Une semaine à Florence (5)
J’ai laissé en suspens durant cet été mon carnet de voyage à Florence, le mot farniente n’est-il pas d’ailleurs d’origine italienne. J’en reprends la rédaction.
Pour lire les précédents billets sur mon séjour à Florence :
http://encreviolette.unblog.fr/2018/06/18/une-semaine-a-florence-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2018/07/01/une-semaine-a-florence-3/
http://encreviolette.unblog.fr/2018/07/23/une-semaine-a-florence-4/
Jeudi 24 mai 2018 :
Une grasse matinée toscane n’est pas à l’ordre du jour. Afin d’anticiper l’affluence, il s’agit en effet de nous rendre tôt à la Galleria dell’Accademia.
Nous sommes plusieurs centaines à avoir eu la même idée et, une heure avant l’ouverture du musée, les files d’attente sont déjà conséquentes sur le trottoir de la rue Ricasoli.
D’un côté de l’entrée, il y a les visiteurs munis d’un billet, de l’autre, les moins prévoyants comme nous. Pour nous prémunir de la chaleur déjà forte, des vendeurs à la sauvette nous proposent des éventails à l’effigie de la star du lieu.
Finalement, l’attente est raisonnable, nous n’avons à patienter qu’une heure pour nous glisser à l’intérieur, guère plus que les titulaires de coupe-file.
J’observe une hâte, une nervosité, inhabituelles dans un musée, presque dignes d’un premier matin des soldes. Beaucoup de visiteurs, vrais amateurs d’art je n’en suis pas persuadé, filent directement au fond de la galerie, avides de faire un selfie (sans perches, elles sont interdites) avec leur idole. Daviiiiiiiiiiiiid !
Moins impatient, je profite de l’aubaine pour admirer plus tranquillement les trésors artistiques de la première salle dite du colosse ainsi nommée car elle abritait, au XIXème siècle, le modèle en plâtre d’une des statues des Dioscures, Castor et Pollux.
On ne perd pas au change, je peux admirer, au centre de la pièce, une copie en plâtre de L’enlèvement des Sabines sculpté par Giambologna, notre ex compatriote Jean de Boulogne. On trouve l’original, vous l’avez vu précédemment, sous la Loggia dei Lanzi sur la Piazza della Signoria. Ce n’est qu’après sa création qu’il fut décidé que la sculpture faisait référence à l’une des Sabines vierges enlevées, selon la mythologie, par la première génération d’hommes de Rome.
Je suis ébahi que cet entrelacement de trois personnages ait été taillé dans un seul bloc de marbre. Quel mouvement, quel équilibre pour soulever ici la « gypse queen » !
Sur les murs autour, se succèdent des œuvres magistrales traitant des sujets religieux du XVème et début du XVIème siècle.
Quand je vous parle de cyclisme, je m’enflamme pour Fausto Coppi, Gino Bartali, Ercole Baldini, Felice Gimondi, les héros de mon enfance. Ici, je reste en extase devant les toiles signées Paolo Uccello, Perugino, Filippino Lippi, Domenico Ghirlandalo et Sandro Botticelli, des campionissimi de la Renaissance.
Je ne sais pas si vous ressentez la même chose, mais une émotion particulière m’étreint souvent quand je me retrouve devant un tableau d’un « très grand » de la peinture, ainsi ici une œuvre de jeunesse de Botticcelli, la Madonna avec son bambino, accompagnés de deux anges et du jeune saint Jean-Baptiste. L’ange qui nous fixe du regard joue le rôle du « festaïolo » établissant le contact avec le spectateur.
Je m’attendris littéralement devant la Madone de la mer, une petite (60×40 cm) peinture, datant de 1480-1481, qu’on accorde également à Botticceli … ou peut-être au jeune Filippino Lippi.
Cette représentation de la Vierge et l’Enfant avec, en arrière-plan, un paysage de bord de mer est peu commune. Vous n’avez absolument rien à craindre, la grenade que l’enfant tient dans sa main est le fruit symbole de fertilité.
Non loin de là, on passe de l’intimiste au fastueux avec le Cassone Adimari qui était traditionnellement la façade d’un coffre de mariage.
La peinture panoramique, d’une largeur de trois mètres, représente une scène des noces du guelfe florentin Boccaccio Adimari et de Lisa Ricasoli célébré en 1420. On reconnaît le centre ville de Florence avec, en arrière-plan, le baptistère Saint-Jean.
