Vas-y Lormeau ! Les forçats de la route à la Comédie Française
Je devine la mine renfrognée de certains de mes lecteurs : « allez, il va encore nous bassiner avec « son » vélo et le Tour de France » !
« Oubliez le vélo ! Le vélo n’a aucune espèce d’importance ! Pour suivre l’épopée incroyable de ces 157 hommes partis en juin 1924 à l’assaut des 5 425 km et des presque 47 km d’ascension positive –dix fois celle du Mont Blanc depuis le niveau de la mer- dans une course inhumaine que l’on nommait depuis 1903 « Tour de France cycliste », nul besoin d’avoir jamais posé ses fesses sur une selle. Personne n’a jamais demandé son brevet de pilote au lecteur de « Terre des hommes » de Saint-Exupéry qui raconte le combat surhumain de l’aviateur Henri Guillaumet contre la montagne … »
Merci Nicolas Lormeau, sociétaire de la Comédie Française, de venir me donner une poussette même non réglementaire (surtout avec les commissaires intransigeants et obtus de 1924) pour me préserver des critiques même amènes.
Il s’agit, en effet, de ses propos en préambule du programme du spectacle Les forçats de la route d’après Albert Londres qu’il vient de jouer dans la vénérable institution.
Et pan sur le bec … de votre selle ! Ce n’est pas le bagne tout de même. Par contre, ce le fut pour ces sportifs d’un autre temps.
Avant de me diriger vers la Porte Maillot, le 22 juin 1924, au départ de la 18ème édition du Tour de France, il me faut battre en brèche une idée reçue, dans la légende des cycles comme dans toute légende, la vérité est fluctuante. Bref, contrairement à ce qui est fréquemment et incorrectement colporté, le journaliste Albert Londres n’est pas l’auteur de l’expression « les forçats de la route ». L’inventeur de la fameuse métaphore est, en réalité, un autre journaliste, Maurice Genin, collaborateur de la Revue de l’Automobile Club du Rhône, qui l’employa en 1906.
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » : Albert Londres, grand reporter sur le front de la Première Guerre pour le quotidien Le Matin, puis aux Dardanelles pour Le Petit Journal, s’engagea dans une enquête sur la condition des bagnards de Cayenne en Guyane relatée dans son livre Au bagne publié en 1923. Couvrant l’année suivante le Tour de France cycliste pour Le Petit Parisien, il y dénonçait les conditions de vie impitoyables et intolérables des coursiers ainsi que l’absurdité du règlement dans une série de chroniques qui furent regroupées ensuite dans un délicieux petit ouvrage intitulé « Tour de France, tour de souffrance. » Car, oui, le Tour de France 1924, c’était le bagne !
Ce sont ces écrits que le comédien Nicolas Lormeau, passionné de cyclisme par ailleurs, a décidé d’adapter sur la scène de la Comédie Française (studio-théâtre), dans le cycle Singulis de pratiques « seul en scène ».
Pour ce faire, il se met dans la peau d’Albert Londres lui-même, s’installant comme chaque soir dans sa chambre d’hôtel, prêt à télégraphier son compte-rendu de l’étape.
Le décor d’époque est minimaliste : un lit, une ou deux chaises, une table de toilette sur laquelle est posé un téléphone, l’accessoire primordial de la scénographie.
Deux éléments supplémentaires à destination du public : la projection en continu sur le mur de photographies en noir et blanc, et un chevalet avec une carte de France sur laquelle Nicolas Londres ou Albert Lormeau, vous choisissez, tel les hussards noirs de la République (sans blouse grise), trace au feutre les différentes étapes du Tour de France.
C’est même le tour de la France qui suit quasi scrupuleusement les côtes et les frontières de l’hexagone : 5 425 kilomètres de Paris à Paris en 15 étapes courues tous les deux jours, et cela sans dérailleur qui ne sera autorisé qu’à partir de 1937.
Au départ, 157 coureurs répartis en trois catégories : 43 de première classe, 11 de deuxième classe, les 103 autres sont des « touristes-routiers », ceux qu’Albert Londres appellent les « ténébreux », « des petits gars courageux qui ne font pas partie des riches maisons de cycles, ceux qui n’ont pas de boyaux, mais ont du cœur au ventre ».
Allez, c’est parti ! En cette nuit du 21 au 22 juin, Paris est une fête (petit clin d’œil à Hemingway, vous savez pourquoi depuis mes billets sur les vélodromes), au moins la banlieue ouest :
« Ils dinaient encore à onze heures et demie du soir, dans un restaurant de la porte Maillot : on aurait juré une fête vénitienne car ces hommes, avec leurs maillots bariolés, ressemblaient de loin à des lampions. Puis ils burent un dernier coup. Cela fait, ils se levèrent et voulurent sortir, mais la foule les porta en triomphe. Il s’agit des coureurs partant pour le Tour de France »…
« … Pour mon compte, je pris, à une heure du matin, le chemin d’Argenteuil. Des « messieurs » et des « dames » pédalaient dans la nuit : je n’aurais jamais supposé qu’il y eût tant de bicyclettes dans le département de la Seine … Bientôt, la banlieue s’anima : les fenêtres étaient agrémentées de spectateurs en toilette de nuit, les carrefours grouillaient d’impatients, de vieilles dames, qui d’ordinaire doivent se coucher avec le soleil, attendaient devant leur porte, assises sur des chaises, et si je ne vis pas d’enfants à la mamelle, c’est certainement que la nuit les cachait.
