Paris-Nice 2019 dans les Yvelines
Après ma rencontre, dans mon précédent billet, avec le curé Ponosse de Clochemerle et son bréviaire, aujourd’hui, je croise l’abbé Cane aux Bréviaires, petite commune des Yvelines qui accueille les coureurs de Paris-Nice pour le départ de la seconde étape.
J’imagine déjà la tête de quelques-uns de mes lecteurs réfractaires à la légende des Cycles mais j’assume. S’ils sont patients, je leur promets une histoire d’eau en fin d’article.
Depuis 2010, celle qu’on surnomme la Course au Soleil s’élance régulièrement depuis les Yvelines. Cette tradition devrait perdurer au moins jusqu’aux Jeux Olympiques de 2024 dont l’intégralité des épreuves cyclistes sur route et sur piste se dérouleront dans le département.
Vous n’avez donc pas de chance que j’habite une terre amoureuse du vélo : les championnats de France sur route se sont disputés en juin dernier à Mantes-la-Jolie et l’ultime étape du prochain Tour de France partira de Rambouillet pour rejoindre les Champs-Élysées. C’est dire si vous n’avez peut-être pas fini de subir mes élucubrations vélocipédiques.
À plusieurs reprises, je vous ai relaté le départ de Paris-Nice avec le « beau vélo de Ravel » à Montfort-l’Amaury, ou « les mains aux cocottes »… de Houdan (les liens sont à la fin du billet).
Cette année, plus près du peuple au maillot jaune, j’ai snobé l’arrivée de la première étape devant les grilles du château royal de Saint-Germain-en –Laye, lui préférant le départ de la seconde dans le petit village des Bréviaires. Classiquement, celui-ci s’effectue dans une modeste commune du sud des Yvelines pour des raisons essentiellement géographiques, les coureurs se retrouvant ainsi rapidement dans la plaine beauceronne avant leur longue descente d’une semaine vers la Promenade des Anglais ou le sommet du col d’Èze.
Comme le déclare son maire sur le podium de présentation, Les Bréviaires (à quelques kilomètres de Rambouillet), n’a pas grand chose à vendre économiquement, on recense juste une supérette, sinon peut-être un coup de projecteur sur le Haras national en déclin dont il espère une reprise prochaine. Je n’ose contredire le notable avec la savoureuse et implacable pensée du regretté écrivain René Fallet : « Ce n’est pas le cheval qui est la plus belle conquête de l’homme, c’est le vélo. Il n’y a pas de boucheries vélocipédiques. »
Ce matin, on est à la campagne pour des retrouvailles avec un cyclisme à visage humain, plus en contact avec les passionnés de vélo, un parfum d’antan avec la proximité des champions accessibles et disponibles, près des barrières, signant des autographes et sacrifiant aux selfies.
Même si sur la place de la mairie a été dressé un espace Invités réunis autour d’un buffet à l’abri de l’air frisquet. Cocasserie, la municipalité a dû faire face à la demande des organisateurs de fournir 30 kg de glaçons pour l’apéritif.
Entre rayons de soleil (et de bicyclettes) et quelques gouttes heureusement parcimonieuses, la Course au soleil justifie son nom : disputée dans la première quinzaine de mars, elle connaît souvent des conditions climatiques précaires avant de se réchauffer (pas toujours) au soleil printanier de la Côte d’Azur. En témoigne une belle photographie de mon idole transie en couverture du regretté magazine Miroir du Cyclisme.
Dans ma jeunesse, Paris-Nice, première épreuve majeure, lançait véritablement la saison cycliste. Aujourd’hui, à l’ère des jets, les champions ont usé leurs boyaux, depuis plusieurs semaines, sur les routes australiennes du Tour Down Under, argentines du Tour de San Juan, et celles du sultanat d’Oman. Les jambes déjà bronzées des coureurs en attestent.
Le speaker du podium descend au milieu du public majoritairement constitué de retraités. La preuve, l’un d’eux évoque Louison Bobet. Est-ce à cause de mon paletot vert, non pas du classement par points mais Armor Lux, c’est à mon tour de confier au micro ma passion pour le vélo.
Ça tombe bien, j’ai toujours eu un faible pour Paris-Nice depuis mon enfance. Je conserve le souvenir d’une photographie de Jacques Anquetil, lors de sa première participation à l’épreuve, roulant à côté de Fausto Coppi. J’étais fier de voir ma nouvelle idole auprès du campionissimo champion du monde
Les maillots épargnés de marques publicitaires, le casque en cuir de Coppi, la casquette des bien nommés cycles La Perle, les socquettes blanches, les cale-pieds, le porte-bidon … quelle belle image vintage !
