Mon confinement … déjà 3 semaines !
Récit des états d’âme précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/27/mon-confinement-j13/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/01/mon-confinement-au-1er-avril/
Le confinement est valable pour nous tous … à l’exception, évidemment, des quelques centaines de milliers de Parisiens qui ont voulu nous faire savoir qu’ils possédaient une résidence secondaire.
Aujourd’hui, en ouverture de mon journal du confinement, j’ai envie de vous faire partager comment certains de mes amis vivent leur réclusion, en tentant de continuer à assouvir leur passion.
Au temps de l’époque héroïque de Charlie-Hebdo (canal historique !), je me souviens de la rubrique « Spécial Copinage » où étaient recommandés spectacles, expositions et lectures de qualité. Avec mes collègues enseignants, à la suite de notre reportage sur notre séjour d’un mois dans les locaux du journal (le premier du genre, il faut encore le dire !) et de sa projection au mythique Studio 43 de la rue du Faubourg Montmartre, Wolinski s’était fendu d’un crobar de son petit monsieur aux avis péremptoires : « Ah les cons ! ». Un beau compliment de la part de cette bande d’iconoclastes qui reconnaissaient ainsi que nous appartenions (un peu) à la « famille » !
À plusieurs reprises, mes plus fidèles lecteurs s’en souviennent, j’ai eu l’occasion de vous faire connaître l’activité artistique de mes amis d’Ariège, Patricia et Philippe, deux intermittents du spectacle, qui jouent interminablement « relâche » actuellement.*
Enfin, pas tout à fait ! En cette période d’épidémie, vu qu’il semblerait que le virus n’est pas transmissible entre animaux et humains (ceci dit, il proviendrait tout de même de chinoiseries entre un pangolin et une chauve-souris), ils ont ressorti de son clapier leur adorable lapin Pampinou, une vraie bête de scène plus consensuelle que les coqs (private joke !).
Loin d’être un lapin crétin, ce Pampinou s’intéresse aux problèmes qui nous inquiètent actuellement, et sa « mamie » a eu l’idée, dans le cadre des activités d’éveil, de lui chanter sa Lettre à Manu, adaptation personnelle de la poignante chanson de Renaud :
C’est beaucoup mieux qu’un pastiche : les mots efficaces nous alertent avec beaucoup de justesse, l’émotion règne comme dans le texte original du « chanteur énervant ». De la belle ouvrage comme on disait familièrement !
Voilà une forme de manifestation tellement plus intelligente que brûler ou pendre une effigie de notre président. Gens du spectacle, n’oubliez pas après le déconfinement, de faire travailler encore plus que de coutume ces artistes, parfois injustement méconnus, qui pourtant ont tellement de belles émotions à nous offrir !
Pour ma part, plutôt que me faire rembourser, j’ai d’ores et déjà fait don du montant des deux places que j’avais réservées pour un spectacle en avril annulé à Paris.
Vous connaissez peut-être aussi mon ami Jean-Pierre, accessoirement retraité de l’Éducation Nationale et principalement cyclotouriste invétéré et archiviste précieux de tout ce qui a trait au cyclisme. C’est vers lui souvent que je me tourne pour écrire mes billets (si énervants pour certains !) sur les Tours de France d’antan. À cause du confinement, il est malheureux, en ce moment, de ne pas pouvoir rouler au moins sur ses routes de Seine-et-Marne, aux confins de la Champagne et de l’Aube. Un crève-cœur quand on possède une petite dizaine de vélos dans son atelier !
Adieu Audax et Brevets fédéraux ! Depuis que la retraite avait sonné, il s’était lancé le défi (et l’avait respecté) de parcourir mensuellement au moins une randonnée de 200 km.
Des fourmis dans les jambes, Jean-Pierre, n’y tenant plus, a choisi d’enfreindre les règles de sortie mises en place par le gouvernement en tricotant un circuit sur les routes du Bas de l’Aisne à la rencontre des fables de Jean de La Fontaine (un peu le « régional de l’étape »).