Je circule dans la salle un peu en tous sens au gré du confort de vision que me laissent les inconditionnels du selfie, ainsi je me dirige vers un mur couvert de retables.
Pietro di Cristoforo Vannucci, ça ne vous interpelle pas, mais si je vous dis le Pérugin, une autre pointure de la peinture de la Renaissance italienne… C’est lui l’auteur du retable de Vallombrosa dont on ne peut admirer que le panneau central représentant l’Assomption de la Vierge.
En effet, je ne suis pas fier de mon compatriote guère impérial en la circonstance, l’amputation de l’œuvre date de la suppression des ordres monastiques souhaités par Napoléon en 1810.
Après son transfert au musée du Louvre, le panneau central fut restitué lors de la Restauration en 1817. Le retable recomposé partiellement est visible à l’Académie depuis 2013.
Botticelli encore, Botticcelli toujours, je m’attarde maintenant devant sa célèbre Pala del Trebbio commandée par Pierfrancesco des Médicis : Marie et le petit Jésus bien sûr avec des saints, en veux-tu en voilà, Dominique, les deux frères Côme et Damien, Laurent, François d’Assise et Jean-Baptiste. On appelait Côme, patron des chirurgiens, et Damien, patron des pharmaciens, les anargyres parce qu’ils soignaient sans accepter d’argent.
Le polyptique de l’Annunziata est un autre retable fractionné dont on ne voit ici que la face représentant la Déposition du Christ, l’autre partie consacrée à l’Assomption demeurant à la basilique de Santissima Annunziata qui figure au programme de l’après-midi.
Cette œuvre commencée par Filippino Lippi fut achevée à sa mort par le Pérugin. On s’affaire pour descendre le corps du Christ soutenu par Joseph d’Arimathie. Marie qui ne supporte pas de voir cette scène, est au bord de l’évanouissement, tandis que Marie-Madeleine prie agenouillée.
C’est encore une autre histoire, ou plutôt plein d’autres histoires, que raconte Paolo Uccello dans La Thébaïde, une peinture datable de 1480 d’un format relativement modeste (83×118 cm).
La Thébaïde est une région désertique autour de Thèbes en Égypte dont l’iconographie chrétienne s’est servie pour rassembler en une seule unité spatiale des épisodes temporellement distants de la vie des saints et des moines. C’est un peu comme aux studios romains de Cinecitta où l’on recycle divers décors de l’antiquité pour plusieurs films, séries ou spots publicitaires.
Ainsi, on distingue parmi un foisonnement d’éléments, l’Apparition de la Vierge à saint Bernard de Clairvaux (à gauche), et juste au-dessus des flagellants autour du Christ en croix.
Certains visiteurs mettent quasiment le nez sur le tableau pour repérer une microscopique tâche rouge discoïdale à côté de saint Jérôme pénitent priant dans sa grotte (au centre). Quelques écrivains farfelus, la tête encore plus dans les étoiles que les personnages du tableau, y voient un objet volant non identifié là où il ne s’agit que d’une coiffe de cardinal symbole de la renonciation du saint à la carrière ecclésiastique pour se faire moine.
Source de scepticisme encore avec le tableau de Domenico Ghirlandaio et ses portraits majestueux de saint Étienne entre saint Jacques le Majeur (avec son bâton de pèlerin) et saint Pierre (avec la clé du Paradis !).
Or, si j’en crois le texte explicatif (et mon anglais approximatif), lorsque cette peinture (1493) primitivement placée dans une chapelle de famille de l’église de Santa Maria Maddalena de’ Pazzi, déménagea vers la chapelle de San Girolamo (saint Jérôme), saint Étienne aurait été alors transformé en saint Jérôme par Fra Bartolomeo (1525) ! Il fut annulé au XIXème siècle.
Voyez que les peintres de la Renaissance n’avaient nul besoin de Photoshop pour retoucher leurs œuvres !
Daviiiiiid ! Patience, il est là-bas tout au fond de la salle des Prisonniers, ainsi appelée à cause des quatre grandes ébauches de sculptures d’esclaves ou captifs. Elles furent commencées par Michel-Ange pour la tombe du pape Jules II. Ce pontife raisonnable sursit au projet en 1506 pour pénurie d’argent.