Qui plus est, mon champion remporta la course à cinq reprises. Nice very nice disait les vagues aux galets si j’en crois Claude Nougaro !
Le départ est prévu à 12 heures 40, le ramassage des poubelles a été avancé au dimanche, la tournée du facteur reculée à l’après-midi, et cela semble être l’école buissonnière pour les enfants du village, en regroupement avec leurs camarades voisins du Perray-en-Yvelines. Une centaine d’entre eux, revêtus de tee-shirts jaunes, la couleur à la mode, effectue même un départ fictif et une boucle à vélo.
Pour une meilleure sécurité, la préfecture de police de Paris a livré 320 barrières, la commune n’en possédant que cinq. C’est la fête au village !
Les deux anciens champions français Bernard Hinault et Thomas Voeckler constatent que leur popularité ne faiblit guère.
Bernard Hinault au sein de l’organisation
L’heure avançant, les coureurs se dirigent maintenant vers le podium pour émarger sur la liste des engagés. Signe des temps, le paraphe manuscrit est révolu, remplacé désormais par une pression digitale sur un clavier.
Le premier au contrôle est Anthony Turgis, un coureur du cru puisque domicilié, à quelques kilomètres de là, aux Essarts-le-Roi. J’en ferais bien mon favori pour la victoire du jour mais, sponsor oblige, l’époque n’est plus aux sentiments comme du temps où le peloton manifestait une attitude bienveillante à l’égard du régional de l’étape.
Anthony Turgis sur le podium de présentation
Le cyclisme est parfois une histoire de famille. Il y eut avant-guerre les trois frères Pélissier, Henri, Charles et Francis, puis plus tard, trois générations de Danguillaume. Il y a aujourd’hui une véritable dynastie de Gallopin dont Tony, qui monte maintenant sur l’estrade, est le dernier membre en activité, sans doute le plus brillant sportivement. Il a porté le maillot jaune du Tour de France, un 14 juillet, et remporté la grande épreuve espagnole Clasica a San Sebastian.
Son père Joël et ses deux oncles Guy et Alain effectuèrent aussi une carrière professionnelle très honorable mais c’est sans doute grâce à André, un autre oncle, que la famille a été vaccinée avec un rayon de bicyclette. En effet, André, de profession couvreur devint coureur amateur suite à une chute d’un toit qui nécessita l’achat d’un vélo pour effectuer sa rééducation.
J’ai la chance de connaître un peu le destin louable de cette famille, d’origine très modeste, grâce à un ami qui fut instituteur et secrétaire de mairie en Eure-et-Loir et, à ce titre, la soutint dans des circonstances difficiles. Plusieurs décennies plus tard, l’ancien enseignant, au départ d’une étape du Tour de France en Ariège, croisa l’un des Gallopin, Alain il me semble, devenu directeur technique d’une équipe étrangère.
Que croyez-vous qu’il advînt ? L’ancien écolier Gallopin délogea tous les coureurs du luxueux car pullman et, en anglais, exprima les raisons de sa profonde reconnaissance envers son valeureux et bienveillant maître d’école. Belle histoire, non ?
Rien que pour elle, je fais de Tony mon favori de l’étape dont il connaît parfaitement le parcours et les traîtrises.
Les champions se succèdent sur le podium quasiment en file indienne. On ne repère aucun Sioux mais un rusé Colombien Nairo Quintana qui compte déjà à son palmarès un Giro (Tour d’Italie) et une Vuelta (Tour d’Espagne).
Romain Bardet chouchou du public
La fibre patriotique vibre encore et la clameur du public accompagne le passage de Romain Bardet vite happé par les caméras de télévision pour une interview.
Cela s’anime aux abords de la ligne de départ. Motards de la sécurité et véhicules de presse et de l’organisation se mettent en branle. Les écoliers agitent leurs drapeaux. Quelques notables de la région s’approchent pour donner le départ fictif.
Départ de la seconde étape de Paris-Nice 2019 aux Bréviaires (vidéo Encre violette)
Voilà, ils sont partis pour une course de 165 kilomètres, contre le vent qu’on prévoit violent, et qui les conduit à Bellegarde dans le département du Loiret.
J’ai bien envie d’en voir les péripéties à la télévision mais, auparavant, j’ai prévu d’effectuer une petite promenade historico-géographique autour des Bréviaires.
Il est encore question de soleil mais, cette fois, il ne s’agit plus d’une course cycliste mais d’un roi et d’une chasse à l’eau. En effet, les millions de touristes qui se promènent dans les jardins du château de Versailles et du Trianon, qui s’émerveillent des spectacles des grandes eaux et des reconstitutions historiques sur le grand canal, se sont-ils interrogés d’où provenait l’eau des bassins, fontaines et cascades ?
