Une semaine à Florence (2)
Lunedi 21 maggio 2018 :
Ça y est, nous sommes installés à Florence. Nous logeons au rez-de-chaussée d’une maison occupée à l’étage par les sympathiques propriétaires. La location est proche du centre historique que nous pourrions rejoindre à pied mais, appliquant l’adage selon lequel qui veut voyager loin ménage sa posture (!), nous choisissons d’emprunter les bus de la ligne C. Électriques, d’une capacité modeste d’une vingtaine de passagers, ils vous amènent à travers les ruelles jusqu’aux principales curiosités, en l’occurrence, ce matin, le Duomo dont la blancheur de la façade éclate au soleil.
Ainsi appelé familièrement, il s’agit de la cathédrale Santa Maria del Fiore, c’est presque plus joli dans la langue de Molière : Sainte-Marie-des-Fleurs.
Je vous en parlerai plus longuement plus tard, car, en cette heure matinale de ce lundi de Pentecôte, les queues sont déjà impressionnantes pour visiter qui l’église elle-même, qui sa coupole et qui le baptistère.
Avec le billet général d’entrée à l’ensemble de ces monuments, il n’est même plus possible aujourd’hui d’accéder à la coupole, le chef-d’œuvre de technique architecturale de Filippo Brunelleschi.
Après une rapide évaluation de la situation, nous décidons de nous rabattre vers la visite du Museo dell’ Opera del Duomo qui n’est pas, comme mes maigres rudiments d’italien pourraient me le laisser supposer, dédié à la musique et à la danse classiques. Construit en 1296, il abrite l’Œuvre du complexe sacré formé par le Duomo, le baptistère et le campanile. Ce n’est pas le musée le plus connu et fréquenté de Florence, pourtant y sont exposées de nombreuses sculptures et pièces originales qui, par souci de conservation, ont émigré ici et ont été remplacées par des copies dans les monuments où la foule se presse en face.
Attention, chefs-d’œuvre ! Nous nous retrouvons bientôt dans une véritable cathédrale oubliée, une immense salle au design moderne sur un mur de laquelle est reconstituée une sorte de maquette grandeur nature de la façade du Duomo telle qu’elle se présentait du XIV au XVIème siècle.
Un peuple de statues gothiques permet de comprendre le projet originel d’Arnolfo di Cambio. Destinée au tympan central, une étonnante Vierge aux yeux de verre est entourée de Sainte Reparata et Saint Zanobi.
De part et d’autre de la porte principale, se dressent quatre évangélistes monumentaux dont Saint Jean baptisant le Christ, œuvre de Donatello. Demi-tour, sur le mur d’en face, on peut admirer les splendides portes de bronze Nord et Est du baptistère réalisées par Lorenzo Ghiberti. Ainsi, on contemple à loisir, quand les forcenés du selfie vous laissent en paix, la « vraie » porte du Paradis avec ses 10 panneaux dorés à l’or fin, représentant des scènes de l’Ancien testament, et bordés de têtes de prophètes et de sibylles.
Ghiberti mit 27 ans à réaliser cette œuvre que Michel-Ange craignait voir enlevée à Florence pour en faire la porte du ciel. Mais auparavant, il lui avait fallu sortir victorieux du « match du siècle » (du moins la première manche !) qui l’opposa à Filippo Brunelleschi. Voyez, le « divismo », cette dualité chère aux Italiens, existait déjà !
En 1401, la corporation prospère des drapiers florentins décida d’organiser un concours pour poursuivre l’œuvre d’Andrea Pisano qui, soixante-dix ans plus tôt, avait réalisé une porte en bronze pour le baptistère dont le chantier avait été stoppé par les ravages de la peste. Le sujet proposé aux sculpteurs et orfèvres, parmi lesquels on comptait Donatello, était la réalisation d’un panneau représentant le sacrifice d’Isaac, dans un même cadre.
Brunelleschi réalisa plusieurs coulées qu’il assembla ensuite. Ghiberti, lui, coula ses figures quasiment d’un seul jet, ce qui donnait un panneau plus léger donc moins coûteux. « Ghiberti a gagné pour des raisons qui définissent l’art nouveau du Quattrocento … son panneau n’est pas seulement édifiant. Il communique l’angoisse par la force du suspense. C’est ce que l’on demande désormais à ce que l’on appelle, par opposition au gothique, l’art moderne » commente le conservateur du musée. 1 à 0 pour Ghiberti !
