Hardi les gars (… et les filles) ! Cap vers le Finistère nord (2)
Pour prendre connaissance de la première partie de la promenade :
http://encreviolette.unblog.fr/2017/06/14/hardi-les-gars-et-les-filles-cap-vers-le-finistere-nord-1/
C’est bien sympathique de partager le petit déjeuner dans la salle à manger rénovée avec un goût affirmé par les propriétaires de notre chambre d’hôte. C’est tellement plus convivial qu’une salle de restaurant d’hôtel !
En cette période d’élections, il me revient que sous son règne, notre ancien président faux aristocrate Valery Giscard d’Estaing avait condescendu à se rapprocher du bon peuple en invitant, un matin de Noël, les éboueurs de l’avenue Marigny, à abandonner leur benne pour venir prendre le petit déjeuner à l’Élysée. Il ne renouvela pas cette initiative jugée populiste et un tantinet surréaliste.
Avec mon café, pain au chocolat, confitures et beurre évidemment salé, me sont servies les nouvelles toutes fraîches dans le Télégramme le principal quotidien régional après Ouest-France. S’il y a du bruit dans Landerneau ce matin, il émane des accusations visant la figure politique locale Richard Ferrand, tout récent ministre « marcheur » de la Cohésion des territoires (et désormais ex !)) en lice aux élections législatives non loin d’ici à Châteaulin sur les bords de l’Aulne.
L’Aulne est un fleuve côtier qui, dans son cours médian, coïncide avec un tronçon du canal de Nantes à Brest.
Au XIXe siècle, les péniches chargées de sable à destination des cultivateurs du Centre Bretagne remontaient la rivière et descendaient au retour ardoises et produits agricoles. Des « vapeurs » transportant passagers et marchandises effectuaient des rotations régulières entre Port-Launay et Brest avec une escale à Landévennec.
Je franchis bientôt l’Aulne en empruntant le pont de Térénez, ouvrage d’art aux lignes futuristes qui lui donne, à moindre échelle, un faux air du viaduc de Millau. Il constitue un élément essentiel de désenclavement pour la presqu’île de Crozon si l’on ne veut pas faire un détour d’une cinquantaine de kilomètres.
Quelques kilomètres plus loin, un belvédère offre le spectacle de la rencontre de la rivière avec la mer. « Rejoignant la rade de Brest, l’Aulne termine ici sa course par un majestueux méandre. Comme pour mieux saluer un pays que l’on ne quitte qu’à regret … » nous précise un panneau didactique. La quiétude du lieu, abrité des vents, et la profondeur des eaux n’échappèrent pas à la Marine qui, très tôt, s’intéressa au site.
Vers 1840, fut créée ici la Station Navale visitée par Napoléon III et l’Impératrice Eugénie lors de leur voyage d’août 1858 en Bretagne. Ce site accueillait les bateaux en réserve (jusqu’à 200 marins) qui procuraient une prospérité exceptionnelle aux commerces de Landévennec, le bourg voisin.
Dans les années 1950, la Réserve transforma cette zone de mouillage en un cimetière de navires. Pour bon nombre d’entre eux, c’est l’ultime escale précédant le chantier de démolition ou l’ « océanisation » en haute mer pour les exercices de tirs de la Marine Nationale.
Encore quelques centaines de mètres d’une descente abrupte pour rejoindre, l’abbaye de Landévennec. J’ai toujours eu une estime particulière pour les moines qui, outre de fabriquer des fromages, des bières artisanales et de concocter quelques liqueurs (!), avaient le chic pour trouver leur paix intérieure dans des sites exceptionnels. Chapeau, ou plutôt, tonsure monsieur Guénolé qui, en 485, choisit de s’installer à l’endroit où l’Aulne communie avec l’Atlantique !
Puisqu’il se présente devant moi, je prie saint Guénolé de pardonner les exactions de mes ancêtres vikings qui pillèrent et incendièrent le monastère en 913. Les religieux d’alors durent s’enfuir des lieux avec les reliques du saint pour se réfugier à Montreuil-sur-Mer. L’abbaye fut entièrement reconstruite entre la fin du XIe et le milieu du XIIIe siècle. Elle fut abandonnée en 1793, conséquence encore de la Révolution française. La communauté compte actuellement une vingtaine de frères bénédictins.
