Mardi 26 septembre 2017 :
Ce sont les ultimes préparatifs avant l’ouverture du 28e festival du Film britannique de Dinard. Nous foulons le tapis rouge (red carpet, ça fait plus tendance !), pas encore débarrassé de sa pellicule (cinéma oblige) de plastique, pour retirer à l’accueil du palais des arts le si précieux pass, réservé depuis le mois de mai, et la grille des programmes.
Nous hâtons le pas car, effet collatéral de la manifestation cinématographique, j’ai prévu de diner avec Renée Bonneau. Mes plus fidèles lecteurs s’en souviennent peut-être, j’ai évoqué en plusieurs occasions les polars historiques (pas uniquement) que nous mitonne cette professeure agrégée de lettres à la retraite. C’est dans ce blog que s’est tissée notre amitié : l’écrivaine avait déposé un chaleureux commentaire à la suite de mon modeste billet Sueurs froides à Dinard. Renée avait imaginé auparavant comme héros d’un de ses romans un criminel reproduisant plusieurs scènes de films d’Hitchcock dans la station balnéaire de la côte d’émeraude à l’époque du festival, moi j’avais retranscrit sous forme d’article de fait divers la (vraie) découverte du corps du maître du suspense dans une friche des ateliers municipaux (http://encreviolette.unblog.fr/2008/05/18/sueurs-froides-a-dinard/).
Les grands esprits se rencontrent donc … au restaurant Le Cancaven, une institution dinardaise au look désormais très contemporain ! J’attends avec impatience le prochain ouvrage de Renée sur les œuvres du Caravage détruites lors du grand incendie du musée de Berlin en 1945.
La fin de soirée sera consacrée, en compagnie de mon indéfectible ami cinéphile (il n’a manqué qu’une édition du festival en 28 ans), à la préparation logistique de la semaine : comment voir le maximum de films en jonglant avec les horaires et les lieux de leurs projections. Conséquence du succès grandissant du festival (près de 30 000 entrées cette année), il faut prévoir un temps d’attente, en large partie debout, d’environ une heure trente entre chaque séance pour être assuré de trouver une place à peu près confortable dans les vétustes salles. Heureusement, malgré une météo souvent maussade (on est en Bretagne !), la pluie nous épargnera.
Mercredi 27 septembre :
Première (mauvaise) surprise, toutes les rues aux alentours des lieux de projection sont barrées ou interdites au stationnement en raison du plan vigipirate.
On ne change pas une stratégie qui gagne, on décide comme chaque année de voir prioritairement les six films en compétition pour le Hitchcock d’or. Et, avec avidité, nous enchaînons donc trois films dans la salle Stéphane Bouttet (chouette, c’est la plus spacieuse pour mes longues jambes !)
Une aimable hôtesse se souvient que nous occupons quasi immuablement les mêmes places : quatrième ou cinquième rang sur le côté à droite afin de sortir au plus vite dès les premières images du générique de fin pour rejoindre … la file d’attente de la séance suivante.
Attention, mesdames et messieurs, dans un instant on va commencer, installez-vous dans votre fauteuil (dur quand même) bien gentiment, 5, 4, 3, 2, 1, 0, partez, tous les projecteurs s’éteignent et, défile alors sur l’écran la bande annonce du festival, un petit chef-d’œuvre d’humour de quatre-vingt dix secondes réalisé par Paul Marques Duarte, un jeune rennais de 21 ans.
C’est la première belle histoire du festival. So british, clin d’œil à Sir Alfred Hitchcock, le maître posthume de cérémonie, même si contrairement à une légende tenace, il n’a jamais vécu à Dinard.
Quand un bêtisier entre dans la fiction … la petite fille avec son seau de plage est une vacancière intruse, absolument pas prévue dans le casting et le scénario. C’était si ravissant que le réalisateur a demandé leur autorisation aux parents de l’actrice en herbe.
L’Alfred chauve et bedonnant dans son maillot de bain Union Jack est un professeur de la région qui hésita quelque peu à donner son concours craignant la raillerie de ses élèves qu’il accompagne tous les ans au festival.
Magie du cinéma avec le raccord du plongeon d’Alfred et du morceau de sucre qui tombe dans la cup of tea d’une vieille dame au clin d’œil malicieux. C’est la première fois que je vois le public applaudir la bande annonce du festival.
J’ai une tendresse toute particulière pour ce délicieux clip qui me renvoie aux ondines de natation synchronisée que j’avais filmées dans une piscine de Trouville à la demande du grand photographe John Batho, un normand comme son nom à consonance britannique ne l’indique pas.
Le premier film du premier festival du film britannique après Brexit se déroule dans le monde de la boxe anglaise. N’y voyons pas un clin d’œil à notre Premier ministre pratiquant assidu de ce sport.
Le 7ème art s’est souvent intéressé au noble art. Raging Bull de Martin Scorcese avec Robert De Niro, Million Dollar Baby de Clint Eastwood, la série des Rocky avec Sylvester Stallone, The Fighter de David Russell ont marqué l’histoire du cinéma.
Jawbone de Thomas Napper tient son titre de l’os maxillaire. Le film commence sur une citation du Livre des Juges et l’anecdote de Samson s’emparant d’une mâchoire d’âne et terrassant un millier de Philistins.
