Les vélodromes de nos grands-pères … et de maintenant (2) !
Vu la densité du sujet, il est traité en deux billets.
Pour lire le billet 1, cliquer ici : http://encreviolette.unblog.fr/2018/01/23/les-velodromes-de-nos-grands-peres-et-de-maintenant-1/
Billet 2
En février 1984, les Six Jours de Paris renaquirent de leurs cendres dans le nouveau Palais Omnisports de Paris-Bercy. Cette fois, j’étais présent avec mon regretté frère. Nous allions enfin humer l’atmosphère (atmosphère ?) si particulière du feu Vel’ d’Hiv’. Mais Bercy n’avait pas une gueule d’atmosphère, d’ailleurs la piste n’était installée que provisoirement le temps des Six Jours. Les nouveaux « écureuils » se nommaient Francesco Moser, Dietrich Thurau, Stephen Roche, Urs Freuler, Laurent Fignon, Charly Mottet, tous appartenant au gotha du cyclisme.
Il manquait pourtant désormais ce supplément d’âme émanant des gradins et probablement des coureurs eux-mêmes : la société de consommation et la mondialisation naissante projetaient déjà là aussi leurs dérives perverses. Les anciens ne retrouvaient plus la ferveur populaire d’antan, les plus jeunes n’avaient pas connu les grandes heures de la piste, les flonflons électroniques avaient remplacé le piano à bretelles.
Bercy n’était pas le Vel’ d’Hiv’ et au prix où étaient les places, le spectacle légendaire des Six Jours avait perdu la moitié de sa joie. On n’y retrouvait pas le peuple de Paris promener ses amours, ses femmes, ses enfants. Cette fête qu’il montrait de ses mains, animait de ses rires, on la lui avait confisquée au profit de trop d’invités, de trop de passionnés de nouveautés ou d’amateurs de snobisme désuet vis-à-vis des résurgences surannées. Là où il aurait fallu beaucoup de joie à crier, encourager, où il ne fallait surtout pas compter son enthousiasme, on comptait à la machine à calculer. Bref, les premiers « Six Jours de Paris » de la nouvelle génération ne ressuscitèrent pas la folle passion vécue par les anciens, pas plus qu’ils ne ranimèrent chez les plus jeunes la folle nostalgie que tant d’écrivains, de Paul Morand à Ernest Hemingway en passant par Antoine Blondin, et tant de parents leur avaient communiquée.
L’automobile avait supplanté aussi la bicyclette qui n’était plus le moyen de locomotion journalier. Les Six Jours de Paris disparurent sans regret définitivement en 1989.
Les écureuils étaient à Central Park dès la fin du dix-neuvième siècle, C’est en effet aux Etats-Unis (et un peu en Angleterre) que furent inventées les courses de Six jours. À l’origine, elles étaient disputées individuellement véritablement sur six jours, chaque coureur roulant ou dormant comme il l’entendait. On achevait bien les pistards avec ce marathon inhumain dont les concurrents sortaient complètement détruits. On cessa ce jeu de massacre en créant une course de relais à deux dite « à l’américaine » ou aussi « madison » puisque les premières épreuves furent organisées dans la célèbre enceinte du Madison Square Garden de New York.
On oublie aujourd’hui que le cyclisme sur piste fut une spécialité sportive éminemment populaire. Tourné vers les records et les innovations technologiques, il attirait un public très nombreux et expert.
Ce qui explique en partie le nombre incroyable de vélodromes que l’on peut recenser en France, beaucoup détruits, certains encore actifs en mode mineur, beaucoup aussi tombés en léthargie et quasi reclus dans un profond abandon.
Hors la pratique de compétition, le vélodrome représente pourtant une opportunité de promouvoir une activité ludique dans des conditions de sécurité optimales pour les plus jeunes, compte tenu de la densité de la circulation routière. On y développe aussi des qualités d’adresse et d’habileté sur un vélo.
Savez-vous qu’au début du vingtième siècle, Paris et sa proche périphérie comptaient au moins cinq vélodromes en plein air. L’un d’eux, à Neuilly, entre la porte Maillot et la porte des Sablons, portait le curieux nom de Buffalo car il avait été construit sur l’emplacement occupé par Buffalo Bill et sa troupe lors de l’exposition de 1889. Lors de son inauguration en 1893, Henri Desgrange, le futur créateur du Tour de France, y établit le premier record du monde de l’heure en parcourant 35 km 325. Les virages étaient tellement relevés qu’on les surnommait les « falaises de Neuilly ». Le directeur de l’enceinte fut Tristan Bernard, alors rédacteur en chef du Journal des Vélocipédistes. Toulouse-Lautrec le peignit avec en arrière-plan « son » vélodrome.
Il y avait aussi le vélodrome de Courbevoie (1891), celui de la Seine à Levallois (1893) occupé par le légendaire Vélo Club Levallois (VCL), la vieille Cipale (1896) du bois de Vincennes toujours en vie presque artificielle, et le Parc (et non l’agaçant Parqueu comme on l’entend trop souvent prononcé!) des Princes (1897), situé à la porte de Saint-Cloud, qui fut rénové en 1932 avant d’être complètement détruit en 1970 pour permettre le creusement du boulevard périphérique. Son nom vient de ce qu’il fut construit à l’origine dans une zone boisée, lieu de promenade et de chasse de la noblesse et de la haute bourgeoisie.
J’ai connu sa piste rose en ciment qui formait une rivière de corail enchâssée dans une enceinte assez grise. Ses longues lignes droites permettaient l’organisation de course de demi-fond (derrière moto). Beaucoup de grandes classiques françaises routières s’achevaient là : le Critérium National, les Boucles de la Seine, le Grand Prix des Nations et le derby de la route Bordeaux-Paris. Le Parc des Princes accueillit jusqu’en 1967 l’arrivée du Tour de France.
Je me souviens m’être retrouvé noyé au milieu d’une foule d’Italiens venue fêter leur nouveau campionissimo Felice Gimondi vainqueur de l’infortuné Poulidor pourtant débarrassé de son éternel rival Anquetil.
Je me souviens des réunions d’après Tour de France avec l’omnium opposant les vainqueurs des trois grands Tours.
Je me souviens du championnat du monde de vitesse de 1958 avec le triomphe du « Costaud de Vaugirard » Michel Rousseau laissant sur les fesses l’italien Enzo Sacchi.
Il y eut aussi, entre les deux guerres, le vélodrome Pierre-Benoist de Vaugirard, sis rue Olivier-de-Serres, non loin du Vel’d’Hiv’, qui laissa place à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art.