Michel-Ange, dont on voit, à l’entrée de la salle, le buste sculpté par l’artiste maniériste Daniele da Volterra (le Volterran), passa des mois dans les carrières de Carrare pour sélectionner les marbres les plus brillants.
Après la mort du génial artiste, quatre de ces sculptures inachevées de prisonniers furent installées dans la grande grotte des jardins de Boboli (nous irons bientôt) avant d’être transférées à l’Académie en 1908. L’intérêt de ces œuvres réside dans le fait qu’on découvre leur état temporaire d’ébauche laissant entrevoir la matière déjà libérée par l’artiste.
Proches de ces statues de Michel-Ange, ont été accrochées quelques tableaux d’artistes pour témoigner de leur amitié envers le génie.
Ce matin, j’ai l’humeur libertine et je m’arrête devant Vénus et Cupidon, un des chefs-d’œuvre de Pontormo, ainsi que la poitrine généreuse d’une donna mise en valeur par Michele de Rodolfo del Ghirlandaio (rien à voir avec l’autre).
Daviiiiiiiid ! Oui, je suis maintenant à ses pieds. Il est là devant moi, tout en marbre. Le « vrai », l’original !
Bien que rigoureusement de même taille, plus de cinq mètres socle compris, il apparaît beaucoup plus imposant que sa copie devant le Palazzo Vecchio. Question de scénographie sans doute avec ici, la coupole l’éclairant d’un halo de lumière.
David a connu pas mal de tribulations avant d’être hébergé à l’Académie. C’est d’abord sous forme d’un massif bloc de marbre brut d’environ 9 tonnes qu’il quitta les carrières de Carrare pour rejoindre Florence en bateau via la Méditerranée et l’Arno. Il resta ainsi pendant plusieurs années avant que Michel-Ange, alors âgé de moins de 30 ans, n’en prenne possession pour faire surgir son héros originellement prévu pour la tribune du Duomo.
Finalement, après moult discussions : « Il était minuit, le 14 mai et le géant a été sorti de l’atelier. Ils ont même dû démolir l’arcade, tellement il était énorme. Quarante hommes poussaient la grande charrette de bois où David était protégé par des cordes, le faisant glisser à travers la ville sur des malles. Le géant arriva finalement à la place de la Signoria le 8 juin 1504, où il fut installé à côté de l’entrée du Palazzo Vecchio, remplaçant la sculpture en bronze de Judith et Holopherne par Donatello. » David émigra à l’Accademia en 1873 pour le protéger des intempéries.
David est le héros biblique victorieux du géant Goliath dans le premier livre de Samuel. Très prisé par les artistes, Donatello et Verrocchio s’en étaient inspirés avant Michel-Ange. Ils voyaient là l’occasion de se confronter à l’idéal du nu masculin. Mais alors qu’ils exhibaient le glaive qui venait de trancher la tête de Goliath, Michel-Ange choisit de sculpter David avant le combat, prêt à défier le géant. Il n’est pas statique grâce à l’utilisation du contrapposto (déhanchement) qui est une attitude où seule une des deux jambes supporte le poids du corps.
À la différence de David lui-même, on ne peut rester de marbre devant le génie de Michel-Ange. Comment, à partir d’un unique bloc de pierre, Michel-Ange a pu rendre avec tant de vérité chaque ondulation de la chevelure, le plissement du front, le contour des yeux, la musculature, les veines même sur la main !
Étonnante séquence de voyeurisme, David est reluqué sous toutes les coutures et, dans une certaine bousculade, les visiteurs tournent autour pour trouver le meilleur angle de prise de vue qui mettra en valeur sa puissance ou sa virilité. Pour une fois, je serais curieux de voir les innombrables selfies, probablement des dizaines de milliers quotidiennement.
Récemment, l’exposition d’une copie troubla quelques russes de Saint-Petersbourg et japonais choqués par le membre viril. Il semblerait que, déjà, lors de sa traversée de Florence, en 1504, depuis l’atelier jusqu’à la place de la Seigneurie, David fut victime de jets de pierre.
Au-delà de sa nudité qui pouvait sans doute créer la polémique dans une époque très pudibonde, encore que l’Église romaine fit bon ménage avec les Vénus, Apollons et Hercules complètement dévêtus, David revêt aussi une signification politique.
