Archive pour le 1 septembre, 2017

Une semaine au Pays Basque (1)

Vos vacances s’achevant probablement, je les prolonge en évoquant les miennes, notamment mon séjour d’une semaine au Pays Basque.
Samedi 5 août :
Avant de rejoindre Hendaye, notre port d’attache, j’avais envisagé de pique-niquer à Espelette, un nom combien évocateur pour épicer le trajet. J’emploie l’imparfait car le caractère le plus négatif du climat océanique, à savoir un crachin tenace, nous oblige à renoncer à notre projet. Qu’à cela ne tienne, c’est la fête à Espelette, aujourd’hui village clos pour les automobilistes. C’est l’aubaine pour flâner tranquillement dans la rue principale, encore qu’il soit malaisé, à cause des gouttes sur les lunettes, d’admirer pleinement les façades blanches des maisons ornées de guirlandes des piments rouges qui font la réputation mondiale de la petite cité des Pyrénées-Atlantiques … et non Basses-Pyrénées comme l’affirme encore un antique panneau de signalisation.

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Ici, tout ou presque est dédié au fameux piment venu d’Amérique centrale et introduit possiblement au Pays Basque, au XVIème siècle, par le navigateur Juan Sebastian Elcano originaire de Getaria, un port de pêche côté espagnol, j’aurai sans doute l’occasion de vous en reparler.
« … Partout sur leurs balcons de bois, séchaient les citrouilles jaunes d’or, les gerbes de haricots roses ; partout sur leurs murs s’étageaient comme de beaux chapelets de corail, des guirlandes de piments rouges.: toutes les choses de la terre féconde, toutes ces choses du vieux sol nourricier, amassées ainsi, suivant l’usage millénaire, en prévision des mois assombris où la chaleur s’en va. » C’est la description qu’effectue Pierre Loti, charentais d’origine mais tombé amoureux du Pays basque, dans son célèbre roman Ramuntcho.
Protégé désormais par une appellation d’origine, le piment d’Espelette n’est pas plus fort que le poivre mais son long séchage au soleil lui procure un parfum plus intense. Depuis cinq siècles, il l’a supplanté dans la cuisine basque.
Il entre même dans la composition du cocktail maison que nous dégustons en apéritif à la terrasse couverte du chaleureux restaurant Aintzina.
Midi a, en effet, sonné au clocher du village, et touristes et autochtones se réfugient autour des comptoirs des bars et bodegas pour sacrifier au rituel des tapas, pintxos en basque, il va d’ailleurs falloir désormais se familiariser avec la langue régionale ultra présente sur les menus et panneaux indicateurs.
Pour manger couleur locale, nous nous régalons d’un axoa (prononcer achoa), un émincé de veau relevé avec des oignons et évidemment le piment local, un plat traditionnel servi autrefois les jours de foire dans cette région du Labourd.

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Bientôt, on se retrouve plongés dans une ambiance de troisième mi-temps de rugby : l’entraînante banda Azkena Bideko, à l’abri tout contre notre table, pimente notre repas en revisitant notamment quelques grands succès d’Abba. C’est plus Singing in the rain que Dancing Queen mais le sympathique saxophoniste, inquiet pour nos tympans, a vite fait de nous rassurer sur la météo locale : « il ne pleut pas plus qu’en Bretagne, il y a aussi du soleil et c’est vert ! »
Aux accents de la Pena Baiona, ma compagne deviendrait, pour un peu, supportrice du XV de l’Aviron Bayonnais. J’étouffe son élan en commandant un gâteau basque à la crème, savoureux au demeurant.
La pluie a cessé. Nous effectuons déjà quelques emplettes pour les amis et profitons même d’une information détaillée avec dégustation sur la culture du piment et ses applications culinaires. La célèbre épice entre aussi dans la fabrication du chocolat noir, autre fleuron local. Moins glorieusement, merchandising (je ne connais pas la traduction en basque !) oblige, on y a aussi recours dans de nombreux produits dérivés tels sel, foie gras, pâtés, moutarde et même ketchup.