Dans la proche banlieue sud, fut construit en 1937 le vélodrome de la Croix-de-Berny calqué sur la piste culte du Vigorelli de Milan. Il ferma ses portes en 1994 mais il était bien mutilé depuis longtemps.
Ces enceintes, dédiées essentiellement au cyclisme, ne résistèrent pas à l’urbanisation galopante et à l’appétit vorace des promoteurs immobiliers.
Dans la proche banlieue nord, le « neuf trois », département tant stigmatisé de la Seine-Saint-Denis, est riche de deux vélodromes encore en activité : à Aulnay-sous-Bois et à Saint-Denis.
Toujours curieux, après avoir visité la basilique Saint-Denis, sépulture des rois de France, j’avais souhaité me rendre, non loin de l’université Paris 8, dans le temple des aristocrates du sprint.
Sans y paraître, bien discret derrière de sinistres murs de béton, le coquet anneau accueille, traditionnellement au mois de juin, le Grand Prix international de vitesse avec les meilleurs sprinters mondiaux. Le Club Vélocipédique Dyonisien (CVD), fondé en 1892, compta dans ses rangs deux très grands champions : le champion olympique Lucien Michard et son « Poulidor », non pas Lagarde mais Lucien Faucheux éternel second. C’est pour eux d’ailleurs que le vélodrome fut construit et inauguré en 1933.
À votre probable étonnement, les vélodromes sont encore légion en France, certes souvent dans un triste état. Il n’est pas rare, lors de mes pérégrinations hexagonales, quand je me trouve à proximité de l’un d’eux, que, poussé par une curiosité incontrôlée, j’aille jeter un coup d’œil et prendre quelques clichés. Fichez vous de moi, il y en a bien qui collectionne les boîtes d’allumettes (philuménie) ou les capsules de bière (cervacapsulophilie), moi je suis « collectionneur de photographies de vélodromes ». Tiens, en gage de votre moquerie, je vous charge de trouver le nom de mon étrange marotte.
D’ailleurs, j’ai des amis qui apportent leur contribution en m’envoyant quelques images de vélodromes glanées au hasard de leurs promenades.
C’est ainsi que je peux vous présenter, à tout seigneur tout honneur, le plus vieux vélodrome de France encore en service, celui de Senlis, son aîné d’un an, étant agonisant.
Inauguré en 1897, il est situé dans le département de l’Allier, précisément dans la petite cité de Lurcy-Lévis.
Je poserais volontiers mon panier, dans ce décor champêtre, pour pique-niquer (un pâté en croûte et une bouteille de Saint-Pourçain, ça vous convient ?) et évoquer les riches heures du duc du Bourbonnais, le doyen des vélodromes. Un site fort bien documenté en retrace l’histoire : http://velodrome.03320.fr/
Ferdi KUBLER sur la pelouse du vélodrome (Archives « Histoire du vélodrome de Lurcy-Lévis »)
Dans les statuts de la société vélocipédique en charge de la gestion de l’enceinte, j’ai relevé à l’article 19 que les discussions politiques et religieuses sont interdites. Sans remonter à la quasi fracture sociale du pays au temps d’Anquetil et Poulidor, ne peut-on pas tout de même débattre sur la rivalité actuelle opposant nos sprinters Arnaud Démare et Nacer Bouhanni ?!
J’eus aimé que René Fallet, originaire de Jaligny-sur-Besbre, choisisse la bucolique piste lurcyquoise pour établir le « record du monde de l’heure des Écrivains de plus de quarante ans dont le prénom commence par un R », mais le truculent romancier amoureux fou de la petite reine lui préféra le vélodrome Louis-Darragon de Vichy.
Plus sérieusement, à raison de deux réunions annuelles, le vélodrome de Lurcy-Lévis accueillit de très grandes figures du cyclisme mondial. Entre les deux guerres, il vit passer de grands champions comme Antonin Magne, André Leducq, Roger Lapébie, Paul Le Drogo, René Le Grevès.
Les frères Jean et Louison Bobet en 1953 (Archives « Histoire du vélodrome de Lurcy-Lévis »)
En compulsant les programmes, je relève les noms de Louison Bobet et son frère Jean, du suisse Ferdi Kubler (vainqueur du Tour de France 1950), de Charly Gaul, d’Anquetil Darrigade et Terruzzi vainqueurs ensemble des deux derniers Six Jours disputés au Vel’ d’Hiv’, du régional Roger Walkowiak beau vainqueur du Tour de France 1956 et pourtant injustement dénigré, de Guido Messina champion du monde de poursuite, du belge Patrick Sercu champion olympique du kilomètre et détenteur du record de victoires dans les courses de Six Jours (88), de Raphaël Geminiani, Apo Lazaridès, Nello Laurédi, Gilbert Bauvin, bien d’autres encore, sans oublier les spécialistes de la piste Pierre Trentin, Daniel Morelon, Gérard Quintyn et le bien nommé Arnaud Tournant.
Gagné par ma frénésie de vélodromes (voyez comme c’est contagieux), mon ami poursuivit sa quête photographique au vélodrome Isidore Thivrier de Commentry.
Rien ne stipule que les considérations politiques sont interdites sur cette autre piste bourbonnaise, aussi, afin de ne pas rouler idiot, il faut rendre hommage à Isidore Thivrier.
Son père Christophe, premier maire socialiste du monde (élu en 1882), fut connu comme le « député en blouse ». En effet, bien avant que les élus de la France insoumise se présentassent sans cravate lors de la rentrée de la nouvelle législature, ce député de l’Allier, ancien mineur, fit scandale en 1889 en pénétrant dans l’hémicycle habillé de la blouse bleue des ouvriers bourbonnais : « Quand l’abbé Lemire posera sa soutane, quand le général de Galifet posera son uniforme, je poserai ma blouse ». Récemment, Kad Mérad s’est inspiré de cette scène dans la série Baron noir diffusée par Canal+.
Isidore Thivrier, maire de Commentry de 1936 à 1940 et député de l’Allier de 1924 à 1940, fut l’un des 80 parlementaires (avec Marx Dormoy, un autre Bourbonnais) ayant voté, le 10 juillet 1940, contre la proposition de révision des lois constitutionnelles régissant la IIIème République en vue d’accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, président du Conseil.
De manière surprenante, il conserva ses mandats électoraux : maire de Commentry jusqu’en 1943, il fut invité à entrer aussi au Conseil National et accueillit même cordialement le maréchal en visite à Commentry le 1er mai 1941. Refusant d’adhérer à la politique du régime de l’état français, il finit par démissionner de ses fonctions pour se consacrer à des actions plus clandestines. Il entra alors en contact avec le réseau de renseignements Marco Polo et installa dans sa propriété un émetteur clandestin en liaison avec Londres et Alger. Il fut arrêté en octobre 1943 par la Gestapo. Interné quelques mois à la prison de Bourges, il fut condamné par un tribunal militaire allemand à vingt ans de réclusion pour espionnage puis déporté en avril 1944 vers le camp du Struthof en Alsace. De santé précaire, atteint de tuberculose et d’angine de poitrine, il y mourut, trois semaines plus tard, le 5 mai 1944.
