Les Frères Jacques, réveillez-vous!
J’ai omis de faire état dans mon précédent billet du nouvel an de la mort, en novembre dernier, à l’âge de 93 ans, de Paul Tourenne, l’ultime survivant du quatuor vocal Les Frères Jacques.
Peut-être, inconsciemment, pensais-je que je n’aurais rendu qu’un quart d’hommage au célèbre groupe qui égaya mes jeunes années. Maintenant que Les Frères Jacques dorment tous pour l’éternité, je réveille mes souvenirs.
Précision préalable, seulement deux de la bande, André et Georges Bellec, étaient véritablement frères. Ensuite, comme les Trois Mousquetaires étaient quatre, les quatre Frères Jacques étaient cinq, car il ne faut pas oublier leur pianiste Pierre Philippe puis Hubert Degex. Enfin, aucun d’eux ne portant ce prénom, ils le choisirent en référence à l’expression faire le jacques, faire le pitre, qui correspondait à l’idée de ce qu’ils souhaitaient transmettre sur scène.
Bellec, Soubeyran, Tourenne, originaires de Saint-Nazaire, de Dieulefit dans la Drôme et de Paris, leurs noms exhalent un parfum de vieille et douce France. Avant de se rencontrer, ils suivirent, pendant la seconde guerre mondiale, des trajectoires diverses.
Georges Bellec, le boute-en-train, le plus petit du groupe, réformé, s’inscrivit aux Beaux-Arts de Paris et rallia le Hot Club de France où il côtoya Boris Vian, Claude Luter et Django Reinhardt. Son frère André, bachelier, entama une licence en droit tout en suivant le Conservatoire de Bordeaux, avant d’endosser l’uniforme des Chantiers de Jeunesse où il devint instructeur d’art dramatique et rencontra les Comédiens Routiers. Il créa un numéro de Paf et Pif, invitant même son frère à le rejoindre pour le personnage de Pouf !
Paul Tourenne, après être entré aux PTT, devint, lorsque la guerre éclata, moniteur de la colonie de vacances des enfants de la radio, en Aubrac, où il forma une chorale. À la Libération, il retourna à Paris au service artistique de la Radiodiffusion française puis fut responsable de la billetterie et de la « propagande » (bonne celle-là !) au sein de l’association Travail et Culture (sise rue des Beaux-Arts).
François Soubeyran, le plus grand des quatre, également bachelier, travailla auprès de sa tante Marguerite qui sauva de nombreux enfants juifs, puis partit pour le maquis avant de s’engager enfin dans l’armée Delattre de Tassigny. À la fin de la guerre, il se retrouva aussi au sein de Travail et Culture où il croisa son futur grand ami Yves Robert.
En janvier 1946, Les Frères Jacques, enfin réunis, rejoignent la compagnie Grenier-Hussenot, une des premières troupes théâtrales nées à la Libération.
En septembre 1948, ils inaugurent la seconde époque du cabaret-théâtre de la Rose Rouge, rue de Rennes. On peut retrouver sur youtube l’activité trépidante du lieu à travers le film de fiction éponyme : un nanar comme on les aimait au temps du cinéma de papa avec de vrais Frères Jacques, de faux généraux mexicains, Yves Robert, Louis de Funès, Yves Deniaud, Dora Doll, Françoise Arnoul, Jean-Roger Caussimon ! Une rareté : À vos cassettes, aurait conseillé Jean-Christophe Averty à ses Cinglés du music-hall.
À défaut de vous infliger l’intégralité du film, vous pouvez directement retrouver les Frères Jacques interprétant trois de leurs chansons : Voilà les footballeurs (à 25 min 05 sec), Général Castagnetas (à 31 min 07sec) et La Gavotte des bâtons blancs (à 36 min 25sec). Ces deux derniers morceaux connurent des ennuis avec la censure et furent interdits sur la radio d’État !
On ne rigolait pas avec la « morale » à l’époque, ainsi nos gais lurons et poètes furent aussi inquiétés pour leur interprétation du poème Quelqu’un de Prévert à cause d’un malheureux patronyme :
« … C’est un homme qui est triste
Cela se voit à sa figure
Soudain dans une boîte à ordures
Il voit un vieux bottin mondain
Quand on est triste on passe le temps
Et l’homme prend le bottin
Le secoue un peu et le feuillette machinalement
Les choses sont comme elles sont
Cet homme si triste est triste parce qu’il s’appelle
Ducon … »
Durant cette période, au détour des caves de Saint-Germain-des-Prés, ils croisent Jacques Prévert, Raymond Queneau, Boris Vian qui influeront sur leur répertoire.
