Archive pour avril, 2020

Mon confinement … bientôt le joli (?) mois de mai

Rappel des états d’âme précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/27/mon-confinement-j13/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/01/mon-confinement-au-1er-avril/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/06/mon-confinement-deja-3-semaines/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/15/mon-confinement-merci-pour-le-rab/

Nous le redoutions à demi-maux bleus depuis quelques semaines. Nous pensions très fort à Christophe pour qu’il revienne. Il nous a donc quitté sur fond de coronavirus même si ses proches n’ont pas souhaité communiquer précisément sur les circonstances de son décès.
Ironie de la vie car c’était pourtant l’homme du confinement absolu, capable de rester cloîtré des nuits entières à la quête d’une note, la note. J’ai lu qu’avec Jean-Michel Jarre, il avait enregistré dans son domicile studio la chanson Les vestiges du chaos (quel titre !) la nuit de l’attentat du Bataclan sans se rendre compte un instant de la tragédie qui se déroulait à l’extérieur.

Christophe Libé

Sans que je sois un inconditionnel du premier cercle, il a accompagné mon existence. C’était un baby-boomer comme moi. Il était déjà présent au temps des premières étreintes. Nous « frottions » (du moins nous essayions) dans les surprises-parties sur Aline, cocasse quand même puisqu’elle était partie. Hervé Villard chantait Capri c’est fini, Michel Delpech parlait de Chez Laurette. C’était bien, c’était chouette : pour des raisons beaucoup plus sérieuses, on appela cette époque insouciante les Trente Glorieuses.

Christophe Bevilacqua

En me replongeant dans ma discothèque personnelle, entre Manu Chao et Julien Clerc, j’ai ressorti trois CD de Christophe dont, peut-être, mon préféré : Le dernier des Bevilacqua. C’était son vrai patronyme d’état civil (et se prénommait Daniel), un nom de héros de polar ou de champion cycliste italien (je me souviens dans ma prime jeunesse d’un prénommé Antonio champion du monde sur piste et vainqueur de Paris-Roubaix !).

« Je suis né là-bas, je suis né là-bas,
Là-bas sous le ciel, sous le ciel de Roma,
Il n’y avait plus de place pour moi pour le dernier des Bevilacqua
J’ai pris ma Vespa, j’ai pris ma Vespa,
Je suis allé droit, tout droit devant moi … »

À travers cette chanson « ritale », il s’était arrangé une autobiographie. En réalité, il était né à Juvisy-sur-Orge où avait débarqué, à la fin du XIXème siècle son grand-père Baptiste maçon-fumiste venu du Frioul. C’est l’occasion de souligner si nécessaire la richesse sociale et culturelle des vagues d’immigration qu’a connues notre douce France*… Lino Ventura, Cavanna, Platini …
Je me garderai bien de jouer les exégètes sur sa carrière artistique faite de tubes inusables de bals populaires et, comme l’a déclaré notre président en hommage, de « fulgurances poétiques et sonores ». J’ai retenu cette belle définition de « couturier de la chanson ».
J’en possédais l’image, possiblement caricaturale, d’un « vrai rital », dandy et esthète, amoureux fou des belles carrosseries qu’elles soient féminines ou automobiles, Monica Vitti et Enzo Ferrari. Je l’imagine flambant au volant d’un bolide, Via Veneto, l’artère romaine popularisée par le film de Fellini La Dolce Vita. À côté de lui, peut-être, le Gênois Agostino Ferrari, vous le connaissez évidemment, de son nom d’artiste Nino Ferrer, ah le Sud !
Écoutez Enzo avec la vraie voix d’Il Commandatore !

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« Rouge est ta couleur gravée
Dans le cœur de tous les ouvriers
Brève fut la rencontre sous un ciel cheval cabré
T’es extra, signore
T’es extra, signore, t’es extra, signore
Oh! T’es comme ça, signore
Oh! Enzo, Enzo Ferrari
Tu sei il padre nella vita della automobile
Oh! Enzo, Enzo Ferrari
Tu sei il maestro nella vita della formula una
Quand ta flèche rouge fait battre le cœur
D’une Monica très Vitti
Brève fut la rencontre sur un damier parfumé … »

Après Johnny, maintenant Christophe, je me dis que ça commence à être chaud pour ma génération, surtout en ce moment, on est bien obligé d’avoir ça dans un coin de l’esprit. Ça serait vraiment nullissime de devoir vous quitter à cause d’un pangolin ou d’une chauve-souris !
À vrai dire, on ne sait rien sur ce virus, à tout le moins, on apprend sur lui chaque jour, chaque enseignement infirmant même parfois les hypothèses de la veille. C’est effrayant ou risible selon l’humeur de l’instant, tout le monde sait et possède la solution pour s’en sortir.
Par hasard et opportunisme, j’ai retenu d’un remarquable documentaire diffusé la semaine dernière, cette remarque de Georges Brassens : « Je refuse qu’un groupe ou une secte m’embrigade, et qu’on me dise qu’on pense mieux quand mille personnes hurlent la même chose. »
Certains d’entre vous auront peut-être lu, dans le quotidien L’Humanité, la lettre posthume d’Olivier Marchais adressée à sa maman Liliane, épouse de l’ancien secrétaire général du Parti Communiste Français, décédée du coronavirus en EHPAD :
« Je dois te l’avouer maman, j’ai parfois imaginé ces moments : ta fin de vie, tes obsèques. Mais jamais je n’avais envisagé un tel scénario, de telles conditions, cette hécatombe dans ton dernier lieu de vie, que nous désignons par cet acronyme disgracieux : EHPAD. Notre société doit, devra affronter ton regard ainsi que celui de tous tes compagnons d’établissements, qui ont, qui vont succomber.
Ta fin de vie fut difficilement supportable, car il m’a été interdit de venir te voir durant les cinq semaines qui ont précédé ton décès. Comment psychiquement tu auras vécu cette longue période, seule ? Quelle compréhension as-tu eue de ce qui se passait dans le pays, autour de toi ? Et ces derniers jours, infectée par le virus, quelles ont été tes difficultés respiratoires ? Je n’aurai jamais ces éléments de réponses que j’allais chercher dans tes yeux, si bleus… »
Et puis, il y a eu, sur nos écrans, ce témoignage désespéré de Jeanne, pensionnaire d’EHPAD, qui ne comprend pas son confinement et qui veut, pour ses enfants, tenir jusqu’au bout : « Je ne peux même pas aller chez ma voisine ! On ne peut pas discuter, je suis toute la journée enfermée là-dedans. Ce n’est pas une vie à 97 ans… Ma voisine, elle n’a pas le virus et puis moi non plus. On pourrait se voir de temps en temps, discuter un p’tit peu… »

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Ce n’est certes pas là du cinéma, mais avec son bel accent, Jeanne me rappelle l’héroïne du si beau documentaire de Sophie Loridon Lucie. Après moi le déluge*** ! La merveilleuse Lucie Vareilles n’avait pas tort en prédisant malicieusement le chaos après sa disparition, sauf qu’elle était dotée d’un moral inébranlable et d’une croyance absolue en la main invisible de Dieu. Confiné actuellement au hameau de Malfougères sur le haut plateau ardéchois ne serait pas la réclusion la plus irrespirable qui soit.
Notre Président, bouleversé, a réagi par tweet aux larmes de Jeanne, et, paradoxalement, alors que se profilait la prolongation d’un confinement ultra strict dans les EHPAD, ce sont nos aïeux qui bénéficient d’ores et déjà d’une première mesure d’allègement (très contrôlée tout de même) avec la possibilité d’une visite d’un ou deux de leurs proches. J’espère qu’il ne s’agit pas d’un adieu !
Ouvrez votre dictionnaire, hébergement (le H de EHPAD) signifie le fait de « loger quelqu’un à titre provisoire » … c’est quoi l’après ?
Je me sens d’autant plus inquiet par cette situation que deux anciens de la famille séjournent justement dans un de ces établissements qu’on n’ose plus appeler « maison de retraite », c’est pourtant plus humain qu’un acronyme. Je pense aussi à ces aînés ariégeois auxquels j’avais consacré un billet lors d’une émouvante initiative nommée « les passerelles de la vie »**.
On fait appel à l’esprit civique et au sens des responsabilités des Français. Je peux fortement en douter quand je vois que, dimanche dernier, une compagnie aérienne d’une part, les voyageurs d’autre part, ont effectué un vol Marseille-Paris sans masque au mépris de toute distanciation physique. Je n’ose imaginer la cohue que cela va être après le 11 mai.
Je suis effaré quand j’entends les torrents de haine et d’imbécillité engendrés par les polémiques autour de la personnalité et la reconnaissance (ou pas) du professeur Didier Raoult. Foin des avis tout aussi autorisés d’autres membres de la communauté scientifique, le débat tombe dans une caricature pitoyable d’un Classico footballistique OM-PSG. Des supporters du club phocéen ont déroulé une banderole à la gloire de l’éminent infectiologue local. Face à l’intelligentsia parisienne, l’ancien attaquant footballeur iconoclaste Éric Cantona est venu défendre son ami qu’il qualifie de « phénomène ». Il est même Franz-Olivier Giesbert, reconverti directeur éditorial du quotidien La Provence, qui, plus hirsute que jamais dans son confinement, s’en prend aux « jobastres » de la capitale. J’ai envie de reprendre le sublime avis péremptoire de Jean-Pierre Marielle dans le film Uranus, bien qu’il fût émis dans un détestable contexte collaborationniste : « J’ai mal à ma France ».
Heureusement, miraculeusement, il y a aussi des fulgurances, des instants magiques, ainsi la violoniste japonaise Lena Yokoyama qui interprète sur le toit de l’hôpital de Cremone (Italie) l’enivrante musique d’Ennio Morricone du film Mission. Sublimement émouvant !

