Avec le charcutage des régions dans le cadre de la réforme territoriale, l’ambiance ne fut pas rose au propre, c’est-à-dire au sens politique du terme, comme au figuré avec les débats stériles et navrants liés au choix de leurs nouvelles dénominations.
Mon propos, ici, n’est pas tant de stigmatiser les incohérences et aberrations d’un découpage décidé à la hâte par les professionnels de la politique sans consultation sérieuse des Français. Encore, faudra-t-il me démontrer, outre son efficacité, qu’il entraînera les économies substantielles promises. L’avenir de Reims se décidera à Strasbourg, celui de Montpellier à Toulouse ; le littoral languedocien est-il économiquement et même culturellement compatible avec les départements montagnards des Hautes-Pyrénées et d’Ariège ? On peut s’interroger de la pertinence de la réforme à partir de nombreux cas de figure tirés de notre vie hexagonale.
Sans en tirer vanité, il n’est presque que la reconstitution de la province historique de Normandie, avec la fusion de ma Haute-Normandie natale et de la Basse-Normandie, qui semble naturelle.
L’étudiant en Histoire et Géographie que je fus, le citoyen aussi, trouvait quelque intérêt à suivre les processus de décisions des nouvelles appellations des territoires régionaux remaniés.
En préambule, je vous propose un petit bain de nostalgie avec un extrait d’un texte de mon vénéré Cavanna tiré de son ouvrage Sur les murs de la classe qu’une institutrice valeureuse m’offrit à mon départ à la retraite.
« Ce que j’aime le plus, en géographie, c’est les cartes. Surtout où celles où on voit les montagnes bien dessinées en marron de plus en plus foncé au fur et à mesure que ça monte plus haut, et puis tout en haut du plus haut, c’est tout blanc. Ça veut dire les neiges éternelles. Rien que ces mots, « neiges éternelles », ça fait rêver. Entre les montagnes, il y a les plaines et les vallées, en vert clair ou en vert foncé, ça dépend de l’altitude, et au milieu les fleuves, les rivières et les lacs, tout bleus, et aussi la mer tout autour, c’est très joli…
… Il y a les cartes politiques, c’est celles où il y a les pays. Pour la France, c’est celle avec les départements. Les couleurs sont jolies, je ne dis pas, mais elles ne signifient rien. On les a mises juste comme ça, pour pas que les départements se mélangent. C’est terrible, les départements ! Il y en a quatre-vingt-neuf, et il faut tous les apprendre par cœur, avec le nom du chef-lieu, qui est comme la capitale du département. Il y en a, c’est comme s’ils se trouvaient en Afrique, au pôle Nord, au diable …Ils ne veulent pas rester mariés dans ma tête, comme les nombres de la table des 9, pareil. Lozère … ? Tarn-et-Garonne … ? Mont-de-Marsan … ? Lons-le-Saunier … ? Mon grand-père m’a dit que, de son temps, il fallait, en plus, apprendre les sous-préfectures ! On était dur avec les enfants, en ce temps-là ! »
Sans remonter si loin, je me souviens, dans mon enfance, d’une cousine que mon père préparait au concours de recrutement des Postes en lui imposant l’apprentissage par cœur (dans un ordre aléatoire !) des départements avec leurs numéros, les préfectures et sous-préfectures. Prêtant l’oreille, je profitais de ce rabâchage et me chauffais au feu nourri de ces questionnaires oraux.
Lecteurs cévenols et landais (j’en compte), de Montauban et du Jura, excusez les quelques lacunes du génial rital du temps où il fréquentait l’école communale de Nogent-sur-Marne. On sait que les Français sont souvent fâchés avec leur géographie, ainsi lorsque je parle de mon Ariège adoptive, il n’est pas rare que cela évoque à certains la montagne ardéchoise de Jean Ferrat.
Comme Cavanna, je rêvais, enfant, devant les cartes de France régionale Vidal-Lablache. Je me régalais aussi d’étudier les itinéraires des étapes du Tour de France, de détailler les cartes Michelin orange et bleu sur lesquelles mon père préparait nos voyages en famille.
