Ramassez les petits bonheurs de 2021 !
Ouf, nous y voilà ! En 2021 ! Drôle d’idée d’aspirer à vieillir plus vite !
Sous le gui, on n’a même pas pu s’embrasser, respectueux des gestes barrière, pour nous souhaiter une nouvelle année pleine d’espérance.
J’ai l’habitude de vous dresser, à l’occasion de ce passage calendaire, un bilan de l’année échue, du moins à travers le prisme de mon blog.
Une année de m… à cause (ou pas) d‘un pangolin ou d’une chauve-souris (on ne sait même plus), quand me reviennent en tête les compagnons et compagnes de vie, à un titre ou un autre, parfois juste parce qu’ils étaient dans mon paysage, qui en ont eu marre de cette vie-là.
Je pleure, moi qui aime le music-hall, Juliette Greco, Idir, Guy Bedos, Graeme Allwright, Christophe, Anne Sylvestre, sans oublier Trini Lopez et son marteau, Ivri Gitlis et son violon, Claude Bolling et son piano, Ennio Morricone le siffleur des westerns de Sergio Leone, l’Annie Cordy de l’opérette La route fleurie (oui, je l’avais empruntée avec mes parents) avec Bourvil et Georges Guétary, Kirk Douglas, Sean Connery pour le cinéma hollywoodien, Michel Piccoli, Didier Bezace, Michael Lonsdale, Claude Brasseur, Jean-Loup Dabadie, et en dernière heure Robert Hossein, pour le cinéma et le théâtre français (ainsi que la délicieusement vénéneuse Caroline Cellier de L’année des méduses), Alan Parker pour Birdy et Mississipi Burning, les dessins de Claire Bretecher et Albert Uderzo, Diego Maradona, Robert Herbin, Michel Hidalgo, Gérard Houiller et Christophe Dominici qui enchantèrent mes stades, Jean Daniel fondateur du Nouvel Observateur et Gisèle Halimi, Alain Rey et son amour de la langue française, les chefs Pierre Troisgros et Marc Meneau pour les nourritures terrestres, j’en oublie c’est certain. Vertigineuse liste !
Que vous souhaiter, que se souhaiter ? Alors que déjà on nous serine au quotidien de troisième vague et de vaccin scepticisme …
Un ami m’a écrit : « Ce 25 décembre s’est éveillé sous la neige et, je l’avoue, cela m’enchante, le gosse en moi resterait des heures à contempler la chute virevoltante des flocons. »
Ça m’a ravi. Une émotion simple, le souvenir d’une récitation du temps de ma communale comme la psalmodiait encore, juste avant le déluge, la merveilleuse Lucie* du si émouvant documentaire de Sophie Loridon.
La neige
« Elle tombe sans bruit, tourbillonne, et, discrète,
Flocon après flocon, timidement s’arrête
Sur les monts, sur les toits, sur les arbres transis,
Sur le houx qui résiste et le genêt qui ploie.
Sur l’étang solitaire où son aile se noie,
Sur la route où se hâte un passant indécis.
La neige ! à ce seul mot on se serre dans l’âtre
Où le hêtre encore vert tord sa flamme bleuâtre.
O la longue veillée ! ô les contes charmants !
Les histoires de loups de l’aïeul qui tisonne,
Qui font qu’on se rapproche encore et qu’on frissonne;
Et qu’on regarde vers la porte à tous moments !
Et les châtaignes d’or qui, dans la poêle sombre,
Partent comme des coups de pistolet dans l’ombre,
Pour le plus grand bonheur des marmots ébahis !
Et le vin blanc nouveau souriant dans les verres,
Et qui fait s’envoler des gosiers peu sévères
Les gais propos et les vieux refrains pays !
Le soleil sur la neige ! ô splendeurs aveuglantes!
Dans les prés, dans les champs, sur les rocs, sur les plantes,
Tout brille, tout ruisselle; on dirait que les cieux,
Réduisant en flocons les étoiles qu’ils roulent,
En ont couvert le sol pour que nos pieds les foulent,
Et qu’une heure, de près, les contemplent nos yeux. »
L’institutrice de mon école normande, qui avait choisi ce poème, était née au pied du Causse de Sauveterre. Moins surprenant donc, car son auteur, François Fabié (1846-1928) était d’origine aveyronnaise, enfant d’une mère paysanne et d’un père meunier et bûcheron, reçu premier à l’École Normale d’instituteurs de Rodez. Il mena une double carrière de professeur de littérature et de poète.