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Nous reprenons la route jusqu’à Ainhoa, pittoresque bastide frontalière créée au XIIIème siècle pour accueillir les pèlerins sur le chemin de Bayonne à Pampelune menant à Saint-Jacques de Compostelle.

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L’artère principale est une large avenue bordée de grandes demeures à colombages et boiseries couleur sang de bœuf, typiques du Labourd, datant pour les plus anciennes des XVII et XVIIIème siècles.

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Au Pays Basque, quand on voit un fronton, l’église et le cimetière sont souvent tout proches (ou inversement).
Á l’origine, l’église Notre-Dame de l’Assomption, d’inspiration romane, était un château créé au XIIIème siècle, inclus dans un réseau défensif sur le front anglo-navarrais.
On y accède au pied de la tour par une lourde porte en bois à l’arrière de laquelle, curieusement, un escalier en menuiserie mène au clocher ainsi qu’aux galeries intérieures.

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Je profite de la modeste offrande d’un touriste permettant d’éclairer intérieurement l’édifice (avec un chant basque en prime) pour mieux apprécier encore le superbe retable doré et le dôme d’un bleu à rendre jaloux le ciel plombé de cet après-midi.
Le plafond est entièrement couvert de bois. Les deux niveaux de galeries étaient construits à l’origine pour augmenter la capacité du lieu. Traditionnellement, les hommes y prenaient place tandis que les femmes et les enfants s’asseyaient dans la nef. Je ne saurais vous dire, n’ayant pas eu l’occasion d’assister à un office, si cette coutume est toujours scrupuleusement observée.

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Don du ciel, il s’éclaircit tandis que nous abordons les faubourgs d’Hendaye. Je remarque, en longeant la Bidassoa qui vient se jeter bientôt dans la mer, un îlot oblong caché dans les feuillages.

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Supposant que l’installation dans notre location ne vous passionne pas, je m’attarde donc sur la riche et étonnante histoire de cette minuscule langue de terre (trois mille mètres carrés) interdite au public appelée communément île des Faisans ou aussi, de manière plus compréhensible, île de la Conférence. Je l’avais d’ailleurs déjà partiellement évoquée dans un ancien billet suite à ma lecture de Le Dépaysement. Voyages en France, l’ouvrage passionnant et érudit de Jean-Christophe Bailly.
Dès le XVème siècle, cette bande de dépôts alluviaux empierrée sur ses bords, fut le théâtre de rencontres diplomatiques et royales, ainsi déjà, en 1463, Louis XI, roi de France, et Henri IV de Castille.
C’est dans ce même endroit insignifiant qu’en 1526, François Ier, prisonnier de Charles Quint, fut échangé contre ses deux fils.
S’il permit le développement des arts et des lettres en France, son règne, sur le plan militaire, fut ponctué de nombreuses guerres en Italie. Nul écolier n’ignorait (c’est peut-être moins certain aujourd’hui !) la date de la bataille victorieuse de Marignan, peu de gens savent par contre la piteuse défaite de Pavie, dix ans plus tard, au cours de laquelle le monarque fut fait prisonnier par les troupes espagnoles de Charles Quint. Enfermé à la chartreuse de Pavie, il fut transféré en Espagne comme otage de Charles Quint.
Pour obtenir sa libération, François Ier signa le traité de Madrid le 14 janvier 1526 s’engageant à céder la Bourgogne, à renoncer à ses prétentions au-delà des Alpes, et à verser une rançon fabuleuse d’un million deux cent mille écus d’or, ses deux enfants, le dauphin François et Henri, demeurant prisonniers du côté de Ségovie jusqu’à la remise de cette rançon.
Á peine la Bidassoa franchie et s’être retrouvé sur le sol de France, François Ier s’écria « Je suis encore le roi de France », bien décidé à ne pas respecter le traité de Madrid. De ce fait, les enfants royaux restèrent prisonniers de Charles Quint durant quatre ans encore, et ne retrouvèrent leur liberté, au milieu de la Bidassoa, que le 1er juillet 1530, un an après la signature du traité de Cambrai qui mettait fin à la guerre entre Charles Quint et François Ier. Ils étaient accompagnés, lors de leur retour, par Eléonore d’Autriche, sœur de Charles Quint, qui devait épouser le roi de France. Oserais-je dire qu’entre faisans, on finit par se comprendre !
En 1615, toujours au milieu de la Bidassoa, on procéda à l’échange des fiancées royales : d’un côté, Anne d’Autriche, infante d’Espagne, destinée à Louis XIII de France, de l’autre, Élisabeth, fille d’Henri IV et sœur de Louis XIII, promise à Philippe IV d’Espagne.
C’est encore sur cette île qu’en 1659, lors d’une conférence (d’où parfois son nom) longue de trois mois (pas moins de 24 rencontres), que fut négocié par le cardinal Mazarin et Don Luis Menendez de Haro y Sotomayor le mariage de Louis XIV avec la fille du roi d’Espagne, et signé le traité de paix des Pyrénées (7 novembre 1659).

