Mon Festival du Film Britannique de Dinard 2019 (1ère partie)
Mercredi 25 septembre :
C’est le début du 30ème Dinard Film Festival puisque, communication oblige, depuis l’année précédente, on a rebaptisé ainsi le Festival du Film Britannique. Les « communicants » trouvaient que la ville de Dinard n’était pas assez mise en valeur dans l’intitulé de cet événement cinématographique.
C’est peut-être pour cela également que l’an dernier, ces mêmes adeptes de la déesse Com avaient invité, pour présider le jury du festival, la bellissima Claudia Bellucci dont la photographie trône à l’intérieur du Palais des Arts.
Une initiative bling-bling qui aurait coûté, si j’en crois une polémique au sein du conseil municipal, la coquette somme, « plus ou moins prévue », de 28 000 euros ! La diva aurait été accompagnée notamment d’un coiffeur. Ironie du calendrier et événement capillaire de cette rentrée, Monica aurait sacrifié, ces jours-ci, ses célèbres cheveux longs pour un carré court ultra tendance !
Faut-il y trouver quelconque lien, les organisateurs du festival ont, cette année, tourné le dos à la dolce vita en choisissant comme présidente du jury de la compétition pour le Hitchcock d’or, Sandrine Bonnaire qui se révéla avec son rôle de SDF dans le film Sans toit ni loi d’Agnès Varda. La talentueuse actrice connaît d’ailleurs bien la Côte d’Émeraude et Dinard pour y avoir tourné dans les environs avec Isabelle Huppert, La Cérémonie, l’un des plus beaux films du regretté cinéaste Claude Chabrol qui réglait une fois encore ses comptes avec les notables.
Organiser son propre programme de projections, afin de visionner le maximum de films, constitue toujours un casse-tête : avec un peu de persévérance, nous pourrions en découvrir, aujourd’hui, cinq de la compétition officielle, sans bouger de la salle Stephan Bouttet, enfin presque … puisque, même muni d’une carte pass, il faut en sortir à l’issue de chaque séance pour reprendre la file d’attente de la suivante … parfois sous le vilain crachin breton comme ce matin.
Notre passion pour le cinéma britannique n’est pas altérée pour autant, on sait qu’en Bretagne il fait beau deux fois par jour … et même plus. Malgré les parapluies et les capuches, nous retrouvons, d’une année à l’autre, les mêmes visages, de nouveaux aussi car le rendez-vous cinématographique de Dinard a gagné en notoriété et popularité au fil du temps.
Le festival fête sa trentième édition, pour ma part, c’est la treizième à laquelle j’assiste, et pour célébrer cet heureux anniversaire, l’affiche de la manifestation représente selon le mot de son créateur « une ambassadrice, un peu starlette, un brin festivalière, un soupçon séductrice, coiffée d’un hatcake qui saura satisfaire tous les gourmands du 7ème art ».
Au risque de frôler la crise de foie, en ouverture de chaque séance, est projetée la bande-annonce imaginée, comme lors des années précédentes, par le jeune réalisateur rennais Paul Marques-Duarte.
Clin d’œil aux comédies musicales, dans des couleurs très kitsch dignes des toilettes acidulées de la reine Elizabeth, elle se déroule, anniversaire oblige, dans une pâtisserie. Un marin anglais conte fleurette à l’appétissante vendeuse qui apporte la dernière touche à la pièce montée. On y parle de coup de foudre ou plutôt d’éclair, d’opéra et de Paris-Brest, ça y est j’ai encore pris 500 grammes, et ça s’achève par une chorégraphie géante filmée cet été sur la plage de l’Écluse. On entend des murmures dans la salle, provenant sans doute de certains des 300 figurants.
C’est réjouissant en ces temps troubles de Brexit mais un peu long (2 minutes et 40 secondes) donc …« bourratif » à la troisième projection !
Plus digestes, car brefs et variés, sont les clips « Plutôt thé ou café ? » produits par les vins rosés de Provence Estandon.