« C’est un lieu extrêmement agréable, exposé au soleil, inaccessible à tous les vents sauf un peu le vent d’Est, comme un paradis tourné vers le soleil levant, le premier tous les ans à pousser ses fleurs et ses bourgeons, et le dernier à perdre ses feuilles » écrivait un moine du IXe siècle.
Les ruines de l’ancien monastère ne peuvent être visitées ce matin mais par contre, on a accès à la nouvelle abbaye édifiée entre 1950 et 1965 et au musée. Je n’ai pourtant pas abusé de chouchen en ce début de matinée mais ce sont cinq saint Guénolé en bois polychrome qui surgissent devant moi.
Au village, un peu plus bas, la quiétude et un certain art de vivre ont gagné les habitants et, j’ajoute même, presque les touristes. L’épicerie municipale propose des produits locaux. À l’enseigne Ancrages (ou Encrages ?) d’un café librairie, tout un symbole (la grand-mère et l’arrière-grand-mère de la patronne étaient natives de Landévennec), on peut déguster un petit noir tout en feuilletant des vieux livres et des journaux anciens.
L’église du XVIIe siècle possède son cimetière marin. Les tombes disposées en espalier sont tournées vers l’océan. Le portail de l’enclos paroissial est surmonté d’une niche avec une Vierge à l’enfant assez moderne.
Ici, on est tellement accueillant que la lumière s’allume dès que l’on pousse la porte de l’église. Le regard est immédiatement attiré par un immense tableau de la Cène qui se trouvait, à l’origine, dans le réfectoire de l’abbaye. Une autre toile représente saint Corentin devant la cathédrale de Quimper, au premier plan un seigneur coupe en deux le poisson du saint. De manière presque enfantine, une ancre de bateau, un poisson et un crabe posent dans un vitrail.
Je comprends qu’un couple d’amoureux enlacés ait choisi ce petit havre de paix.
Je m’enfonce maintenant plus avant dans la presqu’île de Crozon qui doit son nom à son bourg principal. Située à l’extrémité Ouest de la Bretagne, très reconnaissable sur une carte avec son tracé en forme de croix, elle est entourée par la mer sur trois côtés : au nord, par la rade de Brest, à l’ouest par la mer d’Iroise et au sud par la baie de Douarnenez.
Jusqu’à ce matin, je pensais que notre École Navale nationale était située à Brest. Ce n’est pas tout à fait exact, je découvre qu’elle est précisément basée au lieu-dit du Poulmic à l’entrée de la commune de Lanvéoc. Détail cocasse, un feu clignotant signale la possibilité de passage … d’avion. C’est sans doute pour éviter que nous soyons effrayés par le vacarme et le déplacement d’air lors des manœuvres des impressionnants hélicoptères de la BAN (base d’aéronautique navale) affectés à la sécurité maritime.
Un peu plus loin, nous apercevons en contrebas sur la côte les vestiges de l’ancien appontement pétrolier construit sous l’occupation allemande. J’apprends que ces sortes de gros blocs de béton destinés à amarrer ou appuyer des navires s’appellent duc-d’Albe, le terme provenant de Ferdinand Alvare de Tolède, troisième duc d’Albe, qui accrochait ses embarcations à des pieux.
À l’abri des regards, s’étend l’île Longue, une presqu’île en réalité, base ultra secrète, élément central de la dissuasion nucléaire française avec entrepôt de missiles et sous-marins.
Entre rade et lande, les échappées sur la côte sont si apaisantes que nous en oublions que le pays est sous état d’urgence.
Nous parvenons bientôt par une route digue entre mer et étang au charmant port du Fret. Quelques vieilles coques échouées témoignent d’une activité de pêche révolue.
Cependant, hors la plaisance, Le Fret offre encore des liaisons à travers la rade entre Brest et la presqu’île. À la fin du XIXe siècle, c’était chic de la part des bonnes familles de Brest d’embarquer sur les vapeurs jusqu’au Fret puis aller en villégiature dans les hôtels de Morgat de l’autre côté de la presqu’île.
