Il était une fois le château de Breteuil …
Il était une fois au château de Breteuil …
Mon billet commence comme un conte, vous verrez bientôt que c’en est un ou presque.
Si vous envisagez de vous rendre au dit château, sans GPS, cela relève un peu du jeu de piste. Il se fait très discret même si les multiples panneaux indicateurs placés à l’intersection de nombreuses petites routes de la vallée de Chevreuse semblent nous y mener directement.
Comme son nom ne l’indique pas, il est situé sur le territoire de la modeste commune de Choisel, dans le département des Yvelines, à 35 kilomètres au sud de Paris. Vous le découvrez soudain dans la perspective d’une allée boisée.
Ce n’est pas la première fois que je le visite. Quel élan m’a poussé à y revenir le dimanche de Pâques au milieu d’une foule d’enfants agités à l’idée de la grande chasse aux œufs dans le parc du château ? Peut-être, tout simplement, le plaisir de me replonger dans l’Histoire et des histoires.
Ne vous laissez pas abuser par l’absence d’affluence sur certaines photographies prises précédemment. C’est jour de fête. Au faîte du logis principal, flotte le drapeau figurant le blason des seigneurs du lieu : sur champ d’azur, un épervier d’or tient dans ses serres des rubans et des clochettes. Les couleurs sont symboliques, le bleu pour la beauté, le jaune pour la richesse et le soleil.
Le cadran solaire en façade, effacé à l’occasion de ravalement successifs, a été restauré en 2004 par un cadranier (j’ignorais l’existence de cette corporation) de Thiers. Il servait à régler l’horloge mécanique qui pouvait prendre plusieurs minutes de retard ou d’avance par semaine. Il indique l’heure solaire locale du château quand la météo, capricieuse aujourd’hui, le permet.
Au-dessus, on relève la devise de la famille de Breteuil : NEC SPE NEC METU, « ni par l’espoir, ni par la crainte ».
Ici, on vit encore, du moins dans l’esprit, à l’heure ancienne, et surtout, en famille.
En effet, Charles Le Tonnelier de Breteuil hérita en 1712 du domaine qui, depuis, a été transmis de père en fils jusqu’à nos jours.
Dans la grande galerie qui sert de salle d’attente, sont accrochés des portraits des illustres ancêtres de la lignée des Breteuil, et des monarques sous le règne desquels ils vécurent ou qu’ils servirent même parfois.
Ainsi, il est précisé sur la toile elle-même que Louis Le Tonnelier de Breteuil fut contrôleur des finances de 1657 à 1665, sur une proposition du cardinal Mazarin. Mort en 1685, il ne hanta donc jamais le château.
Louis-Auguste, baron de Breteuil, fut le grand homme de la famille à la veille de la Révolution. Il embrassa d’abord une carrière de diplomate. Ambassadeur en Suède, il fut envoyé ensuite à Vienne puis à Naples. Médiateur, au nom de Louis XVI, durant la guerre de Succession de Bavière, et acteur influent dans la négociation du traité de Paix de Teschen, il en fut récompensé, nous apprendrons comment plus tard.
Ministre de la Maison du Roi sous Louis XVI, de 1783 à 1788, il est perçu comme le premier ministre de l’Intérieur, au sens moderne de la fonction.
C’est en son hommage que fut baptisée, à proximité des Invalides, la cossue avenue de Breteuil. Dans mon enfance, elle faisait partie de mes acquisitions préférées au Monopoly avec les autres cartes vertes, l’avenue Foch et le boulevard des Capucines. On ignorait en ce temps des Trente Glorieuses, les dangers et dégâts de la spéculation immobilière. Cela dit, je suppose qu’un sérieux lifting du jeu de société, au moins déjà en raison du passage à l’euro, a été effectué.
C’est aussi le même Louis-Auguste qui, pour avoir négocié avec succès le rachat par le roi du domaine de Saint-Cloud, fut autorisé en remerciement à y établir sa résidence au pavillon du Mail. Ainsi, comme son nom ne l’indique pas encore une fois, cet ancien trianon du château de Saint-Cloud devint le pavillon de Breteuil qui abrite depuis 1875 le Bureau International des Poids et Mesures. Est conservé en ce lieu le premier mètre étalon, une barre d’un alliage de platine et d’iridium, définissant l’unité de base de longueur du système international.