Des questions clichés sont posées à des acteurs et réalisateurs pour mesurer leur degré d’appartenance à la société française ou britannique : « Mini ou 2 CV ? », « Cheddar ou Camembert ? », « God Save the Queen ou Marseillaise ? », « Beckham ou Cantona ? », « Shakespeare ou Molière ? »…
« Bière ou vin rouge ? ». J’adore la réponse de Christopher Granier-Deferre, fils du réalisateur de La veuve Couderc, Le Chat et Une étrange affaire, qui boit inconditionnellement du rosé, boisson souvent synonyme de vacances. Ainsi, a-t-il l’impression d’être en vacances à longueur d’année !
Pour moi, adepte du rosé estival, Dinard signifie des vacances de cinéma … et le moment est venu de voir un premier film en lice pour le Hitchcock d’or, The Keeper du réalisateur allemand (oui, je ne me trompe pas ! il s’agit d’une coproduction) Marcus H. Rosenmüller, l’histoire (un peu trop ?) romancée de Bert Trautmann, un gardien de but de football des années 1950.
Mes fidèles lecteurs n’ignorent sans doute pas ma passion pour ce sport, inoculée sans nul doute par mon regretté père qui, dès ma plus tendre enfance, m’emmenait sur ses épaules au stade de Colombes pour admirer les plus grands joueurs de l’histoire de ce jeu, Raymond Kopa, les artistes hongrois Sandor Kocsis dit « Tête d’or » et le « Major galopant » Ferenc Puskas, Alfredo Di Stefano ou encore « l’araignée noire », le goal soviétique Lev Yachine.
À ce jour, j’avais certes entendu parler de Bert Trautmann, ses performances footballistiques ayant parfois franchi la Manche dans ma jeunesse, mais j’ignorais son passé comme soldat de la Wehrmacht.
« On nous cache tout, on nous dit rien /Plus on apprend plus on ne sait rien/On nous informe vraiment sur rien » chantait Jacques Dutronc. À l’ère du numérique et des raisons sociaux, c’est toujours d’actualité, nous en aurons la démonstration le lendemain avec l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen ! !
The Keeper commence en 1945 alors que la Seconde Guerre mondiale se termine. Certains soldats allemands, parmi lesquels Bert Trautmann, se retrouvent détenus dans un camp de prisonniers du Lancashire. Dans l’attente d’être renvoyés en Allemagne, dans le cadre d’un programme de « dénazification », ils effectuent diverses corvées, parient des cigarettes en se défiant dans des séries de pénaltys.
Un épicier qui dirige le modeste club de football local, passant par là avec sa fille, remarque ce Trautmann qui stoppe tous les tirs dans son but de fortune : « That blond lad in goal, he’s not half bad ». Et si ce goal keeper (telle est l’origine de la dénomination française du poste de gardien de but, n’oublions pas que le football est né en Angleterre !) pouvait éviter à son équipe d’être reléguée dans la division inférieure ?
Ainsi commence cette petite histoire, je n’ose pas dire « point de détail » vous savez pourquoi, qui va nous renvoyer à la grande Histoire.
Ses prestations à Saint Helens confèrent rapidement à Bert Trautmann une réputation d’excellent gardien de but et suscitent bientôt l’intérêt des clubs professionnels de la Football League. En 1949, il rejoint le club des Blues de Manchester City, rival des Reds de Manchester United.
En cet immédiat après-guerre où le conflit contre les Allemands est encore très vif dans tous les esprits, en particulier à Manchester ville très bombardée qui compte une importante communauté juive symbolisée dans le film par le rabbin érudit Alexander Altmann, son recrutement provoque l’indignation.
Au fil du temps, le dégoût sincère (?) de Trautmann à l’égard des atrocités nazies, son humilité, son mariage aussi avec la fille du commerçant … et ses exploits footballistiques, vont gagner le cœur des supporters des Blues et plus généralement des sportifs britanniques.