Je piaffe d’impatience, je ne voudrais surtout pas manquer les deux autres œuvres majeures du musée, quitte à revenir sur mes pas un peu plus tard.
Et pour commencer, je me renseigne auprès d’une gardienne pour qu’elle me dirige vers la Pietà de Michelangelo di Buonarroti, comprenez évidemment Michel-Ange.
C’est la star du Museo dell’ Opera ! La Pietà fut un thème cher à Michel-Ange, la plus célèbre étant celle visible à la basilique Saint-Pierre de Rome.
Celle-ci est l’une des dernières œuvres de l’artiste. Il la commença à l’âge de 74 ans et l’on prétend qu’il la destinait à son propre tombeau. Il faut imaginer Michel-Ange, sur ses vieux jours, travaillant jusqu’à une heure avancée de la nuit, tenant une bougie sur sa tête pour guider sa main. C’est notamment pour cela (et aussi la mauvaise qualité d’un marbre trop veineux), qu’insatisfait, il renonça à l’achever et entreprit même de la détruire.
Heureusement pour nous, il en fut empêché par son élève Tiberio Calcagni qui, par la suite, rattacha le bras du Christ et réalisa la figure de Marie-Madeleine.
Le personnage à capuche qui soutient Jésus est Nicodème dont les Évangiles prétendent qu’il le porta jusqu’au sépulcre avec Joseph d’Arimathie. Mais derrière ce visage barbu, beaucoup de spécialistes croient reconnaître un autoportrait de Michel-Ange lui-même.
Bientôt, je recroise Marie-Madeleine beaucoup moins discrète puisqu’elle constitue le sujet unique du chef-d’œuvre de Donatello.
Sa présence est attestée au baptistère en l’an 1500. Elle fut plusieurs fois déplacée au cours des siècles. En notre époque contemporaine, elle fut très gravement endommagée par la terrible crue de l’Arno en 1966. Elle rejoignit le Musée dell’ Opera del Duomo en 1972. Entreposée dans les réserves pour restauration, elle est depuis récemment accessible au public.
Je suis d’abord frappé par sa taille, 1 mètre 88, qui s’explique par le fait que Donatello, voulant restituer le tissu ligneux, se trouva dans l’obligation de tailler dans le sens du bois de peuplier, c’est-à-dire de la plus grande hauteur.
Le matériau lui-même, moins noble que le marbre et le bronze, exprime la pauvreté de cette femme pénitente, retirée dans le désert. Efflanquée, décharnée, dépouillée, le visage émacié, la peau cachant les os, le spectacle est effrayant mais d’une beauté extrême résolument moderne.
C’est exceptionnel qu’une œuvre d’art suscite autant d’émotion.
Un coup d’œil aux cantorias, ces balcons destinés aux chanteurs dans un édifice religieux. Donatello et Luca della Robbia rivalisèrent (toujours le divismo !) d’audace pour exécuter ces tribunes des chantres pour le Duomo de Florence vers 1433-39 : équilibre, ordre, symétrie.
Chez Donatello, les anges entonnent à l’intention de Dieu un hymne à la joie de vivre tiré des Psaumes de l’Ancien Testament. À la danse frénétique et quasi païenne de Donatello, Luca della Robbia oppose douceur et mesure.
Donatello encore, Donatello toujours, je ne m’en lasse pas, et j’arpente lentement la rangée de 16 statues en marbre blanc qui proviennent des niches hautes du campanile de Giotto et dont il est l’auteur pour la plupart.
On dit que nul n’est prophète en son pays mais ce matin, j’en ai trois presque côte-à-côte, un anonyme absorbé dans ses pensées (Profeta pensioroso), Jérémie et Habacuc que les Florentins surnomment « Zuccone » (le cabochard) à cause de son crâne rasé.
