Auprès de ton arbre, je me souviendrai …
À Marc,
Je crois ne vous l’avoir jamais dit, lorsque mon blog me laisse un peu de liberté, je m’occupe de ma copropriété dont j’assure la présidence du conseil syndical.
À moins que ce ne soit l’inverse tant cette seconde tâche est envahissante et réclame beaucoup de temps et d’énergie. Pour en appréhender l’ampleur, j’aime la comparer à la fonction de maire d’une commune d’environ trois cents habitants.
Dans la volonté de maintenir une harmonie et le bien-vivre au sein de ce microcosme, on est confronté en vraie grandeur, à toutes les composantes sociales et sociétales qui divisent ou, heureusement, rapprochent et rassemblent aussi : le communautarisme, le mariage pour tous, le handicap, l’écologie, le chômage ou la précarité avec ses répercussions sur les impayés de charges, l’individualisme, les incivilités de certains aussi.
On y noue parfois de belles amitiés. Même si on y vit assez bien, il arrive qu’on y meure.
Ainsi, j’ai perdu, au printemps dernier, un ami cher et dévoué qui jouait aussi un rôle prépondérant pour le bien-être des résidents.
« C’était mon copain
C’était mon ami
J’écoute la ballade
De la Mort, de la Vie … »
Je ne sais pas pourquoi mais, à chaque fois que la grande faucheuse vient s’en prendre à un de mes amis, je pense à cette magnifique chanson de Gilbert Bécaud, quand bien même les circonstances pour lesquelles elle fut écrite soient très différentes.
L’émotion fut si vive que les membres du conseil syndical décidèrent unanimement qu’un arbre du souvenir soit planté, au cœur de la résidence. Sans qu’il soit consulté, le responsable de la société en charge des espaces verts de la copropriété, souhaita offrir gracieusement cet arbre.
« À la Sainte Catherine, tout bois prend racine » ! Une fin d’automne particulièrement douce permit d’ajourner la plantation de quelques semaines. C’est ainsi qu’il y a quelques jours, en présence d’une assistance sincère, s’est déroulée l’émouvante cérémonie.
Après avoir pris la parole lors des obsèques puis brossé un portrait de notre ami en ouverture de l’assemblée générale de la copropriété, j’ai souhaité, cette fois, évoqué la symbolique des arbres, un sujet que nous avions d’ailleurs abordé ensemble, mon ami et moi, au cours d’une de nos nombreuses conversations, assis sur un banc voisin de l’espace choisi pour la plantation. Pour vous, chers lecteurs, je prolonge ici mon exposé en l’enrichissant.
Bien qu’en l’occurrence, il ne s’agisse pas d’un lieu de sépulture, en introduction, je vous offre un superbe poème de Victor Hugo que mon professeur de père nous donna à apprendre au collège, un hymne à la nature : Aux arbres …
« Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! -
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! C’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai. »
L’écrivain, en les personnifiant, nous montre combien les arbres lui sont chers, combien ils sont pour lui des amis, des compagnons.
Les hommes sont tellement liés aux arbres qu’un grand nombre de nos patronymes puisent leur origine dans le nom de leurs espèces.
Ces noms de famille peuvent être nés d’un sobriquet en rapport avec une caractéristique d’un arbre, la robustesse d’un chêne, la souplesse d’un saule.
« Le rageur » de Jean-Baptiste Camille Corot (en forêt de Fontainebleau)
Plus sûrement, ils seraient attachés à la présence d’un ou plusieurs arbres remarquables à proximité de l’habitat de la personne. Loin de prétendre à l’exhaustivité tant les racines sont nombreuses, j’en citerai quelques exemples.
Grâce au chêne, on rencontre les patronymes Chêne, Chesne, ses dérivés Chesnel (les rillettes Bordeau-Chesnel, nous n’avons pas les mêmes valeurs !), Chenet, Chesneau, Chesnault, Chesnot, Duchêne, Duchesne, Duchesneau, Chesnais, Chesney, Chesnoy, le composé Beauchêne. Dans mon Pays de Bray natal (proche de la Picardie), parmi les pensionnaires du collège de ma maman, je me souviens de jeunes filles Quesnel, Beauquesne, Duquesne, Duquesnoy et même une Arrachequesne (un aïeul assez fort pour arracher un chêne ou tout simplement un bûcheron ?).
