Archive pour juin, 2021

Ici la route du Tour de France 1951 (2)

Pour retrouver les 8 premières étapes, cliquer ici : http://encreviolette.unblog.fr/2021/06/12/ici-la-route-du-tour-de-france-1951-1/

Pour la première fois de son histoire, le Tour de France va découvrir l’Auvergne et son relief accidenté propice à quelques manœuvres d’envergure.

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Un qui piaffait d’impatience depuis quelques étapes, c’était le Tricolore Raphaël Geminiani qui n’avait pas caché ses intentions belliqueuses et son vif désir d’arriver à Clermont-Ferrand, sa ville natale, en vainqueur.
« Il n’était pas un coureur qui ne soit au courant de l’opération « Gem ». Que celle-ci ait réussi dans ces conditions alors que les réactions du gros du peloton ne furent pas à négliger ne manquera donc pas de surprendre. Cela est uniquement dû, pensons-nous, à la parfaite connaissance qu’avait Geminiani des routes de la région qu’il emprunte quotidiennement ou presque à l’entraînement. Un grand coup de chapeau à Raphaël …
Signalons toutefois objectivement que Geminiani a bénéficié de nombreuses circonstances favorables.
Robic et Koblet qui s’étaient lancés à sa poursuite auraient certainement conclu celle-ci victorieusement sans les crevaisons dont ils furent victimes. Bobet très à l’ouvrage toute la journée et souffrant encore des suites de son coup de froid, l’opération collective projetée par l’équipe tricolore se trouva contrariée. Enfin, il n’est pas interdit de penser que les Italiens, Bartali et Coppi en tête, se gardèrent bien de se lancer à corps perdu à la poursuite de « Gem » car eux aussi devaient songer à ménager l’un des leurs qui n’était autre que Magni au moins aussi mal en point que notre Bobet.
Enfin terminons-en avec cette étape en constatant que l’on avait beaucoup exagéré ses réelles difficultés. Ce n’était pas de la haute montagne, de loin s’en faut. Les cols de la Moreno et du Ceyssat ne sont pas autre chose que de très longues côtes … » (Pierre Chany)

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C’est tout de même dans le col de la Moreno que Geminiani a construit son succès en lâchant irrésistiblement José Mirando, l’Italien bientôt naturalisé français. En dépit d’une chute dans la descente, il l’emporte sur ses terres, en solitaire, au vélodrome Philippe Marcombes aujourd’hui disparu.
Raphaël, lui, est toujours vivant et, à l’heure où paraîtront ces lignes, il viendra de souffler ses 96 bougies dans la maison de retraite de Pérignat-sur-Allier.
J’ai toujours eu de la sympathie pour ce champion à l’esprit très combatif qui présente la particularité d’avoir porté les maillots distinctifs des trois grands Tours : le jaune du Tour de France, le rose du Giro et l’amarillo de la Vuelta et d’avoir, dans la même année, terminé dans les dix premiers de ces trois épreuves. En tant que directeur sportif, homme de défis, il apporta du panache voire de la folie à plusieurs exploits de Jacques Anquetil, notamment l’extraordinaire doublé Critérium du Dauphiné et Bordeaux-Paris.
Roger Lévêque détient toujours la toison d’or.

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Samedi 14 juillet, l’étape Clermont-Ferrand-Brive explore encore en partie les monts d’Auvergne. Les difficultés sont concentrées en début de parcours. Après Chambon, les coureurs abordent l’ascension du col de Dyane que vous connaissez peut-être mieux sous le nom de col de la Croix-Morand depuis que le chanteur Jean-Louis Murat en fit son premier grand succès. Il surprit son public en mêlant dans la version studio des sons de la campagne arverne. Ronchon comme ça lui arrive, lors d’un récital auquel j’assistai, « trouvant la pente trop raide », il décida de descendre le col en déclinant tous les couplets à l’envers !

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Enfant du pays, Murat ne put voir passer les coureurs, et pour cause, il était dans le ventre de sa maman. Par contre, le « brenoï » était présent, à proximité de la ferme de ses grands-parents, lors du passage du Tour de France 1959. Gamin, parce que le premier coureur qu’il aperçut s’appelait (Gérard) Saint, il en déduisit qu’il y avait du sacré dans le vélo. Passionné de cyclisme, il écrivit, il y a quelques années, Le champion espagnol*, une ode inspirée de l’Aigle de Tolède Federico Bahamontès qui remporta justement cette édition de la grande boucle 1959.

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En ce jour de fête nationale 1951, le champion espagnol, c’est Bernardo Ruiz qui passe au sommet du col de Dyane avec 30 secondes d’avance sur Langarica, Bayens, Serra et Bernard Gauthier, 1 minute et 27 secondes sur Verschueren et 2 minutes sur le peloton emmené par Geminiani et Koblet..
Après La Bourboule, Ruiz effectue encore seul la montée vers La Roche-Vendeix. Dans ma Légende des Cycles, j’ai envie d’imaginer que, dans le nombreux public au bord de la route, se sont glissées quelques figures pittoresques du petit peuple « muratien » : le voleur de rhubarbe, la fille du fossoyeur, le berger de Chamablanc, Jeanne la rousse …!
À Bort-les-Orgues, au pied du Puy-de-Bort, on trouve un quatuor en tête composé de Ruiz, Gauthier, Verschueren et Baeyens, le peloton tiré par Bartali, Bobet, Koblet pointe à plus de 6 minutes.
À la sortie d’Égletons, Ruiz attaque et résiste jusqu’à l’arrivée apportant au cyclisme espagnol perturbé par la guerre civile, le premier succès d’étape depuis celui de Julian Berrendero à Pau lors du Tour 1937.

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« Le chronométreur Adam (a-t-il des soucis avec son Ève ?) se trouva de nouveau en délicatesse avec ses aiguilles. Échappés depuis la côte de Tulle, derrière Bernardo Ruiz, Serafino Biagioni et Gilbert Bauvin terminaient ensemble. Adam annonça que Bauvin s’emparait du maillot jaune, mais Pierre Cloarec, directeur technique de Roger Lévêque, intervint avec assurance, clamant que son coureur conservait le paletot. Une rapide vérification de la feuille de chronométrage lui donna raison.

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Un journaliste proposa alors que l’on posât au flanc des voitures suiveuses des affiches ainsi libellées : « Ne poussez pas les coureurs … Ne faussez pas la course, le chronométreur s’en charge ! »
Après la seconde erreur de M. Adam, Hugo Koblet éprouva le besoin de se manifester, pour se soustraire aux risques d’une troisième méprise, peut-être, mais plus sûrement pour éprouver l’adversaire avant que la course ne d’engageât dans les Pyrénées …
Ce fut l’extraordinaire « Exploit de Brive-Agen » qui figure dans tous les ouvrages et manuels consacrés au Tour depuis cette date. » Une étape qui sentait bon le rugby des poules de huit!

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Au départ de Brive, « en attraction, on voit apparaître dans une voiture américaine du plus beau rose bonbon, le grand boxeur noir américain Ray Sugar Robinson flanqué d’une suite de neuf personnes. Le maire de la ville, M. Henri Chapelle, a bien fait les choses. Pour inaugurer le square Marcel Cerdan, il a fait appel au plus grand des pugilistes mondiaux qui arrive de Londres, où il vient d’ailleurs de perdre son titre de champion du monde face à Randolph Turpin. Qu’importe ! Le seigneurial Robinson est là, un sparadrap sur l’œil, et se mesurera le soir-même, en match-exhibition, à René Cerdan, neveu de Marcel. Lorsque Robinson apparaît aux côtés de Koblet, le délire s’empare de la foule … »
Pour le grand bonheur des photographes, Hugo semble, métaphoriquement, prêt à en découdre.

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« Les spécialistes chevronnés du cyclisme, quand ils sont interrogés sur ce qu’est le plus grand exploit jamais réalisé sur le Tour de France, se partagent généralement entre le raid solitaire d’Eddy Merckx entre Luchon et Mourenx en 1969 et celui d’Hugo Koblet entre Brive et Agen en 1951. La majorité penche sans doute en faveur du champion suisse.
Il est vrai que ce qui fait le prix de cet exploit, c’est la personnalité de ceux qui se sont déchaînés durant 70 kilomètres pour lui faire entendre raison. « Dis-moi qui sont tes ennemis, je te dirai qui tu es » affirme l’adage. Ses poursuivants, ce jour-là, appartiennent au gratin d’une époque qui peut se targuer d’avoir fait éclore, en un fastueux bouquet arc-en-ciel, quelques-uns des plus grands champions cyclistes de tous les temps. Imaginez l’équipe d’Italie avec Fausto Coppi, Gino Bartali et même Fiorenzo Magni (malgré une fracture au coude) ; l’équipe de France de Louison Bobet, Raphaël Geminiani, Pierre Barbotin, Lucien Teisseire ; des individualités comme le Belge Stan Ockers, les Néerlandais Wout Wagtmans et Wim Van Est, le Français Jean Robic unis pour éviter une incroyable blessure d’amour-propre, se relayant sans le moindre temps mort et constatant avec rage et humiliation que le métronome suisse ne lâche rien. Et mieux qu’à certains moments, il leur reprend du terrain. »…
… « À l’arrivée, son avance était de 2 minutes 25 secondes auxquelles s’ajoutait la minute de bonification. Il déclencha immédiatement son chronomètre afin de vérifier lui-même l’importance de l’écart, se donna un coup de peigne et attendit calmement.

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Quand il descendit de machine, Raphaël Geminiani, le cheveu rebelle et l’œil calamiteux, déclara dans un souffle : « C’est pas possible, un coureur pareil ! S’il existait deux Koblet, je changerais de métier immédiatement !…
… Une heure plus tard, il (Koblet) écoutait des disques à l’hôtel et plaisantait avec son ami Marcel Huber. Au même moment, le chansonnier Jacques Grello, rédigeant son article pour le Parisien Libéré, lui trouvait un surnom qui ne le quitterait plus : le « pédaleur de charme », une expression qui correspondait exactement à la réalité. »

Une Equipe

Le directeur du Tour Jacques Goddet titra son long éditorial dans le quotidien L’Équipe, « Le beau cadeau de Koblet au Tour » ! En voici un extrait :
« Accordons la vedette de ce mémorable dimanche, après le sublime Hugo Koblet tout de même, à notre vraiment distingué collaborateur Grello lequel a doté le champion suisse du surnom parfait : « le pédaleur de charme ».
On ne peut mieux décrire tout ce que contient dans son style, comme surtout dans sa manière, dans son comportement, cet athlète radieux. Jamais il ne s’est dégagé d’un chevalier à vélo un tel rayonnement.
Merci Koblet du beau cadeau que vous venez de faire au Tour. Vous avez brisé les chaînes du peloton, vous vous êtes moqué des préjugés établis – prudence ! économie !- vous vous êtes libéré et du conformisme des vedettes et du cénacle où celles-ci se tiennent enfermées. C’est dans l’esprit qui a inspiré l’exploit comme dans l’inoubliable pureté de sa réalisation, le don le plus généreux que l’on n’ait jamais déposé sur l’autel du Tour. Quoiqu’il arrive, et surtout si vous devez porter plus tard le fardeau de votre effort, chaque jour jusqu’au 29 juillet, le public français à qui vous venez d’offrir ce festival magnificent, vous en dira sa gratitude…
Avec le bel Hugo, pas question de crier à l’héroïsme. Son effort ne traduit ni peine, ni douleur. C’est tout juste si, dans les 30 derniers kilomètres, le visage constamment débarbouillé, ruisselant de sueur, se marqua très légèrement. On criait à la folie, par raisonnement et la route était absorbée dans un mouvement si simple, tellement il était pur, que la vision du pédaleur de charme convainquait à elle seule.
Enthousiasmante vision ! Élancé mais solide, la taille marquée, la tête dégagée, les jambes, des cuisses aux chevilles, très rapprochées, faisant corps avec le cadre du vélo, les mains jointes à plat auprès de la potence en grimpant, curieusement retournées sur les cocottes de frein ou osées bas sur les poignées en roulant au train. Totale décontraction ! Une merveille imperceptiblement altérée par une « coquetterie » dans le coude gauche, un peu dévié, après lequel les lunettes accrochées rappelaient les habitudes du skieur ».

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Pierre Chany était tout aussi lyrique dans sa fabuleuse histoire du Tour de France : « Le champion suisse était d’une suprême élégance, cela a été dit souvent. Il portait dans une poche de son maillot une éponge imbibée d’eau, un petit vaporisateur plein d’eau de Cologne et un peigne dont il se servait immédiatement l’arrivée franchie ! Parfois, il fixait ses lunettes de course à son avant-bras gauche, selon la mode des skieurs de l’époque. Son allure générale, souple et féline, dégageait une impression d’extrême facilité et seul, depuis lors, Jacques Anquetil (j’en rougis de plaisir et de fierté encore aujourd’hui !) s’est approché de cette perfection dans le style. « Le poète n’aurait pas haï le mouvement qui déplace les lignes, s’il avait connu Hugo Koblet » écrivait Pierre Bourrillon. »

Koblet entre Brive et Agen

Toutefois, les plus belles épopées du Tour se sont souvent jouées aussi dans la coulisse, dans le secret du peloton ou celui d’une chambre d’hôtel. Ainsi, faut-il compléter ces dithyrambes en évoquant le « fondement », au sens littéral du mot, qui transforma une banale étape de transition en chevauchée de légende.
La veille au soir, dans sa chambre d’hôtel dont furent écartés tous les curieux, Hugo souffrit d’une crise d’hémorroïdes. Pour préserver le secret de cette affection, un médecin de Brive fut mandé nuitamment. Il préconisa une incision immédiate, synonyme d’abandon ce que le champion suisse refusa d’envisager, ne serait-ce qu’un seul instant. On fit donc quérir un autre mandarin local qui suggéra un traitement associant l’aspirine, puissant anti-inflammatoire, et une pommade à base de cocaïne.
« La cocaïne sous cette forme dispose d’un effet anesthésique très puissant dont la durée d’action est, cependant, de durée limitée. Mais elle a d’autres vertus. Le pistard André Pousse, devenu célèbre comme comédien spécialisé dans les seconds rôles que lui offrait son ami Michel Audiard, a un jour expliqué à Roger Bastide, éminent journaliste sportif qui partageait souvent les virées nocturnes d’Antoine Blondin, quel usage il faisait d’une telle embrocation : « J’enduisais le fond intérieur de mon cuissard et la pommade pénétrait sous la peau. Après cela, je me sentais tout joyeux. » »**
De là venait (peut-être !) un petit peu de l’euphorie du champion suisse … Mais comme écrivait merveilleusement Blondin, « on ne peut pas être premier dans un état second » ! Ou encore, comme pestait Jean-Louis Murat : « Empêchez Balzac de boire 70 cafés par jour, et vous n’auriez jamais eu le Père Goriot » !
Le maillot jaune Roger Lévêque terminant avec le peloton des favoris conserve donc, un jour de plus, la tunique bouton d’or.

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Lundi 16 juillet, la 12éme étape, 185 kilomètres entre Agen et Dax, offre un terrain accidenté entre collines et vallées de l’Agenais et de l’Armagnac. Mais l’on sait bien que les organisateurs proposent et les coureurs disposent, et après le coup du bel Hugo de la veille, rares parmi les 92 partants sont ceux qui ont des projets d’offensive.
Jacques Goddet, avec ses deux casquettes de codirecteur du Tour de France et patron du quotidien L’Équipe, voudrait de l’épique à chaque étape et, après avoir manié le dithyrambe pour le champion suisse, fustige cette fois l’apathie des favoris en écrivant en tête de son éditorial : « La révolte contre les rois fainéants est un devoir. »
Une dizaine de courageux vont sortir de leur torpeur malgré l’écrasante chaleur : d’abord un quatuor composé du Parisien Louis Caput, du Francilien Jacques Marinelli du Berrichon Georges Meunier, et de Hans Sommer équipier de Koblet, bientôt rejoint par le Tricolore Muller et André Labeylie de l’équipe d’Ile-de-France-Nord-Est, puis renforcé encore vers Condom par les Néerlandais Wim Van Est et Gerrit Voorting, le Belge Marcel De Mulder et l’excellent rouleur breton Job Morvan.
À Vic-Fezensac, les échappés possèdent 4 minutes et 15 secondes puis 12 minutes à Aire-sur-l’Adour. Le peloton continuant à musarder, on commence à compulser le classement général car le mieux classé Wim Van Est possède 14 minutes et 46 secondes de retard sur le maillot jaune.

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Sur la piste en cendrée de Dax, Van Est s’impose au sprint devant le favori Louis Caput avec plus de 18 minutes d’avance sur le peloton amorphe, et dépossède Roger Lévêque de son maillot jaune. Vainqueur, l’année précédente, et second en 1951 de Bordeaux-Paris, « la course qui tue », Wim Van Est est le premier coureur néerlandais de l’histoire du Tour à conquérir la toison d’or.

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Les observateurs se demandent déjà s’il pourra la conserver alors que se profile dès le lendemain l’ascension du col d’Aubisque. Le coureur du plat pays confie qu’il a déjà monté des cols … mais en voiture !
Roger Lévêque, dépossédé de son bien, n’a pas perdu son temps et dit avoir ramassé 750 000 francs grâce à sa victoire d’étape à Paris et sa rente journalière des laines Sofil sponsor du maillot jaune.
La première étape pyrénéenne entre Dax et Tarbes, bien que ne comportant qu’un seul col, l’Aubisque avec son marche-pied, le Soulor, est chargée en événements divers qui vont encore bouleverser le classement général. Cette difficulté n’intervient qu’après 137 kilomètres et 12 hommes vont s’échapper avant de l’aborder : d’abord, un trio français formé de Desbats, Brambilla et Muller, parti au km 55, qui sera rejoint au km 78 par les tricolores Geminiani et Lauredi, les « régionaux » Bauvin, Walkowiak, Deledda et Diot, le Suisse Sommer, le Belge Van Ende et l’Italien Biagioni. Ces douze coureurs possèdent à Laruns 13 minutes et 15 secondes sur le peloton.

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Dans l’Aubisque, 5 coureurs se détachent : Biagioni, Van Ende, Bauvin, Lauredi et Geminiani qui franchit en tête le sommet empochant au passage 40 secondes de bonification, et s’installant à la première place du Grand Prix de la Montagne parrainé fort à propos par la marque d’apéritif Saint-Raphaël-Quinquina.
Van Ende lâche dans la descente. Au sprint à Tarbes, Raphaël Geminiani l’emporte mais après réclamation de Serafino Biagioni, il est déclassé, Nello Lauredi ayant poussé son coéquipier clermontois, geste que le règlement prohibe.

