Archive pour juillet, 2020

Ici la route du Tour de France 1950 (3)

Pour celles et ceux qui auraient manqué les premières étapes :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/07/01/ici-la-route-du-tour-de-france-1950-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/06/26/ici-la-route-du-tour-de-france-1950-2/

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Après la journée de repos, sur la Promenade des Anglais, pour la dernière semaine de course, on attend enfin une véritable bataille des Alpes pour secouer un Tour de France qui vaut plus par ses à-côtés que par son intérêt sportif.
À 7h 32, 59 coureurs quittent les bords de la Méditerranée pour effectuer la dix-septième étape Nice-Gap (229 kms), en empruntant deux cols inédits dans le Tour : le Vasson et la Cayolle.

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Comme souvent, je choisis de « faire l’étape » en compagnie de Max Favalelli :
« Avoir une réputation bien établie de sévérité, s’attendre à ce que les prévenus viennent se présenter humblement, un par un, pour subir votre verdict, et, au lieu de cela, assister à un assaut massif tel que l’audience tourne à la pétaudière, telle est la mésaventure qui est arrivée à un juge de paix, honorablement connu dans son quartier des Alpes.

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Venu spécialement de Paris avant de s’embarquer à destination de l’Amérique du Sud, Serge Lifar (maître de ballet de l’Opéra de Paris), auquel on avait vanté la rigueur de ce fameux col de la Cayolle –car c’est de lui qu’il s’agit- s’écria en contemplant ce paquet de vingt-cinq hommes, qui montaient de concert, et en « danseuse », (pour lui faire honneur sans doute) :
– Vous m’annonciez un récital d’une danseuse étoile, et voici tout un corps de ballet !
En réalité, cette étape Nice-Gap fut surtout une épreuve pour les suiveurs : c’est-à-dire que leurs voitures furent sévèrement mises à l’épreuve. Une chaleur torride, de gentilles petites grimpettes. Il n’en fallut pas davantage pour que les chauffeurs aient à conduire des machines à vapeur qui bouillaient ainsi que des samovars.
Une mesure pour rien. Et Kubler reçoit les félicitations d’une délégation de chasseurs alpins, avec un sourire qui lui fend les joues jusqu’aux oreilles. »

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Pierre Chany fournit quelques explications pour justifier l’apathie des champions :
« Parce que les cols se trouvaient placés trop loin de l’arrivée, cette étape Nice-Gap n’a rien apporté de positif au classement général. Les positions sont restées ce qu’elles étaient sur les bords de la Méditerranée et, seul Geminiani, vainqueur à Gap, a repris 2 min 44 sec à Ferdi Kubler.
On s’y attendait un peu. La réserve des leaders de la course ne nous a pas surpris, car nous savions que Robic comme Bobet et Ockers ne seraient pas assez fous pour attaquer dans le col de la Cayolle situé à 98 kilomètres du but.
Un seul désir animait Robic aujourd’hui : prendre la bonification au col de la Cayolle … Dans cette passe d’arme pour la bonification, Robic et même Bobet nous ont paru supérieurs à Kubler, moins à son aise qu’il ne le fut dans le Turini… »

Version 2

Pour Charles Pélissier aussi, cette étape fut un coup nul, il marque ainsi sa déception :
« Il m’a rarement été donné de voir un col tel que celui de la Cayolle (2 326 mètres) escaladé par un peloton aussi imposant. Ce col qui constituait en fait la grosse difficulté de l’étape n’a pratiquement joué aucun rôle. Robic, qui est sans contestation possible, le meilleur grimpeur du Tour, s’est contenté d’accélérer dans les derniers lacets pour enlever la bonification. Il était suivi, à peu de distance, de Bobet mais aussi de Kubler, Ockers, Geminiani et, en général, de tous ceux ayant déjà eu l’occasion de se distinguer dans la montagne. Dans la descente, un regroupement s’est opéré.
C’est, en définitive, dans le tout petit col de la Sentinelle, que se joua la course. Meunier, suivi de Geminiani et Brambilla, se détacha pendant l’ascension et comme l’arrivée à Gap était située presque immédiatement après la descente, ils ne furent pas rejoints. Geminiani, meilleur descendeur que Meunier –vraiment novice dans ce genre d’exercice- parvint en solitaire à Gap, apportant ainsi à l’équipe de France sa seconde victoire d’étape. »
Quant à Albert Baker d’Isy, il se projette déjà vers l’étape du lendemain avec au menu les cols de Vars et d’Izoard : « Plus que jamais, ce soir à l’étape, dans Gap la tumultueuse, l’obligation d’attaquer à outrance s’impose demain pour les Français. Nous ne leur reprocherons pas de ne pas l’avoir fait avant Gap puisque dans le dernier numéro de « Miroir-Sprint nous écrivions au contraire que Robic devait se méfier de cette étape au parcours nouveau, qu’il ne fallait pas se lancer à l’aventure pour ne pas courir le risque d’un effondrement brutal dans l’Izoard … Dans toute cette histoire, il y a quelqu’un que ni Robic ni Bobet, ni les journalistes, ne doivent oublier. C’est Ferdi Kubler qui porte le maillot jaune et qui est d’autant plus décidé à le garder qu’une victoire dans le Tour de France est pour lui la seule façon de contrebalancer dans le cœur des sportifs suisses, le « doublé de Hugo Koblet dans le Giro et le Tour de Suisse. »
Gaston Bénac, dans But&Club, fournit la même analyse :
« Est-ce parce qu’on attendait beaucoup de cette grande première alpestre, au travers de cols inconnus, mais qui de loin, sur notre graphique, paraissaient sensationnels, qu’on fut déçu de voir vingt-cinq coureurs se regrouper à 2 000 mètres d’altitude et cinquante coureurs descendre ensemble après Barcelonnette, dans la vallée de la Durance, et attendre les dix derniers kilomètres pour voir deux hommes tenter quelque chose.

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Le fait que Geminiani et Meunier aient su tirer leur épingle du jeu sur la fin de cette grande étape alpestre ne constitue qu’un fait presque secondaire, sans grande relation avec le problème des quatre « grands », le seul dont nous attendions la solution avant Lyon.
Il y eut, en effet, deux vainqueurs dans la journée d’hier : Geminiani d’abord, Kubler ensuite et surtout. Aussi, je comprends son sourire à l’arrivée, un sourire qui exprimait le sentiment suivant : on n’a voulu me faire aucune peine, même légère, on m’a accordé un sursis.
Kubler, dans la pensée de tous, devait être attaqué par Ockers, Robic et Bobet. Or, personne ne bougeant, le maillot jaune n’a plus qu’une étape à redouter : celle de Briançon qu’il aborde avec une faible avance sur Ockers, mais avec une marge telle sur Robic et Bobet qu’il peut envisager une défaillance qu’il rachèterait bien vite, contre la montre, de Saint-Étienne à Lyon. En résumé, si Kubler ne « craque » pas dans Vars et l’Izoard, il aura probablement gagné le Tour de France à Briançon … »

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On devrait donc savoir aujourd’hui ! Le départ de la dix-huitième étape Gap-Briançon est donné, sous la pluie, à 9h 47, aux 58 rescapés.

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Le calme a régné jusqu’au pied du col de Vars (83ème km). Dès le début de l’ascension, Geminiani, décidément en forme, se sauve. Mais bientôt, Louison Bobet s’extirpe du groupe des vedettes, Kubler, Ockers, Brambilla, Piot, Impanis, Robic, puis rejoint et dépasse son coéquipier, pour parvenir détaché au sommet du col de Vars.
Robic a cassé sa roue libre et perdu du terrain. La malchance ne l’épargnera pas car il sera, par la suite, victime d’une rupture d’un câble de frein et de deux crevaisons. André Leducq a sa petite idée sur ces avatars de « Biquet » qui n’auraient rien à voir avec quelconque sortilège de la « sorcière aux dents vertes » :
« Je me demande si Robic fera, une fois le Tour terminé, son mea culpa et s’il comprendra enfin qu’il a un peu trop joué avec le feu.
Je m’explique. On ne gagne pas le Tour qu’avec ses jambes, mais aussi avec une bicyclette. Et, comme la mécanique joue toujours un rôle important dans le Tour, il est plus qu’utile de ne pas créer de raisons supplémentaires d’avoir des « pépins ».
Or, le routier breton s’est ingénié à en provoquer constamment. Je ne sais pas ce qu’il éprouvait en accumulant les causes de pannes les plus diverses, mais, à moins qu’il soit insensible à toute critique, et aussi borné qu’un rhinocéros, il doit se rendre compte qu’il a fait son propre malheur.
Dans l’étape Gap-Briançon, celle qui lui a infligé le plus important retard qu’il enregistra depuis le départ, il a vu sa roue libre (italienne) grignoter le filetage de son moyeu (français). Et ce qui paraît une malchance invraisemblable n’est que le résultat d’une imprudence. Les routiers français qui utilisent un matériel de chez nous ne connaissent pas ces avatars. Mais Robic, pour pouvoir adapter sa roue libre étrangère sur un moyeu nullement fait pour la recevoir avait dû « faire de la mécanique ». Je crois que ça l’amuse. Mais, alors, dans ces conditions, qu’il ne vienne pas accuser la malchance.
Déjà, pour une raison presque analogue, il avait dû changer de cadre. Auparavant, à Liège, il avait vu une de ses pédales le lâcher parce qu’il avait adopté une invention n’ayant pas fait ses preuves sur le banc d’essai infernal qu’est le Tour.
Je l’avoue, je n’ai jamais vu un coureur rechercher la catastrophe avec autant de suite dans les idées.
Je regardais son vélo, hier : le câble de son frein arrière a cette particularité … de traverser sa tige de selle. C’est peut-être très original, mais un garçon qui prétend vouloir gagner le Tour et qui, en tout cas l’espère bien, a-t-il le droit de courir autant de risques ? Si Robic, au cours d’une étape, casse sa tige de selle –ce qui arrive de temps en temps- le voilà privé de freins.
Un vélo est toujours trop compliqué dans une épreuve comme le Tour. Et ce qui a sans doute sa raison d’être dans un concours de cyclotouristes ne peut rien apporter de vraiment utile à un concurrent du Tour. Tout ce qu’il risque est de voir la victoire s’envoler.
Déjà Robic a dû se passer des services de la plupart de ses équipiers parce que ces derniers ne peuvent évidemment avoir le même matériel hétéroclite que le sien. Rappelez-vous ses gymnastiques et ses changements de vélo parce qu’il ne pouvait adapter sur sa monture les roues de ses équipiers.
Tout cela n’est pas très sérieux et indigne d’un garçon qui, cependant, sur un autre plan, fait son métier très sérieusement.
Robic comprendra bien un jour. Et il regrettera sans doute les bêtises que n’auraient jamais commises un Sylvère Maës ou un Antonin Magne et, pourquoi pas, votre serviteur, jadis trop heureux qu’il était (de son temps) de pouvoir être secouru ans avoir besoin des services d’un ingénieur. »

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1950-08-04+-+But+et+CLUB+-+252+-+05 2 Kubler Geminiani

