Ici la route du Tour de France 1950 (1)
Encre violette vous gâte, chers lecteurs … enfin, ceux qui sont amoureux de la petite reine, et je sais qu’il en existe !
Je ne pratique pas « l’épuration » mémorielle, la nouvelle marotte de ce début d’été. J’ai l’habitude, à cette époque, d’évoquer les Tours de France d’après-guerre (la seconde) qui se trouvent être aussi ceux de mon enfance. Je commence d’ailleurs à moins m’en réjouir tant tous ces « compagnons du Tour » (selon la belle expression de Maurice Vidal) nous quittent inexorablement. Je n’ai pas effectué le décompte mais il en reste encore au moins un en vie. Je vous laisse le temps de la lecture de ce billet pour trouver la solution.
Le truculent romancier René Fallet ironisait à peine : « Quand le Tour de France n’a pas lieu, c’est comme par hasard, le tour des catastrophes. Qu’on en juge : il ne manque au palmarès de cette épreuve que quelques lignes, et elles correspondent fâcheusement aux années noires des deux dernières guerres mondiales … Je ne vois pas en quoi rayer de la planète la course cycliste, ou le serment d’amour, ou la cueillette des champignons, empêchera les bûchers de brûler, les fours à gaz de s’allumer … En fin de compte, dès qu’on ne numérote plus les dossards, on numérote les abattis. »
En cette année chamboulée par l’épidémie du coronavirus, le Tour de France semble avoir échappé au pire en bénéficiant d’un simple report à la fin de l’été. Ainsi, mes chroniques possèdent une saveur particulière puisque, en ce mois de juillet, le seul Tour de France que vous pourrez suivre, c’est celui que j’entreprends de vous raconter en puisant dans mes chères collections (et celles de mon ami Jean-Pierre) en bistre, en bleu et en vert, une recherche documentaire parfaitement adaptée en période de confinement.
J’avais 3 ans en 1950, et c’est probablement la première fois que je vis « passer » le Tour, dans des circonstances que je vous relaterai un peu plus loin.
Mes lecteurs les plus fidèles se souviennent sans doute de mes billets consacrés au Tour 1949 d’anthologie survolé par le légendaire campionissimo Fausto Coppi, déjà vainqueur du Giro.
Est-ce d’ailleurs pour éviter une telle hégémonie que Jacques Goddet, le directeur général de l’épreuve, dans un « article exclusif », présente les réformes en vue d’accélérer le rythme de l’épreuve et d’en assurer l’équilibre.
« Nous avons cherché, pour 1950, à limiter les effets des deux tendances qui nous apparaissent les plus néfastes au bon développement sportif du Tour : le trop grand avantage accordé aux grimpeurs d’une part, les excès de « domesticité » d’autre part. »
– réduction des effectifs des grandes équipes à 10 hommes : nombre restreint de domestiques désignés, obligation pour les leaders d’entrer davantage dans la mêlée des premières étapes.
– limitation des délais d’arrivée : chacun devant se soucier de rallier l’étape sans flâner, les « porteurs d’eau », les « donneurs de roue » ne pourront plus pousser trop loin leur sacrifice et , surtout, ne pourront plus abusivement se réserver, leur tâche domestique accomplie.
– réduction des bonifications au sommet des cols pyrénéens et alpestres
– innovation primordiale : un gros prix de 100 000 francs va être attribué en brassard-rente quotidienne au porteur du maillot jaune. L’intérêt est de revaloriser, récompenser les efforts de ceux qui lancent la bataille dès le début de l’épreuve, d’animer la course dans les étapes de plaine et d’obliger ainsi les attentistes et les grimpeurs à entrer tôt dans le jeu sous peine de se retrouver vraiment trop éloignés au classement au moment d’aborder les méchantes bosses. »
Jacques Goddet, prudent, ajoute tout de même : « Mais on sait que les lois édictées pour détruire des maux reconnus risquent d’en créer de nouveaux, tant la réaction humaine porte vers l’interprétation la plus profitable de la législation et des moyens de son application. » Un comportement qui n’a guère évolué sept décennies plus tard !
Ces mesures sont peut-être peine inutile, car l’archi-favori Fausto Coppi doit déclarer forfait à cause d’une fracture du bassin suite à une sévère chute survenue lors de la grande étape des Dolomites du Giro.
Un autre accident impliquant aussi la responsabilité de motocyclettes suiveuses a endeuillé le cyclisme français dans la quinzaine précédant le départ du Tour. Camille Danguillaume, l’oncle du populaire Jean-Pierre, alors qu’il était en passe de remporter le championnat de France disputé sur l’autodrome de Montlhéry, est victime d’une terrible chute, et décède quelques jours plus tard d’une fracture du rocher.
Le monde du sport français s’était donné rendez-vous à Joinville pour conduire Camille à sa dernière demeure. Son ultime adversaire Louison Bobet avait déposé son maillot tricolore sur le cercueil du champion cycliste qui comptait à son palmarès le Critérium National de la route 1946 et 1948 ainsi que la « doyenne » Liège-Bastogne-Liège 1949.
