Cavanna a occupé la Sorbonne !
Mardi 29 janvier 2019, 14 heures ! Depuis la veille au soir, les alertes se multiplient sur les chaînes d’info, d’exceptionnelles chutes de neige sont annoncées en Ile-de-France, en fin d’après midi et toute la nuit. Depuis longtemps, c’est noté sur mon agenda, j’ai prévu de me rendre à Paris et il est hors de question que j’y renonce.
Sujet indémodable, la météo s’invite quasi quotidiennement dans nos discussions. Les linguistes qualifient cela de fonction phatique du langage, c’est-à-dire que cela n’a pas d’autre intérêt que créer du lien avec votre interlocuteur, en l’occurrence ici, chers lecteurs, de servir d’introduction au propos de ce billet.
Alors tant pis, je dormirai je ne sais où s’il le faut, contre blizzard et congères, depuis mes (trop) lointaines Yvelines, je rejoins le Quartier Latin et, plus précisément, la prestigieuse université de la Sorbonne où est organisée une soirée souvenance à Cavanna pour le cinquième jour anniversaire de la disparition du cofondateur de Hara-Kiri et Charlie Hebdo, journaliste et écrivain.
Comment justifier ma présence, sinon en vous proposant de lire ou relire mon ancien billet dans lequel je relatais « mon mois à Charlie Hebdo » :
http://encreviolette.unblog.fr/2010/12/23/un-mois-chez-charlie-hebdo/
Je ne pouvais pas manquer cet événement, n’est-ce pas ?
Pour avoir été trop prévoyant, je me retrouve dans la cour de la Sorbonne, une heure avant, avec le loisir de saluer Louis Pasteur et Victor Hugo toujours aussi méditatif : « Quand Victor Hugo mettait un passe-montagne, il ressemblait à Alfred de Musset ». Chiche, par ce temps de frimas, si on vérifiait cette citation du héros de la soirée ?
Me revient aussi en mémoire le témoignage d’un étudiant que j’ai évoqué dans un billet consacré à Mon Mai 68 : « Notre fils de 5 ans est venu avec nous à la Sorbonne. Il a vu la cour pleine de tables et de militants et une pagaille assez complète dans les couloirs. Quand il est revenu, il a dit : « c’est chouette où travaille papa ». À la même époque, il dessinait en classe et avait fait un tableau montrant les CRS tapant sur les étudiants, c’est ce que nous avait rapporté son institutrice scandalisée. Ma femme lui avait répondu : « Pourquoi, vous pensez que ce sont les étudiants qui frappent les CRS ? » ».
Cinquante ans après, c’est Cavanna qui occupe la Sorbonne ! Qui plus est, il a réservé le grand amphithéâtre Richelieu pour recevoir ses vrais amis.
Sacrée revanche sur les pisse-vinaigres de l’Éducation Nationale qui ne comprenaient pas à l’époque (c’était en 1980) que quelques enseignants (dont je faisais partie) puissent avoir même l’idée de réaliser un film sur la bande de trublions iconoclastes de la rue des Trois- Portes, pas très loin de là. Pour taire leur courroux, on dut se fendre d’un avertissement oral en ouverture et de l’incrustation d’un carré blanc.
Dans la coursive encore déserte autour de l’amphi, je surprends, en pleins conciliabules, Bruno Gaccio, Philippe Geluck, Virginie Vernay et Delfeil De Ton. Eux ne me reconnaissent pas, c’est normal, c’est le critère même de la notoriété.
Nul besoin, cependant, de cartes de con ou d’intellectuel communiste (elles traînent peut-être encore dans mon portefeuille), j’ai mon sésame : Encre violette ! Immédiatement, ça fait tilt chez la « petite Virginie » que Cavanna évoquait souvent dans ses chroniques et livres. Elle correspond parfois par mail avec moi, et a fait en sorte que notre reportage (trop) « subversif » soit projeté, à l’automne dernier, lors du festival du film Grolandais à Toulouse, ainsi qu’à Strasbourg dans un espace culturel alternatif.