De ces chapelets de provinces et « pays », se dégageait un parfum de poésie : bocages, gâtines, causses et garrigues, Aunis et Saintonge, Roumois et Pays d’Ouche, Vimeu et Santerre, Boischaut et Puisaye, Bourbonnais et Combrailles, Armagnac et Bigorre, Quercy, Montagne Noire et monts de Lacaune, Rouergue et Larzac, Velay, Vivarais et Margeride, plus à l’Est encore, le Comtat Venaissin et le Dauphiné. Au fil de mes observations, naissaient des paysages, des histoires, des accents, des saveurs que je vérifiais de visu tôt ou tard à l’arrière de la Peugeot lors des randonnées estivales.
Comprenez donc que je sois sensibilisé voire attaché à ce qui constitue le corps et l’âme de notre douce France.
À la fin de l’Ancien Régime, le royaume de France était, selon l’expression de Mirabeau, un « agrégat inconstitué de peuples désunis ». Il se décomposait en de multiples subdivisions selon le critère d’ordre mis en avant : des provinces pour l’ordre politique, des généralités pour l’ordre financier, des intendances pour le civil, des gouvernements pour le militaire, des diocèses pour le religieux, des baillages ou sénéchaussées pour l’ordre juridique. Ces multiples pouvoirs s’ignoraient dans le meilleur des cas s’ils ne se combattaient pas.
Il fallait aussi faire avec une France de langue d’oc et une autre de langue d’oïl.
Pour sortir l’organisation territoriale du royaume de cette extrême complexité, à la Révolution, l’Assemblée constituante créa les départements par décret du 22 décembre 1789. Quelques semaines auparavant, un comité, avec à sa tête l’abbé Sieyès, avait projeté un découpage très géométrique en 81 unités, chacune formant un carré de 18 lieues de côté. Ainsi, comme l’avait souhaité Condorcet, « dans l’espace d’un jour, les citoyens les plus éloignés du centre (pourraient) se rendre au chef-lieu, y traiter d’affaires pendant plusieurs heures et retourner chez eux ».
Finalement, après moult discussions, la Constituante adopta la division en 83 départements dont les noms furent choisis en fonction d’éléments géographiques (Finistère-Côtes-du-Nord) et de l’hydrographie (Ille-et-Vilaine) avec une volonté de faire disparaître les provinces de l’administration royale (l’Orléanais devient le Loiret, la Creuse remplace la Marche). Pour éviter les querelles de clochers, il fut choisi à l’origine, au sein de chaque département, une alternance entre les chefs-lieux qui ne fut pas forcément appliquée.
Dans la liste primitive, on relève le département de Rhône-et-Loire, du nom des deux fleuves qui le traversaient, comprenant les provinces du Lyonnais, du Beaujolais et du Forez, avec Lyon comme chef-lieu. Il connut une vie très courte car, pour réduire l’influence d’une majorité de Lyonnais en rébellion contre la Convention nationale, un arrêté du 12 août 1793 en décida la scission en deux, les actuels départements du Rhône et de la Loire.
À partir de 1792, la France étendit progressivement son territoire et nombre de régions annexées furent organisées elles-aussi en départements. Vous ignorez peut-être, par exemple, qu’il exista un département du Mont-Terrible né de l’annexion de la République rauracienne (une partie du Jura suisse), avec Porrentruy pour chef-lieu. Il fut supprimé sous le Consulat en 1800 et son territoire alors incorporé au Haut-Rhin.
Ainsi encore, l’annexion de la proche Belgique amena la création de 9 départements supplémentaires : la Dyle, les Deux-Nèthes, l’Escaut, les Forêts, le Jemmapes, la Lys, l’Ourte, la Meuse-Inférieure et la Sambre-et-Meuse.
Les Bouches-du-Rhône ne furent plus seules. En 1811, on relevait une inflation de Bouches nourries par les conquêtes napoléoniennes : Bouches-de-l’Elbe, Bouches del’Escaut, Bouches-de-l’Yssel, Bouches-de-la-Meuse, Bouches-du-Rhin, Bouches-du-Weser et même en Espagne les Bouches-de-l’Èbre. Ça vous en bouche sûrement un coin !