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Je suis surpris que la mémoire ou la connaissance des gens qui savent tout sur tout, défaille à un point tel qu’ils ignorent jusqu’à l’existence d’autres fléaux de santé qui jalonnent notre histoire contemporaine.
Je me souviens qu’au temps de mon école communale normande -il existait alors une médecine scolaire- nous avions été vaccinés suite à une épidémie de variole qui avait frappé l’Ouest de la France.
On ouvre de grands yeux quand on découvre que la grippe asiatique, née de la mutation d’un virus chez des canards sauvages (pas des enfants du bon dieu, ceux-là) d’une province chinoise, fit chez nous au moins 11 000 morts (chiffres officiels qu’on a réévalués depuis à une centaine de milliers). J’avais alors dix ans, si tu m’crois pas hé, tar’ta gueule à la récré !
J’avais (un peu plus de) vingt ans, lorsque dans la foulée de mai 68, sous les pavés, outre la plage, il y eut aussi la grippe de Hong Kong qui fit 31 000 morts entre décembre 1969 et janvier 1970. Elle fut particulièrement virulente dans le Sud-Ouest, et sans vouloir effrayer rétrospectivement mes amis de là-bas, voici ce que qu’on lisait alors dans les colonnes du quotidien régional éponyme du 10 décembre 1969 : « L’épidémie de grippe, à la faveur de la vague de froid qui s’est abattue sur les trois quarts de la France, s’étend peu à peu à de nombreuses autres régions. Un peu partout, actuellement, des familles entières sont frappées, certaines administrations – P.T.T. et S.N.C.F. entre autres – ont, perdu, _jusqu’à 30 % de leurs effectifs, et de nombreuses écoles ont dû fermer leurs portes. Le vaccin, qui n’est d’ailleurs efficace qu’au bout de trois semaines, est devenu souvent introuvable … Dans le Lot-et-Garonne, la situation s’est aggravée. Les services de la Sécurité sociale sont décimés par l’épidémie. Dans le Tarn-et-Garonne, un quart de la population est au lit. À Rodez (Aveyron), une école, l’institution Saint-Joseph, a fermé ses portes. À Toulouse, le lycée agricole d’Auzeville n’est plus qu’un hôpital. La situation n’est pas meilleure au lycée de Foix, dans l’Ariège. »
Je souris, je semble passer pour un vieux con(battant) qui rengaine ses vieilles campagnes. Notez, c’est presque vrai, l’année suivante, je partis en coopération au lycée français de Mexico. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Comme chantait Thiéfaine, Pulque, mescal y tequila/Cuba libre y cerveza (Corona bien sûr)/ Hombre ! Que viva Mejico ! Je revins avec una patética hépatite virale ! Cela me valut, véridique, quelques semaines de confinement avec moult tubages à l’Hôpital d’Instruction des Armées Bégin à Saint-Mandé puis une convocation au ministère des Anciens Combattants et Invalides de Guerre, rue de Grenelle, pour l’obtention d’une éventuelle pension ! Petits curieux, vous voudriez bien savoir si je bénéficie de ce régime spécial ?
Depuis deux billets, suite à la lecture de Voyage autour de ma chambre, le délicieux petit livre de Xavier de Maistre, j’ai pris l’habitude d’effectuer quelques escales en différents coins de mon domicile. Ça a, peut-être, un petit côté Affaire conclue, l’émission d’enchères animée par Sophie Davant sur France 2 ! Tant pis, aujourd’hui, j’ai choisi de vous bassiner avec deux … bassinoires en cuivre que j’ai héritées d’aïeules côté maternel. Ainsi, l’une d’elles provient d’une lointaine cousine Maria que je n’ai jamais connue mais dont je sais qu’originaire de Villedieu-les-Poêles, cité de la Manche réputée depuis le Moyen-Âge pour sa grande tradition artisanale autour du cuivre, elle travaillait dans le fameux Bouillon Julien de la rue du Faubourg-Saint-Denis à Paris.

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La bassinoire, qu’on appelait parfois plus simplement chauffe-lit, est une sorte de grande poêle ronde, avec un couvercle perforé de trous, munie d’un long manche. Remplie de braises incandescentes, on la passait avec précaution entre les draps pour réchauffer le lit. Ce fut l’outil incontournable pour réchauffer les draps durant les mois d’hiver depuis le XVIIIème siècle jusqu’au début des années 1950.
« Maître des illusions de la vie, il (Don Juan ndlr) s’élança, jeune et beau, dans la vie, méprisant le monde, mais s’emparant du monde. Son bonheur ne pouvait pas être cette félicité bourgeoise qui se repaît d’un bouilli périodique, d’une douce bassinoire en hiver, d’une lampe pour la nuit et de pantoufles neuves à chaque trimestre » écrivait Balzac dans L’Élixir de longue vie.
Dans mon enfance, heureuse je vous rassure, au domicile familial, la bassinoire n’était déjà plus qu’une antiquité et objet de décoration. Dans ma chambre sans chauffage, ma maman glissait, quelques minutes avant que j’aille dormir, une bouillotte au fond de mon lit pour apporter une certaine tiédeur. Le progrès ménager venant, je connus ensuite la couverture chauffante électrique … jusqu’au jour où mes parents oublièrent de la débrancher. C’est mon frère qui, de sa chambre contiguë, témoin de mes gesticulations anormales, porta l’alerte.
Dans sa ferme de Picardie au confort très rudimentaire, ma merveilleuse Mémé Léontine mettait une brique à chauffer dans son fourneau puis l’enveloppait dans un torchon avant de la glisser au fond de mon lit. Cela semble sans doute puéril aujourd’hui mais je peux ranger cet usage dans ma boîte de madeleines de Proust.
Il y a quelques années encore, on retrouvait parfois au fond des greniers ou des granges un moine, non pas un ecclésiastique confiné (quoique ce nom provienne d’un vieil usage dans les couvents), mais une sorte de luge en bois qui portait un récipient métallique contenant les braises. Les arceaux servaient à éloigner les draps de ces braises.
Ceci dit, ce n’est pas une sinécure de nettoyer les cuivres ! Et ne comptez pas sur moi pour inviter Miror à venir s’asseoir à ma table (oui je vous l’accorde, ce n’est pas évident de comprendre mon jeu de mot quand on n’a pas connu Édith Piaf et Moustaki !). Mais j’ai découvert récemment un produit miracle, provenant d’une entreprise de Villedieu-les-Poêles justement, qui me rend moins pénible la corvée de cuivres.
Vous attendez les bonnes recettes de cuisine concoctées, la semaine écoulée, par ma compagne ? Sa pintade élevée en plein air et aux grains dans l’herbe grasse des collines du Bas Salat, accompagnée de pommes de terre sarladaises cuites dans la graisse de canard confit(né !) et arrosée d’un gouleyant Brouilly, ravit mon palais.
Je le mentionne, à cause de son caractère exceptionnel, je me suis lancé pour ma part dans une salade d’avocat et mangue tout à fait honorable.
Il existe des passerelles entre les nourritures terrestres et spirituelles. J’ai commencé la lecture d’un livre savoureux dont je vous réserve la surprise dans mon prochain billet.
Allez, j’ignore si on galère sur le plateau ou l’on peine dans la redescente du pic ! En attendant, rejoignons en guise d’ultime hommage les Paradis perdus de Christophe, ici accompagné par Arno pour qui les nouvelles ne sont pas trop rassurantes, ces temps-ci.

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*http://encreviolette.unblog.fr/2017/11/03/ciao-italia-une-matinee-avec-les-italiens-de-france/
** http://encreviolette.unblog.fr/2019/05/24/les-passerelles-de-la-vie-a-prat-bonrepaux-ariege/
*** http://encreviolette.unblog.fr/2019/06/12/lucie-vareilles-est-entree-dans-paris/

Publié dans:Ma Douce France |on 23 avril, 2020 |Pas de commentaires »

Mon confinement, merci pour le rab !

Rappel des états d’âme précédents :
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http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
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Notre président a parlé « dans le poste » ! Nous en reprenons donc tous pour un mois encore. Le temps du muguet, que chantait Francis Lemarque, ne reviendra (peut-être) qu’en 2021.
70 bougies soufflées, francilien et bien portant (du moins pour l’instant), je possède tous les critères pour que ma situation de confiné se prolonge bien au-delà du 11 mai.
J’ai quelques lecteurs qui s’en réjouiraient presque. Mes billets leur font passer de tels moments d’évasion et de thérapie mentale (sic) qu’ils en redemandent ! Si ça continue, ma tête va enfler jusqu’à m’inclure dans les « héros du quotidien ».
Il semblerait que la suggestion de Xavier de Maistre de Voyage autour de ma chambre les ait séduits. Dont acte, en cette semaine pascale, je séjourne donc, plus que de coutume, dans mon vestibule, devant une crécelle provenant de grands-parents de Picardie.

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Il est probable que mon père l’utilisa dans sa jeunesse. J’avais d’ailleurs retranscrit ses souvenirs dans un billet consacré à la tradition des œufs de Pâques*.
La crécelle portait le nom de brouan, tartuleuil, martelet dans certaines provinces, et aussi tortrelle en patois picard (de tourterelle).
On trouvait dans les campagnes plusieurs modèles de cet instrument de bois manuel dit idiophone (instrument dont le son est produit par son matériau sans caisse de résonance). Celle dont j’ai héritée est constituée d’une roue dentée montée sur un manche sur laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible, produisant un son crissant pas spécialement harmonieux.
C’est la conjugaison de deux faits qui en justifiait son usage dans une France profondément catholique. Dès le VIIIème siècle, l’on cessa d’abord de sonner les cloches des églises et chapelles (ainsi que celles des autels) afin de commémorer dans le recueillement la mort de Jésus-Christ. À la fin du IXème siècle, l’on substitua progressivement les crécelles aux cloches « parties à Rome », dans la période entre le Mercredi saint et la messe tardive du Samedi Saint. Elles avaient pour fonction d’appeler les fidèles à la prière en annonçant l’Angélus, trois fois par jour, à 6 heures du matin, midi puis à 18 heures. Vous connaissez tous le fameux tableau de Jean-François Millet avec le couple de paysans dans les champs stoppant l’arrachage des pommes de terre pour se recueillir.