Il avait « la socquette légère », le Jean-Pierre, et beaucoup d’humour et d’esprit. Ainsi, il a réalisé son projet … en nous le présentant virtuellement, le 1er avril, dans son blog Vélos … VELO ! :
https://vlosvlo.blogspot.com/2020/04/mon-200-du-mois-davril-poisson-davril.html
https://vlosvlo.blogspot.com/2020/04/mon-200-du-mois-davril-poisson-davril_3.html
Voici encore de la belle ouvrage digne de ces instituteurs (qu’il fut) d’autrefois qui rédigeaient une monographie du village où ils enseignaient.
À l’arrière de la voiture du directeur de course, s’est même assis Pierre Desproges, n’oublions pas qu’il fut journaliste, nul doute que sa plume acide aurait fait mouche en cette période de pandémie. Vous verrez qu’il ne porte pas trop le fabuliste dans son cœur, il est vrai que le natif de Château-Thierry fut un vrai « suceur de roue » dans son genre, en calquant souvent ses vers sur ceux d’Ésope.
Pour adoucir notre confinement, Fabrice Luchini nous récite quelques fables depuis son fauteuil, Jean-Pierre, lui, nous les « roule » (un troisième volet de sa « fabuleuse » randonnée est en préparation).
Et puisque j’ai cité Pierre Desproges, sachez qu’en 1986, dans le même Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, outre La Fontaine, il se moquait aussi du … pangolin :
« Pangolin n.m., du malais panggoling, qui signifie approximativement pangolin. Mammifère édenté d’Afrique et d’Asie couvert d’écailles cornées, se nourrissant de fourmis et de termites. Le pangolin mesure environ un mètre. Sa femelle s’appelle la pangoline. Elle ne donne le jour qu’à un seul petit à la fois, qui s’appelle Toto. Le pangolin ressemble à un artichaut à l’envers avec des pattes, prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser qu’en effet, le ridicule ne tue plus. » Étonnant non ?
N’en déplaise à Jean-Pierre, le vélo en prenait également pour son grade. Ainsi : « Le Tour de France rassemble chaque été, sur le bord des routes, des centaines de milliers de prolétaires cuits à point qui s’esbaudissent et s’époumonent au passage de maints furonculés tricotant des gambettes. » Qui sait, ce ne sera peut-être pas le cas, cet été, à cause de ce fichu pangolin !
J’étais tout gamin lorsqu’en 1958, j’entendais sur mon transistor la nouvelle émission d’Europe n°1 « Vous êtes formidables » animée par Pierre Bellemare et parrainée par la réclame MonSavon d’Or, « formidable pour sa mousse abondante même en eau calcaire ». On y louait le courage, la générosité, la solidarité, l’ingéniosité de nombreux Français anonymes.
En ce moment, les réseaux sociaux, si souvent nocifs, relaient des images d’initiatives émouvantes ou amusantes, même parfois pour leur caractère dérisoire mais rafraîchissant. Ainsi, cette semaine, j’ai souri à « Questions pour un balcon ». Sur le modèle de la populaire émission de jeu, chaque soir, un comédien (au chômage technique) jouant le Julien Lepers (ou Samuel Étienne, je me tiens au courant quand même !) de service organise, depuis une fenêtre de son appartement, une confrontation entre les résidents côtés pairs et impairs de sa rue parisienne.
Mais comment aussi, à l’autre bout de la chaîne culturelle, ne pas mettre en avant la magnifique performance (artistique et technique) des musiciens de l’Orchestre national de France qui jouent le Boléro de Ravel depuis chez eux. Chaque artiste s’est filmé à son propre domicile jouant de son instrument. Les vidéos ont ensuite été assemblées pour former ce morceau de quatre minutes :
Sourire : il ne manque que le regretté acteur Jacques Villeret inénarrable à la batterie ! Pour ce sketch d’anthologie, il vous faudra relire mon billet Le beau vélo de Ravel : http://encreviolette.unblog.fr/2010/03/11/le-beau-velo-de-ravel-ou-le-depart-de-paris-nice-2010/
Lorsque la France est attaquée, elle brandit parfois des livres. Ainsi, le Traité sur la tolérance de Voltaire et Paris est une fête d’Ernest Hemingway connurent un pic de popularité, au point de devenir de véritables best-sellers, en 2015, suite aux attaques contre Charlie-Hebdo, le supermarché Hyper Cacher, et aux attentats du 13 novembre.
