Un amateur de tennis
Cela fait bien longtemps qu’un match de tennis n’avait suscité en moi autant d’émotions, à l’occasion de l’enthousiasmante demi-finale de Roland-Garros opposant le Serbe Djokovic, numéro 1 au classement mondial et l’Espagnol Nadal vainqueur du tournoi à 13 reprises en 15 ans. Certes, les médias sont vite prolixes en dithyrambes mais ils estiment déjà que l’on a assisté à l’une des plus grandes rencontres de l’histoire du tennis moderne.
Je ne vous ai quasiment jamais entretenu de tennis dans mon blog et, pourtant, depuis mon enfance, j’ai un profond attachement à ce sport, autant comme pratiquant qu’en simple spectateur. Cette passion –car cela en fut une un peu émoussée aujourd’hui- me fut transmise, tout gamin, par mon père et mon frère, de neuf ans mon aîné.
La cour de ma « maison école » dirigée par ma maman était un merveilleux terrain d’aventures sportives que j’eus l’occasion d’évoquer dans cet espace. Notamment, il y avait un très haut mur de brique propice à l’apprentissage du maniement de la raquette. Mon père y avait scellé, à hauteur réglementaire, une barre métallique matérialisant le filet. Inlassablement, des heures durant, je répétais mes gammes en lui envoyant des balles usagées qui me revenaient comme un boomerang. Les faux-rebonds provenant des joints inégaux entre les briques et du sol caillouteux de la cour éprouvaient mes réflexes et donc ma technique.
De temps en temps, j’avais le privilège d’échanger quelques balles dans le « court des grands », un « vrai » terrain en terre battue, c’était la seule surface en usage à cette époque dans nos contrées.
J’ignore comment le goût pour le tennis et le bridge vint à mon père, fils de modestes paysans, plus rompu avec son frère aux parties de ballon au poing et balle au tamis sur les mails des villages picards. Possiblement est-il né au contact des autres élèves officiers de l’école de Poitiers, mais aussi de la rencontre avec Édouard Borotra, le frère d’un des légendaires Mousquetaires. Ils sympathisèrent dans des circonstances périlleuses, lors de la bataille de Dunkerque en mai 1940, embarquant ensemble avec cinquante hommes, pour échapper aux vedettes allemandes, sur un rafiot de fortune le Gâtinais.
Au tournant des années quarante-cinquante, à une lieue de mon bourg natal brayon de Forges-les-Eaux, la famille Dubuc produisait (depuis 1890) un fromage crémeux rond à pâte molle et croûte fleurie, l’Excelsior, qui faisait, comme indiqué sur l’étiquette, le délice des gourmets et des gourmands en culotte courte au goûter. Pour des raisons que j’ignore, ce fromage s’expatria en Bourgogne où il est commercialisé aujourd’hui sous le nom de Brillat-Savarin.
Roger, l’un des membres de la famille Dubuc, était un excellent tennisman qui atteignit notamment en 1946 les huitièmes de finale à Roland-Garros et les seizièmes à Wimbledon. Propriétaire d’un lopin de terre à Forges-les-Eaux, il y fit construire un court en terre battue ainsi qu’un coquet bungalow en bois familièrement appelé « la cabane », et créa un club privé réunissant une quinzaine de familles, essentiellement des notables, toujours est-il que mon professeur de père eut la chance d’entrer dans ce cercle fermé, et que, grandissant, j’allais m’adonner aux joies de la petite balle ronde, invité en double à la cour des adultes.
Je vous parle d’un temps qu’évidemment, les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître. Mon propre exemple est anachronique (c’est dire finalement ma chance !), mais le tennis était un sport aristocratique réservé à une certaine élite sociale, pratiqué dans une tenue vestimentaire immaculée, le blanc étant la couleur désignée comme symbole des loisirs d’été de la bourgeoisie britannique. J’avais le choix entre la chemisette Fred Perry, ancien tennisman britannique, brodée de sa couronne de laurier, et la marque Lacoste avec son légendaire crocodile : « Boston, 1923, le jeune prodige du tennis René Lacoste a 19 ans et il aime les challenges. Son capitaine d’équipe le sait et lui promet la belle valise en cuir de crocodile qu’il admire en vitrine s’il remporte le match difficile à venir. René Lacoste n’a pas gagné le match mais il avait la ténacité du crocodile sur le court, c’est pourquoi il fut surnommé ainsi par un journaliste américain ».
Comme beaucoup d’autres sports, le tennis naquit en Grande-Bretagne et jusqu’en 1976, la fédération française de tutelle née en 1920 s’appelait Fédération Française de Lawn Tennis (FFLT) en référence au gazon surface de prédilection britannique.
Dans les années fifties et sixties, casser un boyau de la raquette était une grande frustration pour un gamin comme moi : il me fallait patienter jusqu’à un prochain jeudi que mes parents se rendent à Rouen pour faire réparer le cordage dans le magasin Witty sis rue du Gros Horloge.