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Le groupe des favoris avec Coppi, Bartali, Magni et Koblet termine à près de 10 minutes. Louison Bobet, encore mal remis, concède 2 minutes et 37 secondes supplémentaires.
Mais, au fait, où est passé le leader Wim Van Est ? De Lourdes à Tarbes, personne n’a vu le maillot jaune ! Maurice Vidal nous raconte la tragique histoire de ce pauvre Van Est, encore qu’elle se terminera pour lui à moindre mal :
« C’est que Wim est un garçon très sympathique et vraiment digne d’intérêt. C’est l’un des ouvriers de la bicyclette qui courent pour faire vivre leur famille et peinent dur dans l’espoir d’améliorer une situation que la vie leur a faite modeste.
On se souvient de sa joie lors de sa victoire de l’an dernier dans Bordeaux-Paris. Toutes ses pensées allaient à sa famille. Lui, coureur inconnu la veille, fut donc reçu dans ce petit pays de Hollande, comme un héros. La municipalité lui offrit une maison. Cette année, la malchance semblait le marquer. Dans Bordeaux-Paris, il franchissait la ligne d’arrivée du Parc des Princes, persuadé qu’il était le premier. Son désespoir fut immense lorsqu’on lui apprit que Bernard Gauthier le précédait. Lui seul, en effet, réalisait quelle somme de bien-être s’enfuyait avec la victoire dans le Derby.
Il avait pris le départ dans le Tour de France dans le même but ; il savait quelles souffrances il allait endurer, mais il pensait que les efforts ne font pas peur à ceux de sa race, celle de paysans pleins de santé physique et morale. Si vous aviez vu sa joie, au départ de Dax, revêtu du maillot jaune, objet de rêve de tant de coureurs.

Van Est et Koblet à Dax

Il pensait qu’il était le premier de son pays à le porter et ceci pour ses débuts dans la grande épreuve. C’était un beau coup de maître. Il n’était pas décidé à le lâcher. C’est parce qu’il avait ce dessein que, sachant Bauvin échappé et possédant une grande avance, il se lança à corps perdu dans la descente de l’Aubisque. Une première fois, il tomba pour repartir de plus belle ; il tomba encore et repartit à nouveau. Mais c’était par trop défier la montagne qui n’aime pas que l’on se moque de ses embûches.

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Dans un virage, Wim, cramponné à son vélo, à son outil de travail, partit dans les airs ; l’homme et sa machine, toujours soudés, effectuaient un bond de 15 mètres, puis tous deux s’écrasaient sur une petite plate-forme de galets avant de continuer à dévaler encore d’une trentaine de mètres. On le croyait mort, mais, lui, voulait seulement remonter. Il fallut assembler de multiples boyaux pour fabriquer une corde improvisée.
Pendant ce temps, le grand Gerrit Peters, le « caïd » de tous les vélodromes européens, l’impassible Peters hurlait au bord du gouffre : « Sortez-le ! Sortez-le de ce trou ! » Et quand il vit son pauvre Wim les membres intacts, mais le cerveau et le cœur brisés, il n’eut pas la force de repartir et abandonna sur place.
Van Est ne pleura pas sur ses blessures ; il contempla son vélo qu’on avait remonté du ravin et réalisa que tout était fini, le maillot jaune, le Tour de France, la joie à la maison…
Bien sûr, ce n’est qu’un petit drame parmi tant d’autres. Mais la douleur d’un homme est si douloureuse à voir. »

Pour voir sa chute, cliquer ici : https://www.dailymotion.com/video/x7bp5c5

Le 17 juillet 2001, cinquante ans plus tard, les organisateurs du Tour de France, avec Jean-Marie Leblanc à leur tête, rendirent hommage au champion hollandais en inaugurant, en sa présence, une plaque scellée dans la roche sur le lieu-même de l’accident.

Van Est Aubisque 2Aubisque chute Van Est

Comme je m’étais recueilli devant la stèle érigée à la mémoire de Roger Rivière dans le col du Perjuret***, à l’occasion d’une de mes pérégrinations hexagonales, je me suis arrêté quelques instants devant la plaque dédiée à Wim Van Est pour mieux comprendre l’ampleur d’une tragédie qui finalement s’acheva bien.
Au restaurant au sommet du col d’Aubisque, peut-être peut-on voir encore quelques photographies des Tours de France d’antan : sur l’une d’entre elles, Wim a apposé sa signature, probablement, à l’occasion de la cérémonie en son hommage.

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L’accident se déroula quelques centaines de mètres après le sommet du col à l’entrée du cirque du Litor, cette vertigineuse descente en balcon connue pour ses tunnels non éclairés où s’abritent parfois ânes et vaches.
En surplomb du précipice, j’essayais d’imaginer la tache jonquille minuscule dans la grisaille des éboulis, comme l’avait poétiquement décrite un journaliste inspiré. Wim Van Est mérite pour la postérité le surnom de « miraculé de l’Aubisque ».
Pontiac, la célèbre marque de montre, qui sponsorisait l’équipe du Néerlandais, profita de l’accident pour établir sa campagne publicitaire avec comme vedette Win Van Est qui racontait son expérience en décalé « J’ai fait une chute de septante mètres, mon cœur s’est arrêté de battre, mais ma Pontiac marchait toujours… » !
Van Est devint la poule aux œufs d’or de la marque visitant une quarantaine de ses boutiques. Il se constitua un capital non négligeable. Il gagna par la suite encore à deux reprises la « course qui tue » Bordeaux-Paris ainsi qu’un Tour des Flandres. Il porta encore le maillot jaune lors des Tours de France 1955 et 1958. Mais en vieillissant, il devint aussi un négociant impitoyable, « vendant » quelques courses à certains compagnons d’échappée ou racontant ses glorieuses années pour 100 euros de l’heure. Sacré Batave !
L’infortune de Wim Van Est profita au valeureux lorrain Gilbert Bauvin :
« Et pourtant, intervenait Bauvin avec lequel on parlait à Tarbes, alors qu’allongé sur son lit, il regardait amoureusement son maillot jaune comme un peintre l’eût fait pour une toile, pourtant quand Geminiani et Biagioni ont foncé dans la descente de Soulor, pensez-vous sincèrement que je devais les laisser prendre du champ et perdre la première place du classement général que je savais à ma portée ? Ah ! non, par exemple ! Plutôt crever sur place que de céder !
Bauvin ne mêlait pas la grandiloquence à son aveu : il n’était pas Horace, il restait, par sa mine éveillée, son front dégarni, ses tempes dégagées, sa frimousse charmante, le Pierrot de notre Tour, un Pierrot jaune en la circonstance … » (Le Roman du Tour par Félix Lévitan)
Hugo Koblet s’inquiète un peu de concéder au classement général un retard de près de 13 minutes sur Bauvin et plus de 6 minutes sur Geminiani, deux excellents coureurs … vaillants retraités aujourd’hui car le valeureux Lorrain accuse le mois prochain 94 printemps !
Mercredi 18 juillet, seconde étape pyrénéenne, sous un soleil de plomb, les 88 rescapés quittent Tarbes pour rejoindre Luchon avec l’ascension de la trilogie des « juges de paix chers au dessinateur Pellos, Tourmalet, Aspin et Peyresourde.

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Pour Gaston Bénac, dans le Miroir des Sports, on y voit plus clair :
« La haute montagne a parlé et on commence enfin à y voir clair dans ce Tour 1951. Il aura fallu 15 jours et 14 étapes pour voir enfin à la tête du classement général un des cinq grands, un des favoris de la grande épreuve. Ce qui démontre bien qu’avec plusieurs vedettes au départ, les étapes de plaine ou de faible montée ne peuvent que fausser les idées des sportifs ou les faire languir en permettant aux coureurs de moindre importance de tenir la rampe au premier plan, pendant quelques jours, et il est assez curieux de constater que les trois étapes les plus sportives avant les Alpes, celle de La Guerche à Angers contre la montre, l’échappée solitaire de Souillac à Agen et l’escalade des trois cols pyrénéens sont revenues au même homme, à Hugo Koblet.
Jamais ce maillot jaune ne fut aussi bien porté et jamais tâche d’adversaire du leader n’a été aussi malaisée. Pour avoir attendu l’explication entre grandes vedettes, l’émouvante journée d’hier ne nous est apparue que plus belle, plus passionnante. Cette étape du Tourmalet comptera parmi les plus grandes auxquelles il m’ait été donné d’assister depuis des années…
Pourtant, à Barèges, si l’on excepte l’échappée de Diederich, un peu en marge de la course d’ailleurs, les pointes lancées par Goasmat et Meunier, le groupe compact des prétendants paraissait assez peu résolu à lutter. Mais que faire lorsque le pourcentage du col devient sérieux, si ce n’est tenter de lâcher les camarades ou abandonner la lutte pour la première place ?

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Immédiatement, nous pûmes constater, debout sur nos voitures, avides de juger et jauger les forces et la forme de chacun, que Fausto Coppi était redevenu le grand Coppi. C’est lui qui engageait le fer, c’est lui qui faisait le forcing, mais Koblet répondait à cette attaque, ainsi que Lucien Lazaridès et le fougueux Geminiani, tandis que Bartali résistait du mieux qu’il pouvait. Lutte magnifique dans laquelle Koblet, victime de crevaisons, était éliminé au Tourmalet, peu avant le sommet qui voyait Coppi, maître de lui, sprinter et plonger dans la descente.
On pouvait redouter l’appréhension de Fausto dans la descente de Sainte-Marie-de-Campan, après ses chutes nombreuses (et l’accident mortel de son frère au Tour du Piémont ndlr). Il n’en fut rien. Coppi descendit très vite et se libéra des ripostes de l’arrière, sauf d’une…
En effet, Koblet, ayant changé en toute hâte le boyau de son vélo, rejoignait en descente les poursuivants de Coppi et, dans Aspin, il rejoignait le recordman du monde de l’heure.
Nous devions assister, alors, le cœur serré par l’émotion, à un match au finish entre deux des plus grands champions du cyclisme routier. L’ancien au rythme retrouvé et le nouveau, le jeune athlète helvète. Ah ! la magnifique lutte entre deux hommes bien résolus à ne se faire aucune concession. Qui allait l’emporter ? C’était le match nul en haut d’Aspin, le match nul en haut de Peyresourde, le match nul à Luchon en abordant les allées d’Étigny et seul le sprint décida : Koblet vainqueur de Coppi par une longueur.

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Cette étape comporte de nombreux enseignements. Elle met en évidence les aptitudes de forme des grands grimpeurs, très près les uns des autres, Coppi, Koblet, Bartali, Lucien Lazaridès, parmi lesquels il faut chercher le vainqueur du Tour, et plus que jamais, on se pose la question : Koblet ou Coppi ? Car les deux autres ne pourront doubler victorieusement le cap de la course contre la montre. Geminiani n’a pu poursuivre son rythme dans le troisième col, il n’est pas l’homme des efforts prolongés.
Des hommes ont perdu hier, à mon sens, tout au moins le Tour de France 51. D’abord Bobet qui, à moins d’un miracle, ne pourra combler son retard sur des hommes aussi forts que Koblet, Coppi et Bartali. Un autre ensuite a perdu également le Tour dans les grands cols, dans ces cols (ou plutôt leur suite sur Saint-Gaudens), où il avait, l’an dernier, conquis le Tour de France. On devine qu’il s’agit de Fiorenzo Magni. Ockers n’a plus son mordant de l’an dernier et le sort de Barbotin est intimement lié à celui de Bobet. Battus aussi Bernardo Ruiz, et Lauredi dont on attendait mieux. Nettement battu aussi Robic dans son élément essentiel pourtant. Battus, enfin, les petits Belges et la cohorte de porteurs d’eau italiens qui finissent très loin.
Sous le ciel bleu des Pyrénées, une immense clarté est tombée hier sur le peloton du Tour, jusqu’ici plongé dans une uniformité grise. »
Dans son Roman du Tour, Félix Lévitan écrit : « Le bel Hugo a sprinté le long des allées d’Étigny. C’était sa façon de signer la pièce du jour … Elle avait eu pour canevas les cols pyrénéens, qui, de Luz à Luchon, enjambent les gaves aux eaux limpides. Dans un décor à la mesure de son talent, Koblet avait souligné, à coups de pédale, la grandeur du Tour de France. Il était né pour en célébrer les mérites. Dans les odes qu’il avait entonnées à la gloire de la course, il avait mis plus de lyrisme que les auteurs des années précédentes, plus de lumière, plus d’élégance. Fausto Coppi est Manolète, Koblet Luis Miguel Dominguin. Le duel des toréadors a trouvé dans cette montagne humide un prolongement inattendu. À la sévérité du visage tourmenté de Coppi, Koblet a opposé son sourire radieux. Au corps étiré du « campionissimo », sa plastique harmonieuse. À ses cheveux plats, ses boucles blondes. À ses yeux sombres, son regard de faïence, à ses inquiétudes, sa confiance, à son jeu étudié ses improvisations. Il n’a pas frappé le sol du talon comme le dieu triomphant de l’arène. Il n’a pas réclamé la queue, les oreilles. Il a gentiment tendu la main à Fausto, le vaincu, et à Bartali, ce roi d’antan encore accroché à ses basques, le bouquet de la victoire. Il n’a gardé au terme de sa chevauchée fantastique que le maillot jaune arraché à Bauvin. Et sur ses épaules, ce n’était plus un vêtement de laine, mais une tunique d’or … »
Elle ne tient cependant qu’à un fil car le champion suisse ne possède au classement général que 21 petites secondes sur Gilbert Bauvin et 32 sur Raphaël Geminiani qui devient de fait le leader de l’équipe de France, Louison Bobet pointant désormais à plus de 17 minutes.

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Fausto Coppi, quatrième à 5minutes et 9 secondes de Koblet, est encore dans la course.
« Allongé dans sa chambre aux volets clos, Fausto Coppi a fermé les yeux. Il revit la montée du Tourmalet. Il a conscience de n’avoir rien négligé. N’a-t-il pas assuré un train rapide propre à écœurer ses rivaux ? N’a-t-il pas sprinté désespérément lorsque Koblet a mis pied à terre pour changer un boyau défaillant ? N’a-t-il pas foncé dans la descente, dominant ses appréhensions, oubliant les conseils de prudence, les promesses à sa femme, celles à sa mère, oubliant jusqu’au souvenir du petit Serse allongé, la tête bandée, sur son lit de mort ..
N’a-t-il pas, au-delà de Sainte-Marie-de-Campan, abordé le col d’Aspin, le col des fanatiques (rapport aux incidents du Tour 1950 qui provoqua l’abandon de l’équipe d’Italie, ndlr), en arrachant à ses muscles tout ce qu’ils contenaient encore de forces en réserve ?
– Si, Fausto, tu as fait ton devoir.
C’est Mme Coppi qui, devinant ses pensées, a prononcé ces quelques mots d’une voix altérée, en promenant une main légère sur le front soucieux de son mari.
Elle tient un rôle malaisé, Mme Coppi. Elle désirerait de toutes ses forces que ce cauchemar fut achevé, que Fausto prit la décision de fuir ces milieux qui ont fait sa fortune et sa gloire, mais qui lui ont aussi arraché un frère aimé. Elle l’a dit à Fausto, elle l’a supplié et alors qu’elle allait triompher, elle a perdu la partie :
– Je ferai encore ce Tour de France.
Aujourd’hui, dans ce Luchon grouillant de montagnards mêlés aux estivants, il lui apparaît sage de ne pas se plaindre, sage de consoler Fausto dont la déception est intense :
– Oui, Fausto, tu as fait ton devoir !
Rien n’était plus exact, en vérité.
Sa lutte corps à corps avec Koblet, il l’avait menée farouchement, et si de nouveaux lauriers ne l’avaient pas couronné, c’est que l’heure du triomphe était passée…

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Aucune amertume, dans cette constatation, rien qu’une grande franchise librement exprimée :
– Il est meilleur que moi !
– Il est plus jeune, Fausto, c’est tout …
La tendre Mme Coppi a souri, mais Emilio Colombo, le petit masseur aux formes rondes et au verbe fleuri, n’a pas eu la même réaction :
– Non, Fausto, il est simplement au summum de sa forme, alors que toi, tu grimpes la pente pour y arriver. Laisse faire, le Tour n’est pas fini, il faiblira à l’heure où tu exploseras. Oui, rien n’est terminé, laisse faire, Fausto, ne te tracasse pas, oublie les Pyrénées, oublie qu’il a le maillot jaune, tu auras ta revanche, et elle sera éclatante.
Fausto a refermé les yeux. Il a esquissé une moue et n’a plus prononcé une parole, mais on a lu dans ses pensées :
– Des mots tout ça, des mots …
Ainsi, au-delà même du champ clos de la bataille, Hugo Koblet continuait à triompher de son rival, tandis qu’il se promenait dans les rues de Luchon, signant des autographes, achetant des cartes postales.
– C’est ma façon de me désintoxiquer !
Ah ! l’ardente et folle jeunesse.
– Il paiera ses erreurs.
Tous les vieux du Tour en ont sentencieusement convenu en le regardant, étonnés, déambuler en ville.
Mais Hugo a eu le mot de la fin :
– Parlez, parlez toujours … Je n’ai, paraît-il, commis que des folies depuis le départ de Metz, hein ? » (Le roman du Tour de Félix Lévitan)
« Luchon-Carcassonne par le col du Portet d’Aspet, voilà le menu offert aux coureurs pour leur permettre de récupérer des fatigues de la grande étape pyrénéenne.
Certes, le Portet d’Aspet n’a rien de comparable avec le Tourmalet et sa position en début d’étape n’incitait pas les « géants » à jouer gros jeu, quand même, il fallait le monter !... (je confirme pour avoir effectué son ascension plusieurs fois notamment par le versant abordé !)