Voilà, comme les jeunes futurs bougnats aveyronnais avaient leur couteau de Laguiole en poche pour monter à Paris, je possède mon diplôme qui m’ouvre quelques portes et légitime ma présence. Vous ne pouvez pas imaginer combien, au cours de ma carrière, j’ai croisé dans le Landerneau pédagogique de regards envieux sinon admiratifs de mon bonheur d’avoir filmé, interviewé, bavardé, mangé et bu des canons, vécu même éphémèrement, avec la joyeuse bande, Choron, Reiser, Gébé, Cabu, Wolinski et bien évidemment Cavanna.
Avec Bruno Gaccio, j’échange quelques souvenirs du temps où il se préparait à devenir le gendre de Choron. Ça ne me rajeunit pas, ça fait un peu vieux con … que nous sommes tous, Bruno nous le rappellera plus tard.
Dans l’amphithéâtre Richelieu, un portrait de Cavanna, lui l’athée qui ne croyait en aucun dieu mais nous fit bien rire et réfléchir avec ses Écritures, ses Aventures de Dieu et du petit Jésus, trône en lieu et place de la fresque marouflée du peintre Dagnan-Bouveret intitulée Apollon et les Muses au sommet du Parnasse.
Ceci dit, le coquin concéda un jour que si Dieu était une femme gironde, il ne résisterait peut-être pas. Il la rencontra même au musée d’Archéologie de Saint-Germain-en-Laye : « C’est d’une harmonie, d’une beauté, avec les seins, les fesses, exagérés mais … pas adipeux ! »
Je m’étonne du mobilier en bois verni à la fois classieux ((ici pas d’entaille au canif du surnom de l’instit de Cavanna Nabu est un con !) et rudimentaire. Il n’y a aucune table pour écrire, ce qui aurait été intentionnel de la part de l’architecte pour empêcher les étudiants de s’affaler ou dormir.
Encore avec Bruno Gaccio, je ressens la solennité de l’endroit. Ça donne envie de redevenir étudiant, ce qu’il confirme en me confiant qu’il envisage de valider des acquis de l’expérience pour préparer master ou thèse.
Le vieil amphi ovale se remplit peu à peu. Je cherche des têtes qui ne me seraient pas inconnues, 40 ans après, ce n’est pas toujours évident.. J’apprendrai plus tard que Jean Teulé et Jackie Berroyer ont décliné l’invitation car ils détestent les hommages. Dommage, je les aime bien ces deux-là !
Il y a des crânes dégarnis, des tempes grisonnantes, des ventres rebondis, mais aussi beaucoup de jeunes. Je me souviens d’une réplique du célèbre chat de Geluck : « Être vieux, c’est être jeune depuis plus longtemps que les autres. C’est tout. » Sans doute un peu grâce à Cavanna qui n’a cessé d’oxygéner nos neurones pendant plusieurs décennies, il continue encore, la preuve ce soir …
Avant que vous ne vous indigniez d’un quelconque sexisme de ma part, la gente féminine admiratrice du Rital est aussi massivement représentée.
On retrouve toutes les générations depuis Hara-Kiri et Charlie Hebdo canal historique jusqu’aux « dissidents » malgré eux (ou à cause d’un!) de Siné mensuel. Elles ont toutes en elles quelque chose de Cavanna.
Il y a même un Belge !!! Philippe Geluck tient le rôle de maître de cérémonie. Il donne déjà le ton irrévérencieux seyant bien au moment en se réjouissant de l’absence d’un paria de la famille retenu par une conférence au Collège des Bernardins, non loin d’ici. Rires !
L’amphi est comble lorsque Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française (mais oui !), en guise de mise en bouche, lit un extrait du roman Bête et méchant puis les dernières lignes de Lune de miel.
Vingt-cinq ans d’éblouissement pour Cavanna, près d’un demi-siècle de jubilation pour moi car je n’ai pas manqué grand chose de ses chroniques, essais, romans, prestations à la télévision.
