Mon déconfinement
Rappel des états d’âme précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/27/mon-confinement-j13/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/01/mon-confinement-au-1er-avril/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/06/mon-confinement-deja-3-semaines/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/15/mon-confinement-merci-pour-le-rab/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/23/mon-confinement-bientot-le-joli-mois-de-mai/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/05/03/mon-confinement-deconfinement-ou-deconfiture/
« Servais, Pancrace et Mamert font à trois un petit hiver. » Qu’ils m’excusent si je pense moins à ces saints dont le tempérament glacial* vient souvent troubler le joli mois de mai.
Quand je serai (encore) plus vieux, je me souviendrai désormais du lundi 11 mai 2020, jour 1 du déconfinement ou plutôt, dans un exercice d’équilibrisme sémantique, « levée progressive du confinement ». Peut-être, apparaîtra-t-il un nouveau dicton : « À la Saint Estelle, on se fait la belle » !
Siné Mensuel mai 2020
C’est la veille du jour de naissance de ma regrettée maman, et plus encore qu’à l’habitude, je pense à elle, à mon père aussi : comment, s’ils étaient encore de ce monde, vivraient-ils la pandémie qui nous accable, eux qui traversèrent, enfant puis adulte, les deux grandes guerres mondiales ?
J’ai eu l’occasion dans mon premier billet « spécial confinement » d’évoquer la période de l’Occupation, dans ma Normandie natale, durant laquelle l’ennemi, bien visible celui-là, avait investi l’école primaire et le Cours Complémentaire dont ma mère était la directrice.
À aucun moment, l’enseignement ne fut suspendu: il n’était pas question de mesures barrières et de distanciation, sinon lors des exercices des chars allemands, les cours étaient alors dispensés si besoin, à la mairie, dans un café et même à l’école du Sacré-Cœur. L’administration de l’Éducation Nationale continuait à fonctionner, ainsi ma maman fut inspectée à deux reprises.
Surréaliste n’est-ce pas ? Il est possible que vous ne me croyiez pas, et pourtant, je possède des documents et des témoignages écrits d’enseignantes et jeunes filles alors élèves pour valider mes propos de boomer.
Beaucoup plus dérisoire mais cependant instructif, je lisais ces jours-ci une chronique teintée d’humour intitulée « Les anciens comprendront … les moins de 50 ans, pas sûr … » :
« 1958-
Je suis instituteur, il gèle à pierre fendre, je jette des seaux d’eau dans la cour de récré pour que les élèves puissent faire des glissoires. Tout le monde est content ! On prolonge les récrés.
2018
Je suis directeur, la cour est verglacée, je demande aux ouvriers municipaux de jeter du sel de déneigement sur toute la cour. Tout le monde est content ! On abrège les récrés extérieures. »
J’avais 11 ans en 1958 et je me souviens –il y eut des hivers rigoureux- de mon père qui se levait vers 6 heures et qui allait, un seau de boulets de charbon à la main, pour déneiger un couloir dans les deux cours de récréation. Se formait plus tard une file indienne d’élèves qui damaient progressivement un coin de la cour en patinoire. À ma connaissance, il n’y eut jamais d’accidents, de sanctions d’enseignants, d’arrêtés municipaux, de remarques réprobatrices des parents d’élèves.
Peut-on encore jouer à la balle au prisonnier (attention aux carreaux !) ? Aux osselets, aux billes ? Il est vrai que la chute des calots sur le carrelage de la salle de classe …
Si vous saviez combien ça me coûte de fustiger les comportements d’aujourd’hui… qui seraient d’ailleurs possiblement les miens si j’étais un enfant du XXIème siècle ! Autre temps, autres mœurs, comme dit le proverbe. Beaucoup revendiquent un désir de participation citoyenne et nombreux fuient leurs responsabilités quand on les leur délègue.
Il est même un petit chefaillon de Biterre qui procéda à l’enlèvement des bancs publics pour « mieux » faire respecter le confinement. À Biarritz, ce n’était pas possible de :
« …m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu’il en a
Te parler du bon temps qu’est mort ou qui reviendra
En serrant dans ma main tes petits doigts
Puis donner à bouffer à des pigeons idiots … »
… le maire ayant limité (puis renoncé quand même) la pause à deux minutes ! À Angoulême, on envisagea de les engrillager, ailleurs de les raccourcir pour qu’on ne puisse s’y allonger que recroquevillé.
