Mon confinement J+13 !
Récit des épisodes précédents:
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/23/mon-confinement-j8/
http://encreviolette.unblog.fr/2020/03/25/mon-confinement-j10-avec-lassistance-de-cavanna/
Chers lecteurs, je vis mon treizième jour de confinement, comme vous d’ailleurs. Si j’en crois les annonces gouvernementales les plus optimistes, nous ne serions qu’au tiers de notre réclusion.
Je fais ma brève promenade quotidienne dans le parc privé de ma résidence. Hier, j’ai croisé une de mes voisines, aide-soignante dans un grand hôpital de l’Ouest parisien qui, en respectant l’espace réglementaire de distanciation, m’a décrit l’état alarmant de saturation dans son établissement, même des enfants sont touchés par le virus…
Un autre voisin affable frappe à la porte pour, partant en courses, savoir si nous avons besoin de quelque chose. C’est inhabituel et touchant cette sollicitude, j’ai l’impression d’appartenir désormais à la classe des vieux !
À propos de classe, il m’avoue que ce n’est pas une sinécure de consacrer un moment scolaire à ses enfants. Ah, ces pauvres enseignants qui, en temps de paix, sont voués aux gémonies par les « géniteurs d’apprenants » ! Et même, en temps de guerre sanitaire : la porte-parole du gouvernement a dû se fendre d’un mea culpa pour « louer l’engagement quotidien exceptionnel des professeurs » (les mêmes qui, la veille, ne « travaillaient pas en ce moment » !).
Autre rencontre, dois-je vraiment m’en réjouir : des perruches à collier colonisent par dizaines, les arbres du parc depuis le début de l’année. Je l’ignorais mais l’arrivée, dans l’ouest de l’Île-de-France, de ce volatile exotique, originaire d’Afrique équatoriale et du sud-est de l’Asie, remonte à la fin du siècle dernier. À l’époque, plusieurs spécimens importés à des fins commerciales se seraient échappés de containers à l’aéroport d’Orly. Selon un rapport de la Ligue de Protection des Oiseaux, l’espèce, qualifiée de « terreur », entre en compétition avec d’autres variétés d’oiseaux nichant dans les cavités des arbres telles le pic, le pigeon colombin, l’étourneau sansonnet, la sittelle torchepot et la chevêche d’Athéna, sans parler des écureuils roux et … des chauve-souris. Vous me voyez venir ! Corvidé, covid … je ne vais quand même pas sombrer dans la paranoïa.
Sinon, je regarde de moins en moins la télévision, notamment les chaînes d’infos qui, ça y est c’est parti, loin de l’unité nationale, se repaissent des guéguerres entre médecins, experts, politiciens et chroniqueurs. Consternant !
Le Prince Charles, contrôlé positif, aurait contracté le virus auprès du Prince Albert de Monaco, lui-même atteint. Un comble finalement logique puisque ces « grands de ce monde » passent essentiellement leur vie à serrer des mains, donc à enfreindre les « gestes barrière ». Il était une chanson dans mon enfance : « Lundi matin, l’empereur, sa femme et le p’tit prince/Sont venus chez moi pour me serrer la pince » (une de ces chansons interminables pour nous donner de l’entrain dans les longues promenades en colonie de vacances … 1 km à pied, ça use, ça use …). Visionnaire, en raison du principe de précaution, je m’étais absenté, ainsi la comptine continuait jusqu’à la fin de la semaine.
Vive le foot et la ligue des champions ! Il apparaîtrait que le match aller Atalanta Bergame-Valence, pour le compte de cette prestigieuse compétition, ait été, je cite, une « bombe biologique », « match-zéro » ou, a minima, « accélérateur de la propagation du virus ».
Le 19 février, des dizaines de milliers de Bergamasques firent le court déplacement en Lombardie au stade San Siro de Milan, juteuse recette oblige. Toute cette journée, les supporters des deux camps burent des verres ensemble autour de la place du Duomo. À partir du 4 mars, 15 jours donc après la rencontre, la courbe du nombre de contaminés explosa à Bergame ainsi qu’un peu plus tard, à Valence !
Dramatique et pathétique ! Curieuse association de pensées, me reviennent en tête quelques couplets des Frères Jacques au bon temps des poules de huit de rugby et des festives troisièmes mi-temps :
« Quand l’équipe de Perpignan
S’en va jouer à Montauban
Ils engrossent évidemment
Quelques filles de Montauban
Mais quand l’équipe de Montauban
S’en va jouer à Perpignan
Ben hé ils engrossent c’est évident
Quelques filles de Perpignan …
Les fils des filles de Perpignan
Faits par les joueurs de Montauban
Font du rugby quand il sont grands
Dans l’équipe de Perpignan
Mais les fils des filles de Montauban
Faits par les ceusses de Perpignan
Et ben ils se font le rugby quand ils sont grands
Dans l’équipe et ben de Montauban »
C’est un peu, j’avoue, de l’humour noir (un peu déplacé penseront certains) à la Charlie-Hebdo. Justement, je ne résiste pas à vous faire partager l’éditorial de Riss, un rescapé de l’attentat du 7 janvier 2015, dans le numéro de cette semaine. À peu de choses près, j’ai traité le sujet dans mes précédents billets avec moins de style et un peu plus de mesure :
« Qu’est-ce qu’on peut bien écrire d’intéressant dans une période comme celle-ci ? Chaque jour les médias nous abreuvent de reportages, catastrophiques quand ils interrogent les personnels soignants, pathétiques quand ils donnent la parole aux Français contrariés par cette épidémie qui les enquiquine. Contrairement à ce qu’on raconte, nous ne sommes pas en guerre, car aucune bombe n’est tombée sur nos maisons et personne n’a été raflé au petit matin pour disparaitre à jamais. Le vocabulaire guerrier est utilisé de manière totalement abusive. Quels mots nous restera-t-il si demain une vraie guerre s’abattait sur l’Europe, comme celle qu’ont vécu les Syriens pendant quatre ans ? Une crise sanitaire très grave comme celle que nous vivons, c’est une crise sanitaire très grave et c’est déjà bien assez grave comme ça.
Une guerre pourtant, a bien eu lieu. Ou plutôt une guérilla silencieuse menée depuis des années contre les médecins et les personnels soignants, pressés comme des citrons en réduisant inexorablement leurs moyens de travail. Puisque la mode est aux comparaisons militaires, en voici une : pendant les grandes purges de 1936, Staline avait fait fusiller ses meilleurs officiers et ainsi affaibli l’Armée rouge qui s’était retrouvée complètement dépassée face à l’invasion allemande en juin 1941. Et bien l’hôpital français, après des années de réduction budgétaire se retrouve face au coronavirus comme l’armée rouge en juin 41 face à la Wehrmacht. Vous trouvez cette comparaison exagérée ? Peut-être parce que nous ne sommes finalement pas dans une vraie guerre.
Être informés qu’une crise sanitaire dramatique s’est abattue sur la France et l’Europe aurait dû suffire à rendre les gens raisonnables. Mais non, ils se baladent toujours dans les rues, font leur jogging pour être en forme alors qu’ils peuvent être tués en deux jours par ce virus et aussi contaminer les autres. Risquer la mort pour un jogging… « Impossible pas français » dit le bon sens populaire. C’est vrai : dès qu’il y a une connerie à faire, rien n’est impossible pour les Français. On est en train de découvrir à quel point le Français est con. Pas tous les Français, mais tout de même, quand on sait le nombre d’amendes infligées par la police à ceux qui se baladent dans les rues comme si de rien n’était, on se dit que jamais on ne trouvera un vaccin contre la connerie du beauf français qui se croit toujours malin, quand par exemple il quitte la ville pour la province, comme si la campagne était là pour son bon plaisir, et les provinciaux étaient ses domestiques à son service pour lui jouer la comédie de la vie qui continue.
Mais déjà on entend de beaux discours lyriques qui annoncent des lendemains qui chantent, quand tout sera fini, quand plus rien ne sera comme avant. Je n’y crois pas un instant. Dès que la peur se sera évanouie, le naturel reviendra au galop, les gens redeviendront instantanément aussi égoïstes, et à la première opportunité, ils recommenceront les mêmes bêtises qu’avant. Comme après les attentats de 2015 qui avaient soulevé une vague de solidarité nationale qu’on pensait éternelle, et que quatre ans plus tard, tout le monde se tapait dessus dans les rues au milieu des monuments en feu, pendant la crise des gilets jaunes.
Cette crise sanitaire dramatique fait naître chez certains l’espoir d’une société meilleure, dont chaque génération rêve d’être l’artisan. Comme si, seules des épreuves terribles étaient capables de nous faire progresser mais jamais notre propre volonté. Parce que de la volonté, finalement, en temps normal, nous n’en avons aucune.
On est en train de découvrir à quel point le Français est con
Il nous reste alors le silence. Le bruit et le tumulte ont disparu de nos villes et elles ressemblent aux cités abandonnées des civilisations disparues. Sous nos yeux se déroule le spectacle annonciateur de notre destin, qui est celui de toutes les époques. Ce petit virus minuscule de rien du tout, vient de nous faire découvrir le silence du Moyen-âge, quand les gens se cloitraient chez eux pendant les épidémies et que les rues n’étaient dérangées que par le crépitement des crécelles des pestiférés. Quand tout sera terminé, on aimerait que ce silence soit préservé et que le plus grand nombre d’entre nous soient contaminés par l’humilité. »
Je lis beaucoup. Réjouissance littéraire, grâce à Fabrice Luchini, j’ai découvert que Jean de La Fontaine avait évoqué le confinement au XVIIème siècle dans sa fable L’ours et l’amateur des jardins.
N’en déplaise à certains que ses manières précieuses ou cabotines horripilent, j’adore cet acteur amoureux des grands écrivains de la littérature française. Par sa façon de réciter leurs textes, je le considère comme le professeur que chaque collégien ou lycéen aurait souhaité connaître.
En cette période de morosité et d’anxiété, où salles de théâtre et cinéma sont fermées, il a l’excellente initiative de nous distraire et cultiver avec quelques bijoux du grand fabuliste sur son compte Instagram. Voici ce délicieux moment où, à son domicile, assis au-dessous d’un portrait de Louis Jouvet, un air de Chopin en arrière-plan musical, il nous récite (il ne lit pas, ce qui explique sa confusion entre La Fontaine et Molière !) donc cette histoire de confinement.
https://www.instagram.com/tv/B-EfO_mo1tA/
Pour suivre et m’imprégner, j’ai sorti un vieux recueil de fables hérité de mes chers parents. Ma compagne a cru, un instant, que j’avais un missel entre les mains ! Je l’ai rassurée, n’est pas encore venu le temps d’une crise mystique.
« Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon1 vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d’ordinaire
N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés :
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
Nul animal n’avait affaire
Dans les lieux que l’Ours habitait ;
Si bien que tout Ours qu’il était
Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S’ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore2,
Il l’était de Pomone3 encore :
Ces deux emplois sont beaux. Mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu , si ce n’est dans mon livre ;
De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L’Ours porté d’un même dessein
Venait de quitter sa montagne :
Tous deux, par un cas surprenant
Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux. Il sut donc dissimuler sa peur.
L’Ours très mauvais complimenteur,
Lui dit : Viens-t’en me voir. L’autre reprit : Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d’honneur que d’y prendre un champêtre repas,
J’ai des fruits, j’ai du lait : Ce n’est peut-être pas
De nosseigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j’offre ce que j’ai. L’Ours l’accepte ; et d’aller.
Les voilà bons amis avant que d’arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ;
Et bien qu’on soit à ce qu’il semble
Beaucoup mieux seul qu’avec des sots,
Comme l’Ours en un jour ne disait pas deux mots
L’Homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L’Ours allait à la chasse, apportait du gibier,
Faisait son principal métier
D’être bon émoucheur , écartait du visage
De son ami dormant, ce parasite ailé,
Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le vieillard dormait d’un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l’Ours au désespoir ; il eut beau la chasser.
Je t’attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l’homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi. »
(1) Prince valeureux qui, après avoir essuyé les plus terribles aventures, accablé d’une noire mélancolie, se retira dans un désert pour rompre tout commerce avec les hommes
(2) Déesse des fleurs
(3) Déesse des fruits
« La raison d’ordinaire n’habite pas longtemps chez les gens séquestrés ». Puisse cette fable gasconne (petit clin d’œil à mes amis ariégeois divisés sur la présence d’ours slovènes dans leurs montagnes) ne pas être prémonitoire. J’avoue en douter un peu à la vue de certains comportements. « Il est bon de parler, et meilleur de se taire » poursuit le fabuliste. À bon entendeur, chaînes d’info et réseaux sociaux !
Prenez soin de vous chers lecteurs!

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