Depuis mon précédent billet, pour occuper mon confinement, je me suis procuré un possible mode d’emploi pour le supporter, un précieux précis, le beau récit « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre, un vrai voyage tout à fait surprenant et original.
Xavier de Maistre, né à Chambéry en 1763 et mort à Saint-Pétersbourg en 1852, fut un écrivain, peintre et général au service du tsar Alexandre Ier de Russie. Un rêveur invétéré aussi, ce qui lui valut le surnom d’étourneau de la part de ses proches, une tête en l’air, le 6 mai 1784, il se porta même volontaire pour participer au premier vol en ballon en Savoie, un an après la démonstration des frères Montgolfier à Annonay et l’ascension de Pilâtre de Rozier.
Je ne vais pas entamer ici un cours d’Histoire mais, mis aux arrêts suite à un duel, de Maistre, savoyard d’origine et alors officier de l’armée sarde en garnison en Piémont, fut condamné à quarante-deux jours d’assignation à domicile.
Il mit ce temps de réclusion à profit pour écrire son délicieux roman afin de démontrer que l’immobilité forcée pouvait mener à davantage de liberté : « J’ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j’ai faites, et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d’être utile m’y a décidé. Mon cœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j’offre une ressource assurée contre l’ennui, et un adoucissement aux maux qu’ils endurent. Le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune. Est-il, en effet, d’être assez malheureux, assez abandonné, pour n’avoir pas de réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde ? Voilà tous les apprêts du voyage.
Je suis sûr que tout homme sensé adoptera mon système, de quelque caractère qu’il puisse être, et quel que soit son tempérament : qu’il soit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou vieux, né sous la zone torride ou près du pôle, il peut voyager comme moi ; enfin, dans l’immense famille des hommes qui fourmillent sur la surface de la terre, il n’en est pas un seul, — non, pas un seul (j’entends de ceux qui habitent des chambres) qui puisse, après avoir lu ce livre, refuser son approbation à la nouvelle manière de voyager que j’introduis dans le monde. »
L’écrivain nous propose un voyage low cost, à portée de toutes les bourses, ne nécessitant aucune attestation dérogatoire de déplacement, adaptable à l’espace de confinement de chacun : « Je pourrais commencer l’éloge de mon voyage par dire qu’il ne m’a rien coûté… L’être le plus indolent hésiterait-il de se mettre en route avec moi pour se procurer un plaisir qui ne lui coûtera ni peine, ni argent ? Courage donc, partons ! … »
Suivons-le alors !
« Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria : sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage ; car je traverserai souvent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. — Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : « Aujourd’hui je ferai trois visites, j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé »…
… Lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façons, et je m’y arrange tout de suite. — C’est un excellent meuble qu’un fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. »
Bien calé dans son fauteuil, il nous alerte : « Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage. »
Tournons les pages de son carnet de voyage :
« Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre mon lit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plus agréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse : les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux. — Je les vois, dans les beaux jours d’été, s’avancer le long de la muraille blanche, à mesure que le soleil s’élève : les ormes qui sont devant ma fenêtre les divisent de mille manières, et les font balancer sur mon lit, couleur de rose et blanc, qui répand de tous côtés une teinte charmante par leur réflexion. — J’entends le gazouillement confus des hirondelles qui se sont emparées du toit de la maison, et des autres oiseaux qui habitent les ormes : alors mille idées riantes occupent mon esprit ; et, dans l’univers entier, personne n’a un réveil aussi agréable, aussi paisible que le mien.
J’avoue que j’aime à jouir de ces doux instants, et que je prolonge toujours, autant qu’il est possible, le plaisir que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit. Est-il un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus tendres idées, que le meuble où je m’oublie quelquefois ? — Lecteur modeste, ne vous effrayez point ; — mais ne pourrais-je donc parler du bonheur d’un amant qui serre pour la première fois dans ses bras une épouse vertueuse ? plaisir ineffable, que mon mauvais destin me condamne à ne jamais goûter ! N’est-ce pas dans un lit qu’une mère, ivre de joie à la naissance d’un fils, oublie ses douleurs ? C’est là que les plaisirs fantastiques, fruits de l’imagination et de l’espérance, viennent nous agiter. — Enfin, c’est dans ce meuble délicieux que nous oublions, pendant une moitié de la vie, les chagrins de l’autre moitié. Mais quelle foule de pensées agréables et tristes se pressent à la fois dans mon cerveau ! Mélange étonnant de situations terribles et délicieuses !
Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. — C’est un berceau garni de fleurs ; — c’est le trône de l’amour ; — c’est un sépulcre … »
De plus en plus rares sont les personnes qui, comme moi, sont nées au domicile familial, beaucoup trop voient actuellement leur vie abrégée dans ce qui ressemble à un véritable hôpital de campagne.
Quand mes amis viennent chez moi, ils dorment éventuellement dans l’antique lit en fer beaucoup plus centenaire que le fût elle-même ma chère mémé Léontine.
Peut-être certains d’entre vous planchèrent-ils au collège sur un extrait d’Espèces d’espaces de Georges Pérec, et notamment la description de son lit :
« J‘aime mon lit. J’aime rester étendu sur mon lit et regarder le plafond d’un œil placide. J’y consacrerais volontiers l’essentiel de mon temps (et principalement de mes matinées) si des occupations réputées plus urgentes (la liste en serait fastidieuse à dresser) ne m’en empêchaient si souvent. J’aime les plafonds, j’aime les moulures et les rosaces : elles me tiennent souvent lieu de muse et l’enchevêtrement des fioritures de stuc me renvoie sans peine à ces autres labyrinthes que tissent les fantasmes, les idées et les mots. Mais on ne s’occupe plus des plafonds. On les fait désespérément rectilignes ou, pire encore, on les affuble de poutres soi-disant apparentes. Une vaste planche m’a longtemps servi de chevet. À l’exception de nourriture solide (je n’ai généralement pas faim quand je reste au lit), il s’y trouvait rassemblé tout ce qui m’était indispensable, aussi bien dans le domaine du nécessaire que dans le domaine du futile: une bouteille d’eau minérale, un verre, une paire de ciseaux à ongles (malheureusement ébréchés), un recueil de mots croisés du déjà cité Robert Scipion (…), un paquet de mouchoirs en papier, une brosse à poils durs qui me permettait de donner au pelage de mon chat (qui était d’ailleurs une chatte) un lustre qui faisait l’admiration de tous, un téléphone, grâce auquel je pouvais, non seulement donner à mes amis des nouvelles de ma santé, mais répondre à d’innombrables correspondants que je n’étais pas la Société Michelin, un poste de radio entièrement transistorisé diffusant à longueur de journée, si le cœur m’en disait, diverses musiques de genre entrecoupées d’informations susurrées concernant les embouteillages, quelques dizaines de livres (certains que je me proposais de lire et que je ne lisais pas, d’autres que je relisais sans cesse), des albums de bandes dessinées, des piles de journaux, tout un attirail de fumeur, divers agendas, carnets, cahiers et feuilles volantes, un réveil, évidemment, un tube d’Alka-Seltzer (vide), un autre d’aspirine (à moitié plein, ou, si l’on préfère, à moitié vide), un autre, encore, de cequinyl (médication anti-grippe: à peu près intact), une lampe, bien sûr, de nombreux prospectus que je négligeais de jeter, des lettres, des stylos-feutre, des stylos-bille (les uns et les autres souvent taris…), des crayons, un taille-crayon, une gomme (ces trois derniers articles précisément destinés à la résolution desdits mots croisés), un galet ramassé sur la plage de Dieppe, quelques autres menus souvenirs et un calendrier des postes … »
Xavier de Maistre destine un chapitre exclusivement aux métaphysiciens en développant sa théorie de la dualité âme-bête qui s’affronte en nous : « Ces deux êtres sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l’âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état d’en faire la distinction. »
Explication et illustration :
« S’il est utile et agréable d’avoir une âme dégagée de la matière au point de la faire voyager toute seule lorsqu’on le juge à propos, cette faculté a aussi ses inconvénients. C’est à elle, par exemple, que je dois la brûlure dont j’ai parlé dans les chapitres précédents. — Je donne ordinairement à ma bête le soin des apprêts de mon déjeuner ; c’est elle qui fait griller mon pain et le coupe en tranches. Elle fait à merveille le café, et le prend même très-souvent sans que mon âme s’en mêle, à moins que celle-ci ne s’amuse à la voir travailler ; mais cela est rare et très-difficile à exécuter : car il est aisé, lorsqu’on fait quelque opération mécanique, de penser à toute autre chose ; mais il est extrêmement difficile de se regarder agir, pour ainsi dire ; — ou, pour m’expliquer suivant mon système, d’employer son âme à examiner la marche de sa bête, et de la voir travailler sans y prendre part. — Voilà le plus étonnant tour de force métaphysique que l’homme puisse exécuter.