Plus répandus dans le Midi, sont les Cassou, Cassan, Cassoulet (petit chêne), Ducasse, Cassagne. Du chêne rouvre dérivent les Rouve, Rouvel, Rouvière.
Le châtaignier est responsable entre autres des Castans, Chastang, Chastaing, Chastanier, Castagnède.
À l’orme (ou ormeau) qui a pratiquement disparu de nos contrées à cause de la maladie de la graphiose, ont survécu les Delorme, Delhomme, Delhommeau, Desormeaux, Ormières, Dormoy, Humez, Almeras. L’académicien, plein de noblesse, Jean D’Ormesson, tient son nom d’un lointain ancêtre moyenâgeux qui baptisa ainsi son château et son village parce que situés en un lieu planté d’ormes.
Du frêne sont nés les Dufresne mais aussi les Fraysse et Freysson.
Plus subtil, au hêtre (dérivé du latin fagus) se rapportent les patronymes Fayolle, Fayard, Fay.
En ces temps de primaires de la gauche, il fut des ministres socialistes qui se nommaient Sapin et Lebranchu.
Ce ne sont là que quelques arbres qui cachent une vaste forêt de noms de famille. Beaucoup d’entre nous tentons de dresser notre arbre généalogique pour visualiser ascendance et descendance.
Vous connaissez au moins son roman Zazie dans le métro, l’écrivain poète, dramaturge et cofondateur du groupe littéraire Oulipo, Raymond Queneau, se référa à l’étymologie de son nom pour donner le titre à sa réjouissante autobiographie en vers, Chêne et Chien, tirée des mots normands quenne et quenet désignant respectivement l’arbre et l’animal.
Au risque que vous me reprochiez d’être hors sujet, je ne résiste pas à vous en livrer les premiers vers :
« Je naquis au Havre un vingt et un février
en mil neuf cent et trois.
Ma mère était mercière et mon père mercier :
Ils trépignaient de joie.
Inexplicablement je connus l’injustice
et fus mis un matin
chez une femme avide et bête, une nourrice,
qui me tendit son sein.
De cette outre de lait j’ai de la peine à croire
que j’en tirais festin
en pressant de ma lèvre une sorte de poire,
organe féminin. … »
Je vous laisse méditer sur une citation du même Queneau : « Il y a deux sortes d’arbres, les hêtres et les non-hêtres ». Simple exercice de style ?
La toponymie de nombreux villages et lieux-dits provient aussi des arbres. Ainsi, au temps de ma « splendeur vélocipédique », je pédalais volontiers, en forêt de Rambouillet, du côté de la petite commune de Grosrouvre et des lieux-dits Le Chêne Rogneux et La Cour de l’Orme.
Justement, Pline l’Ancien, dans son Histoire Naturelle, rapporte : « Les druides n’ont rien de plus sacré que le gui et l’arbre qui le porte, pourvu que ce soit un rouvre. Le rouvre est déjà par lui-même l’arbre qu’ils choisissent pour les bois sacrés, et ils n’accomplissent aucune cérémonie religieuse sans son feuillage,. C’est un fait qu’ils regardent tout ce qui pousse sur ces arbres comme envoyé du ciel, et y voient un signe de l’élection de l’arbre par le dieu lui-même. ». Encore fallait-il que Panoramix ne cassât point sa serpe d’or !
L’arbre de Mai est une tradition qui se perd dans la nuit des temps. Les Celtes et les Saxons célébraient Beltaine ou « jour du Feu », le 1er mai, en l’honneur de Bel dieu celtique du soleil. Ils érigeaient un arbre autour duquel ils dansaient pour chasser les mauvais esprits.
Chez les Romains, le mois de mai était celui de Maia déesse de la fécondité.
Au fil des siècles, la plantation du mai, associée au renouveau printanier, perdit progressivement son caractère religieux et devint une fête pour les amoureux au Moyen-Âge.
