Fables plastiques, un voyage au pays des Anoures
Après avoir traversé quelques heures graves avec l’assassinat horrible d’un professeur, j’ai envie justement de partager avec vous quelques souvenirs professionnels du temps où, m’écartant de mes études d’histoire et géographie, je choisis de plonger dans le monde fascinant des images.
Ainsi, outre de fournir pour le comprendre quelques clés aux étudiants d’une ancienne école normale d’instituteurs mue en institut universitaire de formation des maîtres, je réalisais des documents vidéo sur des expériences pédagogiques susceptibles de les éveiller dans leur future mission d’enseignant.
Filmer la pédagogie peut s’avérer austère encore qu’une collaboration avec l’iconoclaste professeur Choron* me permit d’arpenter des chemins de traverse insoupçonnés au mépris de « bien- pensants » de l’Éducation Nationale de l’époque.
Plus sérieusement, j’eus le bonheur de fréquenter, et souvent me lier d’amitié, avec quelques professeurs qui m’entraînèrent dans des aventures épanouissantes.
Pour évoquer l’une d’entre elles, je vous offre en préambule un poème que, probablement, des lecteurs de ma génération vinrent, étreints par le trac, « réciter au tableau » au temps de leur école communale :
« Nous vous en prions à genoux,
bon forestier, dites-nous le !
à quoi reconnaît-on chez vous
la fameuse grenouille bleue ?
à ce que les autres sont vertes ?
à ce qu’elle est pesante ? alerte ?
à ce qu’elle fuit les canards ?
ou se balance aux nénuphars ?
à ce que sa voix est perlée ?
à ce qu’elle porte une houppe?
à ce qu’elle rêve par troupe ?
en ménage ? ou bien isolée ?
Ayant réfléchi très longtemps
et reluquant un vague étang,
le bonhomme nous dit: eh mais,
à ce qu’on ne la voit jamais
Tu mentais, forestier. Aussi ma joie éclate !
Ce matin je l’ai vue ! un vrai saphir à pattes.
Complice du beau temps, amante du ciel pur,
elle était verte, mais réfléchissait l’azur. »
Sachez donc que moi aussi, plus fort que Paul Fort, j’en ai vu des vertes et des pas mûres comme on dit, des grenouilles bleues bien sûr mais pas que … !
D’ailleurs, on en recense près de 4 000 espèces : rainette, pélobate, oxyrhine, discoglose, peinte, ponctuée, brune, rousse ou verte, commune ou agile, des joncs et des champs, grecque ou ibérique, du Nord ou des Pyrénées, à lèvres blanches ou maculée de l’Orégon, léopard mouton ou taureau, rieuse, fouisseuse, il en est même une pisseuse…
Avant d’embarquer dans ma croisière au pays des Anoures, il me faut vous présenter le capitaine de vaisseau qui me promena de mare en étang. Joël Paubel est à « l’eaurigine » un professeur agrégé d’arts plastiques qui se définit aussi comme plasticien et jardinier**. Il dispense aujourd’hui son savoir « agri-culturel » à des étudiants de Sciences Po. Pour tout cela, il fut adoubé chevalier des Arts et des Lettres.
J’avoue que lorsque je fis sa connaissance, je fus un peu soupçonneux sur ses « excentricités » pédagogiques mais, bien vite, mes doutes se dissipèrent. Avec lui, c’en était fini des tristes « cours de dessin » où l’on devait reproduire une tête de cheval en plâtre (j’y fus contraint) ou une cruche et un bol en respectant la perspective et les jeux d’ombre et de lumière ! Il fallait sortir des enseignements trop académiques : de l’air !
Parmi ses projets peu académiques quoi qu’ils fussent souvent initiés à l’échelle de l’académie, je fis partie, dans la baie du Mont Saint-Michel, des cinquante « cirés jaunes » qui creusèrent dans le sable à marée basse, au pied du rocher, devant des milliers de curieux installés sur les remparts, une spirale qui s’effaça peu à peu avec la montée des eaux. Je peux m’enorgueillir aussi d’avoir réalisé (peut-être) le plus long travelling de l’histoire du cinéma en filmant, juché sur une draisine, 1 600 mètres de dessins d’élèves prolongeant l’œuvre Parcours de Dubuffet, déroulés sur une voie ferrée désaffectée. Autre projet qui n’était pas alors « Monet courante », il permit à des écoliers de cours moyen de se confronter comme l’illustre peintre aux jeux de lumière autour du bassin des Nymphéas fermé au public.