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« L’Angélus sonne » ! Avec son frère, mon père, alors enfant de chœur, alertait de loin en loin avec la crécelle et chantait l’hymne à la Croix, le O crux ave, spes unica, devant les calvaires et chapelles de son village.
Je doute que cette pratique emporterait aujourd’hui l’adhésion des « néo-ruraux » qui se sont installés dans nos campagnes, et en particulier, en cette période d’épidémie, tous ces citadins citoyens qui ont fui les grandes villes pour gagner leur résidence secondaire. D’ailleurs, plutôt qu’une verbalisation pour non respect des mesures de confinement, les autochtones ne pourraient-ils pas organiser, sous leurs fenêtres, un charivari monstre à l’aube pour marquer leur réprobation ?
Pour ma part, à une époque où j’étais réquisitionné pour l’arrachage annuel des pommes de terre, j’aurais volontiers aimé quelque entorse à la tradition de l’église latine avec la sonnerie d’angélus supplémentaires au cours de la matinée !**
La crécelle avait aussi sa fonction dans le ramassage des œufs de Pâques, non pas en chocolat, mais, à l’époque, des vrais œufs pondus sur la paille des granges par des poules élevées en plein air et nourries aux grains, bref bio comme on dit aujourd’hui.
Cette tradition trouvait sa signification chrétienne avec, au IVème siècle, l’instauration du Carême, une période de pénitence de quarante jours avant Pâques durant laquelle la consommation d’œufs était interdite par l’Église.
Difficile de mettre une poule au chômage partiel (le dirigeant moustachu de la CGT trouverait aujourd’hui encore à redire !), alors que faire de tous ces œufs pondus pendant le jeûne ? Dans les fermes, ils étaient conservés à la cave dans des pots en grés remplis de chaux. Le Vendredi Saint était l’occasion d’en écouler quelques-uns. Les enfants du village allaient « cueillir leur pocage » en agitant leurs crécelles devant chaque ferme. Ils se répartissaient ensuite leur collecte plus ou moins équitablement, ce qui était parfois source de mémorables batailles … d’œufs.
Autre emploi de la crécelle qui résonne dans notre actualité : au Moyen-Âge on l’utilisait afin d’avertir de la proximité de personnes atteintes de maladies infectieuses comme la lèpre et la peste. Une forme de tracking ou tracing médiéval en somme ! Je souris des cris d’orfraie de tous ceux qui craignent une grave atteinte à leurs libertés individuelles : mails, sms, réseaux sociaux, cartes bleues, péages d’autoroutes, radars, caméras de surveillance (ou de protection, vous choisissez), que sais-je encore, un peu plus un peu moins le mal est déjà fait. Quel dilemme lorsque votre application Tinder vous indiquera une rencontre possible dans votre environnement avec une personne partageant vos goûts, en même temps qu’un contaminé du coronavirus sera repéré dans le voisinage !
Nous n’y prêtions pas attention mais lorsqu’on relit certains auteurs du passé, nous découvrons parfois certaines descriptions de périodes encore plus funestes que celle que l’on traverse actuellement. Je vous avais parlé du roman de Giono Le hussard sur le toit. Aujourd’hui, voici un paragraphe tiré de L’Histoire de ma vie de George Sand :
« Quand vint l’établissement au quai Saint-Michel avec Solange, outre que j’éprouvais le besoin de retrouver mes habitudes naturelles, qui sont sédentaires, la vie générale devint bientôt si tragique et si sombre, que j’en dus ressentir le contrecoup. Le choléra enveloppa des premiers les quartiers qui nous entouraient. Il approcha rapidement, il monta, d’étage en étage, la maison que nous habitions. Il y emporta six personnes et s’arrêta à la porte de notre mansarde, comme s’il eût dédaigné une si chétive proie.
Parmi le groupe de compatriotes amis qui s’était formé autour de moi, aucun ne se laissa frapper de cette terreur funeste qui semblait appeler le mal et qui généralement le rendait sans ressources. Nous étions inquiets les uns pour les autres, et point pour nous-mêmes. Aussi, afin d’éviter d’inutiles angoisses, nous étions convenus de nous rencontrer tous les jours au jardin du Luxembourg, ne fût-ce que pour un instant, et quand l’un de nous manquait à l’appel, on courait chez lui. Pas un ne fut atteint, même légèrement. Aucun pourtant ne changea rien à son régime et ne se mit en garde contre la contagion.
C’était un horrible spectacle que ce convoi sans relâche passant sous ma fenêtre et traversant le pont Saint-Michel. En de certains jours, les grandes voitures de déménagements, dites tapissières, devenues les corbillards des pauvres, se succédèrent sans interruption, et ce qu’il y avait de plus effrayant, ce n’était pas ces morts entassés pêle-mêle comme des ballots, c’était l’absence des parents et des amis derrière les chars funèbres; c’était les conducteurs doublant le pas, jurant et fouettant les chevaux; c’était les passants s’éloignant avec effroi du hideux cortège; c’était la rage des ouvriers qui croyaient à une fantastique mesure d’empoisonnement et qui levaient leurs poings fermés contre le ciel; c’était, quand ces groupes menaçants avaient passé, l’abattement ou l’insouciance qui rendaient toutes les physionomies irritantes ou stupides. »
Heureusement, nous n’observons pas de scènes aussi morbides. Encore que, je ne peux pas ne pas penser à cette morgue de fortune installée dans un entrepôt réfrigéré du Marché d’intérêt national de Rungis. Avant qu’une révolte justifiée ne gronde, les familles pouvaient s’y rendre pour dire un dernier au revoir d’un quart d’heure à leurs proches, moyennant plus d’une centaine d’euros.
Au Moyen-Âge, en périodes des grandes épidémies de peste, on réquisitionna pour transporter les cadavres, les embarcations à fond plat du port de Corbeil-Essonnes, qui acheminaient notamment les productions céréalières de la Beauce et de la Brie. À cause de cet usage et par déformation linguistique, ces « corbeillards » donnèrent le nom de corbillards aux véhicules de transport funéraire.
George Sand, la pas toujours sage dame de Nohant (elle avait pécho Chopin !), fut raisonnable en ne cédant pas à l’envie d’un exode vers sa demeure du Berry :
« J’avais pensé à me sauver, à cause de ma fille; mais tout le monde disait que le déplacement et le voyage étaient plus dangereux que salutaires, et je me disais aussi que si l’influence pestilentielle s’était déjà, à mon insu, attachée à nous au moment du départ, il valait mieux ne pas la porter à Nohant, où elle n’avait pas pénétré et où elle ne pénétra pas. Et puis, du reste, dans les dangers communs dont rien ne peut préserver, on prend vite son parti. Mes amis et moi, nous nous disions que, le choléra s’adressant plus volontiers aux pauvres qu’aux riches, nous étions parmi les plus menacés et devions, par conséquent accepter la chance sans nous affecter du désastre général où chacun de nous était pour son compte, aussi bien que ces ouvriers furieux ou désespérés qui se croyaient l’objet d’une malédiction particulière. »
En ce printemps quasi estival, ouvrant les fenêtres, plus que de coutume, j’entends des choses surprenantes. Oui, j’entends le silence. Ou du moins, aussi loin que mes souvenirs m’emmènent, je crois retrouver étrangement les bruits de mon enfance, les sons d’une nature qui reprend un peu une place qu’on lui avait confisquée.
Cela me renvoie au roman mi high-tech mi médiéval Les Prisonniers du temps de Michaël Chrichton, auteur par ailleurs de Jurassic Park. En bricolant une théorie quantique, l’écrivain expédiait des étudiants archéologues dans la Dordogne de 1357, en pleine Guerre de Cent Ans. Téléportés là-bas, ils étaient plongés dans une atmosphère sonore complètement inédite.
« Oui, magnifique. Il n’était pas sincère, loin de là ; quelque chose dans cette forêt lui paraissait sinistre. Il fit un tour complet sur lui-même, essayant de percer la raison pour laquelle il ne parvenait pas à se débarrasser du sentiment que quelque chose clochait dans ce qu’il voyait… que quelque chose manquait ou n’était pas à sa place. — Qu’est-ce qui cloche ici ? finit-il par demander. — Ah oui ! fit Gomez en riant. Écoutez bien, vous allez comprendre. Chris tendit l’oreille. Il perçut le pépiement des oiseaux, le bruissement des feuilles agitées par la brise. Rien d’autre … Je n’entends rien, fit-il.
Précisément. Certains sont désorientés à leur arrivée. Il n’y a pas de bruit ambiant ici : pas de radio ni de télé, pas d’avions, pas de machines, pas de moteurs de voitures. Au XXe siècle, nous sommes tellement habitués à ce bruit permanent que le silence paraît menaçant. — Ça doit être ça. C’est exactement ce que ressentait Chris. Il se retourna vers l’étroit chemin qui s’engageait dans la forêt. À certains endroits la boue creusée de marques de sabots atteignait une soixantaine de centimètres de hauteur. Un monde de chevaux, se dit Chris. Pas un bruit de machine. Des empreintes de sabots en quantité. Il prit une profonde inspiration, exhala lentement. Même l’air paraissait différent. Plus vif, grisant, comme si sa teneur en oxygène était plus élevée. En regardant derrière lui, il vit que la machine avait disparu. Gomez n’avait pas l’air de s’en soucier. — Où est-elle passée ? demanda-t-il en s’efforçant de dissimuler son inquiétude. — Elle a dérivé. — Dérivé ? »
C’est ça ! J’ai l’impression d’être téléporté dans un nouveau monde, le « monde d’après » dont on veut se persuader qu’il ne pourra pas être comme celui que l’on connaissait encore il y a quelques semaines. Vous y croyez vraiment ?
La solidarité aura fait long feu, l’économie de marché reprendra ses droits. D’ailleurs, sournoisement, elle s’insinue encore en ce moment. Je ne sais pas vous mais, par exemple, sur ma messagerie affluent des propositions publicitaires non masquées pour commander ces fameux masques introuvables, des noirs, des bleus, des blancs, des doublés, des plissés, des réutilisables, des bio, à des prix d’ailleurs très variables, quelle chance, on bénéficie même de 50% de rabais ! Même les lapins de Pâques en chocolat, plus sages que les humains, arborent un masque !

