Archive pour le 7 août, 2016

Vacances (post) romaines (8): de Rome à Sienne en passant par Viterbe et Orvieto

Lunedi 30 maggio 2016

C’est l’heure du départ de Rome, enfin presque ! Nous prolongeons quelques instants encore notre séjour dans la ville éternelle en prenant, par commodité, le petit déjeuner à quelques pas de la maison natale du regretté acteur Alberto Sordi, au cœur du si attachant quartier du Trastevere. Puis, nous descendons jusqu’à l’Antica Caciara, une sublime boutique d’épicerie fine, pour effectuer quelques emplettes alimentaires.

Boutique Pecorini romano blogAntica Caciara blog

La devanture ne paye pas de mine, c’est peut-être la touche antica, mais le seuil franchi, nos papilles sont de suite en éveil. Roberto le patron d’une grande gentillesse nous met à l’aise : si c’est pour ramener en France, je peux mettre sous vide. D’alléchantes salaisons pendent au plafond, les paquets de pâtes aux formes les plus originales encombrent les étagères. Mais nous sommes venus en premier lieu pour les exceptionnels fromages, certains résultent d’un affinage de plus d’un an. Nous repartons alourdis de quelques kilos de pecorino romano vero et d’un parmiggiano tout aussi vrai qui enchanteront nos repas pendant quelques semaines. Ajoutons-y deux bouteilles d’huile d’olive qui ensoleilleront les salades. Cela fait six jours que je n’ai pas utilisé ma voiture. Rome est à taille humaine et se visite facilement à pied ou en transport en commun, tram, bus ou métro selon les destinations. Après la profusion d’églises baroques et de temples romains, nous plongeons dans une Italie profonde encore que la campagne du Latium soit agréable à traverser avec ses villages au milieu des vignobles. D’ailleurs, preuve que la région est hospitalière, pas moins de neuf papes y élurent domicile au XIIIe siècle à Viterbe, première halte de notre remontée vers le Nord. Je découvre même que comme pour les pâtes il y a des antipasti, avec les papes, il y eut des antipapes non reconnus aujourd’hui par le clergé régulier. Viterbe, petite cité vaticane du Moyen-Âge, conserve un centre historique presque trop tranquille en cette matinée de lundi. Je laisse mon véhicule au pied de la vieille ville car le stationnement semble périlleux dans les ruelles entrecoupées d’escaliers et de voûtes.

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Je débouche bientôt sur la Piazza Plebiscito avec les deux palais des Prieurs et du Podestat. Dans la cour du premier, se trouvent des sarcophages qui laissent supposer l’origine étrusque de Viterbe. D’ailleurs, des fouilles ont révélé d’importants vestiges de cette civilisation dans la petite ville voisine de Tuscania. Cela explique aussi que beaucoup de scènes d’inspiration étrusque constituent les motifs des élégantes poteries et céramiques locales. Dans mon salon, trône toujours l’une d’entre elles que mes parents m’avaient offerte lors d’un précédent voyage, il y a plus d’un demi-siècle maintenant. J’adore les places italiennes qui semblent toujours vastes parce que non enlaidies de parkings et de ronds-points intempestifs.

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Viterbe n’est pas une réserve africaine, pourtant, à chaque coin de rue, on tombe sur des lions de pierre. Leur présence remonte à l’époque médiévale des Duecento et Trecento où s’opposèrent militairement, politiquement et culturellement les deux factions (brigate) des guelfes et des gibelins, les premiers soutenant la papauté, les seconds favorisant la dynastie des princes Hohenstaufen et le Saint Empire. Montaigne rapporta dans ses Essais, qu’à l’occasion de ses voyages en Italie, il fut fréquemment considéré comme « gibelin par les guelfes et guelfe par les gibelins ». En tout cas, les guelfes choisirent le symbole du fauve pour leurs armoiries.