À palais royal, solutions royales ! En un quart de siècle, Louis XIV avec le concours de Vauban, bouleversa la région de Versailles pour amener l’eau en son parc.
Cette histoire d’eau pourrait constituer un véritable roman tant la conception et la création de l’ensemble de ce système hydraulique étaient phénoménaux.
Justement, à quelques coups de pédales (car les balades en VTT sont ici une aubaine) des Bréviaires, l’on retrouve un chapelet d’étangs (regroupés sous le nom de Hollande) qui correspondent à l’étage supérieur du projet.
Étang de Saint-Hubert
Ces étangs sont artificiels : des surfaces versantes, les eaux sont recueillies dans les étangs directement ou par un système de canaux ou rigoles à ciel ouvert ; quant aux étangs eux-mêmes, constitués par des cuvettes à fond plat argileux, ils communiquent aussi entre eux par des rigoles à ciel ouvert ou le plus souvent par des aqueducs souterrains.
Au total, c’est un enchaînement continu d’une dizaine d’étangs et de 70 kilomètres de rigoles, depuis l’étang de la Tour à l’entrée de Rambouillet jusqu’à l’étang de Saint-Quentin à quelques mètres du récent vélodrome, avant de s’achever (la liaison est de nos jours coupée suite à l’implantation de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines) par la « rivière royale », une rigole de 34 kilomètres acheminant enfin les eaux à Versailles.
Prodigieux ! A-t-on conscience du génie d’architectes et entrepreneurs comme Sébastien Le Prestre marquis de Vauban ou Pierre-Paul Riquet fondateur du Canal du Midi à la même époque ?
Pour limiter les risques de submersion en cas de rigole bien remplie, furent creusés des « haricots », des bassins demi-circulaires de dissipation de l’énergie hydraulique.
Un beau sujet de réflexion pour nos, beaucoup moins subtils, technocrates urbanistes concepteurs de ronds-points, chicanes, ralentisseurs, dos d’ânes, et même écluses (la dernière mode), bref tous ces dangers pour les coureurs cyclistes ! Lors de retransmissions de courses disputées à l’étranger, je ne vois que rarement ce genre d’obstacles.
Sur le podium, Sandy Casar, jeune retraité du vélo, originaire de Mantes-la-Jolie, a raconté, sans doute pour la énième fois, sa chute spectaculaire dans le Tour de France provoquée par un chien labrador, non tenu en laisse, traversant indûment la chaussée. La scène de l’accident est projetée sur l’écran géant dans le cadre d’un clip sur les consignes de sécurité à respecter par les spectateurs trop souvent imprudents, pour ne pas dire parfois inconscients, sur le bord des routes.
Au-delà de cette anecdote qui aurait pu être tragique, Sandy Casar accomplit une carrière respectable avec notamment trois victoires d’étape dans le Tour de France, une sixième place au Giro (Tour d’Italie) et une seconde sur … un Paris-Nice.
Au temps de ma splendeur vélocipédique, j’ai régulièrement sillonné les routes du massif forestier de Rambouillet. Il n’était pas rare, au petit matin, de voir surgir devant moi quelques hôtes de ces bois, des chevreuils, biches et même un cerf majestueux. Je pensais un instant à Maurice Genevoix, mes lectures de jeunesse La dernière harde et Raboliot.
Plus douloureux, un jour de chasse à courre, j’ai assisté à l’hallali d’un cerf qui s’était réfugié dans la mare Vilpert pour échapper à la meute hurlante des chiens. Est-ce jalousie entre grands hommes de l’Histoire de France, Napoléon 1er a laissé son nom à la chaussée herbeuse qui sépare les deux étangs de Saint-Hubert et de Pourras.
Si le vent est favorable, les coureurs doivent filer dans la plaine de Beauce, je n’ai donc pas le temps de me rendre jusqu’aux ruines du Pavillon de l’Empereur, une petite résidence de chasse qu’il construisit en 1808.
Bientôt, devant mon écran, je constate que le vent fripon est contraire, renversant même, une violente rafale causant la chute et l’abandon d’un des favoris Warren Barguil. Mais le dieu Éole est aussi propice aux grandes manœuvres cyclistes des « bordures ».
Allez amis lecteurs béotiens du vélo, vous ne roulerez plus idiot, je vous explique cette stratégie de course.