La France compta, en 1811, jusqu’à 130 départements. Des villes comme Hambourg, Amsterdam, Turin, Bruxelles ou Aix-la-Chapelle étaient devenues des préfectures au même titre que Orléans, Rennes ou Périgueux. À la chute de l’Empire, en 1815, on retomba à 86 départements.
Déjà à leur création, les luttes pour la fixation des limites départementales furent souvent âpres et les particularismes locaux très vivaces. Ainsi, si la Haute-Garonne apparaît aujourd’hui peu équilibrée et mal proportionnée, c’est qu’elle est en fait un département résiduel. En effet, l’hostilité envers Toulouse, qui aspire aujourd’hui à être capitale de la nouvelle super région, avait dressé alors contre la ville rose les bourgeoisies des pays de Foix et de Bigorre animées par deux personnalités politiques de premier plan, l’appaméen Vadier et le tarbais Barère de Vieuzac. C’est la conjonction de ces oppositions qui permit la naissance de la discrète et courageuse Ariège et des Hautes-Pyrénées, et Toulouse desservie par le manque de personnalités de grande envergure, dut se contenter des restes. Qui sait, s’il n’y eut pas un vieux relent de vengeance lorsque le conseil d’État n’accéda pas, en 2005, au souhait des Ariégeois de transformer le nom de leur département en Ariège-Pyrénées pour mieux mettre en évidence leur identité montagnarde.
L’étude de la création des départements, aussi bien dans la délimitation de leurs territoires que dans leurs appellations, est passionnante. Leur histoire est souvent faite de petites histoires qui illustrent bien les vanités et compromissions humaines.
Mon destin est tel, que j’ai acquis une certaine expérience des changements de nom de certaines de nos divisions administratives, en l’occurrence les départements.
Ainsi, ma mère, originaire de la Manche, mais née dans l’Eure, me donna le jour dans la Seine-Inférieure ! La mention de ce département, aujourd’hui disparu, sur beaucoup de mes papiers administratifs engendre parfois une certaine perplexité chez certains officiers d’état !
C’est un décret du ministre de l’Intérieur en date du 21 janvier 1955 qui promulgua le changement de nom de mon département natal en « Seine-Maritime ». Je vous assure que cela ne provoqua aucune lésion ou désordre que ce soit sur ma santé mentale et physique (enfin, je crois) !
Aussitôt que la Constituante eût décrété les nouvelles divisions administratives, les parlementaires normands se réunirent à la bibliothèque des Capucins sous la présidence du duc de Coigny, député de la noblesse du bailliage de Caen. Le comité de Constitution proposait quatre départements, les députés de la région havraise (déjà la vieille rivalité avec Rouen) en suggéraient six avec pour le leur, le nom de Seine-Maritime (tiens donc déjà) … mais il faut laisser le temps au temps. On coupa la poire normande finalement en cinq départements. Le procès-verbal notifiait que celui qui me concernerait plus tard, et qui porta quelques jours le nom de Rouen, « était borné à l’ouest et au nord par la Manche ; du nord à l’est par la Bresle, sous réserve de quelques communes des environs d’Aumale et du pays de Bray (ouf, je n’en fais pas partie !) ; au midi par le département d’Évreux ».
Pendant quelques semaines, « mon » département fut nommé aussi Basse-Seine avant de muter pour un siècle et demi en Seine-Inférieure. N’imaginez aucun mépris ou une dégénérescence du peuple normand, son appellation provenant de la situation géographique du département dans la partie la plus en aval du cours du fleuve.
Qui sait, Seine et Marne prenant leur source en voisinage, le plateau de Langres aurait pu appartenir au département de la Seine-Supérieure, mais l’histoire ne l’a pas voulu et sa destinée administrative fut finalement liée à la Haute-Marne.