Ironie de l’Histoire : dans le Tour 1948, Louison Bobet portait le maillot jaune depuis dix jours, lorsqu’il fut victime d’un incident mécanique au pied de l’Izoard. Mal soutenu par le directeur de l’équipe de France, on le dépanna avec un vélo qui n’était pas le sien et il dût monter l’Izoard … sur le vélo de Robic, bien plus petit que lui !
Mais cette année, ce ne sera pas la même chanson. C’est même le début d’une grande histoire d’amour avec ce col mythique où il construira ses futures victoires dans les Tours 1953 et 1954.
C’est un groupe de 5 coureurs qui parcourt la vallée du Guil : le maillot jaune Kubler, les Tricolores Bobet et Geminiani et les Belges Ockers et Impanis. Comme dans le col de Vars, Geminiani part en éclaireur au début de l’ascension mais, seul avec le vent de face, il est revu à 8 kilomètres du sommet. C’est alors que Louison porte l’estocade. Voici ce que rapporte Max Favalelli :
« L’international de rugby, Robert Soro, qui avait hissé sa gracile personne jusqu’à la cime de l’Izoard, scruta l’horizon. Une pluie glaciale lavait les dalles énormes de la Casse Déserte. Et dans la cuve géante de la montagne, l’orage crépitait.
Soudain, perdu au milieu des éléments déchaînés, minuscule sur la route transformée en fleuve de fange, agrippé à la paroi, un homme avance, en secouant vigoureusement son vélo.
– Robic ! hurle Soro.
« Grouchy ? … C’était Blücher … « Ici, c’est Bobet qui paraît, qui sort de cet enfer. Cinq mille fanatiques emmitouflés dans des toiles de tente et qui forment, à près de trois mille mètres d’altitude, une curieuse assemblée de Lamas, crient leur enthousiasme, cependant que Bobet, après avoir franchi le col, est avalé littéralement par la descente, et fonce vers Briançon où il arrivera premier en décrivant de larges orbes. Le vol de l’aigle !
Et cependant que le vainqueur reçoit très simplement le tribut de ses admirateurs, à deux pas de lui, un homme est effondré et sanglote : Robic pleure ses illusions perdues !
Dure, effroyable journée, et impitoyable celle-là ! Le pauvre Forlini, qui avait pris le départ en grelottant de fièvre, auquel on avait fait une série de piqûres afin de calmer ses douleurs, a dompté ses souffrances. Chaque coup de pédale était, pour lui, un martyre. Ahanant, geignant, il parvint au but.
– Onze secondes de trop ! Vous êtes éliminé !…
Avoir parcouru 165 kilomètres sous la tornade, gravi Vars et l’Izoard, et échouer dans les cent derniers mètres, il y a de quoi se révolter ! Forlini n’y songe même pas. Il courbe les épaules, et sans même descendre de machine, se dirige vers son hôtel où il retrouvera son maigre baluchon et son billet de retour pour Paris. »
Au classement général Kubler reste solide maillot jaune mais Louison Bobet s’est rapproché à 6’46″ et redevient premier du classement de la montagne (il n’y avait pas de maillot à pois distinctif à l’époque). L’espoir renaît dans le cœur des Français

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Jacques Marchand écrivait dans Miroir-Sprint :
« Comme si la montagne n’était pas un obstacle suffisant, il a fallu que l’étape de Vars et de l’Izoard soit aussi l’étape de la pluie, de l’orage, du brouillard.
Il fallait, dans de telles conditions, un champion pour triompher à Briançon et ce fut précisément notre champion de France Louison Bobet qui, en dominant tous ses adversaires, a redonné au Tour 1950 un intérêt qui allait s’amenuisant depuis l’abandon des Italiens. »

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Quelques jours plus tard, Félix Lévitan consacrait un article à : « Louison Bobet héros des Alpes (qui) a perdu le Tour au chant des cigales », eu égard à un fait de course qui avait paru assez anodin à l’époque :
« C’est en plein Izoard, au creux de la Casse déserte effrayante de cruauté et de grandeur, sous la pluie glacée qui tombait d’un ciel tourmenté, au plus fort de la bourrasque alpine, que les larmes de Bobet à Nîmes nous sont revenues en mémoire avec les grands yeux rougis d’où elles coulaient lentement.
L’athlète résolu, terrassant l’orgueilleux géant du Tour, c’était ce même homme abattu des plaines de l’Hérault, dont la voix assourdie murmurait entre deux crises nerveuses : « J’ai perdu le Tour … »
Nous n’imaginions plus qu’il serait le héros des Alpes. Nous ne supposions pas qu’il allait choisir le terrain le plus ardu du Tour pour tenter d’arracher à Kubler le maillot jaune du leader. Et dire que si ces larmes n’avaient coulé, Louison eût peut-être triomphé !
Avec le recul, la vision générale des événements, la comparaison des efforts, c’est un sentiment parfaitement valable, nullement teinté d’audace, et pas davantage empreint de partialité : oui, Bobet eût peut-être triomphé … »
De nos jours, sur un des monolithes cargneuliques du site lunaire de la Casse Déserte, est scellée une plaque avec les effigies de Louison Bobet et Fausto Coppi qui écrivirent en ce lieu quelques-unes des plus belles pages de la légende des Cycles*.

Stèle Bobet-Coppi izoard

Jeudi 3 août, la 19ème étape (291 kms) mène les 53 concurrents de Briançon à Saint-Étienne qui fut longtemps la capitale française du cycle. C’est dans cette ville qu’aurait été fabriquée, en 1886, la première bicyclette française à l’initiative des frères Gauthier.
Dès la fin des années 1880, la Manufacture des Armes et Cycles de Saint-Étienne développa une gamme de bicyclettes sous la marque Hirondelle, un nom qui désigna longtemps les policiers patrouillant sur ces vélos.
A priori, la course pour la victoire finale semble jouée et on attend plutôt des offensives de baroudeurs. C’est d’ailleurs le cas et, dès les premières rampes du majestueux col du Lautaret, s’échappent « l’enfant grec » Apo Lazaridès et Marcel Dussault, le vainqueur à Pau. Ils se disputent au sommet la prime spéciale de 50 000 francs du Souvenir Henri Desgrange, le fondateur du Tour. Les deux hommes possèderont jusqu’à 7’ 30’’ d’avance, au 80ème kilomètre, sur un peloton tranquille d’où va être lâché Robic pris de coliques. Quand ce n’est pas son vélo qui est patraque … !

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Nous approchons du Pont-de-Claix où s’effectue le contrôle de ravitaillement, lorsque Louison Bobet … Max Favalelli raconte :
« Lorsque Louison s’engouffra au contrôle de Pont-de-Claix, en négligeant de prendre sa musette au ravitaillement, les augures hochèrent la tête :
– C’est de la folie !
C’était peut-être de la folie. Mais ça faillit bien réussir et, entre le col de Saint-Nizier et celui de la République, Bobet a réalisé le plus bel exploit du Tour 1950, un de ces exploits qui classent un coureur au rang des plus grands champions de son époque.
Les connaisseurs ne s’y sont pas trompés : non plus que les profanes qui sont sensibles à la beauté des gestes, alors même qu’ils sont inutiles. Et il est un fait qui le prouve : à Briançon, c’est à Kubler que les postiers remirent le courrier le plus abondant ; à Saint-Étienne, c’est sur Bobet que s’abattit une véritable avalanche de lettres et de télégrammes.
En équilibre sur le siège de sa jeep, Jean Bidot affûte, d’un doigt fébrile, le long couteau de son nez, signe chez lui que de graves décisions ont été prises. Il se retourne sans cesse vers l’arrière du peloton.
Avant le départ, il m’avait confié :
– L’offensive ! Toujours l’offensive ! …
Jean Bidot est le Foch des directeurs techniques.
Est-ce le clairon qui alerte les habitants de Pont-de-Claix et leur annonce l’arrivée des coureurs, qui sert de signal à cette attaque ? En tout cas, l’heure H a sonné. Et Bobet déclenche la guerre éclair. Deux cents mètres derrière lui, à la tête d’une poignée de Belges et de Luxembourgeois, tangue la haute carcasse jaune de Kubler.

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Pendant cent-cinquante kilomètres, Bobet, avec deux compagnons, puis un, puis tout seul, effectuera l’une des plus magnifiques chevauchées du sport cycliste ? Et il faudra une meute de dix poursuivants, acharnés à sa perte, pour enfin le réduire à la raison.
– J’ai perdu le Tour, me dit-il à Saint-Étienne.
Sans doute. Mais il a gagné le cœur des foules et l’estime de ses pairs ; et Kubler lui serra la main et lui dit :
– Toi méritais victoire Louison ! »

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Dans son bloc-notes dont il ne se sépare jamais, Maurice Vidal ne tarit pas d’éloges sur le panache du boulanger de Saint-Méen-le-Grand :
« Louison resta seul contre un peloton de douze hommes où Kubler faisait un travail de titan. Le grand drame sportif dura près de 100 km. Suivi par tous avec anxiété. On pourrait presque dire que le silence s’était fait dans la caravane tant on craignait que le moindre commentaire porta tort à notre champion. Longtemps il maintint l’écart, puis celui-ci diminua sous les coups de bélier du maillot jaune qui ressemblait à s’y méprendre à un diable grimaçant, certain d’avaler sa proie. Il l’atteignit dès les premiers lacets du col de la République. Dès que Louison fut rejoint, Kubler démarra comme un fou le laissant sur place. Puis Meunier, voyant libre la route de la victoire, lui porta le coup de grâce. En quelques coups de pédale, aussi efficaces que les coups de marteau-piqueur des mineurs de la Loire, et l’athlète magnifique, le champion plein de panache, le rééditeur de la veille, resta seul sur la route, vaincu pour avoir osé, mais grand aussi d’être le seul à l’avoir fait … Et son ami, le grand Geminiani, tint à le venger. Voyant son leader perdu, il n’accepta pas de voir l’étape gagnée par un autre. Et il y a encore du panache dans la façon dont il arracha la victoire à Kubler qui l’avait ardemment désirée pour achever son triomphe … »

https://www.ina.fr/video/AFE85003670

Pierre Chany salue également le panache de Louison Bobet qui « après s’être battu comme un sauvage durant 180 km … a succombé en touchant au port » :
« Même battu par Kubler –ce qui paraît probable désormais- Louison Bobet restera comme le grand bonhomme de ce Tour de France. Moins de vingt-quatre heures après sa victoire à Briançon, le champion de France a déclenché une nouvelle attaque de grand style qui pouvait, avec un concours de circonstances plus favorable, aboutir à la défaite du routier suisse.
Au lendemain d’une étape très dure à cause de son parcours et en raison des conditions atmosphériques, Louison a tenu ses adversaires en échec durant près de 160 kilomètres pour finalement s’effondrer dans le col de la République à 24 kilomètres de l’arrivée. Vingt-quatre petits kilomètres qui lui ont coûté 5’ 52’’, plus qu’il n’en avait gagné la veille dans Vars et l’Izoard.
La loi du sport est sévère parfois et Bobet a perdu la bataille du Tour pour avoir joué gagnant ! »
Albert Baker d’Isy conclut : « Bobet, quoique battu, devient la grande vedette internationale française. Avec Coppi, Koblet, Kubler, Van Steenbergen, le voilà au premier plan des futurs « galas ». Son cran lui vaudra, sans aucun doute, des contrats que sa popularité, touchant au paroxysme en cette fin du Tour, saura rendre avantageux. »
En écrivant ces quelques lignes, je ne sais si ces étoiles brillent dans mes yeux ou si je dois me lamenter d’avoir vu ces cinq champions exceptionnels (avec le tout jeune Anquetil) en chair et en os, juché sur les épaules de mon papa, lors d’un Critérium des As** (le bien nommé) autour de l’hippodrome de Longchamp ! Les deux, peut-être !
Le Suisse Kubler reste plus que jamais un solide leader avant la journée de repos à St-Étienne et la prochaine étape contre la montre.
Je profite de ce répit accordé aux coureurs pour vous expliquer pourquoi malgré son passé glorieux dans l’industrie du Cycle, la capitale forézienne n’avait pas revu le Tour de France depuis … 1904.
La deuxième édition de l’épreuve s’était déroulée dans des conditions si exécrables que la course avait carrément frôlé sa disparition pure et simple. Ainsi dès le départ, Pierre Chevalier profita de l’obscurité pour prendre place dans une voiture et finir 3e de l’étape entre Montgeron et Lyon. Faisant l’objet de réclamations, il avoua vite sa faute et se vit exclu de la course. Lors de cette même étape, à bord d’une Torpédo, quatre hommes cagoulés tentèrent d’attaquer Maurice Garin, vainqueur l’année précédente, et son coéquipier, Lucien Pothier : « On aura ta peau, Garin de malheur ».
Mais le pire ou presque était à venir : Lors de la deuxième étape de Lyon à Marseille, les intimidations recommencèrent de plus belle et vers 3 heures du matin, aux abords de Saint-Etienne, en pleine ascension du col de la République, au coin du Grand Bois en somme, des spectateurs s’interposèrent sur la route pour empêcher le peloton de suivre le coureur local, Alfred Faure. Selon des témoins de l’époque : « Tout à coup, dans le haut de la côte, Faure démarre brusquement et prend deux à trois longueurs. Nous levons la tête pour apercevoir cinquante mètres devant nous, un groupe d’une centaine d’individus formant la haie de chaque côté de la route; ils sont armés de gourdins et de pierres; Faure s’engage et passe, alors les gourdins se lèvent sur les suivants. »
L’un des coureurs, l’Italien Giovanni Gerbi, se retrouva complétement assommé. Pour disperser les fauteurs de trouble, les organisateurs déclenchèrent des coups de revolver en l’air.
Voyez qu’en comparaison, les incidents survenus dans le col d’Aspin sur ce Tour 1950, qui ont conduit à l’abandon de tous les coureurs italiens, n’étaient que peccadilles.
Le chronomètre est une spécialité suisse, Si besoin était de vérifier, Ferdi Kubler en apporte une preuve éclatante en surclassant ses adversaires sur les 98 kilomètres accidentés (avec l’ascension du col de la Croix-de-Chaubouret) de la course contre la montre entre Saint-Étienne et Lyon.
Les Helvètes ont envahi la capitale des Gaules et, autour de la piste du vélodrome, agitent des milliers de drapeaux rouges à croix blanche pour saluer leur champion. Leur joie est à son comble car pendant plus d’une heure, c’est un autre de leurs compatriotes Emilio Croci-Torti qui détient le meilleur temps.
Kubler relègue ses rivaux directs, Stan Ockers (2ème) à 5’ 34’’ et Louison Bobet (6ème) qu’il a rejoint, à 8’ 45’’. Les Luxembourgeois, les deux Jean, Goldschmidt et Kirchen surprennent en terminant aux 3ème et 4ème places.