Non non non, saint Éloi n’est pas mort car il b…rille encore dans la lumière d’un des vitraux de l’église très sombre qui lui est dédiée au village de Roscanvel. Ce sont des vitraux qui remplacent les œuvres du maître-verrier mondialement renommé Auguste Labouret endommagées lors d’un incendie en 1956 et par l’eau de mer projetée pour le circonscrire.
Le Chemin de Croix en terre cuite polychrome dégage une émouvante simplicité.
Le vieux lavoir édifié en 1666, en face de l’église, est placé aussi sous la protection du même saint Éloi, évêque de Noyon, patron des forgerons et des orfèvres (plus généralement de tous les artisans des métaux), protecteur des chevaux et … comme nous l’apprit la comptine, conseiller financier du bon roi mérovingien mal culotté Dagobert. Nul besoin de réformer le code du travail, cumulard, il est même aujourd’hui le saint patron des mécaniciens de l’armée de l’Air et du personnel du matériel de l’armée de Terre !
La petite statue mutilée, à l’arrière du monument, est celle de saint Yves patron de la Bretagne et des avocats. Épiait-il trop le bavardage des femmes lavant leur linge, les processions et les prières d’autrefois ?
Roscanvel demeure gravé dans la mémoire sinon familiale du moins la mienne maintenant que mes aïeux m’ont laissé poursuivre seul le chemin. C’était au milieu des années 1950 lors d’un voyage en Bretagne et plus particulièrement donc une étape sur la presqu’île de Crozon. Mon père, pourtant maître dans l’organisation des promenades, n’avait sans doute pas imaginé l’afflux de touristes que la presqu’île drainait déjà à l’époque. Ainsi, tous les hôtels conseillés par l’incontournable guide rouge Michelin, affichaient complet. Après avoir battu la lande et la côte, nous dûmes nous résigner à dormir à cinq dans la Peugeot 203, un peu à l’écart de Roscanvel. Ne trouvions-nous pas le sommeil, nous partîmes à pied, mon père, mon oncle et moi, pour une promenade au clair de lune jusqu’à la Pointe des Espagnols distante d’environ trois kilomètres. J’étais fier d’accompagner les adultes en pleine nuit. Vous ne me croirez peut-être pas mais je conserve encore, soixante ans plus tard, le souvenir de l’inquiétant (du moins pour le gamin que j’étais) silence dans la lande et la vision de l’autre côté de la rade des lumières de l’arsenal de Brest.
Ce matin, je colle des images en couleurs à mes souvenirs, avec, je l’avoue, un soupçon d’émotion.
La Pointe des Espagnols constitue l’extrémité de la branche nord de la presqu’île de Crozon. C’est une falaise de plus de 60 mètres de hauteur plongeant dans la mer sur laquelle subsistent des vestiges de fortifications militaires. En effet, sa position stratégique était déjà reconnue au temps des ducs de Bretagne.
En 1594, les Espagnols (alliés aux français catholiques) y débarquèrent et n’en furent chassés (par les Anglais et les français protestants) qu’après d’âpres combats souvent appelés Siège de Crozon. C’est de cet épisode que la pointe tire son nom.
En Finistère, les pointes, caps et péninsules (ça rappelle la tirade des nez de Cyrano de Bergerac !) favorisent l’implantation de forts et de phares et constituent des lieux souvent chargés d’histoire et même d’histoires.
Un peu plus loin, au-delà de la pointe dite de Cornouaille, on distingue le fort des Capucins imaginé à l’origine par Vauban (et construit en 1848) sur un îlot rocheux du même nom, relié à la terre par un petit pont. Il a longtemps servi de lieu de manœuvres à l’armée. Mon imagination est sans doute (trop) débordante, ça a un tout petit côté muraille de Chine !
« … J’aime les filles de la Rochelle
J’aime les filles de Camaret
J’aime les filles intellectuelles
J’aime les filles qui me font marrer
J’aime les filles qui font vieille France
J’aime les filles des cinémas
J’aime les filles de l’Assistance
J’aime les filles dans l’embarras… »
Souvenirs, souvenirs quoique je n’eus pas besoin de Jacques Dutronc (et Jacques Lanzmann son parolier) pour être intrigué par les Filles de Camaret ! Ni de Hugues Aufray d’ailleurs !
« L’épervier de ma colline
N’est pas un très bon chrétien.
L’épervier de ma colline
Chante comme un vrai païen.