La couverture médiatique était très confidentielle. Seules, les rencontres de l’équipe de France en Coupe Davis faisaient l’objet de quelques retransmissions à la télévision nouvellement entrée dans le domicile familial. Comme pour l’émission « La vie des animaux » dont il assura longtemps les commentaires, le journaliste Claude Darget brillait (ou agaçait) par son style feutré, acide et plein d’humour. C’est lui qui popularisa, à l’époque, le fameux postulat du 7ème jeu où il y aurait danger pour le serveur quand les deux joueurs sont à égalité à 3 partout dans un set.
« La Coupe Davis continue d’éveiller l’intérêt des chauffeurs de maîtres, gens impossibles par excellence et qui ont l’habitude d’en voir d’autres. Dimanche dernier, à la corne extérieure nord du stade Roland-Garros, ils s’agglutinaient en petits groupes juchés sur des tas de graviers et un fin crachin étoilait leurs casquettes plates tandis qu’ils entrechoquaient leurs visières pour tenter d’interpréter les clins d’yeux lumineux du tableau d’affichage tendu dans le lointain. Le match Pietrangeli-Rémy touchait à sa fin, mais on ne le savait pas. Tant qu’il y avait de l’éclairage, il y avait de l’espoir. La seule certitude était qu’il ne fallait pas perdre cette partie-là, car des rumeurs avaient franchi la double enceinte de béton et de feuillage portant l’annonce de la défaite de Darmon. Les coups du sort sont sensibles aux gens de maison qui ont le feuilleton proche du cœur et l’imagination prompte. On disait que c’était trop bête d’avoir tenu la victoire en main pour la laisser filer ensuite entre les doigts, mails il n’est pas assuré que tout un pan de ces bonnes âmes n’espérât pas secrètement l’accomplissement de ce monstrueux gag de la fortune, en tout bien tout honneur, pour la beauté de la chose. Pourtant, le climat officiel était à l’inquiétude et à la compétence. Les chiffres, là-bas, ne faisaient plus leurs petits bonds de puces qu’avec parcimonie et l’on s’apercevait, ici, que les échanges s’éternisaient. « Quand ça dure trop longtemps, déclara quelqu’un, c’est pas bon pour Rémy. À la fin, ça lui arrive forcément sur le coup droit … et alors, salut l’aventure ! »
Ainsi suivions-nous le déroulement de cette rencontre capitale, l’œil collé au trou de la serrure, en quelque sorte, et quoiqu’il en allât de l’inconfort de cette situation, il était difficile de s’en détacher…
… Le plus fâcheux était que nous ne pouvions pas juger exactement des péripéties de ce combat invisible, ni communiquer à Rémy les instructions que nous concertions à son intention : « Monte au filet Popaul … N’appuie pas tes coups, le terrain est lourd, ça n’avance pas … » Nous nous trouvions proprement dans la posture d’impuissance d’un état-major privé de ses transmissions.
Et puis, brutalement, la lumière disparut pour ne plus se rallumer dans la colonne de droite et nous comprîmes, sans qu’il fût besoin de chausser les lorgnettes, qu’il n’y aurait plus de balles de jeu parce que les jeux étaient faits. Déjà les chauffeurs les plus diligents renfilaient leurs gants blancs pour se précipiter vers leurs lourdes Packard, et je les imaginais, sur le chemin du retour, le dos rond, l’oreille traînante, guettant à travers la vitre de séparation les commentaires des patrons. Ceux-ci commençaient de quitter le stade en lentes coulées chuchotantes. Le goût me vint je ne sais d’où de prendre à contre-courant, de retourner vers ces gradins que j’avais quittés quelque temps auparavant dans le recueillement, sans pouvoir m’en arracher tout à fait.
Aux abords des tribunes, le soir dénouait des groupes attardés de spectateurs. Au bar, deux dames âgées achevaient avec des regards complices les tasses de thé qu’elles avaient commandées moins d’une heure plus tôt, quand les chances étaient encore égales, ignorantes peut-être de ce qu’une flambée, moins durable qu’une veilleuse, venait de s’éteindre dans leurs dos. Au pied des escaliers de pierre, les contrôleurs vigilants qui en défendent l’accès étaient rentrés dans leur niche, semblables à ces gardiens de cimetière que les approches de la nuit effarouchent. Roland-Garros était rendu, pour combien de saisons encore, à ses fantômes vieux de vingt ans, dont les chaînes reviennent volontiers tinter contre le saladier de M. Davis. Dans le silence retombé, une rengaine qui nous est familière, s’élevait du côté de Boulogne : pourquoi pas « Le Challenge qui passe » ? »
Il faut bien du talent au journaliste pour rédiger un billet à propos d’un match de tennis, en l’occurrence ici mon vénéré Antoine Blondin adoptant un point de vue « à distance » pour exprimer sa déception de l’élimination de l’équipe de France par l’Italie en 1956.
L’Antoine repose au Père-Lachaise où il aimait se promener : « Le Père Lachaise est un lieu très poétique. C’est un cimetière où l’on sait vivre. » Il y situa le chapitre 4 de son roman L’Humeur vagabonde : « J’ai vu tout de suite que ce cimetière n’était pas comme les autres, pas comme celui de notre village par exemple, qui est situé derrière le tennis, et d’où une main invisible vous renvoie la balle chaque fois qu’elle passe par-dessus le mur« … Les morts ont plus de courtoisie que certains, ainsi « à la Cabane », il était compliqué de récupérer la balle que notre maladresse envoyait parfois dans le parc de la maison bourgeoise contiguë !