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En haut du vieux quartier San Pellegrino, sur la place San Lorenzo, le massif palais des Papes domine la cité. Á cause de sa sympathie pour les guelfes et de l’hostilité des patriciens romains, le pape Alexandre IV déplaça la curie pontificale à Viterbe en 1257 et rénova le palais épiscopal dans sa forme actuelle. Il fit construire notamment un grand espace pour les audiences connu aujourd’hui comme salle du conclave pour avoir accueilli le plus long conclave de l’histoire pontificale entre décembre 1268 et septembre 1271, presque trois ans de vacance. En effet, la situation était bloquée entre Italiens et Français qui voulaient chacun un pape de leur pays du fait de la situation de Charles Ier de Sicile. Pour en sortir, les habitants de Viterbe décidèrent d’enfermer les cardinaux assemblés dans la salle du conclave en ne leur laissant que du pain et de l’eau, et ôtèrent (à vérifier !) le toit du bâtiment « afin de permettre aux influences divines de descendre plus librement sur leurs délibérations » ! Il faut croire que ce fut efficace puisque les cardinaux déléguèrent leur pouvoir décisionnaire à six d’entre eux qui, pressés d’en finir, élurent le jour même Tedaldo Visconti alors qu’il n’était ni cardinal, ni même prêtre. Peu reconnaissant, le nouveau pape Grégoire X demeura à Viterbe à peine plus d’un mois. Le pape Jean XXI résida toujours à Viterbe le temps de son pontificat qui ne dura malheureusement qu’un an parce qu’il mourut à cause de l’effondrement d’un plancher du palais. Le pape français Martin IV déguerpit vite après que les habitants de Viterbe, opposés à l’élection d’un étranger, eussent investi la cathédrale où se tenait le conclave et arrêté deux cardinaux. L’ensemble de la population locale fut excommuniée et les papes ne devaient plus revenir à Viterbe. C’est drôle, vous ne trouvez pas, ces histoires de « psychopapes » ?

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J’accède sur le côté à la loggia dite des bénédictions où les souverains pontifes apparaissaient aux fidèles. Ornée d’arcs ogivaux finement ciselés, la galerie possède en son centre une fontaine du XVe siècle décorée de gargouilles en forme de têtes de lions, évidemment.

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De la loggia, on jouit d’une belle vue sur la cathédrale San Lorenzo (Saint Laurent). Érigée au XIIe siècle, elle a perdu, du moins sa façade, un peu de son caractère roman suite à diverses restaurations. Elle prit évidemment de l’importance lorsque Viterbe devint le siège de la papauté. Le tombeau de Jean XXI, celui qui reçut sinon le ciel, c’eut été un comble, mais le plafond sur la tête, est encore visible à l’intérieur. Sur le côté, se dresse le campanile dont la partie supérieure, avec ses fenêtres en ogives et l’alternance polychrome de travertin blanc et basalte noir, ne peut nier une certaine influence toscane. Á l’intérieur, le carrelage est de style cosmatesque, vous connaissez désormais, et d’élégantes colonnes à chapiteaux délimitent l’espace en trois nefs. Je suis comme d’habitude époustouflé par la richesse des sculptures et des peintures, parmi lesquelles une œuvre d’un anonyme du XIIe siècle représentant une Madonna della Carbonara qui n’a rien à voir avec une manière de cuisiner les pâtes !

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 Á la recherche d’une brasserie pour grignoter, au détour d’élégantes placettes, je débusque encore quelques lions se rafraîchissant aux fontaines. Á Viterbe, les monuments sont taillés dans le pépérin, un tuf volcanique de couleur poivre ou grise.

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J’avais déjà remarqué cette coutume dans certains quartiers de Rome : les faire-part de décès sont affichés sur des panneaux publics.

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 Rassasiés d’une salade de pâtes au basilic, nous reprenons la route pour rejoindre la somptueuse Orvieto perchée sur son socle en tuf volcanique. Nous quittons définitivement le Latium pour la région d’Ombrie.