Le banc est un répit, un instant, une pause …un abri, un havre, un refuge…une scène …un carrefour …juste un peu de bois et d’acier, comme l’affirme le dessinateur Christophe Chabouté, en quatrième de couverture de son livre Un peu de bois et d’acier.
Une page de « Un peu de bois et d’acier » de Christophe Chabouté
En tant que président du conseil de ma copropriété, j’étais au contraire heureux de voir les résidents se prélasser sur les bancs et pelouses de la résidence, dans le respect de la distanciation métrique (les amoureux chers à Brassens vont râler, tant pis).
De fil en aiguille, au lieu de confectionner des masques, j’en vins, impénitent boomer, à égrener mes souvenirs d’enfance de l’émission culte de Radio-Luxembourg Sur le banc avec les histoires quotidiennes de Carmen et La Hurlette, un couple de clochards sur un quai de Seine interprétés par Jane Sourza et Raymond Souplex (le non moins célèbre inspecteur Bourrel des Cinq dernières minutes, une autre émission culte de la télévision en noir et blanc).
Raymond Souplex était né place des Grands Hommes (Panthéon) de Zélie Ernestine Pesloux, anagramme de Souplex !
Sur les chaînes d’info, l’actualité elle-même déconfine en retrouvant une certaine légèreté. Souvenez-vous, cela fait tellement longtemps, près de quatre mois : sur fond d’élections municipales à Paris, le sujet principal était la bite à Griveaux, puis survint la sortie médiatique de l’actrice Adèle Haenel lors de la cérémonie des César et la reconnaissance trop marquée envers le cinéaste Roman Polanski, « On se lève et on se casse » !
Et voici qu’apparaît désormais en bandeau de nos écrans le pince-fesses (trois fois quand même !!!) de notre ancien président nonagénaire Giscard d’Estaing sur la personne d’une journaliste germanique de 37 ans ! Ah la « touchante » amitié franco-allemande ! Comme auraient dessiné Reiser ou Wolinski, le moral revient !
Entre temps, notre vocabulaire s’est enrichi de quelques mots, noms et expressions : Wuhan, Covid-19, pangolin, cluster, chloroquine, gestes barrières.
Gardiens sourcilleux du bon usage de la langue française, nos académiciens (par visio-séance ?) ont décidé que si le coronavirus est bien du genre masculin, il fallait dire, par contre, la Covid : en effet, Covid-19 est un acronyme d’origine anglaise, coronavirus disease, qu’on peut traduire par « maladie du coronavirus », et la règle en langue française veut que l’accord se fasse en fonction du genre du noyau, ici la maladie. CQFD ! Ces mêmes « immortels » tiqueraient devant le terme de « distanciation sociale », suggérant plutôt « respect des distances de sécurité ».
Tempête sous les crânes, et sur aussi ! Il faut se shampouiner la tête, et justement, dans la nuit du déconfinement, à 0 heure précise, quel hasard, quatre équipes de télévision se retrouvèrent dans le même salon parisien pour retransmettre en direct la première coupe de cheveux du client zéro nullement étonné de susciter un tel engouement médiatique. Le degré zéro aussi de la vacuité de l’information !
C’est du moins ce que j’ai ressenti, le grand cirque médiatique semble avoir changé de logiciel, comme on dit maintenant, en manifestant, depuis ce week-end, une confondante humilité qu’on peut résumer ainsi : on ne savait rien de ce fichu virus, on le découvre encore quotidiennement, est-il parti ? reviendra-t-il et quand ? Aux dernières nouvelles, il pourrait circuler dans l’air, il s’agirait d’un phénomène d’aérosolisation. Bref, le pangolin n’a pas fini de nous en faire baver.
La vérité d’un jour est souvent démentie ou contredite le lendemain. Et pour ne pas perdre la face, on associe dans le même opprobre, médecins, experts, spécialistes, journalistes, seuls les politiques (au pouvoir) n’ont pas le droit à cette mansuétude et ce mea culpa général.
On semble sortir d’un mauvais rêve, d’une parenthèse surréaliste d’une dizaine de semaines. La France se réveille, sonnée, abasourdie, le cerveau embrouillé, affaiblie physiquement et économiquement.
Oiseau de mauvais augure, j’ai le sale pressentiment que le monde d’après ressemblera vite … à celui d’avant (en « moins bien » même peut-être). Les affaires reprennent et certains, déjà, à visage découvert, font leur beurre avec la vente des trop fameux masques. Pour ce qui me concerne et ma compagne, une charmante voisine nous a offert deux jolis masques confectionnés dans un tissu chatoyant ramené de Bali. Qui sait si à l’automne, nous n’assisterons pas à une fashion week masquée, ohé, ohé !