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En fait, le Portet d’Aspet fut escaladé en groupe et seul, en tête, Bartali fournit un sprint au sommet afin de donner un peu de spectacle aux 5 000 spectateurs(commingeois et ariégeois) qui s’étaient déplacés, malgré la chaleur. Car il faisait très chaud, trop chaud sur la route de Carcassonne, une chaleur étouffante qui précipita les abandons de Michel, Guégan, Goldschmidt –malade- et provoqua la défaillance de Van Steenkiste, Desbats, Carle et Bonnaventure, autant d’hommes qui arrivaient très attardés sous les murs crénelés de la Cité, frôlant la limite extrême de l’élimination.
La bataille pour la première place s’est déclenchée à 35 kilomètres de l’arrivée, sur un démarrage de Jean-Marie Goasmat et Diot, bientôt rejoints par Rosseel, Decock, Caput, Germain Derijke,Raoul Rémy, Dekker, De Hertog, Serra, Brambilla, Giguet, Lucien Teisseire, Biagioni, Jean Dotto, Van Ende et Kemp.
Aux portes de la ville, on envisageait une arrivée au sprint et chacun s’accordait pour prévoir un succès de Caput, mais Rosseel, déjà vainqueur à Limoges, surprit ses adversaires par son attaque soudaine. Quatre Belges se trouvaient dans le groupe de chasse qui, appliquant l’esprit d’équipe, annihilèrent les efforts de Lucien Teisseire le plus ardent des chasseurs. »

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Sur la piste du vélodrome de la Cité, un an plus tard, allait se révéler un futur grand champion en remportant le championnat de France sur route des amateurs. Dois-je vous dire son nom ? Il m’est très cher et Pierre Chany osa comparer son style à celui d’Hugo Koblet !

Anquetil champion de France amateur

La seizième étape de Carcassonne à Montpellier, 192 kilomètres, a le profil d’une étape de transition encore que certains baroudeurs pourraient profiter des traîtrises du parcours qui sinue dans les vignobles du Minervois et les raidards de la Montagne Noire.
Le ciel bleu et la chaleur étouffante incitent les suiveurs au farniente … sauf Pierre Chany :
« L’ambiance était calme, la journée torride. La première heure s’était écoulée monotone, le peloton ayant gravi sans hâte la montée conduisant au col des Usclats, sur les contreforts des Cévennes. Le Tour avançait dans la fournaise, au cœur d’une région aride, calcinée par le soleil. Aux rares points d’ombre, retentissait intense le crincrin des cigales et les ultrasons se combinaient aux ultra-violets pour éteindre les énergies. Sur le coup de midi, plusieurs journalistes attablés dans la fraîcheur d’un restaurant de campagne dégustaient des écrevisses à la nage et s’abreuvaient de vin frais, quand un motocycliste fit irruption, porteur d’une incroyable nouvelle. L’homme toutefois, en l’occurrence moi-même, entendait ménager ses effets.

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– Bravo les gars ! C’est la tragédie derrière, et vous bâfrez !
– La tragédie ? répéta sans aucune conviction l’un des convives, levant le nez de son assiette.
– Zaaf a cassé la baraque. Coppi est lâché !
Un éclat de rire accueillit la nouvelle.
– Zaaf … Coppi … et Francis Pélissier, non. Allez ! Bois un verre avec nous au lieu de débloquer. Ce rosé est extra.
J’insistai :
– Je vous assure … C’est vrai… Fausto en a pris un coup derrière les oreilles. Il va peut-être abandonner.
Les écrevisses restèrent dans les assiettes et le Saint-Saturnin dans les pichets !

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L’attaque inattendue s’était produite dans la descente du col des Usclats, sous la forme d’une poussée du modeste Zaaf. La canicule l’inspirait cet homme. L’affaire n’aurait eu aucune conséquence fâcheuse, si Hugo Koblet, très vigilant, n’avait aussitôt réagi. Sa riposte avait entraîné celle de Geminiani, puis de Barbotin, de Bernard Gauthier et de Marinelli, auxquels s’étaient joints Labeylie et Léo Weilenmann. Le champion italien, pris de vitesse, céda du terrain. Malgré l’aide rapide de Milano, il ne parvint pas à effectuer une jonction suffisamment rapide avec le groupe de tête et fut rejeté dans le groupe principal. Alors le campionissimo se laissa glisser aux dernières places, puis coupa son effort au 93ème kilomètre !
Alfredo Binda rassembla immédiatement Milano, Pezzi, Biagioni et Carrea, afin de lui fournir une escorte, et pour l’empêcher de sombrer définitivement. Inondé de sueur, le teint blafard, Fausto pédalait dans un état de semi-inconscience. De temps à autre, il était pris de vomissements. Ses gregarii l’assistaient de leur mieux, avec un zèle discret, tempéré par la pudeur. Sans eux, il eût abandonné et, dans l’hypothèse contraire, il eût été éliminé à coup sûr, car la déroute prenait déjà des proportions catastrophiques.
L’arrière-garde traversa ainsi la plaine du Languedoc transformée en rôtissoire. Il n’y avait pas un souffle d’air, et les kilomètres semblaient interminables. Le calvaire dura près de trois heures. Quand le groupe des attardés atteignit enfin Montpellier, Hugo Koblet, vainqueur de l’étape, avait franchi la ligne depuis 33 minutes ! Le campionissimo évitait l’élimination pour quelques secondes. Ayant mesuré le temps sur mon « chrono », j’eus l’impression, alors, que les officiels se montraient bienveillants. Selon mes calculs officieux, Coppi, en effet, avait coupé la ligne trois secondes après le délai de l’élimination, mais l’affaire en resta là. »
Les années se suivent et ne se ressemblent pas : c’est dans la même contrée que Zaaf avait défrayé la chronique du Tour 1950 avec sa fausse vraie cuite au pied d’un platane sur la route de Vendargues, cette fois-ci, il est fier de confier aux journalistes comment il a contribué à la défaillance de Coppi :
« Il fallait que je trouve des « alliés » car lorsque je partais, je n’avais personne pour mettre le frein dans le peloton. J’ai donc été voir les Italiens; j’ai un ami chez eux : Fausto Coppi qui est venu chez moi, déjà, en passant à Alger. Je leur ai proposé un pacte. « Voilà, moi je pars, vous faites semblant de me pour¬suivre, et vous venez deux ou trois avec moi, les autres font le frein et nous roulons dur jusqu’à l’arrivée ». Coppi avait dit aux autres : « Zaaf est brave, nous pouvons l’aider. » Mais les Italiens ne m’ont jamais laissé gagner une étape, ils ont même violé notre pacte, ce qui leur a fait perdre le Tour de France…
Le jour de l’étape Carcassonne-Montpellier, c’était un jour de grosse chaleur. On arrivait à l’étape de repos, et tout le monde semblait vouloir dormir et chasser la « canette ». C’était pour moi le bon moment. Je m’arrêtais à une fontaine pour me laver, remplir mes bidons, et j’allais trouver mes complices italiens pour leur donner le signal : « Je pars… vous me suivez! »
— Pas encore… Zaaf, pas encore, il est trop tôt!
J’étais déçu, ils ne comprenaient rien. Je tentais de leur expliquer :
— Je dois partir maintenant à 150 kilomètres de l’arrivée, je prends un quart d’heure d’avance, car s’il y a bagarre en fin de parcours, je perdrais dix minutes sur le peloton, mais il m’en restera toujours cinq d’avance.
— Non! Non! Mollo ! Mollo! s’obstinaient à me répondre les Italiens. Nous partirons à 40 kilomètres de l’arrivée.
C’était ridicule! Une échappée de Zaaf à 40 kilomètres de l’arrivée n’est pas une échappée de Zaaf… Et puis, à 150 kilomètres du but, on m’aurait laissé partir, en se disant : « Ce pauvre Zaaf va encore se fatiguer pour quelques primes, et ensuite s’effondrer ».
Mais à 40 kilomètres, j’aurais trouvé trop de candidats pour m’accompagner. Je n’étais pas client pour faire le jeu d’un « suceur de roue » qui m’aurait réglé au sprint.
— Si vous ne respectez pas notre accord, je pars seul, maintenant, et je casse la baraque.
Mon avertissement les a seulement fait rire, et ils m’ont « charrié ». Alors, je me suis mis en colère, et j’ai profité d’un moment où le peloton freinait pour se ravitailler en canettes, et satisfaire d’autres besoins, j’ai foncé pendant 15 kilomètres, et la colère me donnait des forces. Je me suis retourné, et j’ai aperçu un petit peloton qui revenait sur moi… « Ça y est, je me suis dit, ils ont encore lâché les « chiens »… Ils ne me laisseront pas mener mon affaire jusqu’au but… ».
Et cependant, j’avais mis toute mon énergie pour creuser le trou…
Ce peloton se rapprochait, et quelle ne fut pas ma surprise de voir Koblet, lui-même, m’arriver sur le dos avec Geminiani, Lucien Lazaridès, Bernard Gauthier et Barbotin.
J’étais plutôt fier!… Les seigneurs se dérangeaient eux-mêmes pour venir me mater, ils n’envoyaient pas leurs domestiques.
Je n’ai pas tenté de résister, seul contre cinq, je ne pouvais rien, surtout avec ce genre « d’avions », cela fait plutôt du bruit !…
Ils vont « couper » après m’avoir rejoint, pensais-je en moi-même, mais pas du tout, Koblet, sur son élan, a continué avec les tricolores dans sa roue…
Après tout, puisqu’ils m’avaient fait l’honneur de me pourchasser, je ne pouvais pas, par politesse, me désintéresser de cette visite, et j’ai pris mon tour au relais. J’ai compris qu’il devait se passer quelque chose derrière,
J’ai flairé le désastre qui guettait les Italiens, j’avais donc réussi, J’avais bien cassé la baraque, et puisque les Italiens n’avaient pus tenu leur parole, je n’avais pas à les ménager. Je menais le plus fort du peloton avec Koblet. Le maillot jaune était seul contre les Français, je tentais donc une alliance avec lui : « Tu me laisses gagner l’étape, et je te laisse gagner te Tour de France!… »
Koblet aurait sans doute été d’accord, mais il roulait trop vite pour moi, et je n’ai pas pu tenir sa roue. J’ai été décroché. J’ai vu passer devant moi Bartali et Bobet, ils roulaient comme des fous… « Ils sont pressés, ceux-là, derrière, il doit y avoir la débandade!… »
Je ne me trompais pas. J’ai vu arriver Magni, tout furieux. Il n’était pas content, parce que j’avais mis le feu.
Mais, moi, j’étais content, et pour ennuyer Magni, je me suis encore accroché à sa roue… quelque temps, puis après je l’ai laissé filer…
Et je les voyais les uns après les autres me rejoindre, et ils me disaient tous en passant des sottises… Pour me démoraliser, ils me criaient :
— Te voilà bien avancé, tu es largué maintenant, et tu seras éliminé ce soir… ».
Et moi je leur répondais :
— Je ne suis pas largué, je me repose, pour pouvoir recommencer demain. »
Et je savais que je ne serais pas éliminé, car Coppi et toute l’équipe italienne (sauf Bartali et Magni) étaient loin derrière. A l’arrivée, on me précisa même qu’ils seraient peut-être tous éliminés. Décidément, m’avoir trahi ne leur portait pas bonheur aux Italiens…
Coppi, le soir, est venu me dire :
— Zaaf, ce n’est pas gentil ce que tu as fait, car tout cela est arrivé par ta faute…
Je lui ai répondu :
— Fausto, les vrais responsables, ce sont tes coéquipiers qui n’ont pas tenu leur parole. J’avais prévenu que j’attaquerais, je ne vous ai pas pris en traître, mais vous n’avez pas voulu me prendre au sérieux ! Je suis désolé, mais je me suis fâché… et voilà le résultat.
A partir de ce jour, j’avais établi solidement ma réputation de « casseur de baraque » aux dépens de mon ami Fausto Coppi.
Mais j’allais avoir l’occasion de lui faire oublier ses malheurs... »

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Hugo Koblet, maillot jaune, vainqueur d’une quatrième étape sur le circuit de l’Esplanade à Montpellier, semble, d’ores et déjà, avoir gagné le Tour, alors que nous en sommes aux deux-tiers de l’épreuve. Seul, Raphaël Geminiani, qui pointe à 1 minute et 32 secondes, semble pouvoir encore contester sa suprématie.

L'Equipe Carcassonne-Montpellier

En ce jour de repos à Montpellier, je vous invite à vous détendre en lisant l’étude sociale du peloton effectuée pour L’Équipe par l’humoriste chansonnier Jacques Grello, celui-là même qui a inventé pour Koblet le sublime surnom de « pédaleur de charme » comme il y a des chanteurs de charme :
« Les coureurs qui passent avant le peloton, on les admire, ceux qui passent après le peloton, on les plaint. Le peloton, c’est tous les autres, ceux qu’on n’a pas le temps de reconnaître. Plus il y en a, moins on les voit. C’est le peloton. Et pour ceux qui sont dedans, on est tranquille. On en parle comme d’un endroit où il n’y a pas à faire de vélo.
Quand les attardés le rejoignent, on est content pour eux. Et pour Dotto qui, ce soir, ne l’a pas revu, on dit : « manque de pot. » Absolument comme s’il avait loupé son train. À croire que le peloton est un moyen de transport animé par une énergie extérieure.
On en arrive à se demander : « Qui le fait avancer, ce peloton ? » La façon dont on en parle tendant constamment à nous faire croire que ce ne sont pas les coureurs. Or, je vous l’affirme solennellement, ce sont eux !
Cet après-midi, j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai voyagé « dans » le peloton. Je l’ai rejoint sans effort sous l’œil envieux de Brambilla, qui a eu bien des malheurs aujourd’hui ! Mais une fois « dans » le peloton, le parcourant doucement d’un bout à l’autre, je l’ai biglé en douce, regardant tout minutieusement et, tout bien examiné, je vous en donne ma parole : ce sont eux qui pédalent. Eux tous, et sans arrêt. Et côte à côte, avec eux, dans le même vent, sous un petit crachin pas drôle (c’était vers Louvigné-du-Désert), j’ai constaté une nouvelle fois que la bicyclette, au fond, ce n’est pas tellement confortable.
Peloton ou pas, il y a la route qui monte, les bordures mauvaises, le tournant perfide, la selle qui fait mal, le guidon qui tire et la poussière, et les autos, et les kilomètres, et ces bon Dieu de pédales sur lesquelles il faut appuyer. La seule différence c’est qu’on est plus détendu qu’en tête ou en queue, on est ensemble, on parle un peu. Bayert dit des blagues, Chapatte sifflote, Koblet se peigne, Faanhof bâille, Bobet passe la main dans les cheveux ( ?) de Magni, Jean-Marie Goasmat roule en lâchant son guidon (si, si, j’ai vu ça), Rossi vous parle de son genou lent à s’échauffer, Apo change de fesse, Coppi déplie le léger rictus de sa lèvre et vous fait un clin d’œil aimable, Serra s’efface poliment pour vous laisser passer, et Lucien Lazaridès proteste avec douceur qu’on aurait pu choisir un endroit plus dégagé.
Quelqu’un dit « merde » deux fois, pour les autos qui klaxonnent derrière. Et si vous demandez à Meunier : « Comment ça va ? » il répond gentiment : « Et vous ? ».
Bref, il y a un semblant de vie sociale, mais, tout cela, toujours pédalant, ne l’oubliez pas. Et quand vous lirez que Bartali roule paisiblement, enfoui au sein du peloton, n’allez pas en déduire qu’il lit le journal comme au coin du feu. Pas du tout, et il appuie en faisant attention à tout, parce qu’un vélo ça ne tient pas debout tout seul, et Lambertini à vos ordres ou pas, faut pédaler soi-même.
Si vous cherchez un coin tranquille et où passer vos vacances, croyez-moi, choisissez autre chose qu’un peloton du Tour de France. »

* Vous pouvez écouter « Le champion espagnol » dans le billet : http://encreviolette.unblog.fr/2019/07/30/ici-la-route-du-tour-de-france-1959-2/
** « Petites Histoires inconnues du Tour de France » de Patrick Fillion et Laurent Réveilhac, Editions Hugo et Cie. 2012
*** Pour revivre ce drame, cliquer sur : http://encreviolette.unblog.fr/2020/08/25/ici-la-route-du-tour-de-france-1960-3/
Pour décrire ces étapes de ce Tour de France 1951, j’ai puisé dans les magazines bihebdomadaires Miroir-Sprint et Miroir des Sports But&Club, dans le numéro spécial d’après Tour de France du Miroir des Sports, avec l’aide de Jean-Pierre Le Port pour combler mes manques, dans « Hugo Koblet le pédaleur de charme » de Jean-Paul Ollivier (éditions Glénat), dans La fabuleuse Histoire du Tour de France de Pierre Chany et Thierry Cazeneuve (Minerva), dans Arriva Coppi de Pierre Chany (La Table Ronde), dans Tour de France Nostalgie de Christian Laborde (Hors collection)
Remerciements à tous ces écrivains journalistes, photographes et … coureurs qui, soixante-dix ans plus tard, me font toujours rêver.

Publié dans:Cyclisme |on 25 juin, 2021 |Pas de commentaires »

Un amateur de tennis

Cela fait bien longtemps qu’un match de tennis n’avait suscité en moi autant d’émotions, à l’occasion de l’enthousiasmante demi-finale de Roland-Garros opposant le Serbe Djokovic, numéro 1 au classement mondial et l’Espagnol Nadal vainqueur du tournoi à 13 reprises en 15 ans. Certes, les médias sont vite prolixes en dithyrambes mais ils estiment déjà que l’on a assisté à l’une des plus grandes rencontres de l’histoire du tennis moderne.