J’ai même un livre d’occasion écorné qu’il avait commis sur le Tour de France, ainsi qu’un numéro du mensuel feu Miroir du Cyclisme : « Le Tour de France, c’était notre Iliade, notre Odyssée, notre Chanson de Roland et notre guerre des Malouines. Cherchez dans le dictionnaire les mots que vous ne comprenez pas. Je veux dire que nous en étions dingues, archi-dingues. Nous volions des sous à nos parents, crime inouï et fort difficile à mener à bien, ou, si pas possible, nous volions directement les journaux chez le marchand, pour comparer les louanges fabuleuses des journalistes sportifs et cal¬culer les chances des champions d’après leurs écarts, les bonifications, des tas de paramètres très compliqués que le plus borné en calcul maniait avec une dextérité de surdoué.
Les géants s’appelaient alors Antonin Magne, Bartali, Charles Pélissier, Vietto, Robic, Sylvère Maes… Oui, d’accord, ça fait terriblement vieux con. Vous verrez, dans dix ans, vous aurez bonne mine avec vos surhommes d’aujourd’hui. Vous n’oserez même pas l’ouvrir, peur de faire rigoler les jeunots. Ah, on est bien peu de chose…
Ça discutait passionné. Ça chauffait dur. Chacun avait le sien. Si vous n’avez jamais vu des Ritals causer vélo, vous avez tout loupé sur cette terre. Quand ce n’était pas un coureur rital qui enlevait l’étape, c’était parce que ces saletés de jaloux de Français lui avaient fait des crasses, que sans ça, les Français, jamais ils gagneraient, les Français, jamais. J’étais le seul pas tout-à-fait rital, papa ayant épousé une Française. J’avais toute la rue contre moi. »
C’est agaçant, Cavanna pouvait écrire, et sacrément bien, dans beaucoup de domaines, sur les sujets même les plus dérisoires, en multipliant les genres, l’autobiographie, le roman historique, l’essai, la chronique, le billet d’humeur, l’éditorial.
Cela me dédouane en tout cas des billets que je vous inflige chaque été sur les Tours de France de mon enfance.
Je n’ai jamais volé Hara-Kiri ou Charlie, même si la rédaction provocatrice nous y invitait. On ne vole pas les amis. Avec un copain, nous achetions chacun un exemplaire et souvent nous le feuilletions ensemble, partageant notre hilarité ou réflexion devant tel dessin ou telle chronique.
Je suis content de mettre enfin un visage sur Coraly, je ne connaissais que sa voix au téléphone et ses mots dans ses mails, car elle aussi avait souhaité que je lui confie de manière détaillée mon aventure cinématographique. Dans quelques semaines, seule en scène à la Comédie-Française, elle récitera des textes de Sylvie Caster, notamment sur Reiser.
Volait-il Hara-Kiri, en tout cas, Bruno Gaccio témoigne de ses années d’adolescence où il piquait des scooters dans la banlieue stéphanoise. Il avoue être sorti de cette époque galère et avoir construit sa vie beaucoup grâce à son père maçon et Cavanna fils de maçon, deux Ritals aux cheveux et moustaches de neige. Sait-il qu’au musée national de l’histoire de l’immigration, Porte Dorée, on peut observer dans une vitrine la truelle de Luigi Cavanna ?
Je replonge en enfance avec le témoignage de Marcel Amont. Pour mieux comprendre mon émotion, j’invite les plus curieux à cliquer sur un ancien billet que je lui ai consacré :
http://encreviolette.unblog.fr/2016/04/01/amont-et-merveilles/
L’artiste, comme une sorte de validation, y déposa même un commentaire.
Peu, sans doute, dans l’amphi le savent, cet alerte quasi nonagénaire (il le sera officiellement le 1er avril prochain, ce n’est pas une blague) fut une immense vedette du music-hall et une exceptionnelle bête de scène. En lisant mon billet, vous pourrez entendre intégralement ce qui justifie, sa présence ce soir, Paris rombière, une superbe chanson que Cavanna écrivit pour lui.