Le magazine hebdomadaire Miroir-Sprint, d’inspiration communiste, publiait de rares photographies à l’occasion des tournois de Roland-Garros et Wimbledon. Toujours avide et curieux, mon père achetait épisodiquement la « belle » revue mensuelle Tennis de France sur papier glacé noir et blanc qui convenait tout à fait à ce sport manquant singulièrement de couleurs.
À sa lecture, mon esprit s’évadait aux antipodes, en Australie, terre des kangourous et des champions de tennis. Face à mon mur, j’organisais bientôt un tableau de tournoi avec les meilleurs tennismen de la planète, des noms qui me faisaient rêver : Ken Rosewall, Lewis Hoad, Neal Fraser, Ashley Cooper, Roy Emerson. Infatigable, je « jouais » tous les matches.
Antoine Blondin, encore lui, errant dans les allées de Roland-Garros, commettait un billet en date du 30 mai 1956 qui pourrait, près de sept décennies plus tard, faire mal aux oreilles de nos joueurs et joueuses tricolores aux performances assez pitoyables :
« Il paraît que le joueur de tennis australien Lewis Hoad n’aime pas la France. Comme on le comprend, s’il la juge à travers le public ingrat de Roland-Garros. Sacrifiant tout à l’extérieur anglo-saxon, celui-ci n’a pas pu se déprendre l’âme des plus fâcheux ressorts latins. Il affectionne la faiblesse et le drame. Ce garçon blond, dont la santé et le mécanisme prodigieux apparaissent à l’abri des aventures, l’offusque profondément. Il prend son sang-froid pour de l’ennui et son mutisme pour de l’orgueil. Il prête, en revanche, toutes les séductions au héros cascadeur qui entamera cette citadelle.
L’autre soir, après que ces gentlemen se furent montrés particulièrement odieux envers le jeune Australien, je déambulais à travers les courts annexes, savourant la savante conquête de l’ombre sur ce labyrinthe de feuillages et de terres rouges, quand un petit rassemblement attira mon attention. Derrière un grillage, une poignée de connaisseurs au parler circonstancié appréciait un assez prodigieux dressage. Harry Hopman, comme il doit le faire sans doute sur tous les terrains du monde, donnait la leçon publique à deux de ses protégées, deux jeunes filles d’un gabarit de walkyrie, qui menaient de part et d’autre du filet un carrousel farouche autour de leur vieux maître. Celui-ci, casqué d’argent, la lèvre mince, la voix brève, ordonnait le spectacle, comme s’il eût détenu le nombre d’or, et sa raquette zébrait le crépuscule ainsi qu’une chambrière.
Je ne pense pas avoir jamais vu spectacle plus pénible que celui de ces joueuses, la poitrine brimbalante, frappant la balle jusqu’à épuisement, avec des ahans de bûcherons, dans la direction de ce redoutable quinquagénaire. Cela dura des heures et l’on vit des visages, promis à une plus gracieuse fatalité, se crisper d’angoisse, des muscles se nouer, des jambes s’appesantir.
Ce régime, qui fut pendant des années celui de Lewis Hoad, explique abondamment son comportement, qui tient de la bête à concours et de l’enfant délinquant en rupture de maison de redressement. Il plaide l’indulgence et je ne pourrai plus jamais apercevoir ses traits fermés sans qu’ils évoquent pour moi ceux de ces deux petites martyres crépusculaires, ses sœurs, les filles soumises.
Pour Hopman, grand-père abusif dont on ne contestera pas sinon la science du moins le caractère, il est justiciable de la moralité qu’une jeune personne tirait de cette séance : « C’est décidé. À partir de demain, je vais me mettre à faire des progrès au bridge. » »
Un gamin normand, à 120 kilomètres de là, rêvant de Lewis Hoad et du saladier d’argent de la Coupe Davis, servait de toutes ses forces contre son mur !
En pure perte ? À l’adolescence, mon père m’engagea dans des épreuves de jeunes, avant que je participe bientôt à de nombreux tournois adultes qui me permirent d’atteindre … un honnête classement de troisième série jusqu’à ce que des pépins physiques (relatés dans de précédents billets) me contraignent prématurément à l’inactivité !