Fait prisonnier par les Anglais lors de la déroute d’Azincourt (1415), le poète Charles d’Orléans passa vingt-cinq ans à la Tour de Londres. Est-ce là ou plus tard à Amboise qu’il écrivit sa célèbre ballade 48 :
« Trop longtemps vous voy sommeillier,
Mon cueur, en dueil et desplaisir.
Vueilliez vous ce jour esveillier !
Allons au bois le may cueillir
Pour la coustume maintenir !
Nous orrons des oyseaux le glay
Dont ilz font les bois retentir
Ce premier jour du moy de may.
Le Dieu d’amours est coustumier
A ce jour de feste tenir
Pour amoureux cueurs festier
Qui desirent le servir.
Pource fait les arbres couvrir
De fleurs et les champs de vert gay
Pour la feste plus embellir
Ce premier jour du moy de may… »
Ce qui, transcrit en français moderne, signifie :
« Vous dormez trop longtemps, mon cœur,
Dans la douleur et l’affliction:
Veuillez ce jour vous éveiller!
Allons au bois cueillir le mai
Pour obéir à la coutume!
Nous allons entendre le chant
Des oiseaux dont les bois résonnent,
Ce premier jour du mois de mai.
Le dieu d’Amour est coutumier
De donner une fête ce jour
Pour réjouir les cœurs aimants
Qui voudraient être à son service:
Aussi fait-il couvrir les arbres
De fleurs et les prés de vert clair,
Pour donner du lustre à la fête,
Ce premier jour du mois de mai… »
Le père tardif de Louis XII rend hommage à une des fêtes caractéristiques de l’époque médiévale, la plantation du mai. Les paysans obtiennent le droit de prélever dans la forêt du seigneur un jeune arbre pour le planter devant la maison d’une personne que l’on veut honorer. Rite de fécondité dans l’Antiquité associé au renouveau printanier, il perd progressivement son caractère religieux et devient parfois, comme dans la ballade du poète, une fête pour les amoureux.
Face à cette dérive, l’Église sourcilleuse proscrivit cette tradition en stipulant, lors du Concile de Milan de 1579, l’interdiction « le premier jour de mai, fête des apôtres saint Jacques et saint Philippe, de couper les arbres avec leurs branches, de les promener dans les rues et de les planter ensuite avec des cérémonies folles et ridicules. »
Cependant, la coutume n’a pas cessé de se perpétuer au fil du temps, en particulier dans toute l’Europe centrale et septentrionale.
« L’Arbre de Mai » d’Alexis Bafcop (1804-1895)
Encore aujourd’hui, on en trouve des exemples dans nos provinces, ainsi dans les Landes, on célèbre toujours la Maïade et qui s’y promène au mois de mai, remarquera de jeunes pins maritimes (les mais), coupés, enguirlandés de lierre et enrubannés, se dressant devant les maisons et les mairies, en l’honneur d’amis, collègues partant en retraite, jeunes mariés, élus… Lointaine réminiscence du rite ancestral, entre tradition religieuse et républicaine, c’est une occasion féconde de s’envoyer derrière la cravate quelques rasades de sangria sous l’œil bienveillant du curé bonhomme de la paroisse. Chaud chaud sous les bérets et sur les échasses !
À la Révolution Française, le peuple s’enivra de liberté en chantant et fêtant à tout va un ordre nouveau. Pour matérialiser et célébrer l’avènement de la jeune République, de nombreuses municipalités organisèrent en grandes pompes la plantation d’arbres de la Liberté. Celle-ci fut prétexte à réjouissances : devant l’arbre enrubanné, on prononçait des discours, on récitait des strophes patriotiques, les enfants chantaient avant que tout cela ne s’achève par un banquet dit républicain.
Après l’olivier sacré du Parthénon et le chêne des druides celtes, vint donc le temps après 1789 du chêne révolutionnaire symbole de la force. On planta aussi des peupliers à la croissance plus rapide et élancée et dont l’origine du nom (populus) évoque le Peuple, ainsi que des ormes.