Même les étalons se fatiguent et, aujourd’hui, le mètre est considéré comme la longueur du trajet parcouru par la lumière dans le vide pendant une durée de 1/299 792 458 de seconde.
En ce début d’après-midi, c’est l’actuel propriétaire du château, le marquis Henri-François de Breteuil, qui nous accueille en personne. Vu l’affluence, il filtre les départs de la visite par groupes de vingt-cinq personnes toutes les trois minutes. Des jeunes guides en costume d’époque nous attendent dans quelques points privilégiés de la promenade.
Ainsi, nous traversons presque au pas de course le salon doré. Connaissant les lieux, je jette un œil, cependant, à la vaisselle provenant de la prestigieuse manufacture suédoise de Marieberg. Décorée des armoiries des Breteuil, elle fut offerte à Louis-Auguste en tant qu’ambassadeur à Stockholm.
Séquence polar, par un escalier presque dérobé, nous accédons à l’étage où une jeune fille nous raconte très brièvement la fameuse Affaire du collier de la reine en présence des principaux protagonistes, le roi Louis XVI, son épouse Marie-Antoinette, le cardinal de Rohan et l’incontournable Louis-Auguste baron de Breteuil.
Gageure intenable que dérouler le fil de l’affaire en 3 minutes (le groupe suivant va surgir bientôt !), ou en quelques lignes ici, quand Alexandre Dumas en fit un roman.
Louis XV désirant offrir un cadeau précieux à sa favorite Jeanne Bécu alias la comtesse du Barry (quelques boîtes de foie gras auraient mieux fait « l’affaire » !), avait commandé un bijou en diamants de grande valeur aux artistes joailliers Bœhmer et Bassange.
Entre temps, le souverain mourut et, en toute logique, les joailliers proposèrent le collier à son petit-fils Louis XVI qui le refusa, reculant devant l’énormité du prix (1 600 000 livres). Il se dit aussi que c’est Marie-Antoinette elle-même qui n’en voulut pas parce qu’il était promis à l’origine à la du Barry qu’elle avait chassée de la Cour pour son impertinence.
Des escrocs de haut-vol (Madame de la Motte et son mari) persuadèrent alors le peu catholique cardinal de Rohan, grand aumônier de France et épris de la reine, qu’il obtiendrait les faveurs de la souveraine en l’aidant à acheter le collier en secret.
Je passe sur les faux et usages de faux, une rencontre avec un sosie de la reine, bref le naïf prélat, ayant récupéré le bijou, le donna sans confession aux escrocs qui écoulèrent aussitôt les diamants à l’étranger.
Bientôt, le scandale éclata à la Cour, précisément le jour de l’Assomption 1785 avant que la messe ne soit célébrée à Versailles … par le cardinal. Marie-Antoinette pria instamment le roi d’embastiller sur le champ le cardinal.
C’est ce moment où Louis XVI signe l’ordre d’arrestation de l’ecclésiastique, en présence de Louis-Auguste de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, qui est mis en scène. Le teint cireux des personnages fabriqués au musée Grévin n’est pas uniquement lié à la gravité de la situation !
Après enquête, le cardinal fut innocenté, la comtesse de la Motte reconnue coupable, et une campagne médiatique sans précédent (plus de deux siècles avant le Penelope Gate !) accabla Louis XVI et Marie-Antoinette. Trois ans plus tard, ce fut la Révolution. Le collier avait disparu, de toute manière, la tête de la reine roula bientôt dans la sciure de l’échafaud. « La belle affaire », pourrait conclure le favori des actuelles élections présidentielles !
Dans la bibliothèque voisine toute tapissée de vert et décorée de boiseries, je tombe nez à nez avec Louis XVIII assis dans son fauteuil roulant légué par le roi en personne en 1824 à Charles cinquième marquis de Breteuil.