Arriva mai 68 ! Je me trouvais pour mes études depuis un an à Versailles, à quelques minutes (à cette époque) des courts de Roland-Garros. Quelle aubaine, mais aussi quelle démission civique (dont je n’ai finalement pas à rougir vu l’abstention record à nos récentes élections régionales), j’allais préférer pendant quelques jours le ciment des gradins de Roland-Garros aux pavés du Quartier Latin ! Une chronique de Blondin, encore, peut convenir pour illustrer cette période : « Le souvenir est une résidence secondaire. Ses servitudes exquises sont celles du jardin secret. Le mien emprunte parfois ses allées au chemin qui, longeant, les serres d’Auteuil, aboutit aux frondaisons où s’abrite le stade Roland-Garros. Les jours qui s’annoncent vont y faire resurgir le charivari distingué des Championnats internationaux de France où le tennis proliférant, protégé des rumeurs intruses par ses rites et ses codes, de plus ou moins bonne compagnie, n’est cependant là pour personne. Vous sonnerez en vain à la porte, dans l’espoir d’accéder à ses gradins râpeux et tumultueux, au revers desquels les initiés se croisent le long d’une falaise de béton dans des suavités de garden-party. J’ai connu ces lieux par des printemps d’amandes vertes et par des cinq à sept en cinq sets où l’ondée vous confinait sous le parapluie prestigieux des marronniers les plus snobs du monde. Voici venue l’époque où l’étudiant sèche les cours, l’artisan son atelier, l’employé son bureau, le fiancé son rendez-vous pour un autre, bref, le vrai triomphe du congé de maladie. Celle-ci n’était pas honteuse et portait les germes d’un bonheur que Chatrier (futur président de la Fédération Internationale de Tennis ndlr) a su remarquablement cultiver, aiguiller, exalter … »
Je n’en ai toujours pas honte ! Je goûtais enfin avidement au charme bucolique de ce stade- un court annexe était même joliment surnommé « la campagne »- et aux ambiances feutrées d’alors qui laissaient percer le bruit suave des balles.
Le tennis venait justement d’opérer sa propre révolution. Avant le printemps 1968, le monde du tennis était scindé en deux camps. D’un côté les joueurs dits « amateurs », de l’autre les professionnels, sous contrat avec des promoteurs. Les premiers ne recevaient (en théorie) aucun cachet pour leur participation aux tournois, et disputaient la Coupe Davis et les matchs du Grand Chelem. En revanche, les joueurs professionnels, les meilleurs, n’avaient pas accès à ces compétitions. En échange d’un salaire, ils jouaient les uns contre les autres dans un circuit fermé.
Ce n’est qu’au mois d’avril 1968 que les deux familles trouvent enfin un accord, ainsi le premier tournoi de l’ère open se dispute au British Hard Court de Bournemouth, sur la côte anglaise. C’est ainsi qu’un mois plus tard, j’avais l’immense plaisir de voir évoluer Ken Rosewall, une des légendes du tennis, en quart de finale, tard en soirée, en compagnie de deux cents autres mordus comme moi. Il me semble que j’ai encore en tête le son incomparable de ses coups feutrés.
Quelques jours plus tard, j’assistai, en compagnie de « mon maître du certif » qui entre temps était devenu mon partenaire de double, à la finale opposant les deux Australiens Ken Rosewall et Rod Laver (le seul joueur à ce jour à avoir remporté les quatre tournois du Grand Chelem dans la même année !).
Durant une décennie, je n’allais jamais faire l’économie de quelques journées à Roland-Garros qui demeurait un tournoi à taille humaine… pour peu de temps encore. Car la planète tennis allait être agitée des mêmes soubresauts que la société civile. Il est interdit d’interdire … les vociférations du public devint une règle à la mode autour des courts.
Le ciné-fils Serge Daney, longtemps rédacteur des critiques de cinéma dans Libération, fan absolu de tennis, rédigea de 1980 à 1990 dans le même quotidien, de subtiles chroniques sur ce sport qui ont été regroupées dans L’Amateur de tennis. « Ce sont des portraits, des récits, des commentaires, des questions et des réflexions, une manière de parler de tennis comme on devrait parler de littérature ou de cinéma. En moraliste passionné, en critique conscient de tous les devoirs et de tous les enjeux. » Réunies en couverture de ce recueil, ses deux passions sont illustrées par un plan des hilarantes Vacances de Monsieur Hulot, le film de Jacques Tati.
Dans les lignes qui suivent, Serge Daney pointait quelques dérives avec « la naissance des aficionados du tennis :
« .. . Le premier tour du premier Roland-Garros des années quatre-vingt aura fait trente-deux victimes logiques. Mais il risque d’y en avoir d’autres : les arbitres et les juges de ligne qui, dès le premier jour et sur tous les courts, ont été irrémédiablement sifflés, souvent conspués, rarement pris au sérieux et toujours insultés. Ils sont pourtant très nombreux (200) et ils ont un chef, M. Dorfman, qui tel le docteur Mabuse, voit tous les matches à la fois et juge tous les arbitres à la fois. Mardi après-midi, au douzième jeu du quatrième set, et devant une faute incontestable contestée par Panatta (contre Connors), on a vu le central (bourré comme pour une finale) se diviser en deux camps, réclamer deux balles et jeter deux boîtes de coke sur le court (j’allais dire : sur l’arène).
Toute manifestation d’autorité de l’arbitre est mal reçue. Quelques (vieux) juges de ligne, toujours soupçonnés de somnoler, doivent parfois se lever, faire un geste ou hurler pour prouver qu’ils ne sont pas morts et transforment les quolibets en rires.
