Mon Mai 68 !
Il y a quelques semaines, un ami que j’invitais chez moi, m’offrit un cadeau pesant. Sachant son amour des livres et lui, connaissant le mien, je soupçonnais, sous le papier d’emballage, encore un pavé d’Histoire, notre péché mignon.
Je ne me trompai pas ou presque : j’eus effectivement l’heureuse surprise de déballer un pavé, un vrai pavé parisien, cubique, en granite, que mon ami avait prélevé sur une barricade du côté du boulevard Saint-Michel ou de la rue Gay-Lussac, lors des mouvements de mai 1968.
Il l’avait décoré de quelques graphismes rappelant l’usage historique du projectile. Il paraît que l’on peut aujourd’hui s’en procurer aux enchères sur internet.
Comme s’il avait atterri sur ma tête, paradoxalement, l’objet libéra confusément en moi de nombreux souvenirs.
Mai 68 ! C’est fou, c’était il y a un demi-siècle, quelques mois auparavant, je venais d’atteindre la majorité civique, vingt-et-un ans à l’époque.
J’avoue que n’ayant pas l’âme d’un ancien combattant (que je ne fus d’ailleurs pas), je n’envisageais pas de vous livrer ici mes souvenirs du « joli mois de mai ». Dire que notre président Macron songea à le commémorer officiellement : « Quelle drôle d’idée ! » lui répondit son ami de maintenant Daniel Cohn-Bendit, une des grandes figures de l’insurrection à l’époque. Une célébration officielle pour une révolution qui refusait de tomber amoureuse d’un taux de croissance, cela ne manquait pas de saveur et illustrait bien la perte de repères de notre société actuelle, du moins de notre gouvernance qui cherche à en finir avec le Code du Travail.
Et puis, au cœur du printemps, une visite à l’exposition Images en lutte à l’École des Beaux-Arts de Paris, comme un souffle vivifiant en cette période morose, m’a donné envie de partager avec vous finalement « mon » mai 68. C’est en ce lieu que furent créées et aujourd’hui exposées beaucoup des affiches, certaines célèbres d’autres inconnues, qui fleurissaient sur les murs de la capitale.
Évidemment, les évocations des événements ont abondé à travers tout l’hexagone : expositions, articles dans les hebdomadaires et quotidiens régionaux (car Mai 68 ne se circonscrivit pas au Quartier Latin), et aussi pavés littéraires aux vitrines des librairies. J’en ai lus avec intérêt et parfois émotion, en particulier quand il s’agit de témoignages vécus directement par leurs auteurs. Il n’y a pas plus agaçant que certains ouvrages critiques voire sentencieux écrits par des gens qui n’étaient pas nés ou alors en très bas âge.
Encore que j’ai adoré ces quelques mots d’un ancien surveillant d’externat du lycée Rodin de Paris : « Notre fils de 5 ans est venu avec nous à la Sorbonne. Il a vu la cour pleine de tables et de militants et une pagaille assez complète dans les couloirs. Quand il est revenu, il a dit : « c’est chouette où travaille papa ». À la même époque, il dessinait en classe et avait fait un tableau montrant les CRS tapant sur les étudiants, c’est ce que nous avait rapporté son institutrice scandalisée. Ma femme lui avait répondu : « Pourquoi, vous pensez que ce sont les étudiants qui frappent les CRS ? ».» Au nom de l’adage tenace que la vérité sort de la bouche des enfants, je pourrais conclure que tout est (presque ou beaucoup) dit !
Bon, je précise d’entrée que je ne fus pas un « soixante-huitard » de la première heure. Je n’ai pas dépavé des chaussées, déraciné des arbres du Boul’ Mich’, dressé des barricades, bouffé du CRS. Mais cela s’est passé si près de chez moi, comme on dit trivialement, que j’ai fini par en humer d’assez près l’atmosphère.
J’étais alors en formation professionnelle à l’École Normale d’instituteurs de Versailles, sur le fronton de laquelle était encore écrit Seine-et-Oise. Subsidiairement, le samedi après-midi, à la Fac de Nanterre, j’achevais, en tant qu’étudiant salarié (je me demande si on ne disait pas travailleur !), une année de licence entamée de manière un peu dilettante auparavant à l’université de Rouen.
Il me semble bien que ce fut là que je ressentis les premières velléités de la révolte étudiante, d’ailleurs, on attribue souvent de manière simple (comme dirait le rappeur Orelsan) la genèse des événements au mouvement fondé dans la nuit du vendredi du 22 mars 1968 dans cette faculté, par opposition à la guerre du Viêt Nam et pour des revendications plus basiques (comme scanderait aussi le même Orelsan) autorisant les garçons à se rendre dans les chambres des filles de la résidence universitaire.
Nos enfants et petits-enfants se fichent carrément de nous aujourd’hui, quand ils ne nous soupçonnent pas d’un début de sénilité mentale, à l’écoute de nos propos surréalistes. Ce n’était pourtant pas une sinécure pour « pécho une nana » !