Naviguant entre music-hall et théâtre, ils jouent Les Gaietés de l’Escadron, en 1949, c’est leur dernière collaboration avec la compagnie Grenier-Hussenot. Peu après, ils sont engagés cinq mois à Bobino pour Les Pieds Nickelés mis en scène par Yves Robert.
Mais l’événement essentiel est leur rencontre avec Jacques Canetti directeur artistique et producteur musical chez Polydor et Philips, et extraordinaire découvreur de talents.
Ils font aussi connaissance du décorateur de théâtre Jean-Denis Malclès qui crée leur original costume de scène, un élément essentiel de leur fantaisie : collants noirs, gants blancs, justaucorps d’une couleur différente pour chacun, de multiples couvre-chefs selon les chansons, et de fausses moustaches.
« Cernés au plus près de leurs muscles, sans poche pour cacher leurs mains, ils devaient tenir compte dans les plus infimes détails de leurs attitudes. Cette quasi-nudité colorée, dont ils surent faire ressortir la poésie et le pouvoir émotionnel par de subtils éclairages, n’admettait pas la moindre erreur ».
Mes lecteurs de moins de cinquante ans n’imaginent peut-être pas qu’avant l’apparition de la télévision en couleur, à moins d’avoir la chance d’assister à un de leurs concerts, … Les Frères Jacques étaient gris !
Enfant du baby boom, je les découvris probablement en regardant 36 chandelles, l’émission phare de variétés des années 1950, animée par Jean Nohain.
En 1952, j’étais un gosse comme ceux évoluant dans ce tendre clip d’un temps heureux où Les Frères Jacques reprennent une chanson de Charles Trenet. On sent bien le swing du fou chantant. « À l’école des Beaux-Arts, je vivais comme un lézard, j’passais mon temps à faire l’idiot devant les copains », ça ne vous rappelle rien ?
Les Frères Jacques entrèrent très vite dans ma discothèque personnelle. Je devais avoir une dizaine d’années : avec Guy Béart et L’eau vive, Marcel Amont et Escamillo, Gilbert Bécaud et Les marchés de Provence, ils font partie des cinq premiers microsillons que mes parents m’offrirent.
À observer aujourd’hui la pochette du disque vinyle, je m’interroge sur les chansons qui avaient bien pu m’interpeller. Il devait y avoir là-dessous un coup de mon regretté frère, mon aîné de neuf ans, qui, déjà nourri à Brassens, avait dû flasher sur le surréaliste Général à vendre imaginé par Francis Blanche (c’était aussi l’époque de Signé Furax le populaire feuilleton radiophonique). Vous savez bien, les petits veulent copier les grands !
Si au marché de Brive-la-Gaillarde, quelques douzaines de gaillardes se crêpaient le chignon à propos de bottes d’oignons, sur ce marché-là, il restait un général à échanger contre un cageot de pommes de terre pas mûres, quatre choux-fleurs et une tartine de confiture (attention ça dégouline !).
À réécouter les paroles, il me revient en mémoire que je déclinais à tue-tête les souvenirs de batailles du galonné rendant hilare mon entourage, peut-être un peu moins mon professeur d’histoire de père qui avait été aussi … officier de réserve !
« Il nous parlait des Dardanelles
Quand il n’était que colonel
Et de la campagne d’Orient
Quand il n’était que commandant
L’épopée napoléonienne
Quand il n’était que capitaine
Et puis la guerre de Cent ans
Quand il n’était que lieutenant
Les croisades et Pépin le Bref
Quand il n’était que sergent-chef
Et les éléphants d’Hannibal
Quand il n’était que caporal
Les Thermopyles, Léonidas
Quand il n’était que deuxième classe
Et Ramsès II, la première guerre
Quand sa mère était cantinière … »
Tout aussi surréaliste était ce mérovingien qui allait à la chasse du côté de la rue des Abbesses, au pied de la butte Montmartre.
Lorsque j’ai fréquenté ce quartier cher à Bernard Dimey, bien longtemps après les Carolingiens, les arsouilles chassaient plus le vison des reines de la nuit que le bison !
Sur la face B du microsillon (les jeunes lecteurs doivent se demander de quoi je parle !), il y avait une chanson qui racontait ceci :
« Petit, propret, glissant, discret,
Dans son vieux pardessus râpé,
Le long des allées monotones,
D’Isabeau la blonde à Pomone.
Le dos vouté, le nez tendu,
Il déambule à pas menus
Sous les marronniers de l’automne.