Évidemment, rien de neuf par rapport à l’année dernière, déjà riche en incidents. Simplement, il semble que rien ne pourra empêcher le tennis de s’éloigner de son passé bon chic bon genre et d’aborder franchement aux rivages du spectacle. Or le spectacle a ses lois et sa morale. En ressuscitant le tennis, en lui rendant sa popularité, la télévision l’a aussi spectacularisé, elle l’a modifié. Cadeau empoisonné ? On a d’abord vu des joueurs se tenir mal parce qu’ils étaient filmés (Nastase). Aujourd’hui, c’est le public qui, à son tour, veut jouer. Avec les joueurs, avec les arbitres, avec lui-même, avec l’image de tout cela. Et comme ce public est de plus en plus nombreux et de moins en moins connaisseur, il joue avec ce qui ne nécessite aucune compétence spéciale : l’art de savoir si une balle est « in » ou « out », bonne ou faute. Sur les gradins, cette année, on voit des spectateurs venus pour discuter les points litigieux ou pour rendre litigieux par leurs cris des points qui ne l’étaient pas. La rencontre entre ce « nouveau spectateur » et l’ancien risque d’être explosive et haineuse. Elle risque aussi d’ajouter au spectacle puisque la loi du spectacle, c’est de tout récupérer…
L’un d’eux suggère que vu le prix des places, le spectateur se sent peut-être en droit d’acheter le droit de conspuer joueurs et arbitres. Il s’attire une réponse cinglante : « Mon cher, pour ça, il y a le foot et la corrida. ». Jusqu’où peut aller cette haine rituelle inséparable des sports de masse ? »
Serge Daney évoquait les mêmes travers dans une autre chronique qu’il intitula avec humour « la sonorité particulière de la raquette de Borg », à l’occasion d’un match entre Vilas et Orantes qui ne débutait jamais : « Quel que soit le mot de la fin de cette ténébreuse affaire, il y a un acteur dont on n’a guère tenu compte dans cette histoire, c’est le public. Ce public (celui dont on vante le nouvel engouement pour le tennis) qui, sous le soleil enfin revenu, emplissait les 4 100 places du court n°1, ce court tout neuf orgueil de Roland-Garros 1980, ce public attendra deux heures qu’on veuille bien … lui parler.
Peu à peu, le rectangle se couvrit d’avions de papier et de bouteilles vides. Il y eut même une peau d’orange… Le public s’attendit en vain à voir surgir les joueurs. En fait, le public voulait le match et il le dit –à sa manière. Sur le court n°1 qui n’est pas si grand, les gradins ne sont pas loin du gratin, les conceptions du monde et du sport s’affrontent vite, la lutte des classes est toujours prête à être mimée. On entend des mots qui ne trompent pas : « populace » « canaille » « la connerie et la stupidité des gens n’ont pas de limites », croit bon de dire un petit homme bien mis. Pourtant le chahut est bon enfant. Si le public met longtemps à comprendre que ce qui ne va pas, c’est qu’on ne lui dit rien. 16h 24, quelqu’un réclame enfin : une annonce. En vain. Tiriac s’en va, l’œil noir, suivi de Chaban-Delmas salué par de simples mots : « À poil Chaban ». Il est enfin annoncé que la partie est remise au lendemain et que les places sont remboursées. »
Avec l’intérêt de plus en plus croissant des chaînes de télévision, il fallut céder progressivement à leur souhait de mieux maîtriser la programmation, time is money ! Ainsi, pour éviter les matches qui s’éternisaient, dès 1970, l’U.S Open fut le premier tournoi du grand chelem à adopter la formule du tie-break (« cassage d’égalité ») –le « p’tit brecque » comme disaient certains novices avec l’accent parigot- mettant fin au set prématurément. Rendons grâce aux organisateurs de Roland-Garros, c’est aujourd’hui le seul tournoi où une rencontre peut encore perdre la raison et dépasser toutes les limites dans la cinquième manche décisive.
Comme les fleurs égayaient les chemises, les tenues prirent des couleurs mettant fin au règne du blanc, à l’exception de Wimbledon où le blanc reste toujours obligatoire.
Moi-même, je délaissais la chemisette au crocodile pour de chatoyants tissus italiens aux couleurs acidulées sans que mon toucher de balle ne s’améliorât pour autant : Fila comme Borg et Vilas ou Tacchini comme McEnroe et Connors.
« Juin 1981, un dimanche de communion. Björn Borg dispute sa sixième finale à Roland-Garros, le public le dévore des yeux, le porte. Cette année-là, l’affiche peinte par l’Espagnol Eduardo Arroyo fige une silhouette de dos, des cheveux blonds domptés par un bandeau. Jamais le tournoi n’avait autant fait corps avec un joueur. Roland-Garros, c’est Borg. Un look christique, une chemise Fila à fines rayures, un poignet éponge jaune et bleu pour accompagner les effets démoniaques de la raquette Donnay en bois cordée à plus de 30 kg qui imprimait à ses frappes une sonorité métallique unique. »
Borg, aussi froid que l’acier suédois, était devenu la première rock-star du tennis et, à Wimbledon, les minettes londoniennes poussaient les mêmes cris hystériques que leurs mères pour les Beatles, deux décennies plus tôt.