Selon la formule consacrée, the show must go on, ainsi Max Favalelli, le populaire cruciverbiste et ancien animateur de l’émission Des chiffres et des lettres, présente « le plus grand spectacle du monde » :
« Je voudrais prélever dans cet album aux mille pages, toujours diverses, quelques fresques d’ensemble, quelques tableautins de genre et même quelques miniatures.
C’est d’abord l’énorme kermesse du départ. La place du Palais-Royal, pavoisée de drapeaux, d’oriflammes avec des grappes de curieux pendues aux treilles des fenêtres. Pendant deux heures, le proche ministère des Finances et l’austère Conseil d’État suspendent leur activité. Ce qui fait que Robic, Bobet et Marinelli réussissent ce que ne parviennent pas à faire les puissants du régime : retarder l’application du budget et enrayer la « pompe à phynances ».
Paris est descendu dans la rue et assiste à la parade qui précède le lever du rideau. Les coureurs sont tout neufs. Vêtus de maillots aux couleurs éclatantes qui composeront plus tard les plus singulières combinaisons lorsque les chasses secoueront le kaléidoscope du peloton, on vient tout juste de les sortir de leur boîte.
Un record est déjà battu avant que Jacques Goddet ne frappe les trois coups : celui de l’embouteillage. Dix douzaines de cyclistes arrêtent net la circulation. Car le chauffeur d’autobus, le livreur sur son triporteur, le conducteur du camion, ne songent qu’à contempler ces héros qui se lancent dans une chevauchée fantastique et dont ils suivront quotidiennement les exploits. »
Le départ fictif est donné, place du Palais-Royal en plein centre de Paris, par le cinéaste et acteur américain Orson Welles qui se produisait au théâtre Édouard-VII dans une pièce intitulée La Langouste.
Voici ce que disait celui qui, à l’époque, avait déjà réalisé Citizen Kane, La Splendeur des Amberson et Macbeth :
« L’athlète dépasse le comédien. Le stade efface la scène. Seul le champion est en mesure de renouveler l’exploit. La performance dramatique, celle qui atteint aux sommets de l’émotion ne peut pas être de tous les soirs. Le sublime ne souffre pas la répétition. Une fois seule de ma vie, j’ai rencontré au théâtre le bouleversement : Fédor Chaliapine dans Boris Godounov. De pareils moments, le sport est moins avare. Le champion a la chance de se produire assez rarement pour pouvoir se donner. Il est visité. Comme une force le tire. Il se surpasse. Il embrasse l’apothéose. J’ai gardé le souvenir de ces gestes sportifs qu’une divine perfection fréquente : le punch de Joe Louis, le renvoi de balle de Joe Di Maggio, la passe de Manolete … La compétition sportive sait offrir, chaque fois, le moment de la vérité. »
J’avais donc 3 ans et … j’étais présent, pas loin, à la fenêtre d’un appartement cossu du 1er arrondissement. J’ai juste le souvenir fugitif, mais encore si bien imprégné, de rangées de coureurs aux maillots chatoyants défilant au bout de l’avenue : le Tour de France en chair et en os. J’ai tout de même fait des recherches pour m’assurer que ma mémoire ne me trahissait pas.
Le Tour démarrait le 13 juillet, un jeudi, c’était alors jour de congé scolaire, mais aussi le premier jour des grandes vacances. Mes parents étaient invités chez des anciennes connaissances de Normandie qui ne devaient pas goûter, outre mesure, la chose vélocipédique, ce qui explique sans doute ce simple regard depuis un balcon. De plus, le départ était donné … à 6h 45 du matin !
Le départ réel avait lieu à 8 heures à Nogent-sur-Marne. Dans l’immédiat après-guerre, le cyclisme était un sport éminemment populaire et, malgré l’heure matinale, Paris était en liesse, notamment sur les Grands Boulevards, les places de la République et de la Nation, au passage des 116 coureurs en route pour Metz première ville étape distante de 307 kilomètres.
En l’absence de Fausto Coppi, son grand rival italien, le vieillissant Gino Bartali, fait figure de favori. Les Français comptent sur Louison Bobet, récent champion de France, Jean Robic le vainqueur du Tour 1947, Jacques Marinelli révélation de l’édition précédente. Les Belges fondent des espoirs sur Stan Ockers, quant aux Suisses, ils voient en leur leader Ferdi Kubler beaucoup mieux qu’un outsider.
Mon vénéré Antoine Blondin ne débarquant sur le Tour qu’en 1954, la finesse de plume de Max Favalelli donne un peu de couleurs à cette première étape :
« Une vieille déformation sans doute. Mais lorsqu’un Français, en âge d’être mobilisable, reçoit l’ordre de se diriger vers Metz, il se sent aussitôt le cœur un rien militaire.
Aussitôt que notre « colonne » s’est ébranlée, j’ai senti s’accumuler d’autant mieux dans mon stylo les comparaisons guerrières que les bornes qui jalonnaient notre route portaient des noms évocateurs, tels que Clermont-en-Argonne, Verdun, Étain …
Je n’étais d’ailleurs pas le seul à être gagné par ce climat de grande manœuvre. Et j’ai surpris Jean Bidot dressé sur sa voiture ainsi que sur un char d’assaut, humant le vent qui soufflait depuis la ligne bleue des Vosges et s’interrogeant à la façon des chefs d’armée.
– Serait-il temps de lancer l’attaque ?