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 Mieux qu’à Viterbe, dix-sept papes choisirent d’y résider. Quelle gageure, impossible à tenir, que de consacrer seulement trois heures à la visite d’Orvieto ! La circulation en ville étant déconseillée voire interdite, nous stationnons dans un parking couvert un peu sordide au pied des remparts. Un escalier mécanique puis un ascenseur nous hissent à hauteur du chemin de ronde. Nous nous engageons maintenant dans un dédale de venelles pavées.

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Quel havre de paix, l’expression province de charme prend ici tout son sens. Nous débouchons bientôt sur la Piazza della Repubblica bordée par le Palazzo del Comune, l’hôtel de ville actuel, et l’église Sant’Andrea.

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 L’église fut construite à l’initiative du pape Innocent III. L’imposant campanile à douze pans qui la jouxte servit de forteresse à une époque.

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Étendards, bannières et drapeaux flottent dans la rue principale dont la perspective est barrée par la Torre del Moro. Haute de près de cinquante mètres, avec son horloge et ses cloches elle joue un peu le rôle de phare permettant aux touristes de se repérer au fond des ruelles. Elle s’appela Torre del Papa jusqu’à ce qu’en 1515, le pape l’eut cédée à la ville.

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Ma curiosité me pousse, un peu à l’écart, vers la Piazza del Popolo, à cette heure, quasi déserte. J’ai tout loisir d’admirer ainsi le Palazzo del Capitano del Popolo datant du XIIIe siècle. Le capitaine du peuple était une figure politique de l’administration locale qui servait de contrepoids aux puissantes familles nobles de la ville. Devant la façade, est érigé un buste en bronze d’Adolfo Cozza, touche à tout de génie né à Orvieto en 1848. Á dix-huit ans, il prit part auprès de Garibaldi à la bataille du Trentin dans le cadre de la réunification de l’Italie. Sculpteur, il restaura notamment le taureau de bronze de la façade de la cathédrale voisine et façonna quelques statues du Vittoriano (monument à Victor-Emmanuel) de Rome. Architecte, il eut l’idée de construire un funiculaire reliant via un tunnel les villes haute et basse. Ses travaux en archéologie firent autorité. Il se consacra aussi à des études de mathématiques et de mécanique, faisant breveter une trentaine de ses inventions.

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Retour sur mes pas pour une brève pause fraîcheur dans une accueillante gelateria : cornet deux boules parfums melon et menthe ! Divin ! Attention au dithyrambe facile, il me faut garder quelque mesure car c’est un véritable éblouissement, au propre comme au figuré, qui me surprend au bout de la rue.

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Resplendissante au soleil, la cathédrale, le Duomo en italien, est une des œuvres les plus grandioses de l’architecture médiévale de la péninsule. La première pierre fut posée en 1290. Avec l’alternance des pierres de travertin blanc et basalte noir, et les mosaïques colorées en pâte de verre de la façade, elle apparaît comme une majestueuse pièce montée : car oui, je cède littéralement au péché de gourmandise artistique, je croque des yeux toutes ses richesses. Elle est dédiée à l’Assomption de la Vierge Marie (Santa Maria Assunta in Cielo). Sur la façade, au-dessus d’une massive porte en bronze, elle apparaît de dessous des tentures soulevées par deux anges.

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En levant les yeux, on tombe sur quatre docteurs de l’Église (reconnus pour leurs connaissances en théologie), Grégoire le grand, Jérôme, Ambroise et Augustin, circonscrivant une magnifique rosace en date de 1358 bordée par cinquante-deux têtes sculptées symbolisant toutes les semaines de l’année. Les douze prophètes restent de marbre à gauche et à droite, les douze apôtres veillent au-dessus. Sur des piliers, nous contemplent les symboles ailés des quatre évangélistes, un homme (et non un ange) pour Mathieu, un taureau pour Luc, un lion pour Marc et un aigle pour Jean.

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Des bas-reliefs évoquent des thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament. On pourrait passer l’après-midi à découvrir la symbolique de cette profusion d’éléments architecturaux.

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L’entrée au Duomo est payante. Comme le mentionne le billet, cela contribue à la sauvegarde de cette cathédrale unique au monde, et puis l’intérieur ressemble tellement à un musée qu’on ne peut pas s’offusquer de sa non gratuité.