Il connaît tous les couplets
Des filles de Camaret. »
Même le grand Georges Brassens nous livra son avis dans sa chanson Les Quat’z’arts :
« Le mort ne chantait pas : « Ah ! c’qu’on s’emmerde ici ! »
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci
Et les bonshomm’s chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus « Saint-Eloi bande encor ! »
Les quat’z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo !
Ce n’étaient pas du tout des filles en tutu
Avec des fess’s à claque et des chapeaux pointus
Les commères choisies pour les cordons du poêle
Et nul ne leur criait: « A poil ! A poil ! A poil ! »…
… Les quat’z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le curé venait pas de Camaret. Bravo ! »
Pour Saint Éloi, nous savons maintenant que nous pouvons être rassurés sur sa vitalité. Pour les filles, je vais juger sur pièce puisque nous décidons de déjeuner sur le port de Camaret-sur-mer.
Pour ce qui concerne la jeune serveuse du restaurant, elle ne manifeste pas un enthousiasme débordant et me prévient même qu’elle n’est pas douée pour déboucher les bouteilles, un muscadet en la circonstance. C’est un peu la France en marche … arrière ! Elle s’en sortira cependant avec les honneurs.
L’époque florissante du port de pêche a vécu. Du XVIIe au XIXe siècle, tout comme Douarnenez et Concarneau, Camaret fut un grand port sardinier. En 1850, on recensait 94 chaloupes sardinières armées chacune d’un équipage de 4 à 5 marins. Au XXe siècle, le port était réputé pour la pêche à la langouste dans les eaux mauritaniennes. Sur la jetée, quelques épaves témoignent de ce temps révolu. Les plus anciens d’entre vous se souviennent peut-être, dans les années 1960, de la « guerre de la langouste » et la crise diplomatique entre la France et le Brésil.
Tout proche, se dresse une chapelle en pierre jaune de Logonna, construite au XVIIe siècle et dédiée curieusement à Notre-Dame de Rocamadour.
Il semblerait que les liens tissés entre Camaret et Rocamadour remontent à 1183 lorsque le curé de Camaret (pas celui de la chanson), venu en pèlerinage dans la cité du Lot, décida à son retour de créer une chapelle ainsi appelée pour servir d’étape aux pèlerins faisant halte à Camaret avant d’aller prier la vierge noire de Rocamadour.
La statue négroïde protègerait des naufrages et de nombreux marins affirmaient l’avoir priée au plus fort de la tempête et avoir ainsi eu la vie sauve.
Des maquettes de bateaux et des bouées sont déposées dans l’église en guise d’ex-voto.
On remarque un autel restauré contemporain de la bataille de Camaret en 1694. En 1688, la France de Louis XIV déclara la guerre à une coalition anglo-hollandaise connue sous le nom de Ligue d’Augsbourg. La bataille de Camaret correspond à une tentative de cette coalition de détruire la flotte française stationnée à Brest. Le roi soleil fit appel à Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, pour repousser les assaillants.
« Ce que fut cette action, tout le monde en Bretagne le sait : l’apparition de la flotte anglo-hollandaise (36 vaisseaux de guerre, 12 galiotes à bombes, 80 bâtiments de transport et 10.000 hommes de troupe, sans les équipages) le soir du 17 juin, la veillée des armes dans la nuit sur tout le littoral, la brume au petit matin du 18 contrariant l’ennemi, favorisant les nôtres ; puis cette brume levée, les 7 frégates attaquant Camaret, tirant à boulets rouges sur le village inoffensif, entamant un furieux duel d’artillerie avec le château (qui n’avait que 9 pièces sur 11 prévues) et les batteries de côte. Puis le drame se déroule, prodigieusement rapide : coupé d’un boulet, le clocher de la chapelle de Roc’h Amadour s’écroule ; foudroyé, un navire hollandais s’échoue, est pris à l’abordage sur la grève du Coréjou ; les six autres, criblés de boulets, leur gréement en lambeaux, reculent, fuient ; un transport saute, et sur la grève de Trez-Rouz, en un prodigieux élan, soldats et garde-côtes jettent à la mer les Anglais débarqués en chaloupes, leur faisant 500 prisonniers. Le soir même, il n’y avait plus une voile anglaise à l’entrée de l’Iroise … »
La Tour Vauban, pimpante en rouge au bout de la jetée, date de cette époque.