Nadal Djokovic

Je ne vous ai quasiment jamais entretenu de tennis dans mon blog et, pourtant, depuis mon enfance, j’ai un profond attachement à ce sport, autant comme pratiquant qu’en simple spectateur. Cette passion –car cela en fut une un peu émoussée aujourd’hui- me fut transmise, tout gamin, par mon père et mon frère, de neuf ans mon aîné.
La cour de ma « maison école » dirigée par ma maman était un merveilleux terrain d’aventures sportives que j’eus l’occasion d’évoquer dans cet espace. Notamment, il y avait un très haut mur de brique propice à l’apprentissage du maniement de la raquette. Mon père y avait scellé, à hauteur réglementaire, une barre métallique matérialisant le filet. Inlassablement, des heures durant, je répétais mes gammes en lui envoyant des balles usagées qui me revenaient comme un boomerang. Les faux-rebonds provenant des joints inégaux entre les briques et du sol caillouteux de la cour éprouvaient mes réflexes et donc ma technique.
De temps en temps, j’avais le privilège d’échanger quelques balles dans le « court des grands », un « vrai » terrain en terre battue, c’était la seule surface en usage à cette époque dans nos contrées.
J’ignore comment le goût pour le tennis et le bridge vint à mon père, fils de modestes paysans, plus rompu avec son frère aux parties de ballon au poing et balle au tamis sur les mails des villages picards. Possiblement est-il né au contact des autres élèves officiers de l’école de Poitiers, mais aussi de la rencontre avec Édouard Borotra, le frère d’un des légendaires Mousquetaires. Ils sympathisèrent dans des circonstances périlleuses, lors de la bataille de Dunkerque en mai 1940, embarquant ensemble avec cinquante hommes, pour échapper aux vedettes allemandes, sur un rafiot de fortune le Gâtinais.
Au tournant des années quarante-cinquante, à une lieue de mon bourg natal brayon de Forges-les-Eaux, la famille Dubuc produisait (depuis 1890) un fromage crémeux rond à pâte molle et croûte fleurie, l’Excelsior, qui faisait, comme indiqué sur l’étiquette, le délice des gourmets et des gourmands en culotte courte au goûter. Pour des raisons que j’ignore, ce fromage s’expatria en Bourgogne où il est commercialisé aujourd’hui sous le nom de Brillat-Savarin.
Roger, l’un des membres de la famille Dubuc, était un excellent tennisman qui atteignit notamment en 1946 les huitièmes de finale à Roland-Garros et les seizièmes à Wimbledon. Propriétaire d’un lopin de terre à Forges-les-Eaux, il y fit construire un court en terre battue ainsi qu’un coquet bungalow en bois familièrement appelé « la cabane », et créa un club privé réunissant une quinzaine de familles, essentiellement des notables, toujours est-il que mon professeur de père eut la chance d’entrer dans ce cercle fermé, et que, grandissant, j’allais m’adonner aux joies de la petite balle ronde, invité en double à la cour des adultes.
Je vous parle d’un temps qu’évidemment, les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître. Mon propre exemple est anachronique (c’est dire finalement ma chance !), mais le tennis était un sport aristocratique réservé à une certaine élite sociale, pratiqué dans une tenue vestimentaire immaculée, le blanc étant la couleur désignée comme symbole des loisirs d’été de la bourgeoisie britannique. J’avais le choix entre la chemisette Fred Perry, ancien tennisman britannique, brodée de sa couronne de laurier, et la marque Lacoste avec son légendaire crocodile : « Boston, 1923, le jeune prodige du tennis René Lacoste a 19 ans et il aime les challenges. Son capitaine d’équipe le sait et lui promet la belle valise en cuir de crocodile qu’il admire en vitrine s’il remporte le match difficile à venir. René Lacoste n’a pas gagné le match mais il avait la ténacité du crocodile sur le court, c’est pourquoi il fut surnommé ainsi par un journaliste américain ».
Comme beaucoup d’autres sports, le tennis naquit en Grande-Bretagne et jusqu’en 1976, la fédération française de tutelle née en 1920 s’appelait Fédération Française de Lawn Tennis (FFLT) en référence au gazon surface de prédilection britannique.
Dans les années fifties et sixties, casser un boyau de la raquette était une grande frustration pour un gamin comme moi : il me fallait patienter jusqu’à un prochain jeudi que mes parents se rendent à Rouen pour faire réparer le cordage dans le magasin Witty sis rue du Gros Horloge.
La couverture médiatique était très confidentielle. Seules, les rencontres de l’équipe de France en Coupe Davis faisaient l’objet de quelques retransmissions à la télévision nouvellement entrée dans le domicile familial. Comme pour l’émission « La vie des animaux » dont il assura longtemps les commentaires, le journaliste Claude Darget brillait (ou agaçait) par son style feutré, acide et plein d’humour. C’est lui qui popularisa, à l’époque, le fameux postulat du 7ème jeu où il y aurait danger pour le serveur quand les deux joueurs sont à égalité à 3 partout dans un set.
« La Coupe Davis continue d’éveiller l’intérêt des chauffeurs de maîtres, gens impossibles par excellence et qui ont l’habitude d’en voir d’autres. Dimanche dernier, à la corne extérieure nord du stade Roland-Garros, ils s’agglutinaient en petits groupes juchés sur des tas de graviers et un fin crachin étoilait leurs casquettes plates tandis qu’ils entrechoquaient leurs visières pour tenter d’interpréter les clins d’yeux lumineux du tableau d’affichage tendu dans le lointain. Le match Pietrangeli-Rémy touchait à sa fin, mais on ne le savait pas. Tant qu’il y avait de l’éclairage, il y avait de l’espoir. La seule certitude était qu’il ne fallait pas perdre cette partie-là, car des rumeurs avaient franchi la double enceinte de béton et de feuillage portant l’annonce de la défaite de Darmon. Les coups du sort sont sensibles aux gens de maison qui ont le feuilleton proche du cœur et l’imagination prompte. On disait que c’était trop bête d’avoir tenu la victoire en main pour la laisser filer ensuite entre les doigts, mails il n’est pas assuré que tout un pan de ces bonnes âmes n’espérât pas secrètement l’accomplissement de ce monstrueux gag de la fortune, en tout bien tout honneur, pour la beauté de la chose. Pourtant, le climat officiel était à l’inquiétude et à la compétence. Les chiffres, là-bas, ne faisaient plus leurs petits bonds de puces qu’avec parcimonie et l’on s’apercevait, ici, que les échanges s’éternisaient. « Quand ça dure trop longtemps, déclara quelqu’un, c’est pas bon pour Rémy. À la fin, ça lui arrive forcément sur le coup droit … et alors, salut l’aventure ! »
Ainsi suivions-nous le déroulement de cette rencontre capitale, l’œil collé au trou de la serrure, en quelque sorte, et quoiqu’il en allât de l’inconfort de cette situation, il était difficile de s’en détacher…
… Le plus fâcheux était que nous ne pouvions pas juger exactement des péripéties de ce combat invisible, ni communiquer à Rémy les instructions que nous concertions à son intention : « Monte au filet Popaul … N’appuie pas tes coups, le terrain est lourd, ça n’avance pas … » Nous nous trouvions proprement dans la posture d’impuissance d’un état-major privé de ses transmissions.
Et puis, brutalement, la lumière disparut pour ne plus se rallumer dans la colonne de droite et nous comprîmes, sans qu’il fût besoin de chausser les lorgnettes, qu’il n’y aurait plus de balles de jeu parce que les jeux étaient faits. Déjà les chauffeurs les plus diligents renfilaient leurs gants blancs pour se précipiter vers leurs lourdes Packard, et je les imaginais, sur le chemin du retour, le dos rond, l’oreille traînante, guettant à travers la vitre de séparation les commentaires des patrons. Ceux-ci commençaient de quitter le stade en lentes coulées chuchotantes. Le goût me vint je ne sais d’où de prendre à contre-courant, de retourner vers ces gradins que j’avais quittés quelque temps auparavant dans le recueillement, sans pouvoir m’en arracher tout à fait.
Aux abords des tribunes, le soir dénouait des groupes attardés de spectateurs. Au bar, deux dames âgées achevaient avec des regards complices les tasses de thé qu’elles avaient commandées moins d’une heure plus tôt, quand les chances étaient encore égales, ignorantes peut-être de ce qu’une flambée, moins durable qu’une veilleuse, venait de s’éteindre dans leurs dos. Au pied des escaliers de pierre, les contrôleurs vigilants qui en défendent l’accès étaient rentrés dans leur niche, semblables à ces gardiens de cimetière que les approches de la nuit effarouchent. Roland-Garros était rendu, pour combien de saisons encore, à ses fantômes vieux de vingt ans, dont les chaînes reviennent volontiers tinter contre le saladier de M. Davis. Dans le silence retombé, une rengaine qui nous est familière, s’élevait du côté de Boulogne : pourquoi pas « Le Challenge qui passe » ? »
Il faut bien du talent au journaliste pour rédiger un billet à propos d’un match de tennis, en l’occurrence ici mon vénéré Antoine Blondin adoptant un point de vue « à distance » pour exprimer sa déception de l’élimination de l’équipe de France par l’Italie en 1956.
L’Antoine repose au Père-Lachaise où il aimait se promener : « Le Père Lachaise est un lieu très poétique. C’est un cimetière où l’on sait vivre. » Il y situa le chapitre 4 de son roman L’Humeur vagabonde : « J’ai vu tout de suite que ce cimetière n’était pas comme les autres, pas comme celui de notre village par exemple, qui est situé derrière le tennis, et d’où une main invisible vous renvoie la balle chaque fois qu’elle passe par-dessus le mur« … Les morts ont plus de courtoisie que certains, ainsi « à la Cabane », il était compliqué de récupérer la balle que notre maladresse envoyait parfois dans le parc de la maison bourgeoise contiguë !
Le magazine hebdomadaire Miroir-Sprint, d’inspiration communiste, publiait de rares photographies à l’occasion des tournois de Roland-Garros et Wimbledon. Toujours avide et curieux, mon père achetait épisodiquement la « belle » revue mensuelle Tennis de France sur papier glacé noir et blanc qui convenait tout à fait à ce sport manquant singulièrement de couleurs.

Tennis de France-HoadTennis de France Rosewall

À sa lecture, mon esprit s’évadait aux antipodes, en Australie, terre des kangourous et des champions de tennis. Face à mon mur, j’organisais bientôt un tableau de tournoi avec les meilleurs tennismen de la planète, des noms qui me faisaient rêver : Ken Rosewall, Lewis Hoad, Neal Fraser, Ashley Cooper, Roy Emerson. Infatigable, je « jouais » tous les matches.
Antoine Blondin, encore lui, errant dans les allées de Roland-Garros, commettait un billet en date du 30 mai 1956 qui pourrait, près de sept décennies plus tard, faire mal aux oreilles de nos joueurs et joueuses tricolores aux performances assez pitoyables :
« Il paraît que le joueur de tennis australien Lewis Hoad n’aime pas la France. Comme on le comprend, s’il la juge à travers le public ingrat de Roland-Garros. Sacrifiant tout à l’extérieur anglo-saxon, celui-ci n’a pas pu se déprendre l’âme des plus fâcheux ressorts latins. Il affectionne la faiblesse et le drame. Ce garçon blond, dont la santé et le mécanisme prodigieux apparaissent à l’abri des aventures, l’offusque profondément. Il prend son sang-froid pour de l’ennui et son mutisme pour de l’orgueil. Il prête, en revanche, toutes les séductions au héros cascadeur qui entamera cette citadelle.
L’autre soir, après que ces gentlemen se furent montrés particulièrement odieux envers le jeune Australien, je déambulais à travers les courts annexes, savourant la savante conquête de l’ombre sur ce labyrinthe de feuillages et de terres rouges, quand un petit rassemblement attira mon attention. Derrière un grillage, une poignée de connaisseurs au parler circonstancié appréciait un assez prodigieux dressage. Harry Hopman, comme il doit le faire sans doute sur tous les terrains du monde, donnait la leçon publique à deux de ses protégées, deux jeunes filles d’un gabarit de walkyrie, qui menaient de part et d’autre du filet un carrousel farouche autour de leur vieux maître. Celui-ci, casqué d’argent, la lèvre mince, la voix brève, ordonnait le spectacle, comme s’il eût détenu le nombre d’or, et sa raquette zébrait le crépuscule ainsi qu’une chambrière.
Je ne pense pas avoir jamais vu spectacle plus pénible que celui de ces joueuses, la poitrine brimbalante, frappant la balle jusqu’à épuisement, avec des ahans de bûcherons, dans la direction de ce redoutable quinquagénaire. Cela dura des heures et l’on vit des visages, promis à une plus gracieuse fatalité, se crisper d’angoisse, des muscles se nouer, des jambes s’appesantir.
Ce régime, qui fut pendant des années celui de Lewis Hoad, explique abondamment son comportement, qui tient de la bête à concours et de l’enfant délinquant en rupture de maison de redressement. Il plaide l’indulgence et je ne pourrai plus jamais apercevoir ses traits fermés sans qu’ils évoquent pour moi ceux de ces deux petites martyres crépusculaires, ses sœurs, les filles soumises.
Pour Hopman, grand-père abusif dont on ne contestera pas sinon la science du moins le caractère, il est justiciable de la moralité qu’une jeune personne tirait de cette séance : « C’est décidé. À partir de demain, je vais me mettre à faire des progrès au bridge. » »
Un gamin normand, à 120 kilomètres de là, rêvant de Lewis Hoad et du saladier d’argent de la Coupe Davis, servait de toutes ses forces contre son mur !
En pure perte ? À l’adolescence, mon père m’engagea dans des épreuves de jeunes, avant que je participe bientôt à de nombreux tournois adultes qui me permirent d’atteindre … un honnête classement de troisième série jusqu’à ce que des pépins physiques (relatés dans de précédents billets) me contraignent prématurément à l’inactivité !
Arriva mai 68 ! Je me trouvais pour mes études depuis un an à Versailles, à quelques minutes (à cette époque) des courts de Roland-Garros. Quelle aubaine, mais aussi quelle démission civique (dont je n’ai finalement pas à rougir vu l’abstention record à nos récentes élections régionales), j’allais préférer pendant quelques jours le ciment des gradins de Roland-Garros aux pavés du Quartier Latin ! Une chronique de Blondin, encore, peut convenir pour illustrer cette période : « Le souvenir est une résidence secondaire. Ses servitudes exquises sont celles du jardin secret. Le mien emprunte parfois ses allées au chemin qui, longeant, les serres d’Auteuil, aboutit aux frondaisons où s’abrite le stade Roland-Garros. Les jours qui s’annoncent vont y faire resurgir le charivari distingué des Championnats internationaux de France où le tennis proliférant, protégé des rumeurs intruses par ses rites et ses codes, de plus ou moins bonne compagnie, n’est cependant là pour personne. Vous sonnerez en vain à la porte, dans l’espoir d’accéder à ses gradins râpeux et tumultueux, au revers desquels les initiés se croisent le long d’une falaise de béton dans des suavités de garden-party. J’ai connu ces lieux par des printemps d’amandes vertes et par des cinq à sept en cinq sets où l’ondée vous confinait sous le parapluie prestigieux des marronniers les plus snobs du monde. Voici venue l’époque où l’étudiant sèche les cours, l’artisan son atelier, l’employé son bureau, le fiancé son rendez-vous pour un autre, bref, le vrai triomphe du congé de maladie. Celle-ci n’était pas honteuse et portait les germes d’un bonheur que Chatrier (futur président de la Fédération Internationale de Tennis ndlr) a su remarquablement cultiver, aiguiller, exalter … »
Je n’en ai toujours pas honte ! Je goûtais enfin avidement au charme bucolique de ce stade- un court annexe était même joliment surnommé « la campagne »- et aux ambiances feutrées d’alors qui laissaient percer le bruit suave des balles.
Le tennis venait justement d’opérer sa propre révolution. Avant le printemps 1968, le monde du tennis était scindé en deux camps. D’un côté les joueurs dits « amateurs », de l’autre les professionnels, sous contrat avec des promoteurs. Les premiers ne recevaient (en théorie) aucun cachet pour leur participation aux tournois, et disputaient la Coupe Davis et les matchs du Grand Chelem. En revanche, les joueurs professionnels, les meilleurs, n’avaient pas accès à ces compétitions. En échange d’un salaire, ils jouaient les uns contre les autres dans un circuit fermé.
Ce n’est qu’au mois d’avril 1968 que les deux familles trouvent enfin un accord, ainsi le premier tournoi de l’ère open se dispute au British Hard Court de Bournemouth, sur la côte anglaise. C’est ainsi qu’un mois plus tard, j’avais l’immense plaisir de voir évoluer Ken Rosewall, une des légendes du tennis, en quart de finale, tard en soirée, en compagnie de deux cents autres mordus comme moi. Il me semble que j’ai encore en tête le son incomparable de ses coups feutrés.
Quelques jours plus tard, j’assistai, en compagnie de « mon maître du certif » qui entre temps était devenu mon partenaire de double, à la finale opposant les deux Australiens Ken Rosewall et Rod Laver (le seul joueur à ce jour à avoir remporté les quatre tournois du Grand Chelem dans la même année !).

Finale Roland-Garros Rosewall-Laver

Durant une décennie, je n’allais jamais faire l’économie de quelques journées à Roland-Garros qui demeurait un tournoi à taille humaine… pour peu de temps encore. Car la planète tennis allait être agitée des mêmes soubresauts que la société civile. Il est interdit d’interdire … les vociférations du public devint une règle à la mode autour des courts.
Le ciné-fils Serge Daney, longtemps rédacteur des critiques de cinéma dans Libération, fan absolu de tennis, rédigea de 1980 à 1990 dans le même quotidien, de subtiles chroniques sur ce sport qui ont été regroupées dans L’Amateur de tennis. « Ce sont des portraits, des récits, des commentaires, des questions et des réflexions, une manière de parler de tennis comme on devrait parler de littérature ou de cinéma. En moraliste passionné, en critique conscient de tous les devoirs et de tous les enjeux. » Réunies en couverture de ce recueil, ses deux passions sont illustrées par un plan des hilarantes Vacances de Monsieur Hulot, le film de Jacques Tati.