Allez, en route : la fois dont je vous entretiens aujourd’hui, le bonheur fut dans un pré de Bresse. Avant que dans L’enfant des marais, l’émouvant film de Jean Becker, Jacques Villeret ne trinquât à la santé de Pépé la Rainette, l’as des as de la grenouille, alias Michel Serrault, j’eus le privilège de filmer une pêche presque miraculeuse dans la mare des Tronchailles, du côté de Marboz. Un adroit paysan, avec un simple bâton et une ficelle, attrapa en un tour de main une dizaine de grenouilles vertes ou Rana esculenta, vous savez bien qu’au cinéma, plusieurs prises sont nécessaires ! Que les intégristes de la cause animale se rassurent, toutes les figurantes batraciennes furent rejetées immédiatement dans le « sirop de grenouille » selon l’expression populaire assimilée à l’eau.
Mais le lendemain, à l’occasion d’une autre partie de pêche, quelle ne fut pas notre surprise, écoutez les deux paysans deviser en patois bressan :
S’écrivait sous nos yeux une énième fable ayant pour personnage central, héros ou victime, une grenouille : de pauvres bestioles vertement fluorescentes au ventre comme irradié gisaient dans le marécage. Le nuage de Tchernobyl avait-il survolé les Dombes ?
« Depuis les débuts de l’humanité, le bestiaire fait figure d’une représentation allégorique, et parfois moraliste, du monde. Dans la manière de penser le monde animal, on retrouve de tous temps le mode de penser l’humain dans une culture donnée. Sur la scène de l’art actuel, les références à l’animalité se font nombreuses. Notre époque s’y prête, que ce soit par l’accent mis sur le corps, les problèmes environnementaux ou les maladies suscitées par notre mode de vie contemporain*** ».
À l’époque de ce projet, nous allions négocier, l’année suivante, le virage vers le XXIème siècle. Vingt ans plus tard, en pleine pandémie et violentes querelles sur la cause animale, les images nous interpellent avec encore plus d’acuité. Il ne faut jamais se gausser des délires d’artistes. Dans leur anticipation créatrice, ils sont souvent lucides.
Il y eut le bestiaire de Joseph Beuys et notamment sa performance dans une galerie de New York où il passa trois jours en compagnie d’un coyote sauvage, les vaches paisibles des tableaux de Rosa Bonheur, celles « tranchées dans le vif » et mises dans le formol de Damien Hirst, les chats d’Alain Séchas, la monumentale araignée de Louise Bourgeois. Quand, dans une œuvre de Jérôme Bosch, une grenouille engloutit le sein d’une femme, c’est pour symboliser la luxure, quand elle s’attaque aux mains, c’est pour symboliser l’avarice, à l’estomac c’est pour la gourmandise, et aux pieds pour la paresse.
Joël Paubel choisit, lui, de nous alerter sur les grenouilles désertant peu à peu sa Bresse natale qui battait, il n’y a pas si longtemps, des records d’humidité. Malgré la protection des espèces (arrêté du 24 avril 1979 fixant la liste des amphibiens et reptiles protégés sur l’ensemble du territoire), elles sont très menacées à cause de la dégradation et de la destruction de l’environnement naturel, de l’agriculture industrielle, de la disparition des mares, des marais et des étangs, de l’urbanisation, des dangers de la route, du réchauffement du climat, de l’excès d’ultraviolets, de la pollution en général et des pluies acides en particulier.
Ses grenouilles irradiées inauguraient une vaste opération artistique qui allait fédérer, essentiellement sur le département des Yvelines, des élèves des premier et second degrés, des instituteurs et professeurs des écoles, des étudiants en arts appliqués, des professeurs d’arts plastiques, de sciences de la vie et de la terre, de lettres, des artistes et même des artisans.
C’est L’Escamoteur de Jérôme Bosch (œuvre réalisée entre 1475 et 1505, et conservée au musée municipal de Saint-Germain-en-Laye) qui inspira à Joël l’utilisation de leurres. Ainsi, on peut observer, autour de sa maison futuriste isolée dans la campagne bressane, une multitude d’appelants de corbeaux laissant craindre une inquiétante attaque hitchcockienne, ou plus paisiblement, à l’orée de sous-bois, des cerfs et chevreuils recouverts d’une toile de Jouy imperméabilisée.
Il commanda à une usine italienne un millier de grenouilles artificielles utilisées habituellement comme appelants ou leurres (ils portent parfois, quand ils sont sonores, le joli nom de pipeau, courcaillet, chanterelle, piperie) pour éloigner les prédateurs.
Car même la prétentieuse qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf possède des ennemis inquiétants : le circaëte Jean-le-Blanc, le milan noir, le busard cendré, le faucon crécerelle, le héron bihoreau, la foulque et la cigogne, la perche, le sandre et le brochet, la couleuvre à collier, le campagnol amphibie, pour n’en citer que quelques-uns qui constituent une jolie faune poétique.
À raison d’une grenouille par personne, il proposa à son public d’intervenir plastiquement dessus, dans un site donné, pour attirer, leurrer, piéger, provoquer, faire peur, attendrir, communiquer à, communier avec, faire miroiter, réfléchir et … « ne pas retenir que l’inlassable et stupide coassement de l’animal et ne pas en faire le symbole de l’enseignement ânonnant et routinier » !