« … Paris mes amours
Tu es morte, bien morte
Et sur ton cadavre, une horrible pute a posé son gros cul
De verre et d’acier chromé
Avec du faux marbre pour faire joli
Paris gratte-ciel
Paris poutres apparentes
Paris délire
Ou Paris musées
Paris parano
Ou Paris sous globe
Pour le Kodak du touriste
Une horrible pute a volé ton nom
Les poètes sont des cons »
Jean-Christophe Averty, un autre génial iconoclaste, « cinglé du music-hall », vous aurait invité autrefois « À vos cassettes » pour enregistrer ce coup de gueule sur un air de valse musette.
Cavanna et Choron participèrent à la cultissime émission d’Averty Les raisins verts. C’est hors programme de la soirée mais voyez-les illustrer la concurrence entre la première chaîne de télévision et la toute nouvelle seconde créée par l’ORTF (1964) dans un jeu évidemment bête et méchant.
https://www.ina.fr/video/I04309672
C’est au tour de Delfeil de Ton, véritablement acclamé et pour cause, d’égrener quelques souvenirs fort précieux, lui qui fut l’un des tout premiers rédacteurs de Hara-Kiri. Pour cette soirée, il a puisé dans ses collections et nous offre le premier éditorial de Cavanna publié dans le premier numéro de Hara-Kiri.
La légende colporte une fâcherie irréversible entre Delfeil et Cavanna, la preuve que non.
Je commence souvent ma lecture de L’Obs (auparavant Nouvel Observateur) par les Lundis de Delfeil de Ton, comme je débutais autrefois immuablement celle d’Hara-Kiri et Charlie par la chronique de Cavanna.
DDT n’est pas qu’un puissant insecticide, c’est aussi un savoureux remède contre la connerie humaine.
Fréquemment, l’amphi gronde des rires tonitruants de l’essayiste Pacôme Thiellement, bon public et vraie nature. Sûr que je partagerais volontiers avec lui des canons de 75 … centilitres, ceux évidemment de Gérard Descrambe.
Geluck, bête et méchant juste comme il convient, se moque affectueusement des difficultés de locomotion du vigneron de Saint-Émilion pour accéder à la scène : « Voyez où ça mène la boisson !!! »
Rue des Trois-Portes, j’en bus, plus qu’il n’est conseillé, du « Descrambe ». Selon l’étiquette dessinée par les humoristes de Charlie, on buvait un Reiser ou un Wolinski avec le plaisir de repartir avec le « cadavre » (je laisse le mot qui m’est venu naturellement à l’esprit sans même penser à la tragédie future). J’ai raconté dans mon billet que l’abus de la dive bouteille, le soir de ma première rencontre avec l’équipe, tissa déjà quelques liens et facilita la concrétisation de notre projet de film. Plus tard, quelques cartons commandés au journal égayèrent certains repas entre amis …
La transition est brutale avec la prise de douce parole de Sylvie Caster, la seule femme de la table ronde comme elle était l’une des rares dans la bande de mecs de la rédaction de Charlie Hebdo première époque, enfin … jusqu’à une certaine heure (!).
Quarante ans que je ne l’avais pas revue, elle apparaît toujours aussi menue, frisée, pudique, bienveillante et lumineuse. Micro épiphénomène dont elle ne se souvient probablement pas : Choron, « un peu » alcoolisé il est vrai, l’avait malmenée injustement dans notre film.
C’est émouvant, ce soir lorsqu’elle raconte sa relation de petite nana au milieu des affreux jojos (avec ou sans gilet jaune !), je crois réentendre son témoignage de l’époque, les mêmes mots, la même douceur, la même affection et aussi admiration pour Cavanna et les autres : « Il y a un moment après le comité de rédaction où je sentais qu’il était temps de partir … ! »
En guise, en guise, en guiiiise (c’est du Marcel Amont coiffé d’un sombrero mexicain) de trou normand socio-philosophique, à l’issue de la première table ronde, Bruno Gaccio lit le sublime réquisitoire de Cavanna sur le Con.
Pour vous, je scanne le dos du programme. Excusez sa médiocre lisibilité !
Un dessin apparaît au-dessus du récitant. Pour ce soir, le tri est fait !