Le Brun entrevue ile des Faisans

Entrevue de Louis XIV et Philippe IV par Charles Le Brun

Ce traité met fin à l’interminable guerre opposant depuis un quart de siècle, le royaume de France aux Habsbourg d’Espagne.
Il prévoit donc aussi le mariage du jeune roi de France avec l’infante Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne.
En guise de dot, l’Espagne apporte à la France le Roussillon, la Cerdagne, l’Artois et plusieurs places fortes en Flandre et en Lorraine, notamment Gravelines, Thionville, Montmédy.
L’année suivante, comme prévu, les futurs époux se rencontrent à Saint-Jean-de-Luz. Leur mariage est célébré le 9 juin 1660 par l’évêque de Bayonne dans une atmosphère de liesse. Il se soldera par six naissances… et d’innombrables infidélités du Roi-Soleil.
Dans l‘une de ses fables, intitulée Les deux chèvres, Jean de La Fontaine évoque malicieusement ces événements :

« Je m’imagine voir, avec Louis le Grand,
Philippe Quatre qui s’avance
Dans l’île de la Conférence
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,
Qui toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L’une à l’autre céder …»

Coïncidence, je redécouvre La Fontaine cet été, je devrais même découvre tant il ne fut pas qu’un fabuliste, à travers la lecture de La Fontaine, une école buissonnière, le livre délicieux que lui consacre l’académicien Erik Orsenna.
Le temps que le GPS nous conduise à notre location sur les hauteurs d’Hendaye, je peux encore vous entretenir du savoureux différend qui opposa en 1904, le journaliste Paul Déroulède (les plus anciens d’entre nous apprirent son patriotique poème Le Clairon) au leader socialiste Jean Jaurès … à cause de quelques propos calomnieux sur Jeanne d’Arc : « Je vous tiens, vous, monsieur Jaurès, pour le plus odieux pervertisseur de consciences qui ait jamais fait, en France, le jeu de l’étranger … »
Les deux hommes décidèrent de laver leur honneur sur le pré mais Déroulède, en exil dans les environs de Saint-Sébastien, ne pouvait mettre le pied sur le sol français, et le duel était illégal en Espagne tout comme en France d’ailleurs.
« Rien n’est défendu à moi, Jaurès » qui obtint du « petit père » Combes (c’était son surnom et non une familiarité de ma part) un sauf-conduit afin que le proscrit puisse venir combattre sur le sol de la République.
C’est ainsi qu’à Béhobie, en face de la fameuse île des Faisans, et sous l’étroite protection de la police française, MM. Déroulède et Jaurès échangèrent deux balles de pistolet … en l’air.