Ils possèderaient les traits de Florentins de l’époque, reconnaissables par tous et personnifiant des citoyens exemplaires. La légende affirme que Donatello était tellement habité par sa représentation d’Il Zuccone qu’il lui parlait en y travaillant : « Parle, parle, et qu’il te vienne une bonne colique », comprenez qu’elle était toute proche de devenir réellement vivante !
Ces statues destinées à être situées très en hauteur sur le campanile, Donatello choisit de les représenter avec une légère inclinaison pour tenter de communiquer leur méditation au public. La communication existait donc déjà à la Renaissance !
De l’autre côté de cette galerie dite du campanile, sont exposés 54 carreaux de relief en hexagone ou en losange qui décoraient les étages inférieurs de la tour à l’origine, œuvres d’Andrea Pisano puis Luca delle Robbia. Ils y illustraient les planètes, les vertus, les arts libéraux, les sacrements.
Amusé, je repère sur l’un d’eux, « L’ivresse de Noé » (1336) vue par Andrea Pisano. Le patriarche biblique semble bien atteint auprès de son tonneau. Cet épisode est aussi connu sous le nom de Malédiction de Cham, le prénom d’un de ses fils. Une version plus modérée relate qu’il était question de rendre grâce à Dieu après une fête consécutive à la première vendange après le Déluge. Hips !
En tout cas, la consommation même abusive de ce qui n’était pas encore le Chianti Classico n’altéra pas la longévité de Noé à qui la Genèse attribue une vie de 950 ans !
Cela fait déjà plus de deux heures que je déambule dans le musée privilégiant bien sûr les œuvres majeures, pourtant je m’arrêterais volontiers à chaque pas pour prendre de grandes bouffées d’air de la Renaissance. Attention cependant à ne pas ressentir les premiers symptômes du syndrome de Stendhal, la semaine est longue ! Et devoir finir comme tout être humain sans cependant avoir l’honneur de mon masque mortuaire exposé dans un musée comme c’est le cas pour Filippo Brunelleschi.
Il fut réalisé par Andrea di Lazzaro Cavalcanti dit Il Buggiano, sculpteur et architecte italien (1412-1462) adopté à l’âge de cinq ans par … Brunelleschi.
Dans ma visite désordonnée, je retrouve Brunelleschi bien vivant, sinon en chair et en os, du moins en gypse. Il fait partie d’un projet (1883) de huit grands plâtres destinés à des reliefs de marbre rendant hommage à huit hommes illustres. C’est émouvant d’avoir à quelques centimètres de soi les visages de Leénard de Vinci, Dante Alighieri, Brunelleschi, Giotto di Bondone, presque à leur caresser la joue dans un élan d’affection artistique.
De haut en bas, Léonard de Vinci, Dante Aligheri et Filippo Brunelleschi
Un peu comme le symbole d’un retour au temps présent, j’achève ma visite devant la Pietà de Micciano, en marbre blanc de Carrare, exposée temporairement jusqu’à l’automne pour célébrer le centenaire de la naissance de son auteur Venturino Venturi (1918-2002).
Je laisse le soin à chacun d’exprimer sa sensibilité après avoir admiré celle de Michel-Ange : deux conceptions sculpturales de la mort et de la maternité accouchent à quatre siècles et demi d’intervalle.
Déception à la sortie du musée de l’Œuvre, les files d’attente pour accéder au Duomo et à la Coupole n’ont pas diminué, bien au contraire, quant au baptistère, il est fermé jusqu’au milieu de l’après-midi. Comble de déveine, le ciel s’est considérablement chargé de lourds nuages.
Élévation moderne, sur la façade du campanile, des ouvriers dans leur nacelle tentent de tutoyer les anges, à tout le moins ils leur font un brin de toilette.
Nous nous dirigeons vers l’église Orsanmichele en descendant la via dei Calzaiuoli, mais elle n’ouvre qu’à 14 heures … décidément !
Nous nous conformons donc à « l’heure française » pour déjeuner ! Drôle d’idée de choisir à Florence, une pizzeria à l’enseigne d’Il Vesuvio … je la justifie par la décoration intérieure avec plusieurs maillots du Napoli et un portrait de Diego Maradona, ancienne idole des tifosi napolitains.