L’abbé Grégoire, figure emblématique de la Révolution Française, loua leur popularité dans un rapport à la Convention en 1794 : « On voit dans toutes les communes des arbres magnifiques élever leurs têtes et défier les tyrans: le nombre de ces arbres monte à plus de soixante mille car les plus petits hameaux en sont ornés, et beaucoup des grandes communes des départements du Midi en ont presque dans toutes les rues. »
Digression cocasse, on peut dire que d’une certaine manière, ces arbres d’un ordre nouveau succédaient aux arbres de Mai. À travers certaines anecdotes, on parla même de « Mais insurrectionnaires » dans le Sud-Ouest : « On a planté des mais portant inscription et défense de payer ni recevoir à l’avenir aucune dîme, sous peine d’être pendu ».
Outre arbre de la liberté, d’autres dénominations furent attribuées : arbre de la fraternité, arbre de la raison, arbre de l’égalité, de l’union, et même de l’unité et de l’indivisibilité de la République.
Après l’exécution de Louis XVI (21 janvier 1793), certaines voix pratiquèrent la métaphore entre la vie de l’arbre et la mort du souverain : « L’arbre de la Liberté commence à fleurir depuis que vous l’avez arrosé du sang du tyran » !
Loin de nos querelles locales d’écologistes pour chaque projet de travaux publics, on ne rigolait pas en ce temps-là avec l’arbre révolutionnaire. Ainsi, en place Porte-Neuve à Toulouse, le 23 Germinal an II (12 avril 1794), fut condamné à mort puis guillotiné un certain Jean Capmartin, meunier de son métier, pour avoir coupé l’arbre de la Liberté du Mas-Grenier (aujourd’hui commune du Tarn-et-Garonne) ! En mai 1794, à Clermont, un nommé Michel Faure eut la tête tranchée pour avoir déraciné un arbre en criant « Vive Louis XVII » !
Beaucoup de ces arbres symboles connurent le même sort. Entre Monarchie et République, ils vont connaître des périodes noires.
Après le coup d’État de Brumaire, ils furent souvent baptisés arbres Napoléon. Moindre mal ! Sous la Restauration des Bourbons, Louis XVIII ordonna qu’on fasse disparaître ces emblèmes de la Révolution. En 1830, après la Révolution de Juillet, quelques communes plantèrent quelques nouveaux arbres mais ces initiatives furent vite réprimées.
Il n’en fut pas de même suite à la Révolution de février 1848, les manifestations populaires s’accompagnèrent de nouvelles plantations. Victor Hugo prononça, à l’occasion d’une telle cérémonie place des Vosges, un discours mémorable : « C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre ; comme l’arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre … ». Il poursuivait, je le cite quand même (!) : « Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c’est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la fraternité du genre humain. » Trop clivant de nos jours !
Au début de 1850, on procéda de nouveau à des arrachages massifs et presque tous les arbres de la liberté de Paris furent abattus sur ordre du préfet de police Carlier malgré les grondements du peuple de la capitale.
Avec le retour de la République en 1870, ce fut l’occasion de replanter de nouveaux arbres mais ce fut un mouvement de peu d’ampleur compte tenu du climat de l’époque (guerre contre la Prusse et la Commune). Il connut plus de succès en 1889 avec le centenaire de la Prise de la Bastille et 1892 pour les cent ans de la Première République française.
Aujourd’hui, nous ne rencontrons plus guère ces arbres plantés après la Révolution, victimes de tant d’ « élagages politiques » et de tempêtes météorologiques.
Sait-on qu’un certain Collot d’Herbois écrivit, en 1794, un couplet supplémentaire de La Marseillaise intitulé « À l’arbre de la liberté » :
« Arbre chéri, deviens le gage
De notre espoir et de nos vœux ;
Puisses-tu fleurir d’âge en âge
Et couvrir nos derniers neveux !
Que sous ton ombre hospitalière,
Le vieux guerrier trouve un abri
Que le pauvre y trouve un ami
Que tout Français y trouve un frère
Aux armes citoyens… »
Comédien, auteur dramatique, député montagnard à la Convention nationale et membre du Comité de salut public, artisan du décret d’arrestation contre Robespierre, il fut déporté à Cayenne et finit ses jours sous les palétuviers de Guyane.