Je médis, je dénigre, mais j’encense tous les « premiers de cordée (ou corvée) », l’ensemble héroïque du personnel soignant en première ligne qui a sauvé des vies, les éboueurs, les caissières, les livreurs, une majorité d’enseignants aussi, beaucoup d’autres anonymes encore, qui ont porté notre pays à bout de bras. On nous a conté d’admirables et émouvants témoignages et initiatives de solidarité qui font chaud au cœur.
œuvre de Banksy en hommage aux nouveaux héros
J’ose espérer (mais …) qu’à l’heure du bilan et des comptes, on n’oubliera pas de les placer dans l’échelle sociale au rang qu’ils méritent.
Pour célébrer ce premier jour de déconfinement, mon ami Jean-Pierre m’a fait la divine surprise de me dédier et publier dans son blog un billet autour de la « petite expo » de son cabinet de curiosités vélocipédiques consacrée à Jacques Anquetil l’idole de mon enfance.
la « petite expo » (photographie JPLP)
« Mon » champion normand, incomparable dans l’art de courir en solitaire contre le temps au point qu’on le surnomma le « chronomaître », ne fut-il pas, en y réfléchissant bien, un précurseur des gestes barrières. Héros proustien, il pédalait à la recherche du temps gagné.
https://vlosvlo.blogspot.com/2020/05/ma-petite-expo-jacques-anquetil.html
La « ménagère de cinquante ans » attend désormais cet instant, ma compagne a fêté notre nouvelle vie déconfinée, menu zone rouge, en concoctant un clafoutis de patates douces et ricotta aux herbes que j’ai accompagné d’un Côtes-du-Ventoux rosé. Vous savez, si la montée à vélo du géant de Provence est un calvaire notamment sous la chaleur, sa descente dans le gosier est une passion!
Les Français, aspirant à bronzer idiot, réclament la réouverture des plages. Puissent-ils aussi afin de vivre intelligemment leurs vacances demander la réouverture des librairies, des salles de spectacles, le retour des manifestations culturelles. Nos artistes sont censurés pour raisons sanitaires.
Quel beau message d’optimisme nous envoie Étienne Daho avec sa chanson Le premier jour du reste de ta vie … déconfinée :
« Un matin comme tous les autres
Un nouveau pari (s ?)
Rechercher un peu de magie
Dans cette inertie morose … »
« Clopin-clopant sous la pluie
Jouer le rôle de sa vie
Puis un soir le rideau tombe
C’est pareil pour tout le monde
Rester debout mais à quel prix
Sacrifier son instinct et ses envies
Les plus essentielles
Mais tout peut changer, aujourd’hui
Est le premier jour du reste de ta vie
Plus confidentiel
Pourquoi vouloir toujours plus beau
Plus loin, plus haut
Et vouloir décrocher la lune
Quand on a les étoiles
Quand les certitudes s’effondrent
En quelques secondes
Sache que du berceau à la tombe
C’est dur pour tout le monde
Rester debout mais à quel prix
Sacrifier son instinct et ses envies
Les plus confidentielles
Mais tout peut changer, aujourd’hui
Est le premier jour du reste de ta vie
C’est providentiel
Debout peu importe le prix
Suivre son instinct et ses envies
Les plus essentielles
Tu peux exploser, aujourd’hui
Est le premier jour du reste de ta vie
Non accidentel
Oui, tout peut changer, aujourd’hui
Est le premier jour du reste de ta vie
Plus confidentiel
Confidentiel
Confidentiel »
Continuez surtout à prendre soin de vous et de vos proches !
* http://encreviolette.unblog.fr/2009/05/10/les-saints-de-glace/

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Qu’est-ce que je suis content de ne plus être « maître d’école » ! Je viens de jeter un oeil sur le « protocole sanitaire » de l’Education nationale relatif à la réouverture des écoles. Je n’ai pas tout lu, j’ai quand même autre chose à faire…
Quel charabia ! Est-ce ainsi que nos enfants vont vivre.
« PROTOCOLE » : un mot à ajouter à la chanson de Leprest « Tout c’qu’est dégueulasse ».
Et oui, je crains que le « monde d’après », hélas, soit pire encore que « le monde d’avant ».
Amitié et déconfiture (Six pots de confiture à la rhubarbe hier soir…)
PS au commentaire précédent : 56 pages, le fameux protocole… Un peu de bon sens (dans le genre de ton papa qui déneigeait la cour.) ne serait-il pas suffisant ?