Régulièrement, au-dessus des intervenants, sont projetés de superbes portraits réalisés par Arnaud Baumann. Dès 1975, il participa activement avec Xavier Lambours aux créations photographiques de Hara-Kiri. Le beau-livre Dans le ventre de Hara Kiri nous offre d’exceptionnels clichés du temps de la grande épopée. Ce soir encore, Arnaud immortalise le moment.
Pour illustrer une autre des multiples facettes de la pensée cavannesque, la seconde table ronde débute avec le témoignage d’André Langaney, grand généticien, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, entre autres choses. À l’appel de Cavanna, il écrivit à Charlie Hebdo sous le pseudonyme de Dédé la Science en référence à l’artificier anarchiste de la célèbre bande à Bonnot, avant d’émigrer chroniqueur à Siné Mensuel … à cause de l’insupportable conférencier du Collège des Bernardins. Il n’est pas le seul !
La vieille Nénette n’a pas fait le déplacement depuis la ménagerie du Jardin des Plantes. Héroïne d’un beau documentaire de Nicolas Philibert, la doyenne orang-outan connut la faveur de chroniques de Cavanna :
« Ce devait être, il me semble, dans les années soixante-dix. Je m’en revenais quand, au beau milieu d’un vaste rond-point, elle (Nénette ndlr) m’apparut soudain dans toute sa gloire. Rousse intensément, vaste comme l’Univers, vautrée dans la paille en impératrice du monde, écartelée des quatre membres, sur son ventre immense une autre rousseur, son petit, agrippé à pleins poils à ses mamelles gonflées et dardant sur moi des yeux noirs plus qu’humains, c’était la féminité même, l’éclatant triomphe du principe femelle. Elle avait son petit, elle se savait belle, elle nous toisait de haut, nous la foule. La vitre tout autour, elle l’ignorait. C’était fatal : je suis tombé amoureux d’une dame orang-outan.
Je suis revenu la voir. Elle me fascinait. Je la trouvais immuablement dans la même hautaine posture. Affalée, nonchalante, grande ouverte. Souveraine. Toujours son petit aux yeux trop grands soudé à son ventre magnifique. J’appris son nom : Nénette. Je vous jure ! Capturée à Bornéo. Je suppose que dans un zoo new-yorkais on l’aurait appelée Honey, ou Sweetie. Elle s’en foutait. Elle avait fini par me remarquer. Me reconnaître. Elle esquissait un bref sourire, la tête renversée sur la nuque, un bras en l’air, le poing nonchalamment serré autour d’une de ces grosses cordes qui jouaient les lianes de la jungle. J’appris que les orang-outan (Faut-il un s au pluriel? Deux?) ne cessent jamais de se tenir à une liane ou à une branche, ne serait-ce que d’une main. Je regardais fonctionner les mains de ses pieds, délicates merveilles semblant agir pour leur propre compte, toutes rosées en dedans avec de ces lignes qui disent l’avenir.
La vie, vous savez… Je n’oubliai pas la belle captive. Mais je la vis moins, puis plus du tout. Je me le reprochais. Il y a quelque temps, à propos de je ne sais plus quoi, je mentionnai la splendide rousse du Jardin des Plantes. La petite Virginie courut la voir. Elle me dit : « II y en a quatre, maintenant!» « Et Nénette?» « Elle est toujours là. …
Pourquoi je vous raconte tout ça ? … Une chose est certaine. La place d’un orang-outan n’est pas derrière une vitre ou les barreaux d’une cage, aussi dorée soit-elle. Mais c’est le seul moyen pour que les enfants aient l’occasion de voir des animaux ! Non ! Les animaux ne sont pas faits (pour autant qu’ils aient été faits !) dans un dessein éducatif. Savoir qu’il y a quelque part des hardes d’éléphants, de buffles, de girafes (hardes de girafes ?) parcourant des savanes sans fin, même si je ne dois jamais les voir, me remplit d’une joie intense. Et d’abord, aujourd’hui, on a la télé. Jamais aucun safari (encore moins aucun zoo !) ne nous fera voir les animaux aussi intimement, aussi magnifiquement que les reportages faits par des gars qu’on n’admirera jamais assez.