Difficile de reprendre la piste après un tel portrait ! « Je n’ai pas la socquette légère » comme on dit dans le jargon cycliste !
La qualité du revêtement en ciment de la piste et sa longueur (près de 500 mètres) font que le vélodrome Isidore Thivrier a acquis une tradition de demi-fond, une épreuve d’endurance très spectaculaire courue derrière des motos. Les coureurs qui atteignent des vitesses voisines de 70 km/h sont appelés stayer, littéralement en anglais, « celui qui tient, qui a de bonnes qualités d’endurance ».
Collectionneur impénitent, je sollicitai un ami enseignant dans un collège de Lens, pour qu’il effectue quelques photographies du vélodrome de la ville avant que ce « chef-d’œuvre en terril » ne tombe entre les mâchoires des pelleteuses pour permettre la construction du musée du Louvre-Lens. Il semblait pourtant encore dans un état acceptable de conservation.
Construit en 1933, reconstruit en 1990, il portait le nom de Maurice Garin en hommage au premier vainqueur du Tour de France en 1903. J’ai eu déjà l’occasion de vous parler de ce champion cycliste à l’occasion de l’exposition Ciao Italia organisée au musée de l’Immigration. De nationalité italienne, naturalisé français en 1901, venu s’installer dans le Nord, on le surnommait « le petit ramoneur » en référence à son ancien métier dans le Val d’Aoste.
L’autre grand fait d’armes de Maurice Garin fut son succès, en 1901, dans le mythique Paris-Brest-Paris à la moyenne, incroyable pour les bécanes de l’époque, de 22,995 km/heure.
Spécialiste des épreuves au long cours, il remporta aussi, en 1895, les 24 heures des Arts Libéraux. Cette course organisée par le journal Le Vélo était disputée derrière des entraîneurs … dotés d’une simple bicyclette, d’un tandem ou d’une triplette. Pour l’anecdote, Garin ingurgita au cours de ce marathon : 19 litres de chocolat chaud, 7 litres de thé, 8 œufs au madère, une tasse de café avec de l’eau-de-vie de champagne, 45 côtelettes, 5 litres de tapioca, 2 kg de riz au lait et des huîtres ! Hé Dukan !
Au Nord, c’étaient les corons, la terre c’était le charbon… Le petit ramoneur nous a quitté en 1957, les mines et les vélodromes ont fermé peu à peu. Il ne reste aujourd’hui que les pistes de Saint-Omer (construite en 1899) et de Bruay-en-Artois dans le Pas-de-Calais, et au bout de « l’enfer du Nord », le paradis, le vélodrome André-Pétrieux, lieu d’arrivée de la classique mythique Paris-Roubaix. On lui fit des infidélités de 1986 à 1988, pour des raisons bassement économiques, en lui préférant l’avenue devant les bâtiments de La Redoute sponsor de l’épreuve.
J’eus l’occasion de le visiter (voir billet http://encreviolette.unblog.fr/2011/04/15/voyage-au-bout-de-lenfer-du-nord/) à la veille de la course, mieux encore de marcher sur la piste et d’en faire le tour complet. Ce vélodrome, c’est une histoire de passion, une légende, et au fil des pas, défilait le film d’un demi-siècle d’arrivées. Les plus grands champions y triomphèrent (sauf Anquetil !). Pire que moi encore, cet après-midi-là, deux gosses italiens d’une cinquantaine d’années, à vélo, se photographiaient à tour de rôle à l’entrée de la dernière ligne droite. Avant eux, leurs compatriotes Serse et Fausto Coppi, Antonio Bevilacqua, Felice Gimondi, Francesco Moser trois fois consécutivement, Franco Ballerini deux fois, Andrea Tafi sans parler de Pino Cérami un italo-belge de 39 ans, connurent pareille ivresse !
Arrivée de Paris-Roubaix 1964
Bonus inestimable, j’eus droit à une visite privée des antiques douches ornées de plaques de cuivre gravées du nom de chaque vainqueur sorti de l’enfer : « Elles sont devenues légendes au même titre que les pavés. Elles sont le mur des lamentations, l’endroit où les coureurs grimacent, geignent, comparent leurs blessures, décrivent leurs chutes avec force gestes et mimiques dans un sabir international. L’endroit où se lavent poussière, plaies et fatigue ».
Sous les pavés, la piste ! Une « vélorution » ! On aime le vélo à Roubaix, et un second vélodrome, couvert celui-là, a vu le jour en 2012, juste à côté. On l’a baptisé familièrement Stab du nom de l’ancien grand champion nordiste Jean Stablinski champion du monde et quadruple champion de France sur route.
Le football, le sport roi des médias, a fait trop souvent la nique au cyclisme et plusieurs villes possédant des clubs professionnels ont sacrifié la piste en désuétude de leur vélodrome pour en augmenter la capacité.
Je me rappelle d’arrivées d’étapes du Tour de France sur l’anneau rose du Stadium de Toulouse et du Parc Lescure de Bordeaux. J’ai fréquenté le stade Auguste Delaune (sportif normand mort sous les tortures de la Gestapo) à Reims avec la piste qui entourait la pelouse sur laquelle les légendaires joueurs Kopa, Fontaine, Piantoni, Vincent pratiquaient leur football champagne. Je me souviens d’une couverture du magazine Sport&Vie où les deux grands champions de l’époque Raymond Kopa et Louison Bobet posaient sur la piste en ayant échangé leur tenue.
Soixante-trois ans se sont écoulés depuis que Lucien Lazaridès, surnommé l’enfant grec, gagnait l’étape azuréenne Monaco-Marseille du Tour de France sur l’anneau du boulevard du Prado. La piste a disparu depuis longtemps, cependant, l’antre de l’Olympique de Marseille, reconstruite récemment, continue à porter le nom de Vélodrome. Et lors du Tour de France de l’an dernier, le temps d’un après-midi, le stade a retrouvé sa vocation originelle, deux serpents de bitume de 160 mètres de long et 6 mètres de large ayant été coulés en arc de cercle sur la pelouse pour permettre le départ et l’arrivée de la course contre la montre.
À Montauban, la mousse et les publicités envahissent la piste rose de la légendaire cuvette de Sapiac laissant l’usage exclusif du lieu aux rugbymen locaux.