Pourtant, si j’avais de l’admiration pour le génial footballeur argentin, peut-être le meilleur joueur de l’histoire du football avec le brésilien Pelé, je n’ai guère de considération pour l’homme. En tout cas, la pizza est excellente.
Après le catholicisme, avec le cyclisme (c’est fait dans le billet précédent), le Calcio (football) est la troisième religion de la péninsule. Ce n’est pas d’aujourd’hui, car son ancêtre le Calcio storico fiorentino est un sport collectif datant de la Renaissance. Disparu au XVIIIème siècle mais relancé depuis les années 1930, il oppose chaque année, d’ailleurs dans quelques jours, quatre quartiers de la ville toscane sur la Piazza Santa Croce : les Azzuri de Santa Croce, les Rossi de Santa Maria Novela, les Bianchi de Santo Spirito et les Verdi de San Giovanni. Mélange de jeu de balle ancien et de lutte romaine, le calcio florentin voit s’affronter deux équipes de 27 joueurs en costume d’époque. Les règles du jeu sont quasi inexistantes, ainsi ne se pose pas la question de l’arbitrage vidéo !
Par contre, la vidéo aurait sans doute été bien utile le 22 juin 1986 lors d’une demi-finale de la Coupe du Monde opposant l’Argentine et l’Angleterre … sur fond de Guerre des Malouines. Soudain, le petit Maradona (1,65m) bondit à hauteur des mains de l’imposant gardien britannique Peter Shilton (1,85m) et catapulta le ballon au fond des filets. Protestation des Anglais : « Ce but, je l’ai fait avec la tête de Maradona, mais aussi avec la main de Dieu.», avoua la « champion » argentin. Pourquoi Dieu avait-il voulu mettre sa main pour lui permettre de marquer ce but ? Il aurait souhaité venger les enfants morts durant la guerre des Malouines en 1982 ! Mais Dieu lui-même avait-il le droit de tricher même s’il jouit d’un statut d’exception ?
Le pape est argentin, et dans une rue de Florence, je retrouve Dieu, du moins une main, un Messi, du moins son maillot, et quelques évangélistes qui restent de marbre sur la façade de l’église Orsanmichele malgré les trombes d’eau qui s’abattent.
Curieuse histoire que celle de ce monument. Il doit son nom, contraction de San Michele in Orto, « Saint-Michel au jardin », au fait qu’à l’origine fut construit un oratoire dans le jardin d’un monastère bénédictin.
Détruit au XIIIème siècle, l’architecte Arnolfo di Cambio édifia au même endroit une loggia pour abriter les marchands de céréales et servir d’entrepôt en cas de famines ou siège de la cité. Cette Loge aux Grains de Arnolfodi di Cambio fut détruite par un incendie en 1304, puis reconstruite en la fermant avec des arcades et en la surélevant de deux étages supplémentaires. C’est vers la fin du XVème siècle que l’entrepôt fut transformé en église dédiée aux guildes corporatives florentines. Le projet impliqua les plus grands artistes présents à Florence tels les incontournables Brunelleschi, Donatello et Ghiberti, mais aussi Verrocchio et Nanni di Banco.
Malgré la pluie battante, à l’abri d’un parapluie, je m’attarde devant les statues extérieures des saints patrons respectifs de chacune des corporations (certaines de mes photos ont été prises par un jour plus clément !).
À l’intérieur, notre regard est immédiatement happé par l’extraordinaire tabernacle gothique d’Andrea Orcagna. Tout en marbre, il abrite la Vierge à l’enfant avec des anges (1346-1347) de Bernardo Daddi.
Cette Vierge fut peinte sur deux images miraculeuses. Entre le Moyen-Âge et la Renaissance, on considérait le remplacement d’une ancienne peinture comme un acte accompli en hommage à celle-ci, et que la nouvelle peinture héritant de la puissance de l’originale gagnait en intensité. En tout cas, le résultat est magnifique.
Les cinéphiles qui ont vu Obsession, le film de Brian De Palma, se souviendront peut-être que cette Vierge est un élément important de l’intrigue. C’est celle-ci que restaure la jeune Sandra sosie de l’épouse décédée du héros.
