Archive pour le 1 août, 2020

en-Cyclopédies … avec Guillaume Martin et Michel Dréano

Savez-vous que, chaque été, je redeviens un vrai gamin en vous racontant les Tours de France d’antan ? Grâce à vous, ou malgré vous car vous ne me « filez pas toutes et tous le train », je me replonge avidement dans la lecture des vieilles revues spécialisées, bistre ou verte, que mon père achetait et que je conserve jalousement. Et lorsque, quelques numéros manquent à ma collection, un ami archiviste, cyclotouriste et blogueur lui-même, m’est d’un précieux secours : en bon équipier, en somme, il me « donne sa roue » !
Mon exercice paraîtra puéril à certains mais je ne fais aucun complexe tant d’autres plumes, bien plus incontestables et incomparables, ont contribué à entretenir la légende des Cycles. J’ai même osé suggérer que si l’immense Victor Hugo avait connu le vélocipède, à quelques années près, il aurait été un possible chantre des premiers Tours de France. Maurice Vidal, compagnon du Tour » et éditorialiste du regretté Miroir du Cyclisme, reprit intégralement un de ses poèmes pour illustrer la malsaine rivalité opposant Anquetil et Poulidor lors d’un Paris-Nice.
Dès ma prime enfance, « je refaisais l’étape », par temps pluvieux (ça arrivait en Normandie), avec mes petits coureurs cyclistes en plomb, sinon sur mon petit vélo vert, une chambre à air autour des épaules comme les champions, dans les cours de récréation de la maison-école familiale ou dans le village. J’avais droit sur mon passage à de décevants « Vas-y Robic » d’encouragement, moi qui n’envisageais la course cycliste qu’à travers mon idole Anquetil, un chef-d’œuvre d’esthétisme pédalant.
Avez-vous remarqué qu’apprendre à lire et à monter à vélo sont deux formes de liberté et d’indépendance quasi concomitantes ?
Au temps de ma communale buissonnière dans le grenier familial, nourri des chroniques des valeureux journalistes de l’époque et des illustrations sépia, j’ai largement enrichi mon socle de connaissances comme on ne jargonnait pas alors dans l’Éducation Nationale. C’était un peu mon « Tour de France par deux enfants », le mythique manuel qui avait accompagné la scolarité des écoliers avant-guerre.
Le Tour de France, c’était ma Nationale 7, une route de vacances « apprenantes », la géographie des provinces, des reliefs, des climats, des gens, leur histoire aussi ; le calcul des écarts, des bonifications et des moyennes horaires rendait les nombres moins complexes, Sans oublier la littérature évidemment : que cherche un écrivain sinon des personnages dont le Tour regorge.
La liste est longue des gens de lettres qui ont écrit de magnifiques pages à la gloire du cyclisme : Dino Buzzatti, auteur du Désert des Tartares, suivit, pour un quotidien italien, le Giro 1949 et le duel épique opposant Achille et Hector, pardon Coppi et Bartali. Le grand reporter Albert Londres évoqua Les Forçats de la route du Tour 1924, repris récemment à la Comédie Française*. Le romancier Luis Nucera m’illumina avec ses Rayons de soleil. L’ancien journaliste Philippe Bordas écrivit des pages sublimes sur les Forcenés avant de se détacher complètement du cyclisme d’aujourd’hui. Roland Barthes consacra quelques unes de ses Mythologies aux champions cyclistes. Christian Laborde, avec la même excellence du verbe que Claude Nougaro, son frère de race mentale, éructa de jubilantes « Vélociférations ». Á travers les exploits de Charly Gaul, Lionel Bourg nous confia son émouvante échappée** d’une jeunesse difficile. On ne guérit pas de son enfance, ni du Tour de France.
Vous pensez bien que ma curiosité fut piquée lorsque j’ai découvert qu’un coureur cycliste professionnel, actuellement en activité, publiait un livre au titre surprenant : Socrate à vélo, le Tour de France des philosophes.