Le héros du film, l’acteur Johnny Harris a écrit aussi le scénario à partir de sa propre expérience d’ancien boxeur en proie à l’alcoolisme. Mais plus qu’un récit autobiographique, c’est la peinture d’un drame social comme connaissent beaucoup d’anglais oubliés par leurs gouvernants.
Après une gloire éphémère, Jimmy McCabe a tout lâché et sa seule amie est devenue la bouteille de vodka. Il ne travaille pas, perd sa mère puis son logement. « L’alcool vous donne des ailes mais vous enlève le ciel » affirme un dicton. Le thème est presque universel car beaucoup d’illustres boxeurs, après avoir pourtant connu gloire et fortune, sont tombés dans la déchéance physique, la misère voire la criminalité.
Pour mener son combat contre l’alcool dépendance, Jimmy retourne au Union Street Boxing Club de sa jeunesse auprès de sa seule vraie famille, finalement, le patron de la salle, son ancien entraîneur et l’organisateur de combats interprétés magnifiquement par Michael Smiley, Ray Winstone et Ian McShane. Ayant besoin d’argent, il accepte un combat clandestin contre un très dangereux adversaire.
Le film, après avoir peint un Jimmy vulnérable et poignant, bascule alors dans des scènes de boxe d’une extrême violence magistralement restituée par une caméra avec une courte focale au plus près des deux combattants. Il semble impossible que Jimmy puisse échapper au terrible châtiment que lui impose sa brute épaisse d’adversaire.
« Je suis boxeur mais je ne peux pas lutter » confie Jimmy au cours d’une réunion d’ « alcooliques anonymes ». L’ultime plan de ce film noir laisse entrevoir peut-être une lueur d’espoir.
N’ayant aucun élément de comparaison avec les autres films en lice pour le Hitchcock d’or, il est toujours difficile de choisir le coupon que les spectateurs sont invités à glisser dans l’urne à la sortie de la salle. J’opte pour un « J’aime bien » !
Retour au pas de course dans la file d’attente du film suivant, A prayer before dawn, traduit fidèlement Une prière avant l’aube.
C’est l’occasion de sourire des médiocres mesquineries de certains (je devrais dire certaines sans qu’on puisse me taxer de misogynie) pour avancer dans la queue ! Ce sont les mêmes chaque année.
De manière plus constructive, c’est un moment de retrouvailles, avec certains fidèles du festival, et de partage de nos impressions toutes fraîches sur le précédent film.
Une prière avant l’aube est un film anglais d’un réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire, présenté hors sélection, au festival de Cannes, au printemps dernier.
Y est racontée l’histoire vraie de Billy Moore, d’après son autobiographie, jeune boxeur anglais (lui aussi) incarcéré sans ménagement dans une prison thaïlandaise pour détention de drogue. On pense inévitablement à Midnight Express qui se déroulait dans les geôles turques.
J’avoue que je finis par m’ennuyer, même si une caméra extrêmement mobile, à l’épaule, filmant au plus près au détriment même de la lisibilité, et une bande son assourdissante, font tout pour vous maintenir en éveil.
Et puis … et puis, miracle de la mise en scène, la seconde moitié du film crédibilise et réhabilite la première partie. Ce temps était nécessaire finalement (on aurait pu peut-être écourter d’une dizaine de minutes ?) pour installer le spectateur dans la violence de la prison, l’insalubrité, la promiscuité insoutenable entre prisonniers, de véritables fauves ultra tatoués. Je pense à El Marginal, la récente série argentine programmée par Canal +, au début de l’été, au Prophète de Jacques Audiard aussi, quoique ces films apparaissent bien plus « reposants » dans leur description de l’univers carcéral.
Dans une atmosphère hostile, Billy, peu à peu, tente de maîtriser un langage dont il ne possède aucun rudiment (volontairement, les propos en thaï ne sont pas traduits) et essaie de dompter la violence des gangs. Il trouvera son salut en convainquant l’administration pénitentiaire de l’engager dans des compétitions inter prisons de boxe thaï, cette fois.
Deux films, des coups de poing, deux coups de cœur. On sort de la salle, un peu sonné, en espérant qu’un jour, au cours d’un voyage, on ne nous glisse pas à notre insu quelques sachets de drogue dans nos bagages à l’aéroport de Bangkok !
Il est déjà 15 heures, tant pis pour les sandwiches, nous enchaînons avec un troisième film : God’s own country (titre français Seule la terre), premier long-métrage de Francis Lee pour lequel il a obtenu le prix du meilleur réalisateur au dernier festival de Sundance. Pour jouer avec les mots, on peut qualifier le film de journal de campagne, celle désolée et brumeuse du Yorkshire en la circonstance. Johnny, fils unique, travaille du matin au soir dans la ferme de ses parents, un père handicapé et autoritaire, une mère soumise. Pour oublier sa condition, il noie son spleen tous les soirs au pub du village et s’adonne occasionnellement à des relations sexuelles avec d’autres garçons … les filles sont parties à la ville.
Le problème de Johnny n’est pas qu’il soit attiré par les hommes mais qu’il ne parvienne pas à s’attacher à l’un d’eux. Jusqu’au jour où un migrant roumain débarque à la ferme familiale pour donner un coup de main. Une relation intense naît entre les deux hommes.