Souriez : ce qui s’appelait un surveillant général (l’ancêtre du conseiller principal d’éducation) avait institué une tradition très « versaillaise » d’un cahier de doléances permettant à chacun des normaliens d’exprimer éventuellement ses vœux. Ainsi, l’un d’eux, facétieux, avait suggéré la mise en place d’un passage protégé entre l’École Normale et la « Diamanterie » (devenu aujourd’hui plus poétiquement lycée Jacques Prévert), un centre d’apprentissage de jeunes filles situé de l’autre côté de l’avenue. La réponse du « surgé » fut sans appel : Des clous !
La mixité était encore un gros mot, imaginez pourtant que jusqu’à l’âge de quinze ans, j’avais vécu dans un pensionnat de jeunes filles, dirigé par ma maman.
Dans le cadre rigide et austère de l’École Normale, l’unique possibilité « légale » de côtoyer la gente féminine était de s’inscrire à la chorale commune aux normaliens de Versailles et normaliennes de Saint-Germain-en-Laye…
Il y avait bien aussi pour concrétiser l’entente cordiale, une nuée de petites anglaises (c’était à ne rien y comprendre) qui venait au printemps pour un séjour linguistique mais nous ne pouvions guère rivaliser avec les tablettes de chocolat des étudiants en préparation au professorat d’Éducation Physique.
Il ne faut pas caricaturer mai 68 en le réduisant aux revendications existentielles des étudiants parisiens. Les affichages dans les couloirs de Nanterre, les distributions de tracts, les signatures de motions, les réunions informelles, les irruptions dans les cours, constituaient autant de signes annonciateurs d’un monde bouillonnant à l’aube de 1968, une année brûlante politiquement, principalement à cause de la guerre du Viêt-Nam qui connaissait alors un tournant avec l’offensive du Têt menée par les forces nord-vietnamiennes et Viêt-Cong (communistes du sud Viêt-Nam). Les manifestations de protestation devenaient quasi-quotidiennes dans toutes les grandes villes étudiantes d’Amérique mais aussi d’Europe.
Avec le temps, tout s’en va, chantait Léo, on n’a souvent plus conscience de l’exceptionnel foisonnement de l’actualité de l’époque, les chaînes d’info qui n’existaient pas alors en eurent fait leurs choux gras.
De mémoire, je citerai l’exécution, dans le village bolivien de La Higuera, en octobre 1967, du « Che », le révolutionnaire argentin Ernesto Guevara, la tentative d’assassinat en avril 68 de Rudi Dutschke, « Rudi le Rouge » chef du syndicat des étudiants socialistes allemands, lors d’une manifestation contre la guerre du Viêt-Nam.
Toujours à propos de cette guerre, aux Etats-Unis, le pasteur noir Martin Luther King dénonçait l’injustice raciale : « Pourquoi envoyer des jeunes Noirs défendre à 16 000 km de chez eux des libertés « qu’ils n’ont jamais connues dans le sud-ouest de la Géorgie et dans l’est de Harlem » et pourquoi envoyer des garçons blancs et noirs se battre ensemble « pour un pays qui n’a pas été capable de les faire asseoir côte à côte sur les bancs des mêmes écoles » ? Le 4 avril, le pasteur était assassiné à Memphis au balcon d’un hôtel, ce qui entraîna bientôt des émeutes d’une extrême violence dans les ghettos noirs des grandes villes américaines souvent menées par les Black Panthers.
On se souvient peut-être des images, lors des Jeux Olympiques de Mexico, à l’automne suivant, des athlètes américains noirs Tommie Smith et John Carlos, vainqueurs de la course du 200 mètres, manifestant leur soutien à ces Black Panthers en levant le poing ganté de noir tandis que retentissait l’hymne américain. Des Jeux Olympiques contestés lors de manifestations estudiantines que le président mexicain Diaz Ordàz « régla » avec le massacre de la Place des Trois Cultures à Mexico.
Le populaire sénateur Robert Kennedy, favori pour les élections présidentielles américaines, connut le même destin tragique que son frère John Fitzgerald, et fut assassiné, alors qu’il sortait d’un hôtel de Los Angeles, par un jeune Palestinien lui reprochant son soutien à Israël.
J’allais oublier la Guerre des Six Jours du 5 au 10 juin 1967 opposant Israël à l’Égypte, la Jordanie et la Syrie.
En Europe, au-delà du « rideau de fer » qui coupait le continent en deux, ça bougeait aussi pour tenter de se dégager de la pesante tutelle soviétique. La riposte de celle-ci fut terrible, en Tchécoslovaquie, et le 21 août 68, les troupes blindées de Brejnev mirent fin au « Printemps de Prague ». Jean Ferrat en fit une poignante chanson :
« C’est un joli nom, tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai
Pendant des années, camarade
Pendant des années, tu sais
Avec ton seul nom comme aubade
Les lèvres s’épanouissaient
Camarade, camarade
C’est un nom terrible, camarade
C’est un nom terrible à dire
Quand, le temps d’une mascarade,
Il ne fait plus que frémir
Que venez–vous faire, camarade
Que venez–vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague
Que le mois d’août s’obscurcit
Camarade, camarade. »
Deux ou trois ans auparavant, le poète engagé, qui ne chantait décidément pas pour passer le temps, avait placé à la tête des hit-parades inondés par la vague yéyé, Potemkine, un hommage à la mutinerie survenue sur le cuirassé en 1905. Ce qui est bien pour décrire le contexte social et politique de l’époque, l’ORTF (Office de radiodiffusion et télévision française) refusa que Ferrat interprètât ce brûlot dans une émission de variétés à la télévision (« la voix de la France »). L’artiste quitta le plateau et fut remplacé par … Georges Guétary ! Ferrat reversa la recette d’un de ses récitals de Bobino aux comités de grève de nos usines durant le mois de mai 68.