Comme l’écrit Vasari : « David avait défendu son peuple et gouverné avec « justice » comme les gens au pouvoir devraient eux-mêmes défendre la cité et la gouverner dans la justice. ». Sa statue est considérée aussi comme une œuvre exprimant les idéaux de la République de Florence à l’encontre des intrigues de la famille Médicis et des ambitions papales, à tout le moins le symbole de l’homme vertueux sur le tyran.
Je tends l’oreille pour recueillir les explications d’une professeure française à son groupe de collégiens d’une banlieue probablement défavorisée comme on la nomme pudiquement. Ils n’ont sans doute pas eu souvent l’occasion d’entrer dans un musée. Je souris, l’un d’eux demande si David est arabe !
David, c’est le Kid et pour faire le lien entre les générations, je vous offre le magnifique clip d’Eddy de Preto :
« Tu seras viril mon kid
Je ne veux voir aucune larme glisser sur cette gueule héroïque
Et ce corps tout sculpté pour atteindre des sommets fantastiques
Que seul une rêverie pourrait surpasser … »
Me consolerais-je de mes problèmes d’arthrose, David, tout kid qu’il puisse être, connaîtrait aussi ses petits ennuis de santé et souffrirait de micro-fractures aux jambes et des fissures inquiétantes seraient apparues. Les spécialistes soupçonnent que ses chevilles trop fines supporteraient mal le poids du colosse et que trois siècles d’exposition aux intempéries sur la place de la Seigneurie n’arrangent pas les choses.
Dussè-je indigner la gente féminine, David n’est pas si bien « gaulé » que cela. Ainsi, si on l’examine attentivement, sa main droite semble disproportionnée au reste de son corps, sa tête également. Il aurait aussi une jambe plus longue que l’autre. En fait, en raison de son placement supposé à l’origine en haut du Duomo, pour créer des illusions d’optique, Michel-Ange amplifia volontairement certains éléments morphologiques afin de rendre son héros plus expressif encore et plus harmonieux lorsqu’on le regarde à distance, comme ici, en contre-plongée.
L’engouement est largement moindre, à quelques pas de là, dans la Gypsothèque Bartolini. En 1784, le grand-duc de Toscane Pierre-Léopold transforma une aile de l’hôpital militaire de San Mateo en une galerie où les étudiants de l’école des Beaux-Arts voisine pourraient étudier de grands œuvres du passé. C’est ainsi que l’on peut circuler au milieu d’une collection de plâtres du XIXème siècle de Lorenzo Bartolini et de Luigi Pampaloni, brillants sculpteurs et professeurs de l’Académie.
Dès l’entrée dans la salle, je tombe nez à nez avec Elisa Baciocchi. Cela ne vous dit sans doute rien, à moi non plus jusqu’à cet instant : elle fut princesse de Lucques et Piombino, état de 1805 à 1815 de Napoléon Ier son oncle. Elle nomma directeur de l’académie de sculpture Carrare Bartolini qui devint le portraitiste attitré de la famille Bonaparte. On reproche à notre président la nomination d’un de ses proches, l’écrivain Philippe Besson comme consul général à Los Angeles, mais voici la preuve que le copinage ne date pas d’aujourd’hui !
Non loin, les charmantes Emma et Julia Campbell, petites-filles du duc d’Argyll, esquissent un pas de valse. L’œuvre originale en marbre, d’une hauteur de trois mètres, dormait, il y a encore trois ans, dans le château familial d’Inveraray en Écosse. Le gouvernement de Sa Majesté la reine Elizabeth l’a sauvée de sa vente aux enchères Sotheby à un amateur d’art privé en faisant valoir son droit de préemption et en faisant lever plus de 500 000 livres pour le conserver au Victoria et Albert Museum de Londres.
Bartolomi a renoncé à représenter Junon irritée par le jugement de Pâris qui lui refusa la pomme d’or de la discorde. Bien lui en prit, elle se prélasse devant nous dans toute sa beauté. Je comprends que, selon la mythologie romaine, Jupiter l’ait épousée… sauf qu’elle était aussi sa sœur. Ah ces dieux sans foi ni loi !
Tout près de là, les selfies ne vont pas aider Narcisse à guérir de sa maladive autosatisfaction, lui qui, lorsqu’il aperçut son visage dans l’eau limpide d’une fontaine, en tomba amoureux.