Dans mon enfance, je me suis nourri, goinfré serait plus exact, des lectures des magazines sportifs couleur sépia qu’achetait mon père. Je les conserve précieusement, jaunis et écornés d’avoir tant été manipulés.
Lorsque j’ajoute un vélodrome à ma collection, me reviennent en mémoire certaines étapes du Tour de France, la photographie d’un sprint, à tout le moins d’un coureur échappé franchissant la ligne en vainqueur, une chute aussi parfois. Aussitôt, miraculeusement, quelques fantômes surgis du passé se mettent à rouler sur la piste déserte.
Je vois Ferdi Kubler l’emportant à Saint-Malo lors du Tour de France 1949.
Ferdi Kubler remporte la 5ème étape Rouen-Saint-Malo du Tour de France 1949
J’imagine Rik Van Steenbergen endossant le maillot jaune à l’issue de la première étape Brest-Rennes du Tour 1952. Voyez fugacement son sprint sur le vélodrome de Rennes avec ces images (et le son si caractéristique des reporters de l’époque) dont j’attendais impatiemment la diffusion lors du passage des « actualités » au cinéma. Ce fut l’un de mes premiers souvenirs sportifs: dans l’échappée, figurait le coureur indépendant Pierre Pardoën qui participait à de nombreuses courses régionales au pays de ma grand-mère (et mon père) picarde.
http://www.ina.fr/video/AFE85004627
Ce sont plus de 100 pistes (126 en 2013) qui sont encore en service en France. Certaines, mal ou pas entretenues, sont sans doute à l’article de la mort.
À moins d’être des mordus de cyclisme (et encore), rares sans doute parmi vous savent qu’on peut trouver des anneaux à Branoux-les-Taillades (Gard), Cléden-Poher et Guipavas (Finistère), Couëron et Guémené-Penfao (Loire-Atlantique), Descartes (Indre-et-Loire), Noyant-la-Gravoyère (Maine-et-Loire), Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine), Plouasne et Quintin (Côtes-d’Armor), Valentigney (Doubs), Villemur-sur-Tarn, et même dans la station balnéaire chic de Deauville.
Ça sent bon la douce France, j’ai envie de penser que les équipes municipales actuelles envisagent avec bienveillance l’avenir de leurs infrastructures. Il est évident que les coureurs de l’élite préfèrent aujourd’hui les destinations exotiques à des critériums en France profonde pour des contrats juteux, mais cela constitue d’excellents outils pour les écoles de cyclisme. Louison Bobet affirmait qu’il n’aurait jamais gagné Paris-Roubaix et le Tour des Flandres s’il n’avait pas connu l’expérience de la piste.
Malheureusement, j’ai lu les récents avis de décès de Mont-de-Marsan et Blois dans la rubrique nécrologique des vélodromes.
Pauvre stade Jean Loustau qui connut les grandes heures du Stade Montois avec les rugbymen de légende, Christian Darrouy, Benoit Dauga et les fabuleux frères Boniface ! Luis Ocaña, venu en voisin du Gers, Thévenet, Guimard et Duclos-Lassalle firent autrefois honneur à la piste. Place désormais à une extension du centre hospitalier !
Même les « merckxistes » les plus radicaux ignorent peut-être que le vélodrome de Blois constitua un tournant important dans la carrière du Cannibale, au même titre que ses triomphes dans Milan-San Remo et ses chevauchées fantastiques dans les ascensions de l’Aubisque et des Tre Cime di Lavaredo dans les Dolomites.
La roue de l’infortune tourna, le 9 septembre 1969, sur le béton de la piste blésoise alors qu’il disputait une course derrière derny. Eddy était dans le sillage de son entraîneur, Fernand Wambst, quand, brusquement, l’accident survint. Victime d’un bris de pédale, l’entraîneur d’un autre concurrent chuta emmenant dans sa cabriole les poursuivants immédiats. « Ce fut terrible. Il n’y a pas eu moyen d’éviter Daler et son vélomoteur. Wambst a percuté de plein fouet. Moi-même, j’ai effectué une pirouette d’une quinzaine de mètres et je me suis reçu, sur le béton, la tête d’abord, le dos ensuite. Nous étions à plus de 60 km/heure. »
Fernand Wambst fut tué sur le coup. Eddy Merckx, emmené à l’hôpital, resta sans connaissance une demi-heure. Les radiographies ne décelèrent finalement aucune fracture mais le champion belge eut le bassin complètement déplacé et confia en avoir subi les séquelles durant la suite de sa carrière pourtant prodigieuse. Un autre grand champion belge Stan Ockers fit une chute mortelle lors des Six jours d’Anvers en 1956. Un monument fut érigé en sa mémoire en haut de la côte des Forges sur le parcours de la « doyenne » Liège-Bastogne-Liège.
L’un des multiples hauts-faits d’armes d’Eddy Merckx eut pour théâtre le vélodrome de Mexico. Mauvais timing de ma période mexicaine, j’avais manqué de peu en 1968 les médailles d’or olympiques des sprinters français Trentin et Morelon et du poursuiteur Daniel Rebillard, je ratais de quelques semaines sa tentative victorieuse contre le record de l’heure. Sur un air de mariachis … Merckxicoooooo !
Tardive consolation, une lectrice bruxelloise photographia pour moi le vélo utilisé par le champion à Mexico et exposé sur le quai central de la station de métro … Eddy Merckx.
Légèrement confuse, elle s’excusa de l’aspect un peu « sommaire » de la machine. Je la rassurai en lui confiant qu’il en était des vélos de piste comme des peintres, ils sont souvent primitifs quand ils sont flamands ! Je lui pardonnai volontiers qu’elle ignorât que les vélos utilisés sur la piste ne possèdent ni frein, ni dérailleur.
Avec ces engins dits à pignon fixe, il n’est donc pas possible de faire de la roue libre. Les jambes sont entrainées et on est obligé de continuer à les tourner jusqu’à l’arrêt. Ce procédé évite les coups de freins trop violents qui risqueraient d’être dangereux notamment dans les virages en cas d’un écart d’un coureur qui vous précède. Sans compter que tout gain de poids, même de quelques grammes, est appréciable dans la recherche de l’aérodynamisme.
Pour les sprinters, c’est ce qui leur permet de réaliser des séances de « surplace » qui ont pour but d’obliger le coureur qui est derrière vous, à passer devant afin de pouvoir profiter de son aspiration au moment du sprint final.
Cela peut paraître paradoxal pour une épreuve de vitesse, mais dans le cyclisme de papa et grand-papa, il n’était pas rare d’assister à de très longs surplaces qui mettaient à rude épreuve les muscles des coureurs.