Inévitablement, on pense au Secret de Brokeback Mountain, le film américain du chinois Ang Lee.
Dois-je vous confier, à cet instant, que mon voisin et néanmoins ami qualifiera, à la sortie, Seule la terre, de film « insignifiant » ?
Je suis beaucoup moins négatif et catégorique que lui. J’ai trouvé beaucoup de qualités à ce film attachant dont le propos dépasse largement la question gay. Ainsi, le réalisateur peint, par petites touches, l’hostilité à laquelle un migrant en quête d’un avenir meilleur doit faire face. De même, surgissent sous-jacentes, les difficultés relationnelles père-fils, la désertification des campagnes.
En contrepoint de cette violence sociale, Seule la terre est un beau film naturaliste. On est ému par l’affection que les deux garçons de ferme portent à leurs agneaux, ainsi lorsque Georghe tond une brebis morte pour recouvrir et réchauffer son nouveau-né avec sa toison. Cela me rappelle certaines scènes de la ferme familiale d’Ariège.
Il est près de 18 heures, cela fait près de 9 heures que nous sommes sur le qui-vive. Les journées sont longues pour les cinéphiles.
Nous convenons d’en rester à ces trois premiers films en compétition en ce premier jour de festival. Nous continuons d’échanger nos impressions au grill plancha Côté Soleil devant une parillada. Nous engageons la conversation avec un sympathique voisin qui s’est profondément ennuyé lors de la projection du film Pili, histoire d’une ouvrière agricole tanzanienne, séropositive et mère de deux enfants. À voir ou ne pas voir !
Nous achevons la soirée au bar La Fonda devant une pression et la retransmission de la seconde mi-temps du match de ligue des champions entre le Bayern de Munich et Paris-Saint-Germain. Aux clameurs accueillant chaque but du club de la capitale, il semblerait qu’il y ait beaucoup de Parisiens à Dinard. À moins que la fièvre Neymar M’Bappé soit contagieuse jusqu’en Bretagne.
Jeudi 28 septembre :
Pour commencer la journée, nous avons le bonjour d’Alfred Hitchcock que nous croisons sur la plage de l’Écluse cajolant ses oiseaux pourtant moins terrifiants que les goélands locaux si j’en crois une pancarte.
Nous rejoignons la structure gonflable qui porte son nom pour assister à la projection de Daphné, long-métrage, également en compétition, de l’écossais Peter Mackie Burns.
Daphné, interprétée par la même Emily Beecham, avait déjà fait une apparition dans Happy Birthday to me, un précédent court-métrage du réalisateur. Est-ce à dire que l’héroïne était un personnage si intéressant qu’il méritait donc un plus long traitement ?
Ce qui est certain, c’est que, d’emblée, je m’attache à cette jolie rousse trentenaire qui réside à Elephant and Castle, un quartier un peu glauque du sud de Londres que connaît bien le réalisateur pour y avoir longtemps vécu. Elle y a pour seule présence amie un serpent orange baptisé « Scratch for company », aussi rampant que sa vie coincée. « J’ai abandonné les gens » confie-t-elle dans la scène d’ouverture.
Oui, Daphné est une fille paumée, incontrôlable, ses journées occupées dans la cuisine d’un snack, les nuits agitées dans les bars et clubs à boire, fumer, sniffer et coucher avec le premier venu qu’elle rejette au petit matin. Dans une séquence, elle se nourrit d’une barquette de poulet frit en cherchant des images de Ryan Gosling sur le web, ce qui fait s’esclaffer certains spectateurs britanniques dans la salle.
Impétueuse, elle envoie paître sa mère. Mais Daphné est aussi une fille intelligente (elle lit en se moquant le philosophe slovène Slavoj Žižek) et pleine d’humour. « Je sais, je suis folle hilarante » dit-elle. Certes, le scénario est mince, mais en cette matinée, j’accompagne volontiers l’omniprésente Daphné dans son errance de quelques jours et le désordre de sa vie évoqués par Peter Mackie Burns. Elle est encore trop jeune pour se poser dans la vie, mais aussi trop âgée pour poursuivre cette existence sans but.
Le hasard veut qu’elle sauve la vie d’un épicier poignardé sous ses yeux lors d’une tentative de vol. La carapace de Daphné va se craqueler … et ça me fait du bien !
Les aléas de la programmation, un manque de perspicacité peut-être aussi dans notre choix de voir en priorité les films en compétition, font que notre prochaine séance est fixée à 15 heures seulement. Ça nous laisse le temps de manger tranquillement un sandwich jambon de pays (lequel ? la Bretagne n’a pas trop bonne presse pour ses élevages de porcs !)…avec cornichons pour mon ami.
Le temps des travaux au palais des arts, le cinéma Alizés, rebaptisé Émeraude, est devenu le point central du festival, ce qui explique qu’un second tapis rouge recouvre la chaussée du boulevard Albert 1er.