L'amateur de tennis 2

Dans les lignes qui suivent, Serge Daney pointait quelques dérives avec « la naissance des aficionados du tennis :
« .. . Le premier tour du premier Roland-Garros des années quatre-vingt aura fait trente-deux victimes logiques. Mais il risque d’y en avoir d’autres : les arbitres et les juges de ligne qui, dès le premier jour et sur tous les courts, ont été irrémédiablement sifflés, souvent conspués, rarement pris au sérieux et toujours insultés. Ils sont pourtant très nombreux (200) et ils ont un chef, M. Dorfman, qui tel le docteur Mabuse, voit tous les matches à la fois et juge tous les arbitres à la fois. Mardi après-midi, au douzième jeu du quatrième set, et devant une faute incontestable contestée par Panatta (contre Connors), on a vu le central (bourré comme pour une finale) se diviser en deux camps, réclamer deux balles et jeter deux boîtes de coke sur le court (j’allais dire : sur l’arène).
Toute manifestation d’autorité de l’arbitre est mal reçue. Quelques (vieux) juges de ligne, toujours soupçonnés de somnoler, doivent parfois se lever, faire un geste ou hurler pour prouver qu’ils ne sont pas morts et transforment les quolibets en rires.
Évidemment, rien de neuf par rapport à l’année dernière, déjà riche en incidents. Simplement, il semble que rien ne pourra empêcher le tennis de s’éloigner de son passé bon chic bon genre et d’aborder franchement aux rivages du spectacle. Or le spectacle a ses lois et sa morale. En ressuscitant le tennis, en lui rendant sa popularité, la télévision l’a aussi spectacularisé, elle l’a modifié. Cadeau empoisonné ? On a d’abord vu des joueurs se tenir mal parce qu’ils étaient filmés (Nastase). Aujourd’hui, c’est le public qui, à son tour, veut jouer. Avec les joueurs, avec les arbitres, avec lui-même, avec l’image de tout cela. Et comme ce public est de plus en plus nombreux et de moins en moins connaisseur, il joue avec ce qui ne nécessite aucune compétence spéciale : l’art de savoir si une balle est « in » ou « out », bonne ou faute. Sur les gradins, cette année, on voit des spectateurs venus pour discuter les points litigieux ou pour rendre litigieux par leurs cris des points qui ne l’étaient pas. La rencontre entre ce « nouveau spectateur » et l’ancien risque d’être explosive et haineuse. Elle risque aussi d’ajouter au spectacle puisque la loi du spectacle, c’est de tout récupérer…
L’un d’eux suggère que vu le prix des places, le spectateur se sent peut-être en droit d’acheter le droit de conspuer joueurs et arbitres. Il s’attire une réponse cinglante : « Mon cher, pour ça, il y a le foot et la corrida. ». Jusqu’où peut aller cette haine rituelle inséparable des sports de masse ? »
Serge Daney évoquait les mêmes travers dans une autre chronique qu’il intitula avec humour « la sonorité particulière de la raquette de Borg », à l’occasion d’un match entre Vilas et Orantes qui ne débutait jamais : « Quel que soit le mot de la fin de cette ténébreuse affaire, il y a un acteur dont on n’a guère tenu compte dans cette histoire, c’est le public. Ce public (celui dont on vante le nouvel engouement pour le tennis) qui, sous le soleil enfin revenu, emplissait les 4 100 places du court n°1, ce court tout neuf orgueil de Roland-Garros 1980, ce public attendra deux heures qu’on veuille bien … lui parler.
Peu à peu, le rectangle se couvrit d’avions de papier et de bouteilles vides. Il y eut même une peau d’orange… Le public s’attendit en vain à voir surgir les joueurs. En fait, le public voulait le match et il le dit –à sa manière. Sur le court n°1 qui n’est pas si grand, les gradins ne sont pas loin du gratin, les conceptions du monde et du sport s’affrontent vite, la lutte des classes est toujours prête à être mimée. On entend des mots qui ne trompent pas : « populace » « canaille » « la connerie et la stupidité des gens n’ont pas de limites », croit bon de dire un petit homme bien mis. Pourtant le chahut est bon enfant. Si le public met longtemps à comprendre que ce qui ne va pas, c’est qu’on ne lui dit rien. 16h 24, quelqu’un réclame enfin : une annonce. En vain. Tiriac s’en va, l’œil noir, suivi de Chaban-Delmas salué par de simples mots : « À poil Chaban ». Il est enfin annoncé que la partie est remise au lendemain et que les places sont remboursées. »
Avec l’intérêt de plus en plus croissant des chaînes de télévision, il fallut céder progressivement à leur souhait de mieux maîtriser la programmation, time is money ! Ainsi, pour éviter les matches qui s’éternisaient, dès 1970, l’U.S Open fut le premier tournoi du grand chelem à adopter la formule du tie-break (« cassage d’égalité ») –le « p’tit brecque » comme disaient certains novices avec l’accent parigot- mettant fin au set prématurément. Rendons grâce aux organisateurs de Roland-Garros, c’est aujourd’hui le seul tournoi où une rencontre peut encore perdre la raison et dépasser toutes les limites dans la cinquième manche décisive.
Comme les fleurs égayaient les chemises, les tenues prirent des couleurs mettant fin au règne du blanc, à l’exception de Wimbledon où le blanc reste toujours obligatoire.
Moi-même, je délaissais la chemisette au crocodile pour de chatoyants tissus italiens aux couleurs acidulées sans que mon toucher de balle ne s’améliorât pour autant : Fila comme Borg et Vilas ou Tacchini comme McEnroe et Connors.
« Juin 1981, un dimanche de communion. Björn Borg dispute sa sixième finale à Roland-Garros, le public le dévore des yeux, le porte. Cette année-là, l’affiche peinte par l’Espagnol Eduardo Arroyo fige une silhouette de dos, des cheveux blonds domptés par un bandeau. Jamais le tournoi n’avait autant fait corps avec un joueur. Roland-Garros, c’est Borg. Un look christique, une chemise Fila à fines rayures, un poignet éponge jaune et bleu pour accompagner les effets démoniaques de la raquette Donnay en bois cordée à plus de 30 kg qui imprimait à ses frappes une sonorité métallique unique. »

roland-garros-1981

Borg, aussi froid que l’acier suédois, était devenu la première rock-star du tennis et, à Wimbledon, les minettes londoniennes poussaient les mêmes cris hystériques que leurs mères pour les Beatles, deux décennies plus tôt.
La fédération française de tennis opérait une certaine démocratisation de son sport, accélérée par l’avènement de Yannick Noah : le nombre de licenciés augmenta de manière exponentielle. Autour des courts en revêtement tennisquick qui proliférèrent dans de nombreuses communes, les jeunes joueurs commençaient à porter les tenues de leurs champions, à adopter leurs tics et mimiques, souffler sur leurs doigts entre deux échanges, s’essuyer tant et plus, j’en vis même frapper avec leur raquette sur leurs semelles pour détacher la terre inexistante d’un terrain en quick ! Les parents, derrière le grillage, devinrent parfois plus détestables que leur progéniture. Jacques Tati aurait pu faire un petit chef-d’œuvre sur la quinzaine de Roland-Garros, l’essor du tennis et ses effets pervers ou ridicules.

gasquat

Ce Richard G. devint Richard Gasquet

La presse spécialisée prit aussi des couleurs avec la naissance d’une nouvelle revue Tennis Magazine fondée par l’excellent journaliste Jean Couvercelle.
Le jeu lui-même évolua avec l’apparition de raquettes composites. Plus légères, elles le révolutionnèrent en permettant d’avoir plus de force de frappe, d’introduire de nouveaux effets comme l’incontournable lift. Le jeu gagna en puissance, facilitant les passing-shots et mettant donc les adeptes du service-volée en difficulté. Le temps n’était plus, du moins sur la terre battue, aux stylistes, aux « toucheurs de balles » et aux romantiques, apparut une génération de cogneurs de fond de court dont la trajectoire arrondie de la balle, bien au-dessus du filet, donnait plus de sécurité.
Ma trentaine accomplie, je fus heureux comme un gosse quand on m’offrit la fameuse raquette compétition 2 fabriquée par la marque Head sous le nom du légendaire Arthur Ashe, premier joueur noir à avoir remporté un tournoi du grand chelem en 1968 (U.S Open) en battant un autre admirable styliste, le « hollandais volant » Tom Okker. Quel confort après les traditionnelles raquettes en bois !

Version 2

Eh oui! C’est moi!!!

À l’époque, durant l’été, je m’inscrivais aux tournois réservés aux licenciés de la fédération, dans les régions où je me trouvais en vacances. Au pied du Mont-Saint-Clair à Sète, j’eus le plaisir de grappiller … 2 jeux au tout jeune Guy Forget en stage au Cap d’Agde !
Après une observation précise de la programmation, j’organisais ma journée à Roland-Garros autour du match vedette fixé sur le court central. Mais je me laissais du temps pour fureter vers les courts annexes qui offraient souvent quelques pépites et fulgurances, à nous de les subodorer. Je me souviens du jeu de volée de Vitas Gerulaitis « à la campagne », d’un entraînement d’Adriano Panatta, beau comme un dieu romain, que je vis battre deux fois l’imbattable Borg, d’un double dames plein de charme avec Steffi Graf et Gabriela Sabbatini.

Adriano Panatta aux Internationaux de France 78

Avec ses chroniques, Serge Daney avait l’art de nous intéresser à des matches insipides, ainsi « la finale tsé-tsé » de Roland-Garros 1982 : « Chaleur et épuisement hier en finale de Roland-Garros. Le public, venu pour bronzer, a cuit. Les amateurs de service-volée ont pleuré de déception. Les crocodiles ont plissé l’œil de joie. Il y avait de quoi : ce que le bon peuple a redécouvert hier après-midi, c’est le vieil art de la terre battue, rebattue et surbattue, avant l’invention du tie-break, avant la télé, avant le tennis moderne.
Car enfin, un mur ne rencontre pas un autre mur, mais deux murs peuvent se lézarder l’un devant l’autre, sous l’action du soleil et des cris de la foule. Au bout du compte, le mur resté debout a gagné. Le mur Wilander, par exemple. Car ce n’était pas un mystère : Vilas et Wilander n’ont rien à se dire. Tennistiquement parlant, bien sûr. Mais on ne pensait pas quand même que certains points dureraient près de trois minutes et 90 échanges (quatre-vingt-dix !). C’est une façon un peu lente de faire savoir à l’autre qu’on n’a rien à lui dire. Depuis longtemps, on n’avait pas vu de matches où la balle produise à ce point l’effet bébête d’un jokari de plage. Ces balles hautes et lentes, chargées de tout le lift et de toute la haine rentrée du monde (vive la haine sortie, vive le jeu plat, vive Connors !) ont littéralement épuisé les deux joueurs. Et comme ils ne s’écartèrent jamais de ce scénario où on se renvoie la balle comme une mouche tsé-tsé, les rebondissements du match figurent bien dans le score mais n’eurent pas vraiment lieu sur le terrain, tant l’hypnotisme avait gagné tout le monde … »

Guillermo Vilas 2

Guillermo Vilas

Et rebelote, l’année suivante en quart de finale, le central « s’encrocodilisa » : « Vilas-Higueras, ils ont même déprimé le temps. On avait prévu un match fleuve et, pour apporter de l’eau au moulin de cette prévision, la pluie s’en mêla qui interrompit le match et fit de la terre battue une surface plus alourdie sur laquelle les deux laboureurs hispanophobes engluèrent leur jeu et causèrent l’ennui de tous.
Sur Higueras, peu de choses à dire. C’est un joueur bien classé mais sinistre. Lorsqu’il gagne (comme contre Connors l’année dernière), c’est qu’il a réussi à donner une leçon de tennis à quelqu’un qui méritait de la subir. C’est un esthète de la terre battue, aux gestes impeccables, au service de Christ mourant régulièrement sur la croix de la ligne de fond. Sa barbe ne fait pas oublier la couronne d’épines imaginaire qu’il porte sobrement, et on ne l’imagine que donnant des leçons de tennis dans un club pour milliardaires, quelque part au soleil, au sud.
Vilas, c’est autre chose, l’ombre du grand joueur qu’il a oublié d’être, la victime du maternage excessif de Tiriac, et d’une solitude fabriquée de star mélancolique. À le voir attendre patiemment que l’autre fasse l’erreur (et vice-versa), on se dit qu’il doit s’ennuyer. À le voir précipiter son grand corps sur chaque balle, on se dit qu’il ne chôme pas. Au bout du compte, on ne sait plus quoi se dire. À quoi pense Vilas ? … »
Pour goûter au tennis qui me faisait rêver, il me fallut souvent plutôt suivre à la télévision les retransmissions des tournois de Wimbledon et Flushing Meadow : ainsi la légendaire finale de Wimbledon 1980 dont a été récemment adapté un film et que Serge Daney, le ciné-fils, évoqua dans ses chroniques pour « Libé » sous le titre : Borg-McEnroe ou les beautés de la raison pure.

Borg McEnroe

« Le champion suédois a remporté samedi après-midi son cinquième titre consécutif à Wimbledon en triomphant du n°1 américain John McEnroe. Finale idéale qui s’est construite sous les yeux de spectateurs et des téléspectateurs, les joueurs s’obligeant au fur et à mesure du match à toujours plus d’intelligence dans les coups et dans les placements.
Finale épique, inoubliable. Match important. Pendant trois heures et cinquante-trois minutes, très bien filmés par la BBC, Borg et Mc Enroe, dont c’était la première rencontre dans une finale de grand chelem, ont procuré à peu près toutes les émotions du tennis. De l’ennui à l’enthousiasme, de l’angoisse à l’admiration. On n’est pas près d’oublier le plan de McEnroe plié en deux, pleurant silencieusement après sa défaite, ni le regard égaré de Borg après sa victoire. Pendant près de quatre heures, le téléspectateur, lui aussi, a été promené d’un bout à l’autre du court mental de ses certitudes, sans cesse lobé, pris à contre-pied, surpris. Il lui est arrivé, chose rare, surtout en finale, d’assister à un match où les moments de plus grande tension ont été aussi ceux du plus beau tennis. Coïncidence miraculeuse. Les deux hommes n’ont jamais aussi bien joué que lorsqu’ils se sont retrouvés dos au mur, comme si leur vie en dépendait, marque on le sait, des grands champions.
Contrairement au football et au rugby, le tennis est fondé sur un compte à rebours relatif. La durée d’un match dépend de la capacité des joueurs à créer ce temps en plus dont ils ont besoin pour gagner, à le faire surgir au détour d’une phase de jeu…
…On arrive ainsi au tie-break que Mc Enroe va gagner par le score ahurissant de 18 à 16, après avoir sauvé cinq balles de match !
Ce tie-break est, je crois, l’un des grands moments du tennis depuis très longtemps. Les deux hommes s’y engagèrent résolument, sans frime aucune, sans un regard pour le public. Surpris peut-être par la réussite de leurs coups, ils donnent le sentiment, dans ce duel au sommet, de succomber eux aussi aux vertiges de la symétrie, de vouloir et de ne pas vouloir se départager.
Étymologiquement, « tie-break » signifie « couper les liens, dénouer ». Le tie-break permet d’en finir avec un set qui menace de s’éterniser, empêche la crocodilisation du jeu et facilite la retransmission des matches devenus plus courts. Pour toutes ces raisons, le tie-break joue sur la solidité des nerfs, donne parfois lieu à du cirque, mais rarement à du très bon tennis. C’est du moins ce que je pensais avant ce tie-break-là. Car ce qui fut admirable tout au long des trente-quatre points qui y furent disputés, c’est qu’on était arrivé à un moment de la rencontre où tout calcul, toute tactique étaient oubliés, passaient derrière l’émotion des joueurs et qui eux-mêmes pratiquent sans arrière-pensée et malgré la gravité du moment le plus beau tennis qui soit…
Le cinquième set les verra jouer, si j’ose dire « sans filet », sur leur seul talent, alignant à tour de rôle les aces et les jeux blancs. Chaque échange se gravant aussitôt dans la mémoire du spectateur comme un hiéroglyphe ou une figure parfaite qu’on a aussitôt envie de mimer, de dessiner, de raconter.
Si Borg gagna, ce fut de justesse, grâce à quelques retours de services fulgurants. Mais rarement on a eu autant envie d’applaudir les deux joueurs à la fois. Cruel, le tennis ignore le match nul…
Borg envoie la balle là où l’autre n’est plus, McEnroe, lui, aurait plutôt tendance à l’envoyer là où il ne sera jamais. Ses coups les plus beaux consistent à trouver le long des lignes des angles ahurissants, improbables. Au jeu lifté de Borg qui dessine au-dessus du court un volume idéal où les balles ont des trajectoires de satellites, répond un jeu plus plat entièrement fondé sur cette notion d’angle. Différence de technique, différence d’éducation (Borg avantagé par les surfaces lentes, McEnroe par les plus rapides), mais aussi différence de vision du jeu, je dirai même de philosophie. Le tennis de McEnroe, plus généreux, plus kamikaze, plus artiste, nous revient de loin. Grâce à lui, il va y avoir de nouveau un peu de dialogue au sommet. »
Peu à peu, je me rendais annuellement à Roland-Garros, mu par une certaine nostalgie, là où, dans une forme de snobisme populaire, un nouveau public envahissait les gradins parce qu’il « fallait » rendre jaloux, le lendemain, son voisin de bureau en lui disant : « j’étais hier à Roland ! ».
Obtenir des places pour le tournoi auprès des clubs devint de plus en plus compliqué. Avec l’extension du stade, la fédération, business oblige, diversifia le type de billets selon les nouveaux courts principaux que vous choisissiez, Central, court n°1, court A.
Je rendis les armes, de même le modeste joueur classé que j’étais se lassa de participer à des tournois où l’ambiance n’était plus ce qu’elle avait été : on n’y parlait que de son « classement » source parfois de comportements surprenants sur le court de la part d’adultes voire notables.
Sans motivation, j’ai rangé définitivement ma raquette, un peu avant le tournant des années 2 000, est-ce une simple coïncidence, à la mort de mon cher père, lui qui m’avait inoculé le virus de ce sport.
Avec moins de passion et de régularité, j’ai continué, par-ci par-là, à regarder à la télévision quelques finales, l’écrasante suprématie de Rafael Nadal depuis une quinzaine d’années n’aidant pas à m’enthousiasmer. J’allais plutôt glaner quelques fulgurances de Roger Federer sur l’herbe de Wimbledon.

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Et puis … il y a donc eu en ce mois de juin, ce Roland-Garros particulier de fin de confinement et de couvre-feu. Comme en 68 avec Rosewall, j’aurais aimé être de ces heureux privilégiés qui ont eu le bonheur suprême de vivre en soirée, dans ce stade au tiers rempli, cette demi-finale d’anthologie entre Nadal et Djokovic.
Antoine Blondin se noya dans l’alcool, il y a trente ans. Serge Daney fut terrassé dans les années sida. Denis Lalanne qui écrivit une biographie sur ses trois passions au joli titre de Trois balles dans la peau, l’ovale du rugby et les deux petites rondes de tennis et de golf, nous a quittés l’année dernière. Nul doute qu’avec tout leur talent, ils auraient mis en évidence la beauté et la dramaturgie de cette rencontre.
J’associe dans mon admiration pour les deux indéboulonnables champions, le finaliste Tsitsipas, nouvel héros d’aujourd’hui, avec sa belle gueule de jeune pâtre grec. « Beau comme un Panatta », il fait la couverture du premier numéro de 40-A, une nouvelle revue consacrée au tennis, avec le ton décalé du groupe de presse éditeur de Society, le premier quinzomadaire de société.