À quoi songeant ? À quoi rêvant ?
Cœur léger, cœur vide ou cœur lourd,
Ainsi font, font, ainsi s’en vont,
Les vieux messieurs du Luxembourg.
Une balade à petits pas,
Pour la soif deux grains de raisin,
Et puis encore on se promène,
Bonjour Watteau, bonjour Verlaine,
Ah quels amis on aurait eu !
Si le bon dieu l’avait voulu !
Le garde siffle : on ferme, on ferme ! … »
Cette promenade sous les frondaisons d’un jardin public était le fruit de l’imagination de Maurice Genevoix, ce qui doit rendre encore plus perplexe mon jeune public.
Ce délicieux monsieur, outre qu’il s’invitait souvent dans nos dictées, enchanta ma jeunesse avec ses romans régionalistes Raboliot (prix Goncourt 1925) et La Dernière Harde. Mes aînés se plongèrent dans son évocation de la Grande Guerre avec Ceux de 14 dont il fit partie notamment aux Éparges.
Élu à l’Académie française en 1946, il démissionna de son poste de secrétaire perpétuel, à quatre-vingt-trois ans, estimant qu’il avait encore d’autres livres à écrire. Je regrette qu’il soit tombé aux oubliettes dans nos écoles tant sa plume était remarquable.
Quand j’étais gamin, c’était toujours un cadeau précieux de recevoir un disque microsillon 33 tours (par minute) et tout un cérémonial d’en admirer d’abord la pochette, puis sortir délicatement la galette noire de son enveloppe blanche, la placer sur la platine et enfin poser le saphir avec infiniment de précaution pour la première écoute.
En ce temps-là, matraquage et promotion n’existaient quasiment pas. On appréciait un artiste suite à son écoute à la radio et bientôt ses passages sur la seule chaîne de télévision (36 Chandelles et Discorama). Lorsque mes parents l’avaient jugé dans les limites de ma « bonne éducation » (vous souriez mais ils m’avaient refusé un disque de Guy Béart parce qu’y figurait la chanson Chandernagor, c’était pourtant un « bon » moyen d’appréhender les comptoirs de l’Inde !), ils se rendaient alors chez Verhaegen, le principal disquaire de Rouen. J’allais bientôt préférer le magasin Storm, rue Jeanne d’Arc, un peu moins effrayé par la vague yéyé !
L’acquisition de mon disque des Frères Jacques fut sans doute validée pour la qualité d’ensemble de leur œuvre déjà bien fournie à l’époque après seulement une dizaine d’années de carrière.
Je ne parle évidemment pas de leur premier vinyle 78 tours, sorti en 1947, rassemblant des chansons dites pudiquement d’étudiants ou de carabins, à savoir des chansons gaillardes qu’ils enregistrèrent d’ailleurs sous le nom des Quatre Jules. À noter que parmi celles-ci, on relevait le célèbre De Profundis Morpionibus dont les paroles seraient de Théophile Gautier. Postulant à l’Académie française, celui-ci prit soin de ne pas en revendiquer l’origine. Ça vous fracasse, Capitaine ?
En 1957, Les Frères Jacques possèdent déjà une renommée nationale et même internationale, ainsi, en 1952, ils se produisent au Waldorf Astoria de New York.
À Paris, le 28 octobre 1952, ils entament leur premier récital au Théâtre Daunou. Ils le donnent près de 120 fois jusqu’au 15 mars 1953 et le prolongent deux mois encore au Théâtre de l’Atelier. Dire que de nos jours, les artistes se prévalent de jouer deux fois de suite dans la même salle !
En 1953, ils tournent même, sous la direction de Jean Boyer, le film Le pays des clochettes avec … Sophia Loren.
En 1950 et 1958, ils sont récompensés par le très convoité grand prix du Disque de l’académie Charles Cros, essentiellement pour leur interprétation de poèmes de Jacques Prévert mis en musique par Joseph Kosma. Parmi ceux-ci figure Barbara :
« …Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre … »
Outre d’être un hymne à la beauté féminine, Barbara fait le procès de la guerre. Yves Montand et Mouloudji l’inclurent également dans leur répertoire avec beaucoup de talent.
Dans le cadre de leurs récitals, ce type de chanson tenait lieu de « chanson de repos ». Après quatre ou cinq chansons à gesticuler, ils avaient besoin de souffler un instant.
Au verso de la pochette d’un de leurs disques, Jacques Prévert écrivait : « Aux feux de la rampe, les frères jacques allument un vrai feu de joie et les planches brûlent en crépitant et ils dansent autour en chantant. »
Le quatuor enchante déjà son public avec quelques chansons tendres, loufoques ou spirituelles qui appartiennent désormais au patrimoine de la chanson française.
