Archive pour septembre, 2017

Une semaine au Pays Basque (4)

Pour lire les trois billets précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2017/09/01/une-semaine-au-pays-basque-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/09/12/une-semaine-au-pays-basque-2/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/09/18/une-semaine-au-pays-basque-3/

Jeudi 10 août :
Ce matin encore, le ciel basque est désespérément gris. Même cause, même conséquence, nous choisissons d’aller nous abriter dans le musée Guggenheim de Bilbao.

« Vieille lune de Bilbao, que l’amour était beau.
Vieille lune de Bilbao, fume ton cigare là-haut… »

Elle doit rigoler la lune là-haut, au-dessus des lourds nuages qui déversent des trombes d’eau rendant presque dangereuse la conduite sur la Autopista del Cantàbrico. Dommage car le décor des Pyrénées doit être superbe … par temps clair.
Souvenirs, souvenirs, revient à mon esprit cette Chanson de Bilbao que j’entendais assez souvent dans ma jeunesse. Pour être exact, elle est beaucoup plus ancienne que cela car elle fut créée en 1929 pour la comédie musicale Happy End. Les auteurs, Kurt Weill pour la musique et Bertolt Brecht pour les paroles, rien que ça, avaient déjà collaboré, l’année précédente, pour le célèbre Opéra de quat’ sous. Certains d’entre vous doivent en connaître l’air le plus célèbre la Complainte de Mackie. Happy End fut repris à Broadway, en 1977, avec Meryl Streep.
La traduction française de Bilbao Song est l’œuvre de Boris Vian, écrivain notoire, pataphysicien surréaliste et musicien de jazz. Pas n’importe qui non plus !
Allez, j’écoute sur le lecteur de ma voiture la Chanson de Bilbao : j’écris cela par pure licence poétique car savez-vous que sur les nouveaux modèles de chez Renault, on ne peut plus passer les CD, le temps est venu des playlists sur une clé USB !
Je vous en propose une version par Catherine Sauvage, une puissante interprète (et actrice) qui fut peut-être méconnue commercialement à cause de son image de chanteuse rive gauche comme on disait à l’époque.
Elle aimait la poésie mise en musique et inscrivit à son répertoire les vers d’Aragon, Audiberti, Baudelaire, Brecht, Carco, Desnos, Éluard, Garcia Lorca, Hugo, Prévert, Queneau, et bien d’autres encore. Interprète d’un grand nombre de chansons du grand Léo, on la surnomma parfois la « voix Ferré ».
Voici ce qu’écrivait Louis Aragon à son sujet : « Et tout à coup sa voix, comme un cadeau, chaque mot qui prend sens complet. Ces phrases qui vous font entrer dans un pays singulier, on n’est plus seul, on n’est plus avec les importuns… nous voici vraiment appelés dans un univers différent, où tout parle à l’âme même. Un pays, je vous dis, où tout, comme les mots, se détache avec cette perfection du dire et ce tact merveilleux de chanter … C’est que tout cela est langage de poètes, mais qui passe par une gorge de jour et d’ombre, le prisme de la voix se fait lumière et transparence. Avec qui voulez-vous parler ? Moi, d’une femme rencontrée avec ce nom déjà de souveraine, comme un beau masque de velours : Catherine Sauvage. »
Suivez-la, avec sa gouaille, au bal à Bill, Bilbao, Bilbao :

La musique adoucit les mœurs célestes, la pluie s’est à peu près calmée à notre arrivée dans Bilbao la grise, l’industrielle, la portuaire, du moins c’est l’image que j’en gardais en tête.
Il fête son vingtième anniversaire, cette année, un drôle d’astéroïde est venu s’écraser sur les bords du fleuve Nervion. Argenté, cuivré, doré parfois, il semble changer de matière en fonction de la course des nuages ou du surgissement d’un timide rayon de soleil.

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Vous avez deviné qu’il s’agit du musée Guggenheim d’art moderne et contemporain, célèbre dans le monde entier pour sa stupéfiante silhouette, œuvre de l’architecte nord-américain Frank Gehry.
C’est vraiment une œuvre au sens artistique du terme tant le bâtiment, extérieurement, surprend, déconcerte. Est-ce beau, je ne saurais dire, mais cette monumentale sculpture aux formes imbriquées abstraites et chaotiques finit par séduire. Elle constitue un magnifique exemple de l’architecture déconstructiviste, la bien nommée en la circonstance.
Magiquement, l’impression de mouvement apportée par Gehry semble avoir redynamisé la ville noire de Bilbao longtemps prospère grâce à l’industrie sidérurgique mais qui sombrait dans le marasme.
Avec l’effet Guggenheim, c’est près d’un million de visiteurs qui déferle chaque année vers le vaisseau de titane et de verre surplombant la ria. Conséquence directe, que mon insouciance n’avait pas prise en compte, la file de candidats à un billet d’entrée s’allonge déjà à l’extérieur … sous une légère bruine.

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Tandis que ma compagne patiente dans la queue, je pars faire une caresse à Puppy, la mascotte du musée qui monte la garde non loin de là.

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Puppy est une sculpture topiaire de Jeff Koons. Gigantesque (12 mètres de haut et 9 de long) chien assis, un terrier West Highland, il est couvert de fleurs fraîches de différentes couleurs, irriguées par un système interne.
Les fleurs étant éphémères et variées selon les saisons, le « pelage » de Puppy évolue aussi. D’ailleurs, ce matin, des jardiniers, juchés sur une nacelle, procèdent à la toilette du populaire toutou new pop art.
J’avais vu son cousin Split-Rocker exposé, il y a quelques années, dans les jardins du château de Versailles.

Billet musée Guggenheim

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Possesseurs enfin du précieux sésame, nous nous retrouvons dans la « cathédrale » futuriste. Les matières, métal, verre, pierre, béton blanc, s’opposent. Les volumes se tordent et s’étirent. Bientôt, je suis sujet un peu au vertige en empruntant les tours d’escaliers et les passerelles qui nous mènent au dernier étage dédié aux chefs-d’œuvre de la collection permanente du musée.
Et pour commencer, la dérangeante Iberia de l’américain Robert Motherwell vers laquelle beaucoup de visiteurs se précipitent.

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Comme souvent avec l’art abstrait, on peut être décontenancé devant ce grand tableau noir juste altéré par une tache blanche dans le coin inférieur gauche. Certains béotiens, sans oser l’avouer, pensent en silence à l’imposture D’ailleurs, je devine l’oreille tendue ou le regard que jettent certains vers leurs voisins pour conforter leur incompréhension ou quérir un début d’analyse.
Motherwell réalisa sa série Iberia suite à un séjour au pays Basque dans les années 1950. Il voulait exprimer avec le noir des traces anarchiques de son pinceau, les heures sombres de la Guerre civile d’Espagne, le petit éclat blanc signifiant une lueur d’espoir.
Pour vous imprégner de l’artiste, je vous propose ce clip : Ne chantez pas la mort supplie Léo Ferré sur les œuvres de Motherwell qui la peignit souvent. Un sublime moment d’émotion !

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Arrêtons de broyer du noir, ça tombe bien, juste en face, on voit la vie en bleu avec ANT 105 La Grande Anthropométrie bleue d’Yves Klein (1960).
On pourrait chanter Nel blu dipinto di blu (Dans le bleu peint en bleu), un immense succès des années 1950. Car c’est lors d’un voyage en Italie que l’artiste français reçut un grand choc. Le bleu ultramarin de la Méditerranée puis le bleu outremer des fresques de Giotto dans une église de Padoue lui inspirèrent la monochromie bleue. Il en mit au point une variation, en 1956, ayant la particularité de garder l’éclat du pigment pur en poudre. Il la fit breveter à son nom, International Klein Blue (IKB).
Avec ses anthropométries, Yves Klein proposait une nouvelle manière de faire de l’art, la performance, un spectacle pictural réalisé en direct souvent devant un public.
Klein tendait une vaste toile sur un mur et invitait des jeunes femmes nues à se tremper dans un grand bac d’IKB puis à se frotter sur la toile selon ses consignes. Les modèles devenaient ses « pinceaux vivants ».
On peut encore crier au délire artistique, il n’empêche que je contemple le tableau exposé avec recueillement.
Autant vous avouer tout de suite qu’il n’est évidemment pas question de vouloir comparer ou opposer de telles œuvres avec les toiles de Vermeer admirées, au printemps, au Louvre, mais je me reconnais une certaine délectation pour l’approche conceptuelle de l’art contemporain, sa prise de risque, l’utilisation de supports variés.
« Il y a des peintres qui transforment le soleil en une tache jaune, mais il y en a d’autres qui, grâce à leur art et à leur intelligence, transforment une tache jaune en soleil » disait Picasso qui, après avoir été figuratif dans son jeune âge, devint de plus en plus abstrait.

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Le tableau qui m’interpelle maintenant me semble plus accessible. Il est l’œuvre de l’artiste américain, comme son nom ne l’indique pas, Jean-Michel Basquiat, l’un des trois peintres contemporains les plus côtés actuellement sur le marché de l’art, mort prématurément à 27 ans d’une overdose.
Intitulé L’Homme de Naples (1982), il s’agit d’une peinture acrylique sur bois et collages. Le spectateur n’est pas dépaysé puisqu’on y retrouve des éléments de graffiti et de bande dessinée très courants dans la culture urbaine. Basquiat commença à peindre à la bombe sur les murs de Downtown, un quartier de Manhattan.
Symboles et textes foisonnent et orientent notre réflexion. L’homme de Naples est la grosse tête d’animal rouge, un âne peut-être, un porc sûrement (mercanti di proscuitto, porkchops), une allusion, qui sait, à son mécène Emilio Mazzoli marchand de porcs avant de devenir galeriste.
Regard primitif et ironique : « C’est comme nourrir un lion, c’est un tonneau sans fond, tu peux leur jeter de la viande toute la journée, jamais il ne seront rassasiés. Mais c’était comme un usine, une usine malade moi je voulais être une star et pas une mascotte de galerie » déclarait Basquiat à propos des dérives du marché de l’art dont il ne profite qu’à titre posthume.
Leurs deux œuvres semblant faire partie de la collection permanente du musée, Basquiat repose ou expose dans une éternité artistique tout près de son ami Andy Warhol dont on peut admirer les Cent cinquante Marilyns multicolores, un tableau de plus de dix mètres de largeur.

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À la fin des années 1970, Warhol récupéra bon nombre de ses images sérigraphiées, universellement connues, de sa période pop (les boîtes de soupe Campbell, Elvis Presley, Einstein) en les combinant ou en inversant les couleurs pour créer des images en négatif.
Apparaît ici l’image de l’actrice Marilyn Monroe, un des plus célèbres sujets de l’artiste, répétée cent cinquante fois, pardonnez-moi de n’avoir pas compté pour vérifier.

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Barge ne qualifie pas l’artiste américain Robert Rauschenberg mais désigne une de ses toiles, de plus de neuf mètres de large, en noir blanc et gris. Des zones peintes à la main se superposent ou se combinent à des photographies et des collages. On peut s’amuser à repérer tous les motifs, camions, échangeur d’autoroutes, satellite, comète, parabole, oiseaux (et même moustiques), citernes d’eau, joueurs de football américain, quelques citations d’histoire de l’art (Vénus à son miroir de Velàzquez), un homme avec un parapluie, des croquis, bien d’autres sujets encore, c’est presque un inventaire …
L’artiste, qui réalisa cette œuvre en vingt-quatre heures, confiait : « Dans ma vie, j’ai toujours ressenti de la joie en travaillant. Je ne sais pas si j’ai tort ou raison, mais je pense que presque tous les artistes éprouvent une part de cette joie. Moi, j’en ai même trop … » Ça se ressent dans sa monumentale toile (huile et encre sérigraphiée 1962-63).

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Je kife pour Anselm Kiefer et son tableau Ordres de la nuit, un carré de cinq mètres de côté, malgré son abord angoissant voire morbide.
« Plus vous restez devant mes tableaux, plus vous découvrez les couleurs. Au premier coup d’œil, on a l’impression que mes tableaux sont gris mais en faisant plus attention, on remarque que je travaille avec la matière qui apporte la couleur ». Je confirme.
Ici, on voit l’artiste allemand allongé tel un cadavre sur un sol sec et craquelé sous un immense firmament d’étoiles. Un côté Wagnérien !
Ma compagne n’aime pas. Qu’elle se rassure, notre salon ne pourrait accueillir la gigantesque toile sans compter qu’il nous manque quelques dizaines de milliers d’euros !

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J’ai plaisir à recroiser Eduardo Chillida (on s’est vu quelques jours avant à San Sebastian) avec sa sculpture Profond est l’air, créée en 1982 pour la ville de Valladolid, et dont le titre est inspiré d’un vers du poète espagnol Jorge Guillèn.
Pour Chillida, l’air est une matière aussi essentielle que la pierre ou le bois : « « il faut concevoir l’espace en termes de volume plastique … La forme surgit spontanément à partir des besoins de l’espace qui construit sa maison comme un animal sa coquille. Comme cet animal, je suis moi aussi un architecte du vide. »
À l’étage inférieur, je me retrouve en pays de connaissance avec l’exposition temporaire Paris Fin de siècle. Il s’agit de la fin du dix-neuvième siècle qui fut une période de grande agitation politique et de bouillonnement culturel.
En 1894, le président de la République Sadi Carnot est victime du poignard de l’anarchiste italien Caserio. L’affaire Dreyfus divise le pays suite à la condamnation injuste pour trahison de l’officier juif-alsacien.
Ces événements mettent en lumière la fracture entre bourgeois et bohèmes, conservateurs et radicaux, catholiques et anticléricaux, antirépublicains et anarchistes.
De ces moments de grand trouble, surgit une génération de créateurs rassemblant les néo-impressionnistes, les symbolistes et les nabis.
Douce sensation, je me sens « chez moi », d’autant qu’en guise de préambule, je tombe à l’entrée sur un des Nymphéas de Claude Monet.
Mieux encore, il faut que je vienne à Bilbao pour découvrir, à ma grande surprise, que le néo-impressionniste (impressionniste aussi) Camille Pissarro s’installa, grâce à un prêt de Monet, dans la petite localité d’Éragny-sur-Epte, à une vingtaine de kilomètres de mon bourg natal : « C’est à deux heures de Paris, j’ai trouvé le pays autrement beau que Compiègne ; cependant il pleuvait encore ce jour-là à verse (pas plus qu’à Bilbao ! ndlr), mais voilà le printemps qui commence, les prairies sont vertes, les silhouettes fines, mais Gisors est superbe, nous n’avions rien vu ! »
Il y peignit de nombreuses toiles dont, notamment, ce Troupeau de moutons à Éragny, exposé à Guggenheim.

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Je suis passé des centaines de fois devant sa maison et son atelier, et j’y passe encore, pour retrouver mes racines familiales. La chaussée est moins poussiéreuse aujourd’hui ! À ma décharge, la propriété est privée, ce qui explique l’absence d’information touristique. Dire que cette maison, fréquentée par Cézanne, Monet, Sisley, Renoir, Mirbeau, représente un haut lieu de la peinture impressionniste. Rien que pour ce détail, je suis heureux de ma visite. Un autre tableau peint à Éragny, La briqueterie Delafolie, est exposé.
Le néo-impressionnisme, appelé parfois pointillisme ou divisionnisme, s’inspire des théories sur la couleur et la perception et sur les méthodes optiques et chromatiques mises en évidence par les scientifiques de l’époque : une technique picturale qui se fonde sur la juxtaposition de minuscules touches de pigment pur.

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Je savoure le Canal en Flandre par temps triste de Théo Van Rysselberghe, un artiste belge qui vécut longtemps en Provence (on le comprend !).
Cette toile a atteint la cote de 2,6 millions de livres chez Christie’s à Londres en 2011.
Je rêve au grand Jacques Brel, à son Plat Pays et à sa Marieke, le ciel flamand pleurant entre les tours de Bruges et Gand.
Je m’attendris devant La petite blanchisseuse de Pierre Bonnard. Jusqu’à la loi Jules Ferry de 1882 sur l’obligation scolaire, des enfants de moins de dix ans continuaient à être engagés pour des salaires de misère par des artisans et commerçants. Cette révoltante exploitation existe encore à travers le monde au nom de saint Profit.