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À l’issue de l’étape, René de Latour tresse déjà des louanges à Kubler dont la victoire finale ne fait plus de doute :
« Il n’a plus rien à apprendre de qui que ce soit et pourrait, au contraire, se permettre de faire la leçon à la plupart des grands routiers actuels
J’avoue ne pas le reconnaître. Comme tous mes confrères, j’avais en tête le souvenir d’un grand gaillard un peu « tout fou » jouant facilement le Jocrisse entre deux beaux exploits, malheureusement trop éloignés l’un de l’autre.
Un jour, Ferdinand Kubler se montrait, et la presse entonnait ses louanges. Puis, le lendemain ou le surlendemain, il fallait admettre que le grand, le beau, le magnifique champion était un homme comme les autres, vulnérable, et surtout capable de commettre les pires erreurs et de se décourager avec une déconcertante aisance.
Il quittait le Tour sur un coup de tête ou une défaillance si sévère que l’opinion fut bien vite établie : Kubler n’était pas fait pour un effort prolongé et exigeant des qualités morales aussi bien ancrées que la résistance physique.
Depuis le 13 juillet, le Zurichois n’est vraiment plus reconnaissable. Il pourrait presque en remontrer à Fausto Coppi en personne pour ce qui est de la faculté de récupérer le plus vite possible, de se soigner et, surtout, de ne fournir des efforts qu’à bon escient…
Grimpeur magnifique, il sait également freiner son enthousiasme, conserver ses forces intactes, calculer le moindre gain de temps. Kubler est devenu un comptable comme l’était Coppi l’an dernier, comme le fut, il y a deux ans, Gino Bartali. Sa transformation tient du miracle. Mais nous en connaissons l’origine. Elle a un nom : Hugo Koblet. C’est l’avènement du jeune Helvète qui a amené Kubler à réfléchir et à imiter les vrais « grands » du cyclisme dont il faisait partie, mais à l’étage légèrement inférieur.
Sans Koblet, il serait encore un coureur fantasque et versatile et non le champion équilibré qui est en train de gagner le Tour. »

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Jean Robic s’est encore fait remarquer lors de l’étape dite en solitaire. Rejoint par l’excellent rouleur Raymond Impanis, au mépris des règlements du Tour, il s’est placé, en compagnie de André Brulé, dans le sillage du Belge comme s’il s’agissait d’une course en ligne. Admonestés à plusieurs reprises par l’inflexible juge-commissaire Henri Boudard, ils seront pénalisés de 5 minutes.

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En ce dimanche 6 août, « Biquet », boudeur, menaça bien de ne pas repartir à cause de cette sanction, mais ce sont finalement les 51 rescapés qui ont pris la route de Dijon via le Beaujolais et le Mâconnais sans chercher à se disloquer, mais sans perdre de temps non plus. Ils parvinrent au contrôle de ravitaillement de Louhans avec une bonne demi-heure d’avance sur l’horaire. Seuls les suiveurs qui voulaient apprécier le Juliénas ou autres vins du pays étaient quelque peu attardés.

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C’est après Labergemont-les-Auxonne que la course s’anime : Gino Sciardis, l’Italien de Bretagne, s’échappe entraînant avec lui les deux nationaux belges Hendrickx et Lambrecht. Ils seront rejoints peu après par les Tricolores Giguet et Baffert, Pierre Cogan, le Marseillais Raoul Rémy, le Lorrain Gilbert Bauvin qui sent l’air de son pays, et le Luxembourgeois Goldschmidt.
La victoire se joue au sprint entre ces neuf hommes sur la cendrée du stade municipal de Dijon. En tête, Hendrickx dérape dans le dernier virage. Émile Baffert, gêné par cette chute, doit s’incliner devant Sciardis.

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Un petit clin d’œil à Pierre Cogan, le Breton d’Auray : spécialiste de l’effort solitaire, vainqueur du prestigieux Grand Prix des Nations contre la montre en 1937, il fut fait prisonnier trois fois pendant la guerre, s’échappa deux fois et finit par se réfugier du côté de Saint-Étienne pour continuer de courir en France libre. Il nous a quitté, il y a peu, à 99 ans.

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Une foule nombreuse assiste aux opérations de départ de la dernière étape (314 kms, mazette !) qui se déroulent sur la place Darcy, devant la brasserie de la Concorde, à Dijon. Lundi 7 août, une curieuse date pour l’arrivée finale du Tour de France, mais, à cette époque, les contraintes horaires exigées par les médias n’existaient pas.
Quelques suiveurs pensent que la fameuse moutarde locale pourrait monter au nez des coureurs Belges, mais Sylvère Maes dément catégoriquement ces rumeurs. Quand on connaît la réputation de Stan Ockers, second au classement général, de « suceur les roues », il faut s’attendre en fait à vivre une étape sans histoire.

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On en veut pour preuve qu’on voit Bobet, Lauredi et Schotte courir la canette. Le temps est superbe et la France est bien douce avec son chapelet de villages et bourgs aux jolis noms de Saint-Seine-l’Abbaye, Champagny, Chanceaux, Laperrière, Baigneux-les-Juifs (une communauté juive s’y installa au XIIIème siècle avant d’être chassée au XVème par les ducs de Bourgogne), non loin des sources de la Seine.
Jean Robic, fidèle à lui-même, a des ennuis avec son dérailleur mais retrouve sa place dans le peloton avant Coulmier-le-Sec.
Dans les villages de l’Yonne, la foule est très dense au bord de la route. L’allure n’est pas très vive, mais comme la moyenne horaire calculée est de 31,500 km, les coureurs sont dans les temps. Pour la première fois depuis plusieurs jours, les suiveurs s’arrêtent pour déjeuner et prendre une bonne dizaine de minutes pour digérer …

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Pour se protéger du soleil, quelques coureurs se coiffent de chapeaux de paille, ou à défaut, de papier.
Je n’en ferai pas un fromage, mais à Saint-Florentin, le maire avec l’écharpe tricolore assiste avec ses administrés au premier contrôle de ravitaillement. Jeanne d’Arc y avait probablement fait halte en 1429 en se dirigeant vers Reims pour le sacre de Charles VII, l’écrivain Stendhal y dîna le 30 août 1811, le maréchal Pétain y rencontra le Reichmarschall Goering le 1er décembre 1941, à la gare.
Les carnets de notes des journalistes restent vierges. Le peloton bien groupé, conduit et contrôlé par le Suisse Weilenmann, a roulé pendant plus de 220 km, à 31 km/h de moyenne sans qu’il y ait une seule offensive sérieuse !
C’est à partir de Ris-Orangis que la course s’anime … un peu. C’est dans cette ville de banlieue parisienne que Charles Armand Ménard dit Dranem acheta un château qu’il transforma, en 1911, en une maison de retraite pour les artistes. Dranem était un chanteur et fantaisiste très populaire à la grande époque du café-concert.
Les plus anciens d’entre vous entendirent peut-être leurs aïeux fredonner :

« Ah! Les p´tits pois, les p´tits pois, les p´tits pois
C´est un légume bien tendre
Ah! Les p´tits pois, les p´tits pois, les p´tits pois
Ça n´ se mange pas avec les doigts! … »

Ou encore :

« De ma fenêtre, tout en fumant des pipes
Je regarde les équipes
Dont les hommes sont occupés
À faire un trou dans mon quai … »

Son répertoire à l’humour incongru voire scabreux fit dire à Boris Vian : « La bêtise volontaire poussée à ce point confine au génie » !
Qui sait si quelques-uns des titis de l’équipe de Paris ne s’amusèrent pas à chanter au sein du peloton.

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À La Croix-de-Berny, dans la côte à proximité de la cité-jardin de la Butte Rouge, se constitue une échappée de 7 hommes : Pierre Molinéris dit « Maigre Pierre, André Brulé, Hendrickx, Diederich, Zbinden, le Tricolore de Grenoble Émile Baffert et Robert Bonnaventure. Pendant la guerre, deux jeunes Juifs eurent la chance de croiser ce Monsieur Bonnaventure, qui comme Bartali est devenu « Juste parmi les nations ».

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Sur la piste rose du Parc des Princes, Bonnaventure emmène le sprint mais il est débordé dans la dernière ligne droite par Baffert qui prend sa revanche sur l’arrivée de la veille.
Ferdi Kubler est le premier Suisse à gagner le Tour de France. Ockers et Bobet complètent le podium. Louison Bobet gagne le Grand Prix de la Montagne et l’équipe de Belgique remporte le Challenge International.

Kubler Gazette de LausanneKubler retour gare de Zurich

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Le lendemain, la Gazette de Lausanne consacre, avec fierté, sa une à la « Nati pédalante » :
« La première victoire suisse dans le Tour de France marque aussi le triomphe complet des routiers helvètes dans les courses à étapes. Notre palmarès est si éloquent – avec les victoires de Koblet aux Tours d’Italie et de Suisse- qu’il reflète un exploit sans précédent dans les annales sportives internationales. La victoire de Kubler, qui fut son rêve le plus longtemps caressé, a soulevé un enthousiasme aussi sympathique à l’arrivée à Paris que dans les milieux sportifs de notre pays. Quelle que soit l’importance que l’on attache au sport, tout Suisse peut concevoir un légitime sentiment de satisfaction à l’issue de ce Tour de France. »
Le brillant journaliste polyglotte Vico Rigassi, un des pionniers du commentaire radiophonique, relate la grande journée du champion suisse :
« La joie que nous avons ressentie à Paris ne peut pas se raconter : 25 000 spectateurs enthousiastes, des milliers de drapeaux rouges à croix blanche, des capets d’armaillis (bonnet de berger des Alpes suisses) s’agitaient pour saluer l’entrée de Ferdinand Kubler sur le ciment du Parc des Princes.
Il n’était pas premier à l’étape, car quelques hommes s’étaient échappés, mais il arrivait dans un état de fraîcheur impressionnant et lorsqu’il fit son tour d’honneur, tout ce brave peuple de Paris lui témoigna bruyamment son admiration en l’appelant par son petit nom sur l’air des lampions. Ferdi est désormais très populaire dans le pays voisin et ami.
En ce moment, on oubliait tous les incidents de ce Tour. Nous, Suisses, nous nous rappelions toutefois les noms glorieux d’Oscar Egg, de Charly Guyot, de Léo Amberg, des frères Martinet, de Collé, du fantasque Tessinois Bariffi, bref de tous les Suisses qui, avant Kubler, avaient tenté la grande aventure.
Si nous donnons un coup d’œil au classement général du Tour de France, depuis l’année où Henri Desgrange l’a créé, nous trouvons que le meilleur Suisse fut Léo Amberg, classé 2ème en 1937, l’année où l’équipe de Belgique avait abandonné le Tour cinq étapes avant la fin. Mais jamais un Suisse n’a remporté un succès comparable à celui de Ferdi Kubler.