Socrate à vélo

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Son auteur, Guillaume Martin, normand d’origine comme moi, outre de courir sous les couleurs de l’équipe Cofidis, est diplômé d’un master en philosophie. Il a déjà participé à trois Tours de France, obtenant même une honorable douzième place en 2019.
Plutôt qu’une compilation de récits et anecdotes désormais éculés de la belle époque de la grande boucle (hors les billets de mon blog bien évidemment !) que nous resservent certains journalistes, Guillaume a pris le parti de mêler ses deux passions et de réfléchir sur sa pratique de sportif de haut niveau en ayant recours à quelques concepts philosophiques … Stupéfiant ! Son doping est l’intelligence.
Ça commence à Olympie, un jour de décembre, lors d’un rassemblement d’avant- saison de l’équipe nationale grecque de cyclisme. Pour la première fois de leur histoire, l’été prochain, les Hellènes prendront le départ du Tour de France qui retrouve sa formule par équipes nationales.
Quelle surprise ! Je me souvenais bien d’un coureur à pied sur la route de Marathon, mais d’aucun cycliste professionnel originaire du Péloponnèse sinon, dans mon enfance, de deux azuréens, les frères Lazaridès : l’un Lucien, vainqueur du Circuit du Théâtre Romain 1942 (!) mais aussi troisième du Tour de France 1951, l’autre, le cadet, Apostolos dit Apo, surnommé « l’enfant grec », un excellent grimpeur très populaire à la suite de son succès dans le « Petit Tour de France » organisé à la hâte, entre Monaco et Paris, en 1946, en prélude au retour de la vraie grande boucle, un an plus tard.

Lazarides

Lors de la sélection des équipes, outre que la Grèce demeure le berceau du sport moderne, les organisateurs, ont été particulièrement impressionnés par la qualité du dossier de candidature rédigé par les coureurs eux-mêmes, mettant en avant des arguments s’enchaînant selon une logique implacable. Entre ébahissement et jubilation, nous faisons connaissance des coureurs choisis pour assurer la communication auprès des médias : l’expérimenté Socrate, plusieurs fois vainqueur de la Ronde des Carpates et du Tour du Péloponnèse, son fidèle lieutenant, le musculeux Platon, enfin Aristote, un jeune aux dents longues mais au sens tactique déjà affirmé, qui s’est révélé dans le Tour de Macédoine.

SocratePlatonaristote01

Justement, ce dernier déclare : « Il faut jouer pour devenir sérieux ». Et Martin de prendre le relais : « Quand on dit de telle personne : « elle est ceci ou cela », cet « être » n’est qu’une facilité de langage. Car contrairement aux choses, l’humain n’est pas, il a à être. On ne peut parler d’être authentiquement qu’une fois la mort advenue. Si je comprends bien, désormais, Poulidor est enfin et définitivement « l’éternel second » d’Anquetil, alors qu’auparavant, il se résignait trop facilement à cette condition et ce cliché de journaliste adopté également par le public.
« On ne naît pas cycliste ou philosophe, ou cycliste-philosophe, on le devient. Ce préalable étant admis, il devient possible de s’amuser avec les identités. Il devient possible de jouer au cycliste-philosophe. Il devient possible de jongler avec les généralisations, les réifications, les clichés. Quelque chose en ressortira nécessairement : une vérité, une question, un éclaircissement, un moment de drôlerie … La philosophie, en dépit de ses airs austères qu’elle se donne souvent, est elle aussi une forme de jeu. »
Guillaume Martin se livre à une réjouissante farce, néanmoins subtile, où des philosophes enfilent maillots et cuissards et enfourchent un vélo pour préparer le Tour de France, la plus prestigieuse des compétitions sportives.
Ainsi, l’on partage l’entraînement de la formation allemande sur les routes venteuses et pluvieuses des Flandres, sous la direction d’un étonnant manager, l’inventif Albert Einstein en personne, nommé pour « ses connaissances en physique du sport, son esprit d’analyse et sa bonne humeur fédératrice ».