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En attendant, on redécouvre le bruissement perceptible des feuilles dans les arbres, le gazouillis des oiseaux qui batifolent, le cliquetis léger même du VTT d’un voisin qui entretient sa forme en solitaire dans le parc de la résidence (en respectant les horaires).
On voit sur les écrans quelques images étonnantes, touchantes, cocasses, angoissantes parfois, d’une faune sauvage qui s’invite à la ville. À Venise, des bancs de poissons frétillent dans l’eau redevenue claire des canaux. Au port de Cagliari en Sardaigne, les dauphins improvisent un spectacle de nage synchronisée devant les riverains ébahis et confinés. En Thaïlande, on assiste à d’incroyables rassemblements de singes au centre de la ville.

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Pour mieux vivre son confinement, un duo de comédiens (Marion Creusvaux et Julien Pestel) fait le buzz en ce moment en détournant et doublant quelques scènes cultes de films. Voici que des dinosaures échappés du Jurassic Park ont envahi le parc des Buttes-Chaumont ! Hilarant, dans l’esprit des Nuls d’antan.

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Est-ce une parenthèse enchantée dans la relation entre l’Homme et la Nature. ?
Serge Reggiani hurlait : « Les loups sont entrés dans Paris » ! Gare car ceux qu’il évoquait, je n’ai pas du tout envie que revienne leur descendance !
Que mes amis ariégeois se méfient quand même : à défaut de loups des Carpates, ils pourraient bien voir quelques ours slovènes rôder la nuit dans leurs villes … pour dire bonne nuit aux petits enfants confinés. Ce n’est pas du pipeau !
Les bêtes apprécient globalement le confinement des humains. Malgré tout, en parcourant des chroniques de Charlie-Hebdo joliment intitulées Lettre des animaux aux humains confinés, je lisais que le si joliment coloré geai des chênes était la bête noire des chasseurs, particulièrement en Ariège (ils n’appartiennent pas à mon cercle d’amis !) et en Lot-et-Garonne. Ne me demandez pas pour quelle raison, on range ce passereau dans les nuisibles. Est-ce à cause de son nom latin Garrulus glandarius, un oiseau oisif en somme ? De son indiscipline à cause de son cousinage avec le Cassenoix moucheté ou la Pie bavarde ? Il serait pourtant considéré comme le « premier forestier de France par le nombre d’arbres plantés » car il cache des graines pour s’en nourrir et en oublierait un grand nombre.
Quand on arrive en ville chantait aussi Michel Berger… Nous tout c’qu’on veut d’est être heureux avant d’être vieux … Ce n’est pas très bien parti mon affaire, du moins en ce qui me concerne : avec les mesures envisagées de déconfinement progressif, je risque d’être déconfit (de canard).
Il est même des animaux citoyens et philosophes qui parlent de nous : « Les humains sont sous cloche/Ils s’mettent à ruminer/Et entre deux soupirs/Ils s’mettent à réfléchir ». Le lapin malin Pampinou ***, une vraie bête de scène que je vous avais présentée dans mon précédent billet, compatit à notre situation et fait du prosélytisme dans le jardin :

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Vous savez que j’aime émoustiller vos papilles en vous faisant partager les prouesses culinaires de ma compagne. Cette semaine, elle a (ou s’est, attention à #MeToo !) sacrifié aux recettes pascales, notamment au gigot d’agneau remonté des collines du Couserans in extrémis avant le confinement. Vous ne pourrez donc pas me suspecter de marché noir à l’envers, comme dans la jubilante scène de La traversée de Paris avec Gabin, Bourvil et De Funès : « Jambier, 45 rue Poliveau, je veux 3 000 francs ! ».
Un gigot de 3,300 kilogrammes à deux, puisqu’on nous interdit de convier nos voisins ! Je ne blasphème pas, puisqu’il est ressuscité, ce fut le petit Jésus en culotte de velours !!!
En dessert, le lundi midi, ma compagne a confectionné l’omelette flambée de Pâques « comme chez elle dans la ferme familiale du Sud-Ouest », une succulente recette que j’ignorais avant que je ne fasse sa connaissance. Quand comme moi, on a mangé de l’omelette salée pendant 30 ans, on est dubitatif, la première fois, devant une omelette au sucre.
Au départ, il s’agit d’une omelette banale, encore faut-il le coup de main de la cuisinière pour bien la rouler. Ensuite, quand c’est possible, il faut fermer les volets ou tirer les double-rideaux pour plonger la pièce dans une légère pénombre.
C’est alors que l’aïeul, après avoir saupoudré l’omelette de sucre en poudre, versait (généreusement) de son eau de vie de prune, réchauffée auparavant dans une casserole, puis craquait une allumette pour la flamber. Instant magique lorsque les petites flammes dansent sur l’omelette tandis qu’une délicieuse odeur vient exciter nos narines. Cette année, le rhum a remplacé la goutte de la ferme.
Guillaume d’Aquitaine serait, selon la légende (donc il est probable que ce soit inexact !), à l’origine de cette tradition, en offrant vers l’an 800, un repas à base d’œufs à ses vassaux. Ce qui est beaucoup plus certain, c’est que l’ouméleto du lundi de Pâques est une coutume encore très tenace dans le Sud-Ouest. Elle est l’occasion de rassemblements (annulés cette année) festifs en extérieur dans de nombreuses communes. Il existe même une confrérie mondiale des Chevaliers de l’Omelette géante.
La Culture souffre terriblement de l’épidémie et du confinement. Il nous est annoncé qu’il ne faut pas envisager une reprise de « l’événementiel » en général avant le mois de juillet. D’ores et déjà, le cultissime festival d’Avignon, est annulé, ainsi que tant d’autres manifestations qui oxygènent et éveillent notre esprit chaque été, dans notre douce France.
Je ne peux admirer que virtuellement les peintures et aquarelles de William Turner, la grande rétrospective que proposait le musée Jacquemart-André ayant dû être suspendue au lendemain de son vernissage.
Une seconde fois, je dois renoncer à voir l’adaptation théâtrale des Ritals, livre autobiographique de Cavanna par Bruno Putzulu. Qui sait, si par bonheur j’étais déconfiné à cette époque, je pourrai enfin y assister fin août dans un paisible théâtre de verdure d’Ariège.
Librairies indépendantes, médiathèques, galeries et scènes, sont closes. Un désastre, même si pour certains esprits peu éclairés, cela peut apparaître subalterne.
Vous voyez que je supporte assez bien le confinement et que je ne suis personnellement pas trop traumatisé qu’on me resserve une ration d’un mois.
Il y a tellement de gens qui (sur)vivent des situations autrement dramatiques, médicalement, économiquement, psychologiquement. Mieux que quelques applaudissements, parfois une larme perle à ma paupière quand j’entends certains témoignages de personnes qui souffrent et de ceux, admirables, qui les soignent.
Parfois, j’ai la curieuse sensation que je suis devenu totalement inutile dans et pour la société. Offre-t-elle encore une petite place à un modeste rédacteur de blog ? Allez, prenez soin de vous et rassurez-vous, comme le chantait Alain Bashung, nous sommes Immortels!

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* http://encreviolette.unblog.fr/2009/04/10/fete-loeuf-de-paques/
** http://encreviolette.unblog.fr/2010/08/25/corvee-de-patates/
*** pour suivre les aventures de Pampinou confiné : https://www.youtube.com/user/ids09

Publié dans:Ma Douce France |on 15 avril, 2020 |Pas de commentaires »

Mon confinement … déjà 3 semaines !

Récit des états d’âme précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/27/mon-confinement-j13/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/04/01/mon-confinement-au-1er-avril/

Le confinement est valable pour nous tous … à l’exception, évidemment, des quelques centaines de milliers de Parisiens qui ont voulu nous faire savoir qu’ils possédaient une résidence secondaire.
Aujourd’hui, en ouverture de mon journal du confinement, j’ai envie de vous faire partager comment certains de mes amis vivent leur réclusion, en tentant de continuer à assouvir leur passion.
Au temps de l’époque héroïque de Charlie-Hebdo (canal historique !), je me souviens de la rubrique « Spécial Copinage » où étaient recommandés spectacles, expositions et lectures de qualité. Avec mes collègues enseignants, à la suite de notre reportage sur notre séjour d’un mois dans les locaux du journal (le premier du genre, il faut encore le dire !) et de sa projection au mythique Studio 43 de la rue du Faubourg Montmartre, Wolinski s’était fendu d’un crobar de son petit monsieur aux avis péremptoires : « Ah les cons ! ». Un beau compliment de la part de cette bande d’iconoclastes qui reconnaissaient ainsi que nous appartenions (un peu) à la « famille » !
À plusieurs reprises, mes plus fidèles lecteurs s’en souviennent, j’ai eu l’occasion de vous faire connaître l’activité artistique de mes amis d’Ariège, Patricia et Philippe, deux intermittents du spectacle, qui jouent interminablement « relâche » actuellement.*
Enfin, pas tout à fait ! En cette période d’épidémie, vu qu’il semblerait que le virus n’est pas transmissible entre animaux et humains (ceci dit, il proviendrait tout de même de chinoiseries entre un pangolin et une chauve-souris), ils ont ressorti de son clapier leur adorable lapin Pampinou, une vraie bête de scène plus consensuelle que les coqs (private joke !).
Loin d’être un lapin crétin, ce Pampinou s’intéresse aux problèmes qui nous inquiètent actuellement, et sa « mamie » a eu l’idée, dans le cadre des activités d’éveil, de lui chanter sa Lettre à Manu, adaptation personnelle de la poignante chanson de Renaud :