– Regarde ces cuisses ! criait la foule, ça c’est des cuisses ! » …
… « De la foule, une petite voix de femme cria : Bonne chance, Tiberghien ! »
Hector Tiberghien, c’est un coureur belge de première catégorie, pas un ténébreux, enfin si, mais un vrai, un beau ténébreux dont le physique ne laisse pas insensible la gente féminine. Ainsi, pour sa galanterie, Gaston Bénac, un autre journaliste réputé, l’anoblit « marquis de Priola ».
Hector TIBERGHIEN dit le marquis de Priola
Pour gagner Le Havre terme de la première étape longue de 381 km, il faut rejoindre d’abord la baie de Somme puis Le Tréport.
« Flixecourt, la première côte » ! Qui sait, mon papa, picard de naissance, âgé de quatorze ans à l’époque, était peut-être présent au bord de la route. Je me souviens qu’il évoquait parfois ces touristes-routiers qui, en l’absence de dérailleur, retournaient leur roue arrière munie d’un pignon de chaque côté, au pied des ascensions. J’enrage, ce soir, de ne l’avoir pas suffisamment sollicité pour égrener ses souvenirs des courses d’entre-deux guerres, elles me semblaient tellement dérisoires face aux chevauchées de l’idole de ma jeunesse, Jacques Anquetil. On est un peu con quand on est jeune…
« Amiens : voici les élèves d’un lycée officiellement conduits par leurs pions. Où vont-ils de si grand matin ? Ils viennent voir passer le « Tour de France ».
– Vas-y Henri ! … Vas-y Francis ! … Il s’agit des Pélissier ; ils sont des rois ! On les appelle comme les rois, par le petit nom.
– Vas-y gars Jean ! C’est Alavoine ?
– Vas-y Ottavio ! C’est Bottecchia.
– Thys ! Thys ! Hardi ! (ndlr : plutôt que l’interjection, il devait s’agir de Hardy, prénommé Émile, coursier de seconde catégorie !)
– Vas-y « la pomme » !…
« La pomme », c’est Dhers.
On ne pourra pas dire que les lycéens français ne sont pas prêts pour les examens de fin d’année … »
Les coureurs traversent Veulettes-sur-mer
… « Dieppe. Là, ils doivent signer. Une dame au contrôle tient le crayon. La chère créature ! Elle ne sait pas ce qui l’attend. Ils signent : je veux dire qu’ils griffent la main de la dame, et la dame les regarde se sauver, tout effarée. »
« Entre Dieppe et Fécamp, rien à signaler, qu’une tente dressée dans un champ. De cette tente élégante, plantée cette nuit pour la circonstance, sort une tête, un petit museau de femme mal éveillée … »
Nicolas Lormeau a adopté le bon braquet (on n’avait pas trop le choix à l’époque !) pour nous restituer l’intégrale des écrits d’Albert Londres. Plutôt que nous raconter le film de l’étape sous un angle strictement sportif, ils, le journaliste et le comédien, nous brossent des portraits des vaillants coursiers, nous relatent les traîtrises auxquelles ils sont confrontés, l’engouement populaire, nous régalent d’anecdotes cocasses, tout cela dans un récit proche du conte ou d’un roman :
« La poisse !… crie Alavoine. J’ai crevé cinq fois !… Frantz le Luxembourgeois crève comme les autres ; Lambot crève ; Mottiat crève ; la « pomme crève »… la poussière de goudron brûle leurs yeux ; ils mettent leurs lunettes, ils les enlèvent ; ils ne savent pas de quelle façon, ils souffrent le moins. »
Et puis, c’est l’arrivée, je ne sais pas pour les autres dans la salle mais, moi, je sais déjà le vainqueur : « C’est Bottecchia qui, en pleine ville, donne le dernier coup de jarret vainqueur, et le second est Ville dit Jésus dit Pactole. »
Je connaissais le vainqueur car, excusez-moi de déflorer le suspense, Ottavio Bottecchia, dit le maçon du Frioul, outre qu’il fut le premier coureur italien à remporter le Tour, fut le premier vainqueur à porter le maillot jaune de la première à la dernière étape. Et c’est cet exploit que « mon » champion Anquetil tenta et réussit pour ma plus grande joie en 1961 (voir billet http://encreviolette.unblog.fr/2011/07/04/ici-la-route-du-tour-de-france-1961/ )
Le surlendemain, rappelez-vous ils ne roulent que tous les deux jours, les coureurs durent souffrir sur les routes de ma Normandie natale, entre Le Havre et Cherbourg, sa traversée n’étant l’objet d’aucune chronique.