Einstein à vélo

Les premiers résultats ne sont guère probants au sein de la Mannschaft qui compte pourtant dans ses rangs d’excellents coureurs de métier tels Jan Ullrig, les sprinters Rudi Altich et Erik Zadel, le baroudeur Jens Vogt (les férus de cyclisme auront reconnu d’authentiques champions dont l’écrivain a légèrement modifié l’identité). Certains d’entre eux accusent une certaine surcharge pondérale qu’ils mettent sur le compte de la fumeuse théorie du directeur technique selon laquelle « la masse c’est de l’énergie, E=CM2 ou je ne sais plus quoi » !
Pour Einstein, les coureurs grecs seront durs à battre en juillet, parce qu’ils pensent. Et afin que l’équipe germanique se comporte honorablement sur le Tour, dont le départ sera donné qui plus est à Düsseldorf, il décide d’injecter de l’intelligence et, en conséquence, d’organiser une sortie de détection pour repérer les meilleurs philosophes adeptes de la petite reine.
Un plateau de vedettes dont rêverait tout organisateur de débat philosophique sinon de course cycliste … jugez vous-même : Friedrich Nietzsche, Hegel, Martin Heidegger, Emmanuel Kant, Schopenhauer, Husserl, Leibniz, Marx.
L’expérience révèle ses limites : ainsi Kant, bien qu’en passe de consacrer un ouvrage à la Critique de la raison vélocipédique, déteste s’éloigner de sa ville natale de Königsberg et prend prétexte de la pluie, pour « mettre la flèche à droite ».
Puis on a senti le nihilisme s’emparer de Schopenhauer, l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation.
Heidegger, de son côté, se plaint que la sélection ne soit pas composée uniquement d’Allemands de souche, visant là essentiellement la présence de Freud, Autrichien mais pas que … Il est surtout juif (comme Einstein soit dit en passant) !
Einstein, qui accompagne le groupe à vélo électrique, note les visages marqués : « Hegel, quoique content de savoir que son rival Schopenhauer avait renoncé avant lui, regrettait sa tranquille chaire de professeur à l’université de Berlin, Husserl, le dos de plus en plus voûté, se repliait littéralement sur lui-même, en bon phénoménologue. Quant à Leibniz, l’expression déformée par l’effort, il en venait à douter de vivre dans « le meilleur des mondes possibles » … Qui diable pouvait bien mener pareil tempo ? Á coup sûr c’étaient Vogt et Altich qui voulaient marquer leur suprématie. »

Altich et Anquepil 2Nietzsche

Un par contre qui faisait mieux que tenir la dragée haute au « colosse de Mannheim » (surnom du vrai Rudi Altig), c’était Nietzsche. Conquis, Einstein l’informa que, d’ores et déjà, il le sélectionnait pour le prochain Tour de France, invitation que le philosophe déclina immédiatement, expliquant qu’il ne désirait pas être intégré à un collectif, avant de remettre du braquet puis lâcher Altich et compagnie.

Karl Marx

Karl Marx se manifesta alors, redonnant un peu de baume au cœur à Einstein contrarié par la décision de Nietzsche, : « Moi je crois énormément en la force du collectif ! Sans union, point de lutte possible ! »
Que Guillaume Martin choisisse, dans son récit, d’installer Friedrich Nietzsche comme le meilleur des vélosophes n’est pas une surprise puisque l’intitulé exact de son mémoire de master était : « Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne ? », une réflexion sur les connexions possibles entre l’intelligence théorique (celle de l’esprit) et l’intelligence pratique (celle du corps).
« L’homme éveillé, l’homme qui sait, dit : « Je suis corps absolument et rien d’autre ; et âme n’est qu’un mot pour désigner une qualité du corps. » Le corps est une grande raison. »
Aussi, par l’entraînement, le sportif travaille littéralement à s’incorporer certains mouvements afin de les rendre automatiques, instinctifs. Les fastidieuses heures de selle servent à améliorer la fluidité et l’efficacité du coup de pédale, à développer l’activité réflexe de son corps notamment lors d’une chute. Et Martin de prendre pour exemple Anquetil qui, au-delà d’un talent naturel, parcourait des kilomètres derrière derny pour obtenir une pédalée incomparablement ronde et fluide, j’en fus le témoin quand il s’entraînait derrière l’engin piloté par André Boucher, son mentor de l’A.C. Sotteville.