Dans la queue, au soleil généreux, les conversations vont bon train sur le problème récurrent d’accès aux salles entre les heureux possesseurs de pass et les candidats spectateurs payant leur ticket à l’unité. Il semble que, ce matin, les limites de la convivialité dinardaise aient été franchies avant la projection de Confident royal, le film de Stephen Frears sur l’amitié improbable entre un modeste ressortissant indien et la Reine Victoria, aussi impératrice des Indes. Shocking ! Indignation de la famille royale, indignation également du quotidien Ouest-France qui titrera le lendemain sur un début de pugilat provoqué par … deux Parisiens (ben voyons ! Ce sera démenti par les témoins de la scène). Et les organisateurs du festival annoncent déjà une autre projection du film …
Les esprits se sont apaisés et le jury du film, avec à sa tête la présidente Nicole Garcia, est accueilli sous les applaudissements à son arrivée dans la salle. Légèrement en retard, Vincent Elbaz a droit son petit succès personnel avec même un rappel … lorsqu’il revient des toilettes ! La vérité si je mens (!), le public est bon enfant.
Le film à suivre est England is Mine de Mark Gill qui devrait sortir sur les écrans français, au début de l’année prochaine, sous le titre plus explicite (pour les non fans) de Steven before Morrissey. Il s’agit en effet de l’évocation de l’adolescence de Steven Morrissey avant qu’il ne forme avec le guitariste Johnny Marr le groupe culte rock The Smiths au début des années 1980. Le titre original anglais est une référence à quelques mots de leur grand succès Still ill : « I decree today that life is simply taking and not giving England is mine and it owes me a living ».
Il semblerait que le biopic de l’adolescence de Morrissey soit une adaptation d’une biographie non autorisée, ce qui explique, sans doute pour des raisons de droits, qu’aucune chanson des Smiths ne figure pas dans la bande son du film.
Le rôle du jeune Morrissey est tenu par Jack Lowden, un acteur écossais qui joue un pilote de la Royal Air Force dans le récent film Dunkerque de Christopher Nolan.
C’est presque une tradition qu’un film autour de la musique figure dans la sélection à Dinard. Pas plus tard que l’an dernier, Sing Street avait remporté le Hitchcock d’or.
England is mine se concentre donc exclusivement sur les années de galère de Morrissey dans la banlieue de Manchester. Steven est présenté comme un adolescent timide et tourmenté qui écrit des poèmes pour échapper à l’ennui du quotidien et à des tâches de ronds-de-cuir dans un centre de collecte d’impôts. Il se plonge avidement dans la lecture d’Oscar Wilde mais aussi du sombre Murder on the moor (Meurtre sur la lande), un roman d’une écrivaine américaine sur une affaire criminelle qui secoua la Grande-Bretagne dans les années 1960 avec l’assassinat de cinq enfants et adolescents.
Soutenue par sa mère qui l’encourage à poursuivre ses rêves, Steven rencontre une artiste cultivée qui apprécie ses textes et l’encourage à fonder un groupe. Mais son heure de gloire n’est pas venue et l’ado plonge dans la dépression. La suite, les fans la connaissent, est suggérée par la rencontre de Morrissey avec Johnny Marr. Tout est en place pour le cultissime groupe et son succès foudroyant.
Le jeu du sympathique Jack Lowden permet de ne pas succomber à l’ennui qui pourrait guetter le spectateur. Le jeune Morrissey écrivait pour y échapper …
À défaut de l’entendre dans le film, je vous offre le clip de Still ill qui inspire le titre du film :
Sur le chemin de la salle du Balnéum, le street artiste rennais Héol a commencé une fresque murale en hommage à Sir Alfred Hitchcock.
Pour tuer l’attente, les candidats spectateurs échangent leurs impressions. Nos voisins ironisent sur le film Seule la terre en le rebaptisant « L’amour est dans le pré » ! Raillez, raillez, braves gens !
Nous zappons (à tort) Pili le sixième film en compétition pour découvrir les onze courts-métrages de la sélection des Shortcuts. C’est souvent dans cet exercice qu’émergent de futurs talents. Les spectateurs sont invités à faire leur choix pour l’attribution du prix du public.
Je suis évidemment marqué, comme à chaque fois, par la remarquable prestation de l’acteur Peter Mullan dans Edith. Mais je vote pour The Nest de Jamie Jones : une mère célibataire perd ses repères quand avec ses trois enfants dont un bébé, elle se fait expulser du logement qu’elle occupe illégalement, pour être remplacée par une famille d’origine étrangère.
En une vingtaine de minutes, tout est exposé sans manichéisme sur la crise du logement et de la précarité à Londres, mais le sujet pourrait être évidemment transposé en France.
Le film est un peu autobiographique, car le réalisateur passa une partie de son enfance à déménager de squats en squats, et à voir sa mère aux prises avec les huissiers. Quelques images d’archives sont insérées pour authentifier le propos.
C’est poignant, j’ai vu dans la pénombre quelques personnes essuyaient une larme.
Il est difficile à la sortie, au moins pendant quelques minutes, de se retrouver dans l’ambiance festive du palais des arts. Tout ça c’est du cinéma, mais c’est aussi malheureusement la vraie vie et toute la force du cinéma britannique de traiter avec efficacité les grands sujets de société.
Alors qu’à l’écran, on refuse des œufs au plat à trois enfants londoniens, je trouve presque indécent de vous dire que ce soir-là, nous nous sommes régalés d’un gratin de haddock au restaurant Sadi2.
Vendredi 29 septembre :
Retour à la trop exiguë salle du Balnéum : moment de colère dans les rangs, la « cheftaine d’accueil » commence à faire entrer la file des « sans pass ». Nul besoin de Parisiens pour réparer l’incident !