J’attends la suivante avec une impatience non feinte et m’immiscer au milieu de la foule qui se presse devant le Café de la Gare de Coutances. C’est dans ce bourg de la Manche que se déroula l’épisode le plus célèbre de ce Tour de France 1924. Mais où sont passés les frères Pélissier, Henri et Francis, invisibles dans le peloton ?
Ça tombe bien, Albert Londres est aux premières loges et témoin privilégié de la scène.
De gauche à droite: Albert Londres, Henri et Francis Pélissier, Ville
– Au café de la Gare. Tout le monde y est. Tout le monde y était ! Il faut jouer des coudes pour entrer chez le « bistro ». Cette foule est silencieuse. Elle ne dit rien, mais regarde, bouche béante, vers le fond de la salle. Trois maillots sont installés devant trois bols de chocolat. C’est Henri, Francis, et le troisième n’est autre que le second, je veux dire Ville, arrivé second au Havre et à Cherbourg.
– Un coup de tête ?
– Non, dit Henri. Seulement, on n’est pas des chiens…
– Que s’est-il passé ?
– Question de bottes ou plutôt question de maillots ! Ce matin, à Cherbourg, un commissaire s’approche de moi et, sans rien me dire, relève mon maillot. Il s’assurait que je n’avais pas deux maillots. Que diriez-vous, si je soulevais votre veste pour voir si vous avez bien une chemise blanche ? Je n’aime pas ces manières, voilà tout.
– Qu’est-ce que cela pouvait lui faire que vous ayez deux maillots ?
– Je pourrais en avoir quinze, mais je n’ai pas le droit de partir avec deux et d’arriver avec un.
– Pourquoi ?
– C’est le règlement. Il ne faut pas seulement courir comme des brutes, mais geler ou étouffer. Ça fait également partie du sport, paraît-il. Alors je suis allé trouver Desgranges :
– Je n’ai pas le droit de jeter mon maillot sur la route alors ?…
– Non, vous ne pouvez pas jeter le matériel de la maison…
– Il n’est pas à la maison, il est à moi…
– Je ne discute pas dans la rue…
– Si vous ne discutez pas dans la rue, je vais me recoucher. – On arrangera cela à Brest…
– À Brest, ce sera tout arrangé, parce que je passerai la main avant… Et j’ai passé la main !
– Et votre frère ? – Mon frère est mon frère, pas, Francis ? Et ils s’embrassent par-dessus leur chocolat. – Francis roulait déjà, j’ai rejoint le peloton et dit : « Viens, Francis ! On plaque. »
– Et vous, Ville ?
– Moi, répond Ville, qui rit comme un bon bébé, ils m’ont trouvé en détresse sur la route. J’ai « les rotules en os de mort ».
La scène courtelinesque illustre bien la bêtise du règlement et l’intransigeance pour ne pas dire l’imbécillité des commissaires.
Le comédien excelle dans ce dialogue dont il assure tous les rôles avec tous les accents. Et ce n’est pas fini, assis à la table de toilette, il en ouvre le tiroir :
– Les Pélissier n’ont pas que des jambes, ils ont une tête et, dans cette tête, du jugement.
– Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France, dit Henri, c’est un calvaire. Et encore le chemin de croix n’avait que quatorze stations, tandis que le nôtre en compte quinze. Nous souffrons du départ à l’arrivée. Voulez-vous voir comment nous marchons ? Tenez …
De son sac, il sort une fiole :
– Ça, c’est de la cocaïne pour les yeux, ça c’est du chloroforme pour les gencives.
– Ça, dit Ville, vidant aussi sa musette, c’est de la pommade pour me chauffer les genoux.
– Et des pilules ? Voulez-vous voir des pilules ? Tenez, voilà des pilules.
Ils en sortent trois boites chacun.
– Bref ! dit Francis, nous marchons à la « dynamite ».
Henri reprend :
– Vous ne nous avez pas encore vus au bain à l’arrivée. Payez-vous cette séance. La boue ôtée, nous sommes blancs comme des suaires, la diarrhée nous vide, on tourne de l’œil dans l’eau. Le soir, à notre chambre, on danse la gigue, comme saint Guy, au lieu de dormir. Regardez nos lacets, ils sont en cuir. Eh bien ! Ils ne tiennent pas toujours, ils se rompent, et c’est du cuir tanné, du moins on le suppose. Pensez ce que devient notre peau ! Quand nous descendons de machine, on passe à travers nos chaussettes, à travers notre culotte, plus rien ne nous tient au corps.
– Et la viande de notre corps, dit Francis, ne tient plus à notre squelette.
– Et les ongles des pieds, dit Henri, j’en perds six sur dix, ils meurent petit à petit à chaque étape.
– Mais ils renaissent pour l’année suivante, dit Francis.
Et, de nouveau, les deux frères s’embrassent, toujours par-dessus les chocolats.