Le roi souffrait d’une goutte qui empira avec les années et lui rendait tout déplacement extrêmement difficile à la fin de son règne. Il se baptisa lui-même le « roi fauteuil ». Le jeune guide enclin à distraire son auditoire cite l’autre sobriquet de « Louis dix-huîtres » attribué au souverain : gourmet et gourmand jusqu’à la voracité, lecteur assidu du poète Horace disciple d’Épicure, grand amateur du mollusque, il en aurait avalé plus d’une centaine lors d’un repas au cours de son repli à Gand. Chateaubriand prétend qu’il aurait entendu là les roulements lointains de l’artillerie de Waterloo.
Je me souviens à cet instant d’une « récitation », Les belles familles, de Jacques Prévert dont on célèbre, cette année, le quarantième anniversaire de sa mort.
Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVII
Louis XVIII
et plus personne plus rien…
qu’est-ce que c’est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu’à vingt ?
On disait entre camarades que ce poème gag était fastoche à apprendre ! C’est pour cela sans doute que le professeur pinailleur (il s’agissait de mon père !) demandait en question subsidiaire quelque précision supplémentaire sur Louis X fils de Philippe le Bel et de Jeanne reine de Navarre. On le surnomma le Hutin (et parfois le Querelleur) parce qu’il était « entêté ». Il mourut en 1316 d’avoir bu de l’eau glacée après une partie de jeu de paume qui l’avait mis en nage (version officielle !). Son fils Jean Ier le Posthume, né quelques semaines après sa mort, n’eut pas le privilège de monter sur le trône car il décéda cinq jours plus tard.
Retour à Louis XVIII qui est en compagnie du seigneur de la maison Charles marquis de Breteuil, préfet de Chartres puis de Bordeaux, et de Élie Louis Decazes.
Decazes, homme de police, ancien collaborateur de Fouché, détesté des ultraroyalistes, sut gagner les faveurs du roi qui l’appelait « mon fils ».
Chateaubriand, encore, écrivit dans ses Mémoires d’outre-tombe, à propos de la connivence entre Louis XVIII et Decazes :
« Se fait-il dans le cœur des monarques isolés, un vide qu’ils remplissent avec le premier objet qu’ils trouvent ? Est-ce sympathie, affinité d’une nature analogue à la leur ? Est-ce une amitié qui leur tombe du ciel pour consoler leur grandeur ? Est-ce un penchant pour un esclave qui se donne corps et âme, devant lequel on ne se cache de rien, esclave qui devient un vêtement, un jouet, une idée fixe, liée à tous sentiments, à tous les goûts, à tous les caprices de celui qu’elle a soumis et qu’elle tient sous l’empire d’une fascination invincible ? Plus le favori est bas et intime, moins on le peut renvoyer, parce qu’il est en possession de secrets qui feraient rougir s’ils étaient divulgués. »
En reconnaissance des services rendus, Élie Decazes devint comte puis 1er duc Decazes et duc de Glücksberg. Ma curiosité maladive (?), au cours de la visite, m’a conduit à repérer que l’épouse de l’actuel marquis de Breteuil qui était à l’accueil est née Séverine Decazes de Glücksberg, fille du 4ème duc Decazes et 4ème duc de Glücksberg ! Vous en déduirez ce que vous voulez.
Bon, je ne voudrais pas semer la zizanie dans les « belles familles », passons donc au fumoir pour célébrer l’Entente cordiale.
On avance dans l’histoire de la famille de Breteuil. Henri, huitième marquis de famille, était un ami intime du Prince de Galles, futur roi d’Angleterre Édouard VII, et organisa plusieurs rencontres avec Léon Gambetta président de la chambre des députés sous la Troisième République. C’est l’une de ces entrevues secrètes qui est mise en scène.
Organisée le 12 mars 1881, elle prétend poser les bases de la future Entente cordiale entre le Royaume-Uni et la République française, simple accord signé seulement le 8 avril 1904 et destiné à aplanir les différends coloniaux entre les deux ennemis héréditaires. Ce n’est pas si mal que cela quand on se souvient que les deux nations avaient failli en découdre, six ans plus tôt, à propos de Fachoda, une petite bourgade du Soudan.