Grand prix des Nations 1953(velo La Perle)

Parallèlement aux entraînements, le cycliste moderne doit respecter un mode de vie sain, Nietzsche peut être de bon conseil, lui qui sur les questions de diététique en connait un rayon !
Guillaume Martin évoque aussi les relations aux médias et au public qui appartiennent à la panoplie du coureur d’aujourd’hui. Platon ne se dérobe pas, ainsi on le voit échanger avec Plotin, son cadet de sept siècles, sur le réseau social Morphaïbiblion, littéralement « livre du visage », Facebook pour les anglophones ! Je like !
Et nos petits Français, où sont-ils ? Il en est un qui fait du vélo, « seul, divinement seul », dans les Pyrénées, précisément au-dessus de Luchon, dans le Port de Balès que, coïncidence, je visitais en auto au moment où je lisais ce livre.

Blaise Pascal

C’est une vieille connaissance que j’eus l’occasion de côtoyer autrefois du côté de Port-Royal lorsque je randonnais à vélo en vallée de Chevreuse.
Il s’appelle Pascal, à l’aise Blaise : « Il n’avait pas peur de la souffrance. Selon lui, souffrir était le lot de tous. L’homme est un être naturellement malade. Plutôt que d’occulter cette nature, il fallait l’assumer, pour ce faire, quoi de mieux que de parcourir les routes de France et de Navarre à la seule force des mollets ? »…
« Si Pascal pédalait, c’était pour perdre pied, rêver, méditer, communier avec ces paysages grandioses l’encerclant – et avec Celui qui en est la cause. Voilà pourquoi Pascal est heureux pendant qu’il escalade le Port de Balès. Il sait qu’un ordre préside à cette douleur qui lui brûle les cuisses … grimpant, souffrant, Pascal avance solitaire et joyeux vers ce Dieu qui l’attend. »
Sauf, et cela est arrivé à tous ceux qui, ahanant, luttent contre la pente, il est rejoint et laissé sur place par un cycliste surgi de nulle part : certains le surnomment l’aigle de Sils-Maria, vous aurez reconnu Nietzsche en stage d’altitude dans le col pyrénéen emprunté par le prochain Tour de France.
« Ne sais-tu pas que Dieu est mort ? Ne sais-tu pas que depuis que nous l’avons tué, il n’y a plus d’ordre, plus rien de sacré ? Nous avons destitué Dieu. Nous devons inventer de nouveaux jeux sacrés. C’est pour cela que je participe au Tour … », ainsi parla Zarathoustra qui se mit en danseuse et déposa Pascal !
L’idée germa bientôt dans l’esprit de Blaise : « La vie sans Dieu est une vie de misère. Mais Dieu ne peut plus être la solution. Quoi de mieux que la grande messe de juillet pour remplacer la religion ? » Une bonne nouvelle pour Jean-Paul Sartre désigné pour être le directeur sportif de l’équipe de France.
Nietzsche aurait pu s’entraîner près de Sorrente sur les pentes du Vésuve. Les Grecs, eux, ont établi leur camp de base en Sicile, sur les flancs de l’Etna. Duel au-dessous du volcan, Socrate à Platon : « Ne crois-tu pas que philosopher c’est apprendre à mourir ? », démarrage d’Aristote : « Philosopher, c’est apprendre à gagner ! » Ironie de l’histoire du cyclisme, la vraie : Guillaume Martin remporta une étape du Tour de Sicile … au sommet de l’Etna (un « cratérium » me souffle Blondin).
Ça promet sur les routes du Tour qui approche. En attendant, Altich remporte le Tour des Flandres « au terme d’une course d’école ».
La seconde moitié de « Socrate à vélo » raconte les péripéties de ce Tour si particulier qui suit exactement l’itinéraire de la grande boucle de 2017, on n’a même droit aux commentaires en direct des reporters de la télévision.