Et, en vérité, les populations amassées le long des talus considéraient avec un secret effroi cette horde tumultueuse se ruant vers la frontière et derrière laquelle nulle herbe ne poussera jamais.
Cette première étape fut un lever de rideau. On lie connaissance, on se familiarise avec les acteurs. Personne n’est encore très sûr de son texte et, si les vedettes s’amusent parfois à signaler leur présence en venant gambader sur le devant de la scène, le peloton qui fait le gros dos au soleil et paresse un brin le long de la Marne, tapie ainsi qu’une couleuvre dans son lit verdoyant, ne livre pas encore ses secrets.
Quoiqu’on en fasse, il flotte sur le Tour une odeur de vacances. Et il faudrait avoir une âme de citadin singulièrement endurcie pour prendre à son compte la boutade de Georges Feydeau qui déclarait avec une moue de boulevardier impénitent : « Le désagrément des guerres, c’est que ça se passe toujours à la campagne. »
Le Tour a ceci de bon qu’il apaise chez tous ses participants une fringale de grand air, un appétit d’évasion.
Même chez ceux qui auront plus tard à se plaindre des défauts de la nature. Le joyeux José Beyaert ne me confiait-il pas le matin : « Vingt-six jours de grand tourisme, un rêve que je vais enfin pouvoir me payer. » Il plaisantait bien sûr.
Mais, pour nous qui avons la chance de faire le Tour sans effort, sur une sorte de tapis volant, il nous sera bien difficile d’oublier le merveilleux voyage auquel nous participons. Et si nous accordons toujours la première place à la pièce –souvent dramatique- qui se jouera sous nos yeux, du moins, regarderons-nous aussi les décors.
En prenant la précaution de ne pas rentrer dedans … »
La première étape ne s’est animée que sur la fin, hormis quelques escarmouches de trois régionaux Parisiens ou banlieusards, Robert Chapatte (le futur grand commentateur), Attilio Redolfi et Kléber Piot.
Pierre Chany, laconique : « Vingt-deux kilomètres ont suffi aux 116 coureurs du Tour pour donner une conclusion à cette première étape disputée sur le parcours Paris-Metz, 307 kilomètres. 22 kilomètres au cours desquels Goldschmidt, Rémy et Lambrecht unirent leurs efforts pour prendre une minute et dix secondes au peloton.
On s’attendait généralement à une victoire de Rémy, réputé rapide au sprint et qui paraissait en bonne condition. Mais le Luxembourgeois, qui désirait entrer chez lui avec le maillot jaune sur les reins, bénéficiait d’une forme supérieure trouvée sur les routes du Tour de Suisse. »
Maurice Vidal note la « débandade » relative de l’équipe de France.
Le peloton termine à 1’ 18’’ des 3 hommes de tête. Amusons-nous quelques instants à recenser les membres de l’équipe de France qui s’y sont blottis : 2 ! On en a certainement oublié. Ce n’est pas possible ! Et bien si ! Seuls Raphaël Geminiani et Jacques Marinelli (pourtant peu en forme ce matin, perclus de furoncles et saignant du nez) ont répondu à l’appel. Les autres ? Bobet a cassé une roue en fin d’étape. Lauredi faisant contre mauvaise fortune bon cœur, a attendu son leader et tous les deux ont franchi la ligne 1 minute après le peloton.
Déprez a crevé à 40 km de l’arrivée. Abandonné, il risquait l’élimination. Giguet, Molinéris, Desbats et Baffert l’ont aidé. Lazaridès, hors de forme, en a profité pour se mêler à eux. Leur retard à Metz se solde à 11 minutes ! Et dire qu’Apo avait promis de s’entraîner tout l’hiver de façon à viser la victoire finale au mois de juillet !
Deuxième étape, 241 kilomètres courus, sous la pluie et dans la boue, dans les Ardennes belges, sur les routes de la célèbre classique Liège-Bastogne-Liège ! Les Français Raphaël Geminiani et Jean Robic se manifestent en ce jour de fête nationale.
Compte-rendu de René Mellix dans le Miroir des Sports : « Échappé dès la sortie de la grande cité lorraine, le Clermontois (Geminiani) a tenu tête au peloton jusqu’au 210ème kilomètre. Rejoint dès le début de la longue et sévère côte de Theux, Geminiani, qui a été magnifique de cran et de courage, de bout en bout, vit s’enfuir Robic puis Ockers.
« Biquet », superbe, hargneux, voulant vaincre à tout prix, a tenu tête longtemps à Ockers qui le suivait à trois-cents mètres sans pouvoir lui reprendre une seconde, et à un peloton regroupé fort de vingt et une unités. Mais il a dû s’avouer vaincu au sommet de la côte des Forges, à 10 kilomètres du but. »
De nos jours, se trouve au sommet de cette côte, un mémorial en l’honneur de Stan Ockers, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège et du championnat du monde en 1955, et décédé accidentellement lors des Six Jours d’Anvers 1956.