Pour ce qui concerne l’Entente cordiale, elle découle de la constitution par le chancelier Bismarck de la Triple Alliance réunissant l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Le ministre des Affaires étrangères Delcassé, souhaitant une revanche sur l’Allemagne qui s’était emparée de l’Alsace et la Lorraine en 1871, facilita le rapprochement avec Londres, d’autant plus aisément qu’Édouard VII se passionnait pour le gai Paris.
Des cuisines, montent les effluves du déjeuner du 3 mai 1905 organisé pour célébrer l’accord, au château de Breteuil, en présence du souverain britannique.
Lectrices (et lecteurs) cordon bleu, voici quel fut le menu :
Timbale de macaronis à l’indienne
Brochet à la royale
Selle de pré-salé et petits pois à l’anglaise
Poulardes bressanes sauce champignon
Jambon d’York à la gelée
Gelée d’oranges dans leur écorce
Petits fondants
Chester cake
Pour accompagner, on déboucha des bouteilles de Château Yquem 1874 et Château Haut-Brion 1877.
Quelques années plus tard, en 1912, le jeune Prince de Galles, futur Édouard VIII et duc de Windsor, séjourna longuement au château de Breteuil pour parfaire son français. Mon tailleur est riche (probablement comme celui de Fillon) !
Je me glisse dans la chambre contiguë in the bed with Marcel Proust.
L’écrivain qui apporte, allongé sur son lit, quelques retouches à sa recherche du temps perdu fut plusieurs fois l’invité d’Henri de Breteuil. En reconnaissance, il attribua les initiales du marquis à un de ses personnages Hannibal de Bréauté. Prénommé Baba par ses amis, son nom apparaissait sur la liste des amants d’Odette de Crécy envoyée à Swann dans une lettre anonyme : « Un jour il reçut une lettre anonyme, qui lui disait qu’Odette avait été la maîtresse d’innombrables hommes (dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M. de Bréauté et le peintre), de femmes, et qu’elle fréquentait les maisons de passe. »
Au lit, on ne fait pas qu’écrire. Je ne résiste pas à vous livrer le contenu d’un manuscrit qui sera mis aux enchères (entre 6 et 8 000 euros) à l’hôtel Drouot dans quelques jours.
Dans sa lettre jouissive, Proust se plaint à son loueur du boucan fait par ses voisins : « Les voisins dont me sépare la cloison font d’autre part l’amour tous les 2 jours avec une frénésie dont je suis jaloux. Quand je pense que pour moi cette sensation est plus faible que celle de boire un verre de bière fraîche, j’envie ces gens qui peuvent pousser des cris tels que la première fois j’ai cru à un assassinat. Mais bien vite le cri de la femme repris une octave plus bas par l’homme, m’a rassuré sur ce qui se passait. [...] Je serais désolé que Madame votre mère m’attribuât tout ce boucan, qui doit être entendu jusqu’à des distances aussi grandes que ce cri des baleines amoureuses que Michelet montre dressées comme les deux tours de Notre-Dame. [...] Je vous prie réhabilitez-moi auprès de Madame votre mère pour l’amour et pour le piano ».
En arpentant les couloirs, on tombe parfois nez à nez, sinon sur des bustes des différents marquis de Breteuil, du moins sur le marquis de Carabas ou presque, des automates de son collègue de cour des contes, le Chat botté.
Dans des cabinets de curiosités, on peut admirer des objets rares, ainsi une édition originale de la Description de l’Égypte commencée à la suite de l’expédition de Napoléon Bonaparte et terminée sous Louis XVIII. Elle comporte 26 volumes et fut offerte par le roi Charles X, en 1830, au 5ème marquis de Breteuil pair de France.
Non loin de là, séance de spiritisme, on regarde tourner un joyau témoin de l’histoire de France et de l’Europe : l’extraordinaire et extravagante table de Teschen offerte à Louis-Auguste de Breteuil par Frédéric-Auguste III électeur de Saxe pour son efficace médiation entre la Prusse et l’Autriche pour la Paix de Teschen en 1779. Cet épisode constitue un événement majeur dans l’histoire de la diplomatie européenne : le roi Louis XVI, son ministre Gravier de Vergennes et Louis-Auguste Le Tonnelier baron de Breteuil, ambassadeur à Vienne, imaginèrent avant l’heure les principes de la Société des Nations.