Au programme, une avant-première : Une belle rencontre (Their finest en anglais), un long-métrage de la réalisatrice danoise Lone Scherfig. J’avais déjà beaucoup aimé, il y a quelques années son film The Riot Club, peinture du cercle très secret d’Oxford réservé à l’élite de la nation.
Le cinéma dans le cinéma : une équipe de tournage essaye de redonner du courage à l’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale en tournant un film de propagande après le Blitzkrieg. On éprouve déjà beaucoup de plaisir à retrouver le cinéma des années 1940-50 en technicolor et les décors en carton pâte.
L’actrice Gemma Arterton (qui m’avait séduit dans Gemma Bovary) interprète le rôle d’une femme scénariste dans une société de production cinématographique. Avec beaucoup d’énergie, elle s’impose dans ce milieu d’hommes contre vents et marées, c’est le cas de le dire car le propos du film produit tourne autour d’une opération de sauvetage de soldats à Dunkerque. C’est le même fait historique que le Dunkerque de Christopher Nolan. Je manifeste toujours une attention particulière sur le sujet car, j’eus l’occasion d’en parler en brossant son portrait, mon père était présent sur les lieux en 1940 et embarqua sur Le Gâtinais sous le feu nourri des vedettes allemandes (voir billet http://encreviolette.unblog.fr/2008/01/09/michel-coffin-mon-pere-epoque-2/ ).
Le propos d’Une belle rencontre n’est pas l’évocation de l’opération militaire mais le processus de l’écriture du scénario souvent en direct sous la pression des producteurs et aussi des acteurs, en particulier Bill Nighy étincelant dans son rôle de comédien vieux beau vaniteux.
Une belle rencontre, c’est aussi, il faut du mélo, une romance entre Catrin alias Gemma et le scénariste principal Tom Buckley alias Sam Claflin. Ils se réchauffent le cœur en écrivant pour réchauffer la nation.
Il tombe des cordes sur Dinard. Nous nous réfugions dans une brasserie de la plage de l’Écluse, face à la mer, devant un sandwich américain thon. On apprend que Bill Nighy est à Dinard, il doit réclamer ses madeleines cakes non loin de là (private joke réservée aux seuls spectateurs du film).
À défaut de le voir en chair et en os, nous retrouvons Bill Nighy au Balnéum dans une autre avant-première, The Limehouse Golem de l’américain Juan Carlos Medina.
Le film est une adaptation d’une nouvelle gothique, Dan Leno and the Limehouse Golem, de l’écrivain anglais Peter Ackroyd. On est plongé dans le Londres de 1880, au temps de l’époque victorienne. Des meurtres en série sont perpétrés dans le quartier malsain de Limehouse.
Scotland Yard envoie l’inspecteur Kildare sur la piste d’un Jack l’éventreur façon XIX siècle. Selon la rumeur, ces crimes seraient l’œuvre du Golem, une terrifiante créature de légendes juives d’Europe centrale.
Le déroutant inspecteur joué par Bill Nighy donne d’entrée le ton du film : « Découvrez tout ce que vous pouvez sur … George Gissing, Karl Marx et Dan Leno ! » Quelle idée de porter ses soupçons sur un philosophe révolutionnaire et un romancier britannique du 19ème siècle ? Une fantaisie de scénario pour évoquer le caractère cosmopolite du quartier où Karl Marx vécut réellement. Digression, savez-vous qu’il faut s’acquitter aujourd’hui de quelques livres sterling pour visiter la tombe de l’auteur du Capital au cimetière londonien de Highgate ?
Le quatrième potentiel suspect du détective est un dramaturge mais il se retrouve très vite assassiné et sa veuve comédienne de cabaret est accusée de son meurtre et emprisonnée. L’inspecteur Kildare qui manifeste beaucoup de sympathie pour elle pourra-t-il en dénouant l’affaire, la sauver du nœud de la corde du bourreau, c’est tout le suspense de ce thriller grand-guignolesque d’un incontestable esthétisme.
Du grand guignol, on va encore en avoir en soirée à la salle Hitchcock avec la projection de La mort de Staline du réalisateur écossais Armando Iannucci. Ouest-France titre que le film sur la disparition du « Petit père des Peuples » a bien fait rire Dinard. Est-ce pour cela que le jury au complet assiste auprès de nous à cette avant-première qu’il n’a pourtant pas à juger ?
Cette hilarante comédie tirée d’une bande dessinée française publiée chez Dargaud narre donc les tourments politiques qui ont suivi la mort du dictateur russe en 1953.
Le film s’ouvre tambour battant (plus justement piano !) sur l’anecdote délirante du Concerto n°23 de Mozart que raconte le compositeur Chostakovitch dans ses Mémoires. Jouée en direct à la radio avec le concours de la pianiste Maria Yudina, l’œuvre plait à Staline qui en demande l’enregistrement. Malheureusement, il n’y a pas eu de captation du concert et les musiciens doivent donc rejouer immédiatement, on n’a pas le droit d’aller à l’encontre des ordres du despote mélomane. Quitte même à aller chercher, pour remplir la salle à moitié désertée, des voisins béotiens de la musique classique en robe de chambre et même des opposants au régime terrorisés croyantà une rafle. Ce n’est pas évoqué dans le film mais il fallut faire rouvrir en pleine nuit une usine pour presser le microsillon et une imprimerie pour la pochette.