« Cette deuxième étape, qui avait promis beaucoup, s’est finalement terminée avec vingt-deux hommes au sprint. Le rapide Alfredo Leoni, que l’on n’avait jamais vu au premier plan pendant l’étape, a triomphé sans gloire devant Magni et Bobet…
Quant à Goldschmidt, il n’a fait que peu d’efforts, juste ce qu’il fallait pour conserver son maillot jaune. »
Finalement, le fait le plus marquant est peut-être l’absence dans le groupe des favoris des deux coureurs de l’équipe de France Jacques Marinelli et Apo Lazaridès, respectivement 3ème et 9ème du Tour précédent. Ils accusent à l’arrivée un retard de 6’31’’.
« Le départ de la troisième étape Liège-Lille a été donné à 116 concurrents, à 9h 19, sous le soleil revenu.
Neuf kilomètres après le départ, le régional de l’équipe d’Ile-de-France Attilio Redolfi, un autre Attilio le cadetti Lambertini et l’aiglon belge Isidore Deryck ont déclenché l’échappée qui allait être décisive.
Au onzième kilomètre, les trois évadés ont été rejoints par Bernard Gauthier, Pasotti, Blomme, Pedroni et De Muer. Ces huit audacieux n’ont plus été rattrapés malgré un brutal mais trop tardif réveil du peloton des vedettes.
Bernard Gauthier a crevé à 30 kilomètres de Lille et a rejoint ses camarades de fugue 5 kilomètres plus loin, après avoir produit de violents efforts qu’il a payés dans le sprint final.
L’Italien Alfredo Pasotti, habitué aux arrivées sur piste en cendrée, l’emporte à l’hippodrome du Croisé-Laroche.
Le Français de l’équipe du Sud-Est Bernard Gauthier ravit le maillot jaune au Luxembourgeois Goldschmidt, se vengeant ainsi de n’avoir pas été sélectionné dans l’équipe nationale. »
De son côté, Maurice Vidal, journaliste de Miroir-Sprint, a noté sur bloc-notes :
« On pensait généralement que la rente de 100 000 francs au maillot jaune allait inciter le propriétaire de celui-ci à le défendre farouchement. Il faut bien croire que Goldschmidt vise plus haut puisqu’il n’a guère réagi (ou trop tard) contre une échappée de 7 hommes qui compta jusqu’à 14 minutes d’avance. Bernard Gauthier reçoit la tunique et les 100 000 francs (environ 160 euros) des mains fines de Roberto Benzi (jeune chef d’orchestre prodige alors âgé de 13 ans).
À l’arrivée, Marinelli s’écroule sur le sol trempé. Lazaridès doit être énergiquement soigné, de même que Geminiani. Lorsqu’il est remis, celui-ci a un mot dont on ne sait s’il est inconscient ou plein d’humour : « Les deux premières, dit-il, étaient faciles à côté de celle-ci ». Chapatte en reste coi, ce qui est assez rare.
Ce soir, M. Wermelinger, chargé du logement des coureurs, est bien ennuyé. Un certain nombre d’abandons et d’éliminations se produit chaque année à partir de la première étape. Le nombre de chambres louées diminuent donc de façon progressive. Or, cette année, fait unique, pas un homme ne manque à l’appel de la troisième étape. Les coureurs ne sont pas gentils avec l’organisation.
Jean-Marie Goasmat (dit le « farfadet de Pluvigner » ndlr) promène sur ce Tour son expérience de vieux blédard qui surprend ceux qui l’ont connu jadis timide et rougissant. Par contre, il continue à ne négliger aucun profit, aussi minime soit-il. Tout à l’heure, après l’arrivée, il s’approche d’un car publicitaire, demande un litre d’apéritif, le met sous son bras remonte en vélo et se dirige vers son hôtel. Il fit ainsi cinq kilomètres sur les pavés lillois, serrant sa bouteille sur son cœur, comme un bouquet de vainqueur. »
Pierre Chany a relevé, également pour Miroir-Sprint :
« En marge de la course, nous assistâmes encore de Liège à Lille à la soumission (officielle) de Fiorenzo Magni, devenu pour Bartali un parfait domestique.
Échappé avec Bobet et Desbats, le chauve transalpin qui pouvait tirer profit de cette opération, refusa cependant de mener. Lorsque Louison s’écartait pour l’inviter … à prendre le vent, Magni lui répondait avec un air volontairement malheureux : « Ça m’est interdit, je ne suis que domestique. » Voilà les Tricolores prévenus ils ne doivent plus miser sur un duel Bartali-Magni qui (peut-être) leur eut été indirectement favorable. »
Le dimanche 16 juillet, la 4ème étape, longue de 231 kilomètres, conduit les coureurs de Lille à Rouen. Je n’ai aucun souvenir que mon père m’emmena les voir passer lors de la traversée de mon Pays de Bray natal
Maurice Vidal note : « Ce matin, le rassemblement avait lieu sur la place de la Liberté à Lille. Partant devant les coureurs, nous retrouvons Ferdi Kubler venant en sens inverse après le contrôle de départ. Il se précipite sur nous et assène à Charles Pélissier une bourrade de taureau vaudois en hurlant : « Excusez-moi, mais je viens de faire 10 kilomètres sous la pluie par la faute des agents français ! » Ah la police, déjà … !