So 40A

Au sommaire, les marques de sportwear italiennes comme Segio Tacchini, Fila et Ellesse font leur grand retour s’invitant même désormais à la Fashion week. Puissent-elles nous épargner les horribles tenues portées par trop de joueurs dont on dirait qu’ils ont enfilé à la hâte les premiers vêtements trouvés à portée de main dans le désordre de leur chambre !
Pourtant la mode commença dans un carré de service, avant-guerre, avec le couturier Jean Patou qui avait fait de Suzanne Lenglen, la « divine », son égérie.

Suzanne Lenglen

Autre article, au parfum de romantisme, le portrait de Torben Ulrich, un excellent joueur des années 1950, adepte du service volée, plus connu désormais pour être le daron de Lars Ulrich fondateur du groupe Metallica. Caricaturé comme le plus hippie des tennismen avec sa barbe et ses longs cheveux, il a aujourd’hui 92 ans. Quand il participait à Roland-Garros, il descendait à l’hôtel Lutetia pour pouvoir flâner à Saint-Germain-des-Prés, « ce bout de Paris des années 50 où tout le monde était intéressé par Freud, le marxisme et le cinéma ». Il n’était pas question qu’on le fasse jouer le matin, courant la nuit dans les boîtes de jazz, excellent musicien accompagnant même Boris Vian et Sidney Bechet. Peintre expérimental, il réalisa un premier film où on le voit taper des balles enduites de peinture contre une toile noire : « Envoyer la balle contre un mur est une vieille pratique du tennis, je me suis toujours demandé ce que cela donnerait si on laissait une trace dessus. » En 1988, sur une commande de la fédération française, il produisit un second film La balle au mur : il y mêlait des entretiens avec Borg, Rod Laver, Martina Navratilova avec des scènes de déambulation dans un Paris revisité en un immense court.
Sept décennies plus tard, la balle qu’un petit gamin, haut comme trois pommes de Normandie, claquait inlassablement contre un mur, lui est revenue lumineuse par une soirée de juin.

Gerulaitis-Connors

Vitas Gerulaitis et Jimmy Connors se moqueraient-ils de moi?

* Torben Ulrich tennisman et artiste: Image de prévisualisation YouTube

Publié dans:Coups de coeur |on 22 juin, 2021 |Pas de commentaires »

Ici la route du Tour de France 1951 (1)

Après mes mésaventures de santé qui m’ont éloigné de vous pendant quelques semaines, vous ne pouvez pas imaginer la délectation avec laquelle je me plonge, comme chaque année à l’approche de l’été, dans l’évocation des Tours de France d’antan. C’est une forme de rééducation intellectuelle. Je sais bien que si ça ne transportera pas de joie une certaine partie de mes lecteurs, ça en ravit d’autres. Au-delà du caractère strictement vélocipédique des comptes-rendus, chacun peut trouver plaisir à lire les brillantes plumes de l’époque ainsi que le caractère documentaire de cette France populaire en reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. D’ailleurs, je suis persuadé que personne de ma ma génération, même béotien de la chose pédalante, n’ignore les noms de Fausto Coppi, Gino Bartali, Ferdi Kubler, Hugo Koblet, Louison Bobet, Jean Robic inscrits au Panthéon du cyclisme. Je suis fier d’avoir vu courir en chair et en os tous ces champions. Cette fois, je vous emmène, soixante-dix ans en arrière, sur les routes du Tour de France 1951. J’avais 4 ans : je mentirais sans doute si je n’avouais pas que les souvenirs vivaces que je garde de cette grande boucle proviennent exclusivement des centaines d’heures, qu’enfant, j’ai passé dans le grenier de la maison familiale à feuilleter toutes les belles revues consacrées à l’illustre épreuve. Je conserve toujours jalousement ces précieuses collections et lorsque j’ai quelques manques, l’ami Jean-Pierre, cyclotouriste émérite, blogueur* astucieux et archiviste, vient à mon secours. Pour son plaisir solitaire, cet ancien enseignant conçoit des petites expositions dans son minuscule bureau, une véritable caverne d’Ali Baba dédiée au sport cycliste. Première surprise, le départ du Tour de France est donné à Metz. C’est seulement la deuxième fois, depuis sa création, que l’épreuve part d’une ville de province, après Évian en 1926. Les coureurs repassèrent même sur les bords du lac Léman en fin de Tour, l’idée de l’organisateur Henri Desgrange étant de réduire le temps entre la sortie des Alpes et l’arrivée à Paris. Une première pas vraiment concluante, puisque le Tour reprit ses habitudes parisiennes pendant vingt-cinq ans.

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Dès que fut connu le tracé de l’édition 1951, les commentaires allèrent bon train, ainsi ceux d’Albert Baker d’Isy : « Quand je lui ai montré, tracé sur une carte de France, le parcours du Tour 1951, mon père m’a demandé : – Qu’est-ce c’est que cela ? Une nouvelle ligne de démarcation ? Il est certain que rien ne ressemble moins aux contours de la France que ce tracé bizarre et son appendice nordiste lui retire même le droit de s’appeler « Tour ». Certes, on en a déjà vu d’autres. Pourtant un Tour de France qui part de Metz, ne passe ni par la Bretagne, ni par la Côte d’Azur, ni par l’Alsace … mais en revanche fait une pointe dans les Flandres belges, s’enfonce en Auvergne et fait étape à Genève est, pour le moins, d’une conception bizarre … On avait déjà supprimé la grande étape du Nord, le Galibier et le Ballon d’Alsace. Les modifications apportées cette année à l’œuvre de Henri Desgrange achèvent de détruire ce qui subsistait de la conception que nous nous faisions d’une telle épreuve à l’époque où nous inscrivions chaque soir les classements dans les petites cases d’une carte à trois sous achetée faubourg Montmartre, devant le tableau d’affichage. Partir de Paris pour y revenir près d’un mois plus tard, après avoir touché toutes les côtes et toutes les frontières de notre pays, c’était cela l’idée même du Tour de France. Faisons-nous une raison. Nous allons suivre à travers la France et la Belgique une épreuve d’un caractère différent, mais qui peut présenter tout autant d’intérêt, sinon plus. Ainsi l’idée de faire une étape à Paris après quatre jours de course est motivée par des raisons purement commerciales. Il s’agit de réaliser une grosse recette supplémentaire et de donner satisfaction aux « caravaniers » qui préfèrent de beaucoup une arrivée sur circuit à celle du Parc des Princes dont la porte leur est condamnée … … Il est certain que le fait de ne pas longer le littoral méditerranéen évitera au Tour de languir. Mais il nous privera de belles images … Le jour de repos à Nice était une des raisons d’être du Tour de France, une de ces récompenses si utiles au moral des coureurs. Nous en voulons pour preuve ces belles vues panoramiques – en couleurs et couvertes de signatures- que l’on retrouve aux meilleures places dans les intérieurs des routiers flandriens qui ont couru le Tour … » Le jeune Maurice Vidal y allait aussi de son couplet : « On plaisante beaucoup et, dans ce numéro même, le parcours tourmenté de l’épreuve qui n’a plus guère de « Tour de France » que le nom. En vérité, il s’agit bien plutôt cette année d’un « Tour dans la France ». Mais il faut bien reconnaître qu’il n’y a aucune raison sportive valable pour s’en tenir à un parcours formel, sous le prétexte de respecter le contour exact de notre pays. Si ce contour ne comportait pas une seule montagne, il y a bien longtemps que l’épreuve serait allée la chercher là où elle est. Par ailleurs, l’enthousiasme manifesté par les sportifs stéphanois recevant l’an dernier le Tour pour la première fois depuis des lustres, était un encouragement à continuer dans cette voie. On se réjouit d’avance pour tous ceux du Massif Central qui ne pensaient certes pas que le Tour de France passerait un jour par Clermont-Ferrand … » Jusqu’alors, le Tour suivait scrupuleusement les limites de l’hexagone pour le seul bonheur des spectateurs frontaliers et littoraux. Il faut dire que la situation des massifs pyrénéens, alpins et vosgiens sur son pourtour offrait un parcours sélectif. Tant pis pour les conservateurs et les géographes pointilleux, cette fois, le Tour ne verra la mer qu’en deux occasions, au Tréport et à Marseille, et les coureurs rejoindront les Pyrénées par le Massif Central. Le Miroir des Sports, humoristiquement, relate une conférence du comité d’organisation du Tour : « L’itinéraire du Tour de France 1951 n’a pas manqué de surprendre. Bien sûr, il y a longtemps qu’on a renoncé au rigoureux pentagone inscrit entre mers, montagnes et frontières. Mais de là à adopter un tracé en forme de tête de Nimbus stylisée dont la pointe du cheveu serait Metz et le fond de la gorge Clermont-Ferrand- il y a une marge que les organisateurs ont allègrement franchie. Écoutons leurs explications à l’occasion d’une conférence T.D.F. J.GODDET. – Messieurs, j’ai déjà exposé dans les colonnes de mon journal MES vues à propos … (F.LÉVITAN entre à ce moment à pas feutrés) F.LÉVITAN (l’interrompant). – Nos vues … J.GODDET. – Tiens, vous êtes là … (Aimable) Bonjour mon cher Félix … (Ferme) Savez-vous que nos conférences doivent commencer à l’heure militaire ? F.LÉVITAN (finement) – Mon cher Jacques, je suis un Parisien … libéré. (Moins finement) … Libéré, j’insiste … J.GODDET (solennel) – N’acoquinez pas, Félix, la sainte Liberté à l’Anarchie honteuse … (Il reprend son exposé) Je disais donc que la géographie de la France est absolument déplorable. Elle s’obstine, dernière séquelle de … l’obscurantisme, à ignorer la réalité vivante du Tour, cette œuvre de Chair et de Sang … (Il reprend son souffle) La mer nous tend ses trois mille kilomètres de filet. Nous ne nous laisserons pas prendre. Nous fuirons à toutes pédales cette maîtresse lascive et irons nous réfugier ; tel Moïse, au sommet de la montagne où nous attend Dieu. Bref, nous violerons la géographie et foulerons au pied un symbolisme décadent. F.LÉVITAN – Pour vous résumer, mon cher Jacques, disons que dix étapes sur vingt-quatre seront assaisonnées de cols répartis au mieux. Le Massif Central et le Ventoux renforceront le Tribunal du Tour… J.GODDET – Et les Alpes seront instamment priées de se rapprocher de Paris. F.LÉVITAN (enthousiaste) – Le départ de Metz récompensera les vaillantes Marches de Lorraine. IL nous permettra de gagner deux journées … Colonel BEAUPUIS (pratique) – … Et d’encaisser au Parc des Princes deux recettes au lieu d’une … J.GODDET (sévère) – Le Tour n’est pas une affaire d’argent, colonel, mais une entreprise nationale de santé et de moralité publiques. Savez-vous pourquoi nous évitons soigneusement, cette année, les stations balnéaires et barrons d’un trait rouge la Côte d’Azur. F.LÉVITAN (chantonnant) – « Nous n’irons plus au bain/Les crédits sont coupés » J.GODDET – Je disais donc qu’il devenait urgent de protéger les âmes et les corps des tentations diaboliques de la Riviera. L’air salin abîme le coureur. Pis, il rouille vélos et stylos. Nous nous baignerons à Aix, messieurs, et irons prendre des eaux d’Auvergne. R.LETOREY (lyrique) – Par la même occasion, nous rendrons hommage au caoutchouc français, poumon de la bicyclette ! J.GARNAULT (facétieux) – Dans le Tour 1951, en somme, Clermont, c’est le « bleu » d’Auvergne. E.WERMELINGER (naïvement) – Un excellent fromage ! Colonel BEAUPUIS (au garde-à-vous et légèrement à côté de la plaque) – À moi Auvergne, voilà Geminiani ! J.GODDET (poursuivant) – … D’un souffle puissant le Tour a brisé les frontières. Nous passerons donc à Gand … F.LÉVITAN (traduisant) – Il faut prendre des … Gand avec Karel Steyaert, maître du cyclisme flamand. R.LETOREY (complétant) – Pour mieux saisir les francs belges. J.GODDET (qui en est arrivé à sa péroraison) – En somme, messieurs, le Tour tournera mal cette année afin que coureurs et suiveurs n’aient pas la tentation de mal tourner ! R.LETOREY – Le budget du Tour la voilà bien la Grande Boucle qu’il s’agit de boucler ! J.GODDET (soudain songeur et attendri) – C’est égal, j’aurais aimé traverser Cannes encore … J.GARNAULT – Impossible, patron, nous n’avons plus de Vietto de rechange … (Tous se lèvent, Jacques Goddet sort religieusement de sa serviette une photographie d’Henri Desgrange, puis se signe) J.GODDET – Saint Roi René ! Tous en chœur.- Priez pour le Tour ! » Pour conclusion, je cite Roland Barthes qui écrivait dans ses Mythologies : « La géographie du Tour est entièrement soumise à la nécessité épique de l’épreuve. Les éléments et les terrains sont personnifiés, car c’est avec eux que l’homme se mesure et comme dans toute épopée il importe que la lutte oppose des mesures égales : l’homme est donc naturalisé, la Nature humanisée. Les côtes sont malignes, réduites à des « pourcentages » revêches ou mortels, et les étapes, qui ont chacune dans le Tour l’unité d’un chapitre de roman (il s’agit bien, en effet, d’une durée épique, d’une addition de crises absolues et non de la progression dialectique d’un seul conflit, comme dans la durée tragique), les étapes sont avant tout des personnages physiques, des ennemis successifs, individualisés par ce mixte de morphologie et de morale qui définit la Nature épique … » Pour ce qui est de la revue des effectifs en présence et des candidats à la victoire finale, Miroir-Sprint affiche en couverture de son numéro spécial d’avant Tour, le trio maître du Tour 1950, Ferdi Kubler en tête, Stan Ockers et Louison Bobet, auquel il ajoute Fausto Coppi victorieux en 1949.

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But et Club Le Miroir des Sports, plus cocardier, présente dans sa une les portraits des douze tricolores portant les couleurs de l’équipe de France, avec Louison Bobet comme leader.

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123 coureurs sont engagés, répartis en 7 équipes nationales et 5 équipes régionales dont une … d’Afrique du Nord. Le doyen du peloton est le breton Jean-Marie Goasmat, 38 ans, surnommé le farfadet de Pluvigner, amical clin d’œil à un ami.

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Dans son éditorial, Maurice Vidal annonce pour « ce festival du demi-siècle », un quatuor de virtuoses mais aussi (heureusement) des amateurs de fugue » : « L’an dernier encore, avant son accident, Fausto Coppi dominait tout son monde de la tête et des épaules, et c’est avec beaucoup de circonspection qu’après sa victoire dans le Tour d’Italie, on avança que le raffiné Hugo Koblet avait peut-être une classe égale à celle de maître Fausto. Mais depuis, il y eut la victoire de Ferdi Kubler dans le Tour 1950, victoire à panache acquise par K.O, et cette année son extraordinaire triplé Rome-Naples-Rome, Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège, le tout en une semaine. Pour Louison, la chose s’est accomplie plus doucement à partir du moment où il endossa le maillot tricolore de champion de France. Il se trouva transformé. Jamais maillot ne fut plus dignement porté. Que ce soit après le Tour, sur piste, dans le Critérium des As, autour du lac Daumesnil, sur la route, partout il était à la pointe de la bataille. Et cette application, cette volonté, cette ambition, cette fierté devaient tout naturellement aboutir à la grande semaine de mars où le champion français triomphait des meilleurs routiers italiens et internationaux dans Milan-Sa Remo, et des meilleurs français dans le Critérium National. Aujourd’hui, Louison Bobet a largement gagné, surtout après son Tour d’Italie, le droit de figurer honorablement dans le groupe des super-champions du cyclisme. » En contrepoint des « virtuoses », Maurice Vidal cite quelques « amateurs de la fugue », entendez des baroudeurs nullement décidés à subir la loi des maîtres de la route : l’équipier de l’équipe de France Raphaël Geminiani, des régionaux comme Marinelli, Meunier, Piot, Redolfi, dans la montagne Dotto et Vitetta et l’Espagnol Gelabert. Ce sont les conséquences des délais d’édition des magazines de l’époque, finalement Ferdi Kubler, récent vainqueur du Tour de Suisse, ne défendra pas son maillot jaune au départ de Metz. Et il s’en faut de très peu qu’on enregistre le forfait du campionissimo Fausto Coppi. Décidément, la semaine qui précède le départ de la grande boucle est funeste. Après l’accident mortel de Camille Danguillaume lors du championnat de France 1950, le cyclisme est à nouveau endeuillé avec la chute qui coûte la vie à Serse** Coppi, le frère de Fausto, lors du Tour du Piémont.

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On craint alors que Fausto, atterré par l’affreuse nouvelle, renonce à disputer le Tour. Touché par la vague d’émotion et de sympathie du public français et italien, Fausto est présent au départ en Lorraine, dans quelles conditions morales, ça c’est autre chose.

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Ainsi, peut commencer le roman du Tour 1951 sous la plume de Félix Lévitan : « Le titre de ce récit eût dû porter la marque du pluriel. Certes, le plagiait eût été total, mais André Soubiran nous l’eût d’autant plus volontiers pardonné que « Les Hommes en jaune », à l’image des héros magnifiques de son œuvre « Les Hommes en blanc », sont des êtres plongés tour à tour dans la joie, la souffrance, la délivrance, la disparition. Restons cependant à « L’Homme en jaune ». Hier il était brun, demain il sera blond ; aujourd’hui il était petit, dans quelques heures il sera sans doute grand, gai ou triste, souverain ou bon enfant. Qu’importent le visage, le poids, la taille, le caractère, il est « l’Homme en jaune » et comme tel le nombril du Tour. Quelques fils de laine d’or et voilà les populations en éveil, les appétits aiguisés, les journalistes déchaînés, les photographes alertés…

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Le peloton resta compact jusqu’à Gravelotte, 12ème kilomètre, lieu où le Luxembourgeois Diederich poussa la première pointe. Escarmouche vite réprimée dont s’emparèrent les journalistes pour faire valoir leur culture historique à travers l’expression « Ça tombe comme à Gravelotte ». Il faut remonter aux journées des 16 et 18 août 1870 pour en comprendre l’origine. Nous sommes alors en Lorraine, à Gravelotte, tout près de Metz, au début de la guerre franco-prussienne, avec d’un côté, la France et ses 113 000 hommes commandés par le maréchal Bazaine, et de l’autre, la Prusse, forte d’environ 190 000 soldats aux ordres du maréchal von Moltke. L’affrontement est sanglant. Près de 5 300 morts et 14 500 blessés sont à déplorer dans les rangs prussiens ; 1 200 morts, 4 420 disparus et 6 700 blessés dans les troupes françaises. Toujours est il, qu’au cours de cette bataille, il est dit que les balles et les obus d’artillerie s’abattaient avec une telle densité et violence qu’on pouvait dire qu’il pleuvait de l’acier ! Ainsi, métaphoriquement, cette expression s’emploie lorsque la pluie tombe de façon très violente mais aussi lorsque divers événements, généralement non souhaités, se succèdent rapidement.