Je reprends mes contes de la Seine-Inférieure et mécomptes de la population havraise qui avait de la suite dans les idées. En effet, en 1870, pendant l’invasion prussienne, la Seine-Inférieure fut occupée par l’ennemi à l’exception de la région … du Havre (de paix ?). Gambetta, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Défense nationale songea alors à créer un nouveau département de Seine-Maritime avec pour chef-lieu Le Havre, mais il fut remplacé avant d’avoir rendu public son décret signé.
En 1879, un important meeting fut tenu au Grand Théâtre du Havre, en présence du président Félix Faure, pour relancer l’idée du sectionnement de la Seine-Inférieure et la création d’un second département de Seine-Maritime. Projet vite jeté à l’eau de l’estuaire !
Les esprits se calmèrent jusqu’en 1951 lorsque l’idée reprit son cours (inférieur ?) grâce à Georges Heuillard, un conseiller général de mon canton dont j’ai un vague souvenir : « Le qualificatif de « inférieure », qui signifie pour nous la position basse et maritime du fleuve, n’est pas toujours interprété géographiquement, ainsi par les étrangers qui le traduisent volontiers par infériorité ». Cela portait préjudice, paraît-il, aux exportations de draps d’Elbeuf et des cotonnades rouennaises. Il proposa même pour des raisons touristiques le nom poétique de Porte Océane du nom d’un livre à succès d’un président du conseil, ministre et académicien Édouard Herriot. Cette suggestion fut vite enterrée car elle aurait entraîné de trop gros bouleversements dans la liste numérique des départements et l’immatriculation des voitures. Furent alors proposés les noms de : Seine-Normande, Seine-et-Manche et … Seine-Maritime qui allait emporter la décision. Cela fut d’autant plus aisé que René Coty, Havrais de naissance, accéda à la présidence de la République en 1954 !
Les natifs de Charente-Inférieure pourraient, sans doute, relater pareilles péripéties. Fait-il plus chaud à Saint-Malo depuis que les Côtes-du-Nord ont été rebaptisées Côtes-d’Armor ? Les cigales chantent-elles plus dans les Alpes-de-Haute-Provence que dans les ex Basses-Alpes ?
Savez-vous qu’à sa création en 1790, le département du Puy-de-Dôme devait s’appeler Monts-d’Or ? Mais un député de Clermont-Ferrand intervint par crainte que cela attirât l’attention de l’administration fiscale sur ses concitoyens auvergnats !
Le département de la Gironde s’appela, lui, Bec d’Ambès (du nom du point de confluence de la Garonne et la Dordogne à l’entrée de l’estuaire), de 1793 à 1795, à l’époque où le terme Gironde désignait l’origine du groupe parlementaire des Girondins (opposés aux Montagnards) qui furent tous arrêtés voire même guillotinés parce qu’ils défendaient une bourgeoisie éclairée contre la vague populaire jacobine et centralisatrice et se heurtèrent à la Commune de Paris.
Après avoir affecté mon état-civil, ces départements qui n’assument plus leur nom s’en prirent aussi à mon avenir professionnel. Ainsi, une vingtaine d’années plus tard, alors que j’effectuais ma formation à l’École Normale d’instituteurs de Seine-et-Oise sise à Versailles, une réorganisation de la région parisienne entraîna l’explosion (on était en 1968) de ce département en trois nouvelles entités, Yvelines, Essonne et Val-d’Oise. Sans que cela soit particulièrement douloureux, ce changement réduisait le champ de mes possibles affectations circonscrites désormais au seul département des Yvelines. J’allais bientôt y remédier en m’envolant vers des horizons mexicains puis des perspectives universitaires.
Je n’étais sans doute pas suffisamment touché par la dimension littéraire de son origine. C’est en effet, le poète Jean Despert qui imagina son nom en l’empruntant à la forêt d’Yveline, région naturelle à l’ouest de l’Ile-de-France, et en y ajoutant malicieusement un « s » pour que cela fasse plus riche ! Attention au fisc !