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Les Nabis (« prophètes » ou « inspirés de Dieu » en hébreu) ne cherchaient pas à refléter une réalité observée mais à transposer en donnant un équivalent plastique et coloré à des émotions, sensations ou états d’âme. Leurs couleurs sont posées en grands aplats délimités par des traits sombres. Leur inspiration était assez souvent japonisante.
« Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon », leur conseillait Gauguin.
Les Nabis réclamaient des murs à décorer pour embellir le cadre de la vie quotidienne. Ils collaborèrent aux décors de théâtre et dans l’art de l’affiche.

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Avec le tableau (1886-87) de Louis Anquetin, on pénètre dans le Mirliton, le cabaret d’Aristide Bruant. Au premier plan, la Goulue, la célèbre danseuse de French Cancan, envahit l’espace. À gauche, presque sorti du cadre, Toulouse-Lautrec reconnaissable à son haut-de-forme observe la scène.
J’ai l’impression de connaître ces toiles souvent déclinées en posters et cartes postales sur les présentoirs des magasins de souvenirs de Montmartre. Elles rappellent le développement des cabarets que les conservateurs jugeaient comme un signe de décadence de la société de l’époque ;
Vous n’allez pas échapper à ma fréquente allusion vélocipédique avec une réclame d’Édouard Vuillard pour Bécane, liqueur apéritive reconstituante à base de viande ! Un siècle plus tard, des « médecins » espagnols (et italiens) pourrissaient le sport cycliste avec l’usage des molécules d’EPO.

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Changement d’époque et d’atmosphère avec l’exposition temporaire consacrée aux Héros du peintre allemand Georg Baselitz.
Il tient son nom de Deutschbaselitz, une petite bourgade où son père était instituteur (et membre du parti nazi). Né en 1938, il vécut son enfance et son adolescence en pleine Seconde Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre, avec la scission des deux Allemagnes.
« Je suis né au milieu d’un ordre détruit, dans un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je ne voulais pas rétablir l’ancien ordre : cet ordre, je l’avais trop vu… J’étais indéniablement un artiste en colère, à savoir un jeune furieux rejetant tout ce qui se passait autour de lui, absolument tout … Si j’étais né en étant quelqu’un d’autre, ailleurs, j’aurais certainement été capable de produire des images plus heureuses. »

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La plupart de ses Héros portent un uniforme qui n’exprime pourtant pas une appartenance à quelconque mouvement : « C’était devenu la mode de s’habiller en militaire, pas seulement en Allemagne, mais aussi en France. On l’appelait le « look militaire » et aux puces à Paris, il y avait vraiment énormément d’uniformes d’occasion. Et toutes les femmes –même la mienne- et les hommes s’y rendaient pour acheter ces fringues et les mettre. Du coup, pour être à la mode à Berlin, il fallait s’habiller en militaire, surtout l’uniforme nord-américain, de la guerre de Corée ou du Vietnam. Mais moi je ne le savais pas en peignant ces œuvres. On dit que les artistes sont toujours un peu visionnaires … »
Les tableaux de Baselitz sont gris poussière et ocre terreux. Les uniformes sont en lambeaux, le tissu usé. « Ce que je fais est enraciné dans la tradition allemande. C’est laid et expressif ». Mais vraiment d’un bel esthétisme !
À la suite de ses Héros, Baselitz peignit ses Peintures fracturées. L’artiste divisait la toile en deux ou trois parties horizontales et peignait des fragments de corps séparés les uns des autres mais qui semblent se relier entre eux. Je trouve que cette déstructuration donne encore plus de force.

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Plus récemment, l’artiste créa une série Remix, mot de la culture de la jeunesse, où il réinterprétait ses anciennes œuvres en jouant sur la gamme chromatique. Des teintes certes froides et énergiques prédominent sur les tons terreux.

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J’achève la visite en me plongeant dans l’univers de l’Art Vidéo avec la rétrospective consacrée à l’artiste nord-américain Bill Viola.
J’avoue m’être glissé, avec un certain scepticisme, dans la pénombre des salles où sont projetées plusieurs travaux de l’artiste. Comment les qualifier d’ailleurs ? Installations, vidéo films, environnements sonores ? Tout cela à la fois : Bill Viola utilise les technologies audiovisuelles et numériques les plus sophistiquées pour traiter des sujets universels comme la naissance, la mort, l’éveil de la conscience.
Il faut être patient avec les images de Bill Viola. On frôle parfois l’ennui avec le sentiment qu’il ne se passe rien et puis soudain…le temps s’arrête ou est suspendu ou considérablement ralenti ou, au contraire, s’accélère
C’est étrange, mystérieux, poétique, irréel, inquiétant parfois, envoutant souvent, et d’un total esthétisme.
Je vous offre Reflecting Pool : un homme sort de la forêt et s’arrête devant un bassin ; tout à coup, il saute et à cet instant le temps s’arrête … Ne décrochez pas !

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L’œuvre se veut une réflexion sur l’arrivée de l’individu dans le monde de la nature.
Avec Three Women, Bill Viola réfléchit sur le temps d’une vie. Une mère et ses deux filles sortent d’un espace gris et traversent un rideau d’eau au seuil de la vie. Pénétrant dans la lumière, elles deviennent des êtres vivants. La vie est courte, le moment est venu de partir pour la maman bientôt suivie par ses filles. Elles disparaissent dans les ténèbres grises de la mort. Poétique et flippant !

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Subjugué, je serais bien resté plus longtemps dans l’univers de Bill Viola.

« Ô rare fleur, ô fleur de luxe et de décor,
Sur ta tige toujours dressée et triomphante,
Le Velasquez eût mis à la main d’une infante
Ton calice lamé d’argent, de pourpre et d’or.

Mais, détestant l’amour que ta splendeur enfante,
Maîtresse esclave, ainsi que la veuve d’Hector,
Sous la loupe d’un vieux, inutile trésor,
Tu t’alanguis dans une atmosphère étouffante.

Tu penses à tes sœurs des grands parcs, et tu peux
Regretter le gazon des boulingrins pompeux,
La fraîcheur du jet d’eau, l’ombrage du platane ;

Car tu n’as pour amant qu’un bourgeois de Harlem,
Et dans la serre chaude, ainsi qu’en un harem,
S’exhalent sans parfum tes ennuis de sultane. »

J’emprunte à François Coppée ses vers pour vous offrir le gigantesque bouquet de tulipes chromées de Jeff Koons, posé à l’extérieur du musée. Un éclair dans la grisaille de Bilbao !

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Le hasard fait qu’un peu plus loin, Coppée vole encore à mon secours :

« … Celui qui fut plus tard le Prophète et l’Émir
Dans ce trou de lion se coucha pour dormir;
Et, lorsqu’ayant posé sous sa tête une pierre,
Il allait sommeiller et fermait la paupière,
Une énorme araignée, au ventre froid et gras,
Glissa de son long fil et courut sur son bras.
Brusquement mis sur pieds d un bond involontaire,
Mohammed rejeta l’insecte immonde à terre,
Et, frissonnant, sans lui laisser le temps de fuir,
Leva pour l’écraser sa sandale de cuir.
Mais soudain il songea que, puisque Dieu la crée,
La bête la plus laide est utile et sacrée,
Et que l’homme, déjà trop plein de cruauté,
Ne doit la mettre à mort que par nécessité;
Et, clément, il laissa partir l’horrible bête.
Depuis lors, bien du temps a passé. »

… Et Louise Bourgeois a installé sur le parvis une énorme araignée d’acier baptisée Maman.

Maman-Louise-Bourgeois

« L’araignée est une ode à ma mère. Comme une araignée, ma mère était une tisserande. Comme les araignées, ma mère était très intelligente. Les araignées sont des présences amicales qui dévorent les moustiques. Nous savons que les moustiques propagent les maladies et sont donc indésirables. Par conséquent, les araignées sont bénéfiques et protectrices, comme ma mère. »
Je ne suis pas persuadé que l’explication de l’artiste suffise à guérir ma compagne de son arachnophobie !

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Soudain, une épaisse brume enveloppe le fleuve voisin. Ma perplexité passée, j’apprends qu’il s’agit d’une sculpture de brouillard, une œuvre de l’artiste japonaise Fujiko Nakaya,
Fascinée par les phénomènes naturels qui se forment et se dissolvent, elle est spécialiste de ce type d’installation. Sa sculpture gazeuse est générée par 1000 tuyères de brouillard et un système de moteur de pompe.
Je n’ai pas dit que l’art moderne était nébuleux !
Après les nourritures de l’esprit, c’est l’heure des nourritures terrestres littéralement imposées par une intransigeante patronne d’une brasserie, née … bien avant la Movida !
« - Para beber, vino rosado por favor
– No tinto !
– Prefiero vino rosado
– No tinto ! Lo digo yo ! »
Le couple français de la table voisine craint déjà l’instant de leur commande ! Je reste cool en regardant les nombreuses photos à la gloire du club de football local, l’Athletic Bilbao.

Athletic Bilbao

Un court trajet en tram nous amène maintenant au Casco Viejo, le vieux quartier historique de Bilbao. On l’appelle aussi familièrement Las Siete Calles, à cause des sept rues qui formaient à l’origine, il y a 700 ans, le cœur de la ville sur la rive droite de la Ria. Le quartier dévasté par les terribles crues d’août 1983, a été reconstruit.
Peu en évidence dans une rue étroite, surgit soudain devant moi la cathédrale. La vraie, qu’il ne faut pas confondre avec le mythique stade San Mamés, la Catedral del fùtbol où joue donc l’Athletic !
La cathédrale Santiago est dédiée à Saint Jacques parce qu’elle se trouve sur un des chemins menant à Saint Jacques de Compostelle. De style gothique et néo-gothique, elle fut construite au XVème siècle mais a été plusieurs fois rénovée.

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Elle possède une quinzaine de chapelles, un instant de méditation dans le petit cloître avant d’admirer les pièces d’art sacré dans la sacristie.

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Aux heures creuses de cet après-midi, les ruelles piétonnières sont quasi désertes. Je croise quelques individus pas forcément catholiques !

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Les églises ne manquent pas dans le Casco Viejo. Je découvre maintenant celle des Santos Juanes nommée en l’honneur de Saint Jean-Baptiste et Saint Jean l’Évangéliste.
De style baroque classique, elle fut édifiée au XVIIème siècle. Jusqu’à leur expulsion en 1767, c’était le collège de jésuites de San Andrès.
D’une grande richesse artistique, elle regorge aussi de chapelles et donc de retables. Qui dit baroque en Espagne, dit churrigueresque et une abondance ornementale.

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Je repère une Virgen Dolorosa, contrepoint des thèmes plus joyeux de la Nativité et de la Vierge à l’enfant, ainsi qu’Ecce Homo, une toile de Raimundo Capuz selon un modèle du Primitif flamand Anton Van Dyck.

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Le cloître, dépendance de l’ancien collège, est désolidarisé de l’église et abrite désormais une partie du musée archéologique, ethnographique et historique basque.
Après le très riche musée basque de Bayonne, je n’avais pas prévu de le visiter sauf que j’ai l’opportunité d’assister à l’entraînement insolite des porteurs de grosses têtes en vue des toutes prochaines fêtes de la Semana Grande.
Chaque géant en papier mâché illustre un pan de l’histoire de Bilbao. Deux d’entre eux trottinent sur un air de fandango.

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De la place Unamuno, partent les larges escaliers montant vers la basilique de la Vierge de Begoña., patronne de la Biscaye, qui domine la ville. Le temps nous manque malheureusement pour grimper sur la colline, d’autant qu’il semble qu’elle soit fermée l’après-midi.

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Nous poursuivons notre déambulation jusqu’à la Plaza Nueva. Construite au XIXème siècle, c’est une place rectangulaire harmonieuse qui, hors son style néoclassique, possède un petit air de notre place des Vosges parisienne, avec ses 64 arcades et les couverts qui l’entourent.

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Dans les nombreux bars et restaurants, on s’affaire pour la ruée imminente des touristes sur les comptoirs garnis de pintxos.
On dégage donc pour jeter encore un œil à l’église San Nicolàs de Bari, élégante avec sa façade baroque encadrée de deux tours. Elle fut construite entre 1743 et 1756 en l’honneur du saint patron des marins.
À l’intérieur, on remarque un ensemble de cinq retables rococo conçus par Juan Pascal de Mena, un des grands sculpteurs de son époque.

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Pas totalement au point sur la vie des apôtres, je suis, un instant, surpris, qu’une chapelle soit dédiée à Judas et qu’une jeune fille s’y recueille. Après vérification, il s’agit de Judas Tadeo, Thaddée, qu’il ne faut pas confondre avec Judas Iscariote, le traître qui facilita l’arrestation de Jésus par les grands prêtres de Jérusalem.

Bilbao église San Nicolas blog6Bilbao Théâtre Arriaga

Sur le chemin vers la station du tram, je contemple encore l’élégante façade néobaroque du théâtre Arriaga. Construit en 1890, c’est un symbole de la ville ayant survécu à de nombreux incendies, inondations et faits de guerre. Il est dédié au compositeur basque Juan Crisòstomo Arriaga surnommé le « Mozart espagnol ».
Presque en face, de l’autre côté de la Ria, je suis intrigué par la façade Art Déco de la gare de la Concordia, faite de céramique, de verre et de fer forgé. Connue aussi sous le nom de Estaciòn de Santander, elle est notamment un arrêt du train de luxe El Transcantàbrico.
Bancs en bois, azulejos, pendule kitsch, le dépaysement est assuré. C’est le contrepoint des œuvres futuristes comme le musée Guggenheim et l’arc rouge du pont de la Salve de Daniel Buren.
Un train peut en cacher un autre, une gare peut en cacher une autre, ainsi juste derrière, la gare d’Abando constitue aussi une curiosité avec le vitrail de son hall.

Bilbao Gare de Santander blog1Bilbao Gare de Santander blog2Bilbao gare d'Abando blog

Bilbao mérite, évidemment, beaucoup mieux qu’une visite de quelques heures. Qui sait si de futures expositions à Guggenheim ne m’inciteront pas à y revenir.
Présomptueux, j’avais aussi envisagé d’effectuer le court crochet qui mène à Guernica. Certes le célèbre tableau cubiste de Pablo Picasso dénonçant le bombardement de Guernica, en 1937, par les troupes allemandes sur ordre des nationalistes espagnols, est conservé à Madrid, mais il est des noms de lieux qui inspirent.
Paul Éluard, dans son poème au titre étrange La victoire de Guernica, transforma une tragédie historique en une victoire des mots.

I

Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II

Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III

Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple
IV

La mort cœur renversé
V

Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI

Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses
VII

Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII

Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX

Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI

La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII

Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII

Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir
XIV

Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.

Le décor a changé depuis ce matin. En ce début de soirée, le soleil revenu éclaire les Pyrénées d’une belle lumière rasante.
Bal à Bil, Bilbao, Bilbao, je vous laisse en compagnie d’Yves Montand.