Dans la mémoire des anciens sont figés des surplaces entre Antonio Maspes et Michel Rousseau qui avoisinèrent ou dépassèrent la demi-heure. Dans mon enfance, j’ai souvenir de cousins de Bourg-la-Reine qui avaient pratiqué le cyclisme sur piste et qui m’enseignaient de passionnantes leçons de tactique, un peu à la manière de Jean Gabin !
Michel Rousseau et Roger Gaignard dans une séance de surplace
Dans l’époque moderne, le temps est « compté » et à cause des impératifs horaires et économiques des diffuseurs audiovisuels, un maximum de deux surplaces est autorisé par course avec une durée maximale de 30 secondes, à l’issue desquelles le starter indique au coureur de tête de repartir.
Il n’y a pas que les vélos qui sont « primitifs », les maillots d’antan des pistards étaient aussi minimalistes, dépourvus des traditionnelles poches arrière et poitrine des routiers (tant pis pour le briquet et le paquet de Gauloises de René Fallet !). Par contre, ils possédaient la noblesse de la soie et j’adorais leur élégance, enfilés sous le cuissard, moulant le torse du coureur afin de permettre une meilleure pénétration dans l’air.
Je suis intarissable, permettez que j’évoque aussi le vélodrome de Besançon. Aujourd’hui disparu, il portait le savoureux nom de Gibelotte.
Est-ce parce qu’il fut le champion incontesté de la lutte contre le temps, Jacques Anquetil, qualifié parfois de « chronomaître », écrivit (une fois avec son maillot de marque BIC) deux belles pages de sa carrière sur la piste de la cité horlogère.
Lors du Tour de France 1963, il consolida son maillot jaune en y remportant l’étape contre la montre. Cela inspira Antoine Blondin qui rédigea sa chronique de L’Équipe à la manière d’un Conte du Chat Perché de Marcel Aymé. Intitulée Course contre le Monstre, vous pouvez la retrouver ici : http://encreviolette.unblog.fr/2013/07/02/ici-la-route-du-tour-de-france-1963-2/
Le meilleur fut à venir même si cela n’est pas inscrit dans le palmarès de Jacques. En septembre 1967, onze ans après avoir battu le légendaire record de l’heure de Fausto Coppi au Vigorelli de Milan, il lui vint l’idée de s’attaquer à nouveau à ce monument du cyclisme.
En guise de répétition, devant les caméras de la télévision, il effectua en soixante minutes, 101 fois le tour de la piste franc-comtoise battue par le vent soit 45,775 kilomètres. Cela fut considéré par les spécialistes et ses pairs présents au bord de la piste (notamment Poulidor) comme un formidable exploit athlétique. Deux jours plus tard, Anquetil battit le record en terre lombarde en parcourant 47,493 kilomètres dans l’heure, soit 1 334 mètres de plus que son premier record de 1956. « Pour Jacques, rien n’est plus beau que le record de l’heure. On ne peut pas y faire deuxième : c’est tout ou rien » (Paul Fournel).
Pour être complet et honnête sur le sujet, l’Union Cycliste Internationale refusa d’homologuer ce record, le champion normand n’ayant pas accepté de se soumettre au contrôle antidopage dans le vestiaire bondé de monde. Il n’y avait pas de quoi en faire un fromage, un bol de cancoillotte ou de gorgonzola bien crémeux en la circonstance.
Par la suite, en effet, ce record fut souvent dévoyé et perdit, faute de repères, beaucoup de sa signification. Plutôt qu’effectuer leur tentative sur l’anneau de référence, le Vigorelli à Milan, les candidats choisirent des pistes en altitude (Mexico est à 2 250 mètres), avec des revêtements en bois plus rapides, des vélos aux conceptions technologiques très (trop ?) pointues, et parfois même des « préparations biologiques » beaucoup plus condamnables que l’absorption éventuelle de quelques amphétamines.
L’Union Cycliste Internationale a mis récemment un peu d’ordre en étant plus flexible dans son règlement : « la bicyclette doit posséder « deux roues d’égal diamètre ; la roue avant est directrice ; la roue arrière est motrice, actionnée par un système de pédale agissant sur une chaîne ». « Le coureur doit être en position assise sur sa bicyclette. Cette position requiert les seuls points d’appui suivants : le pied sur la pédale, les mains sur le guidon, le siège sur la selle ». « La bicyclette doit être accessible à l’ensemble des pratiquants. Tous les éléments de la bicyclette doivent être commercialisés (c’est-à-dire disponible sur le marché ou en vente directe auprès du constructeur) au plus tard neuf mois après leur première utilisation en compétition. Le principe du prototypage de même que l’usage d’un matériel spécialement conçu pour un athlète, une épreuve ou une performance particulière n’est pas autorisé. »
Ferdi Kubler encore vainqueur à Besançon lors du Tour de France 1947
Jacques Anquetil dans sa tentative contre le record de l’heure au vélodrome de Besançon
Je ne peux clore ce grand bain de nostalgie sans vous présenter un amour de vélodrome. Il possède le charme suranné des vieilles propriétés. La grille d’entrée grince. Derrière les herbes un peu folles, surgit ce qui ressemble à un jardin public ombragé plus propice à la pratique de la pétanque ou à l’organisation d’un vide-grenier ou d’une fête de la musique.
Ici gît le vélodrome du Placia à L’Isle-Jourdain dans le Gers. Une photographie d’une exposition consacrée au passé du lieu montre les 13 personnes de la cité « qui déplacèrent des montagnes de terre pour construire en 1933 ce vélodrome à la forme atypique avec ses virages très resserrés ».
Au premier coup d’œil, on imagine mal qu’ici, roulèrent plus de 300 coureurs professionnels, 8 champions olympiques, 32 champions du monde, 18 vainqueurs du Tour de France. Pour la nocturne du 16 septembre 1960, on relève : 1.Robert Verdeun 2.Yves Rouquette 3.Anquetil 4.Stablinski.
Robert Verdeun, excellent coureur lui-même, était le frère de Maurice Verdeun champion du monde et champion de France de vitesse, vainqueur de la grande finale de la Médaille et du Grand Prix de Paris amateur.
Aujourd’hui, cette piste constituerait un excellent terrain de jeu pour les enfants sur leur tricycle. Curieux comme ils sont, ils demanderaient à leurs parents ce qu’est la bande bleu clair qui se trouve en bordure de la piste sur toute sa longueur. Sauraient-ils répondre qu’il s’agit de la « côte d’azur », une bande d’arrêt d’urgence qu’il est interdit d’emprunter volontairement. Lors des épreuves de poursuite et les tentatives de record de l’heure, elle est rendue impraticable par la pose de « boudins ». Il s’agit de petits sacs de sable, donc rien à voir avec l’excellente charcuterie régionale que l’on pourrait éventuellement déguster à l’ombre de la cinquantaine de platanes occupant le centre de la piste !