Comme Reiser le dessina de manière grinçante, on vivait une époque formidable !!!
Dans sa célèbre chronique publiée dans le journal du soir Le Monde, le 15 mars 1968, le journaliste Pierre Vianson-Ponté déclarait : « Quand la France s’ennuie ». Il y décrivait un pays assoupi à l’écart des révoltes du monde, et anesthésié de télévision, où souffraient les jeunes ouvriers, les chômeurs, les petits paysans écrasés par le progrès, et les vieillards abandonnés. Sur le coup, ses propos passèrent inaperçus, ils apparaissent prophétiques aujourd’hui. « Rien de tout cela ne nous atteint directement : d’ailleurs la télévision nous répète au moins trois fois chaque soir que la France est en paix pour la première fois depuis bientôt trente ans et qu’elle n’est ni impliquée ni concernée nulle part dans le monde. »
C’est peut-être cela qu’on appelait le bonheur que semble vainement chercher aujourd’hui le chanteur Christophe Maé. Élevé dans un douillet cocon familial, j’avais vécu une enfance et adolescence insouciantes, c’est vrai. Mes parents avaient connu, dans leur prime enfance, la Grande Guerre de 14-18, et venaient de vivre la Seconde. Gamin, je les avais vus inquiets avec la guerre d’Algérie et leur crainte de voir leur fils aîné, mon frère, interrompre ses excellentes études universitaires pour répondre à l’appel de l’armée. Ils voulurent nous, du moins me, préserver. On appela ces années-là, du moins en partie, les Trente Glorieuses, on nous les reproche presque parfois aujourd’hui.
Et puis soudain, cette France qui s’ennuyait, s’anima, s’agita, se rebella. Le transistor, qui avait été mon compagnon de chambre durant toute mon adolescence, avec les reportages sur la route du Tour de France, les émissions quotidiennes de Salut les Copains, devint en ce mois de mai l’un des objets incontournables de notre quotidien. Les Beatles chantaient … Revolution, Simon et Garfunkel nous donnaient envie de la cougar Mrs Robinson, Sheila fredonnait Quand une fille aime un garçon (comment fait-on avec le surgé ?), Johnny hurlait À tout casser, Dutronc, sur un air guilleret de flûte chantait Paris s’éveille !
Mais surtout, les radioreporters sportifs de Radio-Luxembourg (ancien RTL) et Europe n°1 Guy Kedia et Fernand Choisel, magnétophones à l’épaule, se déplaçant à moto, se mirent à décrire les émeutes du Quartier Latin en direct sur les ondes: « Là, sur le boulevard Saint-Germain, il y a un tas de sable. Mais je viens de voir devant moi un policier qu’on emmenait, qu’on traînait, qui avait la figure en sang. Les étudiants chargent RECULEZ ! Les policiers ont reculé, même les CRS ont formé une espèce de toit avec leurs boucliers… Ce sont maintenant les CRS qui sont en train de charger, charger des voitures lançant de l’eau, des lances de pompiers. Et les manifestants ne reculent pas … ». « Le meilleur, c’est Fernand Choisel », grâce à son travail, son magnétophone de 13 kilos à l’épaule, « on imagine chaque coup de matraque dans la foule ».
« Radio-barricades » déferlait dans le dortoir de l’École Normale. Chacun de nous avait déserté sa guitoune individuelle pour vivre collectivement les événements qui éclataient à une vingtaine de kilomètres de là.
Bientôt, les transistors furent brandis aux balcons et fenêtres de la capitale pour que chacun entende dans la rue l’évolution de la situation et les discours des protagonistes, leaders des manifestants, formations syndicales, partis politiques et gouvernants.
Tandis que j’écris ces lignes, je pense au commentaire dit par Jean-Louis Trintignant en ouverture d’un trop confidentiel documentaire réalisé par mon regretté maître ès image Guy Chalon : « La société est une fleur carnivore. Ce n’est pas un tremblement de terre, c’est un tremblement de société.
Le 3 mai, pour la première fois depuis des siècles, un gouvernement donne l’ordre à la police d’entrer dans l’université de Paris.
Des étudiants et leurs maîtres contestaient, critiquaient, réfléchissaient.
La fermeture de la Sorbonne déclenche l’occupation des usines.
La grève générale s’étend sur toute la France et la répression s’abat sur le Quartier Latin.
Je suis la force dit le Pouvoir. Je suis le Pouvoir et je ne partirai pas. Mettez-le vous dans la tête à coups de grenades offensives, de grenades lacrymogènes, de grenades CB (chlorobenzane) ». Tout est dit ou presque.
C’est un peu confus dans ma mémoire mais durant quelques jours encore, l’enseignement fut dispensé à l’École Normale qui, antique bastion de l’école républicaine de Jules Ferry, était très conservatrice.