Publié dans:Coups de coeur |on 24 septembre, 2017 |1 Commentaire »

Une semaine au Pays Basque (3)

Pour lire les deux billets précédents :
http://encreviolette.unblog.fr/2017/09/01/une-semaine-au-pays-basque-1/
http://encreviolette.unblog.fr/2017/09/12/une-semaine-au-pays-basque-2/

Mercredi 9 août :
Il a plu toute la nuit et le ciel encore peu engageant, ce matin, m’incite à programmer la visite « au sec » du Musée Basque de Bayonne.
J’étais déjà venu dans l’une des deux sous-préfectures des Pyrénées-Atlantiques (avec Oloron-Saint-Marie) mais un très aimable Bayonnais m’accompagne quelques centaines de mètres pour me rafraîchir la mémoire et m’expliquer la disposition du centre ville en deux quartiers principaux, à commencer par le Petit Bayonne coincé entre deux fleuves, la Nive et l’Adour.
Ici, on « vit » surtout la nuit avec la présence de nombreux bars et restaurants. Les célébrissimes fêtes de Bayonne se sont achevées la semaine précédente : à l’horizon, aucun festayre égaré ou rescapé de la cour du roi Léon, « roi de Bayonne et des couillons » comme l’affirme une chanson de troisième mi-temps de rugby.
Ce matin, le couillon c’est plutôt moi, et le crachin persistant n’invitant pas à la flânerie, c’est d’un pas décidé que je me dirige vers le Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, sur les bords de la Nive.

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Heureuse initiative de sa direction, outre qu’elle soit gratuite pour les moins de 26 ans (!), l’entrée est valable pour la journée entière et autorise donc les sorties au premier rayon de soleil si parcimonieux.
J’étais déjà venu au musée, il y a environ un quart de siècle, pour des raisons que je préciserai plus loin. Créé en 1924, il a connu une importante rénovation en 2001 et abrite d’exceptionnelles collections ethnographiques consacrées au Pays Basque.
Hemen sartzen dena, bere etxean da ! « Celui qui entre ici est chez lui … ». Je fais le malin avec ma connaissance de la langue basque après quatre jours de présence dans la région, mais ce slogan et sa traduction figurent en bandeau à l’accueil.
Durant quelques heures, je vais voyager au Pays Basque à travers sa culture, son histoire, ses traditions … sans parapluie.

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Encore que pour inaugurer la visite, on se trempe les pieds dans le golfe de Gascogne et la baie de Saint-Jean-de-Luz avec l’imposant et surprenant tableau en prêt La Mer des Basques. Comme sur une carte touristique illustrée, l’artiste luzien Bibal (1878-1944) a planté sur sa toile quelques paysages, monuments et personnages symboles du Pays Basque. Effet superbement vintage assuré !
En face, un autre grand tableau, contemporain du précédent, représente L ‘heure calme du berger, ne voyez là aucune allusion anisée aux fêtes locales ! Œuvre du peintre bayonnais André Trébuchet (1898-1962), elle dégage, au contraire, une atmosphère de quiétude qui s’inscrit bien dans la salle consacrée à l’agropastoralisme.

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Pour avoir souvent fréquenté les estives d’Ariège et avoir noué amitié avec un des bergers, je connais leur vie d’ailleurs durement ébranlée avec les pas gentils nounours, importés de Slovénie, coupables, cet été, de la mort de plus de 300 brebis.
Chaque année, fin octobre, le Pays Basque est atteint d’une étrange épidémie. Je ne sais si c’est l’effet des combats menés par Allain Dugrain-Dubourg ou du réchauffement climatique la population du Sud-Ouest semble être moins contaminée par le « mal bleu », la chasse à la palombe, une pratique populaire qui remonte au XVème siècle. Chaque automne donc, foin du traité des Pyrénées, les oiseaux se concentrent dans les forêts de Gascogne pour franchir les cols pyrénéens et migrer vers le sud de l’Espagne et le Maghreb.
Comprenne qui voudra, on accepte mal l’afflux de migrants et on empêche les oiseaux migrateurs de s’expatrier. En pleine mode de véganisme, puis-je vous confier tout de même qu’après la garbure, un salmis de palombes aux cèpes, c’est délicieux ?
Je découvre dans une vitrine une collection de paletas (palettes), manjuretas, cornetas (trompe d’appel) chargées de leurrer les pigeons ramiers.

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Dans le petit auditorium, avec la projection d’un vieux film en noir et blanc, je découvre l’irrintzina, le curieux cri des bergers basques. Long, strident, presque inquiétant, il permettait aux pâtres de communiquer d’une montagne à l’autre.
Pierre Loti l’évoquait dans son roman Ramuntcho : « … un cri s’élève suraigu, terrifiant : il remplit le vide et s’en va déchirer les lointains… Il est parti de ces notes très hautes qui n’appartiennent d’ordinaire qu’aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage : il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d’humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d’angoisse qu’il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur… Il avait commencé comme un haut bramement d’agonie, et voici qu’il s’achève et s’éteint en une sorte de rire, sinistrement burlesque, comme le rire des fous… C’est simplement l’irrintzina, le grand cri basque, qui s’est transmis avec fidélité du fond de l’abîme des âges jusqu’aux hommes de nos jours, et qui constitue l’une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. »
Des poésies racontent que proféré par les combattants de Roncevaux, il couvrait le son du cor du malheureux Roland ! À l’ère du smartphone, il ponctue encore certaines danses pendant les fêtes.

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Je m’attarde sur la symbolique des stèles discoïdales emblématiques des monuments funéraires au Pays Basque. Cette forme est bien antérieure au christianisme.
Parmi les rites funéraires qui étaient observés dans les campagnes encore jusqu’au milieu du XXème siècle, je relève que la mort était d’abord annoncée au premier voisin du défunt et … aux abeilles : « Salut chères abeilles, salut noble reine. Triste nouvelle pour vous, votre patron est décédé. Dorénavant, c’est à moi qu’incomberont vos soins et pour vous la cire que vous devez au défunt … » On enlevait aussi une tuile du toit pour que l’âme du défunt puisse passer.
Chère abeille que les humains mettent aujourd’hui en péril, je me souviens d’une chanson que le poète québécois Félix Leclerc vous avait consacrée :

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J’ai revu (ou plutôt entendu) mes vingt ans !
Je parcours relativement vite les salles du premier étage consacrées à la maison, n’imaginez pas cependant quelconque indifférence à l’égard des activités domestiques

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Parti pris de féru d’histoire et géographie, je suis plus attentif à l’histoire de la navigation maritime et fluviale au Pays Basque qui relève presque du récit d’aventures.
Le tableau en prêt Vue du port de Bayonne de Joseph Vernet, peintre célèbre du XVIIIème siècle connu pour ses marines, en constitue un bon document d’ancrage.

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Déjà au Moyen-Âge, les Basques s’adonnaient à la chasse aux baleines qui s’échouaient alors nombreuses sur leur littoral. C’est au début du XVIème siècle qu’ils commencèrent à prendre la mer vers les côtes de l’Atlantique Nord à la recherche du cétacé qu’on appelait curieusement « poisson à lard ».
Au XVIIIème siècle, à l’époque où Louis XV commanda à Vernet une série de vingt-quatre tableaux de ports pour informer de la vie maritime (voyez que la communication existait déjà), Bayonne était un port dynamique malgré la concurrence de Nantes, La Rochelle et Bordeaux, grâce notamment à la proximité de l’Espagne..
Sur le plan commercial, des échanges s’effectuaient avec toute l’Europe mais aussi avec les Amériques d’où était importé le cacao … les Bayonnais sont fous encore aujourd’hui de ses fèves et du chocolat.
D’un point de vue militaire, Bayonne, ville fortifiée par Vauban (de nombreux vestiges sont encore visibles notamment non loin du musée) abritait un arsenal.
Bayonne se lança aussi dans l’épopée corsaire et souvent les pêcheurs profitaient de l’hiver ou des périodes de guerre pour troquer harpons et filets contre grappins et mousquets.
Le plus célèbre corsaire basque fut Joannis de Suhigaraychipy dit beaucoup plus simplement Coursic. Né à Hendaye vers 1643, il commença comme marin baleinier partant pêcher dans l’Atlantique Nord. C’est dans le contexte de la guerre de la Ligue d’Augsbourg qu’il devint véritablement corsaire, profitant que les navires effectuant des pêches lointaines avaient reçu l’autorisation royale d’être armés de canons et de capturer les bâtiments ennemis. Coursic mourut en 1694 au large de Terre-Neuve, à bord de la frégate l’Aigle, dans un assaut contre les Anglais.
Beaucoup moins glorieux, Bayonne fut aussi un port négrier dont le musée aborde l’histoire à travers le prisme d’une exposition temporaire Tromelin l’île des esclaves oubliés.

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Parti de Bayonne le 17 novembre 1761, l’Utile, un navire de la Compagnie française des Indes orientales, s’échoua le 31 juillet 1761 sur les récifs coraliens de l’île Tromelin (à l’époque île des Sables), une minuscule bande de terre au large de Madagascar. Il transportait 160 esclaves malgaches achetés en fraude et destinés à être vendus à l’île de France (île Maurice actuelle). L’équipage rejoignit Madagascar sur une embarcation de fortune, laissant sur l’île 80 esclaves. Ce n’est que quinze ans plus tard, en novembre 1776, que le chevalier de Tromelin commandant la corvette la Dauphine récupéra les esclaves survivants, sept femmes et un enfant de huit mois.
Condorcet relata cette tragédie dans son ouvrage Réflexions sur l’esclavage des nègres (1781) plaidant l’abolition de ce véritable crime.

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J’accède maintenant à l’espace consacré aux sports et, en particulier, au sport national basque, le jeu de pelote. Successeur du jeu de paume, la pelote était pratiquée par d’autres civilisations, notamment les Aztèques.
Quoique normand d’origine, j’avoue mon admiration pour la pelote basque. Je suis séduit par l’élégance, la souplesse, la « virtuosité chorégraphique » de ces autres artistes et hommes en blanc que sont les pelotaris. D’ailleurs, leur esthétisme a conquis les peintres depuis des siècles, à commencer par Goya dont un tableau consacré au jeu de pelote est exposé au musée du Prado à Madrid.
Inconsciemment peut-être, mon vénéré professeur de mathématiques de terminale au lycée Corneille de Rouen, Monsieur Vicenty, par ailleurs grand champion de pelote à main nue (voir billet précédent), m’inocula-t-il le virus pour son sport.
Très sûrement aussi, j’eus la chance dans les années 1980 de sympathiser avec mon copain Ramon secrétaire de la ligue d’Ile-de-France de pelote. Ainsi, il m’invitait sur les bords de Seine, au fronton Chiquito de Cambo, pour quelques parties animées de palancha. Mes rudiments de joueur classé de tennis m’évitaient le ridicule. Je ne manquais pas, non plus, d’assister, chaque mois de juin, à la fête basque organisée au fronton. J’eus le bonheur de voir ainsi en exhibition quelques champions de la spécialité.
Et puis, il y a une trentaine d’années, je vins filmer au musée basque de Bayonne quelques plans destinés à une commande d’un professeur d’Éducation Physique de l’IUFM de Versailles. Eh oui ! J’avais profité de mon séjour estival au Pays Basque pour filmer évidemment quelques parties de pelote avec leurs spécialités, mais aussi des plans de frontons typiques de la région, ainsi qu’à Anglet, la fabrication d’une chistera chez Jean-Louis Gonzalez … que je retrouve ce matin avec une certaine émotion dans une vidéo tournant en boucle au musée.
Comprenez que je traînasse devant les tableaux et vitrines.

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Vous voyez que même les curés en soutane jouaient à la pelote (n’ayez pas mauvais esprit, aucune allusion à quelque fait divers de pédophilie !). D’ailleurs, j’avais filmé une partie de rebot qui, selon la tradition, est suspendue quelques instants pour prier à l’heure de l’Angélus.

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Je m’attarde devant un tableau de Gustave Colin, un peintre disciple de Camille Corot qui, installé à Ciboure puis Saint-Jean-de-Luz, représenta de nombreuses scènes régionales et notamment, cette Partie de pelote sous les remparts de Fontarrabie (1863).
Le tableau donne un instantané d’une mémorable partie de laxoa (gant de cuir) opposant, devant 12 000 spectateurs, quatre joueurs labourdins à quatre pelotaris guipuzcoans. Des paris y étaient organisés comme souvent autrefois, et certains spectateurs n’hésitèrent pas à miser les animaux de leurs étables voire leur récolte à venir.

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Autre superbe tableau, l’huile sur toile de Clémentine-Hélène Dufau Partie de pelote à Urrugne (1903). Avec le massif de la Rhune en arrière-plan, on constate que le fronton et le jeu de pelote étaient un élément central de la vie du village.

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Je ne reste évidemment pas insensible à la toile du peintre Eugène Pascau représentant le rugbyman Fernand Forgues capitaine de l’équipe de l’Aviron Bayonnais championne de France pour la première fois en 1913. C’était l’époque où on louait le style « à la bayonnaise » fait d’un jeu en mouvement à la main.
Fernand Forgues joua également en équipe de France et il faisait partie du XV tricolore qui remporta en 1911 sa première victoire dans le tournoi des cinq nations.
Plus étonnant quand on connaît la rivalité qui a toujours opposé les clubs des deux villes, il débuta au Biarritz Stade avant de rejoindre l’Aviron Bayonnais, ainsi nommé parce qu’il fut créé par une association de rameurs en rébellion contre leur président.
Les grandes heures du rugby basque ont vécu avec l’instauration du professionnalisme et du Top 14. Les deux clubs végètent désormais au niveau inférieur (Pro D2). L’homme d’affaires Alain Afflelou envisagea, il y a quelques années, la fusion entre les deux clubs emblématiques. L’opticien peu clairvoyant sur le coup se heurta à un profond désaveu des admirables supporters de l’Aviron.
Cette fois, je vais faire plaisir à ma compagne (voir billet 1 d’Une semaine au Pays Basque), voici l’hymne de l’Aviron Peña Baiona repris par tout le stade Jean Dauger avant un derby contre le Biarritz Olympique. Ça fiche des frissons !

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Vous ne verrez pas un repas de village du Sud-Ouest sans que cette chanson ne soit interprétée. Debout sur les tables et tournez les serviettes comme dit l’humoriste !
Excusez mon emportement ! Beaucoup plus gracieux sont les danseurs peints par « Périco » Ribera. Il exposa son huile sur toile au Salon des Artistes Français à Paris en 1900 sous le titre de Danse Nationale. L’œuvre porte aussi le nom de Fandango à Saint-Jean-de-Luz. Il en a été décliné plusieurs versions, les robes raccourcissant au fil des époques.

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Je ne saurais achever ma visite sans évoquer encore un tableau du début du siècle dernier, L’improvisateur, une œuvre d’Ernest Roby, un pur Bayonnais qui fit ses premières armes à l’École de dessin et de peinture de la ville.
Pour avoir déjà évoqué cette coutume dans mon précédent billet, vous ne serez pas surpris qu’il s’agit là d’une représentation d’un bertsolari, improvisant des vers en basque sur un thème donné, au milieu des villageois.

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Sentiment agréable, j’ai l’impression de connaître et surtout comprendre mieux le Pays Basque à l’issue de cette riche visite du musée. Ce devrait même constituer le passage obligé de tout touriste au début de son séjour pour mieux appréhender la région.

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Dehors … il crachine toujours. Ce n’est pas grave, je franchis la Nive par le pont Marengo pour rejoindre le quartier du Grand Bayonne beaucoup plus animé en ce milieu de journée.

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Le temps de déguster une assiette de chipirons (petits calamars), le dieu solaire Râ daigne honorer l’après-midi de sa présence.
En attendant l’ouverture de la cathédrale Sainte-Marie, je me promène dans les vieilles ruelles environnantes. J’en suis presque à regretter de n’avoir pas découvert pour déjeuner le Mange-Disque qui présente l’originalité, outre d’être un petit restaurant, d’être aussi, comme l’enseigne l’indique, un disquaire à l’ancienne avec des centaines de références de microsillons vinyles (et CD) neufs ou d’occasion.