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La victoire de notre champion national que nous avons prévue et que nous avons souhaitée depuis longtemps, une victoire qui était déjà possible l’an dernier, s’il avait couru avec sagesse et non seulement avec son enthousiasme, récompense les efforts d’un homme qui a su se dominer et qui a eu confiance en ses coéquipiers. Car ces derniers, si modestement classés soient-ils, ont apporté à Ferdi une aide que lui-même a qualifiée, ce soir, de magnifique et complète. Ils ont été le dévouement même et ont suivi à la lettre les instructions de notre directeur technique Alexandre Burtin. »

Miroir du TOUR 1950 01

Dans Miroir-Sprint, Maurice Vidal procède à une analyse plus neutre, ce qui est un comble pour parler d’un Suisse :
« Voici terminé ce 37ème Tour de France qui, traversé de soubresauts et d’incidents, a tout de même la chance d’inscrire à son palmarès le nom d’un très grand champion suisse, Ferdinand Kubler.
La Suisse possède avec Koblet, vainqueur des Tours d’Italie et de Suisse, et Kubler, un duo de champions tel qu’il faut remonter à Henri Suter pour en retrouver l’équivalent. Si l’on ajoute que l’équipe suisse n’a perdu qu’une unité, on conviendra que ce pays, de dimensions réduites, fait oublier celles-ci par la qualité de ses athlètes.
Des grandes ombres ont plané sur ce Tour de France. La bataille des Alpes, notamment, a semblé souffrir de l’absence de ses deux grands vainqueurs précédents : Fausto Coppi, tout d’abord, le super champion qui ne pouvait et n’aurait pas été battu encore en 1950 et dont la défection n’est due qu’à un très grave accident ; Gino Bartali, ensuite, qui, à Saint-Gaudens, décida d’abandonner la course avec tous ses camarades pour protester contre les insultes et les violences d’une poignée de forcenés.
Nous avons dit et répétons que Bartali, pour justes que soient ses raisons, s’était trop hâté de quitter la course. La réaction normale des vrais sportifs, de la presse française, en présence des odieuses manifestations d’Aspin, eussent certainement provoqué, dès le lendemain, un courant d’opinion favorable aux coureurs transalpins. Par ailleurs, Bartali ne pouvait ignorer que son geste avait une gravité susceptible d’amener des conséquences graves dans les rapports sportifs franco-italiens. Gino a d’ailleurs reconnu dans une interview retentissante à notre confrère « La Marseillaise » qu’il aurait hésité s’il avait envisagé ce côté de la question (ou si on le lui avait fait envisager).
Mais il n’en reste pas moins que les sportifs français éprouvent quelque honte à savoir que des spectateurs de chez eux ont pu molester des athlètes en plein effort. Il est inadmissible que des sportifs étrangers, venus dans notre pays disputer leur chance, soient injuriés. Les termes parfois employés ont un relent de racisme et de chauvinisme qui nous ramènerait, si on laissait faire, à des temps bien sombres. Souhaitons que la prochaine rencontre à Nice des jeunes sportifs français et italiens, à l’occasion des Relais de la Paix, permettent d’effacer un mauvais souvenir.
Nous reviendrons en détail sur les perspectives ouvertes à notre cyclisme par la performance des Français. Aux côtés de Louison Bobet, incontestable n°1, une génération de coureurs du Tour a monté. Raphaël Geminiani, d’abord, fort comme un Turc du départ à l’arrivée, bon équipier, plein d’allant et d’optimisme, bon grimpeur, fort rouleur et descendeur émérite. Il est de la trempe des Magne, Leducq, Speicher, hommes complets. Et Lauredi, malheureux cette année, mais qui n’aura que vingt-cinq ans l’an prochain. Et quel courage ! Faire la moitié d’un Tour de France avec un anthrax gros comme le poing montre bien que rien ne peut abattre un tel homme. Encore un routier complet.
Et ce phénomène de Georges Meunier qui possède autant de science que le « facteur » symbolique dont parlait Francis Pélissier, mais qui stupéfie par sa facilité, son esprit d’entreprise, son audace… Voilà la grande révélation du Tour 1950 ! »

Miroir du TOUR 1950 66 Meunier

À travers mes trois billets, grâce au talent des reporters de l’époque, j’ai tenté de rendre vivant un Tour de France qui, pour beaucoup d’historiens du cyclisme, demeure comme un des plus monotones d’après-guerre.
Le journaliste Roger Frankeur qui, chaque mois, dans le mythique Miroir du Cyclisme, faisait revivre les exploits des « Merveilleux fous pédalants sur leurs drôles de machines », raconta dans le numéro d’avant-Tour 1974, ce qui, dans son optique subjective de suiveur, constitua son plus beau Tour de France :
« Si l’événement a laissé une trace dans ma mémoire, ce sera une place que nul ordinateur ne saurait expliquer ; car s’il procède selon une logique rigoureuse tout appareil enregistreur est dépourvu de l’affectivité, de la passion et de la mauvaise foi candide qui est le propre de l’homme et fait le charme du journaliste et du supporter sportif réunis.
Cela pour vous dire que mon meilleur Tour de France n’est sûrement pas celui auquel vous pensez, et que désignerait un ordinateur « programmé » selon des critères chiffrables. C’est d’un Tour disgracié, presque maudit que je garde le meilleur souvenir. Le Tour du scandale et de la honte, pour moi une route buissonnière en 22 étapes.
1950 ! L’année où 16 Italiens (10 nationaux et 6 cadets) furent victimes d’une presse qui leur reprochait d’être abusivement « attentistes », « suceurs de roues », « profiteurs sans vergogne », alors qu’ils appliquaient la tactique qui consiste à se ménager jusqu’à la montagne où se portent les coups décisifs. Tactique banale et légitime sinon spectaculaire que d’autres avant et après ont adopté sans soulever d’autre indignation que celle parfois des organisateurs ; lesquels sont farouches partisans de l’attaque à outrance … avec les jambes des autres.
Cette année-là, Bartali, déjà vainqueur en 1938 et 1948, courait -à 36 ans- pour une troisième victoire. Son lieutenant et éventuel successeur était le puissant Fiorenzo Magni, surnommé abusivement le « colosse de Monza », déjà vainqueur du Giro, du Tour des Flandres (on le surnomma aussi le « Lion des Flandres » pour avoir gagné trois fois l’épreuve), etc …
En fait, deux équipes d’Italie (Nationale et Cadetti) n’en faisaient qu’une et manœuvraient sous la conduite de l’ex-campionissimo Alfredo Binda. Coppi vainqueur en 1949 était encore invalide après une terrible chute dans le Giro 1950 -on ne savait même pas s’il pourrait recourir- … En dépit de cette amputation, la « squadra » semblait armée pour gagner le Tour contre tous les Bobet, Geminiani, Robic, Kubler, Impanis, Schotte, Brambilla, Ockers.
Un point noir : l’attitude d’un certain public. Les rancunes de la guerre s’effaçaient à peine, d’un côté comme de l’autre. L’année précédente, le Tour, faisant halte dans la vallée d’Aoste, avait reçu un accueil mitigé : triomphal pour les Italiens dédaigneux voire inamical pour les Français et notamment des coups pour faire tomber Robic, lequel refusait d’admettre la supériorité de Coppi-Bartali. De sorte qu’en 1950, les plus chauvins des Français avalaient sans sourciller des commentaires empoisonnés sur la tactique « antisportive » de la squadra Bartalienne.
La sottise creva, comme un abcès (et comme l’orage un vrai !), sur les Pyrénées. Au sommet d’Aspin, des énergumènes, l’injure à la bouche (et quelques-uns le bâton à la main) guettaient le passage du vétéran italien. Dès que le « vecchio » apparut en compagnie de Bobet, Robic et Ockers, ce fut l’agression. Pas seulement des huées ; des mains griffues pour happer, des coups pour faire tomber. Bartali, terrorisé, bascula sur Robic, l’entraînant dans sa chute, voulut fuir puis, tant bien que mal, passa le sommet protégé par quelques suiveurs courageux.
Le soir, à Saint-Gaudens, « il vecchio » avait tout de même gagné l’étape et Magni endossé le maillot jaune ; mais estimant qu’il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus, et refusant d’affronter plus longtemps cette bêtise au front bas qui parlait de lui « faire la peau », Bartali abandonna.
Rien ni personne ne put le convaincre : « Je ne veux pas mourir échappé » grognait-il. Tous les Italiens quittèrent le Tour avec lui, y compris Magni premier du classement général.
Lorsqu’il repartit de Saint-Gaudens sans « eux », le Tour avait vraiment très mauvaise mine (Kubler second avait refusé d’enfiler le maillot jaune ainsi usurpé).
Certes, il y eut par la suite de beaux épisodes, les coups d’éclat de Bobet dans les Alpes, les attaques de Robic et surtout les ruées hennissantes de Ferdi-le-cheval, défendant sa première place en jouant des coudes et des dents (au moins autant que de la tête et des jambes), rien ne put faire oublier le coupe-gorge d’Aspin. Aujourd’hui encore, cette victoire honteuse du hideux chauvinisme reste comme un vilain naevus sur le visage buriné du Tour de France.
De toute façon, MON Tour 1950 n’eut qu’un lointain rapport avec celui-là. Je le suivais dans une voiture découverte en compagnie de l’ancien coureur Louis Thiétard et de deux amis journalistes. Suivre étant façon de parler, car notre chauffeur et nous du même coup avions plus souvent le regard sous le capot que sur la course.
La cause en était de mystérieux ennuis mécaniques qui nous stoppaient toujours au moment le plus pathétique. Et curieusement toujours en montagne, jamais en plaine, cette bagnole, pas si vieille, avait la phobie des routes qui montent … et du coup de celles qui descendent.
Plusieurs fois, nous vîmes Zorro démarrer dans un col, jamais nous ne le vîmes arriver. Ce qu’il y avait de remarquable, c’était la compétence mécanique de notre automédon (dans la mythologie grecque, Automédon est le conducteur du char d’Achille lors de la guerre de Troie ndlr). Avec le plus grand calme, alors que Thiétard et moi écumions en voyant une fois de plus la course disparaître à l’horizon –il descendait, soulevait le tablier de tôle, faisait son diagnostic (dont il nous livrait des bribes marmonnées) et commençait la « réparation ». Il finissait d’ailleurs par mater magistralement la mécanique rétive. Nous repartions gaillardement … mais trop tard. Longtemps avant nous Zorro … et même la lanterne rouge étaient arrivés.
Dans le tourbillon de la ville-étape en folie, il nous fallait alors découvrir un ou plusieurs informateurs libres de tout engagement et nous faire raconter le synopsis et quelques péripéties marquantes de l’étape (croyez-moi, cette chasse à la vérité aux mille facettes, par témoins interposés, est un sport ardu).
Raclant le fonds de notre giberne, nous devions ensuite concocter à toute allure notre propre scénario et le téléphoner au loin à des gens qui commençaient par nous déclarer « en avoir marre de nos retards, de nos fantaisies touristiques et de ce vice rédhibitoire qui aboutirait un jour à nous faire louper la première édition ».
C’est alors, mais alors seulement, que TOUT commençait pour nous.
Souvent notre gîte n’était pas retenu ou déjà réattribué. À nous d’en découvrir un quelque part, dans la nature, à 100 kilomètres à la ronde. Certaines régions désertiques exigeaient ça.
C’est ainsi que nous fîmes nos étapes personnelles sur une bonne moitié de la France.
Au début, nous râlions ferme. Nous traiter comme ça alors qu’ayant fait la route comme les coureurs, finissant aussi fourbus qu’eux (enfin presque), nous aurions mérité les mêmes égards.
Puis ce rallye fricot-dodo en semi-nocturne nous amusa. Il y avait les bonnes et les mauvaises fortunes du pot et du gîte. Un exemple : le soir de Gap (où nous n’avions bien entendu rien vue de la belle échappée de Geminiani) notre étape de bannis se termina 50 ou 60 kilomètres plus loin, sur le foin d’une grange. Nous y dormîmes fort bien. Les rats, nombreux pourtant, ne nous attaquèrent même pas.
Sans notre panne habituelle, nous n’aurions jamais eu l’occasion, Thiétard et moi, de nous baigner tout nus dans un torrent alpin, ni de descendre le col de la Cayolle, magnifique dans sa solitude du soir, en balayant la route et en clamant notre joie, comme Yves Montand dans « Le salaire de la peur ».
Soyons justes, nous avons été témoins de phases inoubliables. Comme dans l’étape de la soif de Perpignan-Nîmes (en plat) au cours de laquelle, « Gem » accidenté, Bobet n’avait pu répondre seul à une attaque conjuguée Kubler-Ockers. À vrai dire, c’est ce jour-là que Ferdi-le-cheval avait gagné le Tour. Ce fut le jour aussi –vous en avez entendu parler- où l’ineffable Zaaf échappé, loin en tête de la course, s’efforçait de « casser la baraque » des Grands. Il allait y parvenir lorsqu’il eut l’imprudence de saisir une bouteille au vol. Il croyait boire de la limonade, c’était du Minervois à couper au couteau. Le Tour s’arrêta là pour le pauvre Zaaf : dans un fossé presque à l’arrivée. Il eut beau offrir le lendemain de faire les 28 kilomètres qui lui avaient manqué, les juges furent sans pitié…
Épisode de toute beauté et à notre portée : la baignade générale de Sainte-Maxime. Le Tour longeait la Grande Bleue (depuis, les organisateurs peu soucieux du bien-être des coureurs, se méfient et évitent ce coin tentateur) – encore qu’en cette année 2020, le Tour partira de Nice !- Il faisait chaud, les baigneuses étaient aimables. La tête la plus farfelue du peloton (nommée évidemment Brulé) ne résista pas à l’appel des sirènes et s’en fut les rejoindre, en selle, comme un seigneur … Devant un si noble exemple, ses frères, tous merveilleux fous pédalants, s’étaient illico métamorphosés en tritons. Oh, un bref instant ! Mais les organisateurs rigoristes n’avaient pas aimé …
À la fin de ce Tour non conformiste, nous avions acquis la conviction que c’était l’automédon et non l’automobile qui détestait les toboggans vertigineux. Phobie banale, certes, mais inaptitude irrémédiable pour qui prétend « suivre » la Grande Boucle. Qu’importe aujourd’hui, le temps a passé. Il ne me reste de cette année-là que le souvenir d’une aventure vécue dans la liberté. Comme elle devrait toujours l’être.
J’ai refait depuis le même voyage, logé et nourri « trois ou quatre étoiles » par les journaux organisateurs auxquels je collaborais : aucun palace, aucune table somptueuse ne m’ont paru valoir la route buissonnière du Tour 50 et ses haltes imprévues …
Impressions et préférences personnelles sans valeur critique, direz-vous. C’est juste. Excusez-moi.
Le plus beau Tour de France qu’il m’ait été donné de suivre (ou de précéder car désormais, on « suit » le Tour à l’avant) fut celui de 1964. Sur le plan sportif et d’un point de vue objectif.
Le seul qui vous intéresse, n’est-ce pas ? Le Tour 64 gagné par Anquetil sur Poulidor pour quelques secondes arrachées entre Versailles et le Parc des Princes*** (c’est vrai que celui-là … et d’autant plus pour moi évidemment !!!) …
Stop ! La place me manque ! Encore une arrivée loupée. Comme en 50 ! J’espère qu’on me repêchera ! »
Une très grande majorité de tous les champions évoqués dans ce billet ne sont plus de ce monde. Le vainqueur Ferdi Kubler s’est éteint en 2016 dans sa quatre-vingt-dix-huitième année. Des dix premiers du classement général, seul est encore en vie Raphaël Geminiani qui vient de souffler en juin ses 95 printemps. Le vélo conserve aussi en dépit de commentaires stupéfiants !
Antonin Rolland, de l’équipe du Sud-Est, termine 29ème à 2h 03’28’’ de Kubler. Information dérisoire … sauf que, né le 3 septembre 1924, il est à l’heure où je vous écris, le doyen des maillots jaunes qu’il porta durant 12 jours lors du Tour 1955. De cela, je vous entretiendrai peut-être un jour.
Tous les Tours de France de ma jeunesse furent beaux à mes yeux et c’est toujours une joie quasi enfantine de feuilleter les vieilles revues spécialisées pour vous les raconter. Même si cela semble être une mode de cet été, je n’ai aucune raison de faire table rase de ce passé et de déboulonner mes petits coureurs en plomb d’antan avec lesquels « je refaisais l’étape ». Maurice Vidal, lyrique, concluait: : « Toi qui gagnes durement ta vie; tu ne t’y tromperas pas, derrière l’apothéose du Parc des Princes, il y a beaucoup de sueur, beaucoup de peine. Il y  a non seulement Kubler, Bobet, Robic: il y a la vieille maman et les enfants de Ferdi, la petite fille de Louison et le petit garçon de Biquet. Il y a toutes les familles pour qui travaillent durement tous les coureurs connus ou non.
Il est fort possible que, prochainement, je fasse un saut de dix ans pour vous parler d’un Tour qui, après un drame, sourit cette fois aux Italiens.