Avec le récent découpage administratif de notre territoire, nous fûmes confrontés à de véritables casse-têtes pour donner une identité aux nouvelles grandes régions. Au nom d’une pseudo démocratie participative, une consultation en ligne relayée par les grands quotidiens régionaux a été organisée dans chaque région avec au final un éventail de propositions plus ou moins sérieuses. Le général de Gaulle se demandait comment gouverner un pays où il existe 365 variétés de fromages. Chacun a une vague suggestion à faire qui témoigne parfois d’un manque de réflexion et de culture. Au final, franchie cette étape populiste, ce furent des groupes de travail formés d’historiens, spécialistes en héraldique (étude des blasons), géographes, représentants du monde économique et quelques citoyens triés sur le volet qui ont réfléchi et soumis une courte liste de noms aux élus de leur conseil régional qui devaient trancher avant le 1er juillet.
Parmi les choix épineux à effectuer, figurait la nouvelle région septentrionale rassemblant le Nord, le Pas-de-Calais et la Picardie. Les 170 conseillers devaient se déterminer entre trois propositions : Nord-de-France, Terres-du-Nord et Hauts-de-France. C’est cette dernière, d’une « grande originalité » qui l’a emporté !
paysage des Hauts-de-France
Je sais bien que j’ai loué, dans un ancien billet, la beauté des Alpes Mancelles de ma Normandie natale, mais la hauteur maximale des Hauts-de-France culmine péniblement à 270 mètres, près d’Anor dans l’Avesnois, et la fameuse trilogie des Mont Cassel, Mont des Cats et Mont Noir que gravissent les coureurs cyclistes lors des 4 Jours de Dunkerque (j’ai réussi à insérer une allusion au vélo!) possède une altitude inférieure à 180 mètres.
Plus de Nord (là où il y avait les corons), plus de Pas-de-Calais (qui tirait son nom du détroit séparant la France de l’Angleterre), plus de Picardie (« Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre » plaidait Racine) : si elle était encore de ce monde, ma chère mémé Léontine qui vécut toute sa vie dans son village de la Somme, en serait toute « retournée », comme elle disait, d’être désormais … Hautiste !
Dans notre société actuelle où toute décision se vide peu à peu de sa substance pour ne mécontenter personne (donc tout le monde), les élus tenaient à défendre leur petit pré carré. Ainsi, le maire d’Amiens d’approuver : « J’aurais mal vécu un nom avec le mot Nord et pas le mot Picardie. Là, tout le monde s’y retrouve ». Et personne ne s’y reconnaît !
Cela facilitera peut-être l’observation par les élèves de la carte de France accrochée au mur de leur classe primaire. Au mépris que la terre soit ronde, les Hauts-de-France, « c’est la région qui est en haut de la carte » ! Après la simplification de l’orthographe, attachons-nous à celle de la géographie !
Les Ch’tis, durement touchés par le chômage, peuvent s’exclamer : « Mi, j’fais partie de l’France d’in haut et j’in sus fier !!! » et Dany Boon identifier la Belgique comme le Royaume du dessus des hauts-de-France.
En dernière lecture, comme pour justifier l’inanité de leur choix, les conseillers des futurs Hauts-de-France ont décidé d’ajouter en sous-titre … Nord-Pas-de-Calais-Picardie ! Combien de réunions avec remboursement de frais de transport voire jetons de présence auront été nécessaires pour se rallier à cette appellation d’une affligeante banalité ?
On n’est pas loin de friser le même ridicule pour nommer la grande région regroupant l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine. Le président de région s’est appuyé sur l’appellation guère plus originale de Grand Est largement plébiscitée par plusieurs centaines de milliers d’internautes. Précisons que cette proposition avait été ajoutée par l’exécutif régional tandis que le collège d’experts et de citoyens tirés au sort avait suggéré Acalie (allongement de l’acronyme ACAL), Rhin-Champagne et Nouvelle Austrasie (renvoyant à l’Austrasie de l’époque mérovingienne nom du royaume Franc qui couvrit le nord-est de la France actuelle jusqu’au 8ème siècle). Encore heureux que cette dernière option n’ait pas été choisie car à n’en pas douter, compte tenu de l’intérêt qu’ils portent à leur géographie, certains adolescents auraient situé Metz en Australie ou Melbourne en Champagne. Je sais bien que les vins des antipodes ont du succès mais quand même !