J’avais couché mes pincettes sur la braise pour faire griller mon pain ; et, quelque temps après, tandis que mon âme voyageait, voilà qu’une souche enflammée roule sur le foyer : — ma pauvre bête porta la main aux pincettes, et je me brûlai les doigts. … »
Conséquence : « Il (le lecteur ndlr) ne pourra qu’être satisfait de lui, s’il parvient un jour à savoir faire voyager son âme toute seule … Est-il de jouissance plus flatteuse que celle d’étendre ainsi son existence, d’occuper à la fois la terre et les cieux, et de doubler, pour ainsi dire, son être ? Le désir éternel, et jamais satisfait, de l’homme, n’est-il pas d’augmenter sa puissance et ses facultés, de vouloir être où il n’est pas, de rappeler le passé et de vivre dans l’avenir ? Il veut commander les armées, présider aux académies ; il veut être adoré des belles, et s’il possède tout cela, il regrette alors les champs et la tranquillité, et porte envie à la cabane des bergers … »
L’écrivain se défend :
« Qu’on n’aille pas croire qu’au lieu de tenir ma parole, en donnant la description de mon voyage autour de ma chambre, je bats la campagne pour me tirer d’affaire ; on se tromperait fort car mon voyage continue réellement … »
Ainsi :
« J’étais dans mon fauteuil, sur lequel je m’étais renversé, de manière que ses deux pieds antérieurs étaient élevés à deux pouces de terre ; et, tout en me balançant à droite et à gauche, et gagnant du terrain, j’étais insensiblement parvenu tout près de la muraille. — C’est la manière dont je voyage lorsque je ne suis pas pressé. — Là, ma main s’était emparée machinalement du portrait de madame de Hautcastel, et l’autre s’amusait à ôter la poussière qui le couvrait…
… À mesure que le linge enlevait la poussière et faisait paraître des boucles de cheveux blonds, et la guirlande de roses dont ils sont couronnés, mon âme, depuis le soleil où elle s’était transportée, sentit un léger frémissement de plaisir et partagea sympathiquement la jouissance de mon cœur. Cette jouissance devint moins confuse et plus vive lorsque le linge, d’un seul coup, découvrit le front éclatant de cette charmante physionomie ; mon âme fut sur le point de quitter les cieux pour jouir du spectacle. Mais se fût-elle trouvée dans les Champs Élysées, eût-elle assisté à un concert de chérubins, elle n’y serait pas demeurée une demi-seconde, lorsque sa compagne, prenant toujours plus d’intérêt à son ouvrage, s’avisa de saisir une éponge mouillée qu’on lui présentait et de la passer tout à coup sur les sourcils et les yeux, — sur le nez, — sur les joues, — sur cette bouche ; — ah ! Dieu ! le cœur me bat ! — sur le menton, sur le sein : ce fut l’affaire d’un moment ; toute la figure parut renaître et sortir du néant. — Mon âme se précipita du ciel comme une étoile tombante ; elle trouva l’autre dans une extase ravissante, et parvint à l’augmenter en la partageant. Cette situation singulière et imprévue fit disparaître le temps et l’espace pour moi. — J’existai pour un instant dans le passé, et je rajeunis contre l’ordre de la nature. — Oui, la voilà, cette femme adorée, c’est elle-même, je la vois qui sourit ; elle va parler pour dire qu’elle m’aime. — Quel regard ! viens, que je te serre contre mon cœur, âme de ma vie, ma seconde existence ! Viens partager mon ivresse et mon bonheur ! Ce moment fut court, mais il fut ravissant … »
Intriguant ce tableau, à tel point que Joannetti le serviteur réclame une explication à son maître: « Je voudrais, dit-il, que monsieur m’expliquât pourquoi ce portrait me regarde toujours, quel que soit l’endroit de la chambre où je me trouve. Le matin, lorsque je fais le lit, sa figure se tourne vers moi, et si je vais à la fenêtre, elle me regarde encore et me suit des yeux en chemin. »
L ‘écrivain confiné poursuit le voyage : « En laissant donc sur la droite les portraits de Raphaël et de sa maîtresse, le chevalier d’Assas et la Bergère des Alpes, en longeant sur la gauche du côté de la fenêtre, on découvre mon bureau : c’est le premier objet et le plus apparent qui se présente aux regards du voyageur, en suivant la route que je viens d’indiquer. »
Vous imaginez bien qu’il sera intarissable sur sa correspondance.