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L’étape longue de 185 kilomètres mène les coureurs de Metz à Reims à travers des régions fortement marquées par les batailles de 1870 et 1914-1918. Ce ne sera cependant pas une guerre de tranchées. Dès le 45ème kilomètre, Apo Lazaridès, « l’enfant grec », le grimpeur ailé qui a la fâcheuse habitude de perdre de nombreuses minutes en plaine, lance la bonne offensive du jour. Il emmène avec lui les Suisses Giovanni Rossi et Marcel Huber, l’Italien Silvio Pedroni et deux « régionaux », le lorrain Gilbert Bauvin et Gino Sciardis de l’équipe d’Ile-de-France. Sur la piste du stade vélodrome Auguste Delaune, Giovanni Rossi règle facilement au sprint ses compagnons d’échappée.

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« L’Homme en jaune « était absent à Metz, en raison du forfait de Ferdi Kubler, vainqueur 1950, mais six heures après avoir entendu tonner les canons du général Zeller, commandant la région militaire de Metz, le mal était réparé : un maillot jaune s’étalait sur le lit de Giovanni Rossi, commis d’architecte, polyglotte, coureur cycliste de son état, vingt-six ans, célibataire. Les cheveux bruns, le sourire facile, la répartie prompte, Giovanni Rossi n’a pas senti sa poitrine se gonfler d’orgueil lorsqu’il s’est regardé, le lendemain de son succès à Reims, dans l’armoire à glace de sa chambre de l’hôtel des Arcades. « Le jaune me va au teint, bien sûr, mais il serait sans doute sage de ne pas m’y habituer ! » Son leader Hugo Koblet a testé sa forme et les favoris en se lançant à l’attaque à une quarantaine de kilomètres de l’arrivée mais n’a pas insisté.

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La deuxième étape de Reims à Gand (228 km) se dispute sur un parcours difficile en montagnes russes et devant une foule immense. Dans le Miroir des Sports, Gaston Bénac se réjouit : « Des spectacles, des échappées solides, conduites avec décision, nous serions mal venus de nous en plaindre, après avoir gémi les années précédentes sur la monotonie des courses dans la plaine… … La caractéristique essentielle de la course, c’est l’offensive des Belges que Sylvère Maës et Karel Steyaert avaient sermonnés ainsi la veille : « Vous n’avez rien à perdre. Il faut donc attaquer pour prouver que le cyclisme belge n’est pas mort comme l’écrivent nos détracteurs. De plus, vous allez vous trouver sur un terrain très favorable, des routes pavées les plus mauvaises de Belgique, de la poussière, des trottoirs de temps à autre et un public immense et enthousiaste qui ne demande qu’à vous encourager. Les Belges obéirent dès la sortie de Maubeuge où Germain Derijcke s’envola avec beaucoup d’autorité pour conduire seul la course vers la frontière… »

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Ay Derijke Derijke le ciel flamand pleure avec lui de Bruges à Gand ! Le valeureux Belge, victime d’une chute au pied du mur de Grammont, brise son dérailleur abandonnant toute chance de victoire. « Il faut reconnaître que, si les grands animateurs de cette ruée vers Gand, capitale des Flandres, furent les Belges et les Français, le principal bénéficiaire fut le vaillant petit Luxembourgeois Diederich. Il sut admirablement profiter du coup de boutoir des Flamands, désireux de se distinguer à l’arrivée sur les routes pavées. Il faut reconnaître qu’il mérita amplement son succès en lâchant irrémédiablement ses deux camarades de lutte dans cet extraordinaire mur de Grammont, côte aussi dure qu’un escalier et qui en 3 rallonges passe dans une petite ville qui nous rappelle les cités touristiques de montagne.

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Mais Diederich ne se contenta pas de ce succès de grimpeur. Il le consolida par une longue séance de train pendant 45 km, augmentant son avance et décourageant en partie ses poursuivants. Il nous apparut sous l’aspect d’un routier complet et son maillot jaune est d’une qualité plus solide que celui que Giovanni Rossi avait endossé la veille à Reims. » Pour Miroir-Sprint, Maurice Vidal a été ébloui par Hugo Koblet : « Je ne peux résister au désir de vous parler d’Hugo Koblet, la personnalité la plus marquante de ce Tour de France. Bien qu’ayant suivi quelques étapes du Tour d’Italie, j’avais eu l’occasion d’apprécier surtout son élégance et sa gentillesse. Ce que nous lui avons vu faire jeudi restera une des plus belles choses qu’il soit possible en cyclisme. Immédiatement, après la frontière belge, Giguet sortit du peloton sur un trottoir cyclable, bientôt imité par Geminiani. Les deux hommes prenaient vite 150 à 200 mètres. À ce moment, surgissait du peloton un maillot rouge déposant les Magni, Bartali, Coppi et Bobet. Nous pouvions rouler sur la chaussée à sa hauteur et admirer tout à notre aise l’allure du champion suisse. Mains en haut du guidon, sans un déhanchement, sans un rictus, activant avec une grande beauté de geste ses jambes fines, il rejoignit les fuyards en un kilomètre. Puis sautant du trottoir, il démarra et surprit Geminiani. Cent mètres plus loin, il le surprit à nouveau en sautant sur le « cyclable ». Cette fois, Geminiani était décroché. Après quoi, Hugo, satisfait, se releva. D’autres vous diront sans doute qu’il est imprudent, qu’il se dépense beaucoup. Quant à nous, nous avouons que nous trouvons pleine de panache cette parti d’intimidation qu’il livre à ses grands rivaux. Cela nous promet de belles batailles… » Un coureur qui a échappé dans le final à la vigilance des favoris, c’est le rusé et discret belge Stan Ockers, deuxième du Tour 1950, pour empocher la seconde place et grappiller 1 minute et 30 secondes. « On les a comptés par milliers le long des routes, ces Flamands, mordus de cyclisme ! Ils n’avaient, pour la plupart, jamais vu le Tour de France et s’ils ont été déçus par la défaite de leurs compatriotes, ils ont, par contre, été émerveillés par la caravane, à telle enseigne qu’on ne sait plus si, le soir, dans les rues illuminées de Gand, ces hommes titubants avaient noyé leur chagrin ou arrosé leur enthousiasme. – Une bière ! Ce fut la seule fantaisie que se permit Diederich, le héros du jour, l’homme du mur de Grammont, une grande côte raide aux pavés inégaux. – Je vais pouvoir me marier. Ce fut le premier aveu du bonhomme aux journalistes groupés autour de lui. – J’ai un magasin de cycles, mais je voyage tout le temps. Il est nécessaire d’avoir une femme pour le tenir. Je n’étais pas tout à fait riche. Je vais gagner un peu d’argent avec le maillot et j’en profiterai pour m’installer. – Mais il faut trouver une compagne ! Diederich daigna laisser fleurir un sourire : – Oh ! je suis fiancé … Et ses joues pâles s’empourprèrent légèrement. » Le vendredi 6 juillet, la troisième étape, longue de 219 km, ramène les coureurs de Gand jusqu’en France, sur les bords de Manche, dans la station balnéaire du Tréport. Les cinquante premiers kilomètres, avant le passage à la frontière, sentent bon le cyclisme flamand avec la traversée de communes comme Harelbeke et Wewelgem, théâtre de fameuses classiques. On doit à la combativité du Nord-Africain Abd-el-Kader Zaaf, le « casseur de baraque », de rompre la monotonie du début d’étape. Les mordus du cyclisme le connaissent depuis le Tour de France précédent où il « s’illustra » avec sa mémorable défaillance lors de l’étape Perpignan-Nîmes qui s’acheva contre un platane du côté de Vendargues, suite à un usage abusif d’amphétamines. Zaaf est un personnage haut en couleurs qui fait les choux gras des journalistes friands de ses confidences. Ainsi, livrera-t-il en exclusivité pour Miroir-Sprint : « À Gand, j’avais dit a mes amis de Belgique : « Demain, vous me verrez sur la route, car je partirai dès le départ. L’étape vaut la peine qu’on se mette un peu à plat ventre. » Je savais, que de Gand à Courtrai, se trouvaient réparties les primes les plus importantes de tout le Tour de France. Vous pensez que je ne l’avais pas chanté sur les toits, je l’avais dit aux amis mais pas aux autres coureurs, tout au moins pas à ceux qui étaient plus forts que moi. Et le lendemain j’ai guetté, je n’ai pas attaqué à la première prime, d’abord parce qu’elle n’était pas importante el ensuite parce que je ne voulais pas éveiller les soupçons… Je pouvais faire des jaloux. Pour la seconde prime, j’ai encore laissé glisser, mais je me suis approché et pour la troisième, je suis franchement parti. J’ai ralenti dans le pays de Rosseel, parce que je passais devant sa maison et comme j’ai habité chez lui, je connais bien sa femme. J’ai ralenti donc pour serrer la main de Madame Rosseel, elle est enceinte et je devais faire attention de ne pas la bousculer. Mais j’avais le temps ; le tableau indiquait que mon avance était de 4 minutes. Alors j’ai commencé à rouler à ma main, en me disant que j’avais bien gagné ma journée. Car je ne voulais pas gagner l’étape, mais pas du tout, je me contentais des primes. Avec 4′ 40″ d’avance, je me suis arrêté pour attendre le paquet. J’ai vu arriver Rosseel et De Rycke, qui s’étaient détachés. Je les ai laissé passer, puis en réfléchissant, je me suis dit : « S’ils partent devant, c’est qu’ils savent qu’il y a encore des primes à gagner en France… », alors, je suis remonté sur mon vélo pour les rattraper. Ils n’étaient pas frais, les deux Belges, ils commençaient même à flancher… De Rycke a été Iâché le premier. Je pouvais aussi lâcher Rosseel, mais celui-là, c’était mon ami, et c’était vilain de ma part de le laisser… Heureusement, iI avait soif. « Arrête-toi pour boire de la bière», que je lui ai dit, parce que les Belges aiment bien la bière… Il s’est arrêté, et comme moi, je n’avais pas soif, j’ai continué tout seul. Il me restait 30 kilomètres pour atteindre le ravitaillement — Je me suis renseigné pour savoir s’il y avait une prime. — Oui, m’a répondu un officiel, il y a 20 000 francs à gagner ! Alors, j’ai calculé : 20 000 francs pour 30 kilomètres, cela me fera presque 1 000 francs par kilomètre, je pouvais donc faire un nouvel effort. Au ravitaillement, je me suis arrêté pour déjeuner au bord du trottoir, et me laver, j’ai attendu le peloton et je suis reparti avec Iui. Comme j’avais fourni des efforts, je ne pouvais pas suivre le peloton… ce qui n’avait pas d’importance, je suis rentré à ma main. D’autres attardés voulaient que je chasse avec eux pour rejoindre. J’ai refusé, je leur al expliqué que je devais maintenant me reposer pour pouvoir attaquer le lendemain… »

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Ainsi, un trio composé du Hollandais Rinus Wagtmans, du Belge André Rosseel (vainqueur de Gand-Wewelgem quelques semaines auparavant) et de l’ « impayable » (si ! les primes quand même) Zaaf fit la course à l’avant pendant 130 kilomètres.

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L’échappée décisive se constitue à 15 kilomètres de l’arrivée avec le Suisse Rossi, vainqueur à Reims, le Luxembourgeois Kemp, les régionaux Meunier et Cogan de l’équipe de l’Ouest, et Bauvin de l’Est/Sud-Est. Georges Meunier, le « facteur de Vierzon », révélation du Tour 1950, l’emporte de justesse au sprint sur l’esplanade de la plage au Tréport. Bim Diederich conserve son paletot jaune.

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Le Parisien Maurice Quentin, victime d’une chute à vingt mètres de la ligne d’arrivée, est transporté à l’hôpital et doit se résigner à l’abandon. Âme fifties, Aronde « Plein Ciel », Vedette Vendôme, Peugeot 203, 4CV Renault, âme fifties, Georges Meunier sur cycle La Perle, pneus Hutchinson et dérailleur Simplex !

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Les premiers congés payés ont fait le succès du Tréport, la station balnéaire la plus proche de Paris. Bien que le week-end ne fut pas encore ancré dans la France rurale des années 1950, en ce samedi 7 juillet, la quatrième étape du Tréport à Paris (188 km) exhalait un parfum de vacances avec le temps chaud et ensoleillé.

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À cette époque, il y avait classe le samedi jusqu’au 13 juillet, autant dire que le Tour allait nous « passer sous le nez ». Sinon, mon professeur de père nous aurait sans doute emmenés, mon frère et moi, le voir à Aumale situé à mi-distance entre le domicile familial et la ferme picarde de ma grand-mère. Dans mon enfance, Aumale était le théâtre d’une course amateur de qualité qui réunissait les meilleurs coureurs de Seine-Inférieure et de la Somme. Certains routiers du prestigieux club parisien de l’A.C.B.B. venaient y participer. J’adorais leur maillot gris perle ceint d’une bande orange. Quel dommage ! Nous aurions assisté à une échappée royale déclenchée par Marinelli à Saint-Germain-sur-Bresle. Au km 47, le groupe de tête composé, outre la Perruche, de Louison Bobet, Fausto Coppi, Hugo Koblet, le tricolore Pierre Barbotin et le Hollandais Voorting, traversait Aumale avec une avance de 1 minute et 10 secondes.

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La bataille fait rage durant une soixantaine de kilomètres mais sous l’impulsion notamment de Fiorenzo Magni, Robic, Diederich et Ockers, tout rentre dans l’ordre avant Beauvais. À la sortie de la ville de Jeanne Hachette, le Belge Hilaire Couvreur prend la poudre d’escampette, vite rejoint à Noailles par Gino Sciardis de l’équipe Ile-de-France-Nord-Ouest, puis à Méru par le Tourangeau Roger Lévêque de la formation Ouest-Sud-Ouest et le Parisien Forlini.

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Tandis que Sciardis crève, trois tricolores de l’équipe de France, Baldassari, Teisseire et Apo Lazaridès effectuent la jonction dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Il semble que la victoire ne peut leur échapper mais dans la descente de Suresnes, Lévêque leur file entre les doigts et s’impose en solitaire autour de l’hippodrome de Longchamp, haut-lieu du cyclisme où se déroulait chaque année le prestigieux Critérium des As*** derrière derny.

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« Gais et contents, les Parisiens, le cœur à l’aise, s’étaient rendus nombreux à Longchamp pour fêter, voir et complimenter les géants de la route ». À une semaine près, l’étape du Tour à Paris possède un petit côté de revue du 14 juillet. À partir de 1880, le 14 juillet devint fête nationale et un défilé militaire fut organisé dans le cadre champêtre de l’hippodrome de Longchamp jusqu’en 1914. Sur fond de revanche et de « boulangisme » mouvement symbolisant le renouveau de l’armée, cet événement inspira la chanson En revenant de la revue, immense succès comique troupier racontant un pique-nique patriotique virant à la bacchanale. Je vous offre la version chantée par Bourvil, passionné de vélo et normand comme moi !

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En prologue de la cinquième étape, le Tour a été passé en revue, les coureurs défilant sur le pont Alexandre III, avec les Invalides en toile de fond, puis empruntant l’avenue des Champs-Élysées avant de filer vers Chatou lieu du départ réel. Sont-ce ces grandes pompes qui vont interdire toute velléité offensive de la part des favoris ? Finalement, l’étape va se jouer peu après le départ, le long des rives de la Seine. Deux « sans-grade », le toscan Serafino Bagioni et le lyonnais à consonance italienne Angelo Colinelli profitent de l’apathie générale pour s’enfuir peu avant Épône (km 25). On ne les reverra plus de la journée.

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Le parcours, truffé de bosses sévères, présente un faux air de la classique normande Paris-Camembert. Les deux courageux comptent  près d’un quart d’heure d’avance sur le peloton amorphe, à Livarot. Selon le bon mot d’Yvan Audouard digne de l’almanach Vermot, « à Livarot, ne se sentant plus, comme de juste, Biagioni partit seul »! Peu après, dans la côte de la Trabotière (km 174), Colinelli, épuisé, lâche pied laissant Biagoni finir seul à Caen qui porte encore les stigmates des terribles bombardements lors du débarquement de juin 1944. Félix Lévitan, dans son roman du Tour, « L’homme en jaune », évoque les fortunes contraires de Diederich et Biagioni :

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« Diederich connut à l’issue de cette matinée radieuse à la fois le plus beau et le plus triste jour de sa vie. À Caen, le maillot jaune ne lui appartenait plus ! Avoir tant peiné, tant souffert pour se l’approprier, avoir créé de Reims à Gand, une étape dont on parlera encore dans vingt ans, et abandonner sa casaque sans même l’avoir défendue … Diederich fut l’innocente victime de l’engourdissement des « grands » tellement peu préoccupés de l’échappée de Biagioni et Colinelli. Et lui, Diederich, seul avec cette meute à ses trousses, quel était son pouvoir, tous ses compatriotes, Goldschmidt excepté, s’étant terrés dans le gros peloton ? – Ils n’ont même pas le respect du maillot jaune ! s’étonna André Leducq. Diederich en a, paraît-il, sangloté. Il eut la volonté de s’en cacher, et celle d’affirmer, après avoir vertement tancé ses compagnons défaillants : – Ça ne fait rien … je me marierai tout de même !

