dans le col de Porte, sortit vainqueur.
Il n’était pourtant pas radieux à Grenoble. Gagneur, il aurait voulu parachever cette journée par un sprint victorieux : »J’aurais aimé remporter cette étape, je me sentais très fort, j’ai foncé pour entrer le premier sur la piste. » Il sera comblé le lendemain au-delà même de ses propres espérances. Mais pour l’heure, avec un rien d’hypocrisie, il se disait satisfait que le Hollandais Zoetemelk ait pris le maillot jaune. Il est vrai qu’une seule petite seconde l’en séparait. Qui se souviendra de cette petite seconde après que Luis Ocaña ait réglé la question à grands coups de minutes sur les pentes d’Orcières-Merlette.
D’ailleurs, 28 km après Grenoble, Ocaña avait le maillot jaune. Il avait glané 5 secondes à la faveur d’un point chaud. C’était bien le signe qu’il était le plus fort et le plus résolu, car il ne passe pas précisément pour un sprinter. À ce moment, Zoetemelk était encore avec lui. Mais Merckx n’y était déjà plus, lâché dans la côte de Laffrey. Et il n’y eut bientôt plus personne dans la roue de l4espagnol. À 60 km de l’arrivée, il était parti tout seul. « Je me sentais de plus en plus fort et les 60 kilomètres ne me faisaient pas peur. J’étais survolté. » Survolté sans aucun doute mais pas inconscient : s’il se donna à fond dans une chevauchée de grande allure, il n’alla jamais au-delà de ses forces, en gardant même quelques-unes. Aussi sa tentative jugée tout d’abord imprudente par des personnalités aussi avisées que Jacques Anquetil et Marcel Bidot devint au fil des kilomètres l’acte décisif du champion qui ose. Il autorisait les suiveurs à puiser dans leurs souvenirs de l’héroïque et l’on évoquait pèle mêle Hugo Koblet, Fausto Coppi et Eddy Merckx.
Spontanément, il avait pris l’allure des grandes chevauchées qu’un jour ou l’autre ces champions ont réussies. Le cheveu noir plaqué par la sueur, son visage reflétant plus sa grande détermination que l’intensité de l’effort, se permettant d’adresser un clin d’œil à tel qui le doublait en voiture ou à moto, il pédalait facile comme on dit. Malgré la sévérité de la montée sur Orcières, il se mit rarement en danseuse mais creusa l’écart au train, un écart qui aurait été énorme si derrière il n’y avait eu Eddy Merckx qui réussit à mener à bon port une dizaine de coureurs abrités derrière lui. C’est ce qui donna toute sa valeur à l’exploit de Luis Ocaña. Et il n’est pas étonnant que ses premières paroles aient été pour rendre hommage au géant qu’il avait abattu : « J’ai profité de l’occasion, mais je ne crois pas être supérieur ». C’était déjà quelque chose de se considérer comme son égal.
« Ce qu’a fait Luis est exceptionnel. Il nous a maté comme un toréro » disait Eddy. Quand il arriva, le brun Castillan endossait son habit de lumière dans l’arène ensoleillée des Alpes. Un Grand était né. »
Pour les archivistes, c’est la grande lessive : théoriquement, tous les coureurs à partir du 39e, auraient dû être éliminés (délai 12%) ! Le nombre d’éliminés étant supérieur au dixième du nombre des partants, le jury a porté les délais d’élimination à 15 %. Walter Godefroot, vainqueur à Saint-Étienne, est hors délais. Roger De Vlaeminck a abandonné, Gianni Motta n’avait pas pris le départ.
Ocaña, le nouveau maillot jaune possède désormais 8 minutes et 43 secondes sur son second Zoetemelk, et surtout 9 minutes et 46 secondes sur « l’imbattable » Merckx qui pointe à la cinquième place. Le maillot vert passe sur les épaules de l’étonnant Cyrille Guimard.
Depuis Le Touquet-Paris-Plage, cinq étapes ont été courues et déjà, les coureurs vont goûter, sur les hauteurs d’Orcières-Merlette à une seconde journée de repos, cette fois, bien méritée.
Le Tour de France est-il déjà joué ? Merckx peut-il encore prétendre à un troisième succès ?
À suivre …
* http://encreviolette.unblog.fr/2014/12/06/une-balade-retro-puiseaux-velo-clo-clo-dufilho-cocteau/
** http://encreviolette.unblog.fr/2018/02/01/les-velodromes-de-nos-grands-peres-et-de-maintenant-2/
*** Christian Laborde : VÉLOCIFÉRATIONS Je me souviens du Tour livre+Cd coédition Cairn le Pas d’oiseau
Pour relater ces étapes du Tour de France 1971, j’ai puisé aussi dans le « nouveau (à l’époque) magazine SPORT avec l’aide de Jean-Pierre Le Port pour combler mes manques, dans L’Équipe-Cyclisme-magazine, dans Tours de France, chroniques de « L’Équipe » 1954-1982 d’Antoine Blondin (La Table Ronde), et dans le Miroir du Cyclisme d’après Tour de France.

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