La fédération française de tennis opérait une certaine démocratisation de son sport, accélérée par l’avènement de Yannick Noah : le nombre de licenciés augmenta de manière exponentielle. Autour des courts en revêtement tennisquick qui proliférèrent dans de nombreuses communes, les jeunes joueurs commençaient à porter les tenues de leurs champions, à adopter leurs tics et mimiques, souffler sur leurs doigts entre deux échanges, s’essuyer tant et plus, j’en vis même frapper avec leur raquette sur leurs semelles pour détacher la terre inexistante d’un terrain en quick ! Les parents, derrière le grillage, devinrent parfois plus détestables que leur progéniture. Jacques Tati aurait pu faire un petit chef-d’œuvre sur la quinzaine de Roland-Garros, l’essor du tennis et ses effets pervers ou ridicules.
Ce Richard G. devint Richard Gasquet
La presse spécialisée prit aussi des couleurs avec la naissance d’une nouvelle revue Tennis Magazine fondée par l’excellent journaliste Jean Couvercelle.
Le jeu lui-même évolua avec l’apparition de raquettes composites. Plus légères, elles le révolutionnèrent en permettant d’avoir plus de force de frappe, d’introduire de nouveaux effets comme l’incontournable lift. Le jeu gagna en puissance, facilitant les passing-shots et mettant donc les adeptes du service-volée en difficulté. Le temps n’était plus, du moins sur la terre battue, aux stylistes, aux « toucheurs de balles » et aux romantiques, apparut une génération de cogneurs de fond de court dont la trajectoire arrondie de la balle, bien au-dessus du filet, donnait plus de sécurité.
Ma trentaine accomplie, je fus heureux comme un gosse quand on m’offrit la fameuse raquette compétition 2 fabriquée par la marque Head sous le nom du légendaire Arthur Ashe, premier joueur noir à avoir remporté un tournoi du grand chelem en 1968 (U.S Open) en battant un autre admirable styliste, le « hollandais volant » Tom Okker. Quel confort après les traditionnelles raquettes en bois !
Eh oui! C’est moi!!!
À l’époque, durant l’été, je m’inscrivais aux tournois réservés aux licenciés de la fédération, dans les régions où je me trouvais en vacances. Au pied du Mont-Saint-Clair à Sète, j’eus le plaisir de grappiller … 2 jeux au tout jeune Guy Forget en stage au Cap d’Agde !
Après une observation précise de la programmation, j’organisais ma journée à Roland-Garros autour du match vedette fixé sur le court central. Mais je me laissais du temps pour fureter vers les courts annexes qui offraient souvent quelques pépites et fulgurances, à nous de les subodorer. Je me souviens du jeu de volée de Vitas Gerulaitis « à la campagne », d’un entraînement d’Adriano Panatta, beau comme un dieu romain, que je vis battre deux fois l’imbattable Borg, d’un double dames plein de charme avec Steffi Graf et Gabriela Sabbatini.
Avec ses chroniques, Serge Daney avait l’art de nous intéresser à des matches insipides, ainsi « la finale tsé-tsé » de Roland-Garros 1982 : « Chaleur et épuisement hier en finale de Roland-Garros. Le public, venu pour bronzer, a cuit. Les amateurs de service-volée ont pleuré de déception. Les crocodiles ont plissé l’œil de joie. Il y avait de quoi : ce que le bon peuple a redécouvert hier après-midi, c’est le vieil art de la terre battue, rebattue et surbattue, avant l’invention du tie-break, avant la télé, avant le tennis moderne.
Car enfin, un mur ne rencontre pas un autre mur, mais deux murs peuvent se lézarder l’un devant l’autre, sous l’action du soleil et des cris de la foule. Au bout du compte, le mur resté debout a gagné. Le mur Wilander, par exemple. Car ce n’était pas un mystère : Vilas et Wilander n’ont rien à se dire. Tennistiquement parlant, bien sûr. Mais on ne pensait pas quand même que certains points dureraient près de trois minutes et 90 échanges (quatre-vingt-dix !). C’est une façon un peu lente de faire savoir à l’autre qu’on n’a rien à lui dire. Depuis longtemps, on n’avait pas vu de matches où la balle produise à ce point l’effet bébête d’un jokari de plage. Ces balles hautes et lentes, chargées de tout le lift et de toute la haine rentrée du monde (vive la haine sortie, vive le jeu plat, vive Connors !) ont littéralement épuisé les deux joueurs. Et comme ils ne s’écartèrent jamais de ce scénario où on se renvoie la balle comme une mouche tsé-tsé, les rebondissements du match figurent bien dans le score mais n’eurent pas vraiment lieu sur le terrain, tant l’hypnotisme avait gagné tout le monde … »
Guillermo Vilas
Et rebelote, l’année suivante en quart de finale, le central « s’encrocodilisa » : « Vilas-Higueras, ils ont même déprimé le temps. On avait prévu un match fleuve et, pour apporter de l’eau au moulin de cette prévision, la pluie s’en mêla qui interrompit le match et fit de la terre battue une surface plus alourdie sur laquelle les deux laboureurs hispanophobes engluèrent leur jeu et causèrent l’ennui de tous.