Des arbres furent de nouveau plantés après la Grande Guerre de 1914-1918. J’eus l’occasion de l’évoquer dans un des billets consacrés à ma mère, je détiens dans mes archives familiales le compte-rendu d’une cérémonie qui se tint le 27 janvier 1918 sous le patronage de la municipalité de Corneville-sur-Risle (Eure) au cours de laquelle on planta un « arbre de Verdun », en l’occurrence un marronnier à fleurs rouges.
Mon grand-père (que je n’ai malheureusement pas connu, il décéda alors que j’avais 3 semaines), un de ces anciens hussards noirs de la République, redingote noire et barbe blanche, prononça un vibrant discours (ce sont les termes de l’article) dont je vous laisse seul juge du lyrisme : « Au printemps, ses fleurs rouges symboliseront le sang si abondamment versé par leurs aînés, pour faire d’eux, des hommes et des femmes libres. Et, quand à l’automne, ses feuilles tomberont et s’éparpilleront sur le sol, ils penseront à ceux qui sont tombés là-bas, aux héros de la Grande Guerre, si prématurément fauchés pour leur permettre à eux, de vivre en paix. » Ma maman, jeune écolière, récita un poème d’Émile Verhaeren.
Quelques années après le conflit, pour conserver la mémoire de la tragédie et de la terrible bataille de 1916, l’État français décida de créer la forêt de Verdun en plantant (en huit ans) plus de 30 millions d’arbres (moins que d’obus tirés cependant).
Pour marquer le passage dans le troisième millénaire, fut réalisée la Méridienne verte, un projet artistique de l’urbaniste et architecte Paul Chemetov matérialisant le tracé du méridien de Paris à travers toute la France du Nord au Sud par une ligne de 10 000 arbres. Signe des temps, il semblerait que le respect soit moins de mise et qu’en divers endroits, l’œuvre paysagère ait souffert.
L’idéal révolutionnaire et républicain du peuple de France n’existe plus du moins tel que le concevait l’abbé Grégoire : « L’arbre de la liberté croîtra ; avec lui croîtront les enfants de la patrie ; à sa présence ils éprouveront toujours de douces émotions … Là les citoyens sentiront palpiter leurs cœurs en parlant de l’amour de la patrie, de la souveraineté du peuple … Là nos guerriers raconteront les prodiges de bravoure des soldats de la liberté … Sous cet arbre se rassembleront ceux qui forment les extrémités de la vie : j’aidai à le planter, je l’arrosai, dira le vieillard, en jetant sur le passé des regards attendris. Il est dans la vigueur de la jeunesse et moi j’incline vers le tombeau … Alors les enfants et les mères, en bénissant le vieillard, jureront de transmettre à leurs descendants la haine des rois, l’amour de la liberté … et l’amour de la vertu. ».
Les arbres ont constitué une riche source d’inspiration pour beaucoup d’illustres chanteurs contemporains. À commencer par Georges Brassens : Au pied de mon arbre, Le Grand Chêne, L’amandier sont des fleurons de son répertoire.
L’arbre de Auprès de mon arbre exista. Il était d’essence modeste dans la cour de la bicoque au fond de l’impasse Florimont (Paris XIVème) où l’ami Georges passa peut-être les plus belles années de sa vie. :
« Auprès de mon arbre
Je vivais heureux
J’aurais jamais dû
M’éloigner d’ mon arbre »
Le poète chante ici la nostalgie d’un bonheur perdu, les mérites d’une vie toute simple.
Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon prétend une vieille chanson du folklore français. Georges personnifie son arbre en en faisant son copain, son alter ego et plus familièrement encore sa vieille branche. Il évoque d’autres arbres, notamment l’arbre de Judée que la légende rattache à Judas parce qu’il se serait pendu à une de ses branches après avoir vendu Jésus pour trente deniers.
Le Grand Chêne, autre chanson autobiographique, constitue l’étape suivante du déracinement de Brassens. Pauvre Georges, il a suivi les roseaux « mal pensants » qui lui promettaient le bonheur dans son moulin de la campagne des Yvelines.