Saint Thomas doutant, œuvre de Andrea del Verrocchio
San Marco, œuvre de Donatello
San Giovanni Evangelista, œuvre de Baccio Montelupo
San Giovanni Battista, œuvre de Lorenzo Ghiberti
San Pietro, œuvre de Filippo Brunelleschi (il n’a pas oublié les clés du Paradis!)
Quattri Santi Coronati (Quatres Saints couronnés), œuvre de Nanni di Banco
San Matteo, œuvre de Lorenzo Ghiberti
À l’étage supérieur de l’église, on peut visiter un petit musée où l’on retrouve les statues nichées dans les tabernacles de la façade. Copies ou d’origine ? Justement, je réfléchis comme Saint Thomas en plein doute.
Il pleut toujours et, tant bien que mal, ou plutôt bras dessus-bras dessous à l’abri d’un seul parapluie, nous rejoignons la place du Dôme. Par bonheur, sans attente, nous pouvons cette fois pénétrer dans le Baptistère Saint-Jean, « il mio bel San Giovanni » comme écrivait Dante dans la Divine Comédie.
Il est considéré comme le plus vieux monument de Florence. Sa fondation sur des constructions romaines remonterait au Vème siècle. Plusieurs fois remanié, embelli jusqu’au XVIème siècle, il remplissait même des fonctions de cathédrale aux XI et XIIème siècles. Il devint baptistère en 1128 et accueillait alors deux fois par an, ceux qui souhaitaient recevoir le sacrement du baptême, c’est dire la cohue. Il n’était pas rare que, pris dans les bousculades, certains fidèles tombassent dans la petite piscine où se pratiquait le baptême par immersion. On dit que Dante, justement, sauva un enfant, une action courageuse qui ne l’empêcha pas cependant de jouir d’une réputation d’individu sacrilège.
Plus que des bancs et des prie-Dieu, il faudrait des matelas au sol pour admirer confortablement les superbes mosaïques de la coupole. Œuvres d’artistes florentins des XIIIème et XIVème siècles, elles se déploient en quartiers et bandes horizontales superposées qui, de manière narrative, racontent successivement la création du Monde, des épisodes de la vie de Joseph, des scènes de la vie de Marie, Jésus et Saint Jean-Baptiste, le Jugement dernier et enfin, les Hiérarchies célestes.
Vertigineux jusqu’à réveiller quelques douleurs cervicales !
Dans un grand cercle déformé par la perspective, le Christ en majesté nous tend les bras. À sa gauche, je m’attarde sur un diable cornu symbole des tourments de l’Enfer. À mon âge, on commence à s’intéresser à ces détails avec plus d’attention !
Sans blasphémer, ce n’est pas le lieu, en Italie, il y a des antipasti dans les trattorias et des antipapi dans les églises, à savoir des antipapes, personnes qui ont exercé la fonction et porté le titre de pape mais dont l’avènement à cette charge n’est pas reconnu aujourd’hui comme régulier et valable par l’Église catholique.
C’est le cas de Baldassarre Cossa élu pape par le concile de Pise en 1410 sous le nom de Jean XXIII et déposé par le concile de Constance en 1415. 70 chefs d’accusation avaient été portés contre lui, notamment la simonie (vente de biens spirituels), le viol, l’inceste, la torture et le meurtre, la totale en somme.
Son tombeau commandité par les Médicis et sculpté par Donatello est visible sur un côté de l’abside.
À notre sortie, le ciel peu reconnaissant manifeste toujours son mécontentement, encore qu’il s’agisse maintenant d’un crachin rappelant ceux de mon enfance normande.
La queue pour la visite du Duomo s’est sensiblement raccourcie, allez on tente le coup ! Nous sommes sans cesse harcelés par d’ « opportunistes » vendeurs à la sauvette de ponchos et d’ombrelli, le mot signifie en italien aussi bien le parapluie que l’ombrelle.
J’ai le temps de vous relater l’épisode de la construction de la Coupole, joyau de la cathédrale Santa Maria del Fiore.