– Eh bien tout ça — et vous n’avez rien vu, attendez les Pyrénées, c’est le hard labour, — tout ça nous l’encaissons. Ce que nous ne ferions pas faire à des mulets, nous le faisons. On n’est pas des fainéants, mais, au nom de Dieu, qu’on ne nous embête pas. Nous acceptons le tourment, nous ne voulons pas de vexations ! Je m’appelle Pélissier et non Azor ! J’ai un journal sur le ventre, je suis parti avec, il faut que j’arrive avec. Si je le jette, pénalisation. Quand nous crevons de soif, avant de tendre notre bidon à l’eau qui coule, on doit s’assurer que ce n’est pas quelqu’un, à cinquante mètres, qui la pompe. Autrement : pénalisation. Pour boire, il faut pomper soi-même. Un jour viendra où l’on nous mettra du plomb dans les poches, parce que l’on trouvera que Dieu a fait l’homme trop léger…
Ce jour arriva, lors du Tour de France 1953, lorsque le breton Jean Robic, dit Biquet c’est dire sa corpulence, de sa propre volonté, coula du plomb dans son bidon pour s’alourdir dans les descentes de cols ! Merci Newton !
En tout cas, voilà la grande boucle orpheline des populaires frères Pélissier (et de Ville leur équipier).
Bien des années plus tard, Francis, devenu directeur sportif de l’équipe La Perle et du jeune Jacques Anquetil, déclara : « Londres était un fameux reporter mais il ne savait pas grand chose du cyclisme. Nous l’avons un peu bluffé avec notre cocaïne et nos pilules. Ça nous amusait d’emmerder Henri Desgrange. Cela dit, le Tour en 1924, ce n’était pas de la tarte ! »
On sait le dithyrambe facile des journalistes sportifs, cependant, le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard, docteur du Tour de France à plusieurs reprises et grand spécialiste du dopage, est beaucoup plus sceptique sur … la véracité des fausses confidences du café de la Gare de Coutances. La légende des cycles est belle et j’aime garder tout mon crédit au reportage d’Albert Londres !
De Brest aux Sables d’Olonne, son héroïne, ce n’est plus la cocaïne mais la poussière qui met les gosiers en feu :
« On en a bouffé trois cent quatre-vingt et un kilomètres de Paris au Havre, trois cent cinquante-quatre du Havre à Cherbourg, quatre cent cinq de Cherbourg à Brest. Ce n’était pas assez. Quand on en a goûté, on ne peut plus s’en passer. Aussi le garçon de l’hôtel de Brest, qui avait remarqué notre appétit, nous fut compatissant. Une heure après minuit, il frappa à notre chambre :
– Il est une heure, cria-t-il : il est temps de manger notre poussière.
– Combien de kilomètres en aurons-nous aujourd’hui,
– Quatre-cent-douze !
– Hourra ! cria la bande, en se levant, ivre de joie. »
Comme le Brie peut être de Meaux, de Melun, de Montereau, de Provins ou de Nangis, Londres nous apprend qu’il y a des spécialités de poussière :
« La poussière du Morbihan ne vaut pas celle du Finistère, et celle de la Loire-Inférieure est un peu plus épicée ; quant à la poussière de la Vendée, c’est un vrai régal. Rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la bouche. Pourvu que celle des Landes, lundi, soit aussi bonne ! »
Allez Lormeau, on continue … malgré la soif ! Attentif à son jeu, depuis mon fauteuil, je regrette parfois de ne pas toujours avoir le temps d’admirer les pittoresques photographies qui défilent au mur. Comme celle d’anthologie de Victor Lenaers s’envoyant un litre de (?) devant le café de la veuve Auregan !
Albert Londres n’en fait pas mention, mais je ne résiste pas à vous livrer une autre anecdote survenue au cœur de la nuit vers Châteaulin ou Landerneau (« c’est la seule ville depuis le départ où l’on n’entende aucun bruit » précise Londres avec humour !) : « Et si quelqu’un, à la faveur de l’obscurité, s’était enfui ? Les cadors veulent en avoir le cœur net. Ils accélèrent considérablement le rythme jusqu’à ce qu’ils tombent sur le téméraire : un touriste-routier niçois du nom de Jules Banino, pourtant arrivé hors-délais lors de la 1ère étape ! Fou de rage, Jean Alavoine le frappe à coups de pied. Le pauvre s’effondre dans le fossé où il reçoit une volée de coups de bâtons…» (d’après La fabuleuse Histoire du Tour de France de Pierre Chany)
« Un coureur est arrêté sur la route ; il ne répare pas sa machine, mais sa figure. Il n’a qu’un œil vivant, l’autre est de verre. Il enlève son œil de verre pour l’essuyer :
– Il n’y a que quatre mois que je l’ai, alors je n’y suis pas habitué.
C’est Barthélemy.
– Je l’ai perdu à cause d’un silex en roulant.
Il tamponne son orbite :
– Ça suppure !
– Vous souffrez ?
– Le cerveau va !
Il remonte et « roule la caisse » pour rattraper la meute. »
Alavoine, le Gars Jean, n’est jamais avare d’un bon mot : « Aujourd’hui, ma belle-mère a dû faire poivrer la route…
– C’est dur ? lui dis-je.
– C’est dur pour nous, mais pour les lecteurs, ça les amuse, alors « roulons-en une méchante » » à savoir partons à fond de train.