À la Saint Médard mon Dieu qu’il a plu, mon Dieu qu’on s’est plu … une histoire d’eau, une histoire d’amour tombée à l’eau quarante jours plus tard ! Saleté de proverbe mais attendrissante chanson sujette aux pépins !
C’est vendredi, jour du poisson, mes lecteurs de plus de cinquante ans ont déjà ferré ma plaisanterie. Je ne peux évidemment pas ne pas évoquer l’inénarrable Complexe de la truite, une truite d’élevage car le lied de Franz Schubert est ici revu et adapté par Francis Blanche. Une truite vagabonde, quasi nymphomane, qui finit par envoyer la pauvre Gabrielle à l’asile !
Nous n’avions pas les réseaux sociaux mais je devais peut-être déjà frétiller pour une petite camarade, à moins que ce fût le p’tit bout de la queue du chat qui m’électrisait.
Encore heureux que la course à la voile Vendée Globe n’existait pas en ce temps-là … même si La Marie-Joseph était un bon bateau !
Vous imaginez combien toutes ces prestations télévisées des quatre gais lurons me mettaient en joie.
Ils me conquirent définitivement durant l’été 1957. Ils en passèrent une partie dans la caravane du Tour de France effectuant leur tour de chant, chaque soir, après l’étape.
Il ne pouvait en être autrement, ils étaient sur la ligne d’arrivée à Rouen pour féliciter le vainqueur, un vrai Jacques celui-là, un Maître Jacques même, l’idole de mon enfance Anquetil qui allait remporter bientôt sa première grande boucle.
Voilà comment, une fois encore, je vous sers mon petit couplet vélocipédique.
Bien sûr, she loves you, yeah, yeah, yeah, la vague yéyé déferla bientôt mais, hors des modes, les frérots (non pas Delavega !) poursuivirent toujours leurs récitals en France et à l’étranger. Ils chantèrent même sur le paquebot France (plus confortable que la Marie-Joseph !).
Ils firent, à leur manière, quelques concessions aux danses de l’époque. Après tout, Maurice Chevalier ayant bien chanté le Twist du canotier, ils se lancèrent dans un Twist agricole qui devait valoir son pesant d’avoine connaissant les quatre lascars :
« Le soir lorsque les bœufs
sont rentrés dans l’étable
après avoir cassé la croûte et bu un coup
on range dans un coin
toutes les chaises et la table
et le cousin Victor il attrape son biniou
moi j’attrape la Marie
et on s’met face à face
elle lui fait yéyé
moi j’fais yéyé aussi
elle enlève ses souliers
moi je r’tire mes godasses
et pendant toute la nuit on danse avec Marie
Refrain :
Le twist agricole,
c’est ça qui nous colle
c’est le vrai bonheur
du cultivateur
le twist du rural
c’est phénoménal
on a ça dans l’sang
le twist paysan … »
C’était toujours un régal de les retrouver sur le petit écran d’autant qu’enfin, on pouvait découvrir désormais la couleur de leurs justaucorps. Enfin, pas toujours, car par esprit de contradiction, je vous offre en noir et blanc leur rendez-vous avec Brigitte Bardot, emblème de la liberté sexuelle de l’époque et égérie de plusieurs artistes. Allez Stanislas, interrompez votre lecture de Paul Géraldy, ou peut-être simplement votre méditation sur une citation de ce poète dramaturge méconnu : « Le souvenir est un poète, n’en fais pas un historien. »
https://www.dailymotion.com/video/x3vv1
Quelle délicate chanson écrite par le regretté Ricet Barrier ! Mais que penser de B.B, aujourd’hui militante engagée dans la protection des animaux sauvages, se pavanant dans son manteau d’ocelot ?
Tout fout l’camp, ma p’tite dame, il en est ainsi aussi du rugby. À l’heure des combats des gladiateurs du Top 14, comme elles semblent bien surannées les joutes des poules de huit d’antan quand l’équipe de Perpignan s’en allait jouer à Montauban :
De gros bébés maoris et springboks, gonflés à la créatine, engrossent c’est évident quelques filles de La Rochelle ou de Toulon, honneur aux forts, c’est la loi du sport, c’est ça le rugby d’aujourd’hui !
Rien à voir donc avec le quarteron de souffreteux de la Chanson sans calcium :
Je n’étais plus le gamin qui fredonnait les souvenirs de guerre d’un général à vendre. J’avais rejoint la capitale pour mes humanités.