Il s’agit là de la seconde manche du « match du siècle ». vous vous souvenez que Filippo Brunelleschi a concédé la première face à Lorenzo Ghiberti pour les portes du baptistère. Affecté, il quitte Florence pour Rome en compagnie de son ami Donatello. Il y passera une quinzaine d’années étudiant les monuments antiques, perfectionnant ses connaissances techniques, littéraires et scientifiques. Lorsqu’il revient à Florence en 1417, il abandonne la sculpture pour se consacrer à l’architecture. Les commandes affluent et Brunelleschi devient quasiment l’architecte officiel de la ville : la piazza della Santissima Annunziata, les églises de San Lorenzo et Santo Spirito, la chapelle des Pazzi à Santa Croce, c’est lui !
Mais il va atteindre la véritable consécration en obtenant, en 1420, la charge de l’élévation de la Coupole du Duomo. Ce n’était pas gagné d’avance, en effet, l’Opera del Duomo et les consuls de l’Art de la laine organisèrent en 1418, encore un concours qui s’acheva une nouvelle fois sur la victoire ex æquo de Brunelleschi et … Ghiberti.
Brunelleschi aurait inquiété les jurés en refusant de dévoiler ses plans. Il se contenta de leur présenter un œuf en disant : « Celui qui le fera tenir debout sur cette table de marbre sera digne de faire la coupole ». Nul n’y étant parvenu, il prit l’œuf, donna un coup de sa pointe sur la table et le fit tenir droit. Comme les jurés, sceptiques, murmuraient qu’ils en auraient fait autant, Brunelleschi leur répondit en riant qu’ils sauraient donc également faire la coupole s’il leur montrait son modèle ou ses dessins ! Il y a sans doute une grande part de légende dans cette anecdote, mais j’aime les légendes.
Le duel artistique et esthétique opposant Brunelleschi à Ghiberti n’était pas clos, et pour obtenir la révocation définitive de son rival, Brunelleschi, la tête enveloppée de linges, simula un « mal d’entrailles » et engagea les artisans à se placer sous les ordres de Ghiberti. Celui-ci, plus orfèvre et sculpteur qu’architecte, mal préparé à jouer le rôle d’ingénieur en chef, avoua son impuissance et fut écarté de ses fonctions. Brunelleschi, désormais seul à bord, tenait sa revanche.
Il se lançait dans une entreprise incroyable : bâtir sans cintrage en élevant une structure autoportante, la plus grande coupole en maçonnerie jamais construite. La plus grande diagonale de la coupole interne mesure 45 mètres, alors que celle externe fait 54 mètres. Son poids est estimé à 37.000 tonnes et plus de quatre millions de briques auraient été employées. « Une construction immense, dressée vers le ciel, vaste au point de couvrir de son ombre tous les peuples de Toscane » écrivait Léon Battista Alberti grand humaniste italien du XVème siècle. C’est une des grands mystères de l’histoire de l’art, aujourd’hui encore des professeurs expliquent à leurs élèves ce miracle de l’architecture, comment le dôme tient !
À l’abri, sous des arcades de la Piazza del Duomo, Filippo Brunelleschi contemple son chef-d’œuvre, fier sans doute, bien que de marbre, d’attirer des visiteurs du monde entier.
Lorsque, enfin, je pénètre dans la cathédrale, c’est d’abord un léger sentiment de déception qui m’étreint. Autant les façades extérieures resplendissent des marbres polychromes, blanc de Carrare, vert de Prato, rouge de la Maremme, autant l’immense nef à trois vaisseaux, longue de plus de 150 mètres, grisâtre, sombre même, apparaît vide et nue sans chaises, ce qui permet cependant d’admirer plus aisément le pavement en marbre coloré du XVIème siècle.
Pire, j’ignore pour quelle raison, une corde ou d’affreuses barrières métalliques empêchent de nous approcher de quelques œuvres remarquables, ainsi les deux fresques équestres de condottiere, notamment le monument réalisé par Paolo Ucello (1397-1475) commémorant Sir John Hackwood, un chevalier ayant servi sous les ordres d’Édouard III durant la guerre de Cent Ans avant de venir en Italie comme mercenaire vers 1360.
L’éloignement nuit pour apprécier la taille de la fresque, 7 mètres sur 4, et le cadre en trompe-l’œil qui est un ajout du XVIème siècle.