Altich et Anquepil 1

J’accuserais presque Guillaume Martin de crime de lèse-majesté en privant pour une seconde « Anquepil » du maillot jaune, à l’issue de la première étape contre la montre remportée, à la surprise générale, par Bradley Russell … fusion de deux philosophes britanniques qui se querellaient pour une question d’idéalisme.
Pour le reste, je vous abandonne à la lecture de son Socrate à vélo pour savoir si un des prestigieux vélosophes sera vêtu de jaune sur les Champs-Élysées.
Á quand un championnat de France des vélosophes avec Bernard-Henri Lévy, les deux Raphaël Glucksmann et Enthoven, Michel Onfray et … Jean-Claude Michéa, jubilant clin d’œil à son père Abel, truculent journaliste sportif qui me régalait avec ses « histoires du Tour contées à Nounouchette » dans le Miroir du Cyclisme.
Nul doute que si Guillaume Martin avait été mon prof en terminale, les cours de philosophie m’auraient semblé moins austères. « On ne peut penser qu’assis » (sur la selle ?) prétendait Flaubert. « Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose » contestait Nietzsche. « L’enfer c’est les autres » affirmait Sartre le surprenant directeur sportif des vélosophes tricolores.
Au bon temps des Tours de France de mon enfance disputés selon la formule des équipes nationales, j’avais une affection particulière pour les « coureurs régionaux », les gilets (sans maillots) jaunes de l’époque, encore que l’un d’eux, un montluçonnais fils d’immigré polonais, du nom de Roger Walkowiak, réussit l’exploit de ramener la toison d’or au Parc des Princes en 1956.

Walkowiak

La presse qui méprisait un peu les « premiers de corvée », ces « sans grade » et « porteurs d’eau » pas assez bling-bling, répandit péjorativement la notion de « Tour à la Walkowiak » pour désigner une victoire inattendue voire chanceuse échappant aux favoris. Le grand historien du cyclisme Pierre Chany remit en place ses confrères : « Il s’agit là d’une interprétation très fantaisiste des faits, d’un détournement de vérité et disons-le d’un abus de confiance … Il nous restera le souvenir d’une course riche en rebondissements pour les Gaul, Bahamontès, Nencini, Debruyne, Bauvin, Ockers, Forestier et Poblet qui durent se contenter de satisfactions secondaires. Leur seule présence accréditait la qualité de ce que l’ignorance s’obstine à minimiser. » Antoine Blondin, qui le qualifia, avec son sens de la formule, de « poujadiste égaré dans le Bottin mondain », abondait : « Sa victoire régularise une situation de fait. Walko était le plus courageux, le plus constant, le mieux portant. » Cela dit, le valeureux Roger souffrit jusqu’à sa mort récente de cette défiance et ce manque de considération à son égard.
Pour poursuivre ce billet, j’ai envie de prendre le sillage de Michel Dréano, le valeureux « régional de (mon) étape » littéraire. Pour être plus exact, je devrais plutôt lui ouvrir la route puisqu’il a souhaité que je préface son florilège de poèmes*** dont la parution est reportée à l’automne (chaque lecteur devrait tenir son pangolin en laisse au passage des champions !).
Question bagage technique (pour reprendre l’expression d’Audiard dans la savoureuse leçon de sprint sur piste enseignée par Gabin dans « Rue des Prairies ») universitaire, Michel soutient la comparaison (haut les mains aux cocottes) avec Guillaume Martin puisqu’outre quelques certificats de licence littéraire, il est titulaire d’un master 2 en sociologie et anthropologie des migrations.

Michel Dreano

Question « vélo pur », sa notoriété beaucoup plus modeste n’a pas dépassé les vallonnements du plateau de Rohan dans le Morbihan que, dans son enfance avide, il parcourait sur une vieille bécane de femme datant de la dernière guerre, à défaut du vélo promis par sa mère qu’elle ne lui offrit jamais.
Mais le môme Michel avait du tempérament et pour épater les copains qui le badaient avec leur belle monture, il les flinguait dans les raidards, un peu comme les « vedettes du cru » qui faisaient rendre grâce aux cadors nationaux dans les courses de pardons, du côté de Camors et Ploerdut.
Une autre fois, sur les routes du Bourbonnais chères à René Fallet, était-ce la proximité de Vichy, il « éparpilla façon Nietzsche dans le Port de Balès » un cycliste allemand arrogant avec sa clinquante machine équipée « tout Campa » (gnolo).
Qui sait s’il ne nous surprendrait pas dans un championnat de France cycliste des poètes et slameurs (il en existe bien un pour les prêtres et les livreurs de journaux !). Le romancier René Fallet détient bien « le record du monde de l’heure des écrivains de plus de 40 ans dont le prénom commence par un R », établi au vélodrome de Vichy !****
Á défaut de la rondeur de son coup de pédale, je fus conquis, il y a quelques années, par la verve poétique de Michel Dréano. Il est vrai que sa chanson Vieil encrier à l’encre violette possédait les atours pour me séduire ! Le souffleur de vers venait de m’inoculer son virus.