Le réalisateur utilise le subterfuge d’un petit mot incendiaire contre le régime glissé dans la pochette par la pianiste dissidente. Alors qu’il regarde, dans sa datcha hors de Moscou, son western quotidien (vrai de vrai, c’était un grand fan de John Wayne et de John Ford !), Staline s’effondre victime d’un accident cérébral à la lecture du message.
Ses gardes devant son appartement qui ont ordre de ne jamais le déranger n’entrent pas par peur d’être fusillés. Ainsi, Staline git sur le sol de son bureau pendant des heures. Le comité central finit par arriver mais met un temps fou à se décider à appeler un docteur. Staline a fait arrêter la plupart des grands docteurs car il était persuadé qu’ils voulaient l’empoisonner. Il y avait même un respirateur artificiel (Khrouchtchev en parle dans ses mémoires) mais comme c’était un modèle américain, ils ne l’ont pas utilisé. Le dictateur agonisant continue donc de terroriser son monde. Ils ont tellement peur de faire une erreur que les membres du Comité central ne font rien du tout. On voit les caciques du Politburo, Beria le responsable des services de sécurité et grand maître de la terreur et des sentences, Malenkov, Khrouchtchev, Mikoyan, Boulganine, Molotov, les plus anciens d’entre vous se souviennent de ces noms. La moindre décision est prise collégialement par votes à main levée au cours desquels le réalisateur se régale de cadrer les portraits crispés, les visages angoissés, ricanants, menaçants, triomphants. On jubile.
Le film est basé sur beaucoup de faits réels concentrés dans une narration autour de la mort de Staline. Les choses se mettent en place avec l’organisation des plus grandes funérailles que l’Union Soviétique ait connues, puis la grande bataille pour la prise du pouvoir qui se déroule en coulisses.
La mort de Staline est tellement hilarante qu’on s’interroge parfois si cela s’est effectivement passé comme cela. Le public rit à gorge déployée. Quand on pense qu’en mars 1953, l’heure était au chagrin pour les adorateurs du dictateur. L’Humanité-Dimanche pleurait « l’homme que nous aimons le plus ».
Ironie de l’histoire, dans quelques jours, les célèbres Chœurs de l’Armée Rouge seront en concert à Dinard ! Intermède musical, savez-vous que Prokofiev, le compositeur de Pierre et le Loup, mourut le même jour que Staline ?
Ce soir, je régale au restaurant L’Abri des flots : une gratinée de coquillages suivie d’un pavé de merlu à la plancha, arrosés d’un gouleyant muscadet conseillé par notre charmante voisine.
Non loin de notre table, le réalisateur Armando Iannucci dine avec son équipe. Il serait passionnant de prolonger la présentation qu’il a faite en salle : « La mort de Staline is a comedy ! Is it a comedy ? ». C’est un film fort en tout cas !
Samedi 30 septembre :
Sont-ce encore les effets revigorants de la mort de Staline, ce matin, tandis que les Dinardais font leur marché aux halles voisines, nous avons la pêche pour enchaîner trois avant-premières à la salle Hitchcock.
Pour commencer, Final Portrait du réalisateur Stanley Tucci, un italien américain vivant à Londres, que présente Clémence Poesy, membre du jury, actrice du film et parfaitement bilingue.
Mon ami et moi avons un petit faible pour Clémence : alors qu’elle n’était pas encore de ce monde, nous fûmes collègues de sa maman durant une année à l’occasion du stage audiovisuel de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud. Quant à son papa, il continue à avoir une riche activité théâtrale et associative là où j’habite.
Au temps où je réalisais des films pour l’Éducation Nationale, j’aimais particulièrement effectuer des portraits d’artistes et filmer dans leur atelier, un endroit intime propice à l’esthétisme. « Une statue dans une chambre et celle-ci devient un temple » écrivait Jean Genet justement à propos de l’atelier reconstitué dans Final Portrait qui évoque un court moment de la vie du peintre sculpteur suisse Alberto Giacometti. Vous avez vu au moins une fois ses sculptures de silhouettes filiformes et cabossées.
Le film est un quasi huis clos adapté d’Un portrait par Giacometti, un livre du critique d’art américain James Lord. Du 12 septembre au 1er octobre 1964, James Lord, qui avait lié amitié avec Giacometti, se rendit pour poser dans le célèbre atelier de la rue Hippolyte-Maindron (un autre sculpteur célèbre) située dans une cité d’artistes du quatorzième arrondissement de Paris aujourd’hui disparue).
Ce sont globalement ces dix-huit jours de pose, qui commencent immuablement par une photographie de la toile prise la veille, que nous suivons dans le film. On pourrait craindre l’ennui, or c’est plein d’énergie et passionnant.
« Plus on travaille sur un tableau et plus il devient impossible de le finir » concède Giacometti, éternel insatisfait. C’est frustrant et fascinant de voir le peintre, magistralement interprété par Geoffrey Rush, recouvrir régulièrement le travail de la journée et repartir de zéro. « J’ai fini » dit-il, quand, exaspéré, il sent que rien n’est jamais terminé.