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Pour vous faire revivre ce Tour De France 1950, j’ai puisé dans les précieuses collections des revues Miroir-Sprint, But&Club Miroir des Sports, Miroir du Cyclisme.
Mes vifs remerciements à Jean-Pierre Le Port pour m’avoir aidé à rassembler tous ces documents.
* http://encreviolette.unblog.fr/2009/07/09/le-col-de-lizoard-col-mythique-des-alpes/
** http://encreviolette.unblog.fr/2013/12/01/histoires-de-criterium/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2014/07/11/ici-la-route-du-tour-de-france-1964-1/
    http://encreviolette.unblog.fr/2014/07/18/ici-la-route-du-tour-de-france-1964-2/

Publié dans:Cyclisme |on 26 juillet, 2020 |Pas de commentaires »

Ici la route du Tour de France 1950 (1)

Encre violette vous gâte, chers lecteurs … enfin, ceux qui sont amoureux de la petite reine, et je sais qu’il en existe !
Je ne pratique pas « l’épuration » mémorielle, la nouvelle marotte de ce début d’été. J’ai l’habitude, à cette époque, d’évoquer les Tours de France d’après-guerre (la seconde) qui se trouvent être aussi ceux de mon enfance. Je commence d’ailleurs à moins m’en réjouir tant tous ces « compagnons du Tour » (selon la belle expression de Maurice Vidal) nous quittent inexorablement. Je n’ai pas effectué le décompte mais il en reste encore au moins un en vie. Je vous laisse le temps de la lecture de ce billet pour trouver la solution.
Le truculent romancier René Fallet ironisait à peine : « Quand le Tour de France n’a pas lieu, c’est comme par hasard, le tour des catastrophes. Qu’on en juge : il ne manque au palmarès de cette épreuve que quelques lignes, et elles correspondent fâcheusement aux années noires des deux dernières guerres mondiales … Je ne vois pas en quoi rayer de la planète la course cycliste, ou le serment d’amour, ou la cueillette des champignons, empêchera les bûchers de brûler, les fours à gaz de s’allumer … En fin de compte, dès qu’on ne numérote plus les dossards, on numérote les abattis. »
En cette année chamboulée par l’épidémie du coronavirus, le Tour de France semble avoir échappé au pire en bénéficiant d’un simple report à la fin de l’été. Ainsi, mes chroniques possèdent une saveur particulière puisque, en ce mois de juillet, le seul Tour de France que vous pourrez suivre, c’est celui que j’entreprends de vous raconter en puisant dans mes chères collections (et celles de mon ami Jean-Pierre) en bistre, en bleu et en vert, une recherche documentaire parfaitement adaptée en période de confinement.

1950+-+But+et+Club+-+Spéciale+Tour+-+04

J’avais 3 ans en 1950, et c’est probablement la première fois que je vis « passer » le Tour, dans des circonstances que je vous relaterai un peu plus loin.
Mes lecteurs les plus fidèles se souviennent sans doute de mes billets consacrés au Tour 1949 d’anthologie survolé par le légendaire campionissimo Fausto Coppi, déjà vainqueur du Giro.
Est-ce d’ailleurs pour éviter une telle hégémonie que Jacques Goddet, le directeur général de l’épreuve, dans un « article exclusif », présente les réformes en vue d’accélérer le rythme de l’épreuve et d’en assurer l’équilibre.
« Nous avons cherché, pour 1950, à limiter les effets des deux tendances qui nous apparaissent les plus néfastes au bon développement sportif du Tour : le trop grand avantage accordé aux grimpeurs d’une part, les excès de « domesticité » d’autre part. »
– réduction des effectifs des grandes équipes à 10 hommes : nombre restreint de domestiques désignés, obligation pour les leaders d’entrer davantage dans la mêlée des premières étapes.
– limitation des délais d’arrivée : chacun devant se soucier de rallier l’étape sans flâner, les « porteurs d’eau », les « donneurs de roue » ne pourront plus pousser trop loin leur sacrifice et , surtout, ne pourront plus abusivement se réserver, leur tâche domestique accomplie.
– réduction des bonifications au sommet des cols pyrénéens et alpestres
– innovation primordiale : un gros prix de 100 000 francs va être attribué en brassard-rente quotidienne au porteur du maillot jaune. L’intérêt est de revaloriser, récompenser les efforts de ceux qui lancent la bataille dès le début de l’épreuve, d’animer la course dans les étapes de plaine et d’obliger ainsi les attentistes et les grimpeurs à entrer tôt dans le jeu sous peine de se retrouver vraiment trop éloignés au classement au moment d’aborder les méchantes bosses. »
Jacques Goddet, prudent, ajoute tout de même : « Mais on sait que les lois édictées pour détruire des maux reconnus risquent d’en créer de nouveaux, tant la réaction humaine porte vers l’interprétation la plus profitable de la législation et des moyens de son application. » Un comportement qui n’a guère évolué sept décennies plus tard !
Ces mesures sont peut-être peine inutile, car l’archi-favori Fausto Coppi doit déclarer forfait à cause d’une fracture du bassin suite à une sévère chute survenue lors de la grande étape des Dolomites du Giro.
Un autre accident impliquant aussi la responsabilité de motocyclettes suiveuses a endeuillé le cyclisme français dans la quinzaine précédant le départ du Tour. Camille Danguillaume, l’oncle du populaire Jean-Pierre, alors qu’il était en passe de remporter le championnat de France disputé sur l’autodrome de Montlhéry, est victime d’une terrible chute, et décède quelques jours plus tard d’une fracture du rocher.