On le considère parfois comme un poète de terroir, de clocher, chantre de sa terre du Rouergue chère aussi à Georges Rouquier l’inoubliable documentariste de Farrebique et Biquefarre. Ce qui pourrait sembler modeste, étriqué, voire peut-être dédaigneux – il se définissait lui-même comme « un de ces chanteurs à la Brizeux (poète breton du XIXème siècle ndlr) qui dans tout l’univers ne voient qu’un coin de terre » – véhicule en fait des valeurs d’authenticité, de reviviscence, d’écologie comme on ne disait pas à son époque.
Soyez curieux, en cette époque de confinement, l’esprit peut encore circuler, grattez sur la Toile quelques merveilles de François Fabié. Il y en a pour toutes les saisons, ainsi il vous proposera d’être, en juin, un berger d’abeilles lorsque les prés sont des corbeilles et les champs des mers de froment. Un beau métier n’est-ce pas ? Encore qu’il ne garantisse pas le plein emploi, la population d’insectes de la famille des Apoïdes étant en forte décroissance.
Mon ami, qui regarde tomber la neige, aura peut-être la bonne idée de lui emprunter Les Moineaux** :
« La neige tombe par les rues,
Et les moineaux, au bord du toit,
Pleurent les graines disparues.
« J’ai faim ! » dit l’un ; l’autre : « J’ai froid ! »
« Là-bas, dans la cour du collège,
Frères, allons glaner le pain
Que toujours jette – ô sacrilège ! –
Quelque écolier qui n’a plus faim ».
A cet avis, la bande entière
S’égrène en poussant de grands cris,
Et s’en vient garnir la gouttière
Du vieux collège aux pignons gris.
C’est l’heure vague où, dans l’étude,
Près du poêle au lourd ronflement,
Les écoliers, de lassitude,
S’endorment sur le rudiment.
Un seul auprès de la fenêtre,
– Petit rêveur au fin museau, –
Se plaint que le sort l’ait fait naître
Ecolier, et non pas oiseau. »
En mal d’inspiration, je suis allé relire mon billet à l’aune de l’année 2020. Je le commençais par une évocation nostalgique des cafés de nos villages qui participaient au maintien d’un lien social de plus en plus distendu … Pressentais-je quelque chose, un an plus tard, ces cafés, bistrots, rades, zincs, brasseries ont baissé leur rideau et la date annoncée de leur réouverture est déjà ou encore incertaine.
Heureusement, on a permis aux conviviales librairies indépendantes de rouvrir. Je m’y nourris, je m’y goinfre même, je fais moisson d’ouvrages qui seront peut-être sujets de futurs billets.
Il en est un qui ne m’était pas, a priori, destiné, et dont je me repais : On va déguster l’Italie !
Il pèse 3 kilogrammes, roboratif au vrai sens du terme, un fortifiant culturel. Le plus cocasse, c’est qu’en voulant lui trouver une place dans la bibliothèque, ma compagne a redécouvert, bien planqué, son frère jumeau, tout aussi imposant, tout autant revigorant. Vous imaginez le dialogue : « voilà ce que c’est que de ne pas ranger » dit l’une, « ou de trop bien ranger » dit l’autre » ! Bref, du vécu !
Rouvrez les restaurants, les brasseries, les bistrots, les estaminets, les winstub et même les gargotes ! Je salive d’un petit salé lentilles au Martignac, rue de Grenelle, près des ministères et des Invalides. « Ici, pas de wifi, parlez-vous ! » pouvait-on lire au-dessus de la banquette. Mais le sympathique patron n’aura-t-il pas mis définitivement la clé sous la porte ?
Lentille verte du Puy ou lentille blonde de Saint-Flour nommée aussi joliment « lentille de la Planèze » ? « Esaü a bien eu raison d’échanger son droit d’aînesse contre un plat de lentilles ; c’est si bon ! Si la Bible ne dit pas desquelles il s’agissait, c’est qu’il y a l’embarras du choix parmi celles cultivées en France » (Estérelle Payany).
Vous aurez compris que, cette année, je ne me lancerai pas dans de vains souhaits. Pour espérer une réponse festive à la question du gamin de la photographie, cueillez le moindre petit bonheur que 2021 souhaitera nous accorder !
Ramassez le premier que vous chante Félix Leclerc !
* http://encreviolette.unblog.fr/2019/06/12/lucie-vareilles-est-entree-dans-paris/
** http://encreviolette.unblog.fr/2011/07/12/la-pie-ne-fait-pas-le-moineau/