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Le concept me ravit et me rappelle mes jeunes années Beatles quand le mange-disque avalait nos 45 tours. Pour la peine, on boit un café en terrasse.
Je me glisse dans la rue des Faures, une des plus anciennes de la cité qui tient son nom (en gascon) des nombreux ateliers de forgerons qui s’y trouvaient. On dit même que la fameuse baïonnette y aurait été inventée de manière fortuite d’ailleurs. Au milieu du XVIIème siècle, souvent agité dans les campagnes, les paysans de Bayonne se trouvant à court de poudre et de projectiles eurent l’idée d’introduire leurs longs couteaux de chasse dans les canons de leurs mousquets. À l’initiative de Louvois, les fusiliers du régiment Royal-Artillerie furent les premiers à en être dotés.
Dans cette rue des Faures, en 1730, naquit Marguerite Brunet, une fille de forgeron, connue sous le nom de Mademoiselle Montansier qui devint comédienne et directrice de théâtre. Pour l’avoir dirigé, l’élégant théâtre à l’italienne, situé à quelques mètres du château de Versailles, porte son nom.

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Au bout de la rue, je m’attarde devant la vitrine d’une vieille fabrique de makhilas. Me voyant la photographier, le sympathique artisan dispose à ma convenance l’objet mythique avant d’engager une passionnante conversation qui révèle tout son amour pour cette œuvre d’art, car c’en est une, essentielle dans la culture basque.
Le makhila n’est pas le bâton du berger mais une canne destinée à la marche, doublée d’une arme de défense. Un peu comme le couteau de Laguiole pour les aveyronnais, le makhila était remis autrefois à l’adolescent pour marquer son entrée dans le monde adulte.
Chaque vrai makhila, sculpté à vif dans le bois de néflier, est unique et personnalisé au choix ou, mieux encore, au caractère de son futur propriétaire.

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C’est ouvert, j’accède au très beau cloître de la cathédrale Sainte-Marie. De style gothique rayonnant, datant du XIVème siècle, c’était au Moyen-Âge, un lieu de rassemblement des corporations, c’est en ce mois d’août, … une galerie d’exposition des artisans d’art de la région et un lieu de concerts.
Je regrette juste la présence incongrue d’un stand de crêpes, gaufres et churros !!! Le Mange-Disque est pourtant presque en face ! Passons, les enfants iront confesser leur péché de gourmandise dans l’église contiguë. Encore que, monsieur le curé semble s’être invité sur les originales peintures d’Erika Sellier.
Ma mauvaise humeur tue, je savoure les toiles de l’artiste luzienne : « Peindre, c’est chuchoter des histoires d’hommes, de terres, de lumières, de métissages de couleurs, de matières, de formes, de sujets … » Elle mêle aux racines de la vie basque des vieux coupons d’emprunts et obligations. Je devrais lui confier mes emprunts russes hérités d’un grand-père que je n’ai pas connu.

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œuvres de Erika Sellier

Une de ces compositions me renvoie au « puerto de Pasajès », Pasaia pour ceux qui ont lu mon précédent billet.
Comme on se retrouve, Victor Hugo, lors de son séjour dans les Pyrénées en 1843, visita la cathédrale Sainte-Marie :
« La cathédrale de Bayonne est une assez belle église du quatorzième siècle couleur amadou et toute rongée par le vent de la mer. Je n’ai vu nulle part les meneaux décrire dans l’intérieur des ogives des fenestrages plus riches et plus capricieux. C’est toute la fermeté du quatorzième siècle qui se mêle sans la refroidir à toute la fantaisie du quinzième. Il reste çà et là quelques belles verrières, presque toutes du seizième siècle. A droite de ce qui a été le grand portail j’ai admiré une petite baie dont le dessin se compose de fleurs et de feuilles merveilleusement roulées en rosace… L’église est accostée au sud d’un vaste cloître du même temps, qu’on restaure en ce moment avec assez d’intelligence et qui communiquait jadis avec le chœur par un magnifique portail, aujourd’hui muré et blanchi à la chaux, dont l’ornementation et les statues rappellent par leur grand style Amiens Reims et Chartres. Il y avait dans l’église et dans le cloître beaucoup de tombes, qu’on a arrachées. Quelques sarcophages mutilés adhèrent encore à la muraille. Ils sont vides. Je ne sais quelle poussière hideuse à voir y remplace la poussière humaine. L’araignée file sa toile dans ces sombres logis de la mort… »

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Tant pis pour les crises de foie et de foi, je redescends par la vieille rue Port-Neuf où se concentre la majorité des chocolatiers de la ville.
Quand je vous disais que les Bayonnais sont fous de cacao, déjà l’Infante Anne d’Autriche en raffolait, et selon la légende, c’est après son mariage en 1615 avec Louis XIII que la France aurait véritablement découvert la délicieuse fève rapportée à la cour d’Espagne par les conquistadores. Pour faire preuve de mauvais esprit et de chauvinisme, oserais-je dire que la reine alla soigner sa stérilité en Normandie en buvant en cure les eaux de ma station thermale natale ?
L’histoire d’amour du chocolat à Bayonne naquit de l’arrivée au 17ème siècle de Juifs espagnols et portugais qui, chassés de leur pays par les persécutions, emportèrent leur savoir-faire sur les bords de l’Adour.

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Sous le pont Mayrou, coule la Nive qui retrouve, quelques brasses plus loin, sa collègue fleuve Adour.
À la confluence, se dresse la statue d’un enfant du pays, le cardinal Charles Lavigerie. Né donc à Bayonne en 1825, il fut nommé archevêque, en 1866, à Alger et confronté à une terrible famine. Il s’attacha aux soins des enfants et fondit les congrégations des Pères Blancs et des Sœurs Blanches. Il était connu pour son ouverture d’esprit et sa grande tolérance envers les autres religions. Devant la basilique Notre-Dame d’Afrique qui domine la baie d’Alger, inaugurée par le cardinal, figure encore la phrase écrite en français : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans. »
L’heure avance, je rejoins tranquillement mon véhicule en flânant dans le Petit Bayonne.

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Rue Marengo, une plaque en gascon rend hommage à Justin Larrebat, auteur de nombreux recueils de poèmes écrits en langue gasconne. Voici la traduction d’un extrait de l’un d’eux tirés de Poésies Gasconnes, son plus célèbre ouvrage :

« Si j’étais demoiselle
Aux petites ailes de dentelle
De pur argent
Me posant sur le roseau
Qui se balance, mince et léger, Au moindre vent,

Mes pattes veloutées
Aux vertes feuilles agrippées,
Chaque balancement
Ferait luire comme des pierreries
Mon fin et luisant corsage
De diamants.

Et dansant sur l’eau riante,
J’écouterais la voix dolente
Du vert ajonc
Qui tout doucement chantonne
Salue de tous côtés et tournoie Lorsqu’il commence à venter

Puis, avec les papillons volages,
Je ferais mille badinages
Frivoles
Et nos ombres mouillées,
Au fond du ruisseau tourmentées
Sur les pierres,

Feraient s’échapper et fuir
Le goujon doré qui frétille
Tout égaré
Sous la saulnaie sauvage,
Les glaïeuls du marécage
De joncinelle fleuri…. »

Cette demoiselle n’a rien à voir avec les femmes de petite vertu qu’on enfermait dans des cages (cubagnedeuy) et plongeait à moitié dans la Nive.
Rue des Cordeliers, naquit Pierre Lesca, chansonnier du dix-huitième siècle auteur notamment du « Chant des Tilloliers » à la gloire des bateliers qui descendaient l’Adour de Peyrehorade à Bayonne. Ce chant est toujours interprété lors de l’ouverture des fêtes de Bayonne.

« Avez-vous vu les tilloliers
Combien ils sont vaillants, hardis légers ? … »

La tillole était un petit bateau à rames pointu à l’avant, arrondi à l’arrière, particulier à Bayonne. Le tillolier, avant tout pêcheur d’eau douce, pouvait être également passeur, transporteur, maître baigneur.

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Tiens, dans deux jours, des compatriotes parisiens viendront affronter en match de préparation les joueurs de l’Aviron, à « Jean Dauger » comme on dit ici, du nom d’une autre légende du rugby bayonnais.
Rue du Jeu de Paume, je jette un œil au Trinquet Saint-André contigu à la brasserie éponyme : un haut-lieu du jeu de pelote à Bayonne, datant du XVIIème siècle, l’un des trinquets les plus anciens du monde. Le trinquet est un terrain couvert et fermé, variante du fronton à un ou deux murs ouvert en extérieur.

Trinquet Saint-André

À l’origine, on pratiquait là le jeu de Paume. La légende dit même que Louis XIV, en route pour se marier avec l’Infante d’Espagne, y disputa une partie. Vous y croyez vous ? Pourquoi pas aussi Jaurès et Déroulède après leur simulacre de duel ? (voir billet 1).
Cela dit, c’est plausible car le Roi Soleil, quoiqu’il préférât le billard, commanda à Nicolas Creté, paumier ordinaire du roi, la construction d’une nouvelle salle de paume, non loin de son palais, en 1686. Elle devint, le 20 juin 1789, le symbole de la Révolution en marche (rien à voir avec ce que l’on connaît actuellement !), les députés du Tiers État prêtant le fameux serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné à la France une constitution écrite.
Le saviez-vous, nombre d’expressions de la langue française tirent leur origine du jeu de paume. Ainsi, l’infâme tripot était un lieu pavé ou carrelé, entouré de murailles, où l’on jouait à la courte paume. Par extension et dénigrement, il qualifia une maison de jeu.
Le fanfaron qui épatait la galerie cherchait à impressionner les spectateurs se tenant dans la galerie par des coups époustouflants.
Encore une ? Quand un joueur de paume au service avait deux chasses (point de chute sur le sol de la balle à son deuxième rebond) contre lui, il devait changer de camp pour donner le service à son adversaire. C’est ainsi que qui va à la chasse perd sa place !
J’aurais bien aimé achever ma promenade dans le Petit Bayonne comme je l’avais commencée, par la visite d’un autre musée, le musée Bonnat-Helleu qui tire à moitié son nom du peintre portraitiste Léon Bonnat natif de Bayonne. D’une grande richesse, il abrite des œuvres des artistes les plus illustres tels Le Greco, Murillo, Goya, des primitifs Flamands, et des maîtres de la peinture française du XIXème siècle, Boudin, Caillebotte, Corot, Courbet, Degas, Delacroix, Ingres … tout cela pour comprendre ma frustration.
Car malheureusement, le musée est fermé depuis quelques années pour restructuration et rénovation. Je dois me satisfaire, de quelques posters sur la façade en guise de bienvenue. C’est Paul-César Helleu qui est à l’honneur avec des représentations d’Alice son épouse, notamment sur la plage de Deauville.

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Les mauvaises langues auront beau jeu de dire que, vu son accoutrement vestimentaire, cela ne pouvait être peint que sur la côte normande ! Que puis-je leur répondre tandis que le peintre espagnol Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923) surprend une jeune baigneuse nue ?
Sur le chemin du retour, j’envisageais de faire une halte à Bidard en souvenir d’un agréable séjour et des parties animées de palancha avec l’ami Ramon au petit trinquet du café de la place. Est-ce à cause du soleil enfin généreux, en cette fin d’après-midi, les estivants se sont donné rendez-vous au centre du village, créant un embouteillage monstre.
Qui sait, si le soleil persiste, je reviendrai dans la semaine …

Publié dans:Coups de coeur |on 18 septembre, 2017 |Pas de commentaires »

Une semaine au Pays Basque (2)

Lundi 7 août :
La matinée est consacrée à effectuer quelques courses d’ordre alimentaire. Pour joindre l’utile à l’agréable, nous choisissons de nous rendre à proximité de la grande plage d’Hendaye où nous avions loué deux années de suite, il y a une quinzaine d’années. Une sorte de pèlerinage en somme : nous retrouvons « nos » mêmes boutiques, probablement pas les mêmes commerçants, mais nous sommes toujours conquis par la délicieuse odeur de pain frais, la baguette « l’hendayette » est un régal qui n’appartient qu’aux estivants qui se lèvent tôt. Nous ramenons également l’incontournable gâteau basque à la cerise et quelques fleurons de la charcuterie locale, avec ou sans piment d’Espelette.
Je jette un œil sur la grande plage où une adorable petite fille me faisait oublier les premiers affres de l’arthrose … ces jours-ci elle prend ses premières leçons de conduite !
Au loin, les deux « jumeaux » attendent toujours l’aide de l’érosion pour devenir des triplés. Les séniors ont gardé l’habitude, à marée basse, d’une longue marche sur le sable en bordure de l’eau … pour combattre les rhumatismes ?
Allez, ne nous laissons pas envahir par la nostalgie quoique … cela risque d’être compliqué avec notre programme de l’après-midi. Nous profitons du soleil encore au rendez-vous pour retourner nous promener dans quelques jolis villages du Labourd.
Est-ce un clin d’œil complice, la commune d’Urrugne, après avoir organisé une exposition Cartier-Bresson, met à l’honneur, cette année, un autre maître de la photographie, le regretté Robert Doisneau avec Culottes courtes et doigts pleins d’encre (violette évidemment !), les célèbres images des gamins de Paris intrépides et farceurs des rues Damesme et Buffon. Vous avez sans doute vu au moins une fois la magnifique scène de l’écolier, au fond de la classe, attendant la fin de la journée en regardant tourner les aiguilles de la pendule accrochée au mur.

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En ces années 1950, au temps de ma communale où les tablettes numériques relevaient de la science-fiction, on ne se posait pas la question de la semaine scolaire de quatre jours ou pas, c’était même cinq jours ! Mais on pouvait s’ennuyer devant son pupitre, la preuve !
« Il faut faire des images comme on met des fleurs sur un chapeau et laisser les critiques vous découvrir des intentions philosophiques » disait ce merveilleux Doisneau auquel j’avais consacré un tendre billet : http://encreviolette.unblog.fr/2010/03/01/ouvrez-ouvrez-la-cage-au-doisneau/
Je ne suis pas au bout de mes émotions. Cap vers Ascain, pittoresque village (c’est presque un pléonasme au Pays Basque) auquel je suis confusément attaché, probablement par ce que je vais évoquer bientôt.

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Sur la place, à côté du fronton, l’hôtel de la Rhune est toujours là. Julien Viaud, que vous connaissez sous le nom de Pierre Loti, s’y installa pour écrire Ramuntcho, son célèbre roman où des jeunes gens dansent, jouent à la pelote, et de temps en temps, s’adonnent à la contrebande là-haut vers le massif de la Rhune.
Mais en ce début d’après-midi, dans mon esprit, c’est la silhouette d’un autre homme qui se déplace sur la cancha, la surface au sol devant le mur du fronton.
Il s’agit de Bernard Vicenty, Monsieur Vicenty, ainsi s’appelle mon professeur de mathématiques au lycée Corneille de Rouen. Titulaire de l’agrégation, il enseigna dans ce prestigieux établissement de 1958 à 1983.
Depuis cette époque, à chacun de mes passages à Ascain, j’ai souvent été tenté de lui rendre visite pour lui témoigner mon indestructible reconnaissance, j’avoue même admiration. Pudeur et discrétion m’ont toujours freiné cependant, mais cette fois …
On me conseille, pour retrouver sa trace, de m’adresser, jouxtant le fronton, au restaurant Laduche, un nom porté par plusieurs générations de pelotaris azkaindars (gentilé des habitants d’Ascain), dont l’as des as, Pampi, aussi célèbre que le champion de légende Chiquito de Cambo.
Né en 1929 à Ascain, Monsieur Vicenty y est décédé en février dernier. Trop tard ! Dans la vie, on a tort de toujours reporter le moment pour exprimer ses sentiments aux gens qu’on apprécie.
Monsieur Vicenty était, je dois me résigner à écrire au passé, l’épure du professeur, celui que chacun d’entre nous rêve d’avoir croisé au cours de sa scolarité. J’aurais pu pourtant en conserver un souvenir mitigé puisque mon année de terminale en série Maths Élem se solda par un échec au bac (il n’y avait pas 80 ou 90 % de reçus à l’époque !).
Anecdote qui illustre bien l’exceptionnel enseignant attentif à ses élèves : mon père qui lui avait écrit à l’adresse du lycée pour savoir si je devais persister dans cette filière scientifique, reçut au cours de l’été un long et cordial courrier expédié … d’Ascain.
C’était un remarquable pédagogue, aimable, d’une grande élégance physique et morale, manifestant une grande maîtrise dans son enseignement, dégageant une autorité naturelle qu’il n’avait d’ailleurs jamais besoin d’exercer. Avec lui, le temps des cours était suspendu comme la géométrie dans l’espace.
Des amis enseignants me confièrent les mêmes louanges lorsqu’ils suivirent des stages de recyclage animés par mon ancien professeur devenu, à la fin de sa carrière, inspecteur pédagogique régional en Normandie puis en Aquitaine.
Mens sana in corpore sano ! Car Bernard Vicenty, autre facette de son talent, fut également un brillant joueur de pelote basque. Discret, modeste, il ne s’en prévalait pas, il compte notamment à son palmarès dans sa spécialité main nue en fronton place libre, un titre de champion du monde en 1952 à Saint-Sébastien, des titres de champion de France en 1961, 1962, 1963 et 1964 avec son partenaire et ami Jean Laco pour l’équipe de Paris.
Nous entendions parfois les claquements de la pelote quand il s’entraînait sous le vaste préau du lycée. Au printemps, deux fois par semaine, monsieur le professeur filait en voiture jusqu’au fronton Chiquito de Cambo, en bordure de Seine, à Paris. Parfois en cours, mon regard se posait quelques secondes sur sa main de joueur de pelote esku-uska (main nue).
Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’un demi-siècle plus tard, un de ses élèves de Maths Élem soit rédacteur du blog À l’encre violette. Adieu monsieur le professeur !
J’avoue que, cet après-midi, ma vive émotion altère un peu ma promenade dans les rues du village égayées par des photographies géantes exposées dans le cadre des Chemins de la Photographie. L’association Zilargia et la municipalité d’Ascain ont invité 41 artistes à offrir leurs points de vue Sur la route …, le thème quasi planétaire (il dépasse évidemment les frontières du Pays Basque) de la quatrième édition de cette riche manifestation artistique qui porte bien son nom en la circonstance.