Ça amuse aussi les spectateurs dans la salle. Comme les coureurs, on peut les classer en trois catégories, selon des critères qui n’appartiennent qu’à moi !
Il y a ceux de première classe, les fidèles de la Comédie Française qui savourent la performance du comédien. Je me range dans une deuxième classe un peu fourre-tout. Enfin, il y a les « ténébreux », les purs, les sans-grade, les cyclotouristes-spectateurs, ceux qui sillonnent les routes de France (et même de Navarre), à longueur d’année, bravant la pluie ou le froid, simplement par amour pour la petite reine. Je les ai repérés à l’entrée avec leur anorak coupe-vent, leurs chaussures de sport et leur sac à dos. Qui sait si certains ne sont pas venus en vélo, pour un peu, ils garderaient leur casque.
Devant moi, une dame du monde a conservé son élégant chapeau à large bord. Jean Alavoine ne pourrait même pas l’apostropher : « Retourne-le, t’auras l’air d’un coureur » !
« Il y a de la bagarre en tête !
Voici côte-à-côte Frantz et Archelais. L’un a été mis sur la route pour courir. C’est Frantz. L’autre, on ne sait pas trop pourquoi. C’est Archelais, un « ténébreux, un routier sans écurie, il va tout seul depuis le départ, sans manager, sans cuisses, sans mollets, sans rien. À chaque arrivée, il souffre tellement qu’il pleure comme un gosse, mais il arrive toujours avec les « as ». »
« Le marquis de Priola, alias M. Hector Tiberghien, ne perd pas sa réputation pour si peu que ça tourne rond ou carré ; s’il aperçoit une femme remarquable sur la route, il la salue d’un baiser au nom du sport cycliste et de la France vélocipédique. »
Bande dessinée Les forçats de la route de Patrice Serres
Sur les chaussées ondulées des faubourgs de Nantes : « Ah ! Les édiles, ils n’ont pas raboté la route … ». C’est encore un bon mot du Gars Jean.
La souffrance des uns fait le bonheur des autres, en l’occurrence nous.
Des Sables à Bayonne, c’est l’étape de l’ennui, de la monotonie … enfin pas pour tout le monde :
À Bordeaux, « le peloton de tête est précédé d’une jeune fille à bicyclette. C’est Tiberghien qui l’a dégotée, comme de juste, et qui la pousse en avant. Si cette jeune fille avait attendu ce jour pour choisir un joli petit nom, elle a le choix. Ses compatriotes, durant trois kilomètres, lui ont lancé à la volée de quoi baptiser les quadrupèdes et les oiseaux de la Gironde et des cinq parties du monde en supplément. »
Le comédien fait pousser la canzonetta au maillot jaune Bottecchia, ainsi traduite de l’Italien : « J’ai vu les plus beaux yeux du monde, mais d’aussi beaux que les tiens, je n’en avais jamais vu. »
De son côté, « Á Pissos, Barthélemy met son œil de verre dans sa poche et le remplace par du coton qui n’a rien d’hydrophile. Pour la vue, c’est « kif-kif », dit-il, mais c’est plus doux et j’ai toujours aimé les câlineries. »
« On traverse les Landes », comique de répétition le comédien amplifie le texte d’Albert Londres, on traverse les Landes, on traverse les Landes « on n’en finit pas de traverser les Landes et on a le temps de compter goutte à goutte la résine qui tombe des arbres dans de petits bols. Les cigales comprennent que le paysage devient pesant ; aussi se mettent-elles avec entrain à frotter en notre honneur la peau de leur ventre du bout de leurs pattes. » Je pense à une lectrice landaise. Je pense aussi à mes instituteurs de la communale qui auraient su éveiller notre esprit à travers la prose d’Albert Londres.
À Bayonne, terme de la cinquième étape, « on compte déjà un peu plus de soixante cadavres ; entendez cadavres dans le sens de bouteilles quand elles sont vidées … »
Ici Londres ! Un reporter français parle aux lecteurs du Petit Parisien : « Ce que l’on appelle le « calvaire du Tour de France » commença ce matin à dix heures cinq aux Eaux-Bonnes : les quatre-vingts rescapés allaient traverser les Pyrénées à bicyclette. »
L’endroit m’est familier, c’est le début du col d’Aubisque, j’y suis encore passé l’été dernier, en auto je vous rassure, la route a évidemment bien changé. J’imagine le chemin de terre qu’elle était, il y a plus de neuf décennies.
« Non seulement Tiberghien ne regarde pas les Basquaises, mais il les bouscule.
… Alavoine est jaune, ce n’est pas qu’il ait ravi le maillot à Bottecchia : c’est qu’il a la colique. Deux kilomètres plus loin, je le vois qui titube sur sa selle ; il monologue :
– Quand je vais bien mes boyaux crèvent ; quand mes boyaux ne crèvent pas, c’est moi qui suis crevé !