Nous allions, mon frère et moi, voir enfin en chair et en os Les Frères Jacques à l’occasion du récital qu’ils donnèrent sur la scène du théâtre Saint-Georges d’octobre 1972 au printemps 1973 et qu’ils reprirent, immense succès oblige, à Bobino, le grand music-hall de la rive gauche comme on disait à l’époque pour le distinguer de l’Olympia.
Le ravissant théâtre à l’italienne, situé au cœur du quartier de la Nouvelle Athènes, constituait un superbe écrin pour les pitreries des Jacques (pléonasme ?).
Assis dans les tout premiers rangs, nous pouvions apprécier la qualité de leur scénographie, leur gestuelle précise comme une mécanique d’horlogerie, leur art de combiner le chant et le mime. Quel régal, le balancement entre poésie et franche rigolade, entre baladins et clowns !
En point d’orgue du spectacle, ils nous posaient la fondamentale question existentielle, toujours pas résolue : pourquoi y a-t-il des trous dans le pain ? Vous avez compris que c’était l’heure de goûter à leur confiture !
Pour remédier à ces désagréments, on peut certes manger des biscottes quoique, ce ne soit pas mieux, elles se pulvérisent en étalant le beurre. Et comme je ne « cracotte » pas avec les ersatz suédois Krisprolls, Wasa et compagnie …
Selon l’appétit du public, certains soirs, Les Frères Jacques en tartinaient une tranche supplémentaire !
Est-ce mon goût pour l’image, j’avais un faible pour leur hommage à la photographie argentique, les souvenirs de vacances sur papier glacé. Ça sentait bon le Front Populaire et les congés payés.
Marqué peut-être par l’époque lointaine où il fut moniteur de colonie de vacances, Paul Tourenne était un excellent photographe influencé par Cartier-Bresson, Doisneau, Boubat et Willy Ronis.
Je me souviens qu’au titre d’exercice sonore lors d’un stage audiovisuel à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, j’avais réalisé un reportage, magnétophone en bandoulière, sur une de ses expositions dans une galerie de Saint-Germain-des-Prés. Bien évidemment, le leitmotiv était : Que c’est beau la photographie !
Trois siècles après la mort de Jean de La Fontaine, Les Frères Jacques consacrèrent plusieurs disques à ses fables. Je vous propose leur interprétation hilarante de Le Corbeau et le Renard, un petit bijou à montrer dans toutes les écoles.
Les Frères Jacques nous ravirent encore durant une dizaine d’années. Ils intitulèrent leur ultime tour de chant : « De L’Entrecôte à La Confiture, récital d’adieu ». Plat et dessert en somme ! Entamé en octobre 1979 à la Comédie des Champs-Élysées, une de leurs salles fétiches, il s’acheva, après une tournée de vingt mois (!), le 3 janvier 1982 au Théâtre de Boulogne-Billancourt, la salle de leurs débuts. Ils donnèrent encore deux ultimes concerts pour leurs amis suisses en février 1982 à Lausanne.
Pour tirer le bilan de leur extraordinaire carrière, ils dressaient un véritable inventaire à la Prévert : « 1420 chapeaux, 2752 paires de gants, 468 maillots collants, 136 paires de chaussures de scène et 420 moustaches ! »
J’ajouterai qu’ils ont chanté Prévert, Queneau, Sartre, Boris Vian, Mac Orlan, Jean Tardieu, Maurice Genevoix et même La Fontaine. Ils ont obtenu plusieurs grands prix de l’Académie du Disque et même un Molière. Ils avaient du talent pour quatre !
François Soubeyran est mort le 21 octobre 2002 dans sa Drôme natale. André Bellec nous a quittés le 3 octobre 2008, son frère Georges le suivit le 13 décembre 2012. Enfin, Paul Tourenne est parti le 20 novembre dernier.
« Pleurez Pierrots, poètes et chats noirs,
La Lune est morte, la Lune est morte.
Pleurez Pierrots, poètes et chats noirs,
La Lune est morte ce soir... »
Les Frères Jacques créèrent cette émouvante chanson tandis qu’un homme à l’allure de scaphandrier foulait le sol du vieux miroir de (nos) rêves.
https://www.dailymotion.com/video/x1y5vf
Essuyons nos larmes ! Dans nos cœurs, il fera toujours beau, même à la Saint Médard, avec Les Frères Jacques. Écoutez-les raconter une journée d’été un peu coquine imaginée par le chansonnier Jacques Grello et mise en musique par Guy Béart :