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Cependant, lors de mon errance dans cette véritable galerie d’art photographique à ciel ouvert, je suis interpellé par le portrait en noir et blanc d’un sympathique vieillard surgissant d’une vigne vierge. Accoudé à sa fenêtre, il observe les badauds contemplant les œuvres accrochées sous la halle Pierre Loti. Paradoxalement, il est là, impassible… depuis la première édition du festival en 2014 !

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Cet homme fut une figure populaire du Pays Basque. En effet, Mattin Treku, c’est son nom, était un bertsolari renommé, une activité artistique très prisée consistant à chanter en public en improvisant des strophes et des vers rimés en langue basque.
Cette tradition ancestrale de ces joutes verbales autour d’un thème prédéfini a joué un rôle fondamental dans la transmission orale du basque et continue d’animer les fêtes de village et les festivals.
Mattin Treku demeura toute sa vie comme agriculteur dans son village natal d’Ahetze, à une dizaine de kilomètres seulement d’Ascain. Sa commune reconnaissante lui a élevé une sculpture pleine de bonhomie.
Découvrez l’art des bertsolaris avec cet extrait mettant en scène deux de ses plus illustres représentants contemporains, Mattin Treku et Xalbador dont j’aurais encore l’occasion de vous entretenir.

Ahetze Mattin Treku

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Je ne peux évidemment quitter Ascain sans visiter son église de l’Assomption.
La tribune constituée de trois étages date du XVIème siècle. Sur ses boiseries en chêne travaillé, on peut admirer un élégant chemin de la Passion.

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Le chœur est fermé par un superbe retable baroque en bois doré. Dans les églises basques souvent ouvertes au public, on a envie de s’asseoir sur un banc et méditer quelques minutes … pourquoi pas à mon regretté professeur.
En route maintenant vers Arcangues, un autre village ravissant caché dans les collines labourdines.
La place, avec l’église entourée de son cimetière, la mairie et l’école aux volets d’un bleu clair (dit bleu d’Arcangues introduit par un marquis), le fronton avec au fond l’auberge et sa terrasse à l’ombre de platanes séculaires, possède dans la lumière de cet après-midi le charme d’un décor d’opérette.

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C’est quasiment une lapalissade car c’est dans ce village que le ténor Luis Mariano choisit de construire sa vaste maison de style basque. Se destinant à l’architecture avant d’embrasser sa carrière d’artiste, il en dessina les plans.
Son buste sculpté par Paul Belmondo, le père de l’acteur, est visible à l’office de tourisme tout proche. Il a été rapatrié là à la suite d’une tentative de vol par un probable admirateur.
Luis repose dans le cimetière contigu à l’église. J’ai trouvé les panneaux indicateurs, menant à sa sépulture, très discrets. Faut-il y voir une mesquine corrélation avec un sordide fait divers : le maire de la commune ayant refusé de marier un couple gay, une pétition circula, il y a quelques années, souhaitant le transfert, vers une terre moins hostile, de la dépouille du chanteur connu pour son homosexualité.

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L’amour n’est pas toujours un bouquet de violettes ! Je rassure ses admirateurs : près d’un demi-siècle après sa disparition, la tombe de l’artiste est toujours fleurie quotidiennement et demeure un lieu de pèlerinage.
Verres Chanteur de Mexico, mugs Belle de Cadix, cartes postales, disques, le merchandising est encore prospère à l’office de tourisme, avec les cars qui déversent leurs séniors.
En ce qui me concerne, loin d’une quelconque idolâtrie, reviennent surtout des souvenirs d’enfance que j’évoque volontiers aujourd’hui, amusé de l’effet vintage assuré qu’ils procurent.
Dois-je m’enorgueillir que, dans les années 1950, mes parents emmenaient le gamin que j’étais à Paris pour assister à chaque création d’opérette, un genre encore très populaire à l’époque ?
Je compte ainsi à mon (enviable ?) palmarès, Le Chanteur de Mexico avec Luis Mariano, La Toison d’or avec André Dassary, un autre basque interprète également de l’adaptation musicale de Ramuntcho, La Route fleurie avec Bourvil, Annie Cordy et … Georges Guétary qui n’avait rien de basque malgré son nom de scène car il était grec né à Alexandrie.
Eh oui, ma bonne dame, j’ai vu en chair et en os toutes ces vedettes d’opérette !
Heureusement, Brel, Brassens, Bécaud, Marcel Amont, Les Frères Jacques, et bientôt la vague yéyé me remirent vite sur le droit chemin du music-hall !
Je retrouve un semblant de sérieux dans la fraîcheur de l’église Saint Jean-Baptiste de l’Uhabia fondée en 1516. Ses galeries en bois sculpté du XVIIème sont réputées pour être parmi les plus belles du Pays Basque.

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Loin d’être un endroit morbide, le cimetière, hors son hôte illustre, mérite une promenade pour sa collection de stèles discoïdales et son organisation en paliers constituant autant de balcons vers la campagne labourdine et la chaîne des Pyrénées à l’horizon.
Le ciel s’assombrit vers le littoral, il est sage de prendre le chemin du retour avec, cependant, une brève halte à Ciboure, plus précisément dans le quartier de Socoa, sa plage familiale et son petit port protégé par l’ancien fort.

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Ici, la jeunesse peut s’adonner librement aux activités nautiques. Ciboure est une terre de sportifs qui a vu naître notamment le champion de golf Jean Garaialde et une kyrielle de rugbymen internationaux tels Capendeguy, Manterola, Echavé.
Je n’oublie évidemment pas, c’est une autre musique, Maurice Ravel qui s’installa bien plus tard dans sa maison « le Belvédère » à Montfort-l’Amaury dans les Yvelines (à l’époque Seine-et-Oise). Je peux citer encore l’académicien et grand voyageur Pierre Benoit auteur de L’Atlantide.
Les séniors se contentent de marcher vers le fort qui, malheureusement, tombe lentement en décrépitude. Cet édifice possède une longue histoire qui débute au temps d’Henri IV lequel projetait la construction d’une forteresse pour protéger Saint-Jean-de-Luz et les villes environnantes des invasions espagnoles. Finalement, le projet tomba à l’eau (de mer) et ne fut réalisé que sous le règne de Louis XIII.
En 1636, les Espagnols, envahissant tout de même la côte, s’emparèrent de la citadelle qu’ils renommèrent Fort de Castille. Au gré des péripéties militaires, la région retourna sous souveraineté française, je vous ai parlé dans mon précédent billet d’un certain traité des Pyrénées signé non loin d’ici. L’ouvrage prend alors son nom actuel de Socoa.
Digression ou divagation très libre, en écrivant ces lignes, je pense au grand Jacques Brel (pour me faire pardonner de Luis Mariano non ?) :

« Je m’appelle Zangra, maintenant commandant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D’où l’ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour, je m’ennuie quelquefois
Alors, je vais au bourg, boire avec Don Pedro … »

En tournée d’inspection dans les Pyrénées, Vauban proposa de renforcer l’ouvrage, en construisant une jetée de protection, une caserne et une chapelle. Dirigés par Fleury, les travaux prirent fin en 1698.
Réinvestie par les Espagnols en 1793, la citadelle fut occupée par les troupes britanniques en 1814 qui l’utilisèrent comme appui de protection de la baie et lieu d’approvisionnement des hommes installés dans l’arrière-pays. La paix revenue, le fort de Socoa fut réparé en 1816-1817.
À quelques jours près, je n’aurais pas pu aller boire sur le quai, avec ou sans Don Pedro ! En effet, par précaution, la plage a été évacuée, fin août, suite à la découverte, derrière le fort, d’une dizaine d’obus en état de marche, souvenirs explosifs de la forte présence allemande pendant l’Occupation. Les démineurs de la Marine nationale les ont fait exploser dans l’océan, à un kilomètre au large.

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Le paquebot Sirena, construit à Saint-Nazaire, avait levé l’ancre depuis quelques jours, après avoir fait escale dans la baie de Saint-Jean-de-Luz avant d’acheminer ses passagers américains vers Bilbao.
Bal à Bill, à Bilbao, Bilbao, Bilbao … tiens, ce sera peut-être une de mes prochaines visites lors de ce séjour en pays basque.

Mardi 8 août :
Il a plu toute la nuit. Je cherche quelques motifs d’espoir dans le ciel encore bien chargé. Allez, on part, je ferai brûler un cierge à la Nuestra Señora de Guadalupe au sommet du Jaizkibel, la montagne, de l’autre côté de la frontière, qui surplombe le golfe de Gascogne.

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Le Jaizkibel, col d’altitude modeste (543 mètres), constitue la principale difficulté de la course cycliste renommée Clasica a San Sebastian, c’est pour cela d’ailleurs qu’il est emprunté encore ce matin par de nombreux amoureux de la petite reine … bon, je vous ai assez parlé de vélo au mois de juillet !
La vraie reine, ici, est une vierge, noire qui plus est, que je salue bientôt à l’intérieur de l’ermitage de Notre Dame de Guadalupe. Les habitants d’Hondarribia (Fontarabie en français) la vénèrent et la célèbrent lors d’un alarde (défilé en armes), chaque 8 septembre, en remerciement d’un vœu qu’elle aurait exaucé.
Sans blasphémer, il s’agirait plutôt d’un miracle à caractère militaire, survenu il y a environ 400 ans. « Il vient chez nous (les Espagnols) un roi sans foi ». Ce souverain Louis XIII est pourtant catholique mais son éminence (grise), le cardinal Richelieu, n’a de cesse de soutenir les protestants pour déstabiliser les Habsbourg d’Espagne et du Saint-Empire germanique. C’est la guerre de Trente Ans et, en 1638, le prince de Condé, à la tête d’une armée de 20 000 hommes et de nombreux bateaux de guerre, est envoyé fouler au pied la couronne d’Espagne. Entre juin et septembre, c’est le siège de Fontarabie qui tourne au désastre pour nos troupes devant la résistance héroïque de la population locale habitée par la foi… en Guadalupe
Les versions divergent, il semblerait pourtant qu’il faille chercher les causes de notre défaite dans la jalousie et la discorde qui divisèrent les chefs du corps français, le comte de Gramont et le duc de La Valette, plus que dans une intervention divine de la vierge noire. Il n’y a pas que la foi qui sauve …
En signe de reconnaissance, de nombreux ex-voto et objets maritimes, maquettes de bateaux, fresques en forme de voiles, sont visibles à l’intérieur de l’ermitage qui est aussi une halte sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle.

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Ce matin, la brume qui enveloppe encore le Jaizkibel lui donne un caractère austère voire oppressant. Sur le versant ouest, de grasses prairies et landes de genêts et fougères plongent de cinq cents mètres dans les eaux sombres de l’océan. Mer et montagne se fondent en une étreinte violente pour modeler le littoral. Sur la ligne de crête, se découpent les anoraks fluo et les sacs à dos des pèlerins, vrais ou faux, du moins des randonneurs.
Voici le récit de l’un d’eux : « La montagne sculptée et travaillée par les pluies, la mer et le vent est habitée par le grès d’une infinité d’habitants de pierre, mondes immobiles, éternels, presque effrayants. C’est un ermite encapuchonné au sommet d’un roc inaccessible, les bras étendus qui, selon que le ciel est bleu ou orageux, semble bénir la mer ou avertir les matelots. Ce sont des nains à becs d’oiseau, des monstres à forme humaine et à deux têtes, l’une rit et l’autre pleure (…). Dans le grand drame du paysage, le grès joue le rôle fantasque ; quelquefois grand et sévère quelquefois bouffon ; il se penche comme un lutteur, il se pelotonne comme un clown ; il est éponge, pudding, tente, cabane, souche d’arbre (…) il a des visages qui rient, des yeux qui regardent, des mâchoires qui semblent mordre et brouter la fougère (…). Une montagne de grès est toujours pleine de surprise et d’intérêt. Toutes les fois que la nature morte semble vivre, elle nous émeut d’une émotion étrange. »
Ces lignes sont de Victor Hugo qui les écrivit alors qu’il cheminait sur le Jaizkibel. Elles sont tirées de son carnet de route posthume En voyage. Alpes et Pyrénées.
Il semble bien connaître le coin, et pour cause, il séjourna durant quelques semaines de l’été 1843, au pied de ce massif gréseux:
« Cet endroit magnifique et charmant comme tout ce qui a le double caractère de la joie et de la grandeur, ce lieu inédit qui est un des plus beaux que j’ai vus et qu’aucun « touriste » ne visite, cet humble coin de terre et d’eau qui serait admiré s’il était en Suisse et célèbre s’il était en Italie, et qui est inconnu parce qu’il est en Guipuzcoa, ce petit éden rayonnant où j’arrivais par hasard, et sans savoir où j’allais, et sans savoir où j’étais, s’appelle en espagnol Pasajes et en français le Passage », et pour compléter, Pasaia en basque, Pasaia Donibane même, car le petit port est constitué historiquement des villages de San Pedro et Donibane sur les rives opposées de la ria.
Plutôt que Michelin ou le guide du routard, j’ai envie de m’appuyer sur les conseils de l’illustre écrivain … et d’une aimable autochtone septuagénaire qui me met en garde contre les pavés rendus glissants par la pluie. Au fait, elle a cessé même si j’ai omis de donner mon obole à la vierge noire.
« Une fois à terre, j’ai pris la première rue qui s’est présentée : procédé excellent et qui vous mène toujours où vous voulez aller, surtout dans les villes qui, comme Pasajes, n’ont qu’une rue. J’ai parcouru cette rue unique dans toute sa longueur. Elle se compose de la montagne, à droite, et à gauche de l’arrière-façade de toutes les maisons qui ont leur devanture sur le golfe. »
À l’entrée de cette ruelle étroite, un cul-de-sac piétonnier (sauf pour les riverains) menant jusqu’à l’entrée de la baie, se dresse curieusement une haute cheminée en brique vestige d’une usine royale de porcelaines créée en 1851 par un habitant du village originaire de Limoges.
La Donibane Kalea est vraiment pittoresque avec ses passages couverts, parfois bienvenus avec les averses intermittentes.