Quoi ? Coa ? J’allais bientôt me rendre au lycée de Rambouillet où des élèves de première, option art dramatique, répétaient Le Dieu grammairien, une pièce de Jean-Pierre Brisset (1837-1919). Un sacré bonhomme, ce Brisset, un des écrivains fétiches de Marcel Duchamp et André Breton, qui quitta l’école à douze ans pour aider ses parents à la ferme, partit à quinze ans à Paris comme apprenti pâtissier, puis s’engagea dans l’armée pour la guerre de Crimée avant de revenir à Paris comme professeur de langues vivantes. Auteur d’un Art de nager et de trois grammaires, il fut aussi l’inventeur de deux brevets dont celui de la « ceinture aérifère de natation à double réservoirs compensateurs à l’usage des deux sexes ». Pour ce qui nous concerne ici, de son point de vue, la grenouille est l’ancêtre de l’homme : « Ainsi en coassant POURQUOI POURQUOI la bouche de l’ancêtre de l’homme commençait l’histoire du monde. Les cris entraînèrent une guirlande de mots, les mots une guirlande de phrases. De la mort naquit la morale. La langue trouva un refuge dans la bouche qui déjà en coassant avait une pensée. Quand les hommes quittèrent l’état amphibie, des peuplades, des familles, conservèrent des rapports plus ou moins prolongés avec l’élément liquide. De là est venue la légende de Vénus sortant de l’onde, de la mer, ou plutôt des mares et des marais.
Nous ne pouvions nous figurer que fort gracieux des corps exercés continuellement dans l’art de la natation. Grâce aux sauts qui les projetaient hors de l’eau, l’ancêtre après avoir coassé des années POURQUOI POURQUOI se mit à crier À l’assaut ! Ce qui voulait dire dans la langue encore toute primitive : sautons hors de l’eau vers le haut ! Assez haut ! À l’assaut !
C’étaient désormais des auteurs car ils sautaient vers les hauteurs. »
Tout au long de l’année scolaire, j’allais me déplacer pour filmer quelques moments clés qui témoigneraient de la fabuleuse opération artistique visant à sauver le soldat Grenouille.
Ainsi, par exemple, je me rendis dans une école maternelle de Trappes, banlieue généralement évoquée dans les médias pour d’autres types d’interventions.
Entre les mains de ces gamins, et même de certains de leurs parents, la grenouille devenait une arme poétique pour franchir les frontières de l’imaginaire.
Des élèves de cycle 3 d’une école d’application de Versailles, après avoir récupéré leurs appelants dans le jardin de la maison des musiciens italiens, travaillèrent sur leurs grenouilles à partir d’une collection de verbes qu’ils avaient élaborée en commun.
Magie du projet, que l’on soit en classe de maternelle ou dans l’enseignement supérieur, toutes les disciplines furent convoquées, la part belle fut faite à l’écrit, à l’oral et bien évidemment aux arts plastiques. L’effet d’appropriation de la grenouille factice ouvrit largement le champ des propositions qu’elles soient minimales ou sophistiquées mais toujours expressives et créatives.
Ces manipulations artistiques me conduisirent à l’École Supérieure d’Arts Appliqués Boulle (du nom du célèbre ébéniste de Louis XIV) de Paris. Certains étudiants de première et de BTS y commettaient des transformations que n’aurait pas désavouées Jean Rostand qui consacra une partie de sa vie et de son œuvre à l’étude des Amphibiens anoures.
C’est l’occasion de me souvenir de mes cours de sciences naturelles où nous devions disséquer grenouilles ou souris. Dans une circulaire de novembre 2014, le ministère de l’Éducation Nationale décida d’interdire toute dissection pratiquée sur des céphalopodes et sur des vertébrés non destinés à la consommation (alors, les grenouilles ?) dans toutes les classes jusqu’au baccalauréat. Adieu vomissements ou évanouissements ! Encore que … tremblez élèves et grenouilles, saisi par le principal syndicat enseignant jugeant que la confrontation au réel était essentielle en sciences expérimentales, le Conseil d’État annula, en 2016, cette décision ministérielle. Je crois savoir que, finalement, le ministre de tutelle trancha définitivement en faveur de la suppression des dissections de vertébrés. Comme il est fréquent dans la société actuelle, le flou est entretenu autour de cette question, heureusement l’artistique s’y invite pour notre plus grand plaisir. Ainsi que le mythologique !
Versailles oblige, nous ne pouvions pas ne pas « tourner » autour du bassin de Latone que Louis XIV créa, au centre de ses jardins, pour glorifier celui qu’il s’était choisi comme emblème, le dieu soleil Apollon qui trône sur son char, un peu plus loin, près du grand canal.