La paix a un prix. Œuvre de Johann Christian Neuber, orfèvre à la Cour de Saxe, la Table de Teschen a été vendue douze millions d’euros au musée du Louvre (premier étage de l’aile Sully), en 2014. C’est donc une réplique qui tourne devant moi cet après-midi mais j’eus donc l’occasion d’admirer l’original lors de précédentes visites.
Réalisée en bronze doré sur âme de bois, elle est incrustée de 128 échantillons de pierres précieuses, agates, grenats, opalines, qui représentent les richesses géologiques de la Saxe, auxquels s’ajoutent sur le plateau ovale des médaillons allégoriques de la paix en porcelaine de Saxe.
Au mur, est encadré le collier de la reine. Il s’agit bien sûr d’une représentation car on ignore quelle en était la forme et, pour cause, il n’a jamais été retrouvé et les diamants furent dispersés chez plusieurs recéleurs.
La pièce suivante est dédiée à Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, communément appelée Émilie du Châtelet et plus simplement encore Émilie de Breteuil, un lycée dans la ville nouvelle voisine porte ce patronyme. Elle est la fille de Louis Nicolas Le Tonnelier baron de Breteuil officier de la maison du Roi sous Louis XIV.
détail avec compas
Elle n’est souvent connue, en particulier dans nos bons vieux manuels de littérature française Lagarde et Michard, qu’à travers la liaison passionnée de quinze ans qu’elle entretint avec Voltaire.
Elle fut pourtant la première « femme savante » et, sans conteste, une « femme des Lumières ».
Mathématicienne, physicienne et femme de lettres, elle est notamment renommée pour sa traduction en français des Principia Mathematica d’Isaac Newton. Elle intervint avec talent dans les querelles scientifiques entre les tenants de Newton et ceux de Leibniz. Elle démontra par l’expérience que la « force vive » (la future énergie cinétique) était bien proportionnelle, comme Leibniz l’avait formulée, à la masse et au carré de la vitesse (le futur e=mc2).
Si elle était encore de ce monde, Émilie nous aurait renseignés que pour lire l’heure légale de la montre à partir du cadran en façade du château, il faut apporter trois corrections : le fuseau horaire en France (+1h en hiver, +2h en été), l’écart de longitude du lieu en temps par rapport à Greenwich (moins 8 minutes) et l’équation du temps, en minutes, due à la révolution de la terre en fonction de la date (ainsi, le 21 juin, heure d’été, à 10h au cadran, il est 10h+2h-8 minutes+ 1 minute, soit 11h 53 à votre montre !).
Dans un ouvrage consacré à Leibniz, dans la préface dédiée à son fils, elle écrivait : « J’ai toujours pensé que le devoir le plus sacré des hommes était de donner à leurs enfants une éducation qui les empêchât, dans un âge plus avancé, à regretter leur jeunesse ».
Deux jeunes musiciens, une violoniste et un guitariste, nous accueillent avec une musique de chambre dans la salle à manger.
Pour les fêtes de Pâques, une table a été spécialement dressée. Sinon, c’est ici que fut servi le déjeuner du 3 mai 1905 pour célébrer l’Entente cordiale. Dans une vitrine, devant une tapisserie de la manufacture des Gobelins illustrant des légendes de l’Antiquité, je remarque une copie d’une pièce montée en forme de gondole vénitienne réalisée à partir d’une recette de l’illustre Antonin Carême, roi des cuisiniers et cuisinier des rois.
Dans un cabinet contigu, un orchestre de chats bottés ronronne de plaisir à notre passage. Le dossier et l’assise des fauteuils de style représentent des fables de La Fontaine, notamment Le Loup et l’Agneau ainsi que Le Corbeau et le Renard.
À l’étage inférieur je me recueille quelques instants dans la chapelle dont les vitraux viennent de la cathédrale de Chartres.
Encore quelques marches, pour descendre en sous-sol aux anciennes cuisines où s’active le personnel. On en salive de tourner autour des fourneaux et d’une table reconstituée.
Les événements au château rythment les menus et la décoration, les œufs sont à l’honneur en ce dimanche pascal.