Pour la première fois depuis dix jours, je m’aperçois qu’il porte le numéro 13. »
Nicolas Frantz dans le col d’Aubisque (photo Loucrup65.fr)
J’imagine l’angoisse que peuvent ressentir ces admirables coursiers dans la désolation du cirque de Litor. En 1910, lors de la reconnaissance de ces montagnes franchies pour la première fois, certains avaient prétendu avoir vu des ours bruns rentrant d’Espagne ! De nos jours, il faut faire attention aux ânes qui profitent de la fraîcheur des tunnels non éclairés.
Deux rangs derrière moi, un spectateur n’a pas surmonté la monotonie des longues lignes droites des Landes, il s’est assoupi, il ronfle même !
« C’est la descente sur Argelès. Ils dévalent à soixante à l’heure, et s’il n’y a pas de « macchabée », c’est bien que les précipices n’en ont pas voulu. »
« Ils attaquent le Tourmalet avec le mouvement de quelqu’un qui se jetterait la tête contre les murs … Le Tourmalet est un méchant col ; le long de son chemin, il aligne les vaincus. Un routier pleure, les deux pieds dans un petit torrent ; il tient un médaillon à la main :
– Ah ! si c’était pour toi ! dit-il.
C’est la photographie de son gosse. »
… « Un autre vient de crever. Il a retiré sa roue pour fixer le boyau neuf, il tient sa roue dans ses bras comme on tient un enfant pour qui l’on ne peut plus rien, mais que l’on se refuse à abandonner. »
Bottecchia dans le col du Tourmalet
Bottecchia dans le col du Tourmalet (photo Loucrup65.fr)
Lucien Buysse dans le col du Tourmalet (photo Loucrup65.fr)
C’est la désolation, « pourtant un homme s’est sauvé : c’est Bottecchia, le maillot jaune ; il est tellement en avant qu’on ne sait plus où il est. Nous lui donnons la chasse depuis une heure, à la vitesse de cinquante-cinq kilomètres heure. En passant, je regarde de temps en temps dans les ravins, mais il n’y est pas non plus. »
La verve de Nicolas Lormeau a pour effet de sortir mon voisin ronfleur de sa torpeur.
Bottecchia gagne à Luchon avec seize minutes d’avance. « Le second est un Belge, le troisième un Luxembourgeois. S’il y a encore des Pyrénées, ce n’est plus que pour les Français. »
À l’occasion de la 7ème étape qui mène les coureurs de Luchon à Perpignan, Albert Londres nous décrit une énigmatique procession : « Devant, il y a les coureurs ; aussitôt après suit une triste limousine, longue, noire et close. Deux messieurs sont à l’intérieur avec une rosette de la Légion d’honneur pour eux deux ; seulement … le chauffeur ne porte pas l’habit officiel des croque-morts : ce n’est donc pas un corbillard.
Enfin suit une deuxième voiture close, noire et longue. Si la première était un corbillard, on pourrait croire que, dans la deuxième, se tient le prêtre en surplus blanc.
En troisième lieu, dans une torpédo, vont trois pénitents italiens, coiffés chacun d’une cagoule que, en passant par Florence, ils ont empruntée aux salariés des pompes funèbres.
La quatrième et la cinquième carriole à pétrole portent, sur leurs côtés, des fanions d’un jaune couleur d’immortelle. Sur ces fanions sont des lettres noires, qui ne peuvent dire autre chose que : « Regrets éternels » (ndlr : sans doute, les initiales de Henri Desgrange fondateur du Tour).
Un sixième véhicule, qui nous vient de Bruxelles, arbore une banderole où s’étalent ces mots : « Dernière heure » (ndlr : nom d’un quotidien de la Belgique francophone, il faut que je vous explique tout ?).
Ensuite, dans plusieurs voitures, des dames et des messieurs qui ont oublié de prendre leurs lunettes pleurent tout ce qu’ils ont de larmes. Ce doivent être les membres de la famille.
Enfin, une mystérieuse automobile porte, pendus à des crochets, des boyaux de rechange, si bien qu’elle a l’air de perdre ses tripes ... »
Sans compassion pour les coureurs, je déguste l’humour et même la poésie du texte que dicte le reporter depuis sa triste chambre d’hôtel.
« On s’habitue à tout, il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature » lâchera-t-il même.
Je ne flâne pas le long de la grande bleue de Perpignan à Toulon, étape de transition encore qu’elle soir marquée par un grave accident : « après La Ciotat, Huot menant le train prend sa roue dans un rail et tombe. D’un coup de volant, nous l’évitons. La poussière bouchait la vue à un mètre. Une voiture suivait et traîne Huot. Voilà le fait. »
« Pour aller de Toulon à Nice, on passe par Menton. Cela peut vous surprendre. C’est ainsi. On ne trouve jamais de chemins assez longs. On ajouta, aujourd’hui, cent kilomètres à la ligne droite. Ce n’est plus un Tour de France comme dit Alavoine, c’est « un tour de cochon ». »
Mais le fait majeur du thriller pédalant, c’est la disparition du maillot jaune Bottecchia :
« On le vit bien à la frontière. L’Italie était venue acclamer Bottecchia, Bottecchia n’était pas là… Ce fut du joli ! … Vingt Italiens arrêtèrent mon élan et me sommèrent de leur dire ce que j’avais fait de Bottecchia … Bottecchia porte le maillot jaune. Il n’y avait pas de maillot jaune dans la course, et c’est à moi que l’Italie s’en prenait. Mais quarante-cinq gendarmes étant venus me dégager je pus repartir d’un pied tremblant. Néanmoins, le fait subsistait : Bottecchia était escamoté…
À Menton, la séance recommença. On vint voir dans mes poches ce que j’avais fait de Bottecchia. Alors je répondis :
– Il est mort !