1- couverture dessins sierra tecnic

Son prochain recueil s’intitule Et lâchez les hirondelles… Comme un cri de libération des poètes, quoique ma déformation d’esprit vélocipédique m’oblige à vous signaler que l’Hirondelle fut le nom de marque attribué à la première bicyclette fabriquée par l’ancienne manufacture des Armes et Cycles de Saint-Étienne. C’est parce qu’ils faisaient leurs rondes sur ce modèle de cycle, que jusqu’à une époque pas si lointaine, on surnommait hirondelles les représentants de la maréchaussée.
Mon régional de l’étape littéraire aurait pu briguer tout aussi bien une sélection dans l’équipe de l’Ouest, par sa filiation à des Bretons du nord du Morbihan, ou dans la formation des titis de Paris-Ile-de-France, lui qui avoue : « Peut-être n’est-on jamais que d’un seul pays, celui de son enfance… Mon pays c’est « la zone ». Un entre-deux géographique entre Paris et sa banlieue, un espace libre, aujourd’hui avalé par le périph’… ».
Les organisateurs n’étaient pas toujours pointilleux, ainsi une année, le fantasque Alsacien Roger Hassenforder se retrouva au milieu des « p’tits gars de l’Ouest » !
Michel est un artiste complet : poète, écrivain, chanteur slameur, cinéaste, il est compétitif sur tous les terrains. « Mon régional » est un porteur d’haut le verbe !
Profondément humaniste, il aime les gens. Comme je narre l’exploit de Néné la Châtaigne dans Milan-San Remo, il nous raconte les tribulations de Momo de Gennevilliers qui ne « marchait » pas qu’à l’eau claire.
« Étameur de rimes », il s’invente des fidélités de ra-comptoir avec un soudeur à l’amitié, un pêcheur de compliment, un cracheur de feu follet.
Peut-être, aurait-il pu croiser, dans sa jeunesse, au pays de la ronde des Korrigans, « le farfadet de Pluvigner » alias Jean-Marie Goasmat.
Qui sait si dans mon délire, il n’aurait pas trinqué avec le « vigneron de Cabasse », le « berger de Manosque », le « facteur de Vierzon », surnoms de valeureux coureurs***** qui animèrent les Tours de France d’antan, ainsi qu’avec Antoine Blondin qui consacra une chronique épique L’Iliade et Le Dissez à propos d’une échappée fleuve de l’ancien facteur parisien.
Sa muse surréaliste l’amène, quand il se dore à la Goutte d’Or, à nous parler de Poulidor, Suzy Solidor, Albator et Dark Vador, château de Chambord et théâtre Mogador ! Ça vaut bien un maillot bouton d’or, non ?
J’aurai l’occasion de vous vanter toutes les facettes de l’artiste lors de la sortie de son livre. Aujourd’hui, dans ce billet-étape de transition entre mes évocations des Tours de France 1950 et 1960, j’avais envie de vous offrir son regard anecdotique mais lucide sur la chose cycliste.
Artiste engagé, curieux des questions sociétales, il ne pouvait pas être indifférent au tremblement de terre qui secoua la planète vélo lors du Tour 1998 : comme à tous les séismes, on lui donna un nom, (l’affaire) Festina !
Michel a coécrit Á mon insu, une chanson réquisitoire contre une forme institutionnalisée de dopage, quoi qu’empreinte d’une certaine tendresse. La voici interprétée par Marc Havet, une sorte de « fou chantant du XXIème siècle » :

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« Á mon insu de mon plein gré
J’ai commencé à pédaler
Sur la p’tit’ rein’ de mon enfance
Avec grand-père on s’en allait
Dans la campagne on pédalait
Et on rêvait du Tour de France

Á mon insu de mon plein gré
Avec grand-pèr’ j’ai continué
Les randonnées dans la montagne
Il me parlait de Bartali
Des exploits de Fausto Coppi
Et des critériums de Bretagne

Á mon insu de mon plein gré
J’ai commencé à m’entraîner
Après l’école et le dimanche
Et quand j’ai pu participer
J’ai gagné mon premier trophée
Vainqueur de la boucle d’Avranches