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« Rien n’est plus riant et plus frais que le Passage vu du côté de l’eau, rien n’est plus sévère et plus sombre que le Passage vu du côté de la montagne.
Ces maisons si coquettes, si gaies, si blanches, si lumineuses sur la mer, n’offrent plus, vues de cette rue étroite, tortueuse et dallée comme une voie romaine, que de hautes murailles d’un granit noirâtre, percées de quelques fenêtres carrées, imprégnées des émanations humides du rocher, morne rangée d’édifices étranges sur lesquels se profilent, sculptés en ronde-bosse, d’énormes blasons portés par des lions ou des hercules et coiffés de morions gigantesques. Par devant, ce sont des chalets, par derrière ce sont des citadelles. »

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Soudain, sous un des passages couverts, dans l’encoignure d’une porte, je tombe nez à nez avec Victor, notre illustre compatriote, qui semble accueillir les touristes pour leur faire visiter sa maison. Transformée aujourd’hui en musée, elle abrite aussi au rez-de-chaussée l’office de tourisme.
Un Bidochon franchouillard ne daigne même pas jeter un œil, pourtant la visite est gratuite, fier de clamer à ses amis que, comme Napoléon en de nombreux endroits, l’écrivain a dû dormir là une nuit !
Erreur, Hugo vécut ici quelques semaines. J’ai lu qu’il en partit précipitamment suite au drame qui frappa sa fille Léopoldine le 4 septembre 1843. Il me semble bien pourtant me souvenir qu’il apprit sa mort par hasard à la lecture d’un journal lors de son arrivée à Rochefort : « On m’apporte de la bière et un journal, Le Siècle. J’ai lu. C’est ainsi que j’ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte. »
Inconsolable, il écrivit son admirable poème Demain, dès l’aube que mon professeur de père aimait tant analyser avec ses élèves.
J’ai aussi parfois lu qu’il était accompagné en Espagne par sa maîtresse Juliette Drouet … le magazine Gala n’existant pas à l’époque, il me faudrait convoquer les exégètes de Victor Hugo.

Maison de Hugo autrefois

À voir quelques documents photographiques exposés dans le musée, la casa de l’écrivain n’était pas aussi pimpante et confortable qu’aujourd’hui et il fallait tout son talent pour nous la « vendre » :
« C’est là une maison comme on en voit nulle part. Au moment où vous vous croyez dans une masure, une sculpture, une fresque, un ornement inutile et exquis vous avertit que vous êtes dans un palais ; vous vous extasiez sur ce détail qui est un luxe et une grâce, le cri rauque d’un verrou vous fait songer que vous habitez une prison ; vous allez à la fenêtre, voici le balcon, voici le lac, vous êtes dans un chalet de Zug ou de Lucerne.
Et puis un jour éclatant pénètre et remplit cette singulière demeure ; la distribution en est gaie, commode et originale ; l’air salé de la mer l’assainit, le pur soleil de midi l’assèche, la chauffe, la vivifie. Tout devient joyeux dans cette lumière joyeuse.
Partout ailleurs la poussière est de la malpropreté. Ici la poussière n’est que de la vétusté. La poussière d’hier est odieuse, la cendre de trois siècles est vénérable. Que vous dirais-je enfin ? Dans ce pays de pêcheurs et de chasseurs, l’araignée qui chasse et qui tend ses filets a droit de bourgeoisie, elle est chez elle. Bref, j’accepte ce logis tel qu’il est. Seulement, je fais balayer ma chambre et j’ai donné congé aux araignées qui l’occupaient avant moi. »
Plus fort que Stéphane Plaza, comme agent immobilier, le Victor ! Heureusement que ma compagne n’a pas lu cet extrait auparavant, son arachnophobie l’aurait conduite à inspecter tous les recoins et plafonds de la vieille demeure !
Il faut être reconnaissant à Jean Jaurès d’avoir été « maladroit » lors du simulacre de duel qui l’opposa au journaliste Paul Déroulède (voir billet précédent). En effet, c’est l’auteur du Clairon, les plus anciens se souviennent

« L’air est pur, la route est large,
Le Clairon sonne la charge,
Les Zouaves vont chantant,
Et là-haut sur la colline,
Dans la forêt qui domine,
Le Prussien les attend … »

… qui intervint lors de son exil pour que l’on restaure la maison Victor Hugo au début du vingtième siècle.
Les photographies et documents exposés au mur ne sont pas attachés au séjour de l’écrivain, à part quelques croquis qu’il réalisa.

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Le plaisir naît de la reconstitution du premier étage qu’occupait Hugo, ainsi que de ses écrits et des commentaires audio (en plusieurs langues) dispensés à la demande :
« L’enfant, qui rampe dans l’escalier d’un étage à l’autre, va et vient le jour, rit, remplit la maison, et la réchauffe avec son innocence, sa grâce et sa naïveté. Un enfant dans une maison, c’est un poêle de gaîté. »
Je m’avance sur le balcon qui surplombe la baie :
« … Si vous voulez que je vous dise tout, là, sous mes yeux, sur la terrasse et l’escalier, des constellations de crabes exécutent avec une lenteur solennelle toutes les danses mystérieuses que rêvait Platon.
Le ciel a touts les nuances du bleu depuis la turquoise jusqu’au saphir, et la baie toutes les nuances du vert depuis l’émeraude jusqu’à la chrysoprase.
Aucune grâce ne manque à cette baie : quand je regarde l’horizon qui l’enferme, c’est un lac ; quand je regarde la marée qui monte, c’est la mer. »

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Je me sens bien ici. Il est 13 heures et c’est l’heure presque espagnole d’aller manger. Le vénéré Victor me met en appétit :
« Sur ma table à tapis vert qui ne quitte pas le balcon, la gracieuse Pepa, qui s’éveille avec l’aube, vient, vers dix heures, poser une serviette blanche ; puis elle m’apporte des huîtres détachées le matin même des rochers de la baie, deux côtelettes d’agneau, une loubine frite qui est un délicieux poisson, des œufs sur le plat sucrés, une crème au chocolat, des poires et des pêches, une tasse de fort bon café et un verre de vin de Malaga. Je bois d’ailleurs du cidre, ne pouvant me faire au vin de peau de bouc. Ceci est mon déjeuner.
Voici mon diner, qui a lieu vers sept heures, quand je suis revenu de mes courses dans la baie ou sur la côte. Une excellente soupe, le puchero avec le lard et les pois chiches sans le safran et les piments, des tranches de merluches frites dans l’huile, un poulet rôti, une salade de cresson cueilli dans le ruisseau du lavoir, des petits pois aux œufs durs, un gâteau de maïs au lait et à la fleur d’oranger, des brugnons, des fraises et un verre de vin de Malaga. »
Pendant que je pars à la recherche d’un restaurant, je vous offre en guise de mise en bouche cette tirade plus « digeste » (encore que …) de Ruy Blas :

« Bon appétit, messieurs !
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
– Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. – nous avons, depuis Philippe Quatre,
Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
Et toute la Comté jusqu’au dernier faubourg ;
Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
De côte, et Pernambouc, et les montagnes bleues !
Mais voyez. – du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n’était plus qu’un fantôme,
La Hollande et l’anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices.
La France pour vous prendre attend des jours propices.
L’Autriche aussi vous guette. Et l’infant bavarois
Se meurt, vous le savez. – quant à vos vice-rois,
Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres,
Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
Quel remède à cela ? – l’état est indigent,
L’état est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères.
Et vous osez ! … – messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, – j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! –
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
À sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! … –
Ah ! J’ai honte pour vous ! – au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L’escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L’herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L’Espagne est un égout où vient l’impureté
De toute nation. – tout seigneur à ses gages
À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Génois, sardes, flamands, Babel est dans Madrid.
L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit.
La nuit on assassine, et chacun crie : à l’aide !
– Hier on m’a volé, moi, près du pont de Tolède ! –
La moitié de Madrid pille l’autre moitié.
Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, espagnols que nous sommes.
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes,
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S’habillant d’une loque et s’armant de poignards. »

Voilà, nous avons jeté notre dévolu sur le restaurant Txulotxo. Je doute évidemment que Victor Hugo y avait table ouverte, par contre le champion cycliste Alberto Contador y a mangé.
Pardonnez-moi ce grand écart digne d’un sketch des Inconnus, encore que de l’auteur de La Légende des siècles à la légende des cycles … d’ailleurs j’ai la faiblesse de penser que si Hugo était né un siècle plus tard comme le Tour de France, il aurait fait un exceptionnel chroniqueur à l’instar d’Antoine Blondin.
Ce sera la parillada de poissons et fruits de mer pour deux personnes avec un vin blanc local en pichet qui m’agrée plus que le txakoli de Getaria!

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Histoire de digérer, je monte les quelques marches menant à l’église paroissiale de San Juan de Bautista malheureusement fermée. Qu’à cela ne tienne, je cherche sur le mur extérieur la sculpture qui avait intrigué l’écrivain.
« La première chose qui m’a frappé en entrant dans l’église, c’est une tête sculptée dans une muraille qui fait face au portail. Cette tête est peinte en noir, avec des yeux blancs, des dents blanches et des lèvres rouges, et regarde l’église d’un air de stupeur. Comme je considérais cette sculpture mystérieuse, el señor cura a passé ; il s’est approché de moi ; je lui ai demandé s’il savait ce que signifiait ce masque de nègre devant le seuil de l’église. Il ne le sait pas et, m’a-t-il dit, personne dans le pays ne l’a jamais su. »

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Je reprends ma déambulation dans la ruelle. Le temps d’une brève ondée, je découvre que notre cher écrivain n’est pas le seul compatriote à appartenir à l’histoire de Pasaia.
Une plaque indique que Gilbert du Motier, célèbre sous le titre de marquis de La Fayette, embarqua à Pasaia, le 26 avril 1777, à bord de La Victoire, pour lutter en faveur de l’indépendance de l’Amérique du Nord.

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On m’avait toujours appris, et il me semblait qu’on l’avait commémoré, il y a quelques années, que La Fayette était parti de Bordeaux à bord de la frégate L’Hermione. Il s’agissait, en fait, d’une seconde expédition.
Sur l’embarcadère, juste en-dessous, on assiste à la navette incessante des barques qui assurent pour les touristes la traversée de la baie entre les quartiers Donibane et San Pedro. C’est depuis ces embarcations qu’on jouit des meilleurs points de vue sur le petit port.

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À quelques mètres de là, une chapelle votive nous rappelle des souvenirs moins glorieux. Une pierre commémore la victoire des tribus vasconnes à Roncevaux afin de venger le sac de Pampelune par les troupes de Charlemagne.
« La place surtout est éclatante. Car il y a une place à Pasages laquelle, comme toutes les places espagnoles, s’appelle plaza de la Constituciòn. En dépit de ce nom parlementaire et pluvieux, la place de Pasages étincelle et reluit avec une verve admirable. Cette place n’est autre chose que le prolongement de la rue, élargi et ouvert sur la mer. Quelques-unes des autres maisons qui l’entourent sont juchées sur de colossales arcades…
Á de certains dimanches, la ville se paie à elle-même un combat de taureaux, et cette place lui sert d’amphithéâtre, ce qu’indiquent des assemblages de solives plantés dans le pavé le long du parapet. D’ailleurs, place de taureaux ou place de la constitution, rien, je vous le répète, n’est plus allègre, plus curieux, plus divertissant à l’œil. »

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La Fiesta Nacional comme la nommait Franco, la Fiesta brava à la mort du dictateur, drainent peu à peu leurs détracteurs, à lire les affichettes de collectifs anti-corridas collées sur des murs. La « constituciòn » scellera peut-être, un jour, le destin des toros comme on dit en Espagne.
La place est déserte à cette heure. Je ne pourrai pas vérifier si les propos du père Hugo sont encore de mise :
« À Pasages, on travaille, on danse et on chante. Quelques-uns travaillent, beaucoup dansent, tous chantent. Comme dans tous les lieux rustiques et primitifs, il n’y a à Pasages que des jeunes filles et des vieilles femmes, c’est-à-dire des fleurs et … ma foi, cherchez l’autre mot dans Ronsard. »
Après la place, en suivant la Bonanza Ibilbidea qui n’est que le prolongement, au bord de l’eau, de la Donibane Kalea, on sort bientôt du village en direction de l’embouchure de la baie. On a du mal à imaginer que de grands cargos puissent se glisser dans ce goulet pour rejoindre le port de pêche industrielle au fond de la ria. Je n’aurai pas l’occasion d’en croiser mais je vous offre deux photos qui attestent de la beauté du site.

Pasaia blog 19Pasaia avionCargo à Pasaia

clichés Claudia Sc.

L’heure avance et j’ai inscrit à mon programme de la journée de pousser jusqu’à San Sebastian seulement distant d’une dizaine de kilomètres. J’y ai déjà effectué plusieurs visites et je me rends compte que l’accès en voiture devient de plus en plus problématique. Je comprends mieux qu’un voisin de la location m’ait suggéré d’emprunter le Topo, petit train bleu navette qui en une demi-heure vous amène d’Hendaye au centre de Saint-Sébastien.

San Sebastian blog pont

En ce milieu d’après-midi, des files d’automobiles patientent à l’entrée des parkings souterrains qui affichent complet.
Je lirai dans le quotidien La Dépêche du Midi, quelques jours après mon séjour, qu’une manifestation (minoritaire) d’autochtones a défilé pour dénoncer le tourisme invasif de masse qui assaille la vieille ville.

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Nous entrons dans le vieux quartier proprement dit à hauteur d’un ensemble sculptural constitué du buste de Raimundo Sarriegui, compositeur de nombreuses pièces musicales dédiées à la ville, et d’une statue grandeur nature d’un tambourineur en uniforme napoléonien regardant une plaque portant justement les paroles (en basque) de la Marche de San Sebastiàn. Cette œuvre est jouée traditionnellement à l’occasion de la tamborrada qui se déroule chaque 20 janvier pour fêter le saint de la ville.
Cette pittoresque (et bruyante) manifestation tire son origine de l’occupation des troupes napoléoniennes pendant la guerre d’indépendance espagnole entre 1808 et 1814. Désormais, dès les douze coups de minuit, la tamborrada commence, les tonneaux des cuisiniers et porteurs d’eau répondant aux tamborreros en costumes d’époque.

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Nous rejoignons bientôt la Place de la Constitution élégante avec ses arcades.
À sa construction, en 1689, elle s’appelait Plaza Nueva et avait été conçue selon les plans d’un ingénieur italien (et non français comme l’affirme une plaque) Hercules Torrelli. Elle fut détruite suite à l’incendie et au pillage de la ville par les troupes anglo-portugaises en 1813. Reconstruite dans un style néo-classique, elle porte, depuis 1820, le nom de Plaza de la Constituciòn en mémoire du régime constitutionnel établi cette année-là.
La mairie était propriétaire des balcons et les louait au public comme tribunes en période de festivités taurines. C’est la raison pour laquelle, on voit encore aujourd’hui sur un côté, des numéros au-dessus des fenêtres.
J’ai souvenir, dans les années 1980, d’une place plus « politique » avec sur les arcades, les effigies de prisonniers du mouvement ETA. De même, certains bars à tapas, à l’ambiance bien particulière, étaient tenus par des collectifs indépendantistes basques. Il y a maintenant une dizaine d’années, l’ETA a décrété la fin de son action armée mais l’esprit séparatiste semble encore sous-jacent.

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Je m’arrête un instant devant une émouvante sculpture baptisée Reconstrucciòn. Elle constitue un hommage à la population civile incarnée à travers le visage d’une femme reconstruisant la ville de San Sebastiàn, brique après brique, suite à l’incendie de 1813.

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On ne peut malheureusement pas accéder à l’église San Vicente datant du XVIème siècle. Admise comme la plus ancienne de la ville, de style gothique à l’origine, quelques éléments baroques, notamment le porche, ont été incorporés par la suite.
Qu’à cela ne tienne, je me console avec la visite de la basilique Nuestra Señora del Coro (Sainte-Marie du Chœur) à l’autre extrémité du quartier. Sébastien le saint patron de la ville nous accueille dans une niche au-dessus du porche.