L’ex-soldat de la Wehrmacht, décoré de la Croix de fer la distinction militaire préférée de Hitler et largement utilisée par le Troisième Reich, devient définitivement un véritable héros (sportif) à l’occasion de la finale de la Cup d’Angleterre de 1956 opposant Manchester City à Birmingham dans le « temple » de Wembley.
Non seulement, Trautmann contribue activement au succès de son équipe mais il fait preuve de courage en jouant les quinze dernières minutes de la rencontre avec une fracture de deux vertèbres cervicales suite à un choc avec un attaquant adverse. À cette époque, aucun remplacement de joueur n’était autorisé. Au-delà de la légende athlétique comme le sport sait parfois écrire et de la tendre romance amoureuse nouée avec la fille de l’entraîneur, The Keeper pose des questions beaucoup plus importantes comme le pardon, la résilience et la réconciliation.
Les jeunes générations (il y en a dans le public) découvrent peut-être avec étonnement que la renaissance de la paix en Europe n’était pas une mince affaire au milieu du siècle dernier, chacun portant dans sa chair les traumatismes d’une guerre meurtrière, même si d’ailleurs nous n’en connaissions pas encore toutes les horreurs.
L’exercice n’était pas aisé pour le réalisateur Marcus H. Rosenmüller de partir du biopic d’un footballeur pour exprimer la difficulté de réconcilier des peuples ennemis.
Il construit de belles séquences qui jouent le rôle de symbole dans la narration. J’ai aimé, dans la première partie du film, pour restituer l’insouciance et une certaine joie retrouvée dans l’immédiat après-guerre, la scène de danse au pub que le réalisateur relie à la chorégraphie des plongeons et envolées du keeper. Délicate aussi est la métaphore du gardien de but encore prisonnier qui veille sur les oiseaux en cage de sa future épouse.
Insoutenables par contre sont les flashbacks répétitifs, revenant culpabilisants dans la tête de Trautmann, où il n’empêche pas un autre soldat d’abattre un enfant juif d’Ukraine jouant seul avec son ballon.
Il y a bien sûr encore la scène de la fracture en finale de la Coupe d’Angleterre qui marque définitivement une rupture dans la conscience de Trautmann et dans le regard des autres.
Marcus H. Rosenmüller se sort plus qu’honorablement d’un sujet tellement vaste et impliquant que le traitement pouvait s’avérer « casse-gueule ».
En dehors de la boxe, le sport est souvent mal restitué au cinéma mais ici les séquences de football, avec l’appui d’images d’archives, sont fort crédibles.
Il faut noter aussi l’esthétisme recherché du directeur de la photographie avec l’emploi de couleurs qui rappelle les films en technicolor de l’époque de la narration.
Enfin, mais c’est presque une lapalissade lorsqu’il s’agit du cinéma britannique, les acteurs sont remarquables : David Kross dans le rôle titre du film, Freya Mavor (révélation de la série Skins) son épouse, le commerçant dirigeant John Henshaw (il jouait notamment dans Looking for Eric de Ken Loach), sans oublier comme toujours une panoplie de talentueux seconds rôles. Ainsi, on repère parmi les supporters de la petite équipe locale, Dave Johns l’interprète principal de Moi Daniel Blake, un autre film de Ken Loach.
The Keeper est une œuvre de facture très académique, presque « grand public », qui trouve aussi une résonance dans l’actualité en cette période de Brexit et de tensions en Europe, tandis que surgissent dans les stades d’ignobles cris et banderoles racistes et homophobes.
Pour patienter dans la file d’attente de la séance suivante, il y a désormais les smartphones et Wikipedia, et déjà, certains spectateurs (trop ?) curieux découvrent que le passé et la personnalité de Bert Trautmann seraient bien moins « recommandables » qu’ils ne sont présentés dans le film. Possible, sans doute !
J’obtiendrai un élément de réponse, trois jours plus tard, à l’occasion d’un forum avec l’équipe du film.