Quelle belle aire de pique-nique, cela aurait constitué au temps des nocturnes avec les as du Tour de France ! Idéale pour les mounjetados, ces repas de village si populaires dans le Sud-Ouest.
Le vélodrome du Placia autrefois
Phénomène récent d’édition, des journalistes ou historiens publient des ouvrages ou brochures faisant revivre, souvenirs et anecdotes à l’appui, l’histoire de vélodromes de leur région aujourd’hui disparus. Ainsi, à Saumur, le vélodrome de la Loire inauguré en 1894 fut démoli durant la Seconde Guerre mondiale, la piste ayant subi les crues du fleuve.
Sortez vos mouchoirs, la ville de Cholet a perdu ses trois vélodromes dont celui au joli nom de l’Oisillonnette.
Au cours de mes recherches, j’ai découvert qu’il y eut un vélodrome en ciment à Rouen en lieu et place de l’actuel marché d’intérêt national. Construit en 1895, il était intégré dans un ensemble comprenant un casino et un lac, au centre de la piste, haut-lieu du patinage hivernal. Mon père et mon oncle durent le connaître.
L’ancien vélodrome de Rouen
Il accueillit plusieurs arrivées de Paris-Rouen considéré comme la plus ancienne course cycliste d’endurance de ville à ville (remportée en 1869 par James Moore).
Un nommé Guignollot, qui ne l’était pas du tout, termina second de l’édition de 1895 devant Caron et Rayard qui courait … en tandem !
Le 6 juin 1909, se disputa un omnium entre Gustave Garrigou, vainqueur du Tour de France 1911 (en 1910, il reçut une prime spéciale de 100 francs-or pour avoir escaladé le col du Tourmalet sans mettre pied à terre !), et Jean Alavoine, une sorte de Poulidor des temps héroïques, ayant terminé cinq fois dans les cinq premiers de la Grande Boucle. Surnommé le Gars Jean, Alavoine enrichit le jargon cycliste de formules comme « rouler la caisse », « pédaler avec les oreilles » ou « mettre le nez à la fenêtre ».
Juste à l’intérieur de l’anneau cycliste, il y avait une contre-piste en herbe permettant de faire courir simultanément un homme contre sa plus noble conquête.
Le vélodrome fut détruit en 1932. Deux ans plus tard, à quelques centaines de mètres de là, naissait Jacques Anquetil.
Je ne vais pas vous laisser sur ce sentiment de nostalgie. L’espoir fait revivre les vélodromes. Soixante après la démolition du Vel’d’Hiv’ de Paris, je me réjouis de la naissance de plusieurs pistes couvertes à travers l’hexagone : le Stab à Roubaix, Bordeaux-le-lac, Bourges et même prochainement à Bonnac-la-Côte.
Dans mon enfance, se disputait, en hommage au village martyr, le Grand Prix de la Renaissance d’Oradour-sur-Glane avec les plus grands champions de l’époque. Aujourd’hui, à vingt-cinq kilomètres de là et de la capitale de la porcelaine, dans la campagne limousine, vient de sortir de terre le vélodrome Raymond Poulidor, du nom du grand champion originaire de la région. C’était pourtant un médiocre coureur sur piste mais, justement, s’il avait eu accès à ce type d’installation durant sa valeureuse carrière, son palmarès se serait sans doute enrichi de quelques courses prestigieuses.
Le vélodrome possède même deux pistes, une au format olympique et un anneau d’initiation et d’échauffement à l’intérieur. Il devrait être bientôt doté de sa couverture mais, pour l’instant, croisons les doigts, il connaît déjà quelques soucis avec le revêtement en béton de la piste partiellement … bosselé ! Bonne nouvelle, par contre, il a reçu la visite des collectivités de L’Isle-Jourdain (tiens, tiens), Loudéac et Saint-Étienne, voulant rénover ou bâtir le leur.
J’ai gardé pour la bonne bouche le Vélodrome National de Saint-Quentin-en-Yvelines, à quelques tours de roue de chez moi, qui a ouvert ses portes en janvier 2014.
Il s’inscrivait à l’origine dans la candidature de la ville de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012 mais le choix de Londres mit du plomb dans l’aile du projet. D’autant qu’à l’inverse du règlement du vélodrome de Lurcy-Lévis (!), ici, les spéculations politiques allèrent bon train : les élus de droite de la Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines pourfendirent la gauche majoritaire, arguant du fait que c’était un projet bien trop onéreux et d’une autre époque pour quelques rares coureurs en maillot de soie ! Ils reçurent même le soutien providentiel d’écologistes prétextant la proximité (réelle) d’une réserve migratoire ornithologique et la présence de quelques batraciens notoires en bordure de l’étang contigu.
Je ne développerai pas tous les débats sur ce « vélodrame » qui ne pouvaient pas se régler « à la pédale » … faute de piste ! En tout cas, le vélodrome a fini par voir le jour, et savoureusement, la droite, depuis majoritaire, s’enorgueillit du « magnifique écrin », véritable vitrine du sport, d’autant plus avec la perspective acquise des Jeux Olympiques de 2024.
À l’image du centre de Clairefontaine pour les footeux, le vélodrome s’intègre dans un complexe avec l’installation de la Fédération française de cyclisme et une autre arène destinée aux épreuves de BMX. C’est aussi le siège du centre d’entraînement de l’équipe de France et de nombreuses journées portes ouvertes permettent d’y assister.
Journée Portes ouvertes vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines: entraînement de l’équipe de France
Aux normes olympiques, la piste francilienne a déjà accueilli les championnats de France en octobre 2014 et les championnats du monde en février 2015.
Un des premiers événements médiatiques fut la tentative victorieuse de Robert Marchand contre son propre record de l’heure des centenaires. Âgé alors de 102 ans, il parcourut 26,927 kilomètres, performance que beaucoup d’actifs seraient incapables d’égaler, à commencer par moi.
Vous imaginez ma joie quasi enfantine de revivre, soixante ans après, les grandes heures du Vel’d’Hiv’ qu’en fait, je n’avais connues qu’à travers les journaux et quelques retransmissions télévisées.
Florian Rousseau, ancien champion olympique et champion du monde, avec Jean-René Godart
Les championnats de France ne firent guère recette. Pourtant, le gratin du cyclisme national, dont quelques champions du monde en titre, était au rendez-vous sur la piste qui constitue désormais leur outil de travail au quotidien.