On baigne dans la sensualité voire l’érotisme. Les femmes craquent pour Daviiiiid, j’ai le béguin pour la Bacchante sculptée entre 1824 et 1834 par Bartolini encore, pour le duc de Devonshire. Sous-légendée Dircé, elle est ici au repos sans crainte de la voir, comme dans la mythologie, attachée à la queue d’un taureau parce qu’elle maltraita Antiope, nièce de son époux Lycos régent de Thèbes, pour avoir été séduite par Zeus. Quand je vous dis que nous n’avons pas de leçon de morale à recevoir des dieux … !
Les bacchantes étaient des nymphes qui célébraient le culte de Dionysos, dieu de la vigne, du vin et de ses excès. Et glou et glou et glou, elles sont des nôtres car elles ont bu leur verre comme les autres … je vous assure je suis à jeun.
Cela me rappelle une chanson de Jean-Louis Murat adaptée du poème La Bacchante de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857). Vous l’écouterez sur youtube si vous déclinez votre âge (https://youtu.be/CR_Z5HPjbUY ) :
« Cher amant, je cède à tes désirs ;
De champagne enivre Julie.
Inventons, s’il se peut, des plaisirs
Des amours épuisons la folie.
Verse-moi ce joyeux poison ;
Mais surtout bois à ta maîtresse :
Je rougirais de mon ivresse
Si tu conservais ta raison.
Vois déjà briller dans mes regards
Tout le feu dont mon sang bouillonne.
Sur ton lit, de mes cheveux épars,
Fleur à fleur vois tomber ma couronne.
Le cristal vient de se briser :
Dieu ! baise ma gorge brûlante,
Et taris l’écume enivrante
Dont tu le plais à l’arroser … »
Loin de l’effervescence régnant autour de David, il me plait d’errer au milieu de tous ces plâtres.
La dernière section de l’Académie est consacrée à la peinture gothique florentine, et notamment au chef-d’œuvre de Pacino di Bonaguida, son tableau de l’arbre de vie (1305-1310). D’après l’Apocalypse, l’arbre, sur lequel le Christ est crucifié, offre des cadeaux à l’humanité, représentés comme des fruits à l’extrémité des douze branches.
Avant de sortir, je jette un dernier coup d’œil à David, je ne reverrai peut-être jamais plus la sculpture originale de Michel-Ange.
Mauvais timing, il est trop tard pour visiter ce matin la basilique San Marco, et la même pénitence nous est infligée pour la basilique de la Santissima Annunziata toute proche. Il faut nous résigner à patienter en flânant sur les élégantes places éponymes.
La Piazza San Marco fut réalisée dans la première moitié du Quattrocentto (XVème siècle) selon le goût de Cosme de Médicis suite à la restauration de l’église et du couvent San Marco que le pape Eugène IV avait confisqué aux Bénédictins pour l’offrir aux Dominicains de Fiesole.
Je ne pourrai malheureusement pas visiter dans le couvent les cellules des moines décorées de fresques de Fra Angelico, et en particulier, celle du plus célèbre d’entre eux, le prieur Jérôme Savonarole. J’imagine les affrontements oratoires sur cette place entre les arrabiati, les « enragés » et les piagnoni, les « pleureurs », disciples de Savonarole célèbre pour ses sermons contre la luxure, le pape (alors, Alexandre Borgia) et les Médicis. Mal lui en prit puisqu’il fut pendu et brûlé sur la Place de la Seigneurie.
L’Italie aime rendre hommage à ses grands hommes. Au centre de la place, dans un square public, se dresse la statue en bronze du général Manfredo Fanti. Wikipedia retient de lui qu’il fut un patriote, un homme politique et un général. Lors de la seconde guerre d’indépendance italienne, il combattit aux côtés de Garibaldi puis fut nommé par Cavour ministre de la guerre et de la mer.
Sur cette même place, se trouvent aussi le siège de l’université de Florence et l’académie des Beaux-Arts.
À une rue de là, la Piazza della Santissima Annunziata est encore plus harmonieuse avec ses arcades et ses bâtiments, notamment l’hôpital des Innocents, œuvres des plus grands architectes de la Renaissance artistique italienne, dont la conception globale appartient à Filippo Brunelleschi.