On sourit de ses manies d’exiger que son modèle ne bouge pas d’un centimètre, de graffiter les murs de notes, d’adresses et parfois de fresques, de cacher ses liasses de billets n’importe où dans l’atelier : « Il ne faut pas faire confiance aux banques » … « mais vous êtes suisse » !
Le portrait s’enrichit de la présence des personnages féminins indispensables à « l’équilibre » de Giacometti, sa compagne Annette et Caroline sa prostituée préférée, superbement interprétées par Sylvie Testud et Clémence Poésy.
Comme Giacometti ne « finit » jamais ses œuvres, je ne pourrais jamais cesser de vous entretenir de Final Portrait tant il ouvre d’interrogations sur l’artiste lui-même et sur l’art et la création en général. Final Portrait est un excellent film sur l’art dans la lignée de La jeune fille à la perle de Vermeer, Hitchcock d’or en 2003, et Mr Turner de Mike Leigh en 2014.
Je vous offre cette photographie de Giacometti dans son atelier prise par Robert Doisneau. Vous constatez une étonnante ressemblance de l’artiste avec l’acteur Geoffrey Rush.
Et qui sait, j’irai peut-être musarder un jour du côté des rues Didot et Hyppolite Maindron, l’impasse Florimont chère à Brassens n’est pas loin.
Si le processus de la création peut trouver quelques réponses dans la psychiatrie, le film suivant Patrick’Day du réalisateur irlandais Terry McMahon traite de la schizophrénie.
Le film est emblématique d’une « faute » calendaire : Patrick, schizophrène tranquille et sympathique sous l’influence des médicaments et de la protection maternelle, partage son anniversaire avec la fête du saint national irlandais, évangélisateur de l’Irlande.
Le soir de ses vingt-six ans, pour la première fois, Patrick est séparé de sa mère Maura. Désorienté, encore puceau, il rencontre la jolie Karen, une hôtesse de l’air suicidaire au faux air de prostituée de luxe. Sur le pas de la porte de la chambre d’hôtel qu’elle occupe, Karen questionne Patrick hésitant : « Qu’est-ce que tu attends ? Une invitation ? » « Je suis schizophrène » répond Patrick … « Ne le sommes-nous pas tous ! » lui rétorque-t-elle.
La mère obsessionnelle va tout faire pour séparer Patrick et Karen, engageant un détective, lui faisant subir une insoutenable thérapie de choc, conspirant même pour convaincre son fils que Karen est le fruit de son imagination en dépit de leur bébé qu’elle attend. La mère ne réalise pas que son propre amour est encore plus destructeur.
Patrick’Day, émouvant film d’amours (pluriel volontaire) interprété par une brillante brochette d’acteurs (notamment Moe Dunford dans la peau de Patrick), nous aliène complètement. Face à l’amour, on est tous un peu fou, non ?
La même salle Hitchcock pour pénétrer dans In Another Life (Dans une autre vie), une réalisation en avant-première de Jason Wingard.
« Dans une autre vie, j’étais professeur. Aujourd’hui, je suis réfugié. Un Syrien. Mon nom est Adnan. »
Adnan et sa femme Bana ont quitté la Syrie déchirée par la guerre pour rejoindre le Royaume-Uni. Ils se retrouvent bloqués dans la trop célèbre jungle de Calais où le spectateur va séjourner aussi le temps du film.
Au départ de son projet, le réalisateur envisageait de faire un documentaire en filmant dans la vraie jungle. Mais, après avoir noué amitié avec ses occupants, il choisit de traiter le drame avec quelques acteurs interprétant des moments réels tirés de témoignages de personnes ayant connu la « vie » dans la jungle (et des figurants pris dans la jungle elle-même). Mais, à aucun moment, on ne sent une scission entre acteurs et vrais réfugiés.
Puisque tourné dans la jungle de Calais, In Another Life est une fiction qui possède toutes les vertus d’un documentaire. Avec tous les éléments d’un thriller servi par une image remarquable en noir et blanc, elle montre la misère du camp et ces pauvres gens qui tentent désespérément de rejoindre les côtes anglaises par tous les moyens possibles, camions et traversiers. On y croise la corruption d’ignominieux contrebandiers, la haine de certains habitants considérant les réfugiés comme des envahisseurs.
Face à l’indifférence et l’hostilité, la déshumanisation, les deux acteurs Elie Haddad (français, il joue aussi dans la série culte Game of Thrones) et Toyah Frantzen rayonnent d’humanité.
Encore une fois, on ne peut que s’incliner devant la force du cinéma britannique. Le pourtant généreux film français Welcome avec Vincent Lindon semble bien mièvre en comparaison.
In Another Life est un film politique poignant et fort. On sort de la projection avec un terrible sentiment de honte et de culpabilité. On a plaisir, pour nous apaiser, à échanger quelques mots avec l’équipe du film.
De la jungle de Calais aux paillettes du tapis rouge qui attend le jury pour la proclamation du palmarès, il y a un fossé abyssal. Nous préférons retrouver les coussins moelleux de La Fonda pour échanger nos impressions de cinéphile devant un rafraîchissant demi pression.
Nous réservons une table pour 21h 30 chez Ma Pomme, … Je n’suis p’t’être pas connu dans la noblesse ni chez les snobinards (de Dinard), ma pomme, c’est moi, j’suis plus heureux qu’un roi, j’ne me fais jamais de mousse (sauf l’Affligem de La Fonda !).