Peu avant Neufchâtel-en-Bray (km 174), l’Algérois Ahmed Kebaïli de l’équipe Nord-Afrique et le Breton Roger Pontet de l’équipe de l’Ouest, profitant des premiers vallonnements de la boutonnière du Pays de Bray espérèrent un bon de sortie de la part du peloton. Peut-être l’auraient-ils obtenu si Robic n’avait pas crevé. Aussitôt, Magni et l’équipe d’Italie se mirent à sérieusement accélérer de façon à contraindre Biquet à fournir plus d’efforts. C’était de bonne guerre mais cela condamna les 2 échappés.
Pierre Chany nous raconte la suite : « À 25 kilomètres de Rouen, le peloton s’était regroupé et Adolfo Léoni (vainqueur à Liège) montait une garde vigilante aux avants-poste. Le rapide Romain, visiblement, préparait un sprint qui paraissait inévitable à beaucoup et quelques suiveurs partaient déjà vers l’arrivée avec la conviction d’assister là-bas à l’action principale et définitive de la course.
Mais les nuages crevaient une nouvelle fois, déversant sur la caravane une véritable trombe d’eau (il pleuvrait tant que ça en Normandie ?). Un Belge, Stan Ockers, profitait aussitôt de l’occasion. Une série de virages pris à toute allure sur une route glissante et l’échappée, la bonne échappée, était lancée. Seuls, s’accrochaient encore à sa roue, Bernard Gauthier, Blomme, Antonin Rolland, Goldschmidt et … Jacques Marinelli. Mais oui, le même Marinelli que l’on croyait vidé et qui surgissait aux portes de Rouen où, il y a un an(déjà) une charmante Normande lui remettait le maillot jaune, la ville qui, en 1947, favorisait Robic avec son fameux « miracle de Bonsecours ».
Entre ces six finisseurs et le peloton, où José Beyaert et Dominique Forlini faisaient flotter les couleurs de la capitale, la poursuite fut émouvante. Et, en vue de la banderole, 50 mètres à peine séparaient Bernard Gauthier de Dubuisson, le premier des chasseurs.
Ockers, lui, craignant le danger, avait cependant pris le large depuis un bon kilomètre. Toujours adroit, il s’était défilé sur les pavés des quais de la Seine avec la complicité de Blomme, son compariote et équipier pour passer devant Henri Boudard (le juge à l’arrivée ndlr) avec vingt secondes d’avance. »
Bernard Gauthier consolide son maillot jaune. L’autre fait du jour, c’est la résurrection-le mot s’impose- de Jacques Marinelli, remis à neuf par d’habiles soigneurs, débarrassé de ses furoncles, ayant assimilé ses médicaments. La Perruche s’est remplumée !
Qu’elle est belle ma Normandie qui m’a donné le jour ! Les coureurs ne me contrediront pas, la 5ème étape Rouen-Dinard, longue de 316 kilomètres, s’avère être une promenade cyclotouriste à 29,8 km/h de moyenne à travers le bocage normand. L’étape dite de transition par excellence !
La raison principale de cette monotonie vient de la stratégie de la Squadra Azzura et son leader Gino Bartali qui fait donner la garde en tête du peloton afin de briser toutes les vélléités offensives. Tactique que le maillot jaune Bernard Gauthier trouve à sa convenance : « Puisque les Italiens arrêtent la course, laissons-les faire. Ce sera toujours autant de travail en moins pour les Sud-Est !»
L’étape s’est animée à 25 kilomètres de l’arrivée avec l’échappée du Bordelais de l’équipe de France Robert Desbats et le fidèle gregario de Bartali Giovanni Corrieri, déjà vainqueur de deux étapes lors du Tour 1948.
Sur la piste en terre battue de Dinard, Corrieri l’emporte à l’issue d’un sprint tellement serré que le juge à l’arrivée Henri Boudard doit attendre les documents photographiques avant de départager les deux coureurs.
L’équipe de Centre-Sud-Ouest, dirigée par Sauveur Ducazeaux, est à l’honneur : elle place trois de ses coureurs dans les dix premiers, Hervé Prouzet (3ème), Georges Meunier (5ème) et Noël Lajoie (7ème), des noms qui sentent bon notre douce France.
Après avoir goûté à une journée de repos (qu’ils avaient déjà prise vu leur apathie !), les coureurs doivent affronter l’épreuve dite de vérité, à savoir un contre la montre de 78 kilomètres entre Dinard et Saint-Brieuc. Les départs sont donnés sur l’esplanade devant la belle plage de l’Écluse, de nos jours réservée aux piétons.
Voici ce qu’en retient Max Favalelli dans son roman du Tour intitulé Lanterne rouge et Maillot jaune : « Repos, détente. On flâne sur la plage de Dinard. Bon père de famille, Bobet fait des pâtés sur le sable avec sa fille, Maryse. Mme Robic repasse le linge de « Biquet ». C’et l’étape des épouses.
Seul, dans le hall de son hôtel, le grand Kubler, en pyjama rayé, penche son long nez en forme de coupe-papier sur une carte de la région. La Suisse est le pays de l’horlogerie. Il n’est donc point étonnant que Ferdi excelle dans un match livré contre la montre.
Les spécialistes ne se sont pas trompés. De Dinard à Saint-Brieuc, on voit onduler l’échine souple de Kubler, moulée dans un maillot rutilant, car il attire le regard des commissaires qui infligeront une pénalisation (15 secondes) à ce partisan de la soie.