Le réalisateur Marcus H. Rosenmüller reconnaît volontiers que, notamment pour des contraintes de production germano-britannique, il a édulcoré la réalité en taisant certains éléments du passé nazi de Trautmann.
Certains considéreront que c’est une faiblesse du film, d’autres trouveront beaucoup de qualités à cette histoire d’un ancien parachutiste nazi qui troque l’uniforme de la Luttwaffe contre la tenue de gardien de but de Manchester City. Son traitement romantique conduit tout de même à beaucoup de questionnements et de réflexion, n’est-ce pas aussi la mission d’une œuvre ?
Avec, peut-être, mon indulgence à la sortie d’une première projection, je dépose le coupon « J’ai beaucoup aimé » dans l’urne. D’ores et déjà, j’ose ranger The Keeper, un film de mieux-être comme favori du Prix du Public.
Après une autre part de « hatcake », changement de décor avec un second film en compétition : VS. premier long-métrage de Ed Lilly.
VS est l’abréviation venant du latin versus qui signifie contre, opposé à.
Le film se déroule dans le milieu des « battles » de rap. Il tourne autour du personnage d’Adam. Enfant, il a été abandonné par sa mère qu’il va retrouver une dizaine d’années plus tard après avoir été balloté de famille d’accueil en famille d’accueil. C’est dire la rancœur et même la rage qu’il peut manifester légitimement envers la société. En âge d’entrer dans la vie adulte, seul, sans travail, en proie à une grave crise d’identité, il semble voué à l’autodestruction.
Heureusement, Adam est naturellement habile avec les mots et se trouve une raison d’espérer lorsqu’il rencontre Makaya, une jeune fille qui décèle bientôt son aptitude pour les phrases chocs et va lui faire connaître le milieu underground des battles de rap. Adam s’y révèle vite à son avantage.
On pourrait craindre que cet art urbain ennuie voire mette mal à l’aise une certaine bourgeoisie dinardaise dont quelques membres, il y encore peu de temps, sortaient avant la fin de la projection dès qu’apparaissaient à l’écran des scènes de violence et de sexe. Il faut croire que le public a mûri, du moins il a sans doute rajeuni, en particulier en ce mercredi.
Il faut féliciter surtout le réalisateur Ed Lilly qui, avec virtuosité, nous emporte dans ces joutes verbales. Les batailles de rap sont fascinantes, filmées de très près comme des combats de boxe où les adversaires s’affrontent à coups de punchlines. Ils esquivent en se ridiculisant et moquant mutuellement, ils attaquent en frappant fort sur la famille ou la sexualité du rival. Il y a des K.O ou des chaos ? Plus étonnant encore, avec Miss vs Adam, on assiste à une battle entre fille et garçon, c’est aussi cela la parité.
C’est le petit regret que l’on peut avoir lorsqu’on manie mal la langue de Shakespeare, plus encore dans le registre lexical du rap, les sous-titres français ne restituent pas toute la richesse littéraire (notamment des rimes) de ces bagarres oratoires qui dégénèrent possiblement en bagarres physiques.
Plus qu’un exutoire, les battles jouent un rôle de rite initiatique pour Adam qui, encore vulnérable, découvre la duplicité du monde des adultes. Il rencontre sa mère qui travaille dans un salon de coiffure de la même ville, il voudrait commencer une histoire d’amour avec Makaya.
Le film apparaît très dur par son propos, son montage au couteau, sa logorrhée, sa puissance sonore, et pourtant, au final, on en ressort curieusement avec une forme de bien-être, à l’image de la colère d’Adam qui évolue vers une non-violence créative. La scène finale est magnifique et émouvante : pour une fois, abandonnant les ambiances enfumées et sombres des caves, la battle se déroule en extérieur sur la digue de Southend-on-Sea. Comme un bol d’air pour Adam qui aperçoit sa mère, en retrait de la meute des rappeurs. « Ce ne sont que des mots, maman ! » Comme un pied de nez à sa chienne de vie ? De l’amour, tout simplement !