(voir http://encreviolette.unblog.fr/2008/10/29/georges-brassens-a-crespieres/ )
« Grand Chêne, viens chez nous
Tu trouveras la paix … »
Mais ce n’était qu’illusion et le grand chêne
« Comme du bois de caisse, amère destinée
Il périt dans la cheminée. »
« L’image de l’arbre fonctionne dans toute l’œuvre de Brassens, ce menuisier des mots : l’arbre symbole du temps, de la sagesse, l’arbre-abri, l’arbre-potence, l’arbre-bûche, l’arbre-matériau. » Cette sémiologie du bois va de la pipe à la guitare jusqu’aux sabots d’Hélène et les planches du cercueil des funérailles d’antan.
On retrouve aussi sous la plume ciselée du poète des expressions désuètes comme attendez-moi sous l’orme. C’est la traduction en langue châtiée de mettre un râteau à quelqu’un, c’est-à-dire donner un rendez-vous auquel on n’a nulle intention de se rendre. L’origine de l’expression remonte au Moyen-Âge : les juges ruraux privilégiaient pour rendre la justice l’ombrage d’un orme mais certains justiciables, redoutant la sentence, omettaient de se rendre à l’audience.
Le bois de Trousse Chemise existe sur l’île de Ré. On ne peut pas aller plus loin, après le bois, c’est l’océan. Un petit bois avec de la mousse bien verte au sol et des bosquets de chênes bas qui forment autant de cachettes propices pour « faire des bêtises » !
Barbara chanta aussi Trousse Chemise mais elle préférait sans doute se souvenir de ses amourettes adolescentes Au bois de Saint-Amand :
« Bonjour l’arbre, mon bel arbre,
Je reviens, j’ai le cœur content,
Sous tes branches qui se penchent,
Je retrouve mes rêves d’enfant,
Y a un arbre, si je meurs,
Je veux qu’on me couche doucement,
Qu’il soit ma dernière demeure,
Dans le petit bois de Saint Amand,
Qu’il soit ma dernière demeure … »
L’immense succès de Pour une amourette fit de l’ombre à une autre belle chanson du tendre (et engagé aussi) Leny Escudero. L’arbre de vie devint aussi le titre d’un de ses livres de souvenirs.
Les troncs d’arbres sont souvent gravés d’initiales et de cœurs immortalisant les amours même passagères de jeunes tourtereaux. Culture urbaine, la mode est plus aujourd’hui aux cadenas sur les parapets des ponts.
Toujours en musique, je martèle sur un tronc d’arbre le rythme africain de Claude Nougaro maniant avec verve la langue de bois, la langue du bois.
« La langue de bois, la langue de bois
Pour dire qu’on triche avec les mots
Pour dire qu’on ment et de surcroît
Qu’on insulte aussi les ormeaux
Faut-il que l’homme soit macabre
Pour blasphémer la langue d’arbre?
La langue du bois, la langue du bois
La langue de bois, la langue de bois
Pour désigner paroles vaines
C’est insulter ma fibre à moi
La sève vivant dans mes veines »
Clin d’œil aux poètes, quand je me promène au Quartier Latin, j’aime flâner dans les rayons de L’Arbre à lettres, une « vraie » librairie dans la rue Mouffetard.
À l’occasion des journées du patrimoine, je vous suggère une visite bucolique dans les jardins de l’hôtel Matignon, la résidence du Premier ministre. Selon une coutume instaurée par Raymond Barre, Premier ministre du président Giscard d’Estaing, chaque locataire de Matignon y plante à son arrivée un arbre de son choix. Édouard Balladur opta pour un érable argenté … seize ans après avoir écrit « L’Arbre de Mai », les vingt jours qui ont fait trembler la France, au printemps 1968, alors qu’il était jeune conseiller aux affaires sociales du Premier ministre Georges Pompidou.
Édith Cresson, qui avait maladroitement catalogué les Japonais de fourmis jaunes et n’effectua qu’un passage très éphémère à Matignon, jeta son dévolu sur un Ginkgo biloba, une famille d’arbres asiatiques considérée comme la plus ancienne actuellement connue. Cet arbre serait apparu il y a 270 millions d’années, donc avant l’apparition des dinosaures, et est le seul qui repoussa sur le sol dévasté par la bombe atomique d’Hiroshima en 1945.