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Le monde du sport français s’était donné rendez-vous à Joinville pour conduire Camille à sa dernière demeure. Son ultime adversaire Louison Bobet avait déposé son maillot tricolore sur le cercueil du champion cycliste qui comptait à son palmarès le Critérium National de la route 1946 et 1948 ainsi que la « doyenne » Liège-Bastogne-Liège 1949.
Selon la formule consacrée, the show must go on, ainsi Max Favalelli, le populaire cruciverbiste et ancien animateur de l’émission Des chiffres et des lettres, présente « le plus grand spectacle du monde » :
« Je voudrais prélever dans cet album aux mille pages, toujours diverses, quelques fresques d’ensemble, quelques tableautins de genre et même quelques miniatures.
C’est d’abord l’énorme kermesse du départ. La place du Palais-Royal, pavoisée de drapeaux, d’oriflammes avec des grappes de curieux pendues aux treilles des fenêtres. Pendant deux heures, le proche ministère des Finances et l’austère Conseil d’État suspendent leur activité. Ce qui fait que Robic, Bobet et Marinelli réussissent ce que ne parviennent pas à faire les puissants du régime : retarder l’application du budget et enrayer la « pompe à phynances ».
Paris est descendu dans la rue et assiste à la parade qui précède le lever du rideau. Les coureurs sont tout neufs. Vêtus de maillots aux couleurs éclatantes qui composeront plus tard les plus singulières combinaisons lorsque les chasses secoueront le kaléidoscope du peloton, on vient tout juste de les sortir de leur boîte.

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Un record est déjà battu avant que Jacques Goddet ne frappe les trois coups : celui de l’embouteillage. Dix douzaines de cyclistes arrêtent net la circulation. Car le chauffeur d’autobus, le livreur sur son triporteur, le conducteur du camion, ne songent qu’à contempler ces héros qui se lancent dans une chevauchée fantastique et dont ils suivront quotidiennement les exploits. »
Le départ fictif est donné, place du Palais-Royal en plein centre de Paris, par le cinéaste et acteur américain Orson Welles qui se produisait au théâtre Édouard-VII dans une pièce intitulée La Langouste.

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Voici ce que disait celui qui, à l’époque, avait déjà réalisé Citizen Kane, La Splendeur des Amberson et Macbeth :
« L’athlète dépasse le comédien. Le stade efface la scène. Seul le champion est en mesure de renouveler l’exploit. La performance dramatique, celle qui atteint aux sommets de l’émotion ne peut pas être de tous les soirs. Le sublime ne souffre pas la répétition. Une fois seule de ma vie, j’ai rencontré au théâtre le bouleversement : Fédor Chaliapine dans Boris Godounov. De pareils moments, le sport est moins avare. Le champion a la chance de se produire assez rarement pour pouvoir se donner. Il est visité. Comme une force le tire. Il se surpasse. Il embrasse l’apothéose. J’ai gardé le souvenir de ces gestes sportifs qu’une divine perfection fréquente : le punch de Joe Louis, le renvoi de balle de Joe Di Maggio, la passe de Manolete … La compétition sportive sait offrir, chaque fois, le moment de la vérité. »
J’avais donc 3 ans et … j’étais présent, pas loin, à la fenêtre d’un appartement cossu du 1er arrondissement. J’ai juste le souvenir fugitif, mais encore si bien imprégné, de rangées de coureurs aux maillots chatoyants défilant au bout de l’avenue : le Tour de France en chair et en os. J’ai tout de même fait des recherches pour m’assurer que ma mémoire ne me trahissait pas.
Le Tour démarrait le 13 juillet, un jeudi, c’était alors jour de congé scolaire, mais aussi le premier jour des grandes vacances. Mes parents étaient invités chez des anciennes connaissances de Normandie qui ne devaient pas goûter, outre mesure, la chose vélocipédique, ce qui explique sans doute ce simple regard depuis un balcon. De plus, le départ était donné … à 6h 45 du matin !

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Le départ réel avait lieu à 8 heures à Nogent-sur-Marne. Dans l’immédiat après-guerre, le cyclisme était un sport éminemment populaire et, malgré l’heure matinale, Paris était en liesse, notamment sur les Grands Boulevards, les places de la République et de la Nation, au passage des 116 coureurs en route pour Metz première ville étape distante de 307 kilomètres.

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En l’absence de Fausto Coppi, son grand rival italien, le vieillissant Gino Bartali, fait figure de favori. Les Français comptent sur Louison Bobet, récent champion de France, Jean Robic le vainqueur du Tour 1947, Jacques Marinelli révélation de l’édition précédente. Les Belges fondent des espoirs sur Stan Ockers, quant aux Suisses, ils voient en leur leader Ferdi Kubler beaucoup mieux qu’un outsider.
Mon vénéré Antoine Blondin ne débarquant sur le Tour qu’en 1954, la finesse de plume de Max Favalelli donne un peu de couleurs à cette première étape :
« Une vieille déformation sans doute. Mais lorsqu’un Français, en âge d’être mobilisable, reçoit l’ordre de se diriger vers Metz, il se sent aussitôt le cœur un rien militaire.
Aussitôt que notre « colonne » s’est ébranlée, j’ai senti s’accumuler d’autant mieux dans mon stylo les comparaisons guerrières que les bornes qui jalonnaient notre route portaient des noms évocateurs, tels que Clermont-en-Argonne, Verdun, Étain …
Je n’étais d’ailleurs pas le seul à être gagné par ce climat de grande manœuvre. Et j’ai surpris Jean Bidot dressé sur sa voiture ainsi que sur un char d’assaut, humant le vent qui soufflait depuis la ligne bleue des Vosges et s’interrogeant à la façon des chefs d’armée.
– Serait-il temps de lancer l’attaque ?
Et, en vérité, les populations amassées le long des talus considéraient avec un secret effroi cette horde tumultueuse se ruant vers la frontière et derrière laquelle nulle herbe ne poussera jamais.
Cette première étape fut un lever de rideau. On lie connaissance, on se familiarise avec les acteurs. Personne n’est encore très sûr de son texte et, si les vedettes s’amusent parfois à signaler leur présence en venant gambader sur le devant de la scène, le peloton qui fait le gros dos au soleil et paresse un brin le long de la Marne, tapie ainsi qu’une couleuvre dans son lit verdoyant, ne livre pas encore ses secrets.

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Quoiqu’on en fasse, il flotte sur le Tour une odeur de vacances. Et il faudrait avoir une âme de citadin singulièrement endurcie pour prendre à son compte la boutade de Georges Feydeau qui déclarait avec une moue de boulevardier impénitent : « Le désagrément des guerres, c’est que ça se passe toujours à la campagne. »
Le Tour a ceci de bon qu’il apaise chez tous ses participants une fringale de grand air, un appétit d’évasion.
Même chez ceux qui auront plus tard à se plaindre des défauts de la nature. Le joyeux José Beyaert ne me confiait-il pas le matin : « Vingt-six jours de grand tourisme, un rêve que je vais enfin pouvoir me payer. » Il plaisantait bien sûr.
Mais, pour nous qui avons la chance de faire le Tour sans effort, sur une sorte de tapis volant, il nous sera bien difficile d’oublier le merveilleux voyage auquel nous participons. Et si nous accordons toujours la première place à la pièce –souvent dramatique- qui se jouera sous nos yeux, du moins, regarderons-nous aussi les décors.
En prenant la précaution de ne pas rentrer dedans … »
La première étape ne s’est animée que sur la fin, hormis quelques escarmouches de trois régionaux Parisiens ou banlieusards, Robert Chapatte (le futur grand commentateur), Attilio Redolfi et Kléber Piot.

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Pierre Chany, laconique : « Vingt-deux kilomètres ont suffi aux 116 coureurs du Tour pour donner une conclusion à cette première étape disputée sur le parcours Paris-Metz, 307 kilomètres. 22 kilomètres au cours desquels Goldschmidt, Rémy et Lambrecht unirent leurs efforts pour prendre une minute et dix secondes au peloton.
On s’attendait généralement à une victoire de Rémy, réputé rapide au sprint et qui paraissait en bonne condition. Mais le Luxembourgeois, qui désirait entrer chez lui avec le maillot jaune sur les reins, bénéficiait d’une forme supérieure trouvée sur les routes du Tour de Suisse. »

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Maurice Vidal note la « débandade » relative de l’équipe de France.
Le peloton termine à 1’ 18’’ des 3 hommes de tête. Amusons-nous quelques instants à recenser les membres de l’équipe de France qui s’y sont blottis : 2 ! On en a certainement oublié. Ce n’est pas possible ! Et bien si ! Seuls Raphaël Geminiani et Jacques Marinelli (pourtant peu en forme ce matin, perclus de furoncles et saignant du nez) ont répondu à l’appel. Les autres ? Bobet a cassé une roue en fin d’étape. Lauredi faisant contre mauvaise fortune bon cœur, a attendu son leader et tous les deux ont franchi la ligne 1 minute après le peloton.
Déprez a crevé à 40 km de l’arrivée. Abandonné, il risquait l’élimination. Giguet, Molinéris, Desbats et Baffert l’ont aidé. Lazaridès, hors de forme, en a profité pour se mêler à eux. Leur retard à Metz se solde à 11 minutes ! Et dire qu’Apo avait promis de s’entraîner tout l’hiver de façon à viser la victoire finale au mois de juillet !

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Deuxième étape, 241 kilomètres courus, sous la pluie et dans la boue, dans les Ardennes belges, sur les routes de la célèbre classique Liège-Bastogne-Liège ! Les Français Raphaël Geminiani et Jean Robic se manifestent en ce jour de fête nationale.
Compte-rendu de René Mellix dans le Miroir des Sports : « Échappé dès la sortie de la grande cité lorraine, le Clermontois (Geminiani) a tenu tête au peloton jusqu’au 210ème kilomètre. Rejoint dès le début de la longue et sévère côte de Theux, Geminiani, qui a été magnifique de cran et de courage, de bout en bout, vit s’enfuir Robic puis Ockers.
« Biquet », superbe, hargneux, voulant vaincre à tout prix, a tenu tête longtemps à Ockers qui le suivait à trois-cents mètres sans pouvoir lui reprendre une seconde, et à un peloton regroupé fort de vingt et une unités. Mais il a dû s’avouer vaincu au sommet de la côte des Forges, à 10 kilomètres du but. »
De nos jours, se trouve au sommet de cette côte, un mémorial en l’honneur de Stan Ockers, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège et du championnat du monde en 1955, et décédé accidentellement lors des Six Jours d’Anvers 1956.

Stan_Ockkers

« Cette deuxième étape, qui avait promis beaucoup, s’est finalement terminée avec vingt-deux hommes au sprint. Le rapide Alfredo Leoni, que l’on n’avait jamais vu au premier plan pendant l’étape, a triomphé sans gloire devant Magni et Bobet…
Quant à Goldschmidt, il n’a fait que peu d’efforts, juste ce qu’il fallait pour conserver son maillot jaune. »
Finalement, le fait le plus marquant est peut-être l’absence dans le groupe des favoris des deux coureurs de l’équipe de France Jacques Marinelli et Apo Lazaridès, respectivement 3ème et 9ème du Tour précédent. Ils accusent à l’arrivée un retard de 6’31’’.

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« Le départ de la troisième étape Liège-Lille a été donné à 116 concurrents, à 9h 19, sous le soleil revenu.
Neuf kilomètres après le départ, le régional de l’équipe d’Ile-de-France Attilio Redolfi, un autre Attilio le cadetti Lambertini et l’aiglon belge Isidore Deryck ont déclenché l’échappée qui allait être décisive.
Au onzième kilomètre, les trois évadés ont été rejoints par Bernard Gauthier, Pasotti, Blomme, Pedroni et De Muer. Ces huit audacieux n’ont plus été rattrapés malgré un brutal mais trop tardif réveil du peloton des vedettes.