Lors des combats, un boulet décapita donc la flèche de la chapelle. La légende raconte que Notre-Dame de Rocamadour en personne apparut alors et renvoya le boulet destructeur sur le vaisseau coupable qui coula. Elle ne précise pas si, pour ce faire, la Vierge arma le bras d’un artilleur de Vauban et l’un de ses canons !
Les plus coquins d’entre vous attendent peut-être avec une certaine curiosité mon appréciation sur les filles de Camaret. Pour certains, les plus anciens, resurgissent des souvenirs de potaches, de carabins, de monômes, de chambrées car les filles de Camaret tiennent leur notoriété sulfureuse d’une chanson paillarde très prisée dans ma jeunesse. En ce temps-là, ma bonne dame, il n’y avait pas les réseaux sociaux et autres chaînes et sites érotiques pour émoustiller les sens. Je vous en livre un couplet, il ne manquerait plus qu’on censure mon billet !
« Les filles de Camaret se disent toutes vierges (bis)
Mais quand ell’s sont dans mon lit,
Elles préfér’nt tenir mon vit
Qu’un cierge (ter) »
Cela dit au passage, en voyant un vieux lit clos breton, la veille, au hameau des goémoniers, j’imagine que les ébats ne devaient pas y être aisés !
Cette chanson connue aussi sous le titre de Le pou et l’araignée aurait été écrite, il y a plus de cent ans, par un certain Laurent Tailhade, écrivain journaliste anarchiste, qui avait l’habitude de passer ces vacances d’été à Camaret. Dans une série d’articles publiés dans une gazette parisienne, il ridiculisait la ville de Camaret et fustigeait l’attitude du recteur (le curé) qui « mendie à domicile et quête en personne chez tous les baigneurs, accompagné d’une cinquantaine d’ivrognes stationnant devant les hôtels abritant des parisiens ». Pire encore, à l’occasion de la fête de la Vierge le 15 août 1909, il déposa un pot de chambre à la fenêtre de sa chambre d’hôtel, au passage de la procession. Menacé de mort, a minima d’être jeté à l’eau, par les marins locaux, Tailhade dut son salut aux gendarmes. Quelques mois plus tard, l’affaire fut jugée aux tribunal de Quimper : le journaliste fut acquitté et le curé s’en tira avec des remontrances.
Tailhade se vengea, par la suite, de la population camaretoise en écrivant ses libidineux couplets qui, malgré tout, ont contribué à la notoriété de la cité portuaire, la preuve. Je vous ressers une rasade de cette chanson à boire ?
« …Si les fill’s de Camaret,
S’en vont à la prière
C’ n’est pas pour prier l’ Seigneur
C’est pour branler le prieur
Qui bande (ter)
Sur la plac’ de Camaret,
Y a un’ statue d’Hercule
Monsieur l’ maire et m’sieur l’curé
Qui sont tous les deux pédés
L’enc …(ter) … »
Les Frères Jacques, auxquels j’ai rendu hommage dans un récent billet, consacrèrent un album aux chansons paillardes, au début de leur carrière (ils s’appelaient alors les 4 Jules). Y figurait la « délicate ode » aux filles de Camaret et la pochette du microsillon représentait deux moines lubriques à la rouge trogne à table. Pierre Perret l’inscrivit aussi à son répertoire.
Saint Éloi et saint Guénolé, absolvez-moi ! En pénitence, je vous offre Le port de Camaret par ciel d’orage, une toile d’Eugène Boudin (1873), le « roi du ciel » qui y effectua de fréquents séjours
En remontant sur les hauteurs de Camaret, je m’arrête quelques minutes devant les alignements mégalithiques de Lagatjar. Ils seraient contemporains de ceux de Carnac, soit entre 3 000 et 2 500 ans avant J.C. Il ne reste qu’une soixantaine de menhirs sur le site qui en comptait dix fois plus.
Cet après-midi, ils servent essentiellement d’éléments de jeu de chat perché pour la classe de collégiens en visite avec leur professeur. Manquerais-je de fairplay si je compare l’activité du jour avec le compte-rendu de la sortie scolaire, en date de 1909, au hameau des goémoniers, évoqué dans mon précédent billet ?