Petit drame à l’arrivée, Bernard Gauthier guette le verdict du chronomètre. Le Temps est un rongeur, et, pour quarante-sept malheureuses secondes, lui grignote son beau maillot jaune. La tête au creux des bras, Bernard s’effondre et pleure à petits coups comme un gosse.
– T’en fais pas, lui dit Albert Préjean, tu le reverras ton paletot … »
C’est le Luxembourgeois Jean Goldschmidt, troisiéme de l’étape, à moins d’une minute du Suisse, qui reprend le maillot jaune.
Je relève ceci dans le bloc-notes de Maurice Vidal, à propos de la pénalisation infligée à Ferdi Kubler pour infraction vestimentaire : « Il est paradoxal que toutes améliorations soient autorisées sur la machine en vue d’obtenir le minimum de poids et le maximum de vitesse (métal léger, boyaux ultra-fins, etc…) et qu’on interdise par contre de changer la matière d’un maillot. Kubler ne doit pas sa classe à la qualité de son linge. Cet article du règlement prétend défendre l’égalité de tous, vedettes et régionaux. Croit-on qu’un obscur régional aurait pu se faire monter un cadre entièrement en duralumin, comme le fit l’an dernier Lazaridès dans les Alpes ? » Récemment, lors d’un contre la montre, la performance collective de l’équipe Sky avait créé une polémique à cause d’une combinaison en vortex avec des bulles influençant sur l’aérodynamisme.
Prophète, le populaire acteur Albert Préjean : à l’issue de l’étape Saint-Brieuc-Angers (248km), Bernard Gauthier va reprendre au Luxembourgeois la toison d’or dont il avait été dépouillé la veille.
Peu après le départ, le « tricolore » Nello Lauredi a lancé l’échappée qui devait être décisive, emmenant avec lui le national italien Lambertini, le cadetti Alberto Ghirardi, l’aiglon belge Robert Demulder, et les « régionaux » Pierre Brambilla et Robert Castelin (Sud-Est), Attilio Redolfi (Ile-de-France), Roger Chupin (Ouest) et Alain Moineau (Centre-Sud-Ouest).
Bernard Gauthier se lancera bientôt à leurs trousses, accompagné par le Belge Hilaire Couvreur, Gino Sciardis de l’équipe de l’Ouest et le Lorrain Gilbert Bauvin.
Ce groupe, dont Moineau disparaît sur crevaison, dispute le sprint à Angers.
Qui l’aurait dit … Lauredi, récent vainqueur du Dauphiné Libéré, présumé pourtant moins rapide que certains de ses compagnons d’échappée, apporte à l’équipe de France sa première victoire d’étape. Le maillot jaune Goldschmidt, englué dans le peloton des vedetets, concède plus de 11 minutes.
L’étonnant Parisien Redolfi, originaire du Frioul-Vénétie Julienne et récemment naturalisé, pointe désormais à la seconde place du classement général, après avoir raflé, au passage à la « Belle-Alouette », la prime de 27 000 francs décernée par les Saint-Cyriens de la promotion « Général Frère » accourus de Coëtquidan. Une prime d’engagement, ironise Mithouard !
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas pour Jacques Marinelli. Max Favalelli nous relate son calvaire: « Mais au cours de la matinée, un drame a précédé cette comédie. À bout de forces, ayant dépassé les limites du courage, Marinelli a dû abandonner. Il avait essayé de placer une éponge dans son cuissard et il ne pouvait pédaler que debout, car le moindre contact avec la selle lui arrachait des gémissements de douleur.
– La fin d’un beau rêve ! me dit-il avec un pauvre sourire.
Le soir, je le retrouve désœuvré, désemparé, errant dans les coulisses d’un spectacle de music-hall. On le harcèle, on le prie d’expliquer au public les raisons de son abandon.
Gentil, courtois, il se laisse faire.
– Embrassez la Reine d’un Jour, lui demande Jean Nohain. Marinelli s’exécute et me glisse à l’oreille :
– En tout cas, ne cherchez pas le Roi d’un Jour, ce n’est sûrement pas moi.
Le lendemain, je le regarde partir vers la gare, mélancolique et portant à la main le maigre bagage des émigrants. »
Y aurait-il un « cluster » de furonculose en région parisienne ? Après Jacques Marinelli, originaire de Melun, c’est le pauvre Robert Dorgebray de l’équipe Paris-Nord-Est qui, atteint du même mal, rentre à la maison. Et son coéquipier Robert Chapatte ne tenait plus debout à l’arrivée, après avoir couru l’étape avec entre les jambes deux grosses boules gênantes.
Avec sa verve coutumière, Max Favalelli nous conte maintenant la 8ème étape Angers-Niort (181 kms seulement !) :
« Le lendemain, pour atteindre Niort, nous frôlons La Flèche, puis nous franchissons cavalièrement le beau pays de Saumur, où les suiveurs boivent –c’est bien le cas de le dire- le coup de l’étrier, pour achever ce pèlerinage soldatesque en traversant Saint-Maixent.
– Si tu passes au contrôle, dit sérieusement De Muer à Brûlé, ne te trompe pas, c’est ton fascicule de mobilisation que tu dois présenter.