Mais c’est le seul moyen pour conserver des spécimens, maintenant qu’on sait que toutes les espèces sauvages vont disparaître l’une après l’autre, c’est le progrès, que voulez-vous, et en plus avec le carburant vert et la déforestation.
Non et non ! Si des masochistes à bonne conscience peuvent trouver leur compte à contempler des êtres vivants prisonniers en se disant que ce sont les derniers, que tous les autres ont été massacrés, connement, méthodiquement, si vraiment il existe de pauvres cons que de tels spectacles puissent réjouir, qu’ils ne comptent pas sur moi pour les y encourager. À bas les zoos ! Aussi « modernes », aussi perfectionnés soient-ils, ce sont des prisons, des bagnes, des lieux d’infinie tristesse. À bas les ménageries, à bas les cirques, surtout itinérants ! À bas le dressage, à bas le domptage, à bas les spectacles d’animaux « savants » ! Arrêtez de faire chier les bêtes. Laissez les bêtes sauvages là où elles sont, c’est-à-dire chez elles. Contentez-vous de dévorer vos animaux d’élevage, et, s’il vous plaît, en les faisant souffrir le moins possible. À bas le foie gras ! »
Je ne censure pas l’ultime phrase, même par sympathie familiale, car on ne censurait jamais à la rédaction d’Hara-Kiri et Charlie canal historique … trop souvent victime par contre de la censure à la con des « bien-pensants » ou « culs bénits » !
C’est au tour de Virginie Vernay, celle que tous les lecteurs de Cavanna connaissent en tant que « la petite Virginie », de nous dire quelques mots, peu de mots mais tellement empreints de tendresse et de pudeur, de respect et d’intimité, d’apaisement. Dans ses derniers jours avec cette salope de Miss Parkinson, il y avait plus de désillusion que de tristesse.
Cavanna parlait souvent de la petite Virginie dans ses chroniques et lui consacra un chapitre dans son dernier livre Lune de miel : « J’ai eu du pot. J’ai rencontré Virginie. Je ne saurais dire si ce fut du pot pour elle, en tout cas ça semble lui aller comme ça …
… Quand je compris que c’en était fini, et pour toujours, de mes interminables déambulations dans Paris dont mes orteils connaissaient chaque pavé par son petit nom, quand la grosse panique me saisit devant le refus absolu de ma main de donner forme au moindre signe d’écriture, quand chaque étage me fut un Himalaya, je passai par de bien sales moments. La petite assista à cette lente descente aux enfers. »
Je ne peux m’empêcher de penser à ces lignes en visionnant les quelques rushes que, pour nous ce soir, le journaliste et écrivain Denis Robert a tirés de son film Cavanna, jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai.
Je ris : « Il y a deux catégories de cons : les cons de naissance et les cons volontaires, de toute façon, ils sont aussi dangereux les uns que les autres ». Mais je suis surtout ému devant les très gros plans du beau visage parcheminé de vieillard et sa voix faiblarde qui nous chuchote encore quelques sentences.. Denis Robert ne peut s’empêcher d’éructer sur ce qu’il a sur le cœur et de lancer une diatribe sur ceux qui ont falsifié l’esprit bête et méchant. Dieu, enfin le nôtre, Cavanna, reconnaîtra les siens!
Je vous glisse une confidence : depuis le 7 janvier 2015, j’accepte mieux la disparition de Cavanna. Il a ainsi échappé à l’horrible tuerie. En lisant Le Lambeau, le livre poignant de Philippe Lançon et son effrayante description de la fusillade, il m’était insoutenable d’imaginer que la cervelle de Cavanna eût pu s’étaler devant ses yeux si …
François Ruffin, journaliste (rédacteur de Fakir, le journal fâché avec tout le monde), essayiste, réalisateur récompensé par un César du meilleur documentaire avec Merci Patron ! et député de la France insoumise, chasse mes mauvaises pensées en racontant comment il est entré, adolescent, dans la lecture de Cavanna.