Au centre de la place, trône la statue équestre du Grand-duc Ferdinand Ier de Médicis, une œuvre de Giambologna achevée après sa mort par Pietro Tacca. « Notre » Jean de Boulogne », était-il en manque d’inspiration, sa statue a plus qu’un air de famille avec celle qu’il sculpta pour Cosme Ier, le père de Ferdinand, pour la Piazza della Signoria.
En ce jour de forte chaleur, il est plaisant de tremper, un instant, ses mains dans l’eau des deux fontaines baroques sculptées par Pietro Tacca, l’auteur du célèbre Porcellino au Mercato Nuovo.
À défaut de bancs, nous nous réfugions à l’intérieur d’Un Caffé, un accueillant bistrot un peu « alternatif » quasiment accolé à la basilique. Il semble être tenu par des Sardes, si j’en crois le drapeau qui flotte sur la façade.
Nul besoin de TripAdvisor, vous pouvez déposer directement votre avis mais aussi un poème, un dessin, ou un mot d’amour, à même les murs. Le temps de savourer votre birra a la spina, vous pouvez également lire quelques pages de livres à disposition au bout de la table.
Il faut encore « tuer » une heure avant la réouverture des églises. Bougeons un peu et rejoignons tout près de là le jardin des simples, « un lieu public, où… on cultiverait les plantes natives de climats et de pays les plus divers, afin que les jeunes étudiants puissent, en un même lieu, avec facilité et rapidité, apprendre à les reconnaître », ainsi le définissait Luca Ghini, un médecin et botaniste italien du XVème siècle.
Les simples sont des variétés végétales dotées de vertus médicinales. Depuis le Moyen-Âge, elles sont cultivées dans des jardins urbains et le duc Cosme Ier de Médicis souhaita un jardin académique pour compléter les leçons des étudiants de la faculté de médecine.
En cette heure médiane, c’est un bonheur d’y flâner dans les allées ombragées. À quelques quatre cents mètres de l’effervescence autour du Duomo, nous n’entendons que le chant des oiseaux et le bruissement des insectes.
Une niche assez discrète abrite un buste d’Esculape, dieu de la médecine dans la mythologie romaine, l’alter ego d’Asclépios chez les Grecs. Il mourut, foudroyé par Zeus offusqué qu’il ait tenté de ressusciter les morts, notamment Hippolyte le fils de Thésée, grâce au sang de la Gorgone que lui avait remis Athéna.
Enfin, s’ouvrent les portes de la basilique de la Santissima Annunziata. Depuis le parvis, son portique en impose beaucoup moins que beaucoup d’autres églises florentines. Son emplacement fut choisi par les sept saints, riches marchands florentins laïcs fondateurs des Servi di Maria (Servites) et canonisés par le pape Léon XIII.
L’accès à la nef s’effectue étonnamment en traversant le Chiostro dei Voti, le cloître des vœux, ainsi appelé en raison des ex-voto qui étaient autrefois suspendus au plafond
Le cloître fut décoré par les plus grands peintres de l’époque, Andrea del Sarto et ses deux célèbres élèves Pontormo et Rosso Fiorentino notamment, dont on peut voir encore les fresques (restaurées après les inondations de 1966) dédiées à la Vierge.
Je lis que pour sa fresque, la Naissance de la Vierge, Andrea del Sarto peignit un très fidèle portrait de sa femme … malheureusement infidèle selon Vasari !
J’ai un coup de cœur pour l’Adoration des bergers, épisode biblique qu’il ne faut pas confondre, apprends-je, avec celui de la visite des mages. Les bergers, gardant leurs bêtes tout près du lieu de la Nativité, furent informés les premiers par les anges dans le ciel, de la venue du Sauveur. Sheila aurait dû donc chanter « Comme les bergers en Galilée », d’ailleurs ils ne firent que suivre l’étoile …du Berger, cela aurait peut-être changé « sa lumière biblique, sa vérité cosmique » de vivre avec son chéri !
Dès l’entrée dans l’église, la perspective de la nef est impressionnante. Je comprends qu’une petite fille qui m’est chère, connut l’année précédente, quelques légers symptômes du syndrome de Stendhal, sans que son prénom y fût pour quelque chose !
La profusion de marbres, de stucs et de dorures donne à l’ensemble un air baroque.
Mes cervicales sont mises à contribution pour admirer le splendide plafond à caissons du Volterrano, né Baldassarre (prénom de mage !) Franceschini à Volterra, cité de la province de Pise.