Sur Higueras, peu de choses à dire. C’est un joueur bien classé mais sinistre. Lorsqu’il gagne (comme contre Connors l’année dernière), c’est qu’il a réussi à donner une leçon de tennis à quelqu’un qui méritait de la subir. C’est un esthète de la terre battue, aux gestes impeccables, au service de Christ mourant régulièrement sur la croix de la ligne de fond. Sa barbe ne fait pas oublier la couronne d’épines imaginaire qu’il porte sobrement, et on ne l’imagine que donnant des leçons de tennis dans un club pour milliardaires, quelque part au soleil, au sud.
Vilas, c’est autre chose, l’ombre du grand joueur qu’il a oublié d’être, la victime du maternage excessif de Tiriac, et d’une solitude fabriquée de star mélancolique. À le voir attendre patiemment que l’autre fasse l’erreur (et vice-versa), on se dit qu’il doit s’ennuyer. À le voir précipiter son grand corps sur chaque balle, on se dit qu’il ne chôme pas. Au bout du compte, on ne sait plus quoi se dire. À quoi pense Vilas ? … »
Pour goûter au tennis qui me faisait rêver, il me fallut souvent plutôt suivre à la télévision les retransmissions des tournois de Wimbledon et Flushing Meadow : ainsi la légendaire finale de Wimbledon 1980 dont a été récemment adapté un film et que Serge Daney, le ciné-fils, évoqua dans ses chroniques pour « Libé » sous le titre : Borg-McEnroe ou les beautés de la raison pure.
« Le champion suédois a remporté samedi après-midi son cinquième titre consécutif à Wimbledon en triomphant du n°1 américain John McEnroe. Finale idéale qui s’est construite sous les yeux de spectateurs et des téléspectateurs, les joueurs s’obligeant au fur et à mesure du match à toujours plus d’intelligence dans les coups et dans les placements.
Finale épique, inoubliable. Match important. Pendant trois heures et cinquante-trois minutes, très bien filmés par la BBC, Borg et Mc Enroe, dont c’était la première rencontre dans une finale de grand chelem, ont procuré à peu près toutes les émotions du tennis. De l’ennui à l’enthousiasme, de l’angoisse à l’admiration. On n’est pas près d’oublier le plan de McEnroe plié en deux, pleurant silencieusement après sa défaite, ni le regard égaré de Borg après sa victoire. Pendant près de quatre heures, le téléspectateur, lui aussi, a été promené d’un bout à l’autre du court mental de ses certitudes, sans cesse lobé, pris à contre-pied, surpris. Il lui est arrivé, chose rare, surtout en finale, d’assister à un match où les moments de plus grande tension ont été aussi ceux du plus beau tennis. Coïncidence miraculeuse. Les deux hommes n’ont jamais aussi bien joué que lorsqu’ils se sont retrouvés dos au mur, comme si leur vie en dépendait, marque on le sait, des grands champions.
Contrairement au football et au rugby, le tennis est fondé sur un compte à rebours relatif. La durée d’un match dépend de la capacité des joueurs à créer ce temps en plus dont ils ont besoin pour gagner, à le faire surgir au détour d’une phase de jeu…
…On arrive ainsi au tie-break que Mc Enroe va gagner par le score ahurissant de 18 à 16, après avoir sauvé cinq balles de match !
Ce tie-break est, je crois, l’un des grands moments du tennis depuis très longtemps. Les deux hommes s’y engagèrent résolument, sans frime aucune, sans un regard pour le public. Surpris peut-être par la réussite de leurs coups, ils donnent le sentiment, dans ce duel au sommet, de succomber eux aussi aux vertiges de la symétrie, de vouloir et de ne pas vouloir se départager.
Étymologiquement, « tie-break » signifie « couper les liens, dénouer ». Le tie-break permet d’en finir avec un set qui menace de s’éterniser, empêche la crocodilisation du jeu et facilite la retransmission des matches devenus plus courts. Pour toutes ces raisons, le tie-break joue sur la solidité des nerfs, donne parfois lieu à du cirque, mais rarement à du très bon tennis. C’est du moins ce que je pensais avant ce tie-break-là. Car ce qui fut admirable tout au long des trente-quatre points qui y furent disputés, c’est qu’on était arrivé à un moment de la rencontre où tout calcul, toute tactique étaient oubliés, passaient derrière l’émotion des joueurs et qui eux-mêmes pratiquent sans arrière-pensée et malgré la gravité du moment le plus beau tennis qui soit…
Le cinquième set les verra jouer, si j’ose dire « sans filet », sur leur seul talent, alignant à tour de rôle les aces et les jeux blancs. Chaque échange se gravant aussitôt dans la mémoire du spectateur comme un hiéroglyphe ou une figure parfaite qu’on a aussitôt envie de mimer, de dessiner, de raconter.