Est-ce que ces stations successives ont mis de la poudre dans l’air ? En tout cas, Rémy se sent d’humeur batailleuse et agresse José Beyaert. Le tout se terminera par un armistice. Et les officiels, qui avaient menacé le belliqueux Marseillais de deux jours de salle de police (2 000 francs d’amende), avec demande d’augmentation, consentent à lui accorder le bénéfice de l’amnistie.
Nous avons abandonné au revers du chemin une autre victime. Le malheureux Mahé a fait une chute terrible et est transporté à l’hôpital. Cependant que son camarade de marque, Bobet, montre le bout de son nez et conduit une échappée victorieuse. Louison avait bu, au départ, un petit verre de Cointreau que le propriétaire de cette liqueur était venu lui servir lui-même.
– Ça va, on a compris ! lui dit Baffert, si tu marches à l’alcool …
Un autre gaillard a fait des étincelles, c’est l’ancien facteur, Meunier, qui fit une méchante partie de « manivelles ».
– Alors quoi ? lui demande Prouzet. Tu avais du courrier « urgent » à livrer aux Niortais ? »
Pour être honnête, l’étape a été un peu plus animée que les jours précédents et a donné lieu à de nombreuses échappées dont Louison Bobet, dans son maillot de champion de France, faisait souvent partie.
C’est même lui qui déclenche le « bon coup » à 50 kilomètres de l’arrivée emmenant avec lui deux cadors, le Belge Stan Ockers et l’Italien Fiorenzo Magni, ainsi que le régional de l’équipe du Centre-Sud-Ouest, le jeune Georges Meunier surnommé le « facteur de Vierzon » pour avoir travaillé comme télégraphiste puis préposé au courrier à la Poste de la cité berrichonne.
Bobet, Ockers et Meunier ont joué tour à tour les locomotives et c’est le « fourgon italien » Magni qui en a profité en s’accrochant aux roues de ses compagnons d’échappée pendant 50 kilomètres avant de passer enfin en tête dans les 50 derniers mètres, raflant du même coup la minute de bonification que lorgnait Bobet.
Je choisis encore de prendre la route de Bordeaux aux côtés de Max Favalelli dont je savoure l’esprit hédoniste. Aujourd’hui car à l’époque, je n’étais même pas encore en âge d’entrer en maternelle !
« Nous quittons la Vendée verdoyante et grasse pour les vignobles du Bordelais. Avec une courte halte à Cognac où Lasserre, l’ancien international de rugby, distribue de précieuses bouteilles aux suiveurs. Fernand Trignol, roi des truands, (acteur, spécialiste de l’argot, et auteur d’un livre « Pantruche ou les mémoires d’un truand », ndlr) obtient double ration en déclarant avec pompe :
– Je suis l’envoyé spécial de l’Académie française.
Mais nous perdons en route le meilleur de ses disciples, le truculent Chapatte, terrassé par la furonculose.
– Le « clou » de l’épreuve, c’est ma pomme, ironise-t-il.
Et il ajoute, en dissimulant son désespoir de ne pas pouvoir poursuivre cette course qu’il avait minutieusement préparée :
– Je suis nettoyé. À moi le camion-balai ! Et conduisez-moi chez la Veuve Plumeau.
À Barbezieux, Desbats hume l’air à grands coups et respire les effluves natals. Il pique des deux, emmenant dans son sillage Geminiani, Schotte qui tire sur son guidon à la façon d’un laboureur flamand et trois coureurs italiens dont deux « cadetti » qui refusent de mener.
– Ils ne nous font pas de fleurs ! grommelle Desbats.
Ce n’est pas comme les habitants de Saint-André-de-Cubzac qui ont dévasté leurs jardins et font pleuvoir sur les fugitifs une pluie de roses… »
Depuis le vélodrome de Bordeaux, Pierre Chany nous relate l’issue de l’étape d’un point de vue plus technique :
« Bordeaux possède la piste « damnée » du Tour de France et, chaque année, que la course vienne du sud ou du nord, des incidents se produisent à l’arrivée.
Il y a trois ans, le Suisse Tarchini était déclassé au bénéfice de Tacca pour avoir gêné le Parisien dans le dernier virage.
En 1949, Van Steenbergen se trompait d’un touret la victoire de Lapébie ne fut pas celle que ses supporters espéraient.
Cette fois, Pasotti accomplit sous les huées un tour d’honneur que les Bordelais réservaient à Robert Desbats.
Depuis le début de l’après-midi, les spectateurs massaient sur les gradins étaient tenus au courant des événements : Desbats et Geminiani s’étaient enfuis après le ravitaillement de Barbezieux entraînant avec eux Schotte, Pedroni (Italie) et les deux cadetti Pasotti et Bonini.
Cela, tous les spectateurs le savaient, mais ils n’ignoraient pas davantage que les trois Italiens, bien que d’équipes différentes, s’accordaient pour ne pas mener (ou si peu que mieux ne valait pas en parler).
Déjà indisposée par cette trop visible collusion, la foule se déchaîna ensuite lorsque Pedroni et Bonini se placèrent pour battre Desbats, l’enfant du pays, au sprint.