J’en souris encore, je me souviens de mon professeur de musique, excellent pédagogue mais sévère, qui fustigea, au début d’un de ses cours, ma tenue vestimentaire : « Vous allez à la manif ? ». J’avais juste omis de boutonner le col de ma chemise ! Ce fut là l’un des derniers soubresauts de l’Ancien Régime de l’éducation à Versailles !
Je ne vous narrerai pas par le détail tous les événements qui enflammèrent, au propre comme au figuré, le Quartier Latin. L’agitation universitaire tourna à l’insurrection dans la nuit du 10 au 11 mai, avec les barricades, les incendies de voitures et les charges de CRS aux abords du Boul’Mich’ et de la rue Gay-Lussac.
Face à la violente répression policière, la population commença à développer peu à peu une certaine sympathie pour les étudiants en lutte. Dans le petit microcosme versaillais de l’éducation, quelques fissures, et bientôt fractures, apparurent entre anciens professeurs conservateurs voire réactionnaires (pas tous !) et jeunes pédagogues progressistes (auprès desquels se rangea notamment … mon professeur de musique !). Vous devinez de quel côté se rassemblèrent les instituteurs de demain, certains par conviction profonde, déjà militants très actifs sur d’autres causes, une majorité d’autres, plus suiveurs que meneurs (j’en faisais partie) qui sentaient bien cependant qu’il se passait quelque chose d’important dans la société.
Á l’aube de la nuit sanglante du 10 au 11 mai (dont nous avions suivi heure par heure toutes les péripéties sur les transistors), syndicats et partis appelèrent à une démonstration de solidarité en faveur des étudiants pour le surlendemain.
Je ne résiste pas, à cet instant, à vous offrir ces mémorables archives tournées en plein festival de Cannes. On y reconnaît François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Claude Berri, Roman Polanski, Louis Malle et Jean-Pierre Léaud qui, outre leur sympathie envers les étudiants et ouvriers, se révoltent aussi contre le ministre de la culture André Malraux qui démet alors Henri Langlois de son poste de directeur de la Cinémathèque française. Le festival sera interrompu.
« Tout ce qui est un peu digne et important s’arrête en France » clame François Truffaut. « Je vous parle de solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travellings et gros plans. Vous êtes des cons ! » éructe Jean-Luc Godard. Admirable et jubilant!
Dans la maison de l’éducation sise au 3 boulevard de Lesseps à Versailles, nous aurions pu pasticher : « On vous parle de solidarité, et vous nous parlez instructions officielles et méthodes de lecture. » !
Le lundi 13 mai, un certain nombre d’entre nous participèrent à la gigantesque manifestation d’étudiants, lycéens, ouvriers et employés grévistes, venus de la France entière. Les estimations réalistes font état aujourd’hui de 500 000 personnes. Ce fut la première fois que je battis le pavé (l’expression allait perdre son sens originel !) des boulevards parisiens. J’avoue que j’en aimai spontanément l’ambiance joyeuse d’une foule à l’unisson, ses chants, ses slogans, ses vagues de drapeaux rouges. Il existait une esthétique des manifestations quoique puissent en douter certains après les récents débordements sur les Champs-Élysées.
La grève générale déclenchée le 13 mai paralysa alors le pays.Les cours furent suspendus. Peut-on vraiment dire que l’École Normale fut occupée ? Des assemblées générales furent organisées dans la vaste salle dite de conférences qui servait en temps normal pour les devoirs surveillés et les examens. Peu à peu, certains professeurs s’impliquèrent dans nos débats bouillonnants mais confus. Quelques-uns d’entre eux, dont mon vénéré prof de musique, vinrent même s’installer dans les dortoirs pour partager au plus près la vie des normaliens, jour et nuit.
Nous refaisions le monde pédagogique. Une irrésistible et indéfinissable envie nous animait. Il fallait que « ça » change mais que mettions-nous derrière ce ça ?
Pour les normaliens entrés après le baccalauréat, la formation professionnelle s’étalait déjà sur deux années. Le premier trimestre de la seconde année commençait par un stage en situation où l’élève-maître, seul dans sa classe, s’exerçait à la pratique de son métier en remplacement de l’enseignant titulaire qui partait pendant ce temps en formation continue.
Nous remettions en cause l’excès de didactisme de certains cours. Nous formions des « commissions », rédigions régulièrement des bilans. Je me souviens d’un surveillant général, par ailleurs excellent professeur de mathématiques, qui lorsque le directeur lui demandait ce que nous faisions, il lui répondait ironiquement : « Comme d’habitude, monsieur le directeur, ils bilanent ! ».
Ne me demandez pas les avancées pédagogiques tangibles que nous obtînmes, je me rappelle essentiellement de la mise en place d’un contrôle continu en lieu et place des épreuves du certificat de fin d’école normale.
Dire qu’un demi-siècle plus tard, c’est bien plus simple, nos gouvernants avec le soutien de pédagogues avertis ont supprimé les instituts de formation, ainsi les nouveaux enseignants se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, sans aucune formation, dans une école en proie aux graves problèmes de la société…
Quelques améliorations sensibles apparurent dans la discipline de l’internat jusqu’alors « doucement militarisée » : suppression de l’extinction générale de la lumière dans les chambres à 22 heures (ce n’était guère pratique lorsque vous étiez en pleine rédaction d’une fiche de préparation !), permission de sortie jusqu’à une heure du matin sous réserve de l’organisation d’un service de garde par les normaliens eux-mêmes à la conciergerie.