Et c’est seulement à la faveur de la consternation que je pus m’échapper.
Bottecchia n’était pas mort … »
Nicolas Lormeau, qui suit scrupuleusement son texte, ne nous le dira pas ! Je renseigne à voix basse mon sympathique voisin : ce jour-là, en effet, Ottavio n’avait pas revêtu le maillot jaune. Les organisateurs du Tour l’avaient autorisé à porter son maillot violet de l’équipe Automoto, plus discret, car il avait reçu des lettres de menaces et craignait la vindicte des chemises noires au plus fort de l’affaire Matteoti (député socialiste enlevé puis assassiné, quelques jours auparavant, par les fascistes).
Pour varier les plaisirs, je vous offre un bonus, chers lecteurs : au récit de quelques anecdotes d’Albert Londres dans la traversée des Alpes, j’ajoute l’image avec les planches très réalistes du dessinateur Patrice Serres tirées de son très fidèle album Les forçats de la route. On y aperçoit même Albert Londres portant secours à Henri Collé, un Genevois qui rêvait de l’emporter devant ses compatriotes. Vous ne trouvez pas une certaine ressemblance entre le reporter et le comédien ?
Lors de la douzième étape de Gex à Strasbourg, 360 kilomètres encore, un début de fronde s’organise chez les coureurs qui boudent devant le refus des organisateurs de « retarder » le départ à 3 heures du matin, de manière à ne pas descendre le col de la Faucille dans l’obscurité ! C’est ainsi que « la Faucille devint le col le plus terrible du Tour de France, en ce sens que c’est celui qui fut monté le plus lentement. La vitesse atteinte ne dépassa guère 4 kilomètres à l’heure et 1 000 mètres au moins furent couverts à pied par un bataillon compact où régnait l’accord parfait. »
Sur la couverture du Miroir des Sports, les forçats de la route se réservent quelques instants de détente le long du Doubs, du côté de Pontarlier. Il est vrai que la franche camaraderie régnait aussi entre Poilus dans les tranchées, moins de dix ans auparavant.
Le « maréchal » Baugé, grand ordonnateur du peloton, martèle chaque jour aux coursiers au bord de l’abandon : « Il n’y a pas de grand coureur sans grand chagrin …Il y a des croix de bois dans notre métier comme dans les autres. Savez-vous ce que je ferais à votre place, je lirais la Vie des martyrs de Duhamel. » Une partie du public (de première catégorie ?) s’esclaffe franchement.
Entre Metz et Dunkerque : « On traversait des pays dont les noms n’étaient pas inconnus : Sedan, puis Lille, puis Ypres, puis Armentières. Sur des plaques, on lisait Ypres, dix-sept kilomètres. Puis on franchit aussi l’Yser. Bref, cela nous rajeunissait de quelques années. Ce n’était pas à une guerre que nous assistions mais à une course. À juger la chose sur l’extérieur, il n’y avait pas sur la face des acteurs une énorme différence. »
… « Pendant la guerre, on envoyait Botrel sur le front, et Botrel donnait des concerts aux troupes. » Bien que cela ne figurât pas dans l’article de Londres, je me mets à espérer que le comédien fredonne le refrain du grand succès de Théodore Botrel, vœu exaucé :
« J’aime Paimpol et sa falaise,
« Son église et son grand Pardon ;
« J’aime surtout la Paimpolaise
« Qui m’attend au pays breton. »
Bref moment d’émotion personnelle, j’ai si souvent, dans ma jeunesse, entendu les deux sœurettes, ma maman et ma tante, le chanter.
Sur la course, c’est l’acteur-chanteur Georges Biscot qui est présent. L’année suivante, il tournera dans un film muet Le Roi de la pédale, probablement un de ces nanars qui deviennent culte un jour.
L’acteur Georges Biscot « le roi de la pédale »
Il fait un temps exécrable : « Dès qu’il ne fit plus noir dans le ciel, il fit noir sur les hommes, je veux dire que les hommes qui étaient partis blancs à minuit, se trouvaient « nègres » à quatre heures du matin »…
… « La pluie a plusieurs effets ; entre autres, elle use les fonds de culotte. Bellenger a le derrière nu ; Bottecchia aussi, Tiberghien de même ; Alors Tiberghien crie au lot :
– Encadrez-nous quand nous traverserons Lille, à cause des demoiselles. On ne peut tout de même pas passer pour des dégoûtants … ».
« C’est pas la femme de Bertrand
Pas la femme de Gontran
Pas la femme de Pamphile
C’est pas la femme de Firmin (ndlr Lambot ?)