Que faut-il penser des Italiens qui font constamment cause commune, en dépit du règlement (formel) qui interdit toute entente entre des coureurs d’équipes considérées comme rivales ? Aux commissaires de donner une réponse à cette question. »
Maurice Vidal, qui a dû revenir à Paris durant trois jours, a pu constater que l’attention portée au Tour était beaucoup moins vive que les années précédentes, au moins jusqu’ici : « L’événement s’explique de diverses façons. On a pris l’habitude de penser que les faits d’actualité s’estompaient devant le succès de la « grande boucle ». On a eu tort puisque les journaux consacrent cette fois leurs gros titres aux événements de Corée. L’éventualité d’une guerre ou d’une augmentation du service militaire, ou des privations inhérentes au passage à l’économie de guerre, sont des choses qui touchent bien plus le public, et spécialement les jeunes Français, que des exploits « sur piste d’un obscur Pasotti. Ce n’est pas un commentaire, c’est une constatation. Et puis … il faut bien le dire, la course par elle-même n’est pas d’un intérêt majeur. »
Et le journaliste de Miroir-Sprint poursuit : « Mais il faut bien aborder le sujet crucial : il est hors de doute que l’éternelle tactique employée par les Italiens (Cadetti et Nationaux) nuit considérablement à l’intérêt de la course.
C’est tellement vrai qu’on a pu justement la qualifier de tactique d’étouffement. Voir un Magni, éclatant de santé et de classe, jouer les domestiques, se laisser traîner par des compagnons d’échappée pour finalement leur voler la victoire d’étape a quelque chose d’exaspérant. … La pratique de la super vedette entourée de coureurs moyens, jouant les utilités, a déjà réduit le Giro aux proportions de l’étape des Dolomites. La supériorité italienne en matière de cyclisme permet aux vedettes transalpines d’imposer la même méthode au Tour de France. Souhaitons que la méritoire activité des régionaux français permette de briser la gangue qui entoure actuellement la plus belle des coureurs cyclistes. »
En route pour Pau avec Max Favalelli, décidément je me plais bien en sa compagnie :
« Un petit air mondain que rehaussent la présence de Mireille, tout de même dans un maillot jaune et celle du compositeur Louis Beydts, et qui estiment que ce que réussissent le mieux les coureurs, ce sont les fugues.
C’est jeune et ça ne sait pas ! Le môme Dussault, irrespectueux des traditions, rompt la trêve classique qui s’établit dans la traversée des Landes et s’en va, tout seul, comme un grand.
– Il faut bien que jeunesse se passe ! pense le peloton qui fait le gros dos au soleil.
Arrivée triomphale sur un stade de l’Armée.
Et pour faire couleur locale, André Dassary s’est déguisé en drapeau : short bleu, maillot rouge et chapeau blanc. (Chanteur d’opérette, il devint très populaire sous l’Occupation avec la chanson « Maréchal, nous voilà » à la gloire de Pétain, ndlr)
– Tu vas nous chanter La Marseillaise ? demande Queugnet. »
En dépit de l’apathie du peloton, il faut féliciter la performance de Marcel Dussault, le Berrichon de La Châtre, qui s’impose à Pau après sa chevauchée en solitaire de 190 kilomètres. Il succède dans la légende du Tour à un autre Berrichon André Bourlon (le vélodrome couvert de Bourges porte aujourd’hui son nom) qui avait réalisé un exploit encore plus retentissant entre Carcassonne et Luchon, lors du Tour 1947. Son échappée de 253 kilomètres reste la plus longue dans l’histoire du Tour de France.
Sinon, l’’étape s’est déroulée le plus tranquillement du monde, Bernard Gauthier conservant son paletot jaune. Tout au plus, peut-on signaler quelques échanges d’amabilités entre Fiorenzo Magni et Maurice Blomme, le Belge n’appréciant guère la collusion trop évidente entre les deux équipes italiennes.
Albert Baker d’Isy fait le point : « Nous y voici. Le boulevard des Pyrénées à Pau est un lieu de réflexion tout indiqué la veille de la première étape de montagne. De la permanence du Tour, on découvre les principaux sommets, Aubisque, Tourmalet et Aspin, qui constitueront mardi (après le jour de repos) un triple obstacle redoutable pour les 93 coureurs qui ont passé les dix premières étapes. »
Charles Pélissier confie son pronostic : « Je serais étonné que la première étape de montagne, malgré l’Aubisque, le Tourmalet et autres « seigneurs » pour lesquels j’ai quelque respect, soit vraiment décisive. Il y a trop de plat entre le sommet du dernier col et l’arrivée à Saint-Gaudens. Fatalement, des regroupements se produiront entre grands grimpeurs et ceux ne s’étant pas trop laissé distancer. Ce premier contact permettra tout de même de juger mieux que je n’ai pu le faire jusqu’à présent les principaux favoris. »
De cela, je vous entretiendrai dans un second billet. Mais sans « spoiler » l’issue de ce Tour, je vous promets quelque rififi dans les Pyrénées !
Pour vous faire revivre ces premières étapes du Tour De France 1950, j’ai puisé dans les précieuses collections des revues Miroir-Sprint et But&Club Miroir des Sports.
Mes vifs remerciements à Jean-Pierre Le Port pour m’avoir aidé à rassembler tous ces documents.