Si Borg gagna, ce fut de justesse, grâce à quelques retours de services fulgurants. Mais rarement on a eu autant envie d’applaudir les deux joueurs à la fois. Cruel, le tennis ignore le match nul…
Borg envoie la balle là où l’autre n’est plus, McEnroe, lui, aurait plutôt tendance à l’envoyer là où il ne sera jamais. Ses coups les plus beaux consistent à trouver le long des lignes des angles ahurissants, improbables. Au jeu lifté de Borg qui dessine au-dessus du court un volume idéal où les balles ont des trajectoires de satellites, répond un jeu plus plat entièrement fondé sur cette notion d’angle. Différence de technique, différence d’éducation (Borg avantagé par les surfaces lentes, McEnroe par les plus rapides), mais aussi différence de vision du jeu, je dirai même de philosophie. Le tennis de McEnroe, plus généreux, plus kamikaze, plus artiste, nous revient de loin. Grâce à lui, il va y avoir de nouveau un peu de dialogue au sommet. »
Peu à peu, je me rendais annuellement à Roland-Garros, mu par une certaine nostalgie, là où, dans une forme de snobisme populaire, un nouveau public envahissait les gradins parce qu’il « fallait » rendre jaloux, le lendemain, son voisin de bureau en lui disant : « j’étais hier à Roland ! ».
Obtenir des places pour le tournoi auprès des clubs devint de plus en plus compliqué. Avec l’extension du stade, la fédération, business oblige, diversifia le type de billets selon les nouveaux courts principaux que vous choisissiez, Central, court n°1, court A.
Je rendis les armes, de même le modeste joueur classé que j’étais se lassa de participer à des tournois où l’ambiance n’était plus ce qu’elle avait été : on n’y parlait que de son « classement » source parfois de comportements surprenants sur le court de la part d’adultes voire notables.
Sans motivation, j’ai rangé définitivement ma raquette, un peu avant le tournant des années 2 000, est-ce une simple coïncidence, à la mort de mon cher père, lui qui m’avait inoculé le virus de ce sport.
Avec moins de passion et de régularité, j’ai continué, par-ci par-là, à regarder à la télévision quelques finales, l’écrasante suprématie de Rafael Nadal depuis une quinzaine d’années n’aidant pas à m’enthousiasmer. J’allais plutôt glaner quelques fulgurances de Roger Federer sur l’herbe de Wimbledon.
Et puis … il y a donc eu en ce mois de juin, ce Roland-Garros particulier de fin de confinement et de couvre-feu. Comme en 68 avec Rosewall, j’aurais aimé être de ces heureux privilégiés qui ont eu le bonheur suprême de vivre en soirée, dans ce stade au tiers rempli, cette demi-finale d’anthologie entre Nadal et Djokovic.
Antoine Blondin se noya dans l’alcool, il y a trente ans. Serge Daney fut terrassé dans les années sida. Denis Lalanne qui écrivit une biographie sur ses trois passions au joli titre de Trois balles dans la peau, l’ovale du rugby et les deux petites rondes de tennis et de golf, nous a quittés l’année dernière. Nul doute qu’avec tout leur talent, ils auraient mis en évidence la beauté et la dramaturgie de cette rencontre.
J’associe dans mon admiration pour les deux indéboulonnables champions, le finaliste Tsitsipas, nouvel héros d’aujourd’hui, avec sa belle gueule de jeune pâtre grec. « Beau comme un Panatta », il fait la couverture du premier numéro de 40-A, une nouvelle revue consacrée au tennis, avec le ton décalé du groupe de presse éditeur de Society, le premier quinzomadaire de société.
Au sommaire, les marques de sportwear italiennes comme Segio Tacchini, Fila et Ellesse font leur grand retour s’invitant même désormais à la Fashion week. Puissent-elles nous épargner les horribles tenues portées par trop de joueurs dont on dirait qu’ils ont enfilé à la hâte les premiers vêtements trouvés à portée de main dans le désordre de leur chambre !
Pourtant la mode commença dans un carré de service, avant-guerre, avec le couturier Jean Patou qui avait fait de Suzanne Lenglen, la « divine », son égérie.
Autre article, au parfum de romantisme, le portrait de Torben Ulrich, un excellent joueur des années 1950, adepte du service volée, plus connu désormais pour être le daron de Lars Ulrich fondateur du groupe Metallica. Caricaturé comme le plus hippie des tennismen avec sa barbe et ses longs cheveux, il a aujourd’hui 92 ans. Quand il participait à Roland-Garros, il descendait à l’hôtel Lutetia pour pouvoir flâner à Saint-Germain-des-Prés, « ce bout de Paris des années 50 où tout le monde était intéressé par Freud, le marxisme et le cinéma ». Il n’était pas question qu’on le fasse jouer le matin, courant la nuit dans les boîtes de jazz, excellent musicien accompagnant même Boris Vian et Sidney Bechet. Peintre expérimental, il réalisa un premier film où on le voit taper des balles enduites de peinture contre une toile noire : « Envoyer la balle contre un mur est une vieille pratique du tennis, je me suis toujours demandé ce que cela donnerait si on laissait une trace dessus. » En 1988, sur une commande de la fédération française, il produisit un second film La balle au mur : il y mêlait des entretiens avec Borg, Rod Laver, Martina Navratilova avec des scènes de déambulation dans un Paris revisité en un immense court.
Sept décennies plus tard, la balle qu’un petit gamin, haut comme trois pommes de Normandie, claquait inlassablement contre un mur, lui est revenue lumineuse par une soirée de juin.
Vitas Gerulaitis et Jimmy Connors se moqueraient-ils de moi?
* Torben Ulrich tennisman et artiste:

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