duel Jaurès-Déroulède

Ce fait divers me ramène à mon enfance : haut comme trois pommes de ma Normandie, j’avais été intrigué par le même combat d’un autre âge qui avait opposé, pour un différend artistique, deux maîtres de ballet, Serge Lifar et le marquis de Cuevas. Ils s’étaient affrontés à l’épée sur le pré (ça ne manquait pas !) d’un village près de Bernay. La mascarade cessa suite à une bénigne estafilade au bras de l’avant-gardiste Lifar qui avait dû trop tôt baisser sa garde ! J’ai découvert depuis que l’un des témoins du marquis était … Jean-Marie Le Pen !
Depuis le traité de Bayonne de 1856, précisé par une convention en 1901, l’île de la Conférence est un condominium sous l’autorité conjointe de la France et de l’Espagne, changeant de souveraineté tous les six mois : du 1er février au 31 juillet par l’Espagne, depuis le 1er août jusqu’au 31 janvier prochain, par Emmanuel Jupiter Macron.
Le condominium était géré par deux vice-rois, officiers de marine, l’un commandant de la base navale de l’Adour à Bayonne (transférée à Bordeaux désormais), l’autre commandant de la station navale de Fontarabie et de Saint-Sébastien pour l’Espagne. L’écrivain Pierre Loti fut un de ces vice-rois.
Ça y est, nous avons pris possession de notre location. Je n’échappe pas à mon destin basque, le carrelage de la cuisine est égayé de piments d’Espelette !

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Dimanche 6 août :
On ne peut pas parler de beau fixe à propos des prévisions météorologiques de la semaine. Mais ce matin, l’azur prédominant, je décide donc une petite virée de l’autre côté de la frontière, tras el Pirineo (c’était le titre de mon manuel d’Espagnol au lycée), précisément à Getaria (prononcer Guetaria comme son orthographe espagnole), petit port de la province du Guipúzcoa, entre San Sebastian et Bilbao.

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En ce dimanche de San Salvador (saint Sauveur), le saint protecteur de la ville, je suis sauvé par un couple bien sympathique d’autochtones qui me permet d’obtenir le précieux ticket de stationnement en me sortant des pièges de la langue basque tendus par l’horodateur. Je me rendrai compte fréquemment, au cours de la journée, que Getaria appartient à la communauté autonome du Pays Basque et que ses habitants en sont farouchement fiers et en brandissent ostensiblement les couleurs.

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Getaria bénéficie d’un cadre pittoresque. Accrochées aux coteaux, ses rues étroites descendent d’une traite vers le port de pêche blotti derrière la montagne San Antòn communément surnommée la souris à cause de sa forme allongée, un contrefort rocheux anciennement île qui s’avance dans l’océan appelé ici mer Cantabrique.

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Au Moyen-Âge, les marins locaux se consacraient à la chasse à la baleine, on retrouve le cétacé avec un harpon planté dans le dos sur l’écusson de la ville.
Aujourd’hui, l’activité côtière tourne autour du besugo (la daurade à gros yeux), le rodaballo (turbot), la lubina (bar), le mero (mérou), le lenguado (sole), ainsi que les gambas, langostinos et cigalas, j’ai le temps de réfléchir avant de passer commande au restaurant.
Les embarcations aux couleurs pimpantes dansent au soleil en tirant la queue de la « souris, pas de quoi faire un escargot!

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Je pars à l’assaut de l’éperon vers le centre de la cité en empruntant escaliers et forts en suspens. Á l’écart, dans un passage couvert, un mini marché africain, quasi clandestin, propose des maillots des meilleurs footballeurs de la planète. Nos « petits bleus » Griezmann et Pogba sont en bonne compagnie, par contre point de tenue du « traître » barcelonais Neymar qui a signé l’avant-veille à Paris !
De toute manière, ici, l’idole indéboulonnable depuis cinq siècles se nomme Juan Sebastiàn Elcano, Elkano plutôt car il est basque. Natif de Getaria en 1476, on le croise à différents endroits de la cité. Il « bronze » en surplomb du port.