À l’origine, c’était un simple bassin ovale, érigé dans le jardin du pavillon de chasse de Louis XIII, qui portait le nom de fontaine aux crapauds. Pour lui donner la splendeur qu’on lui connaît, Louis XIV fit appel aux sculpteurs Gaspard et Balthazar Marsy puis à son architecte favori Jules Hardouin-Mansart, leur demandant de raconter un épisode de l’enfance d’Apollon, précisément la légende de Latone telle qu’Ovide la relate dans le livre VI de son long poème latin, les Métamorphoses.
Latone, maîtresse de Jupiter, conçut deux enfants jumeaux de ses amours illicites, Apollon et Diane. Junon, épouse du roi de l’Olympe, folle de rage, la condamna à une fuite sans répit qui s’acheva au bord d’un étang de Lycie, au sud de l’actuelle Turquie.
Latone et ses deux enfants, assoiffés souhaitèrent s’y désaltérer après leur long périple, mais les paysans, qui coupaient des roseaux, les en empêchèrent. Je laisse Ovide vous conter la suite :
« Pourquoi m’interdire de boire ? L’usage en appartient à tous : la nature n’a point voulu que le soleil, l’air et l’onde limpide soient la propriété d’un seul : je viens ici jouir d’un bien commun à tous, et pourtant ma voix suppliante vous le demande comme un don. Je ne voulais pas y baigner mon corps fatigué, je voulais juste apaiser ma soif. Tandis que je parle, ma bouche n’a plus de salive et ma gorge desséchée laisse à peine un passage à ma voix. Une gorgée d’eau serait pour moi un délice. Je reconnaîtrai que je vous dois la vie, si vous m’offrez de cette eau. Laissez-vous émouvoir aussi par ces enfants que je tiens, et qui vous tendent leurs petits bras.» Il se trouvait, en effet, que ses enfants tendaient alors les bras. Qui aurait pu ne pas être ému par les douces paroles de la déesse ? Et pourtant, les paysans continuent à la repousser malgré sa prière. Ils lui lancent des injures et des menaces, pour l’obliger à s’éloigner. Mais cela ne leur suffit pas. Avec les pieds et les mains, ils troublent l’eau de l’étang ; ils font remonter la vase molle en sautant de-ci, de-là, par pure méchanceté. La colère a fait oublier sa soif à Latone. Elle cesse de supplier des gens qui ne le méritent pas et refuse de tenir plus longtemps un langage humiliant pour une déesse. Levant les mains vers le ciel, elle s’écrie: «Restez-y donc éternellement, dans votre marécage !» Son souhait est exaucé. Les paysans prennent plaisir à rester dans l’eau. Parfois ils plongent au fond du marécage, puis ressortent la tête, parfois ils nagent à la surface, parfois ils se posent sur la rive de l’étang, avant de rentrer d’un bond dans l’eau. Mais toujours ils fatiguent leurs vilaines langues en paroles grossières et même sous l’eau, ils lancent des insultes. Leur voix devient rauque, leur gorge se gonfle d’air et les injures qu’ils lancent agrandissent leur large bouche. Leur tête rejoint leurs épaules et leur cou disparaît. Leur dos verdit et leur ventre, c’est-à-dire la plus grande partie de leur corps, blanchit. Ce sont de nouvelles bêtes, qui sautent dans les profondeurs de la vase: des grenouilles. »
Voilà pourquoi dans ce bassin, ce sont près de deux cents grenouilles, lézards et tortues en bronze doré, mais aussi des paysans dont la métamorphose est en cours, qui lancent leurs jets d’eau vers Latone éclatante dans son marbre blanc.
Parce que Louis XIV en raffolait, les dorures sont omniprésentes à Versailles. Joël Paubel, le grand ordonnateur de la jubilante opération artistique, eut l’idée royale de proposer une vingtaine d’appelants à Daniel Sievert doreur restaurateur du domaine du château. Ainsi, nous nous rendîmes dans son atelier situé dans la Petite Écurie, en face du palais, pour assister à l’habillage minutieux à la feuille d’or des grenouilles.
Je découvris à cette occasion les coulisses des décors fastueux du château à travers le savoir-faire des restaurateurs doreurs et leurs techniques anciennes transmises de génération en génération.
Quelques artistes contemporains de renom furent aussi sollicités pour qu’ils livrent leur vision de l’animal.
Ce fut un bonheur rare de pouvoir pénétrer dans l’atelier de ces artistes qu’on ne connaît en général qu’à travers les expositions de leurs œuvres.
C’est en ces circonstances que se tissèrent des liens d’amitié avec Marc Giai-Miniet**** auquel j’ai consacré plusieurs billets dans ce blog. Il me demanda par la suite de réaliser un portrait qui tourna longtemps en bouche dans ses expositions hexagonales et internationales.