En l’absence de cours, l’écoute des radios périphériques, la lecture de la presse, et les échanges à bâtons rompus entre camarades et professeurs éveillaient mon esprit critique, ma conscience politique. Bientôt, je souhaitai sortir de ma simple condition de futur enseignant et humer l’air de Paris, à quelques kilomètres de là.
En journée, Paris était une fête pour reprendre le titre du livre d’Ernest Hemingway qui a connu un succès populaire lors des manifestations consécutives aux attentats de 2015 dans la capitale.
La parole se libérait. Je garde un souvenir précis et avide du Quartier Latin : à chaque coin de rue, se nouaient des conversations animées et foisonnantes entre inconnus, toutes générations et classes sociales confondues. C’était presque surréaliste de surprendre un dialogue impromptu entre un vieux prof de la Sorbonne, un infirmier, un employé de banque et un garçon de café, devant un groupe de badauds intéressés. Victor Hugo restait de marbre, du moins pensif, au milieu des étudiants dans la cour de la Sorbonne. Je tendais l’oreille, parfois enthousiaste, parfois dubitatif, j’absorbais, j’assimilais (et rejetais aussi) tel une éponge : une formation ultra accélérée à la conscience politique, citoyenne. Aujourd’hui, j’ai la nostalgie de ces échanges intenses quand je vois chacun déambuler le regard fixé sur son smartphone. Nul besoin de Facebook, Twitter ou Instagram en mai 68 ! Le général à la tête de l’État rangea cela sur le compte de la chienlit, ainsi qualifia-t-il le désordre ambiant.
On avait quelque chose en nous de l’ami Georges Brassens qui écrivit quelques vers méconnus sur les événements, même s’il resta fort discret dans la tempête de mai :
« À peine sortis du berceau
Nous sommes allés faire un saut
Au boulevard du temps qui passe
En scandant notre « ça ira »
Contre les vieux, les mous, les gras
Confinés dans leurs idées basses
On nous a vus, c’était hier
Qui descendions, jeunes et fiers
Dans une folle sarabande
En allumant des feux de joie
En alarmant les gros bourgeois
En piétinant leurs plates-bandes
Jurant de tout remettre à neuf
De refaire ’89
De reprendre un peu la Bastille … »
J’ai envie aussi d’accompagner un peu les Copains de 68 chantés par Jean-Roger Caussimon, un poète trop oublié et pourtant…
« Sur le chemin de ma bohème
J’ai vu des enfants qui passaient
Si l’avenir les angoissait
Ils voulaient espérer quand même
Notre rencontre fut trop brève
Où, sans se le dire, on s’aimait
En partageant les mêmes rêves
Le temps que dure un mois de mai … »
Il n’y allait bientôt ne plus avoir d’arbres ni de pavés sur le Boul’Mich’ !
Nourris spirituellement, avant que d’éventuels affrontements entre policiers et manifestants ne surgissent en soirée, nous traversions le fleuve pour manger entre copains dans un des petits bistrots autour des anciennes Halles Baltard qu’Émile Zola décrivit dans Le ventre de Paris.
Existe-t-il encore, dans l’un d’eux, pittoresque avec ses fresques en céramique, nous nous régalions d’une soupe à l’oignon ou d’une entrecôte frites, pendant qu’au comptoir, trinquaient les forts des halles, avec leur grande blouse sanguinolente de viande fraîche, et les péripatéticiennes des ruelles avoisinantes bottées de longues cuissardes.
Bientôt le cinéaste iconoclaste Marco Ferreri y installa le Q.G du général Custer dans sa parodie de western improbable et délirante Touche pas à la femme blanche. Quelle idée géniale d’avoir utilisé le trou géant laissé par la destruction des pavillons Baltard comme terrain d’aventure pour y jouer aux cowboys et aux indiens comme dans notre enfance.
Il racontait l’histoire de la défaite du général Custer interprété par Marcello Mastroianni, à Little Big Horn, face aux Indiens parmi lesquels Michel Piccoli en Buffalo Bill, Alain Cuny et Serge Reggiani ! Il me faut citer aussi Darry Cowl qui, petit canaillou, empaillait des Indiens.
Dans son pamphlet, Ferreri mettait en parallèle le génocide des Indiens d’Amérique et l’éviction des classes populaires dans les centres ville à cause des rénovations urbaines.
C’était aussi cela l’esprit impertinent de mai 68 avec le foisonnement artistique. La parole se libérait, les mœurs aussi bientôt.
C’est dans ces circonstances que je découvris la figure pittoresque d’Aguigui Mouna qui sillonnait le quartier Latin et celui des Halles avec son triporteur.
photographie Olivier Meyer
Aguigui Mouna, philosophe libertaire, pacifiste, écologiste avant l’heure, clochard sur les bords, fils de modestes cultivateurs savoyards, s’appelait de son nom d’état-civil comme tout le monde André Dupont !
