Mon Festival du Film Britannique de Dinard 2019 (2ème partie)
Pour le compte-rendu des deux premières journées du festival, cliquer ici :
http://encreviolette.unblog.fr/2019/10/19/mon-festival-du-film-britannique-de-dinard-2019-1ere-partie/
Vendredi 27 septembre :
Ce matin, nous prévoyons d’en terminer avec les projections des films en compétition pour le Hitchcock d’or à l’auditorium Stephan Bouttet.
Et d’abord, The Last Tree du réalisateur noir Shola Ammo qui avait auparavant sorti un documentaire multimédia expérimental sur la gentrification de Brixton, un quartier au sud de Londres dont les minorités ethniques et la classe ouvrière ont été peu à peu chassées par la hausse des prix. On connaît aussi ce phénomène dans les grandes métropoles françaises.
Shola Amoo s’inspire cette fois de sa propre jeunesse pour raconter l’enfance déracinée de Femi, un jeune garçon britannique d’origine nigériane. Celle-ci commence, de manière heureuse semble-t-il, avec Mary, sa mère adoptive aimante blanche, dans la zone côtière et rurale du Lincolnshire.
Femi s’éclate sur les étendues plates du Walsh baignées d’une belle lumière dorée, qui lui servent de terrains d’aventure avec ses camarades blancs.
Tout bascule avec l’arrivée de Yinka, la mère biologique de Femi, qui souhaite reprendre son fils maintenant qu’elle a trouvé un emploi et un endroit pour vivre. Malgré la promesse de Mary de tout faire pour en conserver la garde, Femi se retrouve bientôt transplanté dans la grisaille d’un quartier du sud de Londres, un peu sordide, qui détone des paysages lumineux du Lincolnshire.
C’est un changement de vie bouleversant pour Femi. Sa mère l’élève alors de manière très autoritaire, lui imposant des tâches ménagères, un respect sévère, le tabassant même.
À l’école aussi, Femi trouve difficilement ses marques au milieu de ses camarades noirs et citadins qui se moquent de son héritage africain, notamment son prénom. De manière symbolique, il écoute la musique de The Cure dans son casque mais leur déclare sa passion pour Tupac Shakur, poète et acteur américain assassiné à l’âge de 25 ans et souvent considéré comme étant l’un des plus grands rappeurs de tous les temps.
Dessous sa carapace de douceur, Femi glisse peu à peu vers une certaine violence
Il manifeste quelque intérêt pour Tope, une lycéenne aux tresses violettes, qui connaît elle-même des problèmes de racisme et d’identité, mais semble mieux les affronter. Un des ses professeurs comprend les tourments qui envahissent Femi et tente de l’aider.
Troisième partie du film, réconcilié avec sa mère, ils s’envolent pour le Nigéria et Lagos afin qu’il fasse connaissance avec son père biologique devenu un pasteur chrétien opulent. Chez lui, tout est décoré à la feuille d’or « Pourquoi nous as-tu abandonnés ? » demande Femi. « Elle ne savait pas quelle transgression c’était ! ».
Vous avez compris, The Last Tree, ce Femi des villes et Femi des champs, est plein de bons (et de mauvais aussi !) sentiments qui me remuent. Encore une fois, je prends conscience de la chance que j’ai eue.
Shola Amoo, le réalisateur sait avec habileté donner des couleurs et des sons appropriés aux trois endroits, Lincolnshire Londres et Lagos, où l’histoire se déplace. Les arbres sont un symbole discret mais puissant d’une vie toujours possible.
Comme d’habitude, je me répète, les acteurs sont excellents, bien sur Femi que l’on retrouve, selon l’âge de l’enfance et de l’adolescence, sous les traits de Tai Golding puis Sam Adewumni, Denise Black dans le rôle de la mère nourricière ainsi que Gbemisola Ikumelo la mère biologique.
The Last Tree pourrait aussi postuler au Prix du Public. Avec tendresse, il nous invite à réfléchir sur les problèmes de racisme, d’identité, ajoutons la religion, qui nous divisent dans notre société.
Allez vite ! Nous nous glissons dans la file d’attente pour la projection de Only you, le dernier film en compétition.
Pour l’instant, c’est (presque) Only Jacques Chirac dont le décès, la veille, fait la Une de Ouest-France et Le Télégramme de Brest, à disposition gratuitement à l’accueil.
Une sympathie s’était tissée entre la population dinardaise et l’ancien président de la République qui effectuait régulièrement des séjours dans la cité balnéaire, à l’invitation de son grand ami, l’homme d’affaires François Pinault.
Only you, premier long-métrage de la réalisatrice Harry Wootliff, n’est pas Coup de foudre à Notting Hill, mais à Glasgow !
Réunis par le plus grand des hasards, sur un malentendu, dans un taxi, un soir de Nouvel An bien arrosé, Elena et Jake tombent éperdument amoureux et ne vont plus se quitter. Il a 26 ans et est DJ pour payer ses études de doctorat en biologie marine. Elle a dix ans de plus (qu’elle va avouer progressivement au cours de la narration !) et travaille dans un centre culturel.
Tout semble les opposer mais vous savez (j’espère) ce que c’est, l’amour a le pouvoir de lever tous les obstacles, et puis le spectateur est bien content que ça fonctionne entre eux. Les deux tourtereaux respirent tellement la sympathie, d’autant plus qu’ils sont interprétés par deux jeunes acteurs exceptionnels de justesse, l’espagnole et même catalane Laia Costa et le britannique Josh O’Connor (futur Prince Charles dans The Crown) qu’on avait découvert à Dinard dans The Riot Club en 2014 puis surtout dans Seule la Terre, Hitchcock d’or 2017.
DJ oblige, ça roucoule sur le slow I want you d’Elvis Costello. À défaut, je vous offre le clip officiel :
On craint de s’installer dans une romance gentillette jusqu’à ce le couple forme le projet d’avoir un enfant. On bascule bientôt dans le mélodrame devant son incapacité à créer une descendance. Cela vire même à l’obsession et la réalisatrice force même le trait en multipliant les séquences de fêtes et invitations où Elena et Jake se retrouvent en présence de poupons délicieux et de mères rayonnantes. Les pauvres !
Rien ne nous est caché depuis les tests négatifs jusqu’à la fécondation in vitro dont le champ d’application demeure encore d’actualité dans de nombreux pays.
Je craque devant les yeux remplis de larmes d’Elena et Jake à chaque test de grossesse infructueux. On voudrait bien que ça « marche » ! Ils sont si attachants mais leur amour résistera-t-il aux épreuves de la vie ?
Un indice ? On réentend Elvis Costello à la fin du film !
Cette fois, je ne zappe pas le sandwich de midi (il est en fait presque 15 heures !) et clin d’œil, la table du Rock Café, où je déguste mon jambon de Bayonne beurre (et même fromage), rappelle la pochette de Nevermind, l’album culte du groupe Nirvana, avec le bébé nageur tentant (ou pas !) de saisir un billet d’1 dollar accroché à un hameçon. Symbole d’un appât illusoire pour une génération désenchantée !
Petite anecdote de cette mémorable pochette … où le zizi du bambin est visible : la maison de disques désirait l’enlever de l’image, mais le leader du groupe Kurt Cobain déclara que le seul compromis qu’il accepterait serait une vignette masquant le pénis sur laquelle serait écrite « Si cela vous choque, vous devez être un pédophile en puissance ».
On ne traîne pas au café car, même si notre prochain film n’est programmé qu’à 17 heures 30, on pressent qu’il va y avoir foule dans les deux salles du cinéma Émeraude pour assister à l’unique projection en avant-première de Sorry, We missed You, le « nouveau Ken Loach » comme on dit quand il s’agit des plus grands noms du cinéma : récompensé par la Palme d’or à Cannes pour Le vent se lève (2006) et Moi, Daniel Blake (2016), plusieurs prix du Jury sur la Croisette, ainsi que des César. Un sacré bonhomme qui, à 83 ans, continue à être en lutte contre l’injustice sociale, toujours du côté des travailleurs exploités :
« Nous avions avec Paul (Laverty son scénariste) de grandes discussions sur la façon dont le monde du travail évoluait, comment l’on passait d’un travail sûr à un travail précaire, d’un salaire décent à un salaire indécent. Tout cela n’a rien d’accidentel. C’est l’aboutissement d’un très long processus entamé par Margaret Thatcher : l’affaiblissement des syndicats, la disparition d’anciennes industries et l’apparition de secteurs d’activité privilégiant la précarité. C’est la conséquence inévitable du « marché libre » et de la concurrence effrénée. Pour faire baisser les prix, il faut réduire les coûts, et, en premier lieu, celui du travail en en modifiant le cadre. Ceux qui ne travaillent pas assez dur, pas assez vite, sont rayés de la carte … Voilà la loi du marché et ce sur quoi l’Union Européenne est bâtie » (interview dans Marianne du 24 octobre 2019)
Cette fois, Ken Loach dénonce les ravages de l’ubérisation à travers le destin cabossé d’une famille de Newcastle, ancienne ville ouvrière qui constituait déjà le décor de Moi, Daniel Blake.
Alors que le menuisier Daniel Blake, atteint d’une maladie cardiaque, ne pouvait plus travailler et affrontait les aberrations kafkaïennes de l’administration pour faire valoir ses droits, Sorry, We missed You s’ouvre sur un entretien d’embauche, a priori positif mais qui s’avèrera tout aussi destructeur.
C’est l’histoire poignante et révoltante d’une famille soudée et courageuse mais endettée. La mère trime comme auxiliaire de vie auprès de personnes âgées ou handicapées. Ricky, le père, après avoir fait un tas de petits boulots dans le bâtiment, se met à son compte comme chauffeur-livreur pour une plateforme de vente en ligne. Le chef du dépôt met en avant la prétendue liberté dont Ricky va bénéficier comme auto-entrepreneur, tout en insistant bien sur les cadences à respecter, les objectifs à tenir.
Le bout du tunnel ? On aurait envie de le croire quand on voit partir en tournée en camionnette Ricky et sa fillette adorable mais tellement naïvement lucide sur les dangers du « gun », un boîtier ultra-perfectionné multifonctions, chargé principalement de scanner les codes-barres mais plus encore, de surveiller en permanence les faits et gestes du chauffeur. Dans la course contre le temps et donc le chiffre, fonce, cours ou crève, il est même contraint d’emporter une bouteille pour satisfaire ses besoins pressants.
Ces tournées harassantes ont bientôt des répercussions désastreuses sur la vie familiale réduite à chagrin : l’épuisement, l’irritabilité, les colères, les disputes le fils en rébellion et en décrochage scolaire … C’est ma faute martèle fréquemment le père. Mais non ! Ce n’est pas sa faute, ni même à Voltaire, mais à UBER !
Les acteurs sont admirables et criants de justesse et pour cause, certains, professionnels depuis peu, connaissent bien la classe ouvrière. Kris Hitchen, qui incarne le père, a été chauffeur durant vingt ans. Debbie Honeywood, la mère, a grandi dans le monde ouvrier et travaillé avec des enfants en difficulté. Issus des couches populaires de la société, ils respirent le travail par leur façon de s’exprimer, de se mouvoir, de manger, de vivre tout simplement.
On sort de la projection, bouleversé, ébranlé, à double titre. D’abord, dans nos convictions nourries, gavées plutôt, notamment par les images en boucle, des dizaines de samedis durant, des chaînes d’infos à propos du mouvement de nos gilets jaunes.
La fiction proposée par Ken Loach, cinéaste engagé, enragé, insoumis (ce n’est pas un gros mot !), tendre, profondément humain, dénonce la réalité violente de la société actuelle. Elle possède la puissance du documentaire ou reportage et est tellement plus efficace et instructif que les litanies d’experts sur les plateaux de télévision.
Chez nous, l’œuvre intimiste de Robert Guédiguian et les brûlots de François Ruffin (le césarisé Merci Patron et le récent J’veux du soleil) suivent les mêmes louables brisées.
Dans un autre registre, Thierry Rajic, photographe et réalisateur de clips, aborde subtilement les mêmes questions sociales à travers les portraits de ses « javanais » et voisins (relire mon billet sur son exposition : http://encreviolette.unblog.fr/2019/09/20/thierry-rajic-artiste-citoyen-et-engage-expose-au-giron-dart/comment-page-1/ .
Ensuite, on est ébahi par l’exceptionnel savoir-faire de Ken Loach, ce vieux monsieur si jeune dans ses idées et sa manière de filmer. Dans Sorry, We missed You comme dans I, Daniel Blake, on ne relève aucune fioriture, aucune longueur, aucune faute de scénario ou erreur de casting : toute la différence entre un immense cinéaste de notoriété mondiale et les bons (et parfois très bons) films que nous propose le Dinard Film Festival.
Quelques mots encore de Ken Loach : « La vapeur seule ne suffit pas à conduire la machine à vapeur. Le changement passe forcément par la lutte politique. Les cinéastes ne peuvent pas s’arrêter quand le film est fini. Ils doivent l’accompagner, rencontrer le public, prendre part aux réunions syndicales et politiques, voter. Être actifs, tout simplement ! … Quand on voit des gens à genoux se relever, nous avons l’obligation absolue de nous tenir debout, droits, à leurs côtés ».
Lors de forums pour la promotion du film en Grande-Bretagne, Ken Loach et ses deux acteurs principaux, ont reconnu qu’ils avaient voté Stay (reste) sur la question du Brexit ! Un dilemme !
Sorry, We missed You sort sur les écrans français fin octobre, vous m’avez compris …
Ce vendredi soir, la conversation ira bon train à notre table du Sadi 2 devant un bar de ligne entier (1,2 kg quand même !) sur ardoise, partagé à deux !
Je me souviens qu’en tant que président de ma copropriété, j’avais fustigé un livreur de colis qui circulait anormalement en camionnette dans les allées piétonnes : il m’avait répondu, « ne m’agressez pas, j’ai des objectifs ! » Sorry !
Samedi 28 septembre :
C’est mon dernier jour de festival, des obligations m’obligeant à rejoindre l’Ile-de-France avant lundi.
C’est le premier jour des grandes marées et, ce matin, les employés municipaux s’affairent sur la plage de l’Écluse pour procéder aux mesures de sécurité.
Exceptionnellement, nous accédons à la salle du Balneum par le palais des Arts pour la projection des Shortcuts, les dix courts-métrages en compétition, sous les yeux du jury présidé par le populaire et talentueux réalisateur Shane Meadows. Il remporta le Hitchcock d’or en 2004 avec Dead Man’s Shoes. Il offrit aussi en avant-première la plupart de ses films au public de Dinard, notamment son plus grand succès This is England et son documentaire musical The Stone Roses. Lui aussi sait filmer magistralement les affres de la société britannique.
Beaucoup de réalisateurs ont fait leur apprentissage avec des shortcuts avant de se lancer dans le long-métrage.
Les spectateurs sont invités à cocher leur film préféré dans la liste qui leur est fournie à l’entrée. J’hésite pour ma part entre Capital de Freddy Siborn et The 1st de Mark Waites, aussi jubilants l’un que l’autre, même si le premier traite d’un sujet de société éminemment sérieux.
En effet, suite à un référendum sur la peine de mort qui a rallié 50,9% des voix en faveur du retour de la pendaison, une équipe de jeunes fonctionnaires se rencontrent le jour de l’ouverture du nouveau ministère de la peine de mort avec comme lourde tâche de rendre au peuple britannique le pouvoir de pendre.
On assiste aux échanges de points de vue et arguments souvent farfelus ou ineptes entre ces technocrates incompétents. On rit aux éclats mais aussi … un peu jaune car on imagine, derrière cette satire qu’on n’est pas si loin d’une certaine réalité et que, parfois, certaines décisions puissent être prises en haut-lieu de manière aussi désinvolte en méconnaissance du sujet … le Brexit par exemple ?
Le propos de The 1st est beaucoup plus futile. « J’ai toujours été réalisateur mais je ne réalisais pas ». On assiste au tournage en studio, sous la direction d’une jeune réalisateur arrogant, imbu de lui-même et donc novice, d’une publicité de 30 secondes dans laquelle un mur de 2 500 bouteilles de lait vides doit être dynamité et filmé au ralenti. L’équipe travaille dur pour empiler les bouteilles, tout semble bien se passer sauf que le premier assistant réalisateur est souffrant et son remplaçant maudit. Pauvre réalisateur qui, désemparé, s’interroge sur ce qu’il faut écrire sur l’instant de l’explosion ! Il parodie Magritte sans le savoir : « Ce ne sont pas des bouteilles de lait tant qu’il n’y a pas de lait dedans » !
Douze minutes d’éclats de verre, de rires pardon, garantis durant lesquelles tous les archétypes d’un tournage sont … tournés en dérision ! Les acteurs excellents semblent eux-mêmes ne pas se prendre au sérieux et composer au second degré. Délicieusement British ! Je vote pour !
Il est midi et, sur le chemin vers la salle Hitchcock, nous faisons une halte à la terrasse ensoleillée du Rock Café. Cette fois, nous choisissons de nous asseoir à la table dédiée à Abbey Road, l’album mythique des Beatles.
Le temps qu’on me prépare mon « délicieusement franchouillard » sandwich jambon beurre fromage, je vous raconte la genèse de la tout aussi mythique pochette.
Il faut revenir un demi-siècle en arrière, précisément le 8 août 1969, à Londres. Paul Mc Cartney, John Lennon, George Harrisson et Ringo Starr enregistrent leur nouvel album dans les studios EMI sis à l’angle d’Abbey Road. Ils envisagent de l’appeler Everest en référence aux cigarettes fumées par leur ingénieur du son et, du coup, d’aller faire la photo de la pochette sur le célèbre mont du massif de l’Himalaya. Le voyage est trop coûteux pour un simple cliché. McCartney propose alors banalement de sortir dans la rue en bas des studios et d’intituler l’album du nom de cette artère.
À 11h 30 du matin, Iain MacMillian, un photographe écossais, monté sur un escabeau, prend une série de clichés immortalisant les 4 Beatles qui traversent le passage piéton au croisement de Grove End Road et Abbey Road. Seul un badaud a échappé à la vigilance des policiers qui bloquent la rue, cela pourrait être le point de départ (l’incipit pour faire savant !) d’un roman : l’homme qui a vu les Beatles traverser Abbey Road en file indienne !
Sémiologie de l’image : les célèbres chanteurs tournent le dos au studio et semblent s’en aller vers un ailleurs. À l’époque, bruissaient des rumeurs de leur séparation : Abbey Road fut leur dernier album enregistré car Let it Be, l’ultime chronologiquement, avait été enregistré auparavant.
C’est pour cela que cinquante ans plus tard, dans ce quartier résidentiel de Londres, des touristes sexagénaires (de plus jeunes aussi) sont toujours nombreux à prendre la pose et se photographier sur le passage piéton, provoquant des embouteillages !
Here comes the sun, même à Dinard cet après-midi ! Allez, un café (bien que je ne m’assoupisse jamais au festival !) et c’est parti pour une autre avant-première, Denmark, d’Adrian Shergold, celui-là même qui a réalisé Cordelia.
Décidément, aujourd’hui, on baigne dans l’autodérision : le héros Herb, interprété par Rafe Spall lui-même fils de l’immense acteur de Timothy Spall qui avait incarné le Mr Turner de Mike Leigh, est un Gallois, chômeur, abandonné par sa femme, sans nouvelles de son fils. Il décide de changer de vie après avoir vu un reportage dans un journal télévisé : les prisonniers danois semblent être mieux lotis que lui dans leurs prisons « dorées », avec un travail, des soins de santé, le calme de la campagne et même une télé HD. Aussi, n’ayant plus rien à perdre et un peu à gagner, il embarque clandestinement sur un cargo avec le projet loufoque de se faire arrêter et incarcérer dans une prison danoise où l’eau et les lits sont chauds.
Herb se retrouve ainsi, au pays d’Andersen, dans une ville pittoresque avec tout ce dont il a besoin y compris une banque à braquer. Mais rien ne va se passer comme prévu dans son odyssée a priori morbide. Et lorsqu’il y croise une barmaid éminemment sympathique (je confirme) et … un chien errant qui lui colle bientôt aux basques, Herb commence à s’interroger si la prison est vraiment son unique chance d’être épanoui.
Et puis, et surtout … n’est pas forcément un criminel crédible, qui croit l’être ! Quelle idée de cultiver une ambition aussi saugrenue que de vouloir se faire emprisonner dans un pays où les prisonniers mèneraient une vie plus agréable que les laissés-pour-compte du système d’aide sociale chez soi !
Denmark est un film optimiste, tendre, drôle, détendu et, pourtant en toile de fond, une fois encore, sont esquissés la précarité et le mal-vivre.
Nous sortons de la salle en hâte (maudit tourniquet) pour rejoindre la file d’attente de la projection suivante. Nous avions oublié que c’est samedi et que beaucoup de Rennais et même Parisiens rejoignent leur résidence de la Côte d’Émeraude pour le week-end. Malgré notre carte pass, la queue est trop longue pour espérer entrer.
Adieu donc Mr. Jones de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland !
Changement donc de programme, nous téléphonons au restaurant que nous avions choisi pour repousser notre venue à 21h 30. Puis assis à la guinguette installée sur le parking, à la recherche du temps perdu, nous bavardons avec la charmante hôtesse britannique à l’accueil de la salle Hitchcock. Cinéphile avertie, elle faisait partie en juin de l’organisation du festival du film de Cabourg qui, en référence à Marcel Proust, récompense les lauréats avec un Swann d’or.
Pour notre dernier film, le public est clairsemé, beaucoup de « festivaliers » ayant sans doute préféré s’agglutiner autour du cinéma Émeraude pour le « tapis rouge » des membres du jury et les équipes d’acteurs à l’occasion de la proclamation des résultats.
Nous partons, hors saison, dans le Sussex sur les falaises crayeuses qui enchâssent la petite station balnéaire de Seaford. C’est là que l’écrivain scénariste (nominé aux Oscars avec Gladiator) William Nicholson, plante le décor de son film Hope Gap présenté en avant-première.
Il bénéficie de ma part un préjugé favorable du fait de son casting prometteur : l’actrice et comédienne américaine Annette Bening à la riche filmographie (me viennent à l’esprit Valmont de Milos Forman, American Beauty de Sam Mendes, Open Range de Kevin Costner), le toujours épatant, éclectique, pince-sans-rire, cabotin parfois, Bill Nighy, et un des fleurons de la jeune génération britannique Josh O’Connor dont j’ai déjà vanté le talent.
En ouverture du film, justement sur le promontoire de Hope Gap, Grace alias Annette Bening évoque les jours heureux où son fils Jamie, alors enfant, aimait se promener dans ce site pittoresque d’une blancheur éclatante comme épargné par l’usure du temps. Le problème est qu’il y a eu une vie depuis, 33 ans de vie commune …
Grace et Edward forment un vieux couple typiquement britannique. Elle est un brin excentrique et férue de littérature. Elle récite de la poésie et concocte une anthologie de versets recouvrant toute la gamme des expériences humaines. Lui, professeur d’Histoire, est silencieux, impassible, attaché à l’immuable rituel du thé, passant ses soirées à corriger des articles de Wikipedia, toujours consentant à ce qu’elle veut faire, sauf quand elle attend de lui une vraie opinion.
Pour susciter une réaction, devant leur fils Jamie venu de Londres pour le week-end, Grace, au comble de l’exaspération, tire la nappe de la table renversant tous les couverts, avant de se rendre le lendemain à l’office religieux du dimanche comme si rien ne s’était passé. C’est ce moment que choisit Edward pour déclarer calmement à son fils qu’il quitte le foyer aujourd’hui même, qu’il est amoureux d’une autre femme et que Grace n’a absolument pas connaissance de cette aventure parallèle. On comprend très vite que sa décision brutale n’est pas aussi soudaine que cela. Il était malheureux depuis longtemps et n’a plus de temps à perdre.
Les face-à-face entre époux sont rares, et la narration progresse lentement par leurs conversations séparées, artificielles et superficielles, avec leur fils Jamie, peut-être la seule véritable bonne chose à tirer de leur mariage (« ils se sont rencontrés dans le mauvais train » dit Edward !). Mais, finalement, Jamie semble plus préoccupé par le bonheur individuel de ses parents qu’à ce qu’ils restent ensemble.
Cela rend le film un peu monotone, n’effleurant que l’écume des choses. Le divorce est douloureux mais Hope Gap ne l’est sans doute pas assez. Encore que Hope Gap soit un endroit métaphorique pour se jeter à la mer, ne croyez pas que cela n’a pas traversé l’esprit de Grace.
Au final, on en garde un certain plaisir en se concentrant sur les brillantes interprétations d’Annette Bening, Bill Nighy et Josh O’Connor.
Initiative municipale (?), un podium a été dressé sur la chaussée, à quelques mètres du restaurant Ma Pomme où nous avons réservé. Le son assourdissant d’une musique de d’jeuns nuit à la qualité de notre conversation devant un tartare de haddock et un faux-filet sauce roquefort.
Notre Dinard Film Festival s’achève avec un petit détour par le cinéma Émeraude à l’entrée duquel est affiché le palmarès tout fraîchement proclamé.
Le film The Keeper de Marcus Rosenmüller sort grand vainqueur de cette édition 2019 avec le Hitchcock d’or du jury, ainsi que le Prix du Public.
Je ne suis pas surpris outre mesure car, à l’issue de la projection, j’avais émis l’idée qu’il puisse postuler à la récompense suprême. Cependant, je suis un peu déçu qu’un jury présidé par Sandrine Bonnaire ait porté son choix sur ce film très académique. On aurait pu attendre un peu plus d’audace, il a privilégié un coup de cœur.
Le Hitchcock du meilleur scénario revient à VS. de Ed Lilly : rien à redire.
La Critique prime Only you de Harry Wootliff, la romance de cet adorable couple malheureux de ne pas parvenir à avoir un enfant. Les deux héros Laila Casta et Josh O’Connor avaient de quoi séduire. Un regret pour le dérangeant Animals qui repart bredouille !
Shane Meadows et son jury des Shortcuts attribuent le Hitchcock du court-métrage à Widdershins de Sipon P. Biggs, un film d’animation, intelligent et drôle, sur la vie d’un élégant gentleman réglée comme du papier à musique par une armée d’automates.
Le Public a « tranché » autrement en récompensant Capital de Freddy Syborn.
L’association La règle du jeu décerne son Hitchcock Coup de cœur à l’émouvant Pour Sama de la jeune Syrienne d’Alep Waad Al-Kateab et Edward Watts, présenté en avant-première, qui a bénéficié d’un excellent bouche à oreille.
Enfin, un Hitchcock d’honneur récompense l’œuvre du grand réalisateur Mike Leigh. On ne peut que souhaiter que son dernier film Peterloo (un massacre de citoyens dont on commémore le bicentenaire) qu’il était venu présenter, trouve un distributeur en France.
Ainsi s’achève ce trentième festival du film britannique de Dinard : une cuvée fort honorable avec des films plaisants sur des sujets souvent forts qui nous interpellent, et une kyrielle d’acteurs talentueux.
J’ai déjà hâte de me mettre sur mon 31 pour le Dinard Film Festival 2020 avec ou sans Brexit, avec une nouvelle équipe municipale et une nouvelle organisation succédant au directeur artistique actuel Hussam Hindi.