Pour la ferveur populaire, il faudrait repasser. En effet, seuls quelques nostalgiques comme moi, éparpillés dans les gradins, tentaient à travers leurs souvenirs d’antan, de transmettre leurs émotions et d’inculquer quelques notions à une jeune génération plus encline au VTT et BMX. Toute une éducation à remettre en place, là aussi !
L’intérieur de la piste est occupé par le « quartier des coureurs » qui, pianotant sur leur portable ou s’échauffant sur un home trainer le walkman sur les oreilles, attendent qu’on les appelle au départ.
Contre mauvaise fortune, bon cœur, j’eus loisir de me déplacer le long des balustrades pour mieux appréhender toute la virtuosité des champions et … championnes, pour jauger aussi l’impressionnante inclinaison des virages. Vive la force centrifuge !
Je me familiarisais avec les différents types d’épreuves. On peut tourner en rond (ou en ovale) de bien des manières : courses de vitesse individuelle et par équipes de trois, kilomètre contre la montre, courses d’endurance avec la poursuite individuelle et par équipes, la course aux points, l’américaine, le scratch, l’omnium. Ces spécialités ont leurs règles propres et réclament des qualités différentes de puissance, de vélocité et de souplesse.
Très prisé du public (même maigre), le keirin est une épreuve assez récente importée du Japon où les paris sont ouverts sur les coureurs. La course se déroule sur deux kilomètres : lors des premiers 1400 mètres, l’allure des coureurs est réglée par un entraîneur motocycliste qui accélère progressivement avant de quitter la piste à 600 mètres de la ligne.
Au diable les acouphènes, je fus ravi d’assister à la course de demi-fond, un peu désuète aujourd’hui, avec ses motos pétaradantes.
Et puis, vibra aussi ma fibre cocardière : les coureurs étaient vêtus, plutôt que ces infâmes tenues surchargées de logos commerciaux, de maillots de leurs comités régionaux respectifs. Délicieux anachronisme de voir les combinaisons d’aujourd’hui (maillot et cuissard combinés) aux couleurs de nos provinces héritées d’une France moyenâgeuse : le bleu de l’Ile-de-France piqué de fleurs de lys, la blanche hermine de Bretagne, les léopards de Normandie. L’enseignant qui sommeille toujours en moi pensait que ce pouvait être un moyen ludique d’acquérir quelques rudiments d’histoire et de géographie. Incidemment, nos chers enfants apprendraient que la Guyenne appartient à la Nouvelle Aquitaine et n’est pas le théâtre du lancement des fusées Ariane ! Je sais bien que notre cher président, plus cultivé que la moyenne, avait déclaré que la Guyane était une île … Allez, pas de mauvais esprit, roulons !
Championnat de France de vitesse: François Pervis champion du monde et Grégory Baugé, neuf titres de champion du monde sur piste
Quelques mois plus tard, le public répondit présent, cette fois, pour les championnats du monde. Mon frère eut envie de revivre les émotions spéciales que dégage un vélodrome. Je ne savais pas que ce serait sa dernière visite chez moi.
À la différence d’une course sur route qui passe devant vous durant quelques secondes, ici le spectacle est permanent et total. Nous retrouvâmes quelques fulgurances du passé, notamment lorsque, littéralement porté par une foule enfin déchaînée, François Pervis alla conquérir le titre du kilomètre pour 87 millièmes de seconde.
François Pervis vient de remporter le titre mondial du Kilomètre
La Marseillaise retentit à cinq reprises en l’honneur de nos pistards.
Qui sait si, dans six ans, je ne vous conterai pas ici d’autres exploits de nos pistards lors des Jeux Olympiques de Paris qui se dérouleront sur cette même piste…
Hors quelques (trop rares) événements internationaux et nationaux, la piste de Saint-Quentin-en-Yvelines accueille quelques épreuves régionales de jeunes. C’est plaisant de voir évoluer, souvent gratuitement ou presque, ces graines de champions qui laissent espérer que le cyclisme sur piste a un avenir.
Des baptêmes sont même organisés au cours desquels monsieur et madame Tout le monde peuvent rouler sur la piste olympique et les plus téméraires « monter aux balustrades » comme les meilleurs écureuils. Cela suscitera peut-être de futures vocations chez leurs enfants.
Par contre, il faut probablement tirer un trait sur le retour d’éventuels Six Jours.
Les Six Jours se sont progressivement modifiés voire désincarnés, et ne correspondent absolument plus aux canons originels. Prolifiques encore en Europe dans les années 1970-80, ils se sont réduits comme une peau de chagrin. Seuls subsistent cette saison ceux de Londres, Gand, Genève, Rotterdam, Brême, Berlin et Copenhague. L’Allemagne a été particulièrement affectée avec la disparition des Six Jours de Dortmund, Cologne, Hanovre, Francfort, Munich, Munster.
À l’origine, le principe voulait tout simplement qu’il ne soit pas permis à une équipe (de deux hommes) de quitter la piste durant six jours et six nuits. Aujourd’hui, la course s’est « humanisée » se résumant dans la plupart des cas en des soirées avec une succession d’américaines entrecoupées de séries de sprints.
De toute façon, les spectateurs aussi ne voulaient plus de ce genre de course. Ce n’était plus rentable de faire tourner des coureurs devant des banquettes vides. Le temps est révolu où les coureurs étaient obligés de dormir dans les cagnas, sauf le fantasque Roger Hassenforder faisant le mur pour retrouver une belle admiratrice dans un hôtel voisin du Vel’ d’Hiv’ !
Les champions routiers, qui déjà limitent leurs objectifs à un ou deux grands tours nationaux, préfèrent passer l’hiver au soleil de l’autre hémisphère plutôt que se frotter aux spécialistes de la piste dans des atmosphères confinées.
Pour humer aujourd’hui un peu de la fragrance des Six Jours à l’ancienne, il faut se rendre chez nos voisins belges au vélodrome Kuipke de Gand. Les Zesdaagse van Vlaanderen-Gent (Six Jours de Gand en néerlandais) constituent les derniers garants de l’institution. Les frites, la bière et le musette restent des valeurs refuges de la kermesse « brueghelienne » !
Ici, les plus grands spécialistes de la discipline Rik Van Steenbergen, Peter Post, Patrick Sercu, l’emportèrent associés aux grands routiers de l’époque Rik Van Looy, Eddy Merckx et Roger De Vlaeminck.
Pour en avoir un aperçu, je vous offre ce joli reportage de l’émission Faut pas rêver. Justement si, il faut rêver ! Et je ne désespère pas, rien qu’un soir, goûter à cette ambiance. La chose ne sera pas aisée cependant, en effet, dès février, la presque totalité des billets pour l’épreuve disputée au mois de novembre qui suit, est déjà vendue.