L’un des derniers amuseurs publics sinon le dernier, haranguait la foule au coin des rues ou surgissait dans les restos pour vendre sa feuille de chou anarcho-utopiste Le Mouna Frères (le Mou nana pour les sœurs !) et se lancer dans ses diatribes hilarantes : « C’est en parlant haut qu’on devient haut-parleur !, À bas le caca, à bas le pipi, à bas le caca-pipi-talisme !, Mieux vaut être actif aujourd’hui que radioactif demain ! »
En mai 68, aux étudiants qui lui lançaient « Mouna, folklore », il répondait : « Tu préfères le chlore ? ». Longtemps après, il poursuivit ces harangues devant le Centre Beaubourg.
Le royaume de France chancelait comme le chanta joliment Jean-François Caradec :
L’essence, cette « chère » essence encore au cœur des manifestations cinquante ans après, se raréfiait. Il n’était pas question de retrouver, en week-end, mes racines familiales normandes qui s’inquiétaient sans doute.
Les raffineries furent bloquées. Les usines, Renault à Flins et Billancourt, Peugeot à Sochaux, cessèrent le travail. Les automobiles ne roulèrent plus. Les autobus de la RATP ne circulèrent plus. À la SNCF, le trafic devint nul et les aéroports de la région parisienne paralysés. Les techniciens de l’Opéra décidèrent la grève illimitée. La Banque de France se mit en grève. La grève s’étendit partout dans le pays.
Vous connaissez ma passion pour le sport. Même les footballeurs, presque exclusivement des amateurs, occupèrent le siège de la Fédération française. Sur le fronton de l’hôtel particulier cossu sis avenue d’Iéna, apparut une banderole : Le football aux footballeurs. Je suivais attentivement le mouvement à travers la lecture des chroniques et éditoriaux des valeureux journalistes du magazine d’obédience communiste Miroir du Football qui s’engagèrent activement dans la fronde. Bientôt, les joueurs professionnels furent délivrés du contrat esclavagiste qui les liait à leur club tout au long de leur carrière. Les Platini, Zidane, Mbappé savent-ils seulement que la scandaleuse et vertigineuse explosion de leurs salaires planta peut-être ses premières graines à cette époque. Clin d’œil, plutôt que s’exprimer sur les événements, l’une des grandes figures du mouvement étudiant, Daniel Cohn-Bendit, amoureux du ballon rond, a publié au printemps dernier un livre intitulé Sous les crampons, la plage.
Pendant quelques semaines, on craignit aussi que le Tour de France, cette mythologie évoquée par Roland Barthes, ne puisse se dérouler lors de l’été 68. Sans essence, comment disputer une course cycliste ? Vous oubliez les incontournables véhicules de la caravane publicitaire et de la presse qui les accompagnent !
Comme l’écrivit le truculent romancier René Fallet : « Quand le Tour de France n’a pas lieu, c’est, comme par hasard, le tour des catastrophes… Il ne manque à cette épreuve centenaire que quelques lignes qui correspondent fâcheusement aux années noires des deux dernières guerres mondiales. »
Détail cocasse, ce fut le dernier Tour de France disputé par équipes nationales avant de laisser la place aux formations de marques publicitaires.
« Allez-y les gars, cassez tout, c’est le temple du capitalisme ! ». En la nuit du 24 mai, nous fûmes tout de même inquiets dans nos piaules de l’École Normale en écoutant à la radio les reportages sur la Bourse de Paris en feu. Nous ne savions pas vers quelle dérive nous menait la colère nourrie par le discours prononcé par le général de Gaulle dans l’après-midi.
Les mouvements de grève avaient pris un tour politique, les accords de Grenelle (dont une augmentation du SMIG de 35%) négociés par le Premier Ministre Georges Pompidou avec les syndicats, la dissolution de l’Assemblée Nationale le 29 mai, la mystérieuse fuite du général en Allemagne puis son retour, la marche massive de soutien au général, menée par Malraux, sur les Champs-Élysées (tiens donc, j’ai entendu ces jours-ci qu’il n’y avait jamais eu de manifestation politique sur la « plus belle avenue du monde » !).
Le 31 mai, l’essence revint comme par enchantement dans les stations-services. La presse rapportait que des chars convergeaient vers Paris et étaient basés, à quelques kilomètres de Versailles, dans les camps de Frileuse et Satory.
Malgré quelques ultimes escarmouches insurrectionnelles, Mai 68 avait vécu, pas seulement au niveau du calendrier. Les élections législatives de la fin juin s’achevèrent sur un raz-de-marée gaulliste. « Chacun rentra bientôt chez son automobile » comme le chanta Claude Nougaro
Comment ne pas conclure cette belle parenthèse de ma jeunesse avec son génial poème-cri :
« Le casque des pavés ne bouge plus d’un cil
La Seine de nouveau ruisselle d’eau bénite
Le vent a dispersé les cendres de Bendit
Et chacun est rentré chez son automobile
J’ai retrouvé mon pas sur le glabre bitume
Mon pas d’oiseau-forçat, enchaîné à sa plume
Et piochant l’évasion d’un rossignol titan
Capable d’assurer le Sacre du Printemps
Ces temps-ci je l’avoue j’ai la gorge un peu âcre
Le Sacre du Printemps sonne comme un massacre
Mais chaque jour qui vient embellira mon cri
Il se peut que je couve un Igor Stravinsky … »
Je ne saurais trop vous dire comment se termina mon « année scolaire », il me semble que les cours ne reprirent pas, on « bilana » sans doute encore quelques jours puis, dans la désorganisation générale, nous rejoignîmes nos familles pour de longues vacances d’été. Pour ma part, quel paradoxe, je les passai aux États-Unis dans un long périple coast to coast et retour, prévu de longue date en raison de la présence de mon frère à l’université de Yale.