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Bernard Gauthier a crevé à 30 kilomètres de Lille et a rejoint ses camarades de fugue 5 kilomètres plus loin, après avoir produit de violents efforts qu’il a payés dans le sprint final.
L’Italien Alfredo Pasotti, habitué aux arrivées sur piste en cendrée, l’emporte à l’hippodrome du Croisé-Laroche.
Le Français de l’équipe du Sud-Est Bernard Gauthier ravit le maillot jaune au Luxembourgeois Goldschmidt, se vengeant ainsi de n’avoir pas été sélectionné dans l’équipe nationale. »
De son côté, Maurice Vidal, journaliste de Miroir-Sprint, a noté sur bloc-notes :
« On pensait généralement que la rente de 100 000 francs au maillot jaune allait inciter le propriétaire de celui-ci à le défendre farouchement. Il faut bien croire que Goldschmidt vise plus haut puisqu’il n’a guère réagi (ou trop tard) contre une échappée de 7 hommes qui compta jusqu’à 14 minutes d’avance. Bernard Gauthier reçoit la tunique et les 100 000 francs (environ 160 euros) des mains fines de Roberto Benzi (jeune chef d’orchestre prodige alors âgé de 13 ans).
À l’arrivée, Marinelli s’écroule sur le sol trempé. Lazaridès doit être énergiquement soigné, de même que Geminiani. Lorsqu’il est remis, celui-ci a un mot dont on ne sait s’il est inconscient ou plein d’humour : « Les deux premières, dit-il, étaient faciles à côté de celle-ci ». Chapatte en reste coi, ce qui est assez rare.
Ce soir, M. Wermelinger, chargé du logement des coureurs, est bien ennuyé. Un certain nombre d’abandons et d’éliminations se produit chaque année à partir de la première étape. Le nombre de chambres louées diminuent donc de façon progressive. Or, cette année, fait unique, pas un homme ne manque à l’appel de la troisième étape. Les coureurs ne sont pas gentils avec l’organisation.
Jean-Marie Goasmat (dit le « farfadet de Pluvigner » ndlr) promène sur ce Tour son expérience de vieux blédard qui surprend ceux qui l’ont connu jadis timide et rougissant. Par contre, il continue à ne négliger aucun profit, aussi minime soit-il. Tout à l’heure, après l’arrivée, il s’approche d’un car publicitaire, demande un litre d’apéritif, le met sous son bras remonte en vélo et se dirige vers son hôtel. Il fit ainsi cinq kilomètres sur les pavés lillois, serrant sa bouteille sur son cœur, comme un bouquet de vainqueur. »
Pierre Chany a relevé, également pour Miroir-Sprint :
« En marge de la course, nous assistâmes encore de Liège à Lille à la soumission (officielle) de Fiorenzo Magni, devenu pour Bartali un parfait domestique.
Échappé avec Bobet et Desbats, le chauve transalpin qui pouvait tirer profit de cette opération, refusa cependant de mener. Lorsque Louison s’écartait pour l’inviter … à prendre le vent, Magni lui répondait avec un air volontairement malheureux : « Ça m’est interdit, je ne suis que domestique. » Voilà les Tricolores prévenus ils ne doivent plus miser sur un duel Bartali-Magni qui (peut-être) leur eut été indirectement favorable. »

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Le dimanche 16 juillet, la 4ème étape, longue de 231 kilomètres, conduit les coureurs de Lille à Rouen. Je n’ai aucun souvenir que mon père m’emmena les voir passer lors de la traversée de mon Pays de Bray natal
Maurice Vidal note : « Ce matin, le rassemblement avait lieu sur la place de la Liberté à Lille. Partant devant les coureurs, nous retrouvons Ferdi Kubler venant en sens inverse après le contrôle de départ. Il se précipite sur nous et assène à Charles Pélissier une bourrade de taureau vaudois en hurlant : « Excusez-moi, mais je viens de faire 10 kilomètres sous la pluie par la faute des agents français ! » Ah la police, déjà … !

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Peu avant Neufchâtel-en-Bray (km 174), l’Algérois Ahmed Kebaïli de l’équipe Nord-Afrique et le Breton Roger Pontet de l’équipe de l’Ouest, profitant des premiers vallonnements de la boutonnière du Pays de Bray espérèrent un bon de sortie de la part du peloton. Peut-être l’auraient-ils obtenu si Robic n’avait pas crevé. Aussitôt, Magni et l’équipe d’Italie se mirent à sérieusement accélérer de façon à contraindre Biquet à fournir plus d’efforts. C’était de bonne guerre mais cela condamna les 2 échappés.
Pierre Chany nous raconte la suite : « À 25 kilomètres de Rouen, le peloton s’était regroupé et Adolfo Léoni (vainqueur à Liège) montait une garde vigilante aux avants-poste. Le rapide Romain, visiblement, préparait un sprint qui paraissait inévitable à beaucoup et quelques suiveurs partaient déjà vers l’arrivée avec la conviction d’assister là-bas à l’action principale et définitive de la course.
Mais les nuages crevaient une nouvelle fois, déversant sur la caravane une véritable trombe d’eau (il pleuvrait tant que ça en Normandie ?). Un Belge, Stan Ockers, profitait aussitôt de l’occasion. Une série de virages pris à toute allure sur une route glissante et l’échappée, la bonne échappée, était lancée. Seuls, s’accrochaient encore à sa roue, Bernard Gauthier, Blomme, Antonin Rolland, Goldschmidt et … Jacques Marinelli. Mais oui, le même Marinelli que l’on croyait vidé et qui surgissait aux portes de Rouen où, il y a un an(déjà) une charmante Normande lui remettait le maillot jaune, la ville qui, en 1947, favorisait Robic avec son fameux « miracle de Bonsecours ».

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Entre ces six finisseurs et le peloton, où José Beyaert et Dominique Forlini faisaient flotter les couleurs de la capitale, la poursuite fut émouvante. Et, en vue de la banderole, 50 mètres à peine séparaient Bernard Gauthier de Dubuisson, le premier des chasseurs.
Ockers, lui, craignant le danger, avait cependant pris le large depuis un bon kilomètre. Toujours adroit, il s’était défilé sur les pavés des quais de la Seine avec la complicité de Blomme, son compariote et équipier pour passer devant Henri Boudard (le juge à l’arrivée ndlr) avec vingt secondes d’avance. »

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Bernard Gauthier consolide son maillot jaune. L’autre fait du jour, c’est la résurrection-le mot s’impose- de Jacques Marinelli, remis à neuf par d’habiles soigneurs, débarrassé de ses furoncles, ayant assimilé ses médicaments. La Perruche s’est remplumée !

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Qu’elle est belle ma Normandie qui m’a donné le jour ! Les coureurs ne me contrediront pas, la 5ème étape Rouen-Dinard, longue de 316 kilomètres, s’avère être une promenade cyclotouriste à 29,8 km/h de moyenne à travers le bocage normand. L’étape dite de transition par excellence !

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La raison principale de cette monotonie vient de la stratégie de la Squadra Azzura et son leader Gino Bartali qui fait donner la garde en tête du peloton afin de briser toutes les vélléités offensives. Tactique que le maillot jaune Bernard Gauthier trouve à sa convenance : « Puisque les Italiens arrêtent la course, laissons-les faire. Ce sera toujours autant de travail en moins pour les Sud-Est !»

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L’étape s’est animée à 25 kilomètres de l’arrivée avec l’échappée du Bordelais de l’équipe de France Robert Desbats et le fidèle gregario de Bartali Giovanni Corrieri, déjà vainqueur de deux étapes lors du Tour 1948.
Sur la piste en terre battue de Dinard, Corrieri l’emporte à l’issue d’un sprint tellement serré que le juge à l’arrivée Henri Boudard doit attendre les documents photographiques avant de départager les deux coureurs.

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L’équipe de Centre-Sud-Ouest, dirigée par Sauveur Ducazeaux, est à l’honneur : elle place trois de ses coureurs dans les dix premiers, Hervé Prouzet (3ème), Georges Meunier (5ème) et Noël Lajoie (7ème), des noms qui sentent bon notre douce France.
Après avoir goûté à une journée de repos (qu’ils avaient déjà prise vu leur apathie !), les coureurs doivent affronter l’épreuve dite de vérité, à savoir un contre la montre de 78 kilomètres entre Dinard et Saint-Brieuc. Les départs sont donnés sur l’esplanade devant la belle plage de l’Écluse, de nos jours réservée aux piétons.

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Voici ce qu’en retient Max Favalelli dans son roman du Tour intitulé Lanterne rouge et Maillot jaune : « Repos, détente. On flâne sur la plage de Dinard. Bon père de famille, Bobet fait des pâtés sur le sable avec sa fille, Maryse. Mme Robic repasse le linge de « Biquet ». C’et l’étape des épouses.
Seul, dans le hall de son hôtel, le grand Kubler, en pyjama rayé, penche son long nez en forme de coupe-papier sur une carte de la région. La Suisse est le pays de l’horlogerie. Il n’est donc point étonnant que Ferdi excelle dans un match livré contre la montre.
Les spécialistes ne se sont pas trompés. De Dinard à Saint-Brieuc, on voit onduler l’échine souple de Kubler, moulée dans un maillot rutilant, car il attire le regard des commissaires qui infligeront une pénalisation (15 secondes) à ce partisan de la soie.
Petit drame à l’arrivée, Bernard Gauthier guette le verdict du chronomètre. Le Temps est un rongeur, et, pour quarante-sept malheureuses secondes, lui grignote son beau maillot jaune. La tête au creux des bras, Bernard s’effondre et pleure à petits coups comme un gosse.
– T’en fais pas, lui dit Albert Préjean, tu le reverras ton paletot … »
C’est le Luxembourgeois Jean Goldschmidt, troisiéme de l’étape, à moins d’une minute du Suisse, qui reprend le maillot jaune.
Je relève ceci dans le bloc-notes de Maurice Vidal, à propos de la pénalisation infligée à Ferdi Kubler pour infraction vestimentaire : « Il est paradoxal que toutes améliorations soient autorisées sur la machine en vue d’obtenir le minimum de poids et le maximum de vitesse (métal léger, boyaux ultra-fins, etc…) et qu’on interdise par contre de changer la matière d’un maillot. Kubler ne doit pas sa classe à la qualité de son linge. Cet article du règlement prétend défendre l’égalité de tous, vedettes et régionaux. Croit-on qu’un obscur régional aurait pu se faire monter un cadre entièrement en duralumin, comme le fit l’an dernier Lazaridès dans les Alpes ? » Récemment, lors d’un contre la montre, la performance collective de l’équipe Sky avait créé une polémique à cause d’une combinaison en vortex avec des bulles influençant sur l’aérodynamisme.

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Prophète, le populaire acteur Albert Préjean : à l’issue de l’étape Saint-Brieuc-Angers (248km), Bernard Gauthier va reprendre au Luxembourgeois la toison d’or dont il avait été dépouillé la veille.

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Peu après le départ, le « tricolore » Nello Lauredi a lancé l’échappée qui devait être décisive, emmenant avec lui le national italien Lambertini, le cadetti Alberto Ghirardi, l’aiglon belge Robert Demulder, et les « régionaux » Pierre Brambilla et Robert Castelin (Sud-Est), Attilio Redolfi (Ile-de-France), Roger Chupin (Ouest) et Alain Moineau (Centre-Sud-Ouest).
Bernard Gauthier se lancera bientôt à leurs trousses, accompagné par le Belge Hilaire Couvreur, Gino Sciardis de l’équipe de l’Ouest et le Lorrain Gilbert Bauvin.
Ce groupe, dont Moineau disparaît sur crevaison, dispute le sprint à Angers.
Qui l’aurait dit … Lauredi, récent vainqueur du Dauphiné Libéré, présumé pourtant moins rapide que certains de ses compagnons d’échappée, apporte à l’équipe de France sa première victoire d’étape. Le maillot jaune Goldschmidt, englué dans le peloton des vedetets, concède plus de 11 minutes.