Auparavant, nous retournons sous la bulle d’Hitchcock pour la projection de Quelques mots d’amour (Mum’s List) du réalisateur anglais Niall Johnson. Encore un film qui vous prend aux tripes !
Tout est annoncé dans le synopsis. « Kate et Saint John Greene vivent une formidable histoire d’amour depuis leur adolescence. Leur vie bascule lorsqu’ils apprennent que Kate est atteinte d’un cancer. Saint John doit désormais s’occuper seul de leurs deux fils avec la peur de la perdre à jamais. Les souvenirs des moments forts de leur couple lui reviennent en mémoire, grâce à une liste de vie et d’amour que Kate leur a laissée. Un inventaire de choses à faire et à partager. »
Dans le décor romantique d’une belle plage du Nord Somerset dans le sud-ouest de l’Angleterre, le film d’une grande charge émotionnelle décrit, avec l’utilisation de nombreux flashbacks, comment la famille tellement unie fait face à la maladie terminale de Kate à partir d’une liste de mots d’amour qu’elle a créée pour que la famille poursuive sa vie en son absence.
Les acteurs Emilia Fox et Rafe Spall sont beaux et poignants. Là encore, quelques larmes ont perlé aux paupières de certains spectateurs. Et personne ne s’est plaint de l’absence des sous-titres en français.
Tard dans la soirée, en sortant du restaurant, nous prenons connaissance du palmarès du festival du film britannique 2017. Le jury souverain décerne le Hitchcock d’or à … Seule la terre de Francis Lee qui rafle aussi le Prix du Public. Comme quoi je n’étais pas seul à Dinard à aimer « l’amour dans le pré » !!!
Je suis beaucoup plus surpris que le Hitchcock du meilleur scénario soit attribué à Peter Mackie Burns pour Daphné. Les errances de la jolie rousse m’avaient tapé dans l’œil mais de là à récompenser un scénario linéaire et faible …
Mon ami, peu perspicace, se console que le public attribue son prix des Shortcuts (courts-métrages) à son préféré, The Driving seat : deux quinquagénaires cherchant à remettre un peu de piment dans leur couple, décident un matin de faire l’amour dans leur voiture garée dans l’allée. Vertiges de l’amour …
Dimanche 1er octobre :
Les Dinardais font la grasse matinée ou sont à la messe (pour se confesser de Driving seat ?), il n’y a pas foule à attendre devant la salle Hitchcock pour la projection de Butterfly kisses du réalisateur polonais Rafael Kapelinski. Du coup, les hôtesses nous font entrer sous la tente d’accueil pour nous abriter d’un crachin tenace.
Butterfly kisses est un film noir, d’un fort esthétisme, d’un admirable noir et blanc même dont il faut féliciter le directeur de la photographie Nick Cooke. Le récit se focalise sur une barre d’immeubles dans un lotissement pauvre du sud de Londres et trois copains en pleine puberté. Désœuvrés, ils occupent leurs journées à boire de l’alcool, fumer de l’herbe, parler de filles et de sexe, regarder des films pornos sur internet.
Lentement, l’attention se tourne vers Jake le plus sage d’entre eux, du moins semblait-il, car l’histoire est beaucoup plus sombre. L’adolescent timide qui gagne de l’argent par le babysitting et se laisse railler par ses potes pour son inactivité sexuelle, porte un horrible secret insinué par une news d’un journal au début du film. Jake se passionne pour l’une des jeunes filles du voisin, l’espionnant d’une fenêtre dans la cage d’escalier et faisant des incursions pour se rapprocher d’elle. Mais est-ce que cette simple angoisse adolescente est canalisée dans un objet d’innocence, ou essaie-t-il de contourner l’impulsion d’abuser d’une enfant ?
Il n’y a pas souvent place pour le rêve dans le cinéma britannique à moins d’aller fureter du côté de la famille royale (et encore !) !
L’ultime film ne fait pas exception. Sea sorrow (« Douleur de la mer » en français) marque les débuts d’une toute jeune réalisatrice de 80 ans, l’immense actrice Vanessa Redgrave.
Elle nous propose une réflexion très personnelle sur la crise mondiale des réfugiés et l’importance des droits de l’homme outrageusement bafoués, à travers les yeux et les voix de militants, de réfugiés, d’enfants. Elle aussi a visité et filmé en Grèce, en Italie, dans la jungle de Calais, aux différentes étapes du trajet emprunté par les réfugiés à la recherche d’asile. Elle mêle subtilement ses propres images aux documents d’archives, au théâtre aussi (elle a joué dans Richard III).
Le titre Sea sorrow est emprunté à une réplique de La Tempête de Shakespeare. Il est vrai qu’à la sortie de la projection, c’est la tempête sous notre crâne. Il y a encore quelques semaines, les estivants se baignaient dans la Méditerranée, cet horrible cimetière marin où reposentles corps de plusieurs milliers de réfugiés.
Le festival du film britannique de Dinard 2017 a vécu. À cause de ma profonde admiration pour ce cinéma social et engagé que j’ai tenté de vous faire partager, je reviendrai (probablement) sur la côte d’émeraude pour la prochaine édition 2018.