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J’ai hâte d’accéder à la Capella San Brizio (chapelle Saint Brice), un chef-d’œuvre absolu de la peinture italienne que l’on doit aux deux maîtres Fra Angelico (surnommé parfois Beato Angelico ou « Peintre des anges ») et Lucas Signorelli, élève de Piero della Francesca. On peut même les « voir en peinture », c’est la moindre des choses, car Signorelli a eu l’humour de se mettre en scène avec son aîné : ce sont les deux personnages vêtus de noir en bas et à gauche de la fresque représentant l’Antéchrist.

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C’est vertigineux au propre comme au figuré. On a l’impression d’être au centre d’une sphère couverte du sol au plafond de scènes représentant l’Apocalypse et le Jugement dernier, une vision prémonitoire de la fin du monde où l’Humanité devra subir le châtiment de la justice divine. L’art fait oublier quelques instants au mécréant que je suis le destin funeste que certains veulent nous promettre. Un art à consommer al dente ou plutôt al Dante car un tableau surprend l’auteur de la Divine Comédie en pleine lecture.

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En sortant de la chapelle, je dévisage, en toute quiétude sans être dérangé par les faiseurs de selfies, une Pietà qui me procure plus d’émotion que celle sculptée par Michel-Ange.

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Je ne perds jamais le nord quand il s’agit de nourritures terrestres mais je n’ai même pas le temps de faire l’acquisition de quelques flacons du délicieux vin blanc d’Orvieto.
Il nous faut rejoindre Sienne pour prendre possession de notre chambre à l’hôtel Ai Tuffi, un peu à l’écart de la vieille ville. L’accueil y est charmant, la touche toscane sans doute.
Sienne ne nous est pas étrangère, nous louâmes, il y a une vingtaine d’années, un gîte dans les belles collines environnantes au milieu d’un domaine de Chianti Classico … ça vous étonne ? Envoûtés alors, nous ne pouvions pas ne pas nous y arrêter sur le chemin du retour.
Selon la légende, Sienne fut fondée par Senius et Aschius, les fils de Remus fondateur de Rome avec Romulus. Après que Romulus eut assassiné leur père, ils s’enfuirent sur deux chevaux fournis par Apollon et Diane pour échapper à la colère de leur oncle et s’arrêtèrent dans ce coin de Toscane où ils fondèrent une ville du nom de l’aîné Sienus.
Plus sûrement, pour en revenir à des époques moins incertaines, au XIIIe siècle, Sienne et Florence étaient des cités prospères économiquement et rivales politiquement. Sienne, gibeline et partisane de l’empereur, s’opposait à Florence, guelfe et favorable au pape. Elle infligea une cinglante défaite (10 000 morts) à sa voisine lors de la bataille de Montaperti en 1260. Les Florentins prirent leur revanche par la suite et finirent par annexer Sienne en 1557. Pour ce qui me concerne, n’étant ni guelfe ni gibelin, les deux cités toscanes me sont également sympathiques, d’autant que pour tenter d’asseoir leur supériorité, elles n’eurent de cesse de s’embellir à coup de projets architecturaux pour notre plus grand bonheur aujourd’hui.
Une bonne douche réparatrice et c’est parti pour un vagabondage au gré de notre humeur, sans appareil photographique, juste pour retrouver les couleurs de la terre de Sienne, la bien nommée.
La balade aurait pu nous faire perdre le goût du panforte, la délicieuse pâtisserie locale : quelle n’est pas notre stupeur au moment de repartir à l’hôtel, j’ai perdu les clés de la voiture.
Pas de panique, d’abord ma compagne a un double dans son sac, ensuite … sans avoir à implorer toutes les madones des églises de Sienne, je les retrouve sous la table du restaurant où nous avons dîné une heure auparavant. Il n’y a de veine que pour … !

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Sans rapport avec l’épisode des clés de la veille, nous choisissons le bus pour rejoindre la ville haute historique.
Il est tôt mais la cité a déjà revêtu ses atours : les rues à l’élégant pavé régulier ne sont pas encore complètement sèches après l’arrosage municipal.