L’idée étant de créer de grandes régions pour les rendre plus attractives à l’échelle européenne, appeler Grand Est celle à laquelle appartient Strasbourg, un des deux sièges du parlement européen, n’est guère ambitieux et relève juste d’un positionnement géographique dans l’hexagone qui n’a pas de sens dans le cadre de l’Europe.
Allons voir maintenant du côté de la « Terre du milieu » pour reprendre la géographie de l’univers du Seigneur des anneaux et le choix de quelques gens du Nord, comprenez l’ancienne région Auvergne-Rhône-Alpes qui n’a finalement pas changé de nom.
Par soi-disant souci d’économie, le président de cette région avait choisi dans un premier temps de solliciter l’imagination des lycéens. Pourquoi pas, d’ailleurs il ressortit de cette consultation quelques idées aussi respectables que discutables.
Évidemment, en notre époque où acronymes et abréviations abondent dans les textos et les tweets des adolescents, on a eu droit à Aurhoal et R2A qui m’évoquent plus une marque de cosmétique et une formule mathématique qu’une région de France. Mais bon, je suis un has been !
Plus originaux et poétiques furent La Volc’en Loire et Puyrhônealpes. Ce second surnom avait un vague air de dinosaure de l’époque hercynienne rajeuni par la surrection alpine !
Référence au relief et à la capitale régionale, certains émirent l’idée de Lyon et Montagnes ou encore Hautes Chaînes de France, mais nos amis pyrénéens (soutenus par leurs collègues vosgiens) pouvaient dénoncer à juste raison un abus d’identité.
Ce sont peut-être des habitants des plaines et vallées qui suggérèrent Entre Monts et Rhône, c’est autrement bon ! Le vieux département originel de Rhône-et-Loire retrouva des partisans mais Alpins et Auvergnats ne s’y reconnaissaient pas du tout.
On jette un œil en bas à gauche de la carte comme disent certaines présentatrices de la météo ? C’est là, dans le Sud-Ouest, que se situe la nouvelle grande entité résultant de la fusion des anciennes régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes.
Alain Juppé, « Alain Péju » comme l’ont surnommé les Guignols de Canal +, dont on sait qu’il incarne le renouveau et l’avenir (!) dans la perspective des prochaines élections présidentielles, avait pensé au duché d’Aliénor mais il s’est vite repris en suggérant plus sagement la Grande Aquitaine. Au final, on a opté pour la Nouvelle-Aquitaine, soi-disant synonyme de renaissance.
Cela dit, pas de mauvais esprit, il faut lui reconnaître une pertinence historique d’avoir envisagé de faire de ses concitoyens régionaux, de futurs Aliénés ! En effet, le duché d’Aquitaine de cette chère Aliénor rassemblait à peu près les territoires de la nouvelle région.
Je ne sais si c’est parce qu’ils ont flashé sur la duchesse mais quelques sujets fantaisistes et lubriques (une infime minorité) ont voté pour l’acronyme APOIL (Aquitaine-POItou-Limousin).
Il faut reconnaître que cette Aliénor fut une sacrée nana. Elle vécut une époque formidable (pour pasticher le dessinateur Reiser) puisque son siècle, le douzième de notre ère chrétienne, connut plusieurs croisades et la construction des premières grandes cathédrales gothiques.
Gisant d’Aliénor d’Aquitaine et de Henri II
Née à Poitiers vers 1122, elle était la petite fille du troubadour Guillaume IX d’Aquitaine grand chantre de l’amour courtois. Elle fut successivement reine des Francs, mariée à Louis VII le Jeune, puis, après avoir obtenu le divorce sous prétexte d’une parenté trop proche (cousinage au 4e degré), reine d’Angleterre en épousant Henri de Plantagenêt (du même degré de parenté que Louis VII !!!), le futur Henri II. Mère d’une dizaine d’enfants entre les deux souverains, deux de ses fils, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre devinrent rois d’Angleterre.