Je me console rapidement en admirant les panoramas grandioses qu’offre la côte déchiquetée, en particulier la pointe de Pen-Hir avec dans son prolongement ses célèbres « Tas de pois ». Par le passé, ils étaient craints par les marins souhaitant accoster à Camaret et causèrent plusieurs naufrages.
Sur le replat de la falaise, une immense croix de Lorraine en granit, inaugurée par le général De Gaulle en 1951, commémore les Bretons de la France libre. En effet, comme un symbole, la vue est imprenable et le sentiment de liberté est total.
Eugène Boudin se serait régalé ici avec les ciels changeants qui, en quelques minutes, modifient complètement l’atmosphère dégagée par le paysage ainsi que nos sensations et émotions.
Le temps nous manque, j’envie les randonneurs qui suivent méthodiquement les sentiers douaniers.
Un peu plus tard, je serai « Morgat de toi » ancien petit village de pêcheurs devenue peu à peu, à la fin du XIXe siècle, station balnéaire grâce à de riches familles parisiennes et l’industriel Armand Peugeot qui projeta la société à son nom dans l’ère de l’automobile.
J’ai le béguin de ces maisons et commerces avec leurs façades aux couleurs vives.
Une guérite propose des balades en bateau jusqu’aux grottes réputées pour leur teinte rouge due aux oxydes de fer. Pour les décrire, rien de mieux que vous offrir un extrait de Par les champs et les grèves, un récit à deux voix de Gustave Flaubert et Maxime Du Camp sur leur grand tour de Bretagne qui les amena jusqu’à la presqu’île de Crozon :
« Elles sont peu profondes et soutenues par des retombées de roches qui s’appuient à terre comme d’énormes piliers. Le jour les illumine étrangement, se brisant aux angles et éclairant d’une lumière verdâtre les parois humides où se marient toutes les teintes les plus douces, depuis le rouge foncé jusqu’au bleu d’argent. Une eau limpide oubliée par le flux s’écoule lentement des vasques naturelles de la pierre et creuse de petits ruisseaux dans le sable sur lequel courent en criant les alouettes de mer. Pour aller visiter la plus grande, nous montâmes en canot. Nos deux rameurs donnèrent quelques coups d’aviron, nous glissâmes sur les flots qui nous remuaient à peine et bientôt nous entrâmes avec une vague au sein de la falaise dans un merveilleux palais souterrain.
La voûte est haute et découpée en stalactites irisées de mille couleurs elle s’abaisse brusquement vers le fond et plonge dans l’obscurité. Le moindre cri résonne lugubrement, se heurte aux échos et retombe dans la poitrine qui l’a lancé. Au milieu, un petit rocher sort sa tête au-dessus de la mer qui le baigne et l’entoure de cercles. Les nuances sont multiples, variées, sans transition, selon les couches de la pierre, ce sont des traînées de sang, des langues de feu vif et blanchissant, des rayons d’azur, des taches de cendre grise, des veines d’un vert pâle comme la malachite, des épanchements lie-de-vin et des filets blonds comme la paille battue. La vague avançait lentement, poussée par une force invisible, et clapotait avec un bruit doux comme le murmure d’un cœur lointain. L’eau, d’abord transparente, s’assombrissait et devenait violette les rochers ruisselaient d’une rosée brillante et la brise nous apportait un bon parfum d’herbe salée.
Absorbés dans une ardente contemplation, immobiles, silencieux, nous étions sur notre barque comme ces chevaliers errants que la tempête conduisait dans la demeure mystérieuse des génies et des nymphes. Là, au fond, dans l’ombre noire, s’ouvre peut-être la porte de diamant qui mène au royaume nacré habité par les enchanteurs, le nain résonnant des grelots est là, derrière sans doute, prêt à souffler dans sa trompe d’ivoire, et les monstres hideux qui doivent nous disputer le passage vont arriver bientôt en vomissant du feu avec un bruit d’écailles. Car c’est là, lorsque le soleil embrase la nature, qu’elles viennent, ces charmantes déesses, chercher l’abri et la fraîcheur de l’eau, c’est là que les ondes baisent leurs beaux seins nus c’est là que Virgile chante des ballades, que Morgane conte ses légendes d’amour, que la fée des roseaux se tresse des guirlandes et que la fée Mignonne file le lin enroulé à son fuseau d’or.