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Romulus et Remus, à voir leurs mines réjouies, boivent du petit lait aux mamelles de leur louve adoptive. La louve siennoise (lupa senese) regarde devant elle alors que son homologue capitoline est représentée avec la tête de côté. Je ne vous garantis pas l’absolue exactitude de ce détail architectural car j’ai vu au cours de mes promenades des louves très romaines !
Á quelques pas de là, Sallustio Bandini, homme d’église des XVIIe et XVIIIe siècles, mais aussi philosophe et auteur d’une doctrine économique pour la prospérité du peuple, nous toise du haut de son piédestal. En arrière-plan, la petite place Salimbeni est bordée de trois palais qui constituent le siège et les bureaux de la Monte dei Paschi di Siena, la plus ancienne banque encore en activité (depuis 1472).
Un peu plus loin, sur la façade d’une modeste église, une madone semble vouloir s’éclipser, en serrant entre ses bras, non pas mes clés, mais un crâne.
En poursuivant dans la rue commerçante, on tombe sur la Loggia della Mercanzia, la « loggia du commerce » d’où nous saluent des statues de Saint Pierre et de Saint Paul, œuvres de Lorenzo di Pietro dit le Vecchietta, ainsi que des saints protecteurs de la ville.

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Attention mesdames et messieurs, le spectacle va commencer. En tournant au coin de l’édifice, en descendant quelques marches telles un vomitoire d’arène ou d’enceinte sportive, je surgis sur une des plus belles places au monde : la Piazza del Campo, ou plus simplement Il Campo, le cœur de la cité siennoise, si caractéristique par sa forme incurvée de coquille Saint-Jacques et sa déclivité. C’est toujours la même émotion qui m’étreint à chaque fois que je pénètre dans ce qui ressemble à un vaste amphithéâtre.

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Outre sa beauté architecturale, Il Campo tire sa renommée du Palio, l’ancestrale course de chevaux qui s’y déroule deux fois par an.
Depuis une décennie, la place sert aussi de décor à l’arrivée des Strade Bianche (les routes blanches), une épreuve cycliste très spectaculaire qui emprunte les chemins de terre dans la campagne environnante. Une sorte de Paris-Roubaix toscan en somme, je vous l’ai déjà dit, le cyclisme est une religion en Italie et les organisateurs savent donner une touche artistique, historique voire épique à leur sport.
Ce matin, je profite de la bonne exposition au soleil et du peu d’affluence pour admirer la Fonte Gaia, une superbe fontaine ainsi nommée à cause de la joie manifestée par la population siennoise lorsqu’une source, résultat d’un ingénieux travail hydraulique, jaillit sur la place en 1346. Une série de sculptures fut commandée en 1409 à un grand artiste de l’époque, Jacopo della Quercia. Les sculptures originales d’un marbre plus jaune étant préservées de l’usure du temps, dans un musée près du Duomo, ce sont des copies en marbre de Carrare, œuvres du sculpteur siennois Antonio Sarrocchi au dix-neuvième siècle, qui nous sont données à voir aujourd’hui en haut de la place.

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Jacopo della Quercia conçut sa fontaine comme une piscine rectangulaire bordée de sculptures en bas-relief sur trois côtés. Sur la longueur, la Vierge et l’Enfant sont entourés d’allégories de vertus. Les deux largeurs représentent la création d’Adam et l’expulsion de l’Eden. J’imagine Rossana Podesta (voir billets précédents) effectuant quelques brasses dans l’eau turquoise, la douceur de vivre à la siennoise !
Au fil des heures et de la course du soleil généreux, je ne me lasse pas de contempler Il Campo en me postant à hauteur de ses différents escaliers d’accès ou en parcourant la chaussée empruntée par les cavaliers du fameux Palio.