Pas la femme de Germain
Ni celle de Benjamin
C’est pas la femme d’Honoré (Barthélemy, celui à l’œil de verre ?)
Ni celle de Désiré
Ni celle de Théophile
Encore moins la femme de Nestor … »
Ce sont les femmes d’Hector Tiberghien !!! Je m’égare, l’ami Brassens n’avait que 3 piges, cette année-là ! Il est temps que le Tour s’achève.
Les vibrations du métro tout proche font trembler les photographies projetées sur le mur, un peu comme au bon vieux temps du cinéma muet. C’est l’occasion de rendre hommage aux premiers photographes du Tour et je n’ai pas meilleur critique que Philippe Bordas dans son admirable ouvrage Forcenés : « Leurs métaphores sous oxydes n’empruntaient pas. Ils fixaient la poésie des brumes sans référer à la mare de Sand ; ils agençaient un ciel biblique et des casquettes de bagne sans maroufler Hugo. Ils montraient un art doux et des coureurs mal vêtus passant à pied le Galibier, nourris par des femmes en habits du dimanche, boissonnés par des agricoles leurs égaux dont les yeux crevaient d’admiration. Ils présentaient le théâtre le plus exact d’un pays végétal et comptable de ses majestés. »
Dernière étape Dunkerque-Paris, 343 kilomètres encore tout de même ! « Vous pouvez venir les voir, ce ne sont pas des fainéants. » Devant la projection de leur portrait, Nicolas Lormeau se recueille comme une invitation à saluer tous ces forçats de la route, tous ceux dont on a admiré le courage, partagé leur malchance, ri aussi de leurs malheurs et de certaines situations cocasses : « Vous allez voir arriver Alavoine, dit Jean XIII, roi de la « poisse ». La place d’Alavoine n’est pas sur les routes, mais à l’Académie française. L’Académie est une institution qui doit non seulement conserver la langue, mais aussi la rajeunir. Pour cette dernière tâche, Alavoine est son homme. Allez me chercher un écrivain, un maréchal, un duc, un avocat, un poète qui, pendant l’ascension des Pyrénées, travaillé par le mal de mer et devant vous dire : « C’est triste d’éprouver un si grand malaise au cours de la plus rude étape », s’écriera : « C’est décolorant, pour une étape méchante, d’être pompé par un inconvénient de cette superficie ! »
Jean Alavoine réparant son boyau
… « Mais il en est que vous ne verrez pas. Une soixantaine de « lanternes rouges » se sont perdus autour de la France. On ne sait ce que ces hommes sont devenus. Ils cassaient leur roue et de préférence la nuit. Pour demander du secours, ils n’avaient que les étoiles, quand encore elles étaient là ! Ils sont partis, ils n’arriveront pas. Où sont-ils ? »
94 ans plus tard, leur place est sur la scène de la Comédie Française ! Le public les acclame à travers leur laudateur, Nicolas Lormeau, qui nous a conté ce mémorable Tour de France en 80 minutes, dans toute sa vérité, celle où se mêlent la peine et la gloire, le sublime et le sordide. Les spectateurs reconnaissent à sa juste valeur l’exploit artistique du comédien qui, en solitaire, a mouliné les paroles d’Albert Londres sans un temps de roue libre.
La vie du vainqueur Ottavio Bottecchia est aussi un roman. Il remporta encore le Tour 1925 mais sa vie s’arrêta, deux ans plus tard, le 3 juin 1927, où on le retrouva, près de son vélo, agonisant au bord du canal dans son village natal. Aujourd’hui, le mystère demeure sur les circonstances du drame. Une agression fasciste comme il la craignait dans l’étape entre Toulon et Nice ? La gloire du maçon du Frioul faisait de l’ombre au régime mussolinien. Des années plus tard, en 1947, un des paysans qui le retrouva gisant, demanda un prêtre sur son lit de mort et confessa avoir tué le pauvre Ottavio d’un coup de bâton parce qu’il était en train de lui dérober des grappes de raisin dans ses vignes. La justice maintient toujours la thèse d’une chute due à une insolation. Neuf décennies plus tard, le mystère demeure et la chose la plus intéressante de la vie de Bottecchia est sa mort !
Mémorial Bottecchia à Peonis (province d’Udine)
C’est aussi cela la légende des cycles dont on n’est pas étonné qu’elle soit racontée sur les planches. À la boutique du théâtre, j’ai découvert en DVD, une captation théâtrale d’Anquetil tout seul d’après le livre éponyme, en hommage au champion, de Paul Fournel. L’écrivain Christian Laborde, chantre de Claude Nougaro et amoureux fou de la petite reine, s’est aussi mis en scène pour clamer ses Vélociférations.
Merci Nicolas Lormeau de m’avoir emmené « au-delà du raisonnable » comme vous l’écrivez dans le fascicule distribué à l’entrée !
Dans mon adolescence lycéenne, j’aurais probablement mieux appréhendé avec les forçats de la route ce que signifiait une victoire à la Pyrrhus plutôt qu’à travers l’étude d’Andromaque !