Un livre Tables d’excellences fait revivre, à travers 62 recettes gourmandes concoctées sur les pianos du château, les personnes illustres qui ont fréquenté les lieux, rois, princes, ministres, Voltaire, Proust … Au menu d’Émilie (du Châtelet) ou l’ambition féminine, étaient servies des escalopes de foie gras aux fruits du mendiant, gaufre au pain d’épices et marrons épicés , avec pour suivre, des canons d’agneau rôtis, tian de légumes, fèves fraîches du potager, sauce aux truffes noires !
Un autre menu intitulé Succès diplomatiques & Temps troublés m’interpelle : on y relève un Collier de la reine, Ferme de Gally, une exploitation agricole attenante au château de Versailles où, dès les beaux jours, nous allons ramasser fruits et légumes de plein champ.
Malgré l’excitation suscitée par la prochaine chasse aux œufs, petits et grands se taisent un instant dans la chambre de la Belle au bois dormant.
Le château de Breteuil est connu aussi pour être celui des contes de Perrault. Outre d’être un homme de lettres, Charles Perrault occupa la fonction de commis dans l’administration de la recette générale des finances sous Louis XIV. C’est là qu’il rencontra le ministre Louis de Breteuil qui précéda Colbert à la charge de contrôleur général des finances. Les Breteuil ont la mémoire tenace et fidèle, trois siècles et demi plus tard, ils mettent en scène dans les dépendances du château les célèbres Contes de ma mère l’Oye qui nous ont fait rêver mais aussi parfois trembler dans notre enfance.
À propos, ce chef-d’œuvre de la littérature populaire est-il vraiment un livre pour enfants ? Les horreurs abondent : enfants dévorés, père incestueux, épouse persécutée, fillette agressée dans les bois. Et encore, Perrault censura des épisodes proposés par les versions populaires orales des contes dont il a tiré ses récits : ainsi, le petit chaperon rouge se déshabillait avant de se mettre au lit avec le loup !
Ne craignez rien, chers parents lecteurs, votre progéniture ne sera pas traumatisée quand elle croisera Barbe bleue, Cendrillon, le Petit Poucet, Peau d’âne. Elle l’est encore moins, vous pensez bien, à propos de la question pas seulement orthographique qui me taraude devant la pantoufle de Cendrillon : est-elle de verre ou, comme l’écrivit Balzac, de vair (fourrure d’écureuil gris) ?
Voilà lancée une nouvelle Querelle des Anciens et des Modernes comme celle qu’initia le « progressiste » Charles Perrault lui-même (bien que friand d’histoires du passé) à l’Académie française et qui agita le monde artistique et littéraire de la fin du XVIIe siècle.
Boileau meneur du courant classique n’aurait aucune chance de faire entendre raison à la marmaille turbulente qui s’extasie cet après-midi devant les personnages des contes de Perrault. Comme la ronde d’enfants, accompagnés du Chat botté, qui s’est formée autour de la statue de l’écrivain dans un bosquet du jardin des Tuileries !
Moi, je profite que cette jeunesse soit rassemblée pour une représentation du conte Les Fées, pour aller me promener dans les jardins et bois du château … pendant que le loup n’y est pas.
Le colombier est l’unique vestige de l’époque médiévale. Avec ses 3 200 boulins servant de nichoirs aux pigeons, il est l’un des plus vastes de France. Au Moyen-Âge, on y recueillait la colombine soit la fiente des pigeons qu’on utilisait comme engrais de fertilisation.
Plus culturel, on y découvre, aujourd’hui, une exposition Breteuil à table avec des maquettes d’une dizaine de grands tableaux de l’histoire de l’art (Brueghel l’Ancien, Le Nain, Chardin, Renoir, Bonnard entre autres) illustrant des scènes de repas.
J’ai loisir maintenant de me promener dans le jardin à la française composé autour d’un miroir d’eau à l’arrière du château.
N’y voyez aucun rapport avec le Brexit, je renonce, ce jour, à visiter le jardin à l’anglaise ou à me perdre dans les sous-bois à la découverte de grands arbres remarquables (un exceptionnel cèdre du Liban) et d’étangs bucoliques propices aux belles histoires.
Ce n’est pas déplaisant parfois la vie de château !