« Je n’en finirais pas si je voulais décrire la millième partie des événements singuliers qui m’arrivent lorsque je voyage près de ma bibliothèque. Les voyages de Cook et les observations de ses compagnons de voyage, les docteurs Banks et Solander, ne sont rien en comparaison de mes aventures dans ce seul district… »
« … J’ai promis un dialogue entre mon âme et l’autre ; mais il est certains chapitres qui m’échappent, ou plutôt il en est d’autres qui coulent de ma plume comme malgré moi, et qui déroutent mes projets : de ce nombre est celui de ma bibliothèque, que je ferai le plus court possible. Les quarante-deux jours vont finir, et un espace de temps égal ne suffirait pas pour achever la description du riche pays où je voyage si agréablement.
Ma bibliothèque donc est composée de romans, puisqu’il faut vous le dire, — oui, de romans, et de quelques poètes choisis.
Comme si je n’avais pas assez de mes maux, je partage encore volontairement ceux de mille personnages imaginaires, et je les sens aussi vivement que les miens
Mais si je cherche ainsi de feintes afflictions, je trouve, en revanche, dans ce monde imaginaire, la vertu, la bonté, le désintéressement, que je n’ai pas encore trouvés réunis dans le monde réel où j’existe. — J’y trouve une femme comme je la désire, sans humeur, sans légèreté, sans détour. Je ne dis rien de la beauté ; on peut s’en fier à mon imagination : je la fais si belle, qu’il n’y a rien à redire. Ensuite, fermant le livre qui ne répond plus à mes idées, je la prends par la main, et nous parcourons ensemble un pays mille fois plus délicieux que celui d’Éden. Quel peintre pourrait représenter le paysage enchanté où j’ai placé la divinité de mon cœur ? et quel poète pourra jamais décrire les sensations vives et variées que j’éprouve dans ces régions enchantées ! … »
42 chapitres pour 42 jours de voyage autour d’une chambre ! Je suis bien incapable de vous dire si la chloroquine est efficace pour terrasser le virus, par contre, j’atteste que ce petit livre sorti des oubliettes atténue les effets du confinement.
Je me suis inspiré à domicile des prescriptions de l’écrivain, pour en tester l’efficacité.
Il me faudrait un billet (et d’ailleurs pourquoi pas) pour vous faire partager mes émotions, par exemple, devant la contemplation de ce tableau de la Baie de Somme accroché dans mon salon.
« Âmes fifties » comme le fredonne Alain Souchon sur les images de mon ami photographe Thierry Rajic, réalisateur du clip. C’était mon enfance, nul besoin d’attestation dérogatoire les Parisiens venaient alors en vacances sur le littoral. Après nous être goinfrés des savoureuses frites de ma mémé Léontine, en respectant le temps d’attente pour cause de risque d’hydrocution surtout que l’eau était froide (!!!), nous allions faire trempette.
Beaucoup plus tard, je revins une semaine au Crotoy pour filmer une exceptionnelle institutrice et ses élèves de Cours Préparatoire tout au long de leur séjour.
La baie de Somme, les oiseaux migrateurs du Marquenterre, les phoques de la pointe du Hourdel, les tableaux et vitraux de l’artiste Alfred Manessier …
Je me sens mieux. Encore que … avec tout ce qu’on nous raconte à la télévision, on se répartit les symptômes du virus avec ma compagne. Je tousse, elle a mal à la tête, mon nez coule, elle sent une barre sur la poitrine, mais nous n’avons pas de fièvre ! Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? demandait le docteur Knock de Jules Romains ! À nous deux, on offre un profil type de contaminé, au moins 5 minutes par jour. Rassurant tout de même, nous n’avons pas de perte de goût ni d’odorat !