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De nombreuses galeries exposent des peintures et des photographies de cet événement qui attire des touristes du monde entier. C’est impressionnant de découvrir cette foule compacte qui s’agglutine au creux de la « coquille » et les places aux balcons et fenêtres des palais valent de l’or.
Le Palio, sous sa forme moderne, remonte au milieu du XVIIe siècle. Il en est organisé deux par an, le 2 juillet en l’honneur de la Madonna (locale) de Provenzano et le 16 août au lendemain de l’Assomption. La course elle-même, précédée d’un fastueux cortège historique, se déroule sur trois tours du Campo entre les dix cavaliers sélectionnés parmi les dix-sept contrade ou quartiers de la ville. Lors de notre précédent séjour à Sienne, nous avions connu la fièvre des préparatifs pour le palio d’août, chaque contrade arborant déjà ses couleurs.
La compétition est assez violente, chaque concurrent montant à cru peut frapper avec sa cravache les autres cavaliers et chevaux. Le vainqueur reçoit un drapeau en soie peinte, appelé palio, créé spécialement pour chaque édition. Évidemment, chaque course est suivie d’animations festives mais aussi de railleries entre quartiers. Signe des temps, un récent documentaire révélait des pratiques de dopage et de corruption mafieuse malmenant la tradition !
Nous nous dirigeons maintenant vers le point culminant de la ville pour en découvrir l’autre merveille : la cathédrale Santa Maria Assunta appelée couramment Duomo.
« Quelle grandeur, quelle flamme d’amour dans ces petits Siennois. Si ardents, si riches qu’ils fussent au début du XIVe siècle, il leur faut une audace passionnée pour oser concevoir, au plus haut d’une ville et d’un terrain si difficile, l’exaltation d’un tel colosse ».

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Il fallut deux siècles et demi pour la construire (1136 à 1382). Comme à Orvieto, je suis ébloui par la beauté de la façade tout en marbre blanc, noir et rouge, chef-d’œuvre de Giovanni Pisano à la fin du XIIIe siècle.
Les mosaïques colorées aux pinacles sont beaucoup plus récentes et évoquent la présentation de Marie au temple, le couronnement de la Vierge et la Nativité de Jésus.
Le campanile marbré de blanc et de noir avec sa base hexagonale et ses ouvertures de plus en plus grandes vers son sommet domine dans le ciel de Sienne avec la Torre del Mangia du Campo.
Au pied des marches, la lupa senese, perchée sur une haute colonne, surveille. Bientôt, on va en dénombrer autant que de loups dans le Mercantour et le Gévaudan.
Je reste de longues minutes à me réjouir de la richesse et de la finesse de la façade.
Il faut aussi payer son écot pour visiter l’intérieur de la cathédrale. Sans aucune mesure avec la foule presque irrespectueuse de Saint-Pierre de Rome, il y a cependant des attroupements autour des guides qui commentent les plus beaux joyaux artistiques.

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Ainsi, au-dessus de l’autel Piccolomini réalisé par Andrea Bregno, en 1485, pour le pape Pie III, une délicate Vierge à l’enfant est entourée des statues de Saint Paul, Saint Pierre, Saint Pie et Saint Grégoire, sculptées par Michel-Ange.
Une fresque de Pinturicchio, datée de 1504, représente justement le couronnement pontifical de Pie III.

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La nef qui développe une longueur de 90 mètres est remarquable avec ses piliers formés en alternance de tronçons de marbre noir et blanc, soutenant des arches en plein cintre.
Entre les colonnes, au-dessus des cintres, on distingue les bustes en stuc de 171 papes, je ne les ai pas comptés.
Le chœur et le maître-autel datent de 1506. Il abritait la Maestà de Duccio (1308) visible désormais dans le musée de l’Œuvre de la cathédrale.

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Le pavement, du moins ce qu’on ne nous cache pas sous un plancher, est constitué de magnifiques marqueteries en marbre représentant des scènes bibliques et des sibylles.
Par contre, il faudra repasser pour admirer la chaire en porphyre et marbre vert, œuvre de Nicolas Pisano (le fils de celui qui a conçu la façade), actuellement en restauration. J’entrevois vaguement à travers la palissade un des épisodes de la vie du Christ qui y sont représentés.
Je ravale ma déception avec un bronze de Saint Jean-Baptiste sculpté par Donatello.