En septembre, chacun se retrouva livré à lui-même dans sa classe primaire. Nous avions de temps en temps la visite, peut-être un plus indulgente, des professeurs-inspecteurs.
Le Père Noël passa à l’École Normale : à l’issue du stage, nous bénéficiâmes de ce qu’on n’appelait pas encore « semaine d’intégration ou de motivation », un séjour de ski au Grand Bornand.
Par la suite, un certain jeune professeur nous parla de Célestin Freinet, un vieux monsieur né en 1896 qui, avec tout un réseau d’instituteurs, inspira une pédagogie à son nom basée sur l’expression libre des enfants, sur la correspondance (sans réseaux sociaux !), sur le journal scolaire (qu’une récente ministre de l’Éducation sembla « réinventer » !).
Il était bientôt temps d’entrer dans ma vie professionnelle. Pauvres instituteurs (et professeurs) qui reçurent de plein front le casse-tête des « maths modernes » ! Pour être honnête, cette réforme de l’enseignement des mathématiques, lancée en 1969, n’est nullement une improvisation soixante-huitarde comme on l’a souvent injustement entendu proclamer. En réalité, ses germes apparurent dès avant 1940 sous l’égide d’un groupe de jeunes mathématiciens connu sous le nom de collectif Bourbaki.
Mai 68 a souvent eu bon dos quand il s’est agi, depuis, de trouver un coupable à des dysfonctionnements sociétaux.
C’était diffus, c’était confus, je ne peux dire précisément ce qui changea dans mon quotidien, mais « ça » changea sans que « le fond de l’air soit rouge » pour reprendre le titre du documentaire fleuve de Chris Marker. L’école de la République est très conservatrice et on ne bouge pas le mammouth comme ça !
La vie réserve des surprises, vous allez sourire, l’administration de l’École Normale de Versailles me recruta comme instituteur détaché dans un poste de maître-adjoint qui me permettait de poursuivre mes études universitaires en assurant … la surveillance des élèves-maîtres sous l’autorité hiérarchique du, vous vous souvenez, professeur de mathématiques !
Les jeunes avaient pris la parole, les adultes les avaient (un peu) écoutés et tentaient (plus ou moins) de les comprendre, je souris, cela me renvoie à une dialectique d’actualité.
« Ça » bouillonnait quand même, et les Images en lutte de l’exposition de l’École des Beaux-Arts de Paris se sont chargées de me rafraîchir la mémoire, de me réchauffer le cœur aussi souvent. L’humour et l’insolence venaient briser la monotonie des discours convenus des gouvernants et technocrates.
Les années 1968-1974 constituèrent un moment particulier de notre histoire où la création et les luttes sociales, l’art et la politique, furent intimement mêlés.
Les jeunes artistes et créateurs, majoritairement engagés dans les mouvements d’extrême-gauche (trotskyste, maoïste, libertaire), produisirent des images qui ont directement accompagné les combats de l’époque et nous les replacent ici en mémoire.
L’exposition remet en évidence la fascination d’alors exercée par des modèles « exotiques », Cuba castriste, Chine de la Révolution culturelle, Vietnam de la guerre contre les puissances impérialistes.
Je stationne, quelques instants, devant La Datcha, une jubilante œuvre collective. La toile conceptuelle est légendée de manière pamphlétaire ainsi : « Louis Althusser hésitant à entrer dans la datcha de Claude Lévi Strauss où sont déjà réunis Jacques Lacan, Michel Foucault et Roland Barthes à l’instant où la radio annonce que les étudiants et les ouvriers ont décidé d’abandonner leur passé ».
Les artistes s’en prennent à des figures tutélaires, des philosophes qui inspirèrent les insurgés de mai 68. Roland Barthes sert le café (ou la vodka ?) à Claude Lévi-Strauss et Michel Foucault assis dans les fauteuils. En arrière-plan, Louis Althusser est encore dehors, des livres, sans doute de Marx, à la main.
C’est aussi avec plaisir que je découvre deux œuvres de Gérard Fromanger, figure de proue de la figuration libre dont l’apport fut essentiel dans l’imagerie de Mai 68. Il fut d’ailleurs l’un des fondateurs de l’atelier des Beaux-Arts au moment des événements.
Son tableau très conceptuel La vie d’artiste va de la photographie à la peinture. Il se met en scène dans la pénombre projetant sur la toile blanche, grâce à un épiscope (les jeunes générations ne peuvent pas connaître cet ancêtre du rétroprojecteur qui permettait de projeter en classe des documents) une diapositive matrice de sa véritable future peinture. La photographie permet au peintre d’introduire le monde réel dans son tableau.
Peindre la révolution ou révolutionner la peinture, l’artiste rebelle, précurseur du pop ‘art, n’a pas choisi. Le peuple est la vedette des toiles de Fromanger. Il l’a peint dans les rues de Paris, battant le pavé pour manifester, allant travailler et aussi mourant pour ses convictions. Il en est ainsi dans son hommage à Pierre Overney, un jeune militant maoïste assassiné en 1972 par un vigile à la sortie des usines Renault à Billancourt.