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C’est beaucoup mieux qu’un pastiche : les mots efficaces nous alertent avec beaucoup de justesse, l’émotion règne comme dans le texte original du « chanteur énervant ». De la belle ouvrage comme on disait familièrement !
Voilà une forme de manifestation tellement plus intelligente que brûler ou pendre une effigie de notre président. Gens du spectacle, n’oubliez pas après le déconfinement, de faire travailler encore plus que de coutume ces artistes, parfois injustement méconnus, qui pourtant ont tellement de belles émotions à nous offrir !
Pour ma part, plutôt que me faire rembourser, j’ai d’ores et déjà fait don du montant des deux places que j’avais réservées pour un spectacle en avril annulé à Paris.
Vous connaissez peut-être aussi mon ami Jean-Pierre, accessoirement retraité de l’Éducation Nationale et principalement cyclotouriste invétéré et archiviste précieux de tout ce qui a trait au cyclisme. C’est vers lui souvent que je me tourne pour écrire mes billets (si énervants pour certains !) sur les Tours de France d’antan. À cause du confinement, il est malheureux, en ce moment, de ne pas pouvoir rouler au moins sur ses routes de Seine-et-Marne, aux confins de la Champagne et de l’Aube. Un crève-cœur quand on possède une petite dizaine de vélos dans son atelier !
Adieu Audax et Brevets fédéraux ! Depuis que la retraite avait sonné, il s’était lancé le défi (et l’avait respecté) de parcourir mensuellement au moins une randonnée de 200 km.
Des fourmis dans les jambes, Jean-Pierre, n’y tenant plus, a choisi d’enfreindre les règles de sortie mises en place par le gouvernement en tricotant un circuit sur les routes du Bas de l’Aisne à la rencontre des fables de Jean de La Fontaine (un peu le « régional de l’étape »).
Il avait « la socquette légère », le Jean-Pierre, et beaucoup d’humour et d’esprit. Ainsi, il a réalisé son projet … en nous le présentant virtuellement, le 1er avril, dans son blog Vélos … VELO ! :
https://vlosvlo.blogspot.com/2020/04/mon-200-du-mois-davril-poisson-davril.html

https://vlosvlo.blogspot.com/2020/04/mon-200-du-mois-davril-poisson-davril_3.html
Voici encore de la belle ouvrage digne de ces instituteurs (qu’il fut) d’autrefois qui rédigeaient une monographie du village où ils enseignaient.
À l’arrière de la voiture du directeur de course, s’est même assis Pierre Desproges, n’oublions pas qu’il fut journaliste, nul doute que sa plume acide aurait fait mouche en cette période de pandémie. Vous verrez qu’il ne porte pas trop le fabuliste dans son cœur, il est vrai que le natif de Château-Thierry fut un vrai « suceur de roue » dans son genre, en calquant souvent ses vers sur ceux d’Ésope.
Pour adoucir notre confinement, Fabrice Luchini nous récite quelques fables depuis son fauteuil, Jean-Pierre, lui, nous les « roule » (un troisième volet de sa « fabuleuse » randonnée est en préparation).
Et puisque j’ai cité Pierre Desproges, sachez qu’en 1986, dans le même Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, outre La Fontaine, il se moquait aussi du … pangolin :
« Pangolin n.m., du malais panggoling, qui signifie approximativement pangolin. Mammifère édenté d’Afrique et d’Asie couvert d’écailles cornées, se nourrissant de fourmis et de termites. Le pangolin mesure environ un mètre. Sa femelle s’appelle la pangoline. Elle ne donne le jour qu’à un seul petit à la fois, qui s’appelle Toto. Le pangolin ressemble à un artichaut à l’envers avec des pattes, prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser qu’en effet, le ridicule ne tue plus. » Étonnant non ?
N’en déplaise à Jean-Pierre, le vélo en prenait également pour son grade. Ainsi : « Le Tour de France rassemble chaque été, sur le bord des routes, des centaines de milliers de prolétaires cuits à point qui s’esbaudissent et s’époumonent au passage de maints furonculés tricotant des gambettes. » Qui sait, ce ne sera peut-être pas le cas, cet été, à cause de ce fichu pangolin !
J’étais tout gamin lorsqu’en 1958, j’entendais sur mon transistor la nouvelle émission d’Europe n°1 « Vous êtes formidables » animée par Pierre Bellemare et parrainée par la réclame MonSavon d’Or, « formidable pour sa mousse abondante même en eau calcaire ». On y louait le courage, la générosité, la solidarité, l’ingéniosité de nombreux Français anonymes.
En ce moment, les réseaux sociaux, si souvent nocifs, relaient des images d’initiatives émouvantes ou amusantes, même parfois pour leur caractère dérisoire mais rafraîchissant. Ainsi, cette semaine, j’ai souri à « Questions pour un balcon ». Sur le modèle de la populaire émission de jeu, chaque soir, un comédien (au chômage technique) jouant le Julien Lepers (ou Samuel Étienne, je me tiens au courant quand même !) de service organise, depuis une fenêtre de son appartement, une confrontation entre les résidents côtés pairs et impairs de sa rue parisienne.
Mais comment aussi, à l’autre bout de la chaîne culturelle, ne pas mettre en avant la magnifique performance (artistique et technique) des musiciens de l’Orchestre national de France qui jouent le Boléro de Ravel depuis chez eux. Chaque artiste s’est filmé à son propre domicile jouant de son instrument. Les vidéos ont ensuite été assemblées pour former ce morceau de quatre minutes :

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Sourire : il ne manque que le regretté acteur Jacques Villeret inénarrable à la batterie ! Pour ce sketch d’anthologie, il vous faudra relire mon billet Le beau vélo de Ravel : http://encreviolette.unblog.fr/2010/03/11/le-beau-velo-de-ravel-ou-le-depart-de-paris-nice-2010/
Lorsque la France est attaquée, elle brandit parfois des livres. Ainsi, le Traité sur la tolérance de Voltaire et Paris est une fête d’Ernest Hemingway connurent un pic de popularité, au point de devenir de véritables best-sellers, en 2015, suite aux attaques contre Charlie-Hebdo, le supermarché Hyper Cacher, et aux attentats du 13 novembre.
Depuis mon précédent billet, pour occuper mon confinement, je me suis procuré un possible mode d’emploi pour le supporter, un précieux précis, le beau récit « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre, un vrai voyage tout à fait surprenant et original.

Voyage autour de ma chambre

Xavier de Maistre, né à Chambéry en 1763 et mort à Saint-Pétersbourg en 1852, fut un écrivain, peintre et général au service du tsar Alexandre Ier de Russie. Un rêveur invétéré aussi, ce qui lui valut le surnom d’étourneau de la part de ses proches, une tête en l’air, le 6 mai 1784, il se porta même volontaire pour participer au premier vol en ballon en Savoie, un an après la démonstration des frères Montgolfier à Annonay et l’ascension de Pilâtre de Rozier.
Je ne vais pas entamer ici un cours d’Histoire mais, mis aux arrêts suite à un duel, de Maistre, savoyard d’origine et alors officier de l’armée sarde en garnison en Piémont, fut condamné à quarante-deux jours d’assignation à domicile.
Il mit ce temps de réclusion à profit pour écrire son délicieux roman afin de démontrer que l’immobilité forcée pouvait mener à davantage de liberté : « J’ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j’ai faites, et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d’être utile m’y a décidé. Mon cœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j’offre une ressource assurée contre l’ennui, et un adoucissement aux maux qu’ils endurent. Le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune. Est-il, en effet, d’être assez malheureux, assez abandonné, pour n’avoir pas de réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde ? Voilà tous les apprêts du voyage.
Je suis sûr que tout homme sensé adoptera mon système, de quelque caractère qu’il puisse être, et quel que soit son tempérament : qu’il soit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou vieux, né sous la zone torride ou près du pôle, il peut voyager comme moi ; enfin, dans l’immense famille des hommes qui fourmillent sur la surface de la terre, il n’en est pas un seul, — non, pas un seul (j’entends de ceux qui habitent des chambres) qui puisse, après avoir lu ce livre, refuser son approbation à la nouvelle manière de voyager que j’introduis dans le monde. »
L’écrivain nous propose un voyage low cost, à portée de toutes les bourses, ne nécessitant aucune attestation dérogatoire de déplacement, adaptable à l’espace de confinement de chacun : « Je pourrais commencer l’éloge de mon voyage par dire qu’il ne m’a rien coûté… L’être le plus indolent hésiterait-il de se mettre en route avec moi pour se procurer un plaisir qui ne lui coûtera ni peine, ni argent ? Courage donc, partons ! … »
Suivons-le alors !
« Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria : sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage ; car je traverserai souvent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. — Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : « Aujourd’hui je ferai trois visites, j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé »…
… Lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façons, et je m’y arrange tout de suite. — C’est un excellent meuble qu’un fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. »
Bien calé dans son fauteuil, il nous alerte : « Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage. »
Tournons les pages de son carnet de voyage :
« Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre mon lit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plus agréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse : les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux. — Je les vois, dans les beaux jours d’été, s’avancer le long de la muraille blanche, à mesure que le soleil s’élève : les ormes qui sont devant ma fenêtre les divisent de mille manières, et les font balancer sur mon lit, couleur de rose et blanc, qui répand de tous côtés une teinte charmante par leur réflexion. — J’entends le gazouillement confus des hirondelles qui se sont emparées du toit de la maison, et des autres oiseaux qui habitent les ormes : alors mille idées riantes occupent mon esprit ; et, dans l’univers entier, personne n’a un réveil aussi agréable, aussi paisible que le mien.
J’avoue que j’aime à jouir de ces doux instants, et que je prolonge toujours, autant qu’il est possible, le plaisir que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit. Est-il un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus tendres idées, que le meuble où je m’oublie quelquefois ? — Lecteur modeste, ne vous effrayez point ; — mais ne pourrais-je donc parler du bonheur d’un amant qui serre pour la première fois dans ses bras une épouse vertueuse ? plaisir ineffable, que mon mauvais destin me condamne à ne jamais goûter ! N’est-ce pas dans un lit qu’une mère, ivre de joie à la naissance d’un fils, oublie ses douleurs ? C’est là que les plaisirs fantastiques, fruits de l’imagination et de l’espérance, viennent nous agiter. — Enfin, c’est dans ce meuble délicieux que nous oublions, pendant une moitié de la vie, les chagrins de l’autre moitié. Mais quelle foule de pensées agréables et tristes se pressent à la fois dans mon cerveau ! Mélange étonnant de situations terribles et délicieuses !
Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. — C’est un berceau garni de fleurs ; — c’est le trône de l’amour ; — c’est un sépulcre … »
De plus en plus rares sont les personnes qui, comme moi, sont nées au domicile familial, beaucoup trop voient actuellement leur vie abrégée dans ce qui ressemble à un véritable hôpital de campagne.
Quand mes amis viennent chez moi, ils dorment éventuellement dans l’antique lit en fer beaucoup plus centenaire que le fût elle-même ma chère mémé Léontine.
Peut-être certains d’entre vous planchèrent-ils au collège sur un extrait d’Espèces d’espaces de Georges Pérec, et notamment la description de son lit :
« J‘aime mon lit. J’aime rester étendu sur mon lit et regarder le plafond d’un œil placide. J’y consacrerais volontiers l’essentiel de mon temps (et principalement de mes matinées) si des occupations réputées plus urgentes (la liste en serait fastidieuse à dresser) ne m’en empêchaient si souvent. J’aime les plafonds, j’aime les moulures et les rosaces : elles me tiennent souvent lieu de muse et l’enchevêtrement des fioritures de stuc me renvoie sans peine à ces autres labyrinthes que tissent les fantasmes, les idées et les mots. Mais on ne s’occupe plus des plafonds. On les fait désespérément rectilignes ou, pire encore, on les affuble de poutres soi-disant apparentes. Une vaste planche m’a longtemps servi de chevet. À l’exception de nourriture solide (je n’ai généralement pas faim quand je reste au lit), il s’y trouvait rassemblé tout ce qui m’était indispensable, aussi bien dans le domaine du nécessaire que dans le domaine du futile: une bouteille d’eau minérale, un verre, une paire de ciseaux à ongles (malheureusement ébréchés), un recueil de mots croisés du déjà cité Robert Scipion (…), un paquet de mouchoirs en papier, une brosse à poils durs qui me permettait de donner au pelage de mon chat (qui était d’ailleurs une chatte) un lustre qui faisait l’admiration de tous, un téléphone, grâce auquel je pouvais, non seulement donner à mes amis des nouvelles de ma santé, mais répondre à d’innombrables correspondants que je n’étais pas la Société Michelin, un poste de radio entièrement transistorisé diffusant à longueur de journée, si le cœur m’en disait, diverses musiques de genre entrecoupées d’informations susurrées concernant les embouteillages, quelques dizaines de livres (certains que je me proposais de lire et que je ne lisais pas, d’autres que je relisais sans cesse), des albums de bandes dessinées, des piles de journaux, tout un attirail de fumeur, divers agendas, carnets, cahiers et feuilles volantes, un réveil, évidemment, un tube d’Alka-Seltzer (vide), un autre d’aspirine (à moitié plein, ou, si l’on préfère, à moitié vide), un autre, encore, de cequinyl (médication anti-grippe: à peu près intact), une lampe, bien sûr, de nombreux prospectus que je négligeais de jeter, des lettres, des stylos-feutre, des stylos-bille (les uns et les autres souvent taris…), des crayons, un taille-crayon, une gomme (ces trois derniers articles précisément destinés à la résolution desdits mots croisés), un galet ramassé sur la plage de Dieppe, quelques autres menus souvenirs et un calendrier des postes … »
Xavier de Maistre destine un chapitre exclusivement aux métaphysiciens en développant sa théorie de la dualité âme-bête qui s’affronte en nous : « Ces deux êtres sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l’âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état d’en faire la distinction. »
Explication et illustration :
« S’il est utile et agréable d’avoir une âme dégagée de la matière au point de la faire voyager toute seule lorsqu’on le juge à propos, cette faculté a aussi ses inconvénients. C’est à elle, par exemple, que je dois la brûlure dont j’ai parlé dans les chapitres précédents. — Je donne ordinairement à ma bête le soin des apprêts de mon déjeuner ; c’est elle qui fait griller mon pain et le coupe en tranches. Elle fait à merveille le café, et le prend même très-souvent sans que mon âme s’en mêle, à moins que celle-ci ne s’amuse à la voir travailler ; mais cela est rare et très-difficile à exécuter : car il est aisé, lorsqu’on fait quelque opération mécanique, de penser à toute autre chose ; mais il est extrêmement difficile de se regarder agir, pour ainsi dire ; — ou, pour m’expliquer suivant mon système, d’employer son âme à examiner la marche de sa bête, et de la voir travailler sans y prendre part. — Voilà le plus étonnant tour de force métaphysique que l’homme puisse exécuter.
J’avais couché mes pincettes sur la braise pour faire griller mon pain ; et, quelque temps après, tandis que mon âme voyageait, voilà qu’une souche enflammée roule sur le foyer : — ma pauvre bête porta la main aux pincettes, et je me brûlai les doigts. … »
Conséquence : « Il (le lecteur ndlr) ne pourra qu’être satisfait de lui, s’il parvient un jour à savoir faire voyager son âme toute seule … Est-il de jouissance plus flatteuse que celle d’étendre ainsi son existence, d’occuper à la fois la terre et les cieux, et de doubler, pour ainsi dire, son être ? Le désir éternel, et jamais satisfait, de l’homme, n’est-il pas d’augmenter sa puissance et ses facultés, de vouloir être où il n’est pas, de rappeler le passé et de vivre dans l’avenir ? Il veut commander les armées, présider aux académies ; il veut être adoré des belles, et s’il possède tout cela, il regrette alors les champs et la tranquillité, et porte envie à la cabane des bergers … »
L’écrivain se défend :
« Qu’on n’aille pas croire qu’au lieu de tenir ma parole, en donnant la description de mon voyage autour de ma chambre, je bats la campagne pour me tirer d’affaire ; on se tromperait fort car mon voyage continue réellement … »
Ainsi :
« J’étais dans mon fauteuil, sur lequel je m’étais renversé, de manière que ses deux pieds antérieurs étaient élevés à deux pouces de terre ; et, tout en me balançant à droite et à gauche, et gagnant du terrain, j’étais insensiblement parvenu tout près de la muraille. — C’est la manière dont je voyage lorsque je ne suis pas pressé. — Là, ma main s’était emparée machinalement du portrait de madame de Hautcastel, et l’autre s’amusait à ôter la poussière qui le couvrait…
… À mesure que le linge enlevait la poussière et faisait paraître des boucles de cheveux blonds, et la guirlande de roses dont ils sont couronnés, mon âme, depuis le soleil où elle s’était transportée, sentit un léger frémissement de plaisir et partagea sympathiquement la jouissance de mon cœur. Cette jouissance devint moins confuse et plus vive lorsque le linge, d’un seul coup, découvrit le front éclatant de cette charmante physionomie ; mon âme fut sur le point de quitter les cieux pour jouir du spectacle. Mais se fût-elle trouvée dans les Champs Élysées, eût-elle assisté à un concert de chérubins, elle n’y serait pas demeurée une demi-seconde, lorsque sa compagne, prenant toujours plus d’intérêt à son ouvrage, s’avisa de saisir une éponge mouillée qu’on lui présentait et de la passer tout à coup sur les sourcils et les yeux, — sur le nez, — sur les joues, — sur cette bouche ; — ah ! Dieu ! le cœur me bat ! — sur le menton, sur le sein : ce fut l’affaire d’un moment ; toute la figure parut renaître et sortir du néant. — Mon âme se précipita du ciel comme une étoile tombante ; elle trouva l’autre dans une extase ravissante, et parvint à l’augmenter en la partageant. Cette situation singulière et imprévue fit disparaître le temps et l’espace pour moi. — J’existai pour un instant dans le passé, et je rajeunis contre l’ordre de la nature. — Oui, la voilà, cette femme adorée, c’est elle-même, je la vois qui sourit ; elle va parler pour dire qu’elle m’aime. — Quel regard ! viens, que je te serre contre mon cœur, âme de ma vie, ma seconde existence ! Viens partager mon ivresse et mon bonheur ! Ce moment fut court, mais il fut ravissant … »
Intriguant ce tableau, à tel point que Joannetti le serviteur réclame une explication à son maître: « Je voudrais, dit-il, que monsieur m’expliquât pourquoi ce portrait me regarde toujours, quel que soit l’endroit de la chambre où je me trouve. Le matin, lorsque je fais le lit, sa figure se tourne vers moi, et si je vais à la fenêtre, elle me regarde encore et me suit des yeux en chemin. »
L ‘écrivain confiné poursuit le voyage : « En laissant donc sur la droite les portraits de Raphaël et de sa maîtresse, le chevalier d’Assas et la Bergère des Alpes, en longeant sur la gauche du côté de la fenêtre, on découvre mon bureau : c’est le premier objet et le plus apparent qui se présente aux regards du voyageur, en suivant la route que je viens d’indiquer. »
Vous imaginez bien qu’il sera intarissable sur sa correspondance.
« Je n’en finirais pas si je voulais décrire la millième partie des événements singuliers qui m’arrivent lorsque je voyage près de ma bibliothèque. Les voyages de Cook et les observations de ses compagnons de voyage, les docteurs Banks et Solander, ne sont rien en comparaison de mes aventures dans ce seul district… »
« … J’ai promis un dialogue entre mon âme et l’autre ; mais il est certains chapitres qui m’échappent, ou plutôt il en est d’autres qui coulent de ma plume comme malgré moi, et qui déroutent mes projets : de ce nombre est celui de ma bibliothèque, que je ferai le plus court possible. Les quarante-deux jours vont finir, et un espace de temps égal ne suffirait pas pour achever la description du riche pays où je voyage si agréablement.
Ma bibliothèque donc est composée de romans, puisqu’il faut vous le dire, — oui, de romans, et de quelques poètes choisis.
Comme si je n’avais pas assez de mes maux, je partage encore volontairement ceux de mille personnages imaginaires, et je les sens aussi vivement que les miens
Mais si je cherche ainsi de feintes afflictions, je trouve, en revanche, dans ce monde imaginaire, la vertu, la bonté, le désintéressement, que je n’ai pas encore trouvés réunis dans le monde réel où j’existe. — J’y trouve une femme comme je la désire, sans humeur, sans légèreté, sans détour. Je ne dis rien de la beauté ; on peut s’en fier à mon imagination : je la fais si belle, qu’il n’y a rien à redire. Ensuite, fermant le livre qui ne répond plus à mes idées, je la prends par la main, et nous parcourons ensemble un pays mille fois plus délicieux que celui d’Éden. Quel peintre pourrait représenter le paysage enchanté où j’ai placé la divinité de mon cœur ? et quel poète pourra jamais décrire les sensations vives et variées que j’éprouve dans ces régions enchantées ! … »
42 chapitres pour 42 jours de voyage autour d’une chambre ! Je suis bien incapable de vous dire si la chloroquine est efficace pour terrasser le virus, par contre, j’atteste que ce petit livre sorti des oubliettes atténue les effets du confinement.
Je me suis inspiré à domicile des prescriptions de l’écrivain, pour en tester l’efficacité.

tableau baie de Somme

Il me faudrait un billet (et d’ailleurs pourquoi pas) pour vous faire partager mes émotions, par exemple, devant la contemplation de ce tableau de la Baie de Somme accroché dans mon salon.
« Âmes fifties » comme le fredonne Alain Souchon sur les images de mon ami photographe Thierry Rajic, réalisateur du clip. C’était mon enfance, nul besoin d’attestation dérogatoire les Parisiens venaient alors en vacances sur le littoral. Après nous être goinfrés des savoureuses frites de ma mémé Léontine, en respectant le temps d’attente pour cause de risque d’hydrocution surtout que l’eau était froide (!!!), nous allions faire trempette.
Beaucoup plus tard, je revins une semaine au Crotoy pour filmer une exceptionnelle institutrice et ses élèves de Cours Préparatoire tout au long de leur séjour.
La baie de Somme, les oiseaux migrateurs du Marquenterre, les phoques de la pointe du Hourdel, les tableaux et vitraux de l’artiste Alfred Manessier …
Je me sens mieux. Encore que … avec tout ce qu’on nous raconte à la télévision, on se répartit les symptômes du virus avec ma compagne. Je tousse, elle a mal à la tête, mon nez coule, elle sent une barre sur la poitrine, mais nous n’avons pas de fièvre ! Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? demandait le docteur Knock de Jules Romains ! À nous deux, on offre un profil type de contaminé, au moins 5 minutes par jour. Rassurant tout de même, nous n’avons pas de perte de goût ni d’odorat !
Le confinement favorise aussi la confection de bons petits plats. Il était un porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll pour ne pas le nommer, qui informait les journalistes du contenu du buffet qui suivait le point-presse, ainsi risquait-il moins les dérapages de langage. Pour ce qui me concerne, ma compagne avait inscrit au menu de la semaine passée une saucisse d’Ariège (qui plus est, de la maison Barès, les puristes du Couserans comprendront !)) grillée avec une purée de pois cassés.

Saucisse pois cassés

J’y pense, c’est un peu incongru de parler de cuisine en cette période pascale. Pour les Chrétiens, le Carême est une alternance de jeûne complet et d’abstinence d’une durée de quarante jours qui fait référence à la retraite que Jésus effectua dans le désert où il s’était isolé pour méditer et prier. Le Carême est un temps de préparation à Pâques, à la victoire de Dieu sur le mal, où les fidèles se rendent plus réceptif à sa Parole. Il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois, cette année … !
Nos chaînes de télévision s’organisent face au confinement et aux mesures de distanciation. Elles ont recours de plus en plus à l’application Skype pour interroger experts et personnalités médiatiques sur leur vision de l’épidémie et de ses conséquences. J’écoute mais mon œil malin furète sur l’arrière-plan en avant duquel ils s’expriment. Il y a ceux qui, pour masquer leur intérieur de vie de confinement (auraient-ils participé au fameux exode ?), se réfugient dans une mansarde ou un grenier anonyme, il y a ceux qui laissent au contraire apparaître les poutres de leur nid douillet, il y a ceux encore qui posent devant des rayons de bibliothèque regorgeant de livres, le fin du fin étant d’en mettre un particulièrement en évidence pour étaler sa connaissance …
En ce dernier dimanche des Rameaux, c’est la première fois que je n’aurai pu fleurir la mémoire de mes si chers aïeux, de mon frère aussi. Ils auront été cependant omniprésents dans mes pensées.
En ce début de vacances scolaires, en dépit des recommandations et des contrôles, des « citoyens » sont parvenus à rejoindre, à la faveur de la nuit et d’itinéraires ter plutôt que bis, leur résidence secondaire. À l’île de Bréhat, fermée aux touristes, certains ont accosté à bord d’embarcations privées ou monnayées. Des Parisiens sont arrivés sur la plage de Saint-Malo (là où la méduse d’Yvan Dautin faisait du vélo !). Au mieux, ils dissimuleront leur véhicule au fond d’un garage, au pire, ils seront victimes de quelques rayures délictueuses sur la carrosserie de la part de « bons Français » ! Incivilités, bassesses, petitesse !
La comédie humaine, quoi … ! Je ne serai sans doute pas là pour lire les écrits du Balzac du XXIème siècle.
Pendant ce temps, je ne crains pas la répétition, personnels de santé et chercheurs, merveilleux et héroïques de dévouement, travaillent jour et nuit pour nous … au péril de leur propre vie.
Prenez soin de vous !

• billets de mon blog consacrés aux spectacles créés par Patricia Damien et Philippe Morin :
http://encreviolette.unblog.fr/2018/04/24/chapeau-bas-barbara-et-merci-patricia-damien-et-jean-louis-beydon/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/01/21/pampinou-fait-le-guignol-une-vraie-bete-de-scene/
http://encreviolette.unblog.fr/2012/03/07/les-vaches-rient-de-lamour/
http://encreviolette.unblog.fr/2013/09/03/un-soir-au-cafe-du-ptit-bonheur/

Publié dans:Ma Douce France |on 6 avril, 2020 |1 Commentaire »

Mon confinement au 1er avril

Récit des épisodes précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/27/mon-confinement-j13/

Le confinement, c’est un peu comme les impôts, on vous fait quelque menu cadeau qu’on vous reprend plus que largement en vous sollicitant sournoisement par ailleurs pour quelques « contributions sociales ».
Ainsi, le week-end dernier, après avoir bénéficié, à la faveur du passage à l’heure d’été, d’une heure de confinement en moins, on nous impose deux semaines supplémentaires de réclusion, en attendant plus très probablement. C’était juste un petit clin d’œil à la tradition taquine du 1er avril. Ironie ou pas, on n’ose pas l’affirmer trop fort, les « experts » semblent s’s’accorder que l’épidémie approcherait en France son pic maximum … Mouais !
En ouverture de ce billet, je voudrais rendre hommage à Monsieur Michel Hidalgo, une grande figure du football qui nous a quitté ces jours-ci, presque discrètement, en marge du coronavirus.
J’ai beaucoup moins évoqué dans cet espace ma passion pour la balle ronde que celle pour le vélo, bien qu’elle ait, également, traversé presque toute mon existence. Pourtant, les plus fidèles d’entre vous se souviennent peut-être d’un billet sur le commentaire sportif où je citais les reportages enthousiastes et enflammés d’un petit garçon haut comme trois pommes de Normandie, tirés d’un chapitre d’un livre écrit par une ancienne élève du collège de ma maman. Vous avez deviné ce gamin, c’était moi*.
Bien qu’il ne soit pas mentionné dans le court extrait du livre, inévitablement le nom d’Hidalgo dut être cité dans « mon reportage radiophonique » sur, possiblement, la première finale de Coupe d’Europe des clubs champions (l’ancêtre de la Ligue des Champions) entre le Stade de Reims et le Real Madrid qui s’était déroulée, quelques jours auparavant au Parc des Princes.
Voici ce qu’écrivait, à l’époque, Antoine Blondin dans sa chronique du quotidien L’Équipe : « Il y avait, l’autre soir, de la crèche et du berceau dans ce Parc des Princes ouvert à la belle étoile, sous laquelle la première Coupe d’Europe de football affrontait les regards de quarante mille rois mages venus lui apporter la myrrhe et l’encens d’un enthousiasme neuf. »
C’était en 1956 et, du fond de notre Galilée normande, mon papa avait emmené son (divin ?) enfant ébloui par toutes ces étoiles du football parmi lesquelles … Michel Hidalgo.
Il n’avait certes pas la notoriété de Kopa et Di Stefano mais, bon sang de Normand ne saurait mentir, nous étions fiers de ce fils d’immigré espagnol qui avait commencé sa carrière professionnelle sous les couleurs ciel et marine du Havre Athletic Club.
Par la suite, il joua une dizaine d’années à Monaco, club avec lequel il remporta deux championnats de France et deux Coupes de France.

Stade de Reims Coupe d'Europe 1956

Michel Hidalgo est le premier à gauche accroupi

Hidalgo 1

Au centre, Michel Hidalgo sous le maillot de l’A.S. Monaco

Le grand public le connaît surtout pour son passage comme sélectionneur à la tête de l’équipe de France. Avec lui, nous eûmes les larmes aux yeux lors de la cruelle défaite de Séville, en demi-finale de la Coupe du Monde 1982, puis une grande joie après le premier titre de champion d’Europe remporté en 1984 au Parc des Princes, j’étais présent encore !
Michel Hidalgo succéda aussi à Just Fontaine à la tête de l’UNFP, le syndicat des joueurs professionnels français. En 1984, Laurent Fabius, nouveau premier ministre, lui proposa le portefeuille de secrétaire d’État aux Sports qu’il déclina (une décision qu’il aurait regrettée par la suite). Un grand monsieur du sport, modeste, honnête et talentueux, aux valeurs d’une autre époque, s’en est allé …
On continue à mourir d’autre chose que le coronavirus, ainsi Albert Uderzo, le dessinateur et second père d’Astérix et Obélix nous a également quitté la semaine dernière.

Une de L'Equipe mort de Uderzo

Hors bien sûr leur lecture, je garde un souvenir très personnel des aventures de ces irréductibles Gaulois. Dans les années 1960, le comité des fêtes de mon bourg natal (environ 3 000 habitants) organisait avant l’été un corso fleuri qui drainait des dizaines de milliers de personnes affluant de différents coins de la Seine-Maritime. La manifestation s’achevait par un grand spectacle de music-hall dans le parc de l’hôtel de ville, c’est ainsi que je pus admirer les plus grandes vedettes de l’époque, Marcel Amont, les Compagnons de la Chanson, Petula Clark, Dalida, Fernand Raynaud.
Les sociétés ou associations de la commune, les écoles aussi, fabriquaient et décoraient chacune un char. Une année, l’union sportive locale choisit pour thème les aventures d’Astérix et sans aucune contestation dans le casting, le rôle d’Obélix me fut dévolu. Des « petites mains » se mirent à la tâche pour confectionner le fameux pantalon rayé bleu et blanc, elles le doublèrent à l’intérieur d’un épais édredon afin de lui donner l’ampleur que ma corpulence (sans potion magique) ne pouvait tout de même pas offrir. Un bricoleur tailla un menhir avec un bâti grillagé et du carton pâte. Bref, Depardieu ne fit que me plagier plus tard, c’est un Obélix, presque aussi vrai que nature, qui défila dans les rues du bourg. Pour mes amis de jeunesse, j’allais rester Obélix longtemps. Des images Super 8 immortalisèrent ce moment mais malheureusement, leur auteur n’est plus de ce monde.
Le quotidien Libération, fidèle à l’originalité de ses Unes, a traité dans le même dessin la mort d’Uderzo et la dramatique épidémie en représentant Obélix écrasé de chagrin sous le poids du virus.

Une de Libération

Sur la même page du journal, un autre titre attire le regard : « Les petits salaires de la peur », clin d’œil sans doute au film de Henri-Georges Clouzot, Palme d’Or du festival de Cannes 1953.
Ici, on ne veut pas parler de Charles Vanel et Yves Montand acteurs principaux d’une histoire censée se dérouler en Amérique latine (mais tournée dans le Sud de la France), mais de tous ces héros du quotidien, caissières, éboueurs, livreurs, ces « premiers de cordée » exposés à la contamination qui travaillent pour que nous autres puissions rester confinés sans que notre vie ne soit trop dérangée. Je devrais y ajouter les facteurs, il est encore bien agréable de recevoir mes abonnements, j’ai lu qu’on allait leur demander de faire plus de social, tiens donc ! J’oublie sans doute d’autres professions Une autre hiérarchie des normes s’instaure, celle de l’utilité sociale.
Dans son Discours de la servitude volontaire, La Boétie clamait : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Certains de leurs sujets sont, heureusement pour eux, en ce moment, des hommes et des femmes debout.
Lisez le roman Le hussard sur le toit. Jean Giono y décrit des scènes de villages de Provence ravagés par le choléra en 1830. Il nous raconte le comportement des hommes face à l’épidémie, la souffrance, la mort, leur impuissance devant ce fléau :
« Cela est dans l’air. Cet air gras n’est pas naturel. Il y a autre chose là-dedans que le soleil, peut-être une infinité de mouches minuscules qu’on avale en respirant et qui vous donnent des coliques … J’essaye de me dépêtrer de ce pays infernal, plein de peureux et de courageux, plus terribles les uns que les autres … Actuellement, il est préférable de se tenir loin les uns des autres. Je crains la mort qui est dans la veste du passant que je rencontre. Et il craint la mort qui est dans la mienne … »

confinement Marianne 3

Un dessin suffit parfois plutôt que quelques lignes.
Je n’oublie évidemment pas le personnel soignant dans sa globalité, extraordinaire de dévouement. Comment, même s’il s’agit de comportements sans doute à la marge, imaginer qu’au retour à leur domicile, certains d’entre eux puissent être confrontés à la méfiance ou l’ostracisme de voisins (des cons finis plutôt que des confinés !) leur demandant de déguerpir.
En faisant un peu de ménage dans mon blog, en réalité en relisant quelques-uns de mes anciens billets, je suis tombé sur une « vieillerie ».** Ce sera l’occasion pour certains de découvrir l’univers loufoque et poétique de Roger Riffard. Né un 1er avril, il eut la modestie de quitter ce monde deux heures avant son ami Georges Brassens, en lever de rideau en somme.
Écoutez À la cambrousse, un petit bijou à mettre en résonance avec l’exode récent de quelques centaines de milliers de Parisiens vers la province. Petite explication de texte pour ceux qui connaissent mal la capitale, la morgue de l’institut médico-légal de Paris se trouve quai de la Rapée !

« Le soleil semble
Pas bien costaud
V’là qu’ se rassemblent
Dans les hostos
Tous les microbes
Du mois d’octob’
Compte, bonhomme,
Sur tes dix doigts
Les jours qui rigolent
Et les jours qui merdoient

L’humble cortège
Des macchabées
Longe la berge
De la Rapée
Où, mains aux poches,
Rôde la cloche

Cloche qui souffle
Sur ses dix doigts
Point ne se destine
A tombe qui verdoie

Sus à mes bottes
Jésus Marie !
Car de la crotte
Du gai Paris
Vaille que vaille
Faut que j’ me taille

Paris, à tous
J’ lève mon doigt
Ma muse rustique
A la glèbe se doit

A la cambrousse
J’ m’en veux aller
Z’ouïr la douce
Chanson des blés
Changer mon luth
Pour une flûte … »

Il est, subsidiairement, des effets collatéraux réjouissants du confinement. On réapprend le temps de la vraie pause déjeuner en famille autour de la table, le goût de cuisiner de bons petits plats même en semaine. La maîtresse de maison a enchanté mes desserts avec sa savoureuse mousse au chocolat et au café d’après la recette du Petit Perret gourmand.

mousse au chocolat

Remontent à la surface des souvenirs d’un temps heureux où une chère petite fille réclamait le droit de curer le saladier.
Les agriculteurs manquent de bras (bravo aux désœuvrés ou en chômage technique qui proposent les leurs), des marchés sont fermés, certain syndicat de routiers menace d’entrer en grève, faudra-t-il craindre une pénurie de certains produits ? On assiste à des comportements irresponsables ou véritablement irrationnels : une ruée sur certains articles dits de première nécessité ou, à l’inverse, une réticence à acheter des produits chinois ou italiens. Le ridicule tue moins que le virus, aux Etats-Unis notamment, la vente de la bière mexicaine Corona (la préférée de Jacques Chirac) serait en chute libre.

spaghetti-terroir-evasion

Nos amis transalpins, tragiquement al dente avec l’épidémie, gardent la classe même pour la pasta. Incredible ma vero, dans leur razzia, grands amoureux des pâtes à rainures (rigates), ils délaisseraient les penne lisce ! Pendant ce temps, le cours mondial du blé s’envole …
Comme le dessinait Reiser, on vit une époque formidable !
Des gens souffrent, trop meurent, beaucoup guérissent aussi. Je pense à eux bien évidemment. Mais en ce 1er avril, j’avais envie aussi de quelques sourires qui, peut-être, nous aideront aussi à sur-vivre.
Vous n’allez pas me croire, et pourtant, je vous jure que c’est vrai, j’ai veillé cette nuit devant la télévision. Au programme : Des pissenlits par la racine, un film de Georges Lautner sorti en 1964 avec dans la distribution, Michel Serrault, Maurice Biraud, Mireille Darc, Louis de Funès, Francis Blanche, Darry Cowl, tous aujourd’hui disparus. Un de ces sublimes « nanars » que, dans ma jeunesse, je ne manquais pas d’aller voir au cinéma jouxtant ma maison école dans mon bourg natal.
Allez, un dernier trait d’humour qui nous vient de l’île de Beauté durement affectée par l’épidémie. Il me semble que l’humoriste Pido soit l’auteur de ce clin d’œil à l’hospitalité corse même en temps de confinement.

Image de prévisualisation YouTube

* http://encreviolette.unblog.fr/2014/03/01/bonjour-chers-auditeurs-ou-le-commentaire-sportif/
** http://encreviolette.unblog.fr/2014/04/01/l-riffard-ca-devrait-etre-obligatoire/

Publié dans:Ma Douce France |on 1 avril, 2020 |Pas de commentaires »

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