Dans le reportage, il y a même le gosse qui fait le tour du square (comme moi dans la cour de l’école !). Souriez de tous ces spectateurs qui tournent la tête comme une colonie de flamants roses, de « flamands » plutôt. Les Fla-les Fla-les Flamands roulent sans mollir, les Flamands ça n’est pas mollissant …!
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpc97000568/belgique-les-six-jours-de-gand
Les béotiens, je ne peux le leur reprocher, considèrent sans doute que tous les vélodromes se ressemblent, alors qu’ils doivent répondre aujourd’hui à des contraintes architecturales précises édictées par l’Union Cycliste Internationale afin d’être homologués pour les compétitions de haut niveau : « les vélodromes sont des pistes qui, dans leur forme et inclinaison ainsi que dans leur état et leurs dimensions permettent à chaque coureur, lors des compétitions cyclistes qui s’y déroulent, de défendre ses chances sans risque ni péril. »
Une piste est constituée de deux lignes droites parallèles et de même longueur, reliées par des virages dont l’inclinaison est déterminée en fonction de la vitesse minimum de sécurité.
La longueur de la piste doit être comprise entre 133,33 et 500 mètres, et choisie de telle sorte que pour un certain nombre de demi-tours parcourus, on obtienne une distance égale à un kilomètre. Elle est fixée à 250 mètres pour les championnats du monde et les Jeux Olympiques. Les virages sont d’autant plus relevés que la piste est courte. Cela exige un travail de géométrie très poussé.
La surface de roulement doit être dure, uniforme, antidérapante et non abrasive. Elle est généralement en ciment ou asphalte pour les pistes en plein air, revêtement moins sensible aux aléas climatiques. Plus rapide, le bois est utilisé pour les pistes couvertes. Les essences les plus « roulantes » aujourd’hui pour les pistes de haute compétition sont le Douglas ou pin d’Oregon, le pin de Sibérie et le Doussié un bois exotique présent dans les forêts du Cameroun.
Il faut confier la construction d’une piste et même sa réfection à des entreprises vraiment spécialisées. Pour n’en avoir pas suffisamment pris conscience, la mairie de Paris et la société Eiffage ont été confrontées récemment à de sérieux problèmes lors de la rénovation de la piste de la Cipale de Vincennes.
Travaux de réfection de la piste de la Cipale
Il est un de mes rêves enfantins sinon puérils que j’envisage de réaliser : lors de mon prochain séjour à Milan, je compte bien me rendre au vélodrome Maspes-Vigorelli, l’un des lieux vraiment dignes de l’appellation « légendaire » dans l’histoire du sport cycliste, avant que les lattes de bois de la piste mythique ne pourrissent définitivement.
Chers lecteurs et lectrices, vous savez désormais comment me faire rêver : il vous suffit de faire quelques photographies de vélodromes que vous aurez approchés au hasard de vos balades et de me les envoyer. Je me ferai un plaisir de les publier à la suite de ce billet.
Mes aimables remerciements à Denis RIGAUD et Jean-François HOOG pour leur collaboration iconographique.

Vous pouvez laisser une réponse.
Bonjour
j’écris actuellement la biographie du coureur cycliste Alcide Rousseau 1881-1974, parution 2022; il a couru sur le vélodrome de la Louvière en Belgique, dont, je ne trouve pas traces.
en savez-vous plus ?
merci d’avance
cordialement
PhS
Monsieur,
De ce que j’ai tiré de mes recherches, c’est une carte postale de la rue du Vélodrome à La Louvière.
Effectivement, en 1895, Alexandre Triffet, président de la « Pédale Louviéroise »,créa un vélodrome avec une piste en cendrée dans le quartier du Hocquet. Toutes les grandes vedettes de l’époque y coururent.
En 1930, le stade fut revendu à une autre société qui détruisit la piste et construisit un terrain de football.
Le stade de La Louvière porte toujours le nom d’Alexandre Triffet.
Bien cordialement
Je suis étonné que vous n’ayez pas parlé du vélodrome de CHAMPAGNOLLES en charente – maritime qui a reçu de grands pistards dans les années 50.Je croit qu’il était unique en EUROPE ( Roger GAIGNARD y a participé avec les BOBET , ANQUETIL , POULIDOR , etc…)
Monsieur,
Mon billet ne se voulait nullement exhaustif. J’ai fait le choix de n’évoquer que les vélodromes que j’ai fréquentés ou visités.
Peut-être un jour j’aurai le plaisir d’évoquer l’anneau charentais qui vous tient à cœur et qui effectivement a connu de grandes heures. De plus, sa piste présente la particularité d’être en herbe.
Cordialement
très beau reportage,il y a aussi un vélodrome à Tarbes qui a vu des arrivées du Tour,dont la victoire d’étape de Trueba ,coureur Espagnol.ce vélodrome a été refait et il y à des épreuves pour les jeunes le samedi et même le chapionnat départemental.
Bonjour.
Je cherche la date de construction du premier vélodrome de Hyères, et la fin de son activité.
Cordialement.
Claude Giovannangeli
Ancien gendre de Roger GAIGNARD (90 ans le 13 mai prochain) je vous enverrai qq photos du vélodrome de Champagnoles (piste en herbe unique en Europe) très cordialement.
Bonjour Monsieur,
Merci pour votre attention et pour l’intérêt que vous portez à mes billets sur les vélodromes. Je me souviens très bien de Roger Gaignard, excellent pistard en particulier dans la spécialité de vitesse. J’ai encore souvenir notamment de sa confrontation avec Michel Rousseau et les deux Italiens Maspès et Sacchi lors des championnats du monde 1958 au Parc des Princes.
Bien cordialement
Bonjour
je recherche des infos sur un vélodrome breton qui n’existe plus depuis 1928 mais a vécu de belles heures entre 23 et 26 : le vélodrome de Penmarc’h (29760) appelé également « piste de Keryet ».
J’ai retrouvé des articles de presse mais hélas pas de photo….
https://www.delac.fr/galeries/Historique/Chroniques/Keryet-les-Cormorans-entrent-en-piste–/
Mai 2024, le vélodrome de St-MALO a accueilli l’ultra bike Bordeaux / ST-MALO
Bjr je suis le gendre (ex) de Roger GAIGNARD j’ai vécu pendant 34 ans avec son unique fille Laurence avec qui on a eu un enfant (DAMIEN) et j’ai appris hier le décès de Roger , c’était un grand champion , qui parlait rarement de ses exploits, 6 fois champion de France, deux fois 3ème au championnat du monde de vitesse sur piste .Toutes mes sincères condoléances et paix en son ame.