Sa grenouille appareillée aurait sans doute amusé (pour ne pas dire « galvanisé ») l’anatomiste italien Luigi Galvani qui passa une partie de sa vie sur la piste de « l’électricité animale ».
Absent dans l’extrait vidéo, Alain Séchas, connu notamment pour ses installations graphiques et ses personnages de chats, imagina une doctoresse Glou-glou. Qui sait si elle ne serait pas réquisitionnée aujourd’hui en cette époque de pandémie et de pénurie de personnel soignant, coa coa ?
Les élèves de l’école d’horticulture Tecomah à Jouy-en-Josas costumèrent des grenouilles avec plantes et fleurs pour une fashion week aquatique.
Le pédagogue et psychologue Bruno Bettelheim, dans sa Psychanalyse des contes de fées (1976), à l’appui de l’analyse du célèbre conte « Le Roi Grenouille », s’interroge :
« Les enfants ont une affinité naturelle pour les animaux et se sentent souvent plus près d’eux que des adultes ; ils voudraient pouvoir partager leur façon instinctive de vivre qui leur semble facile, libre et pleine de plaisirs. Mais en même temps qu’il ressent cette affinité, l’enfant est angoissé à l’idée qu’il est peut-être moins humain qu’il ne devrait être. Ces contes de fées neutralisent cette crainte en faisant de cette vie animale une chrysalide d’où jaillit une personne très séduisante. »
Je vous rassure, le millier de grenouilles qui émigrèrent dans les établissements scolaires des Yvelines ne traumatisèrent aucunement les élèves, bien au contraire, elles les emmenèrent dans le dédale de la création.
Vous aurez deviné que le projet ambitieux joua un rôle fédérateur dans la communauté scolaire. Nul séparatisme, aucun esprit de classe ne fut ressenti parmi les grenouilles, qu’elles soient nées de l’imagination d’enfants de maternelle, de lycéens, d’artistes ou d’artisans.
Beaucoup d’entre elles eurent plaisir même à se rencontrer. Au-delà de la création de la grenouille elle-même, il était souhaité en aval que chaque groupe, classe ou individu effectue une installation in situ, chacun créant un « effet de mare » en cherchant sa place, au fond, au bord, sur l’eau, dans l’herbe, l’œuvre devenant alors paysage …
Ces performances, par définition éphémères, laissaient cependant des traces plus ou moins organisées, orales, écrites, des dessins, des photographies, un vidéogramme.
Voici l’un de ces moments festifs et poétiques qui se déroula au bord d’un étang de la Bergerie Nationale de Rambouillet, une ronde des crapauds avec un professeur de lettres à l’accordéon.
En écrivant ce billet, je me rends compte que ce vaste projet artistique qui peut-être apparaissait à l’origine, avant tout, comme des activités pédagogiques ludiques et motivantes pour le public auquel elles s’adressaient, révélait d’ambitieuses intentions. Il met en lumière, vingt ans plus tard, nombre de préoccupations actuelles écologiques, sociales ou politiques. Chez les humains, le monde va mal, il est logique que les grenouilles en pâtissent également. Quand on vous dit qu’il ne faut pas prendre les messages des artistes (même en herbe) à la légère !
D’ailleurs les mentalités et les modes de communication ont évolué. Ainsi, Bruno Latour, sociologue anthropologue et philosophe des sciences de réputation mondiale, loin de se cantonner aux amphithéâtres, conçoit depuis plusieurs années, avec le concours d’une metteuse en scène, de comédiens et d’artistes de l’image, des conférences performances. Invoquant la déesse mère Gaïa (« une grande salope » à ses dires !) afin que la catastrophe écologique ne s’aggrave pas, il s’est produit notamment aux théâtres de l’Odéon à Paris et des Amandiers à Nanterre.
Cela ne date pas d’aujourd’hui : en 405 avant J.C, Aristophane obtint à Athènes le premier prix au concours des fêtes des Lénéennes avec sa comédie satirique Les Grenouilles. Les batraciens commentent en chœur les faits et gestes de Dionysos, dieu de la vigne, du vin et de ses excès, mécontent de la qualité dramatique du théâtre dans une Athènes ravagée par les conflits politiques. Ainsi, descendait-il aux enfers pour rencontrer les grands auteurs disparus, Eschyle, Euripide et Sophocle, et tenter de ramener sur terre son poète préféré. Alors que Dionysos rame, quel vacarme sur les bords du Styx !
« LES GRENOUILLES : Brekekekex coax coax, brekekekex coax coax ! Filles marécageuses des eaux, unissons les accents de nos hymnes aux sons de la flûte, le chant harmonieux coax coax, que nous entonnons dans le marais, en l’honneur de Dionysos de Nysa, fils de Zeus, lorsque la foule enivrée, le jour de la fête des Marmites, se porte vers notre temple. Brekekekex coax coax !