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Sa façade de style baroque, on dit même parfois churrigueresque (de la famille des Churriguera sculpteurs à Salamanque), foisonne d’éléments ornementaux.
L’intérieur, à l’avenant, abonde de retables, sculptures et tableaux. Cette richesse en fait presque un musée, ce qui explique sans doute que l’accès à l’église soit payant.

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Sur le côté de l’autel principal, on se glisse dans un étroit passage menant à la discrète chapelle de la Vierge où l’on peut admirer le Christ de la paix et de la patience qui, depuis le XVIème siècle, se trouvait à l’extérieur dans une niche de la Porte de la Terre.
Les visiteurs n’y sont pas forcément sensibles mais j’ai un faible pour une œuvre contemporaine : une sculpture d’albâtre « De la croix à la lumière » du grand artiste Eduardo Chillida.
Né et mort (en 2002) à San Sebastian, il fut curieusement le gardien de but de la Real Sociedad, le populaire club local de football, avant de rejoindre Paris la républicaine et devenir sculpteur. Il était surnommé parfois le « forgeron » en raison de son goût pour les sculptures de métal. Son « Peigne du vent », au bout de la plage de la Concha est mondialement connu.
« Je n’ai jamais cherché la beauté. Mais quand on fait les choses comme il faut les faire, la beauté peut leur arriver. »

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Je ne suis pas au bout de mes émotions artistiques. En effet, il est une salle au fond de la basilique, à juste titre dénommée el museo, tant y sont exposées des œuvres religieuses magnifiques de toutes époques, tableaux, sculptures en pierre, terre ou bois, bijoux.

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San Sebastian blog basilique musée 1San Sebastian blog basilique musée 2San Sebastian blog basilique musée 11San Sebastian blog basilique musée 12San Sebastian blog basilique musée 5San Sebastian blog basilique musée 4San Sebastian blog basilique musée 6San Sebastian blog basilique musée 10San Sebastian blog basilique musée 9San Sebastian blog basilique musée 7San Sebastian blog basilique musée 8San Sebastian blog devant  basilique

En ressortant de l’église, je ne sais si j’ai purifié mon âme, en tout cas le ciel s’est lavé de ses nuages lourds, ce qui m’incite à me diriger vers la toute proche Concha, la célèbre plage de la ville en forme de coquille.
Souvenirs, souvenirs ! Je me rappelle, il y a une trentaine d’années, de l’extraordinaire feu d’artifice du 15 août, embrasant toute la baie, probablement le plus grandiose auquel j’ai assisté, parole de parisien.
Le vieux manège de chevaux de bois est toujours là : j’y avais emmené une chère petite fille avant que, juchée sur mes épaules, elle assistât à la victoire de Laurent Jalabert dans la Clasica a San Sebastian, vous connaissez !
Cela me renvoie aussi aux cartons d’invitation délicieusement kitsch que je reçois régulièrement d’Eusebio, le sympathique patron basque espagnol de la Bocata ; bien plus qu’un bar à tapas, c’est aussi un lieu d’expositions, de concerts et de débats dans le IXème arrondissement parisien.

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J’attendrai de revenir à la Bocata pour sacrifier au rite des tapas! Retour vers notre parking, non sans admirer au passage les immeubles Belle Époque de la Casa Consistorial (la mairie) qui fut le siège du Grand Casino jusqu’en 1924, année de la prohibition du jeu dans la ville, ainsi que, juste en face, la bibliothèque municipale.

San Sebastian blog casa mairieSan Sebastian blog bibliothèque

Sous le pont de Zurriola et ses réverbères Art déco coule le fleuve Urumea qui se jette bientôt dans la mer Cantabrique. Sur l’autre rive, s’avancent les deux cubes de verre du (nouveau) palais Kursaal, complexe architectural moderne. C’est là notamment que se déroule le festival du film international de Saint-Sebastien.
Ce serait sympa, tiens, d’y assister un jour … en attendant, j’ai mon pass pour le festival du cinéma britannique de Dinard, à la fin de ce mois-ci.

San Sebastian blog Pont de ZurriolaSan Sebastian blog Oquedo

Je salue encore Antonio de Oquendo, marin espagnol des XVI et XVIIème siècles, né à San Sebastian, capitaine général de l’Invincible Armada, et populaire pour avoir participé à plus de cent combats navals. Sa statue fut inaugurée en 1894 à l’occasion de l’anniversaire d’une victoire capitale contre les Hollandais … au Brésil. J’ai lu qu’il avait nettoyé les Caraïbes des pirates, mais ça, c’était avant Johnny Depp !
Selon la direction de son regard, il a vu sur le théâtre Victoria Eugenia (du nom de l’épouse d’Alphonse XIII) ou sur les chambres du luxueux hôtel Maria-Cristina. Il a peut-être surpris Elizabeth Taylor, Woody Allen, Julia Roberts, Richard Gere et Brad Pitt qui y séjournèrent en temps de festival.
Je découvre que la toque étoilée française Hélène Darroze, descendante de plusieurs générations d’aubergistes landais, est à la tête, cet été, du restaurant.
Il se fait tard, j’avais prévu d’aller faire un petit tour à Hernani distant d’une quinzaine de kilomètres. Comme ça, une sorte de fun intellectuel, car on sait que la ville ne joue aucun rôle dans la pièce de Victor Hugo. « Hugo enfant, revenant d’Espagne après la chute du roi Joseph, dut traverser Hernani et recueillir de la bouche d’un postillon ce nom bizarre, d’une sonorité éclatante, si bien fait pour la poésie, qui, mûrissant plus tard dans son cerveau comme une graine oubliée, a produit cette magnifique floraison dramatique ».
On connaît beaucoup moins l’œuvre, qui a été relativement peu jouée, que la bataille qu’elle a suscitée lors de la première à la Comédie-Française le 25 février 1830. J’eus déjà l’occasion de vous entretenir de cette polémique entre gens de plumes et artistes, entre classiques et romantiques, après ma visite de la maison de l’écrivain, place des Vosges (http://encreviolette.unblog.fr/2015/04/01/et-1-et-2-et-3-musees-dans-le-marais/), et à la suite du magnifique spectacle Mon alter Hugo créé par le regretté Gérard Berliner (http://encreviolette.unblog.fr/2010/02/11/mon-alter-hugo-a-moi/).
Certains construisent des châteaux en Espagne, d’autres déclenchent des batailles d’Hernani.
« Un jour, j’ai rêvé d’une utopie : trouver un espace où mes sculptures pourraient reposer et où les gens se promèneraient au milieu d’elles, comme dans un bois ». Ce rêve, le sculpteur Eduardo Chillida le réalisa en achetant et en rénovant une vieille ferme d’Hernani pour y rassembler une partie de son héritage dispersé dans le monde. Malheureusement, pour de sombres histoires financières entre les enfants, l’épouse de l’artiste et les pouvoirs publics, le musée est fermé depuis 2016. Circulez, il n’y a rien à voir à Hernani !

Joueur de pelote basque

En épilogue de ce billet, souffrez que je vous offre encore une statue (elles sont nombreuses et expressives à San Sebastian) que j’ai croisée par hasard dans le quartier d’El Antiguo. Tout près du fronton, coulée dans le bronze, haute d’environ quatre mètres, elle rend hommage aux joueurs de pelote basque. Elle constitue ici une dernière pensée pour ce « grand monsieur », Bernard Vicenty, mon vénéré professeur qui fut sacré champion du monde à main nue à San Sebastian (à quelques mètres de là), et dont le souvenir a accompagné souvent l’écriture de ce billet.

Publié dans:Coups de coeur |on 12 septembre, 2017 |1 Commentaire »

Une semaine au Pays Basque (1)

Vos vacances s’achevant probablement, je les prolonge en évoquant les miennes, notamment mon séjour d’une semaine au Pays Basque.
Samedi 5 août :
Avant de rejoindre Hendaye, notre port d’attache, j’avais envisagé de pique-niquer à Espelette, un nom combien évocateur pour épicer le trajet. J’emploie l’imparfait car le caractère le plus négatif du climat océanique, à savoir un crachin tenace, nous oblige à renoncer à notre projet. Qu’à cela ne tienne, c’est la fête à Espelette, aujourd’hui village clos pour les automobilistes. C’est l’aubaine pour flâner tranquillement dans la rue principale, encore qu’il soit malaisé, à cause des gouttes sur les lunettes, d’admirer pleinement les façades blanches des maisons ornées de guirlandes des piments rouges qui font la réputation mondiale de la petite cité des Pyrénées-Atlantiques … et non Basses-Pyrénées comme l’affirme encore un antique panneau de signalisation.

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Ici, tout ou presque est dédié au fameux piment venu d’Amérique centrale et introduit possiblement au Pays Basque, au XVIème siècle, par le navigateur Juan Sebastian Elcano originaire de Getaria, un port de pêche côté espagnol, j’aurai sans doute l’occasion de vous en reparler.
« … Partout sur leurs balcons de bois, séchaient les citrouilles jaunes d’or, les gerbes de haricots roses ; partout sur leurs murs s’étageaient comme de beaux chapelets de corail, des guirlandes de piments rouges.: toutes les choses de la terre féconde, toutes ces choses du vieux sol nourricier, amassées ainsi, suivant l’usage millénaire, en prévision des mois assombris où la chaleur s’en va. » C’est la description qu’effectue Pierre Loti, charentais d’origine mais tombé amoureux du Pays basque, dans son célèbre roman Ramuntcho.
Protégé désormais par une appellation d’origine, le piment d’Espelette n’est pas plus fort que le poivre mais son long séchage au soleil lui procure un parfum plus intense. Depuis cinq siècles, il l’a supplanté dans la cuisine basque.
Il entre même dans la composition du cocktail maison que nous dégustons en apéritif à la terrasse couverte du chaleureux restaurant Aintzina.
Midi a, en effet, sonné au clocher du village, et touristes et autochtones se réfugient autour des comptoirs des bars et bodegas pour sacrifier au rituel des tapas, pintxos en basque, il va d’ailleurs falloir désormais se familiariser avec la langue régionale ultra présente sur les menus et panneaux indicateurs.
Pour manger couleur locale, nous nous régalons d’un axoa (prononcer achoa), un émincé de veau relevé avec des oignons et évidemment le piment local, un plat traditionnel servi autrefois les jours de foire dans cette région du Labourd.

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Bientôt, on se retrouve plongés dans une ambiance de troisième mi-temps de rugby : l’entraînante banda Azkena Bideko, à l’abri tout contre notre table, pimente notre repas en revisitant notamment quelques grands succès d’Abba. C’est plus Singing in the rain que Dancing Queen mais le sympathique saxophoniste, inquiet pour nos tympans, a vite fait de nous rassurer sur la météo locale : « il ne pleut pas plus qu’en Bretagne, il y a aussi du soleil et c’est vert ! »
Aux accents de la Pena Baiona, ma compagne deviendrait, pour un peu, supportrice du XV de l’Aviron Bayonnais. J’étouffe son élan en commandant un gâteau basque à la crème, savoureux au demeurant.
La pluie a cessé. Nous effectuons déjà quelques emplettes pour les amis et profitons même d’une information détaillée avec dégustation sur la culture du piment et ses applications culinaires. La célèbre épice entre aussi dans la fabrication du chocolat noir, autre fleuron local. Moins glorieusement, merchandising (je ne connais pas la traduction en basque !) oblige, on y a aussi recours dans de nombreux produits dérivés tels sel, foie gras, pâtés, moutarde et même ketchup.

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Nous reprenons la route jusqu’à Ainhoa, pittoresque bastide frontalière créée au XIIIème siècle pour accueillir les pèlerins sur le chemin de Bayonne à Pampelune menant à Saint-Jacques de Compostelle.

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L’artère principale est une large avenue bordée de grandes demeures à colombages et boiseries couleur sang de bœuf, typiques du Labourd, datant pour les plus anciennes des XVII et XVIIIème siècles.

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Au Pays Basque, quand on voit un fronton, l’église et le cimetière sont souvent tout proches (ou inversement).
Á l’origine, l’église Notre-Dame de l’Assomption, d’inspiration romane, était un château créé au XIIIème siècle, inclus dans un réseau défensif sur le front anglo-navarrais.
On y accède au pied de la tour par une lourde porte en bois à l’arrière de laquelle, curieusement, un escalier en menuiserie mène au clocher ainsi qu’aux galeries intérieures.

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Je profite de la modeste offrande d’un touriste permettant d’éclairer intérieurement l’édifice (avec un chant basque en prime) pour mieux apprécier encore le superbe retable doré et le dôme d’un bleu à rendre jaloux le ciel plombé de cet après-midi.
Le plafond est entièrement couvert de bois. Les deux niveaux de galeries étaient construits à l’origine pour augmenter la capacité du lieu. Traditionnellement, les hommes y prenaient place tandis que les femmes et les enfants s’asseyaient dans la nef. Je ne saurais vous dire, n’ayant pas eu l’occasion d’assister à un office, si cette coutume est toujours scrupuleusement observée.

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Don du ciel, il s’éclaircit tandis que nous abordons les faubourgs d’Hendaye. Je remarque, en longeant la Bidassoa qui vient se jeter bientôt dans la mer, un îlot oblong caché dans les feuillages.

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Supposant que l’installation dans notre location ne vous passionne pas, je m’attarde donc sur la riche et étonnante histoire de cette minuscule langue de terre (trois mille mètres carrés) interdite au public appelée communément île des Faisans ou aussi, de manière plus compréhensible, île de la Conférence. Je l’avais d’ailleurs déjà partiellement évoquée dans un ancien billet suite à ma lecture de Le Dépaysement. Voyages en France, l’ouvrage passionnant et érudit de Jean-Christophe Bailly.
Dès le XVème siècle, cette bande de dépôts alluviaux empierrée sur ses bords, fut le théâtre de rencontres diplomatiques et royales, ainsi déjà, en 1463, Louis XI, roi de France, et Henri IV de Castille.
C’est dans ce même endroit insignifiant qu’en 1526, François Ier, prisonnier de Charles Quint, fut échangé contre ses deux fils.
S’il permit le développement des arts et des lettres en France, son règne, sur le plan militaire, fut ponctué de nombreuses guerres en Italie. Nul écolier n’ignorait (c’est peut-être moins certain aujourd’hui !) la date de la bataille victorieuse de Marignan, peu de gens savent par contre la piteuse défaite de Pavie, dix ans plus tard, au cours de laquelle le monarque fut fait prisonnier par les troupes espagnoles de Charles Quint. Enfermé à la chartreuse de Pavie, il fut transféré en Espagne comme otage de Charles Quint.
Pour obtenir sa libération, François Ier signa le traité de Madrid le 14 janvier 1526 s’engageant à céder la Bourgogne, à renoncer à ses prétentions au-delà des Alpes, et à verser une rançon fabuleuse d’un million deux cent mille écus d’or, ses deux enfants, le dauphin François et Henri, demeurant prisonniers du côté de Ségovie jusqu’à la remise de cette rançon.
Á peine la Bidassoa franchie et s’être retrouvé sur le sol de France, François Ier s’écria « Je suis encore le roi de France », bien décidé à ne pas respecter le traité de Madrid. De ce fait, les enfants royaux restèrent prisonniers de Charles Quint durant quatre ans encore, et ne retrouvèrent leur liberté, au milieu de la Bidassoa, que le 1er juillet 1530, un an après la signature du traité de Cambrai qui mettait fin à la guerre entre Charles Quint et François Ier. Ils étaient accompagnés, lors de leur retour, par Eléonore d’Autriche, sœur de Charles Quint, qui devait épouser le roi de France. Oserais-je dire qu’entre faisans, on finit par se comprendre !
En 1615, toujours au milieu de la Bidassoa, on procéda à l’échange des fiancées royales : d’un côté, Anne d’Autriche, infante d’Espagne, destinée à Louis XIII de France, de l’autre, Élisabeth, fille d’Henri IV et sœur de Louis XIII, promise à Philippe IV d’Espagne.
C’est encore sur cette île qu’en 1659, lors d’une conférence (d’où parfois son nom) longue de trois mois (pas moins de 24 rencontres), que fut négocié par le cardinal Mazarin et Don Luis Menendez de Haro y Sotomayor le mariage de Louis XIV avec la fille du roi d’Espagne, et signé le traité de paix des Pyrénées (7 novembre 1659).