Le téléobjectif de mon appareil me permet d’observer attentivement le tableau allégorique « al dante » (!) de la Divine Comédie qui se trouve tout à côté.
Peint en 1465 par Domenico di Michelino, selon la technique de la tempera (émulsion), il représente au premier plan Dante tenant à la main son œuvre majeure.
En arrière-plan, le paysage constitue une allégorie des trois royaumes évoqués dans la Divine Comédie, l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, ainsi qu’une vue de la ville de Florence derrière ses murailles.
C’est écrit sur la porte de l’enfer, « vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance », j’essaie donc de détourner mon regard de ces pêcheurs nus comme des vers, à la queue leu leu, poursuivis par des démons.
Ce ne serait déjà pas mal si je pouvais accéder au Purgatoire représenté comme une montagne, un immense gâteau, avec sept corniches : tension entre mon désir d’expiation et les obstacles de l’ascension.
Je n’ose envisager une seconde que je puisse accéder à la voûte céleste tout en haut du tableau. Encore que, s’il existe un petit coin de Paradis réservé aux blogueurs émérites, je peux qui sait espérer …
Au final, je me demande si le périmètre de sécurité autour de la fresque ne constitue pas en lui-même une allégorie pour éviter au monde des touristes vivants d’approcher trop tôt les trois royaumes. Dantesque !
Pour les puristes pinailleurs (!), on constate encore que Florence apparaît telle qu’elle était en 1465, au moment de la réalisation de la fresque, et non au temps de Dante, ce qui permet de retrouver la fameuse coupole de Brunelleschi !
L’accès au chœur est barré par … les gardiens du temple, billet pour la coupole oblige. En nous tordant le cou et le nez en l’air, ça tombe bien j’ai une séance de kiné le lendemain de mon retour, nous admirons l’extraordinaire chef-d’œuvre architectural de Brunelleschi tapissé des fresques commandées par le Grand-duc de Toscane Cosme Ier de Médicis, et peintes par son artiste officiel Giorgio Vasari de 1572 à sa mort en 1574, puis achevées par Federico Zuccari. Nous prenons conscience du gigantisme en repérant les fourmis humaines qui ont obtenu le précieux sésame pour circuler dans la galerie, une centaine de mètres au-dessus de nos têtes.
Souhaitant rivaliser avec le défunt Michel-Ange, Vasari choisit encore le thème du Jugement Dernier, décidément, pour recouvrir les trois mille six-cents mètres carrés de surface.
700 personnages dont 248 anges, 235 âmes, 21 personnifications, 102 personnages religieux, 35 damnés (quand même !), 13 portraits, 14 monstres, 23 angelots, 12 animaux, voilà ce qu’on peut, paraît-il, recenser.
Je me souviens d’avoir, il y a une vingtaine d’années, appartenu au peuple des fourmis, le spectacle est en effet vertigineux.
Je descends au sous-sol de la cathédrale où des travaux de fouilles ont été effectués. Pendant des siècles, cette zone souterraine fut utilisée pour enterrer les évêques de Florence. Les recherches archéologiques en ont reconstitué l’histoire d’après des restes d’habitations romaines, des pavements paléochrétiens ainsi que des vestiges de l’ancienne basilique Santa Reparata au-dessus de laquelle fut construite celle de Sainte-Marie-des-Fleurs.
Santa Reparata est une ancienne vierge martyre qui est l’autre patronne de Florence.
C’est au cours de ces fouilles que les archéologues ont découvert la tombe de Filippo Brunelleschi. Par contre, il ne fut trouvé aucune trace des sépultures de Giotto, Arnolfo di Cambio et Pisano qui devraient, selon la tradition, avoir été enterrés ici.
Retour à la surface ! Nous en avons plein les bottes et, bien que nous possédions un billet, nous renonçons à monter les 456 marches du campanile, le chef-d’œuvre de Giotto, d’ailleurs, même si la pluie a cessé, la visibilité serait médiocre.
Sur le parvis, les chevaux des calèches goûtent d’un bon foin, nous nous désaltérons en face d’une « birra a la spina » dans un sympathique pub. Ma compagne a repéré quelques beaux serveurs ! Dans l’attente de notre bus, je reluque la ragazza dans la vitrine en face …