Il peint son tableau, énigmatique au premier abord, en reprenant une photographie de Pierre Overney gisant allongé au sol. Le rouge, sa couleur favorite, couleur du sang et de la révolution, domine. La multitude de points rouges serait une référence au Temps des Cerises, chanson emblématique de la Commune.
Je me souviens de mon maître ès image qui, lors de la projection de son diaporama « Voir et faire voir », aimait à dire : « C’est beau des drapeaux rouges ! ».
La mort de Pierre Overnay provoqua un grand retentissement médiatique et plusieurs émeutes. Ses obsèques, le 4 mars 1972, rassemblèrent jusqu’au cimetière du Père-Lachaise un long cortège de 200 000 personnes, parmi lesquelles Jean-Paul Sartre et Michel Foucault.
Dans une vitrine, je retrouve un disque vinyle de Catherine Ribeiro que j’avais oublié, et pourtant il figure dans ma discothèque. Catherine, avec son groupe Alpes, fut une pasionaria rouge dans les années 1970. Écoutez une reprise de son Pervers Prévert, on ferme et elle l’ouvre :
En 68, Higelin installa son piano dans la cour de la Sorbonne. Leny Escudero ne chantait pas que « Pour une amourette » et animait gratuitement les usines.
Quelques documents de l’exposition témoignent que déjà l’extrême-gauche s’intéressait aux droits des femmes et des homosexuels, aux conditions des détenus, à l’écologie, rien de nouveau sous le soleil timide de mai 2018.
Bien sûr, ne sont pas oubliées les grandes luttes des ouvriers de Lip (les hors-la-loi de Palente) qui étaient à l’heure de l’autogestion, et des éleveurs du Larzac combattant l’expropriation de leurs terres par l’armée (relisez à ce sujet mon billet http://encreviolette.unblog.fr/2011/12/01/allez-tous-au-larzac-un-film-de-christian-rouaud/ )
Quel bonheur de retrouver pêle-mêle sur une table, disponibles à la lecture, des vieux numéros de Harakiri Hebdo, Charlie-Hebdo et La Gueule ouverte.
Dans d’autres billets, j’ai évoquér l’interdiction définitive d’Harakiri-Hebdo avec sa couverture « incendiaire » Bal tragique à Colombey à l’occasion de la mort du général de Gaulle, puis sa résurrection (celle du journal bien sûr !) sous le titre Charlie-Hebdo.
On arriverait aujourd’hui à pardonner à l’infâme ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin : on tuait alors des journaux mais on n’assassinait pas des journalistes pour des dessins.
Comme je regrette aujourd’hui de n’être plus en possession de ma collection du mensuel La Gueule ouverte disparue mystérieusement lors d’un déménagement. Ce journal écologique et politique fut fondé par Pierre Fournier, pacifiste et journaliste à Charlie-Hebdo. Reiser, Cabu, Gébé, Wolinski, Cavanna, entre autres, y dessinaient ou écrivaient. C’était riche, documenté, utopique parfois, visionnaire (trop) souvent. Nos gouvernants actuels, qui accommodent la transition écologique à toutes les sauces souvent frelatées, seraient avisés de le feuilleter.
Puisque j’évoque ces figures iconoclastes, j’ai envie ici de mentionner l’émergence, dans la continuité de 68, d’un nouveau théâtre et, particulièrement, du phénomène des cafés-théâtres avec une nouvelle forme de représentation, la déconstruction du récit, l’intégration du spectateur dans le spectacle. C’est à cette époque que je découvris un jeune humoriste exceptionnel dans une petite salle « Le vrai chic parisien » située impasse d’Odessa (qui n’existe plus) dans le quartier Montparnasse. Il interprétait le personnage de Bobby rocker de banlieue dans une parodie de comédie musicale au temps des yéyés Ginette Lacaze 1960 : « Je veux rester dans le noir/Je veux chevaucher une dernière fois/Mon cheval d’acier vers la mort ». Il s’appelait Coluche.
En sortant des Beaux-Arts, en m’enfilant dans les ruelles de Saint-Germain-des-Prés, je pense à Léo Ferré :
« L’été comme un enfant s’est installé
Sur mon dos
Et c’est très lourd à porter
Un enfant tout un été
Sans cigales
Avec des hiboux ensoleillés
Comme les enfants du mois de mai
Qui reviendront cet automne
Après l’été de mil sept cent quatre-vingt-neuf
Ça ira ça ira ça ira … »
Allez, un petit crochet par la rue de Verneuil pour montrer à l’ami qui m’accompagne les graffiti sur les murs de la maison de Serge Gainsbourg.
Serge observa les événements de mai 68 depuis une chambre de l’hôtel Ritz, place Vendôme, occupé aussi qu’il était par sa rencontre avec Jane Birkin.
Cependant, génial opportuniste, il incarna au mieux la libération sexuelle de mai en enregistrant, cette année-là, deux chansons pleinement érotiques, Je t’aime … moi non plus et 69, année érotique.
C’était il y a un demi-siècle, il faisait chaud et beau en ce mois de mai 68, au propre comme au figuré.