Le Brun entrevue ile des Faisans

Entrevue de Louis XIV et Philippe IV par Charles Le Brun

Ce traité met fin à l’interminable guerre opposant depuis un quart de siècle, le royaume de France aux Habsbourg d’Espagne.
Il prévoit donc aussi le mariage du jeune roi de France avec l’infante Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne.
En guise de dot, l’Espagne apporte à la France le Roussillon, la Cerdagne, l’Artois et plusieurs places fortes en Flandre et en Lorraine, notamment Gravelines, Thionville, Montmédy.
L’année suivante, comme prévu, les futurs époux se rencontrent à Saint-Jean-de-Luz. Leur mariage est célébré le 9 juin 1660 par l’évêque de Bayonne dans une atmosphère de liesse. Il se soldera par six naissances… et d’innombrables infidélités du Roi-Soleil.
Dans l‘une de ses fables, intitulée Les deux chèvres, Jean de La Fontaine évoque malicieusement ces événements :

« Je m’imagine voir, avec Louis le Grand,
Philippe Quatre qui s’avance
Dans l’île de la Conférence
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,
Qui toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L’une à l’autre céder …»

Coïncidence, je redécouvre La Fontaine cet été, je devrais même découvre tant il ne fut pas qu’un fabuliste, à travers la lecture de La Fontaine, une école buissonnière, le livre délicieux que lui consacre l’académicien Erik Orsenna.
Le temps que le GPS nous conduise à notre location sur les hauteurs d’Hendaye, je peux encore vous entretenir du savoureux différend qui opposa en 1904, le journaliste Paul Déroulède (les plus anciens d’entre nous apprirent son patriotique poème Le Clairon) au leader socialiste Jean Jaurès … à cause de quelques propos calomnieux sur Jeanne d’Arc : « Je vous tiens, vous, monsieur Jaurès, pour le plus odieux pervertisseur de consciences qui ait jamais fait, en France, le jeu de l’étranger … »
Les deux hommes décidèrent de laver leur honneur sur le pré mais Déroulède, en exil dans les environs de Saint-Sébastien, ne pouvait mettre le pied sur le sol français, et le duel était illégal en Espagne tout comme en France d’ailleurs.
« Rien n’est défendu à moi, Jaurès » qui obtint du « petit père » Combes (c’était son surnom et non une familiarité de ma part) un sauf-conduit afin que le proscrit puisse venir combattre sur le sol de la République.
C’est ainsi qu’à Béhobie, en face de la fameuse île des Faisans, et sous l’étroite protection de la police française, MM. Déroulède et Jaurès échangèrent deux balles de pistolet … en l’air.

duel Jaurès-Déroulède

Ce fait divers me ramène à mon enfance : haut comme trois pommes de ma Normandie, j’avais été intrigué par le même combat d’un autre âge qui avait opposé, pour un différend artistique, deux maîtres de ballet, Serge Lifar et le marquis de Cuevas. Ils s’étaient affrontés à l’épée sur le pré (ça ne manquait pas !) d’un village près de Bernay. La mascarade cessa suite à une bénigne estafilade au bras de l’avant-gardiste Lifar qui avait dû trop tôt baisser sa garde ! J’ai découvert depuis que l’un des témoins du marquis était … Jean-Marie Le Pen !
Depuis le traité de Bayonne de 1856, précisé par une convention en 1901, l’île de la Conférence est un condominium sous l’autorité conjointe de la France et de l’Espagne, changeant de souveraineté tous les six mois : du 1er février au 31 juillet par l’Espagne, depuis le 1er août jusqu’au 31 janvier prochain, par Emmanuel Jupiter Macron.
Le condominium était géré par deux vice-rois, officiers de marine, l’un commandant de la base navale de l’Adour à Bayonne (transférée à Bordeaux désormais), l’autre commandant de la station navale de Fontarabie et de Saint-Sébastien pour l’Espagne. L’écrivain Pierre Loti fut un de ces vice-rois.
Ça y est, nous avons pris possession de notre location. Je n’échappe pas à mon destin basque, le carrelage de la cuisine est égayé de piments d’Espelette !

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Dimanche 6 août :
On ne peut pas parler de beau fixe à propos des prévisions météorologiques de la semaine. Mais ce matin, l’azur prédominant, je décide donc une petite virée de l’autre côté de la frontière, tras el Pirineo (c’était le titre de mon manuel d’Espagnol au lycée), précisément à Getaria (prononcer Guetaria comme son orthographe espagnole), petit port de la province du Guipúzcoa, entre San Sebastian et Bilbao.

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En ce dimanche de San Salvador (saint Sauveur), le saint protecteur de la ville, je suis sauvé par un couple bien sympathique d’autochtones qui me permet d’obtenir le précieux ticket de stationnement en me sortant des pièges de la langue basque tendus par l’horodateur. Je me rendrai compte fréquemment, au cours de la journée, que Getaria appartient à la communauté autonome du Pays Basque et que ses habitants en sont farouchement fiers et en brandissent ostensiblement les couleurs.

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Getaria bénéficie d’un cadre pittoresque. Accrochées aux coteaux, ses rues étroites descendent d’une traite vers le port de pêche blotti derrière la montagne San Antòn communément surnommée la souris à cause de sa forme allongée, un contrefort rocheux anciennement île qui s’avance dans l’océan appelé ici mer Cantabrique.

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Au Moyen-Âge, les marins locaux se consacraient à la chasse à la baleine, on retrouve le cétacé avec un harpon planté dans le dos sur l’écusson de la ville.
Aujourd’hui, l’activité côtière tourne autour du besugo (la daurade à gros yeux), le rodaballo (turbot), la lubina (bar), le mero (mérou), le lenguado (sole), ainsi que les gambas, langostinos et cigalas, j’ai le temps de réfléchir avant de passer commande au restaurant.
Les embarcations aux couleurs pimpantes dansent au soleil en tirant la queue de la « souris, pas de quoi faire un escargot!

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Je pars à l’assaut de l’éperon vers le centre de la cité en empruntant escaliers et forts en suspens. Á l’écart, dans un passage couvert, un mini marché africain, quasi clandestin, propose des maillots des meilleurs footballeurs de la planète. Nos « petits bleus » Griezmann et Pogba sont en bonne compagnie, par contre point de tenue du « traître » barcelonais Neymar qui a signé l’avant-veille à Paris !
De toute manière, ici, l’idole indéboulonnable depuis cinq siècles se nomme Juan Sebastiàn Elcano, Elkano plutôt car il est basque. Natif de Getaria en 1476, on le croise à différents endroits de la cité. Il « bronze » en surplomb du port.

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Voyez comme on nous trompe : depuis mon enfance, je restais sur l’idée que le Portugais Magellan était le premier navigateur à avoir réalisé le tour du monde, un détroit, au sud du continent américain, à l’extrémité de la Terre de Feu, portant même son nom en souvenir.
En fait, il n’en est rien : Magellan mourut avant de parvenir au terme de l’extraordinaire expédition qu’il avait initiée et c’est donc au capitaine Juan Sebastiàn Elcano que revint l’honneur d’achever le voyage et de réaliser, entre 1519 et 1522, la première circumnavigation du globe.
Après que Magellan eût présenté son projet de découverte des « îles des Épices » à Charles Ier, le futur empereur Charles Quint, c’est une flotte comprenant cinq navires, Trinidad, Concepciòn, San Antonio, Victoria et Santiago, et 240 hommes, qui partit de Séville le 10 août 1519.
C’est en débarquant sur l’île de Mactan, aux actuelles Philippines, que Magellan fut tué, le 27 avril 1521, lors d’un combat contre les aborigènes emmenés par leur chef Lapulapu.
Je passe sur les péripéties multiples qui jalonnèrent cette tumultueuse aventure, c’est finalement la seule Victoria avec Elcano à la tête de 18 survivants et 3 indigènes des Moluques, qui parvint à Sanlucar de Barrameda, sur la côte andalouse, le 6 septembre 1522.
L’empereur Charles Quint rendit les honneurs à l’équipage et octroya à Elcano une rente annuelle de 500 ducats d’or et des armoiries sur lesquelles figure un globe terrestre et la devise Primus circumdedisti me (« c’est toi le premier qui m’as contourné »).
On ne peut évidemment pas dire que cette « route des épices » ne valait pas un clou de girofle, au contraire, par l’ouverture géographique et humaine qu’elle offrit, elle modifia considérablement la politique espagnole et européenne ainsi que la vie des peuples du Pacifique.
Sa notoriété valut au natif de Getaria de siéger aux côtés d’autres grands noms de la mer, comme Hernando Colón, Sebastián Caboto ou Americo Vespucci, au sein de la réunion qui se tint à Badajoz en avril-mai 1524, pour déterminer (vainement !) si les Moluques étaient en territoire portugais ou espagnol.
L’illustre marin périt dans un naufrage le 4 août 1526 lors d’une traversée du Pacifique. C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme, tin tin tin … !
Je me précipite maintenant par les ruelles étroites vers la superbe église gothique San Salvador, malheureusement l’office va débuter incessamment, je ne pourrai donc pas la visiter. Depuis la galerie supérieure, j’assiste tout de même à l’ouverture de la messe avec un vibrant chant repris en basque et avec ferveur par toute l’assemblée … à vous donner la chair de poule.
Du fait du relief escarpé du lieu, la nef est en pente et repose en partie sur la voûte d’un passage souterrain, la katrapona, qui relie la rue principale au port.

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Au même moment, juste en face dans la rectiligne kalle Agusia, les païens se vouent au culte d’un autre héros local, le Txakoli de Getaria (prononcer tchacoli), le « vin du premier tour du monde ». Au-delà de l’argument promotionnel, les actes fondateurs de la cité, en date de 1204, attestent déjà de la production de txakoli. La légende a vite fait de prétendre que le glorieux marin Elcano, porté sur la bouteille, emporta quelques fûts du vin de sa terre natale. Mille millions de sabords, on dit même que lorsque fut commandé son portrait en 1928, le peintre Zuloaga choisit pour modèle un ivrogne invétéré de Getaria.
J’ai lu que le txakoli était a l’image de son terroir un « vin sec, nerveux, secret ne se dévoilant qu’avec la persévérance de l’amateur curieux ». Je fais miens ces propos sibyllins car j’avoue n’avoir pas été transporté par ce vin blanc élaboré à partir de raisins verts et dégusté dans tous les bars, à l’apéritif pour arroser les pintxos. Légèrement perlant (on lui conserve un peu de gaz carbonique), il est servi frais traditionnellement de haut (comme le thé à la menthe) dans de grands verres larges.
Pour l’instant, sobrement, je poursuis ma pérégrination dans les ruelles. Je découvre ainsi qu’une ancienne salaisonnerie d’anchois fut la maison familiale de la chanteuse de zarzuela Pepita Embil. Partie au Mexique, elle créa une compagnie lyrique avec son baryton de mari. De leur union, naquit en 1941 l’illustre ténor Placido Domingo.

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Plus loin, sur un mur d’une bien modeste maison, j’apprends qu’y naquit le « couturier des couturiers » Cristobal Balenciaga, une autre grande figure du petit village. J’ai prévu de visiter son musée dans l’après-midi.
Tiens, je recroise Juan Sebastiàn Elcano qui reste de marbre à mon passage devant la mairie.

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Le marin est omniprésent et un imposant mausolée dominant la ville fut construit pour célébrer le quatre-centième anniversaire de son expédition. Possédant l’aspect d’une pyramide tronquée, une statue en forme de masque de proue de bateau se détache en son sommet.
Sur un mur, sont inscrits les noms des autres rares rescapés de l’aventure, il ne faut pas oublier ces marins tout autant valeureux.

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La messe est dite et, désormais, croyants comme païens envahissent la rue principale pour célébrer le dieu Txakoli. Les filles de Régine étaient Patchouli chinchilla, celles de Getaria sont txakoli tapas balenciaga …!
La musique adoucit les mœurs, je fuis cette exubérance en profitant du concert gratuit qu’offrent, près du fronton, les élèves d’une école de musique.

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Au rite immuable des pintxos, je préfère le menu proposé par le restaurant Politena : ce sera pour moi une salade de chipirons puis un turbot grillé sur la braise à l’extérieur, arrosés d’une bouteille de txakoli… oui, quand même, c’est aussi ça, humer l’atmosphère d’une région.

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Nul besoin d’un pas léger, un tapis roulant nous hisse jusqu’au Cristòbal Balenciaga museoa. Inauguré en 2011, il occupe deux bâtiments, l’ancien palais Aldamar construit au XIXème siècle et une immense annexe d’architecture futuriste aussi épurée que pouvait l’être le style du couturier. Quel destin pour ce fils de marin pêcheur fuyant la guerre civile, depuis la vieille maison au cœur du village jusqu’à ce musée en passant par le numéro 10 de l’avenue Georges V qui fut une des plus prestigieuses adresses de la mode parisienne !
L’hôtesse à l’accueil nous accorde sans justificatif le tarif retraités … ce qui n’est pas, à y réfléchir, forcément gratifiant !
Ma compagne s’étonne que je m’attarde devant les modèles exposés dans les vitrines. Peut-être, suis-je, habituellement, moins réceptif à la mode Desigual ou Zara, quoique !

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Sont-ce des réminiscences de ma jeunesse, il me plait de contempler les robes aux formes géométriques qui révolutionnèrent la mode dans les années 1950 : la ligne « tonneau » (de Txakoli ?), la veste ballon, la robe tunique et la mythique robe sac.
Dans un documentaire, en ouverture de l’exposition, Hubert de Givenchy confie (après consommation modérée de txakoli ?) que depuis qu’il était croyant, il y avait Balenciaga et le Seigneur ! Les métaphores pour qualifier le couturier très proche de l’Église catholique sont fréquentes : le moine de la couture, l’évêque de la modernité, le deus ex machina de la machine à coudre … attention à l’abus de superlatifs et de txakoli tout de même.

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Balenciaga puisait aussi son inspiration dans la peinture espagnole, Velazquez, Zurbaràan, Goya, dans la danse flamenco, la corrida. Il en avait fait sa devise : « Un bon couturier doit être architecte pour les plans, sculpteur pour la forme, peintre pour la couleur, musicien pour l’harmonie et philosophe pour la mesure. »
Dans le court-métrage, Emanuel Ungaro élève la mode Balenciaga au niveau de l’art : la mode belle au début devient laide avec le temps, l’art souvent décrié au départ devient beau pour l’éternité.
Pour une fois, c’est moi qui défile devant les mannequins. J’ai même confusément l’impression de retrouver à travers les toilettes l’atmosphère d’un certain cinéma d’après-guerre, Carroll Baker dans Baby Doll d’Elia Kazan ?
Dehors, plus bas, la ruelle principale ne désemplit guère. Dans des odeurs de poissons grillés, nous nous frayons un chemin pour redescendre jusqu’au port.

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Plutôt que suivre la côte vers Zumaia, nous grimpons à travers les coteaux tapissés de vignes en espaliers, tournées vers le large, vendangées par les tempêtes. Les échappées sur l’océan sont splendides.
Tout compte fait, ce soir, je trinquerai à la bonne poursuite du séjour avec un petit verre de txakoli de Getaria (j’ai pris la précaution d’acheter un flacon), un vin aussi improbable et surréaliste que son terroir !

Publié dans:Coups de coeur |on 1 septembre, 2017 |2 Commentaires »

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