François Fillon enrichit le jardin d’une espèce asiatique, le cornouiller des pagodes dont les branches poussent en étages successifs rappelant les toits des pagodes comme celle qui abrite un cinéma à quelques dizaines de mètres de là, rue de Babylone. Je ne sais si son épouse Pénélope l’arrosait, cela pourrait éventuellement justifier quelques tâches d’assistante parlementaire.
L’arbre qu’a choisi la compagne de notre ami dévoué est un Copalme d’Amérique ou Liquidambar styraciflua. Originaire de l’Est de l’Amérique du Nord, il nous promet un beau feuillage rouge à l’automne. À l’âge adulte, il devrait atteindre une hauteur de 20 à 30 mètres et un diamètre d’environ 1 mètre à l’âge de 200 à 300 ans, ce que, bien sûr, en tant que président du conseil syndical, je ne manquerai pas de vérifier, le temps venu.
Notre ami pestait souvent contre le pin qui dégueulait sa sève gluante sur son automobile stationnée à l’aplomb. La question de son abattage suscita de vives joutes verbales au sein du conseil syndical et même d’une assemblée générale de la copropriété. Je vous rassure, on ne me menaça tout de même pas du sort de l’infortuné meunier toulousain après la Révolution.
Finalement, beaucoup mieux qu’un arbre à polémiques, notre ami a désormais un arbre à palabres, au sens africain de l’expression, c’est-à-dire un lieu traditionnel de rassemblement à l’ombre duquel on s’exprime sur la vie en société, les problèmes du village, la politique.
Pour ce qui nous concerne, on se contentera au pire d’évoquer les problèmes de la résidence, au mieux d’y goûter quelques instants de douceur, de tolérance, de bien-vivre. L’âme de notre ami griot nous y aidera.
Liquidambar, ça rime avec carambar, malabar, ces bonbecs fabuleux que je partageais avec mes copains d’enfance sous les futaies de l’Épinay. Nous grimpions le long des troncs, nous avancions plus ou moins prudemment sur les branches, y construisions des cabanes, nous dominions notre petit monde. Les jeunes filles suspendaient une balançoire.
Les parents d’aujourd’hui sont vite terrorisés par les dangers encourus par leur progéniture. En guise d’aventure, leurs enfants s’adonnent aux plaisirs organisés et tarifés des accrobranches.
« Jamais un arbre n’a été adoré rien que pour lui-même, mais toujours pour ce qui, à travers lui, se révélait, pour ce qu’il impliquait et signifiait. » L’arbre est le lieu sacré où le ciel s’enracine à la terre. Une de mes lectrices, assidue et cultivée, me la souffle, en guise de conclusion, voici un extrait du poème de Ronsard Contre les bûcherons de la forêt de Gastine fustigeant ceux qui abattent les arbres « innocents » :
« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d’été ne rompra la lumière.
Plus l’amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette
Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d’effroi
Ni satyres ni Pans ne viendront plus chez toi… »
Le temps des menaces n’est pas venu. Dans un de ses Sonnets pour Hélène de Surgères, Ronsard plante aussi un arbre. Il y célèbre les vertus de cette femme et de la nature :
« Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours ;
J’ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l’envie de l’écorce nouvelle.
Faunes, qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours,
Favorisez la plante et lui donnez secours,
Que l’Été ne la brûle et l’Hiver ne la gèle.
Pasteur, qui conduira en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Éclogue en ton tuyau d’aveine,
Attache tous les ans à cet arbre un tableau,
Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine :
Puis l’arrosant de lait et du sang d’un agneau,
Dit : « Ce Pin est sacré, c’est la plante d’Hélène. »

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merci de cette belle promenade sylvestre, à travers des sentiers de poésies, de chansons, d’histoires et d’Histoire.
Pendant que je vous lisais, et relisais, l’équipe municipale élaguait les arbres de ma rue.Vilaine musique!
Merci Jean-Michel tout simplement mais très sincèrement.
Toujours autant de délicatesse dans vos billets me touche vraiment.