C’est ainsi que la plupart des terres qu’on a cherché à renommer aujourd’hui devinrent anglaises au nez et à la barbe des Capétiens et Philippe Auguste. Cela se règla bien plus tard avec la guerre de Cent ans.
Aliénor était décrite comme belle, gaie, sensuelle, d’une nature chaude et ardente. On dit qu’elle se laissa aller à l’infidélité, fascinée par les charmes de l’Orient et un certain Raymond de Poitiers, pendant son séjour à Antioche lors de la deuxième croisade. Certains chroniqueurs lui prêtent même une liaison avec l’évêque de Poitiers Gilbert de la Porrée.
Elle aurait eu aussi des sentiments très forts pour le troubadour Bernard de Ventadour. Jolie métaphore, le jour où elle apprit la liaison de son époux Henri II avec Rosemonde de Clifford, elle serait allée au-delà d’une simple visite de courtoisie amoureuse à l’occasion de laquelle Ventadour, les yeux fixés dans les siens, lui chanta un poème de sa composition. Ce pourrait être celui-ci :
« J’ai le cœur si plein de joie,
Qu’il transmute Nature :
C’est fleur blanche, vermeille et jaune
Qu’est pour moi frimas;
Avec le vent et la pluie
S’accroît mon bonheur.
Aussi mon Prix grandit, monte;
Et mon chant s’épure.
J’ai tant d’amour au cœur
De joie et de douceur,
Que gelée me semble fleur,
Et neige, verdure.
Je puis aller sans habits,
Nu dans ma chemise,
Car pur amour me protège
De la froide bise.
Mais est fol qui, hors mesure,
Devient indiscret.
J’eus donc souci de moi-même
Dès que j’eus requis
D’amour la toute belle
Dont j’attends tel honneur… »
Justement, Zebda, un groupe engagé originaire de Toulouse nouvelle capitale de la grande région voisine, chante « Tomber la chemise » !
Je bats ma coulpe pour cette transition médiocre quoique j’ai utilisé quelques grammes de matière grise de plus que les concepteurs des Hauts de France. D’ailleurs, si on suit leur puissant raisonnement, on pourrait baptiser Bas de France la région constituée du Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
La nouvelle assemblée régionale avait adopté lors de sa séance du 15 avril cinq propositions retenues par un « comité des noms » (!) composé d’experts qui ont travaillé sur les idées émises par les internautes. Furent donc soumises au vote des habitants les appellations suivantes : Languedoc, Languedoc-Pyrénées, Occitanie, Occitanie-Pays Catalan et Pyrénées-Méditerranée.
À première vue, réduire au nom de Languedoc cette région qui va de Nîmes à Tarbes sur des airs des troubadours Brassens, Trenet et Nougaro, apparaissait très restrictif et pourtant …
À l’origine, le Languedoc tire notamment son nom de la langue (l’occitan) parlée par ses habitants depuis le IXe siècle, dans une aire qui englobe toute la moitié sud de la France, de la Gascogne à la Provence avec pour limites septentrionales le Limousin et l’Auvergne.
Il évoque aussi la province qui s’étendit, du XIVe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, des piémonts pyrénéens au Rhône, et qui se caractérisait par son assemblée des États du Languedoc, sa cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier, et ses deux généralités de Toulouse et Montpellier.
Dans la consultation fut citée la Septimanie que, déjà, l’ancien président iconoclaste de la région Languedoc-Roussillon, Georges Frèche, avait tenté d’imposer lorsqu’il fut élu en 2004. Cette région wisigothique ne signifie rien pour nombre de régionaux, qui plus est, elle ne recouvre qu’un tiers du territoire de la future région.
Terres d’Oc, ça faisait un peu cuvée de vin rosé à déguster bien frais et modérément.
Il a fallu aussi composer avec les susceptibilités identitaires occitanes et catalanes. Ainsi, l’Occitanie, outre qu’elle froissait les minorités agissantes catalanes, pouvait constituer une exagération géographique car la nouvelle région ne correspond qu’au quart de l’aire historique de la langue occitane. Il est même quelques vallées italiennes (du côté du val d’Aoste) et espagnoles où l’on tente de maintenir cette langue.