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Voyez comme on nous trompe : depuis mon enfance, je restais sur l’idée que le Portugais Magellan était le premier navigateur à avoir réalisé le tour du monde, un détroit, au sud du continent américain, à l’extrémité de la Terre de Feu, portant même son nom en souvenir.
En fait, il n’en est rien : Magellan mourut avant de parvenir au terme de l’extraordinaire expédition qu’il avait initiée et c’est donc au capitaine Juan Sebastiàn Elcano que revint l’honneur d’achever le voyage et de réaliser, entre 1519 et 1522, la première circumnavigation du globe.
Après que Magellan eût présenté son projet de découverte des « îles des Épices » à Charles Ier, le futur empereur Charles Quint, c’est une flotte comprenant cinq navires, Trinidad, Concepciòn, San Antonio, Victoria et Santiago, et 240 hommes, qui partit de Séville le 10 août 1519.
C’est en débarquant sur l’île de Mactan, aux actuelles Philippines, que Magellan fut tué, le 27 avril 1521, lors d’un combat contre les aborigènes emmenés par leur chef Lapulapu.
Je passe sur les péripéties multiples qui jalonnèrent cette tumultueuse aventure, c’est finalement la seule Victoria avec Elcano à la tête de 18 survivants et 3 indigènes des Moluques, qui parvint à Sanlucar de Barrameda, sur la côte andalouse, le 6 septembre 1522.
L’empereur Charles Quint rendit les honneurs à l’équipage et octroya à Elcano une rente annuelle de 500 ducats d’or et des armoiries sur lesquelles figure un globe terrestre et la devise Primus circumdedisti me (« c’est toi le premier qui m’as contourné »).
On ne peut évidemment pas dire que cette « route des épices » ne valait pas un clou de girofle, au contraire, par l’ouverture géographique et humaine qu’elle offrit, elle modifia considérablement la politique espagnole et européenne ainsi que la vie des peuples du Pacifique.
Sa notoriété valut au natif de Getaria de siéger aux côtés d’autres grands noms de la mer, comme Hernando Colón, Sebastián Caboto ou Americo Vespucci, au sein de la réunion qui se tint à Badajoz en avril-mai 1524, pour déterminer (vainement !) si les Moluques étaient en territoire portugais ou espagnol.
L’illustre marin périt dans un naufrage le 4 août 1526 lors d’une traversée du Pacifique. C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme, tin tin tin … !
Je me précipite maintenant par les ruelles étroites vers la superbe église gothique San Salvador, malheureusement l’office va débuter incessamment, je ne pourrai donc pas la visiter. Depuis la galerie supérieure, j’assiste tout de même à l’ouverture de la messe avec un vibrant chant repris en basque et avec ferveur par toute l’assemblée … à vous donner la chair de poule.
Du fait du relief escarpé du lieu, la nef est en pente et repose en partie sur la voûte d’un passage souterrain, la katrapona, qui relie la rue principale au port.

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Au même moment, juste en face dans la rectiligne kalle Agusia, les païens se vouent au culte d’un autre héros local, le Txakoli de Getaria (prononcer tchacoli), le « vin du premier tour du monde ». Au-delà de l’argument promotionnel, les actes fondateurs de la cité, en date de 1204, attestent déjà de la production de txakoli. La légende a vite fait de prétendre que le glorieux marin Elcano, porté sur la bouteille, emporta quelques fûts du vin de sa terre natale. Mille millions de sabords, on dit même que lorsque fut commandé son portrait en 1928, le peintre Zuloaga choisit pour modèle un ivrogne invétéré de Getaria.
J’ai lu que le txakoli était a l’image de son terroir un « vin sec, nerveux, secret ne se dévoilant qu’avec la persévérance de l’amateur curieux ». Je fais miens ces propos sibyllins car j’avoue n’avoir pas été transporté par ce vin blanc élaboré à partir de raisins verts et dégusté dans tous les bars, à l’apéritif pour arroser les pintxos. Légèrement perlant (on lui conserve un peu de gaz carbonique), il est servi frais traditionnellement de haut (comme le thé à la menthe) dans de grands verres larges.
Pour l’instant, sobrement, je poursuis ma pérégrination dans les ruelles. Je découvre ainsi qu’une ancienne salaisonnerie d’anchois fut la maison familiale de la chanteuse de zarzuela Pepita Embil. Partie au Mexique, elle créa une compagnie lyrique avec son baryton de mari. De leur union, naquit en 1941 l’illustre ténor Placido Domingo.

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Plus loin, sur un mur d’une bien modeste maison, j’apprends qu’y naquit le « couturier des couturiers » Cristobal Balenciaga, une autre grande figure du petit village. J’ai prévu de visiter son musée dans l’après-midi.
Tiens, je recroise Juan Sebastiàn Elcano qui reste de marbre à mon passage devant la mairie.