Comme d’habitude, il faut féliciter la brochette de jeunes acteurs talentueux avec à leur tête, Connor Swindells dans le rôle d’Adam.
Par sa modernité de forme et de fond, VS. possède les atouts pour séduire le jury de festival. En tout cas, je dépose encore un coupon « J’ai beaucoup aimé » dans l’urne. Quelle chance ai-je eu de vivre une jeunesse insouciante et heureuse !
Il est presque 15 heures, on tire un trait sur le sandwich jambon-beurre afin de nous glisser à un rang honorable dans la file d’attente pour la projection d’un troisième film en compétition : Cordelia du réalisateur Adrian Shergold qui avait présenté déjà à Dinard, il y a quelques années, The last Hangman, l’histoire d’Albert Pierrepoint l’un des derniers bourreaux du Royaume-Uni, magistralement interprété par Timothy Spall.
Nous l’apprendrons plus tard, l’héroïne Cordelia garde un profond traumatisme d’un terrible événement survenu 12 ans auparavant : l’attentat à la bombe du 7 juillet 2005 dans le métro de Londres tandis qu’elle venait de céder sa place assise à un non-voyant.
L’action du film est concentrée sur un week-end durant lequel l’univers de Cordelia, toujours fragile émotionnellement, va imploser. Elle occupe un appartement en sous-sol avec sa sœur Caroline et Matt le nouveau petit ami de celle-ci. Tandis que ceux-ci s’échappent pour un week-end en amoureux, Cordelia se retrouve seule avec de mystérieux voisins : un troublant violoncelliste, un vieil homme excentrique, un harceleur et même une invasion de souris.
La musique adoucit les mœurs … pas si sûr ! Quelles sont les motivations réelles du séduisant violoncelliste ?
À la sortie de la projection, chacun livrera sa propre compréhension du film, évidemment la bonne. Pour ma part, je resterai beaucoup plus prudent.
Car après une première partie où il brosse un portrait psychologique plutôt fin de Cordelia, Adrian Shergold nous embrouille, proposant au spectateur de nombreuses pistes de réflexion oscillant entre réel et imaginaire voire fantastique. Les événements antérieurs se sont-ils produits ? Ce week-end est-il réel ? Est-ce que Cordelia déraille complètement, est-ce le fruit de son imagination ?
Plus la narration avance, plus elle nous échappe. Plutôt qu’y trouver maladresse voire de légères incohérences du scénario, c’est mon jour de mansuétude, je préfère voir un petit quelque chose en lui de Polanski !
Il fut un temps encore récent où nous aurions rejoint dare-dare la queue pour la projection du quatrième film de la sélection officielle.
Nous préférons, en ce début de soirée, les coussins moelleux de la terrasse du café La Fonda avant d’aller dîner À l’abri des flots. Pour moi, ce sera un ceviche de saumon à la mangue suivi d’un merlu grillé aux baies roses.
Jeudi 26 septembre :
C’est presque une grasse matinée car ma programmation débute à 10h 30 (compter une heure de queue tout de même) à la salle Stéphane Bouttet avec Animals, le second long-métrage de la réalisatrice australienne Sophie Hyde, adapté d’un roman d’Emma-Jane Unsworth.
Animals sont des bêtes de scène, ou plutôt d’écran, étranges, en fait deux jeunes femmes Laura et Tyler, meilleures amies depuis dix ans et colocataires dans le quartier géorgien élégant de Dublin, ainsi appelé parce qu’il se développa durant la période de succession sur le trône d’Angleterre de quatre rois George entre 1714 et 1830.
Inséparables, elles écument les bars, guidées par leurs désirs hédonistes, la trilogie « festive » sexe alcool et drogue. Rares sont les scènes où l’on ne voit pas les héroïnes un verre à la main, qu’il soit midi ou minuit. Un poète coquin flatte même Laura : « J’aime la façon dont tu bois, c’est avec un vrai sentiment de mortalité ! ».
Bref, c’est encore le genre de film à l’occasion duquel, il y encore peu de temps, quelques spectateurs seraient sortis avant la fin de la projection ! Cette époque semble révolue, « cinéphiliquement parlant », heureusement. Le public se « dédinardise » et rajeunit.
Car, je vous le vends peut-être maladroitement mais Animals est un film du « vingt-et-unième siècle », original, décalé, déjanté, d’où se dégage étonnamment une forme de joie de vivre.
Rares sont les histoires de femmes évoquant la crise de la trentaine. Pour Laura et Tyler, il est peut-être temps d’abandonner leur jeunesse oisive et turbulente et d’envisager autrement leur existence. L’âge adulte est une prison et l’idée vient d’en changer, du moins dans l’esprit de Laura au travers duquel la narration progresse.
La vie va s’en charger, d’abord quand Jean, la sœur cadette de Laura, lui annonce qu’elle attend un heureux événement, ensuite lorsque Laura fait la connaissance de Jim, un pianiste beaucoup plus conformiste, dont elle tombe immédiatement amoureux. Pseudo romancière, écrivant au rythme d’une page par an (!), Laura prend conscience que pour se réaliser personnellement, elle doit prendre ses distances vis-à-vis de Tyler la rebelle pour qui le mariage et la maternité sont des instruments pour étouffer la femme (« l’échec est le conte de fées »). Leur amitié va basculer d’une complicité débauchée à une confrontation sauvage.
Cette peinture sociale intimiste aurait pu être glauque mais, au contraire, Animals, avec sa forme indisciplinée (« sauvaaaage » comme dirait Delon dans une pub !), relève de la comédie empreinte d’émotion et même de romantisme.
Les deux actrices majeures (vraiment ? !!!) du film sont remarquables : Holliday Grainger dans le rôle de Laura et Alia Shawkat dans celui de Tyler.
Je ne manque pas de mentionner l’apparition furtive et métaphorique, à plusieurs reprises, d’une araignée emberlificotée dans sa toile et d’un renard errant dans les rues de Dublin : de vrais animaux presque sauvages, en tout cas non domestiqués, en marge des Animals humains et leurs tourments existentiels.
La bande son, alternance subtile de musiques classique et contemporaine, est agréable.
Voilà un film qui pourrait séduire aussi un jury audacieux…
Aujourd’hui encore, le traditionnel « jambon beurre » de midi passe à las. Horaire oblige, le ventre creux, nous ne pouvons que dévorer des yeux les candidats spectateurs, mordant dans leur « chic » club-sandwich triangulaire, en patientant pour la séance suivante : Red Joan, un film de Sir (anobli par la reine pour ses services rendus au théâtre) Trevor Nunn projeté en avant-première.
Inspiré, avec une certaine liberté, de faits réels, et adapté d’un roman à suspense, le film raconte, en mode flashback, la relation amoureuse de Joan, une jeune physicienne anglaise, avec Léo, un russe juif, séduisant agent soviétique déterminé à percer le secret de la bombe atomique pour « rétablir l’égalité » entre les deux grandes puissances américaine et russe. Alors qu’Américains, Anglais et Russes luttent ensemble contre le nazisme, les différences idéologiques nourrissent un climat de rivalité et de suspicion dans les milieux universitaires présageant la future guerre froide.
Cette histoire ne fut mise à jour que bien des années plus tard, à savoir, dans la réalité, avec la découverte en 1999 d’un agent du KGB en la personne de Melita Norwood, une fonctionnaire britannique alors âgée de 87 ans.
Est-ce trahir son pays que de vouloir comme Joan éviter un nouvel Hiroshima ? Le monde aurait-il été plus sûr si la Russie n’avait pas acquis la bombe atomique aussi rapidement après les États-Unis ? La question des armes de destruction massive est toujours d’actualité avec le plan signé en juillet 2015 à Vienne par six grandes puissances (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne) avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire, un accord signé par Obama et dénoncé depuis par Donald Trump.
Le film traite, à la manière d’un thriller, les problèmes de conscience, d’éthique et de géopolitique, à deux époques différentes, des « deux femmes », la jeune étudiante Joan interprétée par la jolie Sophie Cookson et la Joan octogénaire composée de manière convaincante par Judi Dench.
Selon les générations, la compréhension (ou pas) du dilemme si complexe incarnée par le fils de Joan, avocat, basculera vers l’une ou l’autre.
Par la réflexion qu’il suscite, Red Joan est un film très honorable.
À défaut d’un fish and chips au sympathique Rock Café et sous les cris moqueurs d’un goéland (les ornithologues disent réellement de cet oiseau marin qu’il raille) dévorant quelques détritus du marché, nous mettons le cap maintenant vers la Cornouaille., enfin… plus modestement vers la structure gonflable Alfred Hitchcock pour assister à la projection d’une autre avant-première, Fisherman’s friends, second long-métrage du jeune réalisateur anglais Chris Foggin.
J’espère que vous n’allez pas me cataloguer de spoiler (quel jargon ! mais bon, c’est un festival du cinéma britannique) si je vous raconte le début du film.
En 2010, à Port Isaac dans les Cornouailles. Jim et son équipage partent aux aurores pour aller pêcher le homard. À Londres, Danny et ses potes, un panier de crabes bossant dans une maison de production musicale, partent eux, le soir, enterrer la vie de garçon de Rob, dans ce paisible port de pêche de la côte atlantique.
Choc de cultures entre le dur labeur et la probité des travailleurs de la mer et l’oisiveté, la superficialité et l’arrogance de ces jeunes mecs de la ville qui découvrent bientôt que ces péquenots de Cornouaille sont des marins chanteurs. Les requins londoniens décident alors de leur faire enregistrer un disque et de les produire, d’abord sur le ton de la plaisanterie et du canular, ensuite plus sérieusement, money money, parce qu’ils décèlent du potentiel.
Le réalisateur Chris Foggin s’est inspiré très librement de l’histoire vraie du groupe des « amis du pêcheur » (Fisherman’s friends est à l’origine le nom de pastilles rafraîchissantes contre le mal de gorge et la toux), une dizaine d’hommes de Port Isaac qui interprétaient des chants de marins. Après s’être produits localement, leur notoriété gagna l’intérieur des terres jusqu’à signer un contrat d’enregistrement avec Universal Music en 2010 puis entrer dans les dix meilleures ventes d’albums des charts britanniques, chanter pour la reine aux célébrations de son jubilé en 2012 et monter sur scène au mondialement renommé festival de Glastonbury.
Un vrai bol d’air à pleins poumons dans ce petit bout du monde : « Une fois que vous avez traversé la Tamar (le fleuve séparant la Cornouaille du reste de l’Angleterre), vous n’êtes plus en Angleterre. Nous sommes une terre à part » clame fièrement Jim, l’un d’eux, comme pour décourager les « emmet » (fourmis dans leur patois local), ces vagues de touristes impolis qui rappliquent chaque été sur la côte, et en particulier ces quatre « musicos », en vestes de cuir et chaussures vernies, débarqués de Londres, qui commencent par se moquer quand ils se retrouvent dans un concert en plein air, organisé localement, sur le ponton du port.
Quand le vent soufflera, nous nous en allerons (de requin !)… Évidemment pas et nous restons à quai à écouter ce « groupe de rock’n’roll de 1752 », ainsi se définissent ces marins chanteurs, qui font souffler la bourrasque en entonnant a cappella des shanties, de vieilles chansons de marins aux couplets pas toujours recommandables (vous n’aurez tout de même pas droit au paillard The Whores of Baltimore !).
À Port Isaac, on a ancré viscéralement en soi la mémoire des aïeux, l’histoire du village avec ses figures, ses drames, ses peines, qu’on évoque devant quelques pintes de bière … évidemment en chantant.
On sympathise d’emblée avec ces vieux loups de mer chanteurs (la majorité sont des septuagénaires) souvent barbus, ces gueules d’atmosphère burinées par les embruns. Emporté par leur joie de vivre, on a envie d’enlacer le bras du voisin et se balancer sur notre fauteuil. Cela me rappelle une séquence de l’inénarrable Marche à l’ombre où le malingre Michel Blanc, emporté par l’allégresse celtique, renversait son bock de bière !
Fisherman’s friends est aussi une romance car l’un des requins Danny, superbement interprété par Daniel Mays, plutôt poisson d’eau douce, à travers les beaux yeux d’Alwyn, la fille de Jim le leader du groupe, jouée par Tuppence Middleton (un nom de princesse !), finit par s’intéresser sérieusement et sincèrement aux valeurs artistiques du groupe.
On frissonne lorsque Danny l’enregistre dans l’église du village. On rit, lorsque vient le temps de se faire entendre par la maison de disques à Londres, les malicieux marins pêcheurs portent des lunettes de soleil comme la bande de Reservoir Dogs de Quentin Tarentino.
Fisherman’ friends ne se raconte pas, ça se vit, d’ailleurs tandis que le générique défile sur l’écran, le public ravi tape des mains sur un dernier chant de marin, j’espère qu’il ne s’agit pas de The whores of Baltimore ! Depuis une page, je sens bien que je vous intrigue avec ce refrain. Au risque de censure, en voici le premier couplet : « Il y avait quatre vieilles putes de Baltimore Buvant le vin rouge sang Et toute la conversation était « Le tien est plus petit que le mien » » …
Comme d’habitude, les acteurs sont magnifiques. On retrouve même parmi les Fisherman’s friends Dave Johns le Daniel Blake de Ken Loach et l’un des premiers supporters de The Keeper.
Même s’il est moins abouti, Fisherman’s friends possède la même veine jubilatoire que The Full Monty de Peter Cattaneo (Hitchcock d’or en 1997) avec ses chômeurs de Sheffield qui s’inspirent des Chippendales pour monter un groupe de stripteasers, ou encore Les Virtuoses de Mark Herman avec l’histoire de la fanfare d’une petite ville minière qui accomplit son rêve de jouer au Royal Albert Hall de Londres.
Le cinéma britannique n’a pas son pareil pour traiter avec légèreté des sujets graves et nous offrir des comédies sociales où les feux de la rampe éclairent des sans-grades de la classe ouvrière.
Des écrivains britanniques ont su avec verve se moquer de nos traits de caractère, n’y aurait-il pas, après ce conte de fée des « cirés jaunes », un réalisateur d’outre-Manche pour s’emparer avec talent de la crise de nos gilets jaunes ?
On sort de la projection avec la pêche, non pas celle hauturière, mais la gnaque !
Allez, nous allons boire notre chope d’Affligem au Marché des Anges. Je ne résiste pas à vous offrir l’autre bol d’air marin des WC de l’établissement !
Ce soir, nous refaisons le monde du festival à L’Attiseur, au menu : tartare de poissons et sa vinaigrette d’agrumes, cassolette de haddock œuf poché pleurotes et jeunes poireaux, fondant au chocolat et glace vanille. Il manque juste quelques shanties (chants à l’origine pour accompagner et synchroniser le travail de l’équipage au bon temps de la marine à voile) des Cornouailles !
Dans le prochain billet, je vous relaterai la suite de notre Dinard film Festival.

Vous pouvez laisser une réponse.
Moins courageuse que vous je n ai pas assisté à tous les films. Mais votre compte-rendu du Keeper, des Fisherman’s friends et de Red Joan emporte toute mon adhésion et mon admiration pour la justesse de toutes vos analyses.Un régal.
Ps la chanson des marins très connue, m a dit une amie, est celle du « marin saoul ».