Le confinement favorise aussi la confection de bons petits plats. Il était un porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll pour ne pas le nommer, qui informait les journalistes du contenu du buffet qui suivait le point-presse, ainsi risquait-il moins les dérapages de langage. Pour ce qui me concerne, ma compagne avait inscrit au menu de la semaine passée une saucisse d’Ariège (qui plus est, de la maison Barès, les puristes du Couserans comprendront !)) grillée avec une purée de pois cassés.
J’y pense, c’est un peu incongru de parler de cuisine en cette période pascale. Pour les Chrétiens, le Carême est une alternance de jeûne complet et d’abstinence d’une durée de quarante jours qui fait référence à la retraite que Jésus effectua dans le désert où il s’était isolé pour méditer et prier. Le Carême est un temps de préparation à Pâques, à la victoire de Dieu sur le mal, où les fidèles se rendent plus réceptif à sa Parole. Il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois, cette année … !
Nos chaînes de télévision s’organisent face au confinement et aux mesures de distanciation. Elles ont recours de plus en plus à l’application Skype pour interroger experts et personnalités médiatiques sur leur vision de l’épidémie et de ses conséquences. J’écoute mais mon œil malin furète sur l’arrière-plan en avant duquel ils s’expriment. Il y a ceux qui, pour masquer leur intérieur de vie de confinement (auraient-ils participé au fameux exode ?), se réfugient dans une mansarde ou un grenier anonyme, il y a ceux qui laissent au contraire apparaître les poutres de leur nid douillet, il y a ceux encore qui posent devant des rayons de bibliothèque regorgeant de livres, le fin du fin étant d’en mettre un particulièrement en évidence pour étaler sa connaissance …
En ce dernier dimanche des Rameaux, c’est la première fois que je n’aurai pu fleurir la mémoire de mes si chers aïeux, de mon frère aussi. Ils auront été cependant omniprésents dans mes pensées.
En ce début de vacances scolaires, en dépit des recommandations et des contrôles, des « citoyens » sont parvenus à rejoindre, à la faveur de la nuit et d’itinéraires ter plutôt que bis, leur résidence secondaire. À l’île de Bréhat, fermée aux touristes, certains ont accosté à bord d’embarcations privées ou monnayées. Des Parisiens sont arrivés sur la plage de Saint-Malo (là où la méduse d’Yvan Dautin faisait du vélo !). Au mieux, ils dissimuleront leur véhicule au fond d’un garage, au pire, ils seront victimes de quelques rayures délictueuses sur la carrosserie de la part de « bons Français » ! Incivilités, bassesses, petitesse !
La comédie humaine, quoi … ! Je ne serai sans doute pas là pour lire les écrits du Balzac du XXIème siècle.
Pendant ce temps, je ne crains pas la répétition, personnels de santé et chercheurs, merveilleux et héroïques de dévouement, travaillent jour et nuit pour nous … au péril de leur propre vie.
Prenez soin de vous !
• billets de mon blog consacrés aux spectacles créés par Patricia Damien et Philippe Morin :
http://encreviolette.unblog.fr/2018/04/24/chapeau-bas-barbara-et-merci-patricia-damien-et-jean-louis-beydon/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/01/21/pampinou-fait-le-guignol-une-vraie-bete-de-scene/
http://encreviolette.unblog.fr/2012/03/07/les-vaches-rient-de-lamour/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/09/03/un-soir-au-cafe-du-ptit-bonheur/

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Merci pour ton journal de « coffinement ». Ce fut un régal de découvrir ce « Voyage autour de ma chambre ». Pour ma part, je suis toujours heureux de ne pas avoir la télé et je n’écoute presque plus la radio. Hier, j’ai même fait 5 km de vélo pour aller au supermarché. 3 semaines sans vélo… Si cela ne m’a pas manqué, au sens où un junkie peut-être en manque, j’ai éprouvé un plaisir immense à pédaler. J’ai croisé la police qui n’a même pas vérifié mon laissez-passer, il est vrai que j’étais « en civil » et que j’avais des provisions, quel joli mot, sur le porte-bagage. Bien amicalement et je te serre une bonne poignée de main !