C’est pourtant ce choix d’Occitanie sur lequel s’est portée l’assemblée plénière (85 voix sur 158 conseillers), en l’enrichissant tout de même de la sous-mention Pyrénées Méditerranée. « Un nom fédérateur, porteur d’ambitions collectives et d’une identité commune » a déclaré la présidente de région !
Dans quelques décennies, les futures générations auront peut-être oublié ce que représentait chez leurs aïeux le Midi, synonyme de soleil, d’accent, de vacances, de révoltes sociales aussi (« les paysans du Midi et les mouvements viticoles de 1907″). « Il rentrait chez lui, là-haut vers le brouillard, elle descendait dans le midi » dans la belle histoire de Michel Fugain ; « de toutes les routes de France et d’Europe, Charles Trenet préférait la Nationale 7 qui descendait vers les rivages du Midi !
Que deviendront les grands quotidiens régionaux Midi Libre et La Dépêche du Midi, sans oublier Midi Olympique, la bible bihebdomadaire des amoureux du « rrrruby » ? Devra-t-on débaptiser le canal du Midi, la superbe voie d’eau créée par Pierre-Paul Riquet?
Au final, ce charcutage territorial de l’hexagone a abouti à de nombreuses querelles entre grandes villes (Rouen-Caen, Dijon-Besançon, Toulouse-Montpellier etc…) pour décider de l’emplacement du nouvel hôtel de région.
On est loin du projet de Condorcet : 290 kilomètres et 3 heures vingt de route séparent Guéret (Creuse) de Bordeaux capitale de la Nouvelle-Aquitaine, les Carolomacériens (habitants de Charleville-Mézières) devront parcourir 360 kilomètres pour rallier Strasbourg.
Quitte à ce qu’on me range parmi les « has been » nostalgiques d’une douce France désormais bien malmenée, j’ai la désagréable impression que la technocratie et la politique politicienne qui ont conduit à nos nouvelles régions, témoignent d’une forme d’inculture, d’opportunisme et d’absence d’imagination au nom d’une rentabilité plus que discutable.
Plutôt que cette conclusion formelle, je préfère terminer avec une farce normande qu’auraient volontiers brocardée Flaubert et Maupassant. « Un travail avec des historiens spécialisés dans l’histoire de la Normandie a été réalisé », dixit le président de région Hervé Morin, pour élaborer le nouveau logo de la région. Plusieurs contraintes étaient fixées : : « Il fallait deux léopards jaunes, identiques, l’un au dessus de l’autre, sur fond rouge, avec une tête de face et la gueule ouverte, trois pattes posées, une patte levée et la queue recourbée ». Il paraîtrait que la forme évoque une voile de drakkar viking …
Ces léopards proviennent du plus ancien blason connu de la dynastie des Plantagenêts. Geoffroy, par son mariage avec Mathilde (la dernière descendante directe des ducs de Normandie) devint duc de Normandie en 1128. Il fit transposer les symboles de « l’émail du Mans » sur son blason qui allait devenir les couleurs de la Normandie, à savoir l’or (jaune) sur fond de « gueules » (rouge).
À l’origine, il semble que Richard Cœur de Lion, duc de Normandie et roi d’Angleterre, à son retour de captivité, remplaça sur son blason les deux lions qui y figuraient par trois léopards. En 1204, Philippe II rattacha la Normandie à la couronne de France sans y nommer de duc. Du coup, un des félins se fit la belle dans le bocage normand et l’emblème à trois léopards ne subsista que dans les îles dites anglo-normandes (Jersey, Guernesey, Serq).
Mon anecdote ne casse certes pas trois pattes à un canard (à la rouennaise) mais, outre d’avoir le mérite de vous faire réviser un peu d’Histoire, elle pose tout de même la question : combien de temps et d’argent auront été inutilement gaspillés pour concevoir ce visuel et en rhabiller à terme tous les lycées, CFA, salles de sport, associations etc… de la région, au nom de la sainte communication ?
Il est des questions de voile (ou de toile) dont on pourrait aisément faire l’économie.