DIONYSOS : Moi, je commence à avoir mal aux fesses. Oh ! coax coax! Mais vous n’en avez sans doute nul souci.
LES GRENOUILLES : Brekekekex coax coax !
DIONYSOS : Foin de vous avec votre coax ! Vous n’avez pas autre chose que coax ?
LES GRENOUILLES : Et c’est tout naturel, faiseur d’embarras ! Car je suis aimée des Muses à la lyre mélodieuse, de Pan aux pieds de corne, qui se plaît aux sons du chalumeau. Je suis chérie du Dieu de la cithare, Apollon, à cause des roseaux que je nourris dans les marais, pour être les chevalets de la lyre. Brekekekex coax coax !
DIONYSOS : Et moi, j’ai des ampoules, et depuis longtemps le derrière en sueur, et bientôt, à force de remuer, il va dire « Brekekekex coax coax ! » Aussi, race musicienne, cessez.
LES GRENOUILLES : Nous allons donc crier plus fort. Si jamais, par des journées ensoleillées, nous avons sauté parmi le souchet et le phléos, joyeuses des airs nombreux qu’on chante en nageant ; ou si, fuyant la pluie de Zeus, retirées au fond des eaux, nous avons mêlé nos chœurs variés au bruissement des bulles, répétons : Brekekekex coax coax. »
On ferait bien d’inviter quelques grenouilles sur les plateaux des chaînes d’info en continu pour couvrir la c(o)acophonie affligeante et anxiogène autour de la pandémie, et si ce n’était que ça.
L’onomatopée censée reproduire le coassement prenait aussi d’autres formes. Ainsi, en pays breton, la première grenouille entendue le soir était la reine ses cris invitant son peuple à se rassembler : « Qu’est-ce qui lavera l’écuelle au roi ? », « Ce n’est pas ma, ni ma, ni ma ni ma » répondaient les autres. À Genève, on traduisait le cri par « Le roi est allé où, où, à Cognac, à Cognac » !
Au Moyen-Âge, il existait un droit féodal qui faisait obligation aux vassaux de faire taire les grenouilles coassant intempestivement la nuit à la période de reproduction, afin que le seigneur ne fût point importuné.
Une croyance était colportée « qu’un jour qu’en Normandie une châtelaine, ne pouvant dormir à cause des coassements, envoya les manants battre les eaux dormantes. Ils s’en acquittèrent si bien que pas un roseau ne subsista. Quelque temps après, la châtelaine, ayant envie de filer, envoya chercher dans les fossés quelques roseaux afin d’en faire une quenouille. Un des paysans qui avaient tout coupé prit la parole : « Qui souffre des grenouilles n’a besoin de quenouille ! » ».
Certains historiens de la Révolution française, par souci de nous distraire, aiment citer un dénommé Le Guen de Kerangal, député bas-breton, qui réclama énergiquement de la Constituante l’abolition de la servitude imposée aux vassaux de battre l’eau des étangs et des fossés, afin de faire taire les grenouilles coupables de troubler le sommeil des seigneurs et des dames en gésine : « Qui de nous, Messieurs, dans ce siècle de lumières, ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins, et ne porterait pas le flambeau pour en faire un sacrifice sur l’autel du bien public ? »
Vous souriez mais, récemment, la cour d’appel de Bordeaux valida que les coassements des grenouilles relevaient du tapage nocturne et condamna les propriétaires d’une mare à les en chasser parce que les cris (63 décibels selon huissier !) des batraciens importunaient leur voisin : une histoire clochemerlesque révélant la cohabitation parfois compliquée entre paysans et néo-ruraux.
Joël Paubel, le maître des grenouilles, sollicita l’éclairage de Françoise Wasserman, alors directrice de l’Écomusée du Val de Bièvre à Fresnes, autrice de La Grenouille dans tous ses états, un petit livre délicieux et passionnant.
A travers sa lecture, on s’attache à ce petit animal étrange au cœur de la pensée populaire traditionnelle, objet de croyances et de superstitions, de répulsion et de convoitise, héros de fables, de contes et de légendes, symbole de fertilité dans de nombreux mythes de création et aussi maléfique dans la pensée judéo-chrétienne.