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C’est bientôt treize heures, on va tester la trattoria Cicce conseillée par notre hôtel, on découvrira plus tard qu’elle appartient au même propriétaire. Une bruschetta pomodoro, des crostoni di formaggi, suivis de tagliatelles aux truffes, le tout accompagné de vin blanc de San Gimignano, vont nous faire oublier complètement ce conflit d’intérêt.

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Il s’en faut de peu que je me laisse séduire par la gelateria proche.
J’ai peut-être eu tort, qui sait si je n’aurais pas été absout par le pape Jules III que je rencontre sous le porche du Palazzo Chigi qui héberge aujourd’hui une académie musicale.
Dans la cour, un élégant puits porte la devise de la famille Chigi : Micat in vertice, « Je brille au firmament ».

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Retour au Campo : le Palazzo Publico et la Torre del Mangia sont maintenant en pleine lumière.
La tour, entièrement en brique hors la partie supérieure en travertin, d’une hauteur de 102 mètres, fut construite en 1325 et 1344. Elle tient son appellation de son premier sonneur surnommé Mangiaguadagni, « mange gains » car il avait une propension à dépenser tout son argent pour la nourriture.
Au pied, en légère avancée, se trouve une loggia en marbre blanc. Nommée Capella di Piazza (la chapelle de la place), elle fut érigée en 1352 en offrande à la Vierge Marie faite par les Siennois reconnaissants d’avoir survécu à la peste noire.
Lors de notre séjour précédent, nous étions montés au sommet de la tour en empruntant l’escalier exigu d’environ quatre-cents marches. De là-haut, on jouit d’une vue superbe sur le Campo en particulier lorsque la propre ombre de la tour s’allonge sur la coquille.
Nous choisissons maintenant de retourner à notre hôtel non sans avoir auparavant effectuer quelques emplettes au Conservatorio agrairia di Siena, une alléchante supérette exclusivement dédiée aux produits régionaux. Nous y faisons notre marché de pâtes, d’huile d’olive et d’un carton de vin blanc d’Orvieto et de Vernaccio de San Gimignano.

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En fin d’après-midi, reposés, nous revenons dans le centre historique de Sienne pour une ultime virée. La vue générale est splendide depuis la basilique San Domenico.

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Cette vaste basilique plus austère, construite au XIIIe siècle, est en brique comme l’étaient beaucoup d’édifices des ordres mendiants de cette époque. Plusieurs éléments sont dédiés à la patronne de la ville Catherine de Sienne. Nous ne pouvons malheureusement les découvrir pour cause d’office.

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Nous nous installons bientôt à une terrasse vers le haut de la Piazza del Campo pour profiter d’une sorte de son et lumière : l’animation de la jeunesse siennoise à l’heure de l’aperitivo, le soleil qui jette ses derniers feux sur les palais avant que les projecteurs ne le relaient.
Ce soir, la douceur de vivre version toscane, c’est déguster avec une paille un Aperol Spritz, vous connaissez depuis un précédent billet, devant ce décor magique.

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Il n’est pas temps de penser qu’il pleut encore et encore en France. Nous dînons à la terrasse de le Finestra, un restaurant sur la place du marché à l’arrière du Palazzo Publico.

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Dois-je vous torturer avec le menu ? Un filetta depesce San Pietro avec un struito de patates arrosé de blanc vernaccio de San Gimignano, et pour dessert, des rigatti au vino Santo bien de circonstance car demain, j’ai rendez-vous avec un ecclésiastique !

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Sur le chemin du retour, je tombe sur une affiche annonçant un prochain concert d’Angelo Branduardi au Duomo. J’avais un peu perdu de vue le chanteur à la chevelure bouclée désormais grisonnante. Je vous abandonne aujourd’hui en sa compagnie.

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Publié dans:Coups de coeur |on 7 août, 2016 |1 Commentaire »

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