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L’étonnant Parisien Redolfi, originaire du Frioul-Vénétie Julienne et récemment naturalisé, pointe désormais à la seconde place du classement général, après avoir raflé, au passage à la « Belle-Alouette », la prime de 27 000 francs décernée par les Saint-Cyriens de la promotion « Général Frère » accourus de Coëtquidan. Une prime d’engagement, ironise Mithouard !
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas pour Jacques Marinelli. Max Favalelli nous relate son calvaire: « Mais au cours de la matinée, un drame a précédé cette comédie. À bout de forces, ayant dépassé les limites du courage, Marinelli a dû abandonner. Il avait essayé de placer une éponge dans son cuissard et il ne pouvait pédaler que debout, car le moindre contact avec la selle lui arrachait des gémissements de douleur.
– La fin d’un beau rêve ! me dit-il avec un pauvre sourire.
Le soir, je le retrouve désœuvré, désemparé, errant dans les coulisses d’un spectacle de music-hall. On le harcèle, on le prie d’expliquer au public les raisons de son abandon.
Gentil, courtois, il se laisse faire.
– Embrassez la Reine d’un Jour, lui demande Jean Nohain. Marinelli s’exécute et me glisse à l’oreille :
– En tout cas, ne cherchez pas le Roi d’un Jour, ce n’est sûrement pas moi.
Le lendemain, je le regarde partir vers la gare, mélancolique et portant à la main le maigre bagage des émigrants. »
Y aurait-il un « cluster » de furonculose en région parisienne ? Après Jacques Marinelli, originaire de Melun, c’est le pauvre Robert Dorgebray de l’équipe Paris-Nord-Est qui, atteint du même mal, rentre à la maison. Et son coéquipier Robert Chapatte ne tenait plus debout à l’arrivée, après avoir couru l’étape avec entre les jambes deux grosses boules gênantes.
Avec sa verve coutumière, Max Favalelli nous conte maintenant la 8ème étape Angers-Niort (181 kms seulement !) :
« Le lendemain, pour atteindre Niort, nous frôlons La Flèche, puis nous franchissons cavalièrement le beau pays de Saumur, où les suiveurs boivent –c’est bien le cas de le dire- le coup de l’étrier, pour achever ce pèlerinage soldatesque en traversant Saint-Maixent.
– Si tu passes au contrôle, dit sérieusement De Muer à Brûlé, ne te trompe pas, c’est ton fascicule de mobilisation que tu dois présenter.
Est-ce que ces stations successives ont mis de la poudre dans l’air ? En tout cas, Rémy se sent d’humeur batailleuse et agresse José Beyaert. Le tout se terminera par un armistice. Et les officiels, qui avaient menacé le belliqueux Marseillais de deux jours de salle de police (2 000 francs d’amende), avec demande d’augmentation, consentent à lui accorder le bénéfice de l’amnistie.
Nous avons abandonné au revers du chemin une autre victime. Le malheureux Mahé a fait une chute terrible et est transporté à l’hôpital. Cependant que son camarade de marque, Bobet, montre le bout de son nez et conduit une échappée victorieuse. Louison avait bu, au départ, un petit verre de Cointreau que le propriétaire de cette liqueur était venu lui servir lui-même.
– Ça va, on a compris ! lui dit Baffert, si tu marches à l’alcool …
Un autre gaillard a fait des étincelles, c’est l’ancien facteur, Meunier, qui fit une méchante partie de « manivelles ».
– Alors quoi ? lui demande Prouzet. Tu avais du courrier « urgent » à livrer aux Niortais ? »

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Pour être honnête, l’étape a été un peu plus animée que les jours précédents et a donné lieu à de nombreuses échappées dont Louison Bobet, dans son maillot de champion de France, faisait souvent partie.
C’est même lui qui déclenche le « bon coup » à 50 kilomètres de l’arrivée emmenant avec lui deux cadors, le Belge Stan Ockers et l’Italien Fiorenzo Magni, ainsi que le régional de l’équipe du Centre-Sud-Ouest, le jeune Georges Meunier surnommé le « facteur de Vierzon » pour avoir travaillé comme télégraphiste puis préposé au courrier à la Poste de la cité berrichonne.
Bobet, Ockers et Meunier ont joué tour à tour les locomotives et c’est le « fourgon italien » Magni qui en a profité en s’accrochant aux roues de ses compagnons d’échappée pendant 50 kilomètres avant de passer enfin en tête dans les 50 derniers mètres, raflant du même coup la minute de bonification que lorgnait Bobet.
Je choisis encore de prendre la route de Bordeaux aux côtés de Max Favalelli dont je savoure l’esprit hédoniste. Aujourd’hui car à l’époque, je n’étais même pas encore en âge d’entrer en maternelle !
« Nous quittons la Vendée verdoyante et grasse pour les vignobles du Bordelais. Avec une courte halte à Cognac où Lasserre, l’ancien international de rugby, distribue de précieuses bouteilles aux suiveurs. Fernand Trignol, roi des truands, (acteur, spécialiste de l’argot, et auteur d’un livre « Pantruche ou les mémoires d’un truand », ndlr) obtient double ration en déclarant avec pompe :
– Je suis l’envoyé spécial de l’Académie française.
Mais nous perdons en route le meilleur de ses disciples, le truculent Chapatte, terrassé par la furonculose.
– Le « clou » de l’épreuve, c’est ma pomme, ironise-t-il.
Et il ajoute, en dissimulant son désespoir de ne pas pouvoir poursuivre cette course qu’il avait minutieusement préparée :
– Je suis nettoyé. À moi le camion-balai ! Et conduisez-moi chez la Veuve Plumeau.
À Barbezieux, Desbats hume l’air à grands coups et respire les effluves natals. Il pique des deux, emmenant dans son sillage Geminiani, Schotte qui tire sur son guidon à la façon d’un laboureur flamand et trois coureurs italiens dont deux « cadetti » qui refusent de mener.
– Ils ne nous font pas de fleurs ! grommelle Desbats.
Ce n’est pas comme les habitants de Saint-André-de-Cubzac qui ont dévasté leurs jardins et font pleuvoir sur les fugitifs une pluie de roses… »

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Depuis le vélodrome de Bordeaux, Pierre Chany nous relate l’issue de l’étape d’un point de vue plus technique :
« Bordeaux possède la piste « damnée » du Tour de France et, chaque année, que la course vienne du sud ou du nord, des incidents se produisent à l’arrivée.
Il y a trois ans, le Suisse Tarchini était déclassé au bénéfice de Tacca pour avoir gêné le Parisien dans le dernier virage.
En 1949, Van Steenbergen se trompait d’un touret la victoire de Lapébie ne fut pas celle que ses supporters espéraient.
Cette fois, Pasotti accomplit sous les huées un tour d’honneur que les Bordelais réservaient à Robert Desbats.
Depuis le début de l’après-midi, les spectateurs massaient sur les gradins étaient tenus au courant des événements : Desbats et Geminiani s’étaient enfuis après le ravitaillement de Barbezieux entraînant avec eux Schotte, Pedroni (Italie) et les deux cadetti Pasotti et Bonini.
Cela, tous les spectateurs le savaient, mais ils n’ignoraient pas davantage que les trois Italiens, bien que d’équipes différentes, s’accordaient pour ne pas mener (ou si peu que mieux ne valait pas en parler).
Déjà indisposée par cette trop visible collusion, la foule se déchaîna ensuite lorsque Pedroni et Bonini se placèrent pour battre Desbats, l’enfant du pays, au sprint.

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Que faut-il penser des Italiens qui font constamment cause commune, en dépit du règlement (formel) qui interdit toute entente entre des coureurs d’équipes considérées comme rivales ? Aux commissaires de donner une réponse à cette question. »
Maurice Vidal, qui a dû revenir à Paris durant trois jours, a pu constater que l’attention portée au Tour était beaucoup moins vive que les années précédentes, au moins jusqu’ici : « L’événement s’explique de diverses façons. On a pris l’habitude de penser que les faits d’actualité s’estompaient devant le succès de la « grande boucle ». On a eu tort puisque les journaux consacrent cette fois leurs gros titres aux événements de Corée. L’éventualité d’une guerre ou d’une augmentation du service militaire, ou des privations inhérentes au passage à l’économie de guerre, sont des choses qui touchent bien plus le public, et spécialement les jeunes Français, que des exploits « sur piste d’un obscur Pasotti. Ce n’est pas un commentaire, c’est une constatation. Et puis … il faut bien le dire, la course par elle-même n’est pas d’un intérêt majeur. »
Et le journaliste de Miroir-Sprint poursuit : « Mais il faut bien aborder le sujet crucial : il est hors de doute que l’éternelle tactique employée par les Italiens (Cadetti et Nationaux) nuit considérablement à l’intérêt de la course.
C’est tellement vrai qu’on a pu justement la qualifier de tactique d’étouffement. Voir un Magni, éclatant de santé et de classe, jouer les domestiques, se laisser traîner par des compagnons d’échappée pour finalement leur voler la victoire d’étape a quelque chose d’exaspérant. … La pratique de la super vedette entourée de coureurs moyens, jouant les utilités, a déjà réduit le Giro aux proportions de l’étape des Dolomites. La supériorité italienne en matière de cyclisme permet aux vedettes transalpines d’imposer la même méthode au Tour de France. Souhaitons que la méritoire activité des régionaux français permette de briser la gangue qui entoure actuellement la plus belle des coureurs cyclistes. »
En route pour Pau avec Max Favalelli, décidément je me plais bien en sa compagnie :
« Un petit air mondain que rehaussent la présence de Mireille, tout de même dans un maillot jaune et celle du compositeur Louis Beydts, et qui estiment que ce que réussissent le mieux les coureurs, ce sont les fugues.
C’est jeune et ça ne sait pas ! Le môme Dussault, irrespectueux des traditions, rompt la trêve classique qui s’établit dans la traversée des Landes et s’en va, tout seul, comme un grand.
– Il faut bien que jeunesse se passe ! pense le peloton qui fait le gros dos au soleil.
Arrivée triomphale sur un stade de l’Armée.
Et pour faire couleur locale, André Dassary s’est déguisé en drapeau : short bleu, maillot rouge et chapeau blanc. (Chanteur d’opérette, il devint très populaire sous l’Occupation avec la chanson « Maréchal, nous voilà » à la gloire de Pétain, ndlr)
– Tu vas nous chanter La Marseillaise ? demande Queugnet. »
En dépit de l’apathie du peloton, il faut féliciter la performance de Marcel Dussault, le Berrichon de La Châtre, qui s’impose à Pau après sa chevauchée en solitaire de 190 kilomètres. Il succède dans la légende du Tour à un autre Berrichon André Bourlon (le vélodrome couvert de Bourges porte aujourd’hui son nom) qui avait réalisé un exploit encore plus retentissant entre Carcassonne et Luchon, lors du Tour 1947. Son échappée de 253 kilomètres reste la plus longue dans l’histoire du Tour de France.

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Sinon, l’’étape s’est déroulée le plus tranquillement du monde, Bernard Gauthier conservant son paletot jaune. Tout au plus, peut-on signaler quelques échanges d’amabilités entre Fiorenzo Magni et Maurice Blomme, le Belge n’appréciant guère la collusion trop évidente entre les deux équipes italiennes.
Albert Baker d’Isy fait le point : « Nous y voici. Le boulevard des Pyrénées à Pau est un lieu de réflexion tout indiqué la veille de la première étape de montagne. De la permanence du Tour, on découvre les principaux sommets, Aubisque, Tourmalet et Aspin, qui constitueront mardi (après le jour de repos) un triple obstacle redoutable pour les 93 coureurs qui ont passé les dix premières étapes. »
Charles Pélissier confie son pronostic : « Je serais étonné que la première étape de montagne, malgré l’Aubisque, le Tourmalet et autres « seigneurs » pour lesquels j’ai quelque respect, soit vraiment décisive. Il y a trop de plat entre le sommet du dernier col et l’arrivée à Saint-Gaudens. Fatalement, des regroupements se produiront entre grands grimpeurs et ceux ne s’étant pas trop laissé distancer. Ce premier contact permettra tout de même de juger mieux que je n’ai pu le faire jusqu’à présent les principaux favoris. »
De cela, je vous entretiendrai dans un second billet. Mais sans « spoiler » l’issue de ce Tour, je vous promets quelque rififi dans les Pyrénées !

Pour vous faire revivre ces premières étapes du Tour De France 1950, j’ai puisé dans les précieuses collections des revues Miroir-Sprint et But&Club Miroir des Sports.
Mes vifs remerciements à Jean-Pierre Le Port pour m’avoir aidé à rassembler tous ces documents.

Publié dans:Cyclisme |on 1 juillet, 2020 |Pas de commentaires »

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