Natives « sur le Nil du limon chauffé par le soleil ou feu céleste », les grenouilles constituent la seconde plaie des dix châtiments que, selon le livre de l’Exode, Dieu infligea à l’Égypte en exigeant que Pharaon laisse partir les Hébreux qu’il maintenait en esclavage : « Yahvé dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui : « Laisse partir mon peuple, qu’il me serve. » Si tu refuses, toi, de le laisser partir, moi je vais infester de grenouilles tout ton territoire. Le Fleuve grouillera de grenouilles, elles monteront et entreront dans ta maison, dans la chambre où tu couches, sur ton lit, dans les maisons de tes serviteurs et de ton peuple, dans tes fours et dans tes huches. Les grenouilles grimperont même sur toi, sur ton peuple et sur tous tes serviteurs. »
Il reste aujourd’hui quelques spécimens de grenouilles de bénitier, ces personnes dévotes à l’excès, « Les bigotes (de Brel) qui préfèrent se ratatiner/De vêpres en vêpres de messe en messe/ Toutes fières d’avoir pu conserver/Le diamant qui dort entre leurs f…/De bigotes … »
Curiosité de la basilique Saint Paul Serge de Narbonne, le visiteur peut observer un bénitier de forme jacquaire au fond duquel se trouve une grenouille sculptée. L’une des légendes qui circulent sur sa présence raconte qu’elle fut pétrifiée parce qu’elle avait troublé l’office en mêlant ses coassements aux chants liturgiques. Quel « drôle de batracien » tout de même, clin d’œil à un délicieux film de Jean-Pierre Mocky dans lequel Bourvil raflait dans les troncs d’églises justement les oboles versées par les bigotes !
Dans l’univers fabuliste, le monde animal se substitue au genre humain en décrivant et accentuant ses travers et ses qualités. Notre Jean de La Fontaine reprit des fables d’Ésope dont une dizaine a pour personnage central une grenouille.
« …Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’hyménée.
Aussitôt on ouït, d’une commune voix
Se plaindre de leur destinée
Les citoyennes des étangs.
« Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort : un seul Soleil à peine
Se peut souffrir ; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite ;
Bientôt on la verra réduite
À l’eau du Styx. » Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal. »
À mon sens aussi, cette morale est cuisante en ces temps de réchauffement climatique !
Durant le confinement du printemps dernier, Fabrice Luchini tenta de dissiper notre ennui en nous livrant sur son compte Instagram quelques fables adaptées aux circonstances, ainsi Le lièvre et la grenouille : « Un lièvre en son gîte songeait/ (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ». Savoureuse lecture à propos d’un « mélancolique animal », d’une portée philosophique et morale très actuelle !
https://www.instagram.com/p/B_FTszoojYM/
Si les hirondelles ne font pas le printemps, la grenouille a longtemps été, autant que Torricelli et ses expériences sur la pression atmosphérique, signe de beau ou mauvais temps.
Les lecteurs de ma génération se souviennent de la voix chevrotante du populaire Albert Simon chargé du bulletin météorologique sur la station de radio Europe n°1. Est-ce parce qu’il était né un 1er avril, il laissait entendre que son principal instrument scientifique était une grenouille installée dans un bocal avec une petite échelle. De religion juive, il cessait de travailler lors du shabbat et, en conséquence, enregistrait en avance tous les bulletins du vendredi soir et du samedi. Crédulité des auditeurs !
Comme il apparaît dans nombre de dictons populaires, dans notre France rurale d’antan, les paysans faisaient leurs propres prédictions météorologiques en observant les grenouilles :
« Il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille »
« Si la ranouille croate (la grenouille coasse), le temps se déboîte »
« Si le couvain des grenouilles vint à geler, la fleur des pommiers va manquer »
« Quand le crapaud chante en janvier, serre ta paille métayer »
« Si elles chantent fort les grenouilles, demain temps de gribouille »
« Quand les grenouilles coassent, point de gelées ne menacent »
« Si la rainette sautille dans les prés, elle indique le soleil du lendemain »
Je colle ici la poésie de Francis Ponge :
« Lorsque la pluie en courtes aiguillettes rebondit aux prés saturés, une naine amphibie, une Ophélie manchote, grosse à peine comme le poing, jaillit parfois sous les pas du poète et se jette au prochain étang.
Laissons fuir la nerveuse. Elle a de jolies jambes. Tout son corps est ganté de peau imperméable. À peine viande ses muscles longs sont d’une élégance ni chair ni poisson. Mais pour quitter les doigts la vertu du fluide s’allie chez elle aux efforts du vivant. Goitreuse, elle halète… Et ce cœur qui bat gros, ces paupières ridées, cette bouche hagarde, m’apitoient à la lâcher. »
Sur une rive du Fango (Haute-Corse)
J’aime à relire de temps en temps quelques Histoires naturelles de Jules Renard. Tel un chasseur d’images, il brosse des portraits étonnants de nos amies les bêtes. Il a une manière très particulière de parler de celles qui n’ont pas de voix : « je voudrais que si elles lisaient mes petites histoires, cela les fasse sourire ». Ainsi, ses Grenouilles :
« Par brusques détentes, elles exercent leurs ressorts.
Elles sautent de l’herbe comme de lourdes gouttes d’huile frite.
Elles se posent, presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du nénuphar.
L’une se gorge d’air. On mettrait un sou, par sa bouche, dans la tirelire de son ventre.
Elles montent, comme des soupirs, de la vase.
Immobiles, elles semblent, les gros yeux à fleur d’eau, les tumeurs de la mare plate.
Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent au soleil couchant.
Puis, comme les camelots assourdissants des rues, elles crient les dernières nouvelles du jour.
Il y aura réception chez elles ce soir ; les entendez-vous rincer leurs verres ?
Parfois, elles happent un insecte.
Et d’autres ne s’occupent que d’amour.
Et toutes, elles tentent le pêcheur à la ligne.
Je casse, sans difficulté, une gaule. J’ai, piquée à mon paletot, une épingle que je recourbe en hameçon.
La ficelle ne me manque pas.
Mais il me faudrait encore un brin de laine, un bout de n’importe quoi rouge.
Je cherche sur moi, par terre, au ciel.
Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement ma boutonnière fendue, toute prête, que, sans reproche, on ne se hâte guère d’orner du ruban rouge. »
Comme on patauge dans le surréalisme, la poésie et l’humour, je ne résiste pas à vous faire partager cette confidence du lunaire Pierre Etaix, ami de Jacques Tati et cinéaste lui-même, mais aussi acteur, clown, magicien, dessinateur : « J’ai connu un homme grenouille. Dieu qu’il avait de belles cuisses ! »
Souvent lorsque je vous entretiens de nourritures spirituelles, je finis par quelques considérations plus terrestres.
Poésie culinaire, à quelle voluptueuse beauté, l’illustre chef Auguste Escoffier, roi des cuisiniers et cuisinier des rois, pensait-il lors qu’il créa pour le prince de Galles un plat qu’il baptisa « nymphes à l’aurore », plus prosaïquement des cuisses de grenouilles pochées au vin blanc avec une sauce chaud-froid au paprika, et servies sur une couche de gelée au champagne sur laquelle des feuilles d’estragon et des branchettes de cerfeuil simulaient les herbes aquatiques.
Parce que les Français gastronomes ont un faible pour la chair du petit peuple des mares et des étangs, nos voisins britanniques les ont affublés ironiquement du sobriquet de Frogs ou froggies.
Il faut peut-être aujourd’hui suspecter un excès de perfidie de la chère Albion car des fouilles archéologiques récentes sur le célèbre site mégalithique de Stonehenge ont permis de retrouver, outre des restes d’aurochs, des os de cuisses de grenouilles datant de sept mille ans avant notre ère.
D’ailleurs, l’origine du sobriquet moqueur est peut-être plus complexe. Il existait jadis à Paris, à proximité du pont (et du port) du Gros-Caillou, sensiblement là où se trouve aujourd’hui le musée d’Orsay, un endroit fangeux et humide, où coassaient des grenouilles, qui s’appelait « la Grenouillère ». Ce petit hameau, en face des Tuileries, devint réputé au XVIIIe siècle pour ses lavandières et blanchisseuses « en gros et en menu ». On y parlait un langage patoisant jugé comique par les gens du beau monde qui devint un symbole de naïveté bon enfant et de liberté de ton du petit peuple parisien, et fut mis en vedette dans les années 1750 par le chansonnier Jean-Joseph Vadé avec ses célèbres Lettres de la Grenouillère et son genre « poissard ». Toujours est-il que par assimilation, l’ensemble du peuple de Paris fut appelé « les grenouilles » par la noblesse proche de la Cour et bientôt l’aristocratie anglaise.
Je vais décevoir peut-être mes lectrices et lecteurs cordon bleu, je ne suis pas accro aux cuisses de grenouilles. Je conserve par contre du jubilant projet de Joël Paubel le souvenir ému d’un poulet dégusté, en Bresse, à la ferme de ses parents, lors d’un tournage. Il faudrait la plume de Philippe Delerm pour vous le raconter.
Vous comprenez maintenant pourquoi j’avais tant envie de vous relater mon voyage au pays des Anoures.
De retour sur notre terre ferme de médiocres humains, je vous abandonne avec la fable tellement actuelle de La Fontaine, Les Grenouilles qui demandent un roi :
« Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s’aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant ;
Une autre la suivit, une autre en fit autant :
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :
« Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. »
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir ;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire : « Eh quoi ? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire. »
Ça ne vous rappelle rien ce peuple des grenouilles qui se plaint tout le temps de son gouvernement, demandant même l’intervention de Jupiter ? Les grenouilles, éternelles insatisfaites, vont connaître des régimes de plus en plus opprimants.
À bon entendeur, salut ! Coa coa !
Ne jetez pas mon billet dans cette corbeille de bureau ramenée du Mexique
* http://encreviolette.unblog.fr/2010/12/23/un-mois-chez-charlie-hebdo/
** http://joelpaubel.fr/
*** extrait d’un texte de Joël Paubel tiré du livret d’accompagnement du vidéogramme
**** billets consacrés à Marc Giai-Miniet
http://encreviolette.unblog.fr/2008/03/20/marc-giai-miniet-peintre-emboiteur/
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