Nous n’en vîmes aucune cependant et nous nous éloignâmes pleins de cette tristesse que donne le spectacle des belles choses. ». Il faut peut-être venir ici pour découvrir les filles de Camaret sous leur vrai jour!
Après être allés jusqu’à la Pointe de la Chèvre, c’est également avec une certaine nostalgie que nous devons quitter la presqu’île de Crozon, rendez-vous à notre nouvelle chambre d’hôte oblige.
Auparavant, après la mer, un petit tour en montagne, oh pas bien méchante, car le Menez Hom culmine à 330 mètres d’altitude. Le point de vue par temps clair est remarquable, on distingue notamment la presqu’île de Crozon jusqu’à la pointe de Pen-Hir, la baie de Douarnenez avec la pointe du Raz, et même l’Aulne maritime avec les haubans du pont de Térénez.
Tandis que quelques parapentistes se préparent à sauter, je plonge dans la légende celtique et vous offre un instant de communion avec Alan Stivell, en souvenir d’un chouette concert au Palais des Sports de Paris, au début des années 1970.
Notre logis est répertorié à quelques kilomètres de là sur la commune de Plomodiern mais le GPS perd encore son breton. Nous finissons par débarquer à l’hôtel-crêperie de Pors-Morvan, un havre de paix complètement perdu dans la campagne profonde.
Cependant, nous décidons de calmer notre envie de plateau de fruits de mer à Douarnenez distant d’une vingtaine de kilomètres.
Douarnenez vit encore sur sa réputation de grand port sardinier qu’il n’est pourtant plus.
Comme un aveu de son très net déclin observé depuis le début des années 1970, une des curiosités de la ville est désormais le Port-musée qui œuvre pour une culture maritime avec une riche collection de bateaux, dont certains visitables, et de documents sur la vie des pêcheurs autrefois. J’apprends ainsi que la chaloupe sardinière et le langoustier à voûte à voiles furent des embarcations emblématiques de Douarnenez. Je découvre également qu’autrefois, les habitants de Douarnenez, et notamment les femmes, étaient affublés du sobriquet de Penn Sardin (tête de sardine) en référence au travail des ouvrières des conserveries qui coupaient la tête des poissons pour les entasser dans les boîtes.
« Pour faire une chanson facile, facile,
Faut d’abord des paroles débiles, débiles,
Une petite mélodie qui te prend bien la tête,
Et une chorégraphie pour bien faire la fête,
Dans celle là, on se rassemble, à 5, ou 6, ou 7
Et on se colle tous ensemble, en chantant à tue tête.
Ha! Qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boite,
Chantent les sardines, chantent les sardines … »
Excusez cet instant d’égarement franchouillard ! Je me ressaisis, en guise de souvenir, plutôt que des cartes postales, le gourmand que je suis fait provision de quelques boîtes de sardines dans une boutique d’une vieille conserverie locale installée sur le quai du Port Rhu. Pour être franc, elles sont loin d’être aussi goûteuses que celles de la Belle-Iloise à Quiberon qui a même ouvert désormais une enseigne à Saint-Germain-des-Prés.
Ça sent la faim, tout commence dans le Finistère déclame un slogan de communication. Nous jetons notre dévolu sur l’accueillante plage des Sables Blancs à l’extrémité ouest de la ville.
Accueillante, c’est à voir, un jour de janvier dernier, des milliers de méduses urticantes Pelagia noctiluca (appelées aussi piqueur-mauve) se sont échouées là.
En une belle lumière de fin d’après-midi, jeunes et moins jeunes profitent des happy hours. Nous préférons ouvrir la bouteille de muscadet bien gouleyant qui accompagnera le plateau Duo de fruits de mer. Ici, ils sont d’une grande fraîcheur, certains étant pêchés du matin, le patron possède ses propres casiers. Crabes et langoustines sont même encore vivants à l’instant de la commande.
La journée s’achève par un magnifique coucher de soleil qui incendie la baie. Dans quelques jours, se déroulera, comme chaque année, la très populaire Nuit des Sables Blancs. Si j’en crois les affiches, les filles de Douarnenez sont également avenantes…