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Le marin est omniprésent et un imposant mausolée dominant la ville fut construit pour célébrer le quatre-centième anniversaire de son expédition. Possédant l’aspect d’une pyramide tronquée, une statue en forme de masque de proue de bateau se détache en son sommet.
Sur un mur, sont inscrits les noms des autres rares rescapés de l’aventure, il ne faut pas oublier ces marins tout autant valeureux.

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La messe est dite et, désormais, croyants comme païens envahissent la rue principale pour célébrer le dieu Txakoli. Les filles de Régine étaient Patchouli chinchilla, celles de Getaria sont txakoli tapas balenciaga …!
La musique adoucit les mœurs, je fuis cette exubérance en profitant du concert gratuit qu’offrent, près du fronton, les élèves d’une école de musique.

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Au rite immuable des pintxos, je préfère le menu proposé par le restaurant Politena : ce sera pour moi une salade de chipirons puis un turbot grillé sur la braise à l’extérieur, arrosés d’une bouteille de txakoli… oui, quand même, c’est aussi ça, humer l’atmosphère d’une région.

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Nul besoin d’un pas léger, un tapis roulant nous hisse jusqu’au Cristòbal Balenciaga museoa. Inauguré en 2011, il occupe deux bâtiments, l’ancien palais Aldamar construit au XIXème siècle et une immense annexe d’architecture futuriste aussi épurée que pouvait l’être le style du couturier. Quel destin pour ce fils de marin pêcheur fuyant la guerre civile, depuis la vieille maison au cœur du village jusqu’à ce musée en passant par le numéro 10 de l’avenue Georges V qui fut une des plus prestigieuses adresses de la mode parisienne !
L’hôtesse à l’accueil nous accorde sans justificatif le tarif retraités … ce qui n’est pas, à y réfléchir, forcément gratifiant !
Ma compagne s’étonne que je m’attarde devant les modèles exposés dans les vitrines. Peut-être, suis-je, habituellement, moins réceptif à la mode Desigual ou Zara, quoique !

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Sont-ce des réminiscences de ma jeunesse, il me plait de contempler les robes aux formes géométriques qui révolutionnèrent la mode dans les années 1950 : la ligne « tonneau » (de Txakoli ?), la veste ballon, la robe tunique et la mythique robe sac.
Dans un documentaire, en ouverture de l’exposition, Hubert de Givenchy confie (après consommation modérée de txakoli ?) que depuis qu’il était croyant, il y avait Balenciaga et le Seigneur ! Les métaphores pour qualifier le couturier très proche de l’Église catholique sont fréquentes : le moine de la couture, l’évêque de la modernité, le deus ex machina de la machine à coudre … attention à l’abus de superlatifs et de txakoli tout de même.

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Balenciaga puisait aussi son inspiration dans la peinture espagnole, Velazquez, Zurbaràan, Goya, dans la danse flamenco, la corrida. Il en avait fait sa devise : « Un bon couturier doit être architecte pour les plans, sculpteur pour la forme, peintre pour la couleur, musicien pour l’harmonie et philosophe pour la mesure. »
Dans le court-métrage, Emanuel Ungaro élève la mode Balenciaga au niveau de l’art : la mode belle au début devient laide avec le temps, l’art souvent décrié au départ devient beau pour l’éternité.
Pour une fois, c’est moi qui défile devant les mannequins. J’ai même confusément l’impression de retrouver à travers les toilettes l’atmosphère d’un certain cinéma d’après-guerre, Carroll Baker dans Baby Doll d’Elia Kazan ?
Dehors, plus bas, la ruelle principale ne désemplit guère. Dans des odeurs de poissons grillés, nous nous frayons un chemin pour redescendre jusqu’au port.

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Plutôt que suivre la côte vers Zumaia, nous grimpons à travers les coteaux tapissés de vignes en espaliers, tournées vers le large, vendangées par les tempêtes. Les échappées sur l’océan sont splendides.
Tout compte fait, ce soir, je trinquerai à la bonne poursuite du séjour avec un petit verre de txakoli de Getaria (j’ai pris la précaution d’acheter un flacon), un vin aussi improbable et surréaliste que son terroir !

Publié dans:Coups de coeur |on 1 septembre, 2017 |2 Commentaires »

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