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Quant au troisième « Homme en jaune » de ce Tour 1951, l’Italien Serafino Biagioni, il eut pour la tunique d’or l’irrespect d’un porteur d’eau : – J’ai l’air d’un canard là-dedans ! Le mot est authentique. Authentique également et d’un goût douteux l’allusion de Gino Bartali à une infortune conjugale possible du « gregario » pince-sans-rire : – C’est pas possible autrement, insista lourdement Gino, qu’on eût imaginé de mœurs plus rigides. Biagioni, entre deux bons mots, se contenta de sourire béatement. Tout cet apparat : maillot, fleurs, baiser de divette en mal de publicité, journalistes, photographes, tout le dépassait, l’anéantissait, le pulvérisait : – Ma mère, ma mère, si tu voyais ton fils comme il est ridicule… Fiorenzo Magni, son patron en course, eut le bon esprit de ne pas ironiser le soir dans leur chambre. – Serafino, c’est très bien. Mets ton maillot jaune demain matin, sans fausse honte ; tu ne l’as pas volé, moi je regrette encore celui que j’ai laissé l’année dernière à Saint-Gaudens. Serafino Biagioni fit une longue prière au réveil : « Notre Père qui êtes aux cieux, que votre volonté soit faite… » Nous verrons si huit heures plus tard, son vœu sera exaucé … En attendant, la presse italienne rend compte avec ferveur de son jour de gloire.

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« Huit heures plus tard, à Rennes, « L’Homme en jaune » avait changé de nom, il s’appelait Lévêque, un grand gars de Touraine, simple, gentil, marié, deux enfants : Serafino Biagioni avait été exaucé ! Lévêque, le vainqueur de Paris, le chef encore orné d’un énorme pansement collé à l’albuplast (souvenir d’une chute dans le peloton) n’était pas atterré comme l’avait été Biagioni, seulement un peu stupéfait : – Ce qu’on va être fier de moi à la maison ! »

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Pierre Chany stigmatisait la nonchalance des seigneurs qui avait favorisé Lévêque ! « Une fois de plus, les vedettes ont laissé courir dans l’étape Caen-Rennes. Après avoir donné au début de la course l’impression qu’elles se disposaient à contrôler celle-ci, elles renoncèrent bien vite. Et nous assistâmes une nouvelle fois à la réussite d’une échappée qui n’aurait jamais dû se développer avec autant d’ampleur sans la passivité du gros du peloton, au sein duquel les Coppi, Koblet, Bobet se pavanaient tout à leur aise. Sans doute, la perspective de l’étape contre la montre du lendemain préoccupait-elle ces messieurs. Et voulaient-ils conserver toutes leurs forces intactes en vue de cette explication singulière qu’ils savaient ne plus pouvoir éluder.

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Toujours est-il qu’à Rennes, à l’issue d’une étape rondement menée, Roger Lévêque, le courageux Tourangeau, est leader du classement général, alors que le tricolore Muller enlevait l’étape. Biagioni, précédent maillot jaune, étant resté toute la journée aux côtés de ses maîtres italiens, n’eut aucune velléité de défendre son bien. En raison des gros écarts enregistrés, de profondes modifications sont intervenues au classement général.. Van Est, l’un des principaux animateurs de l’échappée victorieuse, est aussi, avec Lévêque, le grand bénéficiaire de cette opération. Le Lorrain Bauvin, de presque toutes les offensives depuis le départ de Metz, se hisse à la seconde place du classement général. C’est un résultat qu’il n’espérait certainement pas. Quant aux « grands, leur retard est maintenant de plus d’un quart d’heure. Précisons que cela ne les émeut en aucune façon. » Il fallait noter aussi l’élimination du Suisse Giovanni Rossi, le premier maillot jaune à Reims, souffrant d’un genou.

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Mardi 10 juillet, nous y voilà enfin : cette fois, les cadors ne vont pas pouvoir se défiler lors de cette 7ème étape disputée contre la montre sur 85 kilomètres entre La Guerche-de-Bretagne, petit bourg d’Ille-et-Vilaine, et Angers, la cité du roi René qui ne fut pourtant pas roi de France mais eut notamment les titres de comte de Guise, duc de Bar, duc consort de Lorraine, duc d’Anjou, comte de Provence et de Forcalquier, roi de Naples et de Sicile, roi titulaire de Jérusalem, roi d’Aragon, n’en jetez plus, quel palmarès !

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Comme on la nomme communément, c’est l’épreuve de vérité et Jacques Goddet, directeur de L’Équipe, va même titrer son éditorial: « C’est la vérité toute nue ! Il y a des chiffres qui ne mentent pas. Celui de la moyenne réalisée par Koblet, au-dessus de 40km/h, illumine la performance. De la pluie, du vent aux trois-quarts défavorable, et c’est la plus forte vitesse réalisée contre la montre depuis deux ans. Les rois Coppi, en 1949, Kubler le forcené, en 1950, n’ont jamais atteint le 40 de moyenne. Ce La Guerche-Angers a donc été une compétition de valeur élevée … » Le champion suisse dominateur est pointé en tête partout sur le parcours, sauf au 5ème kilomètre où le maillot jaune Roger Lévêque le devance de 11 secondes, et …surtout à l’arrivée où Louison Bobet est déclaré vainqueur pour une petite seconde ! On connaît la légendaire précision suisse en matière d’horlogerie, et Hugo Koblet, surpris de son fléchissement final, va partir à la recherche du temps perdu. Après s’être fait masser, il lui a paru bizarre d’avoir possédé plus d’une minute d’avance sur Bobet, à 5 kilomètres de l’arrivée, et d’être déclaré battu d’une seconde par ledit Bobet à son passage sur la ligne. Sur le moment, il n’a pas protesté, mais lorsqu’il observe le classement de l’étape, il constate que l’Espagnol Bernardo Ruiz est classé avec un écart de 5 minutes et 44 secondes par rapport à son propre temps, alors qu’il est parti 6 minutes derrière lui. L’ayant doublé, cet écart aurait dû se chiffrer par 6 minutes et 44 secondes. Accompagné de son directeur sportif Alex Burtin, Koblet décide, sans aucune animosité, de se rendre auprès de Jacques Goddet, directeur du Tour, afin de lui demander respectueusement de faire vérifier les feuilles de chronométrage : « Il y a certainement une erreur d’une minute ! » Les commissaires internationaux décident de se réunir et convoquent le chronométreur Raoul Adam qui, par chance, a pris tous les temps deux fois, d’abord au premier passage sur la ligne, ensuite à l’arrivée après le tour de circuit. La double confrontation laisse apparaître pour Koblet un dernier tour en 2 minutes et 30 secondes alors que tous les autres coureurs l’ont bouclé en à peu près 1 minute et 20 secondes. Il faut se rendre à l’évidence : on a bien lésé Hugo Koblet d’une minute au classement. C’est ainsi que, cinq heures plus tard, un communiqué officiel de l’organisation du Tour déclare Koblet vainqueur de l’étape avec 59 secondes d’avance sur Louison Bobet ! Vous imaginez le branle-bas chez les gens de la presse sous les coups de 22 heures : appels téléphoniques en urgence, contre-appels, articles à refondre, titres à modifier etc… Le célèbre radioreporter Georges Briquet clama sur les ondes : « C’est un comble ! Adam n’a pas pu désigner le premier homme ! » Ce à quoi, je journaliste Jacques Marchand répondit : « N’est-ce pas en épousant Ève qu’Adam a montré que l’erreur était … humaine ! ».

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La couverture de Miroir-Sprint montre Hugo Koblet et Louison Bobet, souriants, accomplissant leur tour d’honneur. À cet instant, c’était le champion de France qui était déclaré vainqueur. Pierre About, un envoyé spécial de L’Équipe est émerveillé par le style du champion helvétique : « Hugo, une fois encore, a séduit la manière et les éléments. J’ai retrouvé pendant les trois-quarts de la course, le spectacle artistique qu’il nous avait offert sur les routes de Suisse et d’Alsace entre Bâle et Boncourt. Impression dominante : harmonie des gestes. De son front aussi coulait la sueur –est-ce un effet de l’imagination-, elle m’a semblé plus pure, moins amère. Il n’y a pas d’urée dans la sueur des dieux ! Inversez ce que l’on a emprunté pour l’image à la mécanique moderne : il semble, lorsqu’on regarde Koblet, que son moteur possède une prise directe sur le plat, une surmultipliée pour les descentes, une troisième pour passer les bosses. Alors que les autres peinent, ahanent, lui actionne sa boîte Cotal d’un doigt léger et passe sans ralentir. Hugo, c’est beau ! »

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Au final, malgré le remarquable exploit athlétique du Suisse, les positions entre les favoris ne se sont guère décantées. Koblet, Bobet et Coppi se tiennent en 1 minute, Magni est 4ème, un peu en retrait, à 3 minutes. Bartali et Geminiani qui ne sont pas des spécialistes ont bien limité la casse avec un débours de moins de 5 minutes. Le maillot jaune, le courageux Roger Lévêque, rescapé d’un camp de concentration, s’est sorti les tripes : seizième à 7 minutes et 33 secondes de Koblet, il sauve aisément son paletot de leader. Son second Gilbert Bauvin, qui le talonne à un peu plus d’une minute, apparaît comme sa principale menace dans les étapes à venir. Douze coureurs ont terminé hors des délais parmi lesquels Robert Chapatte, le futur téléreporter, et 4 éléments de l’équipe d’Afrique du Nord. Ça passe pour le populaire Zaaf bon dernier de l’étape à 18 minutes et 47 secondes de Koblet.

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Maurice Vidal, moralisateur, fustige sur son bloc-notes dans Miroir-Sprint le dilettantisme de certains coureurs : « La pratique d’un métier peut hélas, n’être qu’un moyen de gagner durement sa vie. C’est le cas de bien des travailleurs qui n’ont pas eu la possibilité de choisir leur gagne-pain. Mais l’exercice d’une profession choisie, comportant dans son accomplissement des satisfactions certaines, peut être une fin en soi, en même temps qu’un exaltant moyen, non seulement de conquérir le bien-être, mais de faire œuvre valable. L’amour du métier est l’un des grands sentiments des hommes libres. Le métier de sportif professionnel est dur, très dur, puisqu’il exige de ceux qui le pratiquent, qu’ils y consacrent la totalité de leurs forces vives, qu’ils n’en prélèvent aucune parcelle pour l’un des quelconques plaisirs de la vie qui sont le droit et la joie des autres. Mais c’est aussi un métier qui apporte de belles satisfactions morales et matérielles. À condition, précisément, qu’on le fasse sérieusement. La classe n’excuse pas le laisser-aller, l’esprit de facilité. Elle comporte au contraire pour celui qui la possède des devoirs, ne serait-ce que par respect pour ceux que la nature n’a pas doté de moyens aussi grands. Ceci est valable pour un certain nombre de coureurs du Tour de France. Je ne me donnerai pas le ridicule de conseiller des hommes qui connaissent leur affaire et que personne ne remplace lorsqu’il s’agit de souffrir. Il y a dans ce Tour des humbles, des sans-grade, des sans-classe, qui font obscurément leur travail, sans espoir de grandes victoires, ni même de profit matériel. Ceux-là sont limités et font leur maximum avec le maximum de privations. Il y a également de très grands champions richement doués, comme Coppi, Bobet, Koblet, Bartali, Geminiani, Magni et quelques autres. Ceux-là aussi font leur métier sérieusement, car à la base du succès, même pour un champion, il y a le travail. Le soir de l’étape contre la montre, alors qu’il aurait pu savourer en paix ce qu’il croyait encore être une victoire, Louison Bobet faisait le tour des chambres de ses coéquipiers et donnait des conseils, reprochant à certains d’abuser des canettes de bière ou de s’alimenter avec excès. Hugo Koblet, crédité d’un temps qui devait s’avérer faux, réfléchissait à sa course, se penchait avec attention sur les feuilles de chronométrage, et, s’étant fait une opinion précise, déposait une réclamation si bien argumentée qu’elle devait lui donner la victoire. Par contre, nous avons vu arriver à leur hôtel des coureurs comme Demulder, Van Ende, Forlini et même Ockers, ne sachant pas leur temps exact et donc les conséquences de leur course. À peine descendu de machine, Rosseel nous demandait du feu et grillait la première cigarette de la soirée. Un garçon comme Chapatte, qui fut un coureur brillant, et qui se trouvait éliminé à l’issue de l’étape contre la montre, s’étonnait de ne plus obtenir de résultats. Charles Pélissier lui fit observer qu’il n’avait sans doute pas assez sacrifié à son métier au moment de ses succès. Après discussion, Chapatte finit par reconnaître : « En effet, je crois qu’il vaut mieux commencer durement dans cette carrière. Ainsi on acquiert le goût de l’effort, on apprécie mieux chaque parcelle de succès, et les progrès sont obligés de précéder les avantages acquis. » Eh oui, c’est la grande loi du travail. Et puisque nous parlons de Charles Pélissier, arrêtons-nous un instant sur ce cas attachant : le temps n’est pas si loin où je n’étais qu’un admirateur parmi tous ceux qui lui témoignent chaque année leur sympathie sur le bord des routes. Mais je peux honnêtement dire que mon estime a bien grandi depuis que, le côtoyant fréquemment, j’ai appris de lui ou de son admirable compagne, de quelles luttes, de quelles privations est fait le succès qui couronne aujourd’hui une brillante carrière. Charles possédait un nom difficile à porter et qui pouvait être un sérieux handicap, comme le savent bon nombre de fils ou de frères de champions. Moins doué que ses frères, il dut mener contre lui-même, contre son tempérament, une bataille de tous les instants. Attentif au moindre écart, menant une vie monacale, sacrifiant tout à un métier qu’il adorait, trouvant intelligemment une personnalité, il finit par triompher de préjugés souvent hostiles, et à force d’acharnement et de courage, les petites victoires au bout des grandes, il finit par devenir l’un des plus brillants coureurs de son temps, et l’un des plus populaires du cyclisme français. Il avait certes hérité du nom de Pélissier, mais il s’était fait celui de « Charlot ». C’est un exemple qui a fait ses preuves. Il est bon à suivre. » La fatigue des efforts de la veille, le temps pluvieux, un fort vent de côté défavorable et la perspective de la journée de repos du lendemain n’incitent pas aux offensives entre Angers et Limoges. Les crevaisons sont les faits principaux du début d’étape avec la chute et l’abandon du Normand Roger Creton.

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« Dix coureurs se retrouvaient ensemble à trente kilomètres de Limoges sur une route accidentée comme on en trouve énormément dans le Limousin : Rosseel, Lauredi, Geminiani, Voorting, Diederich, Cogan, Desbats, Diot, De Hertog et Van Steenkiste. Dix kilomètres plus loin, Lauredi, désireux d’améliorer sa position au classement général et … de gagner une étape, démarrait avec le Belge Rosseel dans son sillage.

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Geminiani, alors, s’ingéniait à ralentir les autres, ce qui n’était pas une tâche facile, Diot et Diederich se montrant particulièrement agressifs. Lauredi faisait le forcing avec un Rosseel passif dans son sillage, car ce dernier, appliquant les consignes données par Sylvère Maës, refusait de relayer l’Azuréen, ce qui explique sa trop facile victoire à l’issue d’un sprint disputé sur la piste aux virages plats de Limoges (je ne sais si Rosseel avait lu l’article de Maurice Vidal !). À l’arrivée, Nello Lauredi avait cependant repris cinq minutes au trio des « grands ». Quant à Geminiani, paralysé par l’esprit d’équipe, il tenait la gageure de protéger Lauredi tout en prenant de l’avance sur le peloton, détruisant définitivement la légende du Gem « tout fou ». Il reprenait pour sa part quatre minutes au trio « K.B.C. » et il s’offrait même le luxe de la troisième place au sprint devant des routiers-sprinters comme Voorting, Diot et Desbats. » De bonne augure alors que se profile sa région d’Auvergne ! La venue du Tour pour la première fois en Limousin constitue un événement exceptionnel et notamment la caravane publicitaire enthousiasme le public, la palme de l’originalité revenant au car des laines SOFIL, parrain du maillot jaune, avec sa coque en plexiglas en forme de pelote et 4 immenses aiguilles à tricoter. C’est toujours Roger Lévêque qui revêt la tunique aux fils d’or offerte à chaque étape par l’entreprise textile de Tourcoing.

Caravane Sofil 2021-05-19 à 09.33.10

Durant la journée de repos, Fausto Coppi reçoit de la municipalité un superbe vase en porcelaine locale. Très touché par ce geste, Fausto remet un mandat pour les pauvres de la ville. Pendant que Louison Bobet reste aux soins dans sa chambre, Lucien Lazaridès se rend en visite au village martyr d’Oradour-sur-Glane. Le populaire radioreporter Georges Briquet, natif de Limoges, retrouve sa maman. Scène extraordinaire : le public limougeaud, en « tenue du dimanche » (nous étions le jeudi 11 juillet) admire sagement Hugo Koblet déjeunant de tranches de jambon avec de la mayonnaise.

Koblet hôtel 2021-05-19 à 09.30.30

Une décennie plus tard, je mangeais avec mes parents, au buffet de la gare de cette même ville de Limoges, à la table voisine d’Anquetil, Darrigade, Graczyk et Nencini qui disputaient un critérium dans les environs. Les cars pullman aux vitres fumées, les espaces réservés aux invités VIP interdisent aujourd’hui telle liesse populaire. Détendons-nous ! Je vous retrouve après la journée de repos pour vivre la suite de ce Tour de France prometteur.

* Vélos…VELO ! https://vlosvlo.blogspot.com/ ** J’ai évoqué la mémoire de Serse Coppi, le frère de Fausto, lors de ma visite dans le village natal où ils reposent : http://encreviolette.unblog.fr/2016/08/27/vacances-postromaines-10-les-cerises-de-castellania-village-natal-de-fausto-coppi/ *** http://encreviolette.unblog.fr/2013/12/01/histoires-de-criterium/ Pour décrire les premières étapes de ce Tour de France 1960, j’ai puisé dans les magazines bihebdomadaires Miroir-Sprint et Miroir des Sports But&Club, dans le numéro spécial d’après Tour de France du Miroir des Sports, « Hugo Koblet le pédaleur de charme » de Jean-Paul Ollivier (éditions Glénat), La fabuleuse Histoire du Tour de France de Pierre Chany et Thierry Cazeneuve (Minerva) Remerciements à tous ces écrivains journalistes, photographes et … coureurs qui, soixante-dix ans plus tard, me font toujours rêver.

Publié dans:Cyclisme |on 12 juin, 2021 |Pas de commentaires »

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