Le chœur avec sa coupole ferme harmonieusement la perspective.
Un Bronzino par ci, un Pérugin par là, je fais le tour des chapelles latérales à la nef, on en recense dix-sept. Celle consacrée à San Giulano ou San Guiseppe retient mon attention, encore un joyau de baroque.
Je ne saurais partir sans m’arrêter devant la chapelle consacrée à Marie. Les ornements répondent encore à la magnificence du lieu : candélabres, chandeliers, vases. L’histoire, je dirai la légende, affirme que le peintre chargé du tableau de la Vierge fut saisi d’un sommeil merveilleux qui lui fit perdre l’usage de ses sens. Pire encore, quand il recouvra ses esprits, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il remarqua que des parties du tableau que ses mains refusaient de peindre la veille, avaient été exécutées. On évoqua l’intervention nocturne d’un ange.
Parmi les nombreuses consécrations de cet autel, à commencer par le pape Eugène IV en 1443, je relève celle du cardinal Guglielmo Tuttavilla, en 1452.
Il ne s’agit, en fait, que d’une manifestation de ma fierté normande : derrière ce nom italianisé, se cache Guillaume d’Estouteville, archevêque de Rouen, né à Estouteville-Ecalles, en 1403, modeste village situé à une vingtaine de kilomètres de mon bourg natal. Je découvre qu’il fut un grand bâtisseur à Rome et fut chargé en 1452 de préparer la révision (un peu tardive non ?) du procès de Jeanne d’Arc. J’apprends encore que le titre de duc d’Estouteville s’éteignit en 1707 mais que des descendants de la famille continuent à prétendre au titre de duc, parmi lesquels … le prince de Monaco. Allez, on ne va pas tout de même en faire un fromage même de Neufchâtel !
Il est temps maintenant de me diriger vers la basilique San Marco enfin ouverte, encore que je ne puis accéder, cet après-midi, au couvent et au musée.
Cette église du XIIIème siècle, offerte aux Dominicains, fut agrandie par Michelozzo au XVème siècle puis par Giambologna en 1580. Vous connaissez maintenant Jean de Boulogne, ce sculpteur maniériste d’origine flandrienne.
Comme chez sa voisine Santissima Annunziata, ça regorge de marbres, de dorures et de tableaux. La surprise vient de la présence sous le maître-autel de la relique momifiée de saint Antonin vêtu de son costume d’archevêque, vieille de plus 550 ans.
Je me console de ne point pouvoir visiter les cellules du couvent décorées des fresques de Fra Angelico en me plantant quelques instants devant la statue de Savonarole. Personnage clivant, ce frère prédicateur dominicain profita de la révolution chassant les Médicis pour instituer une dictature théocratique à Florence de 1494 à 1498. L’ordre moral rigoriste qu’il imposa et son intransigeance finirent par provoquer la révolte des Florentins et son excommunication. Vous connaissez déjà son funeste destin.
En quelques minutes, nous revenons vers le Duomo dans le sillage majestueux du grand-duc Ferdinand 1er de Médicis toujours aussi altier.
Nous coupons en traversant l’élégante cour du Palais Renaissance Medici-Riccardi construit en 1444 par Michelozzo selon le vœu de Cosme l’Ancien de Médicis. Il fut acheté et agrandi au XVIIème siècle par la famille Riccardi après que les Médicis eussent décidé de s’installer au Palazzo Vecchio.
Il abrite actuellement le siège du Conseil provincial florentin, mais la principale curiosité réside dans sa chapelle avec une célèbre fresque de Benozzo Gozzoli représentant la procession des Mages.
Je ne tremble pas devant la sculpture de Baccio Bandinelli, et pour cause, Orphée a su adoucir avec sa musique le chien Cerbère qui, dans la mythologie grecque, gardait l’entrée de Enfers. Nul besoin de caméra de surveillance pivotante, il possédait trois têtes, le poète Pindare alla jusqu’à lui en attribuer cent. Ici, l’artiste lui a donné une forme plus « canine » !
On achève notre promenade, comme souvent, devant le Duomo. Je ne me lasse pas d’en contempler la façade aux lumières changeantes selon l’heure de la journée.
Dans les cafés, les écrans passent en boucle le feuilleton politique du moment : l’Italie n’a toujours pas trouvé de président du Conseil. Rétrospectivement, c’était sans doute moins inquiétant … !