C’est amusant, L’œil du lapin, premier ouvrage de Cavanna que Ruffin découvrit, est le dernier que j’ai lu l’été dernier. Il me faut vous conter l’anecdote. J’avais demandé à un excellent bouquiniste de Saint-Girons en Ariège de me le rechercher. Presque comme un jeu, il a fallu patienter huit ans avant que, ravi, il brandisse enfin le précieux livre de poche et que je fasse mieux connaissance avec la maman de Cavanna et … Gisèle Bénodet sa camarade de classe communale.
En réalité, c’est la magnifique nouvelle que nous annonce Jean-Marie Laclavetine, membre du comité de lecture des éditions Gallimard pour conclure la soirée, le vrai dernier livre de Cavanna … est à paraître dans quelques semaines. Il s’intitulera Crève Ducon. Il nous en est lu quelques lignes : « On va pas se mettre à ressasser le bon vieux temps. Le temps, il n’est ni bon, ni vieux. Ni mauvais, d’ailleurs. Ni jeune. Il est le temps. Il passe, c’est tout ce qu’il sait faire. Con comme le temps qui passe … »
Et pourquoi ne pas envisager, comme le suggère Philippe Geluck la publication de l’intégralité de l’œuvre de Cavanna dans la prestigieuse collection de La Pléiade ? Et oui, pourquoi pas, D’Ormesson a bien eu cet honneur ! Rendez-vous pour les 10 ans de la disparition de Cavanna ?
Il est près de 22 heures. L’horaire imparti à la réservation de l’amphi semblant être strict, Philippe Geluck clôt la soirée dédiée à « notre dieu commun, sauf qu’à la différence des autres, lui, il a vraiment existé ».
Ce n’était pas au programme, mais dans l’espace qui m’appartient, j’y insère ma modeste contribution.
Mes plus fidèles lecteurs ne l’ont probablement jamais remarqué, je n’utilise jamais ou presque le point virgule dans mes billets. Outre, qu’avec le clavier numérique il apparaît d’une grande laideur perdu dans un vaste blanc entre deux mots, il y a longtemps que je suis un partisan de Cavanna qui réclamait sa mort dans Mignonne, allons voir si la rose…, son ode à la langue française :
« Qui a inventé le point-virgule ? Je ne sais pas. À quoi sert-il ? À rien. À embêter le monde. À rassurer les écrivains timides. À masquer le flou de la pensée derrière le flou de la syntaxe … Bref, à rien de bon.
La preuve : on peut toujours le remplacer par un point. Essayez, vous verrez. Chaque fois que, dans vos lectures, vous trouvez un point-virgule, mettez un point à la place, et aussi par voie de conséquence, une belle majuscule au premier mot qui suit. Miracle ! Soudain tout sonne tellement plus clair, plus net, plus décidé ! … Mais, objecte le scripteur, c’est justement le flou que je voulais rendre, l’incertain, l’hésitant … Très bien : les trois points alignés sont là pour ça, les si bien nommés « points de suspension », tellement éloquents dans l’art d’exprimer l’inexprimable…
Et l’amoureux de la langue française de continuer son implacable démonstration encore pendant deux pages avant de conclure : « Guerre au point-virgule, ce parasite, ce timoré, cet affadisseur, qui ne marque que l’incertitude, le manque d’audace, le flou de la pensée, et colle aux dents du lecteur comme un caramel trop mou !
Et ne venez pas me dire que Balzac faisait grand usage du point-virgule ! À quels sommets n’eût pas accédé Balzac s’il s’était corrigé de ce vilain défaut ! »
Ne cherchez pas à débattre avec Cavanna, il finira par vous dire que Balzac était un con et vous aussi !
La neige est tombée abondamment en campagne ce soir-là et mon retour s’effectua à la moitié de la nouvelle vitesse réglementaire. Que nous aurait pondu Cavanna sur le sujet ?
Nuit magique ♫♫♫, je me suis endormi très tard … après avoir relu Lune de miel !
Merci à Virginie Vernay pour sa bienveillance
Pour tous ceux qui voudraient encore plus de Cavanna, voici deux anciens billets :
http://encreviolette.unblog.fr/2009/05/26/week-end-rital-avec-cavanna/
http://encreviolette.unblog.fr/2014/03/13/jour-d-anniversaire/