Á mon insu de mon plein gré
On m’a choisi comme équipier
Pour courir dans le Paris-Nice
J’ai fait mes class’ dans le p’loton
Et pour mériter mes galons
C’ que j’en ai fait des sacrifices

Á mon insu de mon plein gré
Course après course et sans moufter
J’en ai bouffé des kilomètres
Et des dopants par tous les bouts
Cachets piquouz’ vraiment c’est fou
C’ que le docteur a pu me mettre
e
Á mon insu de mon plein gré
Pour courir j’ai tout accepté
Et je suis bon pour le cim’tière
Pourtant je m’ souviens c’était beau
Quand on allait fair’ du vélo
Dans la montagne avec grand-père »

Grinçante satire où le piano devient vélo et le chanteur un grimpeur dopé presque à bout de souffle !
Ce n’est pas ici la tribune pour faire le procès du dopage, nous savons qu’aucun coureur ne gagna un Tour de France à l’eau plate.
D’ailleurs, comme l’iconoclaste Christian Laborde le clame haut et fort, le premier mort du dopage fut le lutteur Milon de Crotone, au VIème siècle avant Jésus-Christ. Les questions d’argent existaient déjà, les athlètes étant payés par la cité dont ils défendaient les couleurs.
Au fait, cher Guillaume Martin, Nietzsche aurait-il accepté le dopage ? « Sa pensée est dangereuse, parce que complexe. La doctrine du surhumain pourrait inclure le dopage : pourquoi l’homme qui voudrait s’augmenter ne pourrait-il le faire avec des éléments extérieurs ? J’ai cherché à discréditer cette idée en réinterprétant Nietzsche, en disant que le surhumain était plutôt quel¬qu’un de « renaturalisé », un humain doté d’une éthique de la noblesse… L’inverse du dopage. » Une réponse de Normand !
Tout en traitant la même problématique, Michel Dréano, décline d’autres vers de contact à la mémoire du Cycliste inconnu****** qui ne franchit jamais l’arc de triomphe, les voici interprétés par le compositeur Jacques Déljéhier  (maquette d’enregistrement) :


« Dans le p’loton j’étais r’péré
Comm’ gars correc’ et régulier
Le vrai mulet, bon équipier
Toujours fidèle, sympa-tonique
Se sacrifiant dans les classiques
Pour les ténors et les patrons
Les embusqués du peloton
Les accros de l’endomorphine
Chargés d’érythropoïétine…

Au cycliste inconnu, je dédie cette chanson là
Lui qu’on n’a jamais vu jamais gagner quoi que ce soit

Moi le pot belge, la cortisone
L’insuline, la testostérone
J’y touchais pas car j’avais peur
De m’exploser bien avant l’heure
Et puis un jour ben j’ai craqué
C’était couru j’m’y attendais
Alors là j’ai tout balancé
Á Miroir Sprint, à la télé
Pour me r’fair’ un’ virginité…

Au cycliste inconnu, je dédie cette chanson là
Lui qu’on n’a jamais vu grimper le col d’Envalira

J’ai jamais pu recommencer
Á m’sentir bien dans mes cale-pieds
Et la P’tit’ Reine de mon enfance
Moi le forçat du Tour de France
Au septième ciel m’a expédié…
Et tout là-haut, j’vois les nouveaux
Les flambeurs et les arrivistes
Qui font leur petit tour de piste
Qui font leur petit tour de piste… »

Je dédie ces lignes aux « coureurs régionaux » qui, dans ma jeunesse, me faisaient vibrer par leur courage et leur panache. Je me souviens d’Armand Audaire, Ugo Anzile, Jean Dacquay , Désiré Letort de Plancoët, Francis Siguenza dit Zig-zag, d’Albert Dolhats dit « Bébert aux gros mollets », Joseph Thomin, Bernard Quennehen, Raymond Elena, Jean Bourles, Roger Chaussabel, Eugène Letendre …

Audaire

DolhatsUgo Anzile

Humbles fils de paysans, d’ouvriers ou d’immigrés espagnols et italiens. Quizz : certains gagnèrent une étape du Tour et enfilèrent même le maillot jaune, l’un d’entre eux accrocha la lanterne rouge à sa selle, synonyme de dernière place et d’impact médiatique pour les contrats de critériums. Beaucoup ont été ou sont encore d’alertes octogénaires (voire plus), preuve que le cyclisme peut conserver.
L’histoire du Tour de France est peuplée d’un véritable bestiaire propre à inspirer quelque poète ou fabuliste : la Perruche Jacques Marinelli, le Taureau de Nay Raymond Mastrotto, un Coq de Fougères Georges Groussard une Souris Benoît Faure, une Puce du Cantal Lily Bergaud, un Biquet Jean Robic, des Aigles de Tolède, d’Adliswill … et de Sils-Maria !
Magie du Tour : pour immortaliser sa maman, Michel Dréano la mit en scène pour la photographier une dernière fois, sur son pliant, regardant passer les coureurs à Gueltas, modeste village du Morbihan, berceau de sa famille paternelle.

Tour 1948 à Josselin

tour1927 passage en bretagne

Dans les ronces et épines que son nom désigne étymologiquement en breton vannetais, Dréano cultive des roses (ou des œillets de poète ?). Parisien d’adoption, usager des pistes cyclables de la capitale, il a collaboré également à l’écriture d’un bel hommage à la « petite reine »******* :

« Ah ! le vélo des beaux jours
Qui va finir son grand tour
Il est bientôt arrivé sur les Champs-Elysées
Des cols des Alpes jusqu’aux Landes
Il a écrit sa légende
Roul’, roul’ roul’ la petite reine a bien grandi
Rein’ de Paris

Le p’tit facteur part pédaler tout’ la journée
Alors que l’hirondell’ va bientôt le doubler
Il a d’la glu U dans les mollets…

Ah ! le vélo des beaux jours
Qui va finir son grand tour
Il est bientôt arrivé sur les Champs-Elysées
Des cols des Alpes jusqu’aux Landes
Il a écrit sa légende
Roul’, roul’ roul’ la petite reine a bien grandi
Rein’ de Paris

Le livreur noir a failli s’faire écrabouiller
Après l’ feu roug’ pour un refus d’priorité
Faut livrer chaud oh dans ce boulot !

Ah ! le vélo des beaux jours
Qui va finir son grand tour
Il est bientôt arrivé sur les Champs-Elysées
Des cols des Alpes jusqu’aux Landes
Il a écrit sa légende
Roul’, roul’ roul’ la petite reine a bien grandi
Rein’ de Paris

Le bobo qu’a mal au dos sur son vélo
Ne sortira que s’il est sûr d’la météo
Jouer l’hidalgo et manger bio

Ah ! le vélo des beaux jours
Qui va finir son grand tour
Il est bientôt arrivé sur les Champs-Elysées
Des cols des Alpes jusqu’aux Landes
Il a écrit sa légende
Roul’, roul’ roul’ la petite reine a bien grandi
Rein’ de Paris »

Vélo, boulot, prolo, écolo, bobo, bio, et hidalgo … avec les voix de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault et les réclames de Georges Berretrot, cela a un p’tit air d’hymne des 6 Jours de Paris dans l’ancien Vel’ d’Hiv’.
« Il faut jouer pour devenir sérieux », c’est Aristote qui le dit.
Allez Martin ! Vas-y Dréano !

*http://encreviolette.unblog.fr/2018/03/16/vas-y-lormeau-les-forcats-de-la-route-a-la-comedie-francaise/
** L’Échappée de Lionel Bourg (éditions de l’Escampette)
http://encreviolette.unblog.fr/2015/02/11/lionel-bourg-sechappe-avec-charly-gaul/
*** Et lâchez les hirondelles … de Michel Dréano (éditions Toubab Kalo)
**** anecdote réelle tirée du livre Vélo de René Fallet (collection Idée fixe)
***** surnoms attribués respectivement aux anciens champions du Tour Jean Dotto, Édouard Fachleitner et Jean-Claude Meunier
****** Au Cycliste inconnu, paroles de Michel Dréano musique de Jacques Déljéhier
******* Vive la petite reine (Michel Dréano-Guenael Louer-Julia Paris) dans le cadre des ateliers d’écriture de Claude Lemesle)

Publié dans:Coups de coeur, Cyclisme |on 1 août, 2020 |Pas de commentaires »

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