Si le vent arrive de côté ou de trois-quarts face, les coureurs en tête de peloton se déploient en éventail, occupant toute la chaussée, de sorte qu’un coureur suivant l’éventail ne peut plus profiter de celui devant lui pour s’abriter des courants d’air, une situation qui provoque des cassures dans le peloton.
Dans cette configuration climatique, les coursiers les plus adroits sont souvent les Fla-les Fla- les Flamands qui roulent sans rien dire, habitués au vent du plat pays qui est le leur.
Ce n’est peut-être pas un hasard si le néerlandais Dylan Groenewegem, déjà victorieux la veille, l’emporte encore à Bellegarde. Clin d’œil malicieux, le jour où Paris-Nice démarre à proximité des étangs de Hollande ainsi appelés du nom d’un ancien domaine local de Orlande repéré sur la carte des chasses de Henri IV !
Dylan Groenewegem leader après la première étape
Aujourd’hui, ces étangs n’ont pas qu’une simple fonction hydraulique. Civilisation des loisirs oblige, en saison estivale, certains d’entre eux accueillent baigneurs et pédal(o)s.
Les promeneurs écolos ou férus d’ornithologie, cachés dans les roseaux, peuvent épier les canards colvert plantant leur bec dans la vase à la recherche de leur proie.
Certaines espèces d’oiseaux y nichent telles le Blongios nain, le Phragmite des joncs, la Bouscarle de Cetti et le Râle d’eau. D’autres s’accordent juste une halte sur leur chemin de migration tels le Butor étoilé et le Balbuzard pêcheur.
Poésie des noms ! Dans mon enfance, les coureurs portaient les couleurs de marques de cycles, La Perle, Alcyon, Stella, Helyett, Dilecta (« l’aimée » pour les non latinistes !).
De nos jours, ils jouent les hommes sandwiches de AG2R La Mondiale, Cofidis, Groupama Française des Jeux, Direct Energie, Vital Concept B&B Hôtels. Où est le rêve ? L’économie libérale a même détourné l’esprit épique du cyclisme.
Plus macabre, au chapitre des faits divers, c’est à l’étang Rompu, à quelques centaines de mètres des étangs de Hollande, que fut découvert en octobre 1979 le corps de Robert Boulin, alors ministre du Travail en exercice. Suicide ou enlèvement et séquestration suivis de mort, l’affaire n’est toujours pas élucidée.
J’aimerais conclure avec un poète libertaire insuffisamment connu. Si tu veux la paix … pars à vélo !
« De tout l’ latin qu’on m’a fait faire
Je n’ai gardé qu’un minimum
C’est que six siècles avant notre ère
Un super stratège en péplum
Dans un long traité militaire
Dont j’ai fait mon vade-mecum
Écrivit cette phrase austère
Mais vraiment digne d’un grand homme
« Tu veux la paix, prépare la guerre ! »
Si vis pacem, para bellum !
Que la formule est élégante
C’est grand, c’est triste mais c’est beau !
Moi j’en ai fait une variante
« Si vis pacem… pars à vélo »
À vélo pars à l’aventure
Loin des pare-chocs, loin des autos
Loin des parkings que l’on sature
Loin des parcmètres et du Métro
Pars au hasard dans la nature
Loin de l’angoisse des cités
Et tu verras, je te l’assure
Que partir c’est ressusciter… »
Jean-Roger Caussimon vécut dans les environs des Bréviaires. Son buste trône dans la médiathèque du Perray-en-Yvelines.
Immense auteur, il écrivit de magnifiques chansons, notamment pour Léo Ferré, telles Monsieur William ou Le temps du Tango.
En ce jour venteux, loin du haras des Bréviaires, il vous emmène à Ostende voir « les chevaux d’la mer qui fonçaient la têt’ la première et qui fracassaient leur crinière devant le casino désert » :
J’ai déjà évoqué Paris-Nice, la Course au soleil, dans les anciens billets suivants :
http://encreviolette.unblog.fr/2010/03/11/le-beau-velo-de-ravel-ou-le-depart-de-paris-nice-2010/
http://encreviolette.unblog.fr/2011/03/08/au-depart-de-paris-nice-2011-les-mains-aux-cocottes-ou-ah-si-vous-connaissiez-ma-poule-de-houdan/
http://encreviolette.unblog.fr/2015/03/19/au-depart-de-paris-nice-2015-a-maurepas/

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Salut Jean-Michel,
Avec ce foutu dopage, les oreillettes etc … j’ai fini peu à peu par oublier que le vélo c’était çà.
Merci avec tout ce travail de recherche, d’expertise et de poésie de me le rappeler.
Cela me donne vraiment envie de ressortir prochainement mon vieux vélo « collector » avec les belles journées qui approchent.
Amicalement.
Alain.