Mon confinement J+8 !

Nous sommes en guerre ! C’est notre président jupitérien qui nous l’a annoncé.
Enfant de hussards noirs de la République, j’ai toujours adopté une certaine distance à l’égard des dieux. Encore que … sait-on jamais (!), j’accomplis selon leur souhait (celui de mes parents !) des études (à peu près) studieuses de catéchisme et fréquentai alors avec assiduité la messe du dimanche. Ainsi, lors des voyages en famille, j’ai visité un certain nombre de sacristies des plus belles cathédrales d’Europe pour faire tamponner la carte de fidélité aux offices religieux distribuée par le doyen de mon diocèse normand. Les dix cases cochées ne me valaient pas pour autant la dispense d’une messe, même basse, de la part du divin. Blasphème !
Nous sommes en guerre ! Effet de répétition pour accentuer la gravité ! Nous sommes réduits au confinement. Malchance, pour un peu, le simple remplacement d’un n par un f aurait pu me valoir quelque droit d’auteur pour utilisation abusive de mon patronyme.
Même les casaniers supportent mal le « coffinement » ! De mes baies vitrées, je les vois errer dans le parc de ma résidence, à distance plus ou moins respectée du voisin, se saluant à grand renfort de contorsions, une sorte de mix de mouvements taïchi chinois et capoeira brésilienne.
Certains arborent des masques (où les se sont-ils procurés ?), parfois à l’envers, ce qui nous rassure encore moins.
Par le plus grand des hasards, je visionnais, hier soir, Les vacances de Monsieur Hulot, la burlesque (et cruelle) satire sociale, une véritable école du Regard que nous enseignait Jacques Tati sur les mœurs estivales dans la France des années 1950.
Nul doute, s’il était encore de ce monde, qu’à travers son personnage lunaire de Monsieur Hulot, Tati traquerait et croquerait certains de nos comportements ridicules, absurdes, incohérents, inadaptés, à tout le moins incontrôlés, en cette période d’épidémie de coronavirus. D’ailleurs, la réalité rejoint la fiction, et les scènes désopilantes sur les quais de la gare en ouverture du film ne sont-elles pas à rapprocher de celles souvent consternantes, en début de semaine, de l’exode des citadins quittant précipitamment la capitale pour un hypothétique ailleurs meilleur, en emmenant possiblement l’ennemi viral dans leur corps.
Encore qu’on peut aussi comprendre un sauve qui peut vers les Grands Causses (mais pour quels effets ?) lorsqu’on vit à deux avec un bébé de 13 mois dans un studio de 30 m2 du centre de Paris. C’était certes du cinéma mais, en une époque somme toute encore réjouissante, Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle avait bien fui la vie moderne pour rejoindre le Causse Méjean dans Calmos, le film iconoclaste de Bertrand Blier.
Mondo Cane ou chienne de vie, nos animaux dits de compagnie se demandent quelle folie buissonnière atteint les humains qui ne les ont jamais autant promenés. Les pauvres clébards doivent être épuisés à la fin de la journée de jouer les alibis pour justifier les balades de leurs maîtres auprès de la police municipale. Effet collatéral, les crottes souillent nos pelouses de manière exponentielle.
Autre conséquence, celle-ci plus positive, de notre réclusion forcée, les automobiles jouent les ventouses sur les parkings et, avec l’air plus respirable, les passereaux (des bruants peut-être comme Aristide ? !) chantent à gorge déployée le printemps tout neuf jusque sous nos persiennes … Les oiseaux au secours de notre oisiveté !
Oui, c’est l’printemps, on n’en fait guère cas cette année. Qui sait quand même, comme le chantait Pierre Perret, si La chèvre de M’sieur Seguin demande (pas)/Au loup qui a la lippe friande/S’il veut pas la sauter avant ! Qui sait encore si, dans plusieurs décennies, nos descendants ne parleront pas d’un baby boom lié au confinement du début de l’an 2020 ! À l’inverse, il semblerait qu’en Chine, on ait assisté à une croissance inhabituelle des divorces.
À défaut d’entendre les cloches sonner l’Angélus, chaque soir à 20 heures, les fenêtres s’ouvrent pour un concert d’applaudissements de quelques minutes dédié aux personnels de santé admirables de dévouement. Tiens, nous avions donc des voisins ?!!! Je me méfie, comme de la peste ou du coronavirus, de ces élans d’empathie, je n’oublie pas, et je l’avais écrit à l’époque dans cet espace, que nous acclamions les flics lors de l’immense manifestation du 11 janvier 2015 à la suite de la tuerie de Charlie-Hebdo. On a vu depuis que notre sympathie envers les forces de police était à géométrie variable.
Décrété il n’y a que quelques jours, le confinement semble déjà insupportable à certains. Puisqu’on utilise (à quel dessein ?) le terme de guerre, pour relativiser ou à tout le moins mettre en perspective, j’ai envie de vous évoquer ce que fut la salle période de l’Occupation à travers le prisme de ce que connurent mes parents, et notamment ma regrettée maman qui était alors directrice d’un Cours Complémentaire de jeunes filles dans mon bourg natal de Normandie. Je reprends ce que j’écrivais dans sa biographie :
« Á défaut d’avoir connu personnellement cette époque, mon frère aîné ainsi qu’une institutrice qui devint par la suite ma marraine, m’ont confié quelques souvenirs.
De nombreux locaux furent alors occupés comme casernement de troupes allemandes. Le réfectoire laissa place à leur bureau postal, une classe fut transformée en salle de soins, une roulante encombra le préau. De ce fait, certains cours ne fonctionnaient plus qu’à mi-temps, d’autres furent dispensés à l’école du Sacré-Cœur (il n’était pas temps de « guerre des écoles » !), dans l’hospice Marette et même dans un café.
Les soldats allemands, impressionnants dans leur uniforme vert, effectuaient quotidiennement des exercices dans l’une des cours de récréation, et même des manœuvres avec deux blindés. Lors de l’une d’entre elles, un engin défonça le mur de la classe enfantine ce qui entraîna la réprobation polie mais ferme de ma mère.
Hors sa mobilisation et sa participation à la terrible bataille de Dunkerque en mai 1940 et son embarquement sur des rafiots de fortune, « mon père, pour, sinon améliorer, du moins assurer l’ordinaire des repas des pensionnaires, éleva et tua le cochon avec son beau-père. Il ressuscita la culture de la lentille chez ma mémé paysanne. Sur le chemin du retour de chez elle, une quarantaine de kilomètres à bicyclette, il fut contrôlé par une patrouille ennemie, intriguée par la cargaison d’œufs sur le porte-bagage. Le « bon papa » entretint en connaisseur un vaste potager, à l’arrière de l’école, que j’ai fréquenté bien plus tard, alléché par les succulentes fraises qui y poussaient.
Parfois, en soirée, la famille se réfugiait à la cave tandis que l’aviation allemande pilonnait, à quelques centaines de mètres de là, le nœud ferroviaire de Serqueux.
Malgré cela, l’enseignement n’était nullement sacrifié. En consultant son petit carnet, je constate que maman fut inspectée le 19 janvier 1943 et qu’elle se sortit très honorablement d’une leçon sur l’emploi du subjonctif. En la circonstance, elle n’avait pas choisi la facilité mais il faut dire qu’en ce temps-là, les inspecteurs déboulaient à l’improviste ! Voici le rapport de l’un d’eux : « Beaucoup d’ouvrages de la bibliothèque sont perdus depuis la guerre. Séquence de lecture : Il est bon de situer la vie de l’auteur mais attention au lapsus, 1768 = règne de Louis XIV ! » Pauvre petite mère, elle était en droit d’avoir la tête ailleurs.
L’inquiétude s’accrut brutalement lorsqu’un jour, plusieurs véhicules allemands envahirent la cour et entassèrent quantité de munitions dans le dortoir. Elle se dissipa, le lendemain, lorsque, tout fut rechargé, aussi précipitamment, dans les camions.
La fin du cauchemar approchait. École primaire et collège fermèrent fin mai 1944 pour ne rouvrir que le 1er octobre. Entre temps, les alliés avaient débarqué à l’autre bout de la Normandie et Forges-les-Eaux avait été libéré en août par les Américains et Canadiens. L’une des institutrices avait succombé au charme d’un GI américain de couleur noire, ce qui ne fut pas du goût de ses parents. Dommage, cela aurait pu constituer la première belle histoire d’après-guerre au collège... »
L’une des premières fut finalement … que je naquis deux ans plus tard !!!
Retraité de l’Éducation Nationale, je n’ai guère de raison de me plaindre. Je n’ai pas de souci de trésorerie ou d’emploi. Privilège de l’âge, attestation de circulation et carte d’identité à l’appui, je bénéficie pour faire mes courses de l’heure (7h à 8h du matin) exclusivement réservée aux plus de 70 ans par mon magasin Intermarché.
Ceci dit, j’ai intérêt à en profiter « à donf », car si je regarde les chaînes d’info, j’entends parler à demi-mot (ou quart de mot !) de « score de fragilité » classant les patients selon leur état de santé préalable à la maladie, de « priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie », bref des documents qui visent pour parler clairement à « aider » les médecins à opérer des choix dans les populations atteintes par le Covid-19. Anxiogène ! J’ai dit anxiogène ? Comme c’est anxiogène !
Manions l’humour (avec précaution tout de même), mais en poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, cela aurait un petit côté épuration Nacht und Nebel, Nuit et brouillard, cette idée morbide me vient comme ça en regardant, ce dimanche, un hommage à Jean Ferrat, c’est (encore) beau la vie !. Vous imaginez une société où il n’y aurait plus de Vieux ? Comment vivre un monde sans eux si la plupart sont appelés à ne pas connaître l’été ? Tiens, ma phrase a un petit fumet de Louis Aragon !
Ne vous plaignez pas chers lecteurs, pour l’instant, je suis en capacité de nourrir mon blog. Heureux lecteurs réfractaires à la chose vélocipédique, je ne peux plus vous ennuyer avec ma passion pour le cyclisme, il n’y a plus de courses ! Méfiez-vous cependant, j’ai de la ressource et 2020 serait une bonne date anniversaire pour évoquer … les Tours de France 1950 et 1960 !
Regarder la télévision devient insupportable avec en groupe, en ligue, en procession (le virus Ferrat !), ce défilé interminable d’experts, spécialistes, éditorialistes qui vous racontent de manière détaillée une épidémie dont on ignore quasiment tout, sans oublier des politiciens minables (bas les masques !) qui fourbissent déjà leurs armes pour de futurs règlements de comptes. Je ne sais pas ou plus la mesure de toute chose. Ce n’est pas une guerre civile qui éradiquera l’épidémie. Ironie de la programmation, pour nous divertir et sortir de la morosité, France 2 a diffusé un dimanche après-midi La grande vadrouille, un des plus grands succès du cinéma français, produit, vous ne me croirez pas, par la société de films Corona !
Ce confinement est l’occasion de ressortir quelques livres de ma bibliothèque. Et tombant par hasard sur une chronique de l’hebdomadaire Marianne, je suis retourné me plonger avec délectation dans L’an 01, la bande dessinée de Gébé, un des illustres journalistes iconoclastes de Hara-Kiri et Charlie-Hebdo canal historique.

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Je voue une affection particulière à Gébé, pseudonyme né des initiales de son vrai nom Georges Blondeaux. J’eus la chance de le fréquenter lors de mon aventure d’un mois dans les locaux du journal au printemps 1980. Il me plaisait de savoir que ce monsieur discret mais d’une fine intelligence sociale, était entré, quelques années avant moi, à l’École Normale d’Instituteurs de Versailles. Il en démissionna très rapidement pour devenir dessinateur industriel calqueur à la SNCF puis, avec un brin de « lucidité utopique » (ou l’inverse) tenter de vivre son … An 01.
Peut-être chacun trouvera une résonance à ses propos nés après 68 : « Après est venue la crise –le pétrole- qui a cassé les reins à la religion de l’expansion continue. Qui a aussi cassé les reins à l’insurrection (écologie) dirigée contre l’expansion à front de taureau (Pompidou). Qui a cassé les reins à l’utopie genre 01. Qui est en train de casser les reins à la classe ouvrière, au syndicalisme, aux enfants de Marx. Crise habilement récupérée (provoquée ?) par le pouvoir capitaliste pour fortifier son pouvoir capitaliste en instaurant en douceur (comme forcé) un socialisme capitaliste : collectivisme d’assistance « nourri, logé, amusé, au pied ! » société magma avec émergence des supra-nationales-miradors, et dans les miradors, au sous-sol, les hommes d’armes des deux ou trois blocs participant à l’équilibre de la terreur, et aux étages la crème de la matière grise. Ça ! Ça, la guerre ou quoi ? Poser la question « ou quoi ? » signifie que l’espoir n’est pas mort, qu’on ne se résigne pas aux anticipations sinistres …
« Ou quoi ? » LE CERVEAU ! On n’en sort pas puisqu’on est dedans. Puisqu’on n’est que ça ! Rien que ça avec des genoux, des coudes, des doigts de pied, et tout ce qui va avec. Le cerveau avec lequel on devient conscient, c’est-à-dire étonné, curieux, sans fausses illusions, tolérant, social-individualiste, raisonnant, remarqueur d’effets, refuseur d’idées reçues, rejeteur d’idées enfoncées comme des gousses d’ail, inaliénable !
Et comment devient-on conscient ? Voilà ! C’est là ! Si on trouve, on les tient. Si on découvre le mécanisme, le mode d’emploi, le monde s’allume. « Bonjour ! » … »

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Il n’y avait pas de selfies à l’époque mais les littoraux étaient ouverts!

Crépuscule d’une civilisation mondialisée et naissance d’une idée ?
Nous voici en 2020, un demi-siècle après l’an 01 éructé par Gébé :
« Des milliers de gens, entendant le mot « crise » furent gagnés par la peur de manquer et prirent le risque de la promiscuité. Tous les courants idéologiques se prononçaient sur l’origine de l’épidémie. L’absence de frontières, les Chinois, les Allemands, les Italiens, l’Europe, le grand capital, Macron, ses prédécesseurs, la saleté des pauvres, l’égoïsme des riches. Il fallait bien une explication conforme à la pensée de chacun … En tout état de cause, il se trouvait un nombre phénoménal de gens pour désigner des responsables et des irresponsables, dévoiler les manœuvres du gouvernement ou celles de l’opposition, et rappeler qu’ils avaient, eux, prédit une catastrophe, quand ils n’avaient pas prévu le Covid-19, avant même qu’il soit identifié. » (Guy Konopnicki dans Marianne n° 1201).
Si c’était ça le monde avant le confinement, pourquoi aspirer à la fin du confinement au plus vite ?
Dans mon enfance, on se « débarbouillait ». Depuis une semaine on n’a jamais été aussi propre, on se lave les mains moult fois par jour. Quelle est cette tache qui ne s’en va pas et que l’on ne cesse de frotter ?

Charlie hebdo coronavirus

Publié dans : Ma Douce France |le 23 mars, 2020 |1 Commentaire »

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 24 mars, 2020 à 15:29 JPP écrit:

    L’humour est une arme redoutable en ces temps de guerre…mais la vraie avec les boches en uniforme et en armes lourdes et grenades à la ceinture,je l’ai connue. L’école où logeaient mes parents était investie et les classes transformées en dortoirs. La plus belle raclée de mon enfance je l’ai reçue en revenant de l’achat du journal quotidien Combat car en passant dans les dortoirs ,cheminement obligatoire, un des boches a accroché la croix gammée à ma veste. Mon innocence fut à jamais perdue et le souvenir de ces coups violents reçus sans que j’en comprenne le sens me hante encore. Il faut dire que mon père était un réel hussard noir d’une république défunte et qu’il avait la main très lourde quand on badinait avec ses valeurs. Je pense que mon enfance s’est arrêtée là car peu de temps après à la libération 2 de ces boches ont été enterrés sous mes yeux dans le bac à sable de l’école maternelle. Il faut continuer Jean Michel…tes billets sont un régal.
    Un vieux qui perdra peut-être le dernier